Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

 

–  Commissions d’évaluation des politiques publiques relative à la mission Travail et emploi 2

Discussion unique sur l’exécution budgétaire (M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion) : 2

-          Travail et emploi : M. Dominique Da Silva, rapporteur spécial 2

  présences en réunion...........................20

 


Mardi
9 mai 2023

Séance de 20 heures 30

Compte rendu n° 66

session ordinaire de 2022-2023

 

 

Présidence de

 

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’audition de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, nous accueillons M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. C’est avec vous, monsieur le ministre, que débutent cette année les réunions de commissions d’évaluation des politiques publiques (CEPP). Ce cycle nous permettra d’entendre chaque ministre sur l’exécution budgétaire des missions qui relèvent de sa compétence. Cela nous donnera également l’occasion d’évoquer les thèmes d’évaluation retenus par certains rapporteurs spéciaux.

Je vous rappelle quelques principes d’organisation décidés par le bureau de la commission, qui s’appliqueront à l’ensemble des commissions d’évaluation des politiques publiques, que celles-ci comprennent ou non un la présentation d’une évaluation thématique.

Après une intervention du ministre de quinze minutes au maximum, sur l’exécution budgétaire, la parole sera donnée aux rapporteurs spéciaux intéressés, pour cinq minutes chacun, puis, le cas échéant, aux rapporteurs pour avis, pour deux minutes chacun. Après les questions du président et du rapporteur général, la parole sera donnée au ministre puis aux orateurs de groupe pour deux minutes, et aux autres orateurs pour une minute, avant une nouvelle réponse du ministre.

Ce temps consacré à l’exécution peut être suivi d’un autre, consacré à une thématique d’évaluation retenue par un rapporteur spécial. Ce n’est pas le cas pour cette première CEPP.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, j’ignorais que j’inaugurais la série des commissions d’évaluation, mais j’en suis ravi, en tant que ministre du travail mais aussi en tant qu’ancien ministre chargé des comptes publics, attaché à ces questions d’exécution et d’évaluation. Ces travaux trouvent leur place dans le cadre du printemps de l’évaluation que l’Assemblée nationale a mis en place il y a quelques années.

Je profite d’être le premier ministre auditionné dans ce cadre pour souligner que c’est l’actuelle majorité qui a remanié, depuis 2018, le calendrier des débats sur les résultats de l’exercice. Nous avons ainsi renforcé la dynamique de responsabilisation budgétaire du Parlement de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Nous continuons de le faire avec l’entrée en vigueur de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Ce texte prévoit un dépôt des projets de loi de règlement avant le 1er mai de l’année suivante, comme nous l’avions fait en avril 2021 pour l’exécution de 2020, lorsque j’étais précisément chargé des comptes publics.

La présentation de l’exercice budgétaire, qui conduit à exposer des chiffres, constitue un exercice de transparence. Nous présentons aussi des résultats. En 2022, comme inscrit dans les annexes des comptes de l’État dans le rapport annuel de performances de la mission Travail et emploi, 24,8 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 20,8 milliards d’euros en crédits de paiement ont été consommés. Ces montants sont respectivement supérieurs de 57 % et 42 % de plus 15,8 milliards d’euros d’autorisations d’engagement et aux 14,6 milliards d’euros de crédits de paiement qui avaient été ouverts par la loi de finances initiale, soit un écart plus important qu’en 2021, qui traduit l’ampleur des incertitudes qui ont marqué cette année 2022, au moins la première partie de celle-ci.

Les mouvements intervenus en cours de gestion atteignent des montants nets de 10,1 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 8,5 milliards d’euros en crédits de paiement, soit respectivement 64 % et 58 % des ouvertures prévues par la loi de finances initiale. Ainsi les crédits disponibles ont-ils atteint le montant de 25,9 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 23,2 milliards d’euros en crédits de paiement.

Cependant, nous constatons globalement une sous-consommation d’un peu plus de 1 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 2,4 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une sous-consommation de 4 % et 10 % respectivement. La sous-exécution, en crédits de paiement, est supérieure de 500 millions d’euros à celle de 2021.

Ce tableau de la mission Travail et emploi, pour 2022 récapitule une exécution en réalité extrêmement complexe et assez peu lisible. La Cour des comptes l’a d’ailleurs souligné dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire.

Premièrement, cette exécution 2022 des crédits du ministère traduit la sortie de la crise sanitaire et la réussite du plan de relance. En 2022, nous avons collectivement éteint les dispositifs d’urgence mis en œuvre en réponse à la crise sanitaire. En relais des dispositifs de la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire, notamment des dispositifs d’activité partielle, l’action du Gouvernement pour préserver les emplois et les compétences et protéger les plus fragiles s’est appuyée sur des dispositifs plus classiques de soutien aux mutations économiques, inscrits au programme 103 Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi. Le dispositif exceptionnel d’activité partielle s’est progressivement éteint en 2022 pour être remplacé par l’activité partielle de longue durée, pour les entreprises qui ont continué de subir les conséquences de la crise.

Deuxièmement, l’exécution de la mission Travail et emploi témoigne aussi de la bonne dynamique de l’emploi en 2022. Fortement marquée par la baisse du chômage, elle témoigne de la réussite de la relance post-covid et de la tenue de notre objectif de plein emploi.

Ce sont 400 000 emplois salariés qui ont été créés en 2022, ramenant le taux d’emploi salarié à son niveau d’avant-crise. Le taux de chômage s’établissait à 7,2 % au quatrième trimestre de l’année 2022, soit le plus bas niveau constaté depuis 2008. C’est même, à l’exception de cette année 2008, le niveau le plus bas jamais enregistré depuis quarante ans. Le taux d’activité s’établissait au quatrième trimestre de l’année 202, à plus de 68 %, soit son point le plus haut depuis le début de cette mesure par l’Insee en 1975.

Ce cycle positif s’est traduit par une réduction du recours aux allocations de solidarité, inscrites au programme 102 Accès et retour à l’emploi. L’exécution, pour les allocations de solidarité, en 2022, s’est élevée à 1,9 milliard d’euros en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, soit une sous-exécution de 415 millions d’euros par rapport à loi de finances initiale. Cette sous-exécution s’explique, pour 91 % de ce montant, par la sous-consommation de l’allocation de solidarité spécifique, qui a représenté 376 millions d’euros en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement. Il faut plutôt y voir une bonne nouvelle puisque cette moindre consommation découle d’une diminution du nombre de demandeurs d’emploi.

Troisièmement, l’exécution 2022 montre aussi que nous ne nous satisfaisons pas de cette situation et que nous souhaitons aller plus loin dans la réduction du chômage et l’amélioration de la qualité de l’emploi. Nous avons ainsi renforcé, en 2022, nos efforts en faveur de la jeunesse. Si la situation de l’emploi s’améliore globalement, elle ne s’améliore pas automatiquement pour tous. Aussi avons-nous voulu soutenir les personnes qui restent les plus éloignées de l’emploi malgré la dynamique du marché du travail.

La programmation des mesures destinées aux jeunes a ainsi atteint un niveau inédit, leur montant ayant plus que doublé par rapport à la programmation de 2020, avec 1,9 milliard d’euros en loi de finances initiale pour 2022, contre 1,2 milliard en 2021 et 800 millions d’euros en 2020. C’est notamment le pari du contrat d’engagement jeune (CEJ), lancé au mois de mars 2022 en remplacement de la garantie jeunes. Le dispositif s’approche, à la fin d’année 2022, de notre objectif de 300 000 entrées, dont deux tiers dans le cadre des missions locales. Le rapport rendu par l’inspection générale des affaires sociales au mois de décembre dernier a montré l’efficacité de la mesure. Le taux d’accès à l’emploi des jeunes inscrits à Pôle emploi et inscrits dans un contrat d’engagement jeune s’établit ainsi à 78 %, pour un taux d’accès à l’emploi durable de 48 % en onze mois – il s’agit de la première cohorte, celle du mois de mars 2022, pour laquelle nous avons pu mesurer l’intégralité des effets. Ce sont des résultats que je regarde avec prudence mais qui sont encourageants. Ils nous incitent à poursuivre ces efforts.

Nous avons aussi fait le choix de la formation par l’alternance et par le plan d’investissement dans les compétences (PIC), avec le développement volontariste de l’alternance, notamment l’apprentissage, dispositif efficace pour intégrer et former les jeunes. C’est d’ailleurs l’atteinte de ces objectifs ambitieux en matière d’apprentissage qui explique l’essentiel de la différence entre la programmation et l’exécution. C’est le signe que la politique d’insertion et de formation porte ses fruits. Ainsi, en dépit de la crise sanitaire, le nombre d’entrées dans le dispositif, pour le secteur privé, a doublé entre 2019 et 2021, passant de près de 360 000 à plus de 700 000. Notre effort soutenu, en 2022, a permis de porter ce chiffre à près de 840 000 entrées en apprentissage, dont 811 000 dans le secteur privé, ce qui nous rapproche de la cible d’un million d’alternants par an d’ici à la fin du quinquennat.

Ce soutien à l’apprentissage a représenté au total 16,8 milliards d’euros en 2022, dont 10,3 milliards d’euros apportés par France compétences au titre de la prise en charge des « coûts-contrat ». S’y est ajouté un financement par le budget de l’État à hauteur de 6,5 milliards d’euros, hors les subventions exceptionnelles versées à France compétences pour un montant total de 4 milliards d’euros. Ce soutien a été porté par différents programmes en 2022, notamment le programme 364 Cohésion de la mission Plan de relance et le programme 103 Accompagnement des mutations économiques et du développement de l’emploi.

Sur les 6,5 milliards d’euros portés par le budget de l’État, les aides exceptionnelles à l’embauche d’apprentis ont compté pour 4,8 milliards d’euros en termes de crédits de paiement exécutés, y compris pour les contrats de professionnalisation. Les exonérations de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu, pour les apprentis, représentent 1,6 milliard d’euros. C’est l’effet d’arrondi qui nous permet d’atteindre le montant de 6,5 milliards d’euros.

Ce succès de l’apprentissage a aussi contribué en retour à creuser le déficit de France  compétences. C’est pourquoi chacun des collectifs budgétaires de l’année passée s’est traduit par l’ouverture de 2 milliards d’euros de subvention exceptionnelle en soutien à la trésorerie de l’opérateur, l’État étant au rendez-vous du financement de France compétences lorsque ce besoin se fait jour.

De la même manière, notre investissement dans la formation s’est poursuivi. Le PIC s’est poursuivi en 2022, également avec des résultats concrets, notamment en termes de retour à l’emploi. J’y reviendrai.

S’agissant du PIC, la sous-exécution se monte à 2,4 milliards d’euros au total, dont 2,3 milliards d’euros sont encore disponibles à la fin de l’année pour ce seul programme ; c’est le principal facteur de sous-exécution de la mission. Ce montant de 2,3 milliards d’euros englobe notamment 1,8 milliard d’euros au titre du fonds de concours. Ce décalage, dans la consommation des crédits du programme, tient d’abord à la conjoncture : entre la sortie de la crise sanitaire et la remontée de l’inflation, l’offre et la demande de formation étaient encore assez perturbées en 2022. En outre, la complexité des mouvements de gestion témoigne de la faible lisibilité de l’exécution de ce programme. Je pourrais par exemple citer les transferts du programme 364 vers l’action PIC du programme 103, pour un montant total de 264 millions d’euros de crédits de paiement.

Je voudrais néanmoins souligner l’importance du plan, qui a permis la mobilisation d’un effort inédit de près de 14 milliards d’euros dans la formation des jeunes et des demandeurs d’emploi entre 2018 et 2022, avec des résultats intéressants. Le dernier rapport du comité scientifique d’évaluation montre qu’un demandeur d’emploi entré en formation dans le cadre du PIC voit sa probabilité d’être embauché dans les dix-huit mois augmenter de 9 %, par rapport à un demandeur sans formation. Ce levier vers l’embauche est encore plus fort pour ceux qui sont restés sans emploi depuis plus d’un an – avec une probabilité d’être embauché dans les dix-huit mois accrue de 14 points par rapport à un demandeur sans formation – et pour les demandeurs d’emploi de plus de cinquante ans, dont la probabilité d’être embauchés dans les dix-huit mois est accrue de 17 points par rapport à des demandeurs sans formation. L’expérience a donc confirmé l’hypothèse selon laquelle la formation rapproche de l’emploi.

Enfin, le plein emploi passe aussi par l’insertion. Nous avons conforté le Fonds d’insertion dans l’emploi (FIE) en 2022, notamment par le développement de l’insertion par l’activité économique. Cette action a mobilisé près de 1,2 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,3 milliard d’euros en crédits de paiement. Nous avons aussi intégré les initiatives territoriales et l’aide à la création d’entreprise, afin de respecter le pacte d’ambition. Ce sont ainsi 94 000 équivalents temps plein (ETP) qui ont été conventionnés par l’État avec les structures en 2022.

Ces dépenses se signalent également par une sous-exécution par rapport à la loi de finances initiale, d’environ 127 millions d’euros en autorisations d’engagement et 132 millions d’euros en crédits de paiement. Cette sous-exécution « en trompe-l’œil » s’explique par la mobilisation en gestion d’une partie de la trésorerie de l’Agence de services et de paiement (ASP) et d’une moindre réalisation en ETP.

Enfin, le budget 2022 nous a permis de financer notre politique d’amélioration de la qualité du travail. Les interventions au sein des entreprises de l’inspection du travail ont été orientées en fonction de nos priorités : la lutte contre le travail illégal et les fraudes au détachement, comme depuis 2019. Plus singulièrement, la part des interventions dédiées à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a fait l’objet d’un suivi particulier. Nous allons renforcer, en 2023, ces moyens, et les recrutements, qui seront au nombre de 300 cette année. Ce nombre traduit la volonté de faire face à la vacance et à un nombre important de départs : ce ne sont pas des postes en plus par rapport à notre schéma d’emploi.

Nous avons accompagné les politiques de plein emploi en 2022 et nous continuerons de le faire en 2023. Les différents documents dont vous disposez, notamment la note d’analyse de l’exécution budgétaire de la Cour des comptes, comportent des recommandations en matière d’amélioration du pilotage et de lisibilité de celui-ci. Cela fait partie des priorités que j’ai assignées à nos services, notamment afin d’obtenir une meilleure lisibilité des dispositifs faisant l’objet d’un déploiement territorial. Je pense à l’insertion par l’activité économique ou aux crédits du PIC. L’objectif est que nous disposions d’un suivi mensuel.

Nous devons aussi travailler à résoudre un certain nombre de difficultés que nous connaissons. L’augmentation très forte du nombre d’alternants se traduit en particulier par un déficit structurel de France compétences, auquel nous devons apporter des réponses. C’est la raison pour laquelle dès la loi de finances initiale, des concours de 1,7 milliard d’euros ont été prévus, alors que tous les concours étaient renvoyés, lors des années précédentes, à des lois de finances rectificatives.

M. Dominique Da Silva, rapporteur spécial. C’est une exécution budgétaire sans précédent qui nous est présentée. En 2022, les crédits consommés au titre de la mission Travail et emploi ont effectivement atteint un montant de près de 25 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 20,8 milliards d’euros en crédits de paiement. La dépense est importante, mais – vous l’avez dit, monsieur le ministre – les résultats sont au rendez-vous, avec un taux de chômage réduit à 7,2 %. Qui aurait cru cela possible lorsque la pandémie a mis notre économie à l’arrêt ?

La progression soutenue de l’effort budgétaire traduit évidemment la dynamique de l’apprentissage et de l’investissement dans les compétences – c’est notre fil rouge. Ce soutien budgétaire manifeste aussi, plus généralement, l’ambition d’une politique qui vise résolument le plein emploi.

Je me bornerai à quelques remarques sur chacun des programmes de la mission.

La sous-exécution relative – de 8 % – du programme 102 Accès et retour à l’emploi procède notamment d’une baisse des dépenses de solidarité. L’emploi s’améliore. Les besoins de financement au titre des allocations s’en trouvent réduits plus vite qu’on ne le prévoyait. Ne boudons pas notre plaisir : c’est évidemment une bonne nouvelle.

Par ailleurs, la trésorerie de l’Agence de services et de paiement était telle qu’elle pouvait prendre en charge des dépenses relatives aux contrats aidés. Cela a permis de dégager des marges au profit de l’insertion par l’activité économique, dispositif dont le montant exécuté a progressé de 8 % par rapport à 2021. C’est de bonne politique au moment où nous devons veiller avec un soin scrupuleux à la bonne gestion des finances publiques.

Le programme 103 Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi a bénéficié d’ouvertures massives dans le cadre des lois de finances rectificatives : 8,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 5,2 milliards d’euros en crédits de paiement. Par un soutien franc et résolu à l’opérateur France compétences, l’État a manifesté sa détermination à soutenir la dynamique de l’apprentissage. Le Président de la République a fixé l’objectif d’un million d’apprentis par an. Nous sommes mobilisés pour l’atteindre, et nous y mettons les moyens. Cette détermination, que je salue, et cet objectif quantitatif doivent aussi être assortis d’un objectif qualitatif, et nous devons notamment veiller au suivi des parcours.

Une réflexion sur le modèle financier de France compétences pourra être nécessaire, car les subventions dites exceptionnelles se multiplient, mais j’observe que de premiers enseignements ont été tirés de l’évolution de sa trajectoire financière. En 2023, l’opérateur bénéficie effectivement d’une dotation budgétaire dès la loi de finances initiale. En outre, le montant du fonds de concours qu’il verse pour le financement du volet régional du plan d’investissement dans les compétences est réduit de moitié. C’est d’autant plus utile que ce volet régional du PIC constitue la principale source de sous-consommation au sein du programme 103, à hauteur de 530 millions d’euros en autorisations d’engagement et 1,8 milliard d’euros en crédits de paiement. J’appelle à une poursuite de la réflexion en vue de parvenir à un modèle équilibré et pérenne. Avez-vous quelques pistes à nous proposer sur ce point, monsieur le ministre ?

En ce qui concerne plus particulièrement le PIC, la Cour des comptes conteste régulièrement la régularité du fonds de concours versé par France compétences. Il me semble donc que nous pourrions envisager la possibilité de lui substituer un compte d’affectation spéciale. Ce serait plus respectueux de la loi organique et des droits du Parlement.

La nature cyclique du programme 111 Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail est bien connue. En 2022, les montants exécutés ont ainsi baissé des deux tiers en autorisations d’engagement et de 8 % en crédits de paiement. À l’échelle de la mission, ces crédits sont modestes, mais je m’interroge sur le dispositif du défenseur syndical, toujours doté de plusieurs millions d’euros qui ne sont jamais dépensés. À l’heure où chaque million doit être compté, ne faudrait-il pas, précisément, en tenir compte ?

Dans le même esprit, j’appellerai votre attention sur les dépenses fiscales rattachées à la mission, qui représentent le tiers de son coût consolidé. Ces dépenses fiscales constituent un outil précieux mais elles méritent, au regard des montants en jeu – 10,2 milliards d’euros – un examen attentif. La Cour des comptes y insiste d’ailleurs tous les ans : les dépenses fiscales rattachées à la mission Travail et emploi ne sont guère évaluées. Il conviendrait donc de déterminer quel objectif précis est assigné à chacune et de mesurer sa performance. La Cour des comptes suggère la possibilité d’un rapport des inspections générales compétentes. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Pierre Dharréville, rapporteur pour avis. Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre de m’exprimer après – et en complément de – notre collègue Dominique Da Silva, au nom de la commission des affaires sociales. L’exécution budgétaire 2022 confirme les éléments d’inquiétude que j’avais soulevés dans mon avis sur le projet de loi de finances pour 2023, rendu au nom de la commission des affaires sociales. Nous n’avions malheureusement pas pu en discuter pleinement, monsieur le ministre, la décision d’engager sa responsabilité prise par le Gouvernement ayant clos le débat.

J’avais mis l’accent sur les grandes difficultés auxquelles fait face l’inspection du travail. Je constate que, comme nous pouvions le craindre, les efforts de recrutement n’ont pas porté leurs fruits en 2022 du fait d’une absence de revalorisation suffisante des conditions de travail et des carrières et rémunérations. Je note les revalorisations statutaires des inspecteurs qui ont été décidées, à hauteur de 0,4 million d’euros, et les revalorisations indemnitaires bénéficiant aux inspecteurs et contrôleurs, à hauteur de 2,33 millions d’euros. À quel montant moyen correspondent ces hausses pour les agents ? S’accompagnent-elles de mesures de renforcement de l’attractivité des parcours ?

Nous avons eu connaissance, il y a quelques jours, des transformations programmées de Pôle emploi dans le cadre de la création France Travail. Le rapport évoque « une augmentation satisfaisante du plafond d’emploi », dont l’exécution se situe tout de même en retrait de 26 ETP par rapport à ce qui avait été voté en loi de finances initiale. Je m’interroge sur le choix consistant à abaisser ce plafond dans le cadre de la loi de finances pour 2023, plutôt que de procéder à des recrutements, d’autant plus que le rapport qui nous a été rendu évoque des besoins massifs en accompagnement humain.

Enfin, pouvez-vous nous détailler, monsieur le ministre, la destination des crédits destinés, notamment dans le cadre du programme 111, à la prévention en santé au travail, enjeu majeur ? Je pense en particulier aux crédits de l’action 6 Renforcement de la prévention pour la santé au travail.

M. le président Éric Coquerel. Je serai rapide dans mes observations, car elles reprennent en partie celles des deux rapporteurs, notamment sur la question des dépenses fiscales, pointée par la Cour des comptes. L’augmentation de ces dépenses, constatée régulièrement, suscite des interrogations, de même que leur rôle et leur efficacité, comme le souligne la Cour des comptes.

J’ai entendu, monsieur le ministre, vos explications concernant la sous-exécution des mécanismes et dépenses de solidarité : création d’emplois salariés, baisse du chômage, etc. Différents signaux montrent cependant que la pauvreté est loin, dans notre pays, d’être enrayée. Je reste donc dubitatif devant ces sous-exécutions, notamment cette sous-exécution de 2,3 milliards d’euros que vous attribuiez à des effets de conjoncture et de complexité. J’aimerais que vous détailliez ces aspects.

M. Olivier Dussopt, ministre. Il y a un certain nombre de chiffres dont je ne dispose pas ici mais que je m’engage à vous transmettre très rapidement.

M. le rapporteur spécial évoquait l’action de France compétences et son équilibre financier. Il s’agit évidemment d’un sujet majeur pour nous car, lorsque le nombre d’apprentis accueillis augmente, l’appareil France compétences est confronté à d’assez grandes difficultés de financement. Nous avons pris un certain nombre de mesures, consistant d’abord à payer la formation au juste prix. Cela s’est traduit par une première baisse du niveau de prise en charge des coûts-contrats, à hauteur de 210 millions d’euros, au 1er septembre. Le conseil d’administration de France compétences devait voter une deuxième série de baisses du niveau de prise en charge des coûts-contrats, à la date du 1er avril. Nous avons reporté cette décision de quelques mois afin de prendre en compte comme il se doit, dans la comptabilité analytique de 2022, les effets de l’inflation et éviter de procéder à une baisse qui serait devenue trop importante compte tenu de ces effets.

Nous avons décidé d’harmoniser le niveau des primes de recrutement. Jusqu’à la fin de l’année 2022, leur montant était de 5 000 euros pour le recrutement d’un apprenti mineur et de 8 000 euros pour un apprenti majeur. Leur montant est désormais de 6 000 euros pour le recrutement de tout apprenti. Cette mesure répond à une double volonté : diminuer le coût global, pour l’État, des primes de recrutement des apprentis ; donner de la lisibilité et élever le niveau de subvention pour le recrutement d’apprentis de moins de dix-huit ans, lesquels intègrent souvent des formations de niveau inférieur au baccalauréat, afin que la progression de l’apprentissage soit équilibrée entre les différents niveaux de diplômes.

S’agissant du compte personnel de formation, nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs de lutte contre la fraude – une loi a d’ailleurs été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale – et d’encadrement et de régulation des connexions, afin de limiter les possibilités de fraudes. Ces mesures entraînent un certain nombre d’économies qui nous permettent de rétablir petit à petit cet équilibre. Je pense qu’il faudra aller plus loin, afin que les économies soient au rendez-vous. Je ne suis pas persuadé que le recours à un compte d’affectation spéciale soit la solution : la création d’un tel outil avait été repoussée, faute d’un lien suffisamment direct entre la ressource et la dépense. En outre, cela ne résoudrait pas la question de l’équilibre financier, même si la lisibilité des données financières en serait accrue.

En ce qui concerne les questions relatives aux crédits consacrés au défenseur syndical, il faut rappeler que ce dispositif constitue une création récente, laquelle a coïncidé avec une période de ralentissement de l’activité, voire de suspension de celle-ci et de confinement. Nous cherchons le bon rythme de croisière. Les montants ne sont pas extraordinairement élevés à l’échelle du budget du ministère : autour de 3 millions d’euros. Ce montant a été ramené à 1 million d’euros dans le cadre de la loi de finances pour 2023, ce qui nous paraît correspondre au rythme des crédits de paiement, tels qu’ils ont été sollicités et décaissés. Nous avons ainsi, d’une certaine manière, anticipé, monsieur le rapporteur spécial, votre demande de diminution des crédits afin de tenir compte de la seule exécution.

Une question posée par M. Dharréville portait sur l’action 6 du programme 111. Ces crédits visent à conforter les services spécialisés de santé au travail, notamment sur les aspects liés à la formation. Ces dispositions constituent la suite logique de la loi du 2 août 2021 pour le renforcement de la prévention en santé au travail, telle qu’elle a été adoptée. Je pourrai vous transmettre, monsieur le député, le détail de la ventilation des crédits relevant de l’action 6.

Les dépenses fiscales sont élevées et elles ont connu une augmentation importante, de 1 milliard d’euros, entre 2021 et 2022. On peut y voir le signe de la réussite de la nouvelle politique mise en place. L’essentiel de ces dépenses a trait au crédit d’impôt lié aux services à la personne. Ce crédit d’impôt, qui fonctionne bien, bénéficie aux ménages qui ont recours à des services à la personne à domicile. Il permet d’accompagner des ménages qui paient l’impôt et des ménages qui n’en paient pas, ce qui est important pour des ménages de retraités pouvant avoir recours à des aides à domicile. L’augmentation de 1 milliard d’euros, entre 2021 et 2022, tient au fait que nous sommes entrés de plain-pied, en 2022, dans la contemporanéisation de ce crédit d’impôt, projet que j’avais mis en œuvre lorsque j’étais chargé des comptes publics. Les personnes recourant à des services à la personne peuvent ainsi, pour l’essentiel de ces services, bénéficier d’un crédit d’impôt en temps réel, couplé à une avance de trésorerie. Les particuliers recourant à des services à la personne ne paient ainsi que la moitié des sommes à acquitter. Nous savons que lorsque ce crédit d’impôt est remis en cause, cela a pour conséquence une explosion du travail non déclaré. Il s’agit donc d’un véritable outil de régulation.

Il existe effectivement, monsieur Dharréville, des difficultés de recrutement au sein de l’inspection du travail, où 16 % des postes sont vacants. Nous nous efforçons d’y remédier, notamment par des recrutements. Leur nombre sera de 300 cette année, ce qui constitue un record historique. Cela nécessite aussi des efforts du côté de l’école de formation des inspecteurs. Nous avons aussi reconduit les possibilités de recrutement par détachement qui avaient été introduites par mon prédécesseur, ce qui permet aussi d’apporter des solutions. Nous recrutons enfin dans des postes de contractuels, non pour des missions propres et spécifiques à l’Inspection du travail mais afin de libérer du temps administratif permettant aux inspecteurs et contrôleurs de se concentrer davantage sur leurs missions.

Le montant brut annuel de la progression des socles indemnitaires de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE), pour les inspecteurs du travail en service déconcentré, est compris entre 2 380 et 2 600 euros ; 60 % des inspecteurs du travail en bénéficieront, ce qui correspond à ceux qui se situent en dessous du socle nouvellement défini.

Le montant brut annuel de la progression des socles indemnitaires des contrôleurs du travail est comprise entre 1 600 et 1 900 euros en administration centrale. Elle s’échelonne entre 800 euros et 1 500 euros pour les deux derniers groupes d’IFSE en service déconcentré.

Enfin, nous avons décidé le versement d’une indemnité spécifique intégrée à l’IFSE, pour les agents exerçant les fonctions de responsable d’unité de contrôle – l’une des responsabilités pour lesquelles nous rencontrons le plus de difficultés de recrutement –. Son montant brut annuel s’élève à 3 000 euros.

Concernant Pôle emploi, l’exécution est en retrait de 26 ETP, comme vous l’avez indiqué… sur un total de 52 000 ETP. Nous sommes là dans l’épaisseur du trait. Nous avons accompagné la création, au sein de Pôle emploi, d’environ 4 000 ETP entre le début et la fin du quinquennat précédent. Cela nous offre, dans un contexte de baisse du chômage, d’opérer quelques redéploiements, notamment pour faire en sorte que des agents recrutés pour des missions propres à la gestion de la crise puissent évoluer vers des fonctions d’accompagnement et de renforcement de l’accompagnement. Ce renforcement sera progressif.

Enfin, vous avez évoqué, monsieur le président, des sous-exécutions budgétaires. Le plan d’investissement dans les compétences constitue un outil contractualisé avec les régions à hauteur de 1,6 milliard d’euros, sur les 2,5 milliards d’euros qui y sont consacrés chaque année. Cela explique parfois des décalages de paiement, sachant que ce cofinancement s’inscrit dans des conventions pluriannuelles. C’est la première explication que je rattachais à des difficultés de gestion et de lisibilité.

Dans le domaine de l’insertion par l’activité économique, les crédits mobilisés représentent 127 ou 160 millions d’euros selon que l’on considère les crédits de paiement ou les autorisations d’engagement. Il s’agit en tout cas d’une mobilisation de la trésorerie de l’Agence des services de paiement et non d’une diminution des montants réellement décaissés.

Les montants que j’ai indiqués concernant l’allocation spécifique de solidarité (ASS) représentent l’allocation versée par l’État à ceux des demandeurs d’emploi qui ont atteint la fin de leur période d’indemnisation par l’Unédic. C’est la baisse du nombre de bénéficiaires de l’ASS qui explique ce décalage d’un peu plus de 375 millions d’euros, sur les 415 millions que représente la sous-exécution de ce chapitre. Nous avons inscrit le même mouvement dans le projet de loi de finances 2023, en prévision d’une nouvelle baisse du nombre de bénéficiaires de l’ASS – cela avait donné lieu à des débats ici même ou au sein de la commission des affaires sociales.

M. le président Éric Coquerel. J’en profite pour saluer Pierre Dharréville. Je donne la parole aux orateurs de groupe.

M. Benoit Mournet (RE). Je voudrais d’abord saluer les travaux très circonstanciés que vous avez pu conduire, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur spécial. Il faut souligner aussi les excellents résultats obtenus : 1,7 million d’emplois créés, 850 000 entrées en apprentissage, ainsi que de très bons résultats du point de vue du taux de chômage des jeunes et du taux d’emploi historique constaté actuellement. Les entreprises recrutent non du fait de l’existence d’aides mais en fonction de leur carnet de commandes. Néanmoins, les 25 milliards d’euros de cette mission y sont pour quelque chose, en particulier le plan « un jeune, une solution » que vous avez lancé, monsieur le ministre.

La Cour des comptes évoquait le montant de 10 milliards d’euros, pour 2,6 millions de bénéficiaires. Il est parfois bien difficile pour nous, commissaires aux finances, de détourer ce qui relève des reportings qualitatif, quantitatif ou même financier. Je vous remercie d’avoir donné les chiffres concernant l’apprentissage. Le montant de prime sera de 6 000 euros en 2023. Ce dispositif a incontestablement fonctionné. France Stratégie évoque néanmoins l’existence possible d’effets d’aubaine. Comment pourrait-on les conjurer ? Ce dispositif ne devrait-il pas aussi être plus ciblé compte tenu des contraintes budgétaires que nous connaissons en ce qui concerne France Compétences, comme vous l’avez rappelé ?

Je voudrais saluer le réseau de Pôle emploi et des missions locales, qui ont réellement changé d’image du point de vue des entreprises. Peut-être serait-il dès lors opportun de leur donner davantage de souplesse afin de leur permettre de s’adapter aux différentes réalités du terrain, concernant par exemple l’emploi des seniors ou les emplois saisonniers ? Y réfléchissez-vous ?

M. Philippe Lottiaux (RN). Il est vrai que nous nous heurtons parfois, avec ces crédits, à un manque de lisibilité et de prévisibilité, ce qui peut rendre difficile l’évaluation de ces politiques. De plus, certains programmes mettent en jeu des dépenses « positives », dont l’augmentation constitue un signal positif – ce qui est le cas pour l’apprentissage –, tandis que d’autres mobilisent des dépenses négatives, dont l’accroissement traduit une dégradation de la situation. Ce peut être le cas par exemple de l’insertion.

Le rapport met en lumière une difficulté liée à l’évaluation. Cela concerne finalement peu les dépenses fiscales, sur lesquelles on insiste et qui ont un impact direct sur l’emploi, comme vous l’avez souligné à juste titre. Dans le domaine des services à la personne, s’il n’y avait pas de dépenses fiscales, nous ferions face à une augmentation du travail non déclaré, ce qui serait contraire aux objectifs poursuivis.

J’ai pu cependant constater par le passé qu’en ce qui concerne les dispositifs d’insertion, nous n’avons pas toujours une réelle évaluation. On peut même, parfois, avoir l’impression de dispositifs ayant tendance à s’empiler les uns sur les autres, avec une multiplicité d’acteurs. Cette évaluation des dispositifs d’insertion va-t-elle être développée ?

Enfin, je note le montant nul de l’action 4 Lutte contre le travail illégal du programme 111. Je doute que rien ne soit fait en matière de lutte contre le travail illégal. Ces crédits sont-ils mentionnés au titre d’un autre programme ou d’une autre mission ?

Mme Charlotte Leduc (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, votre titre – ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion – couvre trois missions sur lesquelles on peut dresser plusieurs constats.

En tant que ministre du travail, vous êtes le garant du droit du travail. Or celui-ci est à l’origine de souffrances pour des millions de Françaises et de Français. Le travail tue plus en France que dans les autres pays européens. Vous continuez néanmoins de rogner continuellement sur les protections et les acquis des travailleurs et des travailleuses.

En tant que ministre du plein emploi, vous annoncez un taux de chômage qui serait au plus bas, cet indicateur approchant 5 %, du moins dans vos tableurs Excel. Rappelons ce qu’est un chômeur au sens du Bureau international du travail : c’est peut-on lire sur le site du ministère, une personne en âge de travailler, sans emploi et disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours. Une personne ayant travaillé une heure le mois dernier n’est donc pas un chômeur, de même qu’une personne qui ne serait pas disponible pour occuper un emploi dans un délai de quinze jours. Avec cette méthode, il semble facile d’atteindre le plein emploi, un plein emploi mensonger où se mêlent précarité et exclusion pour les plus fragiles.

Enfin, en tant que ministre de l’insertion, là aussi, votre politique, avec une insertion fondée uniquement sur l’apprentissage, est un échec. La Cour des comptes note que « l’essentiel des nouvelles places créées a profité aux élèves capables de suivre un cursus long et a peu bénéficié aux publics vulnérables ». Bref, on insère des personnes déjà insérées et on laisse les autres au bord de la route. Cette politique a bien un effet : en mettant au travail des personnes qui devraient être en formation, vous faites baisser la productivité française. Cette productivité du travail, qui constituait pourtant l’un de nos principaux atouts, est en chute libre. En trois ans, la productivité horaire a chuté de 3,6 % – même logique, même résultat lorsqu’on pousse les chômeurs à créer des entreprises qui ne produisent rien pour pouvoir les expulser des statistiques du chômage. Il est donc urgent de réagir pour retrouver cette productivité horaire qui a fait notre force durant des années, et qui aujourd’hui s’effondre. Est-ce en mettant à contribution les corps usés, abîmés, par le travail des seniors âgés de 62 à 64 ans, que vous souhaitez enrayer cet effondrement de la productivité ?

Mme Véronique Louwagie (LR). Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour cette présentation, et merci au rapporteur spécial. Je voudrais revenir sur les ouvertures massives octroyées en 2022 à France Compétences, avec deux ouvertures de 2 milliards d’euros dans chacune des deux lois de finances rectificatives. On peut s’interroger sur les difficultés d’évaluation, eu égard à des montants aussi élevés : qu’il ait fallu, en l’espace de quelques mois, procéder à deux ouvertures d’un montant de 2 milliards d’euros laisse perplexe quant à la gestion et à la préparation ou l’anticipation d’un certain nombre de dispositifs par France compétences.

S’agissant des structures locales et d’insertion par l’économique, le modèle France Travail, qui est en cours de préparation, pourrait-il avoir des incidences sur le fonctionnement et l’organisation de ces structures que sont Pôle emploi, missions locales et structures d’insertion par l’économique ?

M. Pascal Lecamp (Dem). Je vous remercie, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur spécial, pour tous ces éléments qui témoignent concrètement de l’engagement très fort du Gouvernement et de la majorité pour l’emploi et pour l’insertion professionnelle depuis 2017. Les résultats que vous avez évoqués sont criants : citons seulement le plus bas niveau de chômage atteint en France depuis quinze ans.

Le programme 102 Accès et retour à l’emploi, en particulier, avait déjà donné lieu à des sous-exécutions en 2021. Cette tendance s’accentue en 2022, avec une sous-consommation moyenne de 15 % des crédits de paiement prévus par la loi de finances initiale. C’est le reflet de l’amélioration de la situation de l’emploi, qui se traduit par de moindres dépenses de solidarité.

Nous voulons saluer aussi le renforcement de l’offre à destination des jeunes et la mise en place du CEJ au mois de mars 2022. Depuis lors, le taux de retour à l’emploi des jeunes de moins de vingt-cinq ans continue de progresser pour atteindre 13,6 % en 2022, en hausse de 1,4 % par rapport à 2021.

Vous avez évoqué quelques pistes à propos de la vigilance budgétaire qu’appelle la gestion de France compétences. Au total, le coût brut de l’alternance, pour les finances publiques, devrait dépasser 16,8 milliards d’euros en 2022, dont 10,4 milliards à la charge de France compétences. En conséquence, chacune des deux lois de finances rectificatives de l’année 2022 a prévu une subvention exceptionnelle de 2 milliards d’euros. Comment France compétences peut-il renouer avec l’équilibre budgétaire ? Quelles sont vos attentes pour 2023 à ce sujet ?

M. Mickaël Bouloux (SOC). Mon intervention sera également centrée sur la politique de l’apprentissage, qui relève du programme 103 Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi. Si nous soutenons la politique de l’apprentissage, qui permet l’inclusion par l’emploi, force est de constater que votre politique de l’apprentissage fait l’objet de nombreuses critiques de la Cour des comptes dans son analyse de l’exécution budgétaire. Son coût réel – 16,8 milliards d’euros en 2022 – est d’abord en très fort décalage avec le coût tel qu’adopté par le Parlement, moyennant de nombreux recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Sur ces 16,8 milliards d’euros, plus de 10,4 milliards d’euros seront à la charge de l’opérateur France compétences. Là, le bât blesse, car le Gouvernement n’a toujours pas construit le modèle économique et financier de cet opérateur, à tel point que le déficit de son compte de résultat devrait atteindre 3,8 milliards d’euros en 2022. Ce déficit survient alors que le Gouvernement a dû prévoir deux rallonges budgétaires de 2 milliards d’euros dans le cadre de chacune des deux lois de finances rectificatives. Je ne peux donc que rejoindre l’appréciation de la Cour des comptes, qui note que France compétences est « fragilisé par une mauvaise approche initiale de son modèle financier et par la croissance très importante de l’apprentissage ». Allez-vous nous présenter, pour le projet de loi de finances pour 2024, les conditions de l’équilibre financier de France compétences, comme vous le recommande la Cour des comptes ?

Plus largement, la Cour des comptes préconise, en ce qui concerne les dépenses d’apprentissage, de cibler davantage l’effort public sur les jeunes les plus éloignés du marché du travail. Allez-vous traduire en actes cette deuxième recommandation ?

Plus largement, quelle est la feuille de route définie pour clarifier les modalités de financement de l’apprentissage, comme vous y invite fortement la Cour des comptes ?

Mme Félicie Gérard (HOR). Monsieur le ministre, il y a quelques mois, nous avons adopté un budget pour votre ministère. Il traduisait un objectif clair : le retour au plein emploi. L’un des leviers pour l’atteindre est l’emploi durable des jeunes. C’est tout l’objet du contrat d’engagement jeune qui s’inscrit dans la continuité du plan « un jeune, une solution » pour les jeunes de 16 à 25 ans. Ce contrat propose à des jeunes en difficulté d’accès à l’emploi durable un accompagnement personnalisé et intensif vers l’emploi ou vers une formation. Afin de soutenir le déploiement de ce dispositif, le budget 2023 y consacre une enveloppe de plus de 900 millions d’euros, répartie entre Pôle emploi et les missions locales. De nombreux jeunes ont ainsi pu bénéficier de cet accompagnement. À l’heure où de nombreuses entreprises cherchent tant bien que mal à recruter de nouveaux profils, renforcer l’accompagnement de nos jeunes vers l’emploi, la formation et l’insertion est essentiel.

Quelles sont les avancées permises par les crédits alloués au contrat d’engagement jeune ? Celui-ci vous semble-t-il pouvoir être amélioré pour être encore plus efficace ? En vue des futures discussions sur le budget 2024, pensez-vous, monsieur le ministre, que ce contrat d’engagement puisse être adapté à d’autres publics afin de les accompagner vers l’emploi ?

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Le coût du chômage et de l’éloignement de l’emploi, pour les Français, est estimé à 43 milliards d’euros par an. Si nous voulons le réduire, il faut savoir mobiliser et pérenniser les bons outils pour des emplois de qualité pour toutes et tous, sur tous nos territoires. Les territoires zéro chômeur longue durée ont montré, de ce point de vue, leur utilité et leur efficacité en permettant à des personnes éloignées de l’emploi depuis longtemps de retrouver un environnement professionnel. En Belgique, aux Pays-Bas, en Autriche ou encore à Rome, de nouveaux territoires zéro chômeur longue durée voient d’ailleurs le jour ces mois-ci.

Si ces dispositifs sont reconnus et étendus par nos voisins, peut-on espérer que la France s’engage dans la même voie et prévoie d’assurer les habilitations en cours, voire en accepte de nouvelles ? La contribution au développement de l’emploi joue en particulier, pour les 54 territoires zéro chômeur longue durée, un rôle essentiel afin d’encourager la sortie du chômage de longue durée. Elle représentait 102 % du Smic en 2022 et 2023. Pouvez-vous nous assurer qu’elle sera maintenue en 2024 ?

Votre réforme des retraites vise à reculer l’âge légal de départ à 64 ans. Vous avez par ailleurs abaissé la durée de l’indemnisation chômage d’un quart pour les plus de 55 ans. Or seuls 56 % des personnes âgées de 55 à 64 ans occupent un emploi. C’est pire pour les personnes âgées de 60 à 64 ans : 35,5 % d’entre elles occupaient un emploi en 2021 selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail et du plein-emploi. Alors que nous avions peu de seniors pauvres, ce phénomène risque aujourd’hui d’augmenter, faute d’employabilité. Pour éviter de détruire ce que certains ont mis une vie à bâtir, quelle politique mettez-vous en place, de façon à soutenir la formation professionnelle des seniors, pour transformer la culture managériale trop rigide de certaines organisations et pour adapter les postes aux personnels seniors afin de traiter concrètement la question parfois douloureuse des fins de carrière ? Ces politiques auraient d’ailleurs dû précéder votre réforme des retraites.

M. le président Éric Coquerel. Au-delà des orateurs de groupes, des membres de la commission souhaitent-ils prendre la parole ?

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). À propos de France compétences, j’avais déposé un amendement au projet de loi de finances rectificatif supprimant la rallonge budgétaire de 2 milliards d’euros, ce qui visait à lancer le débat sur le sujet. Pouvez-vous nous indiquer le nombre des effectifs de cet opérateur, leur répartition territoriale ? Quelle est l’organisation de France compétences ? J’aimerais avoir une vision de l’organisation de France compétences.

J’ai vécu, à l’époque, la fusion des Assédic et de l’Agence nationale pour l’emploi. Nous nous sommes rendu compte que cela coûtait beaucoup plus cher, du fait de l’alignement de tous sur un niveau élevé. Des surcoûts sont-ils également à prévoir compte tenu de l’organisation de ce nouvel opérateur ?

M. le président Éric Coquerel. Je signale qu’à la demande de Véronique Louwagie, nous procéderons prochainement à une audition en lien avec France Travail.

M. Damien Maudet (LFI-NUPES). En 2020 a paru le rapport Erhel, commandé par le ministère du travail – Élisabeth Borne était alors ministre du travail. Ce rapport fait état de 17 métiers dits de la « seconde ligne ». Il s’agit de métiers essentiels mais trop peu valorisés, du fait notamment d’une part importante d’emplois à temps partiel et de contrats à temps partiel. Le salaire moyen s’élève par exemple, pour les aides à domicile, à 682 euros. Dans l’agroalimentaire, il s’élève à 878 euros. Pour les caissières, il s’élève à 859 euros. Pour les agents d’entretien, il est de 764 euros. Pour les maraîchers, il se monte à 787 euros. Après la publication de ce rapport, quand des responsables politiques ont interpellé le ministère du travail, il leur a été répondu : « Je suis persuadé que le dialogue social aboutira. » Les aides à domicile ont été augmentées de 16 euros l’an dernier avec l’avenant 43 portant révision de la classification des emplois et du système de rémunération des salariés de la Branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et services à domicile mais la plupart de ces métiers n’ont bénéficié d’aucune prime ni aucune hausse de salaire. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les salaires sont même en baisse. Cela pourrait prêter à sourire : on nous parle de dialogue social lorsque nous plaidons pour une hausse des petits salaires. Parallèlement, vous mettez en œuvre une réforme des retraites en recourant à l’article 49, alinéa 3, ou à l’article 47, alinéa 1er, de la Constitution, et à la répression. Le ministre du travail a-t-il vocation à faire travailler ou à permettre aux travailleurs de vivre de leur travail ?

M. Olivier Dussopt, ministre. Le plan « un jeune, une solution » aura mobilisé au total 11,8 milliards d’euros, dont 9,7 milliards d’euros ont été consacrés à l’apprentissage. C’est d’ailleurs l’une des explications du manque de lisibilité de cette exécution budgétaire. Le plan « un jeune, une solution » a d’abord été financé sur les crédits des missions Plan d’urgence, puis Plan de relance. Les aides à l’apprentissage ont été financées par les programmes de ces missions, avant de basculer dans le programme 103 Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi. Cela explique la plupart des mouvements que l’on observe au fil de l’année, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir.

Nous avons dénombré 2,6 millions de bénéficiaires de ce plan, pour un total de 4 millions de solutions, un même utilisateur pouvant bénéficier de solutions différentes. Le site internet a fait l’objet de 10 millions de visites et certaines actions ont particulièrement bien fonctionné.

L’essentiel des actions proposées durant la période de crise pandémique ont été fermées. Il reste des actions fortes, telles que le mentorat, le soutien à l’apprentissage ou la mise en œuvre du contrat d’engagement jeune, qui s’inscrit dans le prolongement de la garantie jeune. Ce sont ces actions qui font l’objet d’un suivi aujourd’hui.

En matière d’apprentissage, l’objectif est de tout mettre en œuvre pour éviter les effets d’aubaine. C’est ce qui nous a conduits à décider d’harmoniser le niveau d’aide pour le recrutement d’un apprenti, qui est désormais de 6 000 euros.

Le nombre de contrats conclus à un niveau inférieur ou égal au baccalauréat a crû de 66 %. On ne peut donc pas affirmer que ces efforts n’ont profité qu’aux formations de niveau supérieur. Nous souhaitons cependant un rééquilibrage, en même temps qu’une forme de régulation budgétaire, afin que le dispositif continue de porter ses fruits.

Comme je viens de l’indiquer, monsieur le député Lottiaux, le manque de lisibilité s’explique essentiellement par les transferts entre le programme 364 Cohésion de la mission Plan de relance et le programme 103. Je voudrais préciser que lorsque les budgets consacrés à l’insertion par l’activité économique augmentent, ce n’est pas forcément le signe d’une dégradation de la situation : entre 2018 et 2023, ces budgets sont passés de 800 millions d’euros à 1,3 milliard d’euros. Dans le même temps, le taux de chômage est passé de 9,5 % à 7,2 %. Nous avons l’ambition d’apporter, à compter de 2025, un accompagnement à 240 000 personnes chaque année au sein des structures d’insertion par l’activité économique. Cela représente 122 000 ETP – nous sommes aujourd’hui à 94 000. L’année 2023 vise à conforter ce modèle, qui bénéficiera de moyens accrus en 2024 afin que les personnes les plus éloignées de l’emploi puissent être accompagnées.

Les crédits alloués à la lutte contre le travail illégal sont en réalité ceux de nos agents et ceux de l’inspection du travail. Ce sont 39 000 interventions qui ont eu lieu en 2022 dans ce domaine, et 14 500 interventions ont eu lieu pour lutter contre les fraudes au travail détaché. Tous nos services participent aussi à des instances telles que les comités opérationnels départementaux antifraude (Codaf).

Vous avez évoqué, madame Leduc, la question des accidents du travail, qui ne relève pas de l’exécution budgétaire. Vos propos me font cependant réagir en ce qui concerne le classement de la France en Europe. J’ai demandé, lors du dernier Conseil européen des ministres du travail, que l’on harmonise la manière dont sont recensés les accidents du travail. Nous dénombrons aujourd’hui en France 650 à 720 accidents mortels au travail chaque année. Il faut y ajouter 250 à 300 accidents de trajet entre le domicile et le travail, ainsi que 250 à 300 personnes qui meurent des suites d’une maladie professionnelle sans être, le plus souvent, en emploi au moment où la maladie les emporte.

Les difficultés de méthode portent sur deux points. Il existe, d’une part, une double jurisprudence de la Cour de cassation de 2019, qui conduit à intégrer aux accidents du travail mortels la totalité des décès par malaise, quelle que soit l’origine du malaise. Or nous savons que certains malaises peuvent être mortels sans avoir de lien avec le travail ni les conditions de travail. Il existe, d’autre part, des disparités avec les autres pays européens. À titre d’exemple, si une personne se blesse au travail, en France, et si elle décède des suites de cette blessure, le décès sera considéré comme un accident mortel du travail s’il survient au cours de l’année qui suit la blessure. Aux Pays-Bas, dans des circonstances similaires, le décès ne sera comptabilisé comme un accident mortel du travail que s’il survient dans les vingt-quatre heures qui suivent la blessure. Il en résulte des biais statistiques, alors que nous avons tous intérêt, je pense, à ce que ces faits soient comptabilisés de la même manière.

Vous avez évoqué le fait que nous communiquions sur le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT). Nous procédons ainsi depuis plus de vingt ans et nous conservons cette définition. Cela ne nous empêche pas de communiquer sur le nombre de demandeurs d’emploi inscrits par catégorie. Vous avez remarqué que le nombre total de demandeurs d’emploi, si l’on additionne les différentes catégories, est supérieur au chiffre obtenu en examinant le taux de chômage au sens du BIT, sur la base de la population active.

Je m’inscris en faux contre l’affirmation selon laquelle nous ne ferions de l’insertion que par l’apprentissage. Comme je viens de l’indiquer, nous avons augmenté de 500 millions d’euros les crédits consacrés à l’insertion par l’activité économique. Il existe aussi des crédits alloués à des expérimentations qui durent depuis plusieurs années. Il s’agit de programmes très particuliers – Tapaj, Seve, Convergence, Premières heures en chantier –, qui viennent accompagner des personnes extrêmement éloignées de l’emploi, pour lesquelles des questions thérapeutiques ou des objectifs de suivi et de réduction des risques, à l’égard de certaines consommations, apparaissent parfois comme des préalables au retour à l’emploi.

Madame la députée Louwagie, nous avons effectivement ouvert l’an dernier deux fois 2 milliards d’euros, en loi de finances rectificative, pour France compétences. Nous rencontrons une difficulté de prévision du nombre de contrats signés et nous avons été, d’une certaine manière, victimes de notre succès. S’y ajoute, en 2022, une raison particulière : dans le cadre du programme 364 Cohésion de la mission Plan de relance, l’aide exceptionnelle au recrutement d’apprentis devait prendre fin le 30 juin 2022. La pérennisation de cette aide jusqu’à la fin de l’année 2023 puis dans un cadre pluriannuel nous obligeait à des corrections budgétaires plus importantes, qui ne seront pas nécessairement reconduites cette année. En loi de finances initiale, nous avons d’ores et déjà inscrit des crédits de soutien de 1,7 milliard d’euros. Je doute que cela soit suffisant, toutefois, le modèle de France Compétences étant structurellement déficitaire.

Au-delà des éléments que j’ai évoqués en réponse à M. le président, M. le rapporteur spécial et M. le rapporteur pour avis, nous allons continuer d’examiner avec une grande attention tout ce qui permet de retrouver un niveau de dépenses qui soit plus soutenable. Nous devrons également nous interroger sur les recettes dont dispose France compétences, en veillant à rendre ce processus sincère, ce qui pourrait donner lieu à des inscriptions en loi de finances initiale plutôt qu’en loi de finances rectificative, malgré les incertitudes relatives au nombre de contrats signés.

Vous avez également soulevé la question des missions locales dans le nouveau cadre que nous souhaitons construire autour de France Travail. Il n’y a pas de changement : les missions locales sont des opérateurs à la fois spécialisés et centraux pour la jeunesse. C’est avec elles que nous voulons travailler. Nous souhaitons que les nouveaux systèmes d’information de France Travail permettent aux missions locales d’avoir accès à des systèmes d’informations horizontales et ainsi bénéficier des données dont dispose Pôle emploi, qui deviendra l’opérateur France Travail, et inversement. Nous avons beaucoup travaillé avec l’Union nationale des missions locales (UNML). Le 21 avril dernier, l’UNML a communiqué en exprimant sa satisfaction à la lecture du rapport et en confirmant les orientations ainsi retenues. Pour les missions locales comme pour d’autres opérateurs tels que l’Afpa, le conventionnement, pour le financement, s’opérera toujours avec l’État et non avec l’opérateur France Travail. C’est le gage du maintien de leur statut et de leur organisation. Ce modèle est distinct de celui qui avait conduit au rapprochement des Assédic et de l’ANPE. Il n’y a pas de big bang institutionnel ni de fusion : c’est une coordination qui est mise en place. Nous veillons à toucher le moins possible à la répartition des compétences tout en recherchant davantage d’efficacité dans la coordination, l’accompagnement et le partage de données.

Je ne reviens pas plus avant, monsieur le député Lecamp, sur France compétences. Il est vrai qu’il s’agit d’un investissement massif : pour la seule politique d’alternance et d’apprentissage, 16,8 milliards d’euros sont mobilisés, dont 6,5 milliards apportés par l’État. Cette enveloppe de 6,5 milliards englobe 1,9 milliard d’euros d’exonérations de cotisations ou d’impôt sur le revenu pour des apprentis ou leurs employeurs. Le reste est constitué d’aides au recrutement qui ont vocation à rester stables, du fait de l’harmonisation autour du montant de 6 000 euros, ou à augmenter au fur et à mesure que nous nous approcherons de l’objectif d’un million d’apprentis.

Le fait de porter à 6 000 euros la prime de recrutement d’un apprenti mineur permet, comme je l’ai indiqué, de favoriser les entrées dans des formations de niveau inférieur ou égal au baccalauréat, puisque la probabilité est grande, en cas d’entrée en apprentissage avant 18 ans, que celle-ci concerne une formation de niveau inférieur au baccalauréat. La part des formations de niveau inférieur ou égal au baccalauréat a déjà augmenté de 66 % en 2022. Je souhaite, comme vous, monsieur le député Bouloux, que le projet de loi de finances pour 2024 nous permette d’avancer dans le sens souhaité par la Cour des comptes, c’est-à-dire vers un retour progressif à l’équilibre de France compétences. Cette notion de progressivité me paraît très importante : un retour immédiat de l’opérateur à l’équilibre se traduirait sans doute par un abandon de l’objectif en matière de développement de l’apprentissage.

Le contrat d’engagement jeune connaît effectivement un beau succès, madame la députée Gérard, avec 285 000 signatures – dont deux tiers sont portés par les missions locales, un tiers par Pôle emploi. Le taux de sortie en emploi s’établit à 78 %, ce qui est élevé, s’agissant de jeunes âgés de 17 à 25 ans sans emploi ni formation au moment où ils signent ; 48 % des emplois ainsi obtenus sont des emplois durables. Comme je l’ai indiqué, j’accueille ces résultats avec prudence dans la mesure où ils concernent la première cohorte. Nous devons poursuivre nos efforts et continuer d’accorder notre attention aux activités proposées ainsi qu’au volume d’activité proposé –  de 15 à 20 heures. Nous savons qu’il existe parfois des disparités d’une structure à l’autre. Il faut y faire extrêmement attention.

Ce sont 50 % des signataires qui ont entre 18 et 21 ans – 9 % d’entre eux sont mineurs –, ce qui correspondait aux objectifs qui étaient fixés. Nous souhaitons maintenir le volume d’environ 300 000 contrats, en y ajoutant des contrats en plus pour les jeunes en grande rupture. Un premier appel à projets a été lancé en 2022. Nous en lancerons un deuxième en 2023 et je souhaite que les consortiums d’associations, d’acteurs et de missions locales qui répondent à ces appels à projets spécifiques aux jeunes en grande rupture puissent le faire de manière encore plus intégrale que ce qui a été permis en 2022, afin de couvrir « à 360 degrés » l’ensemble des problématiques. Les premiers projets retenus me semblent encourageants, notamment vis-à-vis des jeunes en très grande difficulté, quelle que soit la nature des difficultés observées.

En matière d’emploi des seniors, comme vous le savez, madame Sas, les deux mesures phares du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, le contrat à durée indéterminée destiné aux senior (« CDI senior ») introduit par les sénateurs, et l’index ont été censurées. Nous les avons replacées dans le cadre de la négociation que nous proposons aux partenaires sociaux d’ouvrir sur l’intégralité des sujets liés à l’emploi des seniors. L’objectif est de conclure un accord national interprofessionnel sur ces sujets. Nous allons très rapidement ouvrir les négociations par branche en vue de la conclusion d’accords de prévention de l’usure et la mobilisation du fonds de prévention de l’usure, à hauteur de 1 milliard d’euros.

Vous m’avez interrogé de manière plus spécifique sur les territoires zéro chômeur longue durée. Comme vous le savez, madame la députée, deux loi ont été adoptée : une première concernait le lancement de l’expérimentation dans 10 premiers territoires ; une deuxième a permis son élargissement à 50 territoires supplémentaires, avec la possibilité de déroger, par un décret pris en Conseil d’État, à ce plafond de 60 territoires au total. Aujourd’hui, 51 territoires sont inclus dans le dispositif. J’ai signé la dernière labellisation en date ce matin. De manière constante, ma prédécesseure et moi-même avons toujours validé les propositions d’agrément présentées par le comité scientifique associé à ce dispositif. Cela se traduit par une augmentation du budget de 25 % en 2023, par rapport à 2022, afin de tenir cet objectif. La deuxième loi prévoit une évaluation au moins douze mois avant la fin de la mise en œuvre du dispositif. Nous allons lancer cette évaluation au cours des prochaines semaines, en liaison avec les différentes parties prenantes, tout en maintenant un niveau d’intervention important. J’ai reconduit, en 2023, la prise en charge à hauteur de 102 % du Smic. La décision n’est pas encore prise pour 2024, et je rappelle que ce taux de 102 % était un taux exceptionnel décidé pendant la période de crise sanitaire. Auparavant, il était légèrement inférieur, en stricte application de la loi.

Madame Dalloz, j’ai déjà évoqué France compétences et France Travail.

Enfin, monsieur Maudet m’a posé des questions qui ne comportaient pas de lien avec l’exécution budgétaire. Je n’y reviens donc pas.

M. le président Éric Coquerel. Merci, monsieur le ministre.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mardi 9 mai 2023 à 20 heures 30

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Mickaël Bouloux, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Félicie Gérard, M. Joël Giraud, M. Victor Habert-Dassault, M. Marc Le Fur, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, Mme Patricia Lemoine, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Denis Masséglia, M. Damien Maudet, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, M. Alexandre Sabatou, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, Mme Marina Ferrari, Mme Constance Le Grip, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Dharréville, M. Mathieu Lefèvre