Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

 

–  Commission d’évaluation des politiques publiques relative à la mission Santé 2

Discussion unique sur l’exécution budgétaire (Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre de la santé et de la prévention) 2

-          mission Santé : Mme Véronique Louwagie, rapporteure spéciale 4

Discussion sur la thématique d’évaluation : L’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation illégale 12

-          L’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation illégale, Mme Véronique Louwagie, rapporteure spéciale               12

–  présences en réunion...........................22

 


Mercredi
17 mai 2023

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 75

session ordinaire de 2022-2023

 

 

Présidence de

 

Mme Nadia Haï,

Vice-présidente

 

 


  1 

La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’audition de Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre de la santé et de la prévention.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Ancienne parlementaire, je connais l’importance de cet exercice : le contrôle de l’action du Gouvernement, le bon usage des deniers publics et la transparence des politiques publiques sont des enjeux essentiels à la vitalité et à la bonne santé de notre vie démocratique.

Les crédits de la mission Santé, complémentaires de ceux du budget de la sécurité sociale, concrétisent les priorités du Gouvernement : mieux protéger nos concitoyens et faire face aux défis nouveaux que rencontre notre société. Ils contribuent à la lutte contre les crises sanitaires. La pandémie de covid-19 a constitué un douloureux révélateur des risques auxquels nous sommes exposés ; ils nous ont rappelé les liens étroits entre santé humaine, santé animale et biodiversité.

Il s’agit aussi de protéger les plus vulnérables tout en s’assurant que la solidarité nationale soit attribuée à juste titre : c’est tout l’enjeu des échanges que nous aurons au sujet de l’aide médicale de l’État (AME).

La mission Santé se compose, pour l’exercice 2022, de quatre programmes. Le premier est le programme 204, Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins. Les moyens alloués à la crise sanitaire y occupent une grande place. Les crédits s’élèvent en exécution à 384 millions d’euros, qui prennent en compte en majorité le fonds de concours dédié à la gestion de la crise.

Le programme 183 Protection maladie finance en particulier l’aide médicale de l’État. Les crédits de cette mission en exécution s’élèvent à 1,02 milliard d’euros en 2022 dont 962 millions concernent l’AME de droit commun. Elle comprend aussi deux programmes créés en loi de finances rectificative pour 2022.

Le programme 379 a été créé temporairement pour assurer la compensation à la sécurité sociale des dons de vaccins à des pays tiers, ainsi que le reversement des recettes reçues de l’Union européenne pour le volet « investissement » du Ségur de la santé. Ces crédits représentent 6 milliards d’euros sur cinq ans.

Enfin, le programme 378 est dédié au déploiement d’une carte Vitale biométrique, en complément des crédits d’assurance maladie dédiés à ce projet.

Les crédits du programme 204 reflètent d’abord le maintien d’un haut niveau de mobilisation contre la covid-19 de l’ensemble des acteurs durant toute l’année 2022. Comme les années précédentes, ces crédits ont été exceptionnellement renforcés dans le cadre d’un fonds de concours exceptionnel alimenté par Santé publique France.

Les crédits de ce fonds ont été pleinement utilisés en 2020, à hauteur de 620 millions d’euros, et les dépenses ont progressivement diminué en 2021 – 284 millions d’euros – puis en 2022 – 159 millions d’euros. Plus de 80 % des dépenses effectuées sur le fonds en 2022 concernent les systèmes d’information dédiés à la crise sanitaire. Il s’agit principalement des logiciels Si-Dep (système d’information national de dépistage) et TousAntiCovid qui représentent 63 % des dépenses en 2022, mais aussi des numéros verts mis à disposition du grand public pour l’information générale sur la crise sanitaire, et du logiciel Téléperformance, pour l’aide à la prise de rendez-vous pour la vaccination contre la covid-19.

Au-delà de la gestion de la crise sanitaire, le programme 204 participe pleinement du déploiement de la stratégie nationale de santé, qui constitue le cadre de la politique de santé en France.

Depuis 2017, le Gouvernement et la majorité ont pris des mesures fortes pour refonder notre système de santé et favoriser l’égal accès aux soins des Français partout sur le territoire. Pour les soignants et notre système hospitalier, c’est la revalorisation des soignants grâce au Ségur de la santé, une mesure inédite de justice pour reconnaître l’engagement des personnels soignants au service de notre santé durant la crise sanitaire ; ce sont également les 19 milliards d’euros d’investissement dans le système de santé pour améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants, associés à une reprise de la dette des hôpitaux pour leur redonner de la visibilité.

La loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a supprimé le numerus clausus. Nous avons diversifié les voies d’entrées pour permettre à tous les profils d’accéder aux études en santé.

Avec la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, nous avons agi contre l’intérim médical. Elle permet aussi une meilleure répartition des compétences et un accès renouvelé à certains professionnels de santé.

Notre ambition est de replacer le patient au cœur du système de santé tout en reconnaissant le rôle majeur et décisif des territoires pour faire émerger des solutions issues des initiatives locales, avec l’ensemble des acteurs concernés. C’est la philosophie que promeut le volet santé du Conseil national de refondation (CNR), dont nous avons lancé, avec François Braun, le deuxième acte le mois dernier.

Ce programme nous permet, en outre, de déployer une politique ambitieuse en matière de prévention. Celle-ci est l’un des piliers de la refondation du système de santé. Les nombreuses actions que nous avons engagées depuis le début du quinquennat, et plus largement depuis 2017, en témoignent.

Érigée au rang de priorité nationale, jusque dans l’intitulé de notre ministère, elle s’incarne dans des objets très concrets. À l’automne, nous déploierons notamment les nouveaux rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie : prévus en loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, ils constitueront un marqueur fort de notre action et s’accompagneront d’une politique d’« aller-vers » spécifique afin de toucher les personnes les plus éloignées du soin.

De plus, des mesures importantes ont été prises en matière de dépistage et de vaccination : d’une part, l’élargissement à d’autres infections sexuellement transmissibles que le VIH du dépistage sans ordonnance pris en charge à 100 % pour les moins de 26 ans ; d’autre part, l’extension de la compétence vaccinale – de prescription et d’administration – aux sages-femmes, infirmiers et pharmaciens. Cette mesure doit nous permettre d’améliorer rapidement et massivement notre taux de couverture vaccinale. En outre, conformément à l’annonce faite par le Président de la République le 28 février dernier, nous lancerons, dès la rentrée prochaine, la première campagne de vaccination généralisée et gratuite pour les élèves de cinquième, filles et garçons, contre les infections à papillomavirus humains (HPV). Il s’agit du principal facteur de risque de cancer du col de l’utérus : l’enjeu de santé publique est donc majeur.

Par ailleurs, nous luttons contre toutes les addictions, en particulier au tabac, qui constitue la première cause de mortalité évitable et de mortalité par cancer en France. Après deux années de stagnation, les prix du tabac sont à présent indexés sur l’inflation. L’augmentation du prix du paquet continue de constituer un outil important de prévention.

Je ne peux parler de prévention sans évoquer les risques liés à l’environnement et à l’alimentation. Le programme national nutrition santé 4 (PNNS4), pour la période 2019-2023, s’inscrit pleinement dans les orientations de la stratégie nationale de santé. L’objectif premier est d’encourager les Français à se tourner vers une alimentation favorable à la santé, tout en réduisant les inégalités de santé. Plusieurs outils sont mobilisés, comme le déploiement du nutri-score, en France, mais également dans d’autres pays européens, ou la publication à venir, à l’été 2023, d’une stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (Snanc) comme le prévoit la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience ».

La mission Santé soutient également le Plan national santé environnement 4, lancé en 2021 à l’initiative des ministères chargés de la santé et de l’écologie, afin de mieux prendre en compte les liens étroits entre la santé humaine, la santé animale et plus largement la santé des écosystèmes. Le PNSE4 reflète ainsi notre approche « une seule santé » ou One Health. Des préoccupations quotidiennes des Français, comme les nuisances sonores, la qualité de l’air intérieur ou les punaises de lit, sont au cœur de ce plan.

Je ne m’attarde pas sur le programme 183, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir. Je veux simplement vous rappeler une conviction forte : la mission Santé reflète également l’engagement de fraternité envers les plus démunis qui est au cœur de la promesse républicaine. En plus de constituer une mesure de santé publique essentielle de protection des populations, l’aide médicale de l’État répond à cette exigence de solidarité et de générosité.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure spéciale. Je remercie Madame la ministre pour sa présentation complète de la mission Santé et de son exécution budgétaire au cours de l’année 2022. Je tenterai, Madame la ministre, de compléter vos propos en mettant l’accent sur certains points de l’exécution 2022 qui me paraissent les plus importants.

La mission Santé finance ordinairement la politique de modernisation de l’offre de soins et le pilotage de la politique de santé publique – c’est le programme 204 – ainsi que l’aide médicale de l’État et la contribution de l’État au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante – c’est le programme 183.

Son périmètre a été élargi en 2022 par la création de deux programmes qui ont fait plus que doubler les crédits initialement ouverts.

Le programme 378 Carte Vitale biométrique a été créé et abondé de 20 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement par un amendement sénatorial adopté dans le cadre de la loi de finances rectificative du 16 août 2022. Ces crédits devaient permettre de financer la création de la carte Vitale biométrique. À titre personnel, je considère qu’il est essentiel qu’une réflexion soit menée à ce sujet. Néanmoins, en tant que rapporteure spéciale de la mission Santé, je constate qu’une telle mesure aurait dû relever du budget de la sécurité sociale et non de celui de l’État. Le programme a finalement été fortement sous-exécuté puisque seulement 4,3 millions d’euros – soit 21,5 % des crédits ouverts – ont été consommés. Ce programme n’a d’ailleurs pas été reconduit dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2023. Les corps d’inspection sont actuellement mobilisés pour produire une étude d’impact sur la mise en place de la carte Vitale biométrique. Je souhaiterais que les conclusions du rapport qui sera remis prochainement, ainsi que les suites que vous entendez leur donner, soient communiquées au Parlement afin que nous puissions en débattre de façon éclairée. Je sais également que les professionnels de santé ont été consultés. Madame la ministre déléguée, pourriez-vous nous préciser leur position sur le déploiement d’une carte Vitale biométrique ?

Le programme 379 a été doté de 1,338 milliard d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement par la loi de finances rectificative du 1er décembre 2022, soit un montant supérieur aux crédits ouverts en LFI 2022 sur la mission Santé. Ces crédits ont été consommés dans leur totalité. Je comprends l’intérêt de reverser des crédits à la sécurité sociale en passant par un programme budgétaire et non par l’affectation d’une fraction de TVA ; cela en facilite le pilotage. Néanmoins, je crois que ces crédits auraient pu relever plus logiquement d’autres missions, comme la mission Aide publique au développement ou la mission Plan de relance. Ces ouvertures de crédits significatives en cours de gestion, a fortiori sur de nouveaux programmes, nuisent finalement à la lisibilité de la mission Santé qui finance déjà des actions assez composites.

S’agissant du programme 183, les dépenses de l’AME de droit commun s’élèvent à 943,8 millions d’euros et celles relatives au dispositif AME soins urgents à 70 millions. Les autres formes d’AME ont représenté une dépense de 0,5 million d’euros ; nous aurons l’occasion d’y revenir dans la seconde partie de la réunion.

Comme je le rappelle à chaque examen des crédits de la mission Santé depuis que j’en suis la rapporteure spéciale, les documents budgétaires n’apportent qu’un nombre limité d’informations sur les bénéficiaires de l’AME, ce qui n’est pas satisfaisant.

Enfin, s’agissant du programme 204, un total de 1,4 milliard d’euros a été versé au fonds de concours destiné au financement de dépenses liées au covid-19, dont 700 millions d’euros en 2020, 280 millions en 2021 et 160 millions en 2022. Les deux tiers des dépenses de ce fonds de concours sont liés à des systèmes d’information, dont le nouveau « système d’information de dépistage populationnel » (SIDEP) . Ce dernier a vocation à devenir une base de données de biologie médicale utilisable pour d’autres pathologies virales ou infectieuses que le covid-19. L’imputation de nouvelles dépenses sur ce fonds de concours me surprend, puisque celui-ci devait s’éteindre au 31 décembre 2021. Ces dépenses sont engagées par de simples arrêtés ministériels, sans le contrôle du Parlement. Madame la ministre déléguée, est-il envisagé prochainement de mettre en extinction ce fonds de concours ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. La carte Vitale biométrique a été identifiée comme un moyen de lutter contre la fraude à l’utilisation de la carte Vitale par des tiers non assurés sociaux ou par des assurés voulant bénéficier d’une meilleure couverture des frais. Elle a donné lieu à plusieurs travaux parlementaires, et le Sénat a voté dans le cadre du premier projet de loi de finances rectificative pour 2022 une enveloppe de 20 millions d’euros pour engager le déploiement d’une carte Vitale biométrique afin de répondre à la volonté légitime de lutter contre les fraudes et l’usurpation d’identité.

S’agissant des 20 millions d’euros que vous évoquez, ajoutés en autorisation d’engagement et de crédits de paiement pour l’année 2022, le gouvernement a versé 4,3 millions d’euros au groupement d’intérêt économique (GIE) Sesam-Vitale. Ils financeront la totalité des dépenses engagées par le GIE portant sur l’utilisation de la biométrie dans les moyens d’identification électronique des assurés sociaux dans le cadre du projet « Appli carte Vitale », qu’il s’agisse d’études, de développement informatique ou de coûts de déploiement. Pour l’avenir, le financement des travaux en lien avec la carte Vitale doit incomber à la sécurité sociale et à ses opérateurs, comme vous l’avez souligné ; ces dotations budgétaires n’ont par conséquent pas été reprises dans la loi de finances pour 2023.

Je reviens rapidement sur le projet « Appli carte Vitale », qui permettra aux assurés de présenter simplement leur téléphone aux professionnels de santé. Une expérimentation à petite échelle a été lancée en septembre 2019 dans les départements du Rhône et des Alpes-Maritimes. En septembre 2022, le programme « Appli carte Vitale » a franchi une nouvelle étape de tests sur un nombre limité d’assurés dans les départements du Rhône, des Alpes-maritimes et de la Sarthe. Dans cette version du dispositif, un traitement biométrique lors de la vérification d’identité à distance est effectué au moment de l’activation de l’application ; il s’effectue conformément au référentiel établi par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) en 2021. Dans ce traitement, l’assuré doit prendre une vidéo de sa pièce d’identité et de lui-même ; elle est automatiquement analysée pour vérifier la conformité entre la photo sur la pièce d’identité et la vidéo, tout en s’assurant qu’il s’agit bien d’une personne réelle et d’une pièce d’identité valide. En cas de résultat positif, le résultat est ensuite validé par un opérateur humain. Nous visons un déploiement progressif et maîtrisé de cette application pour arriver à une généralisation d’ici la fin du quinquennat. L’objectif n’est pas de remplacer toutes les cartes physiques par l’application, mais de s’assurer de la bonne appropriation de celle-ci par les assurés : la vitesse du déploiement dépendra donc du nombre d’assurés qui souhaiteront utiliser cette application. Nous mènerons par conséquent des actions d’accompagnement spécifiques auprès des assurés et des professionnels de santé.

Dans le même temps, une mission confiée à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l’Inspection générale des finances (IGF) a été lancée le 18 octobre dernier par les ministères de la santé et des comptes publics afin de se prononcer sur l’intérêt d’une carte Vitale biométrique. Les conclusions de ce rapport seront naturellement communiquées à la représentation nationale.

Sans préjuger de ces conclusions, je souhaite rappeler que des efforts importants ont été conduits par l’assurance maladie et par l’ensemble des régimes pour réduire massivement le nombre de cartes Vitale surnuméraires : alors qu’on dénombrait plus de 2 millions de cartes Vitale surnuméraires en 2018, nous en sommes aujourd’hui à quelques centaines. En outre, les retours des professionnels de santé sont a priori très réservés sur le dispositif biométrique. J’ajoute enfin que le dispositif de carte Vitale biométrique pourrait aller à l’encontre de notre objectif de simplification des tâches administratives des médecins et empiéter sur le temps médical que nous pourrions gagner par ailleurs.

Enfin, concernant l’extension du fonds de concours du programme 204 sur les dépenses liées au covid, l’année 2023 devrait marquer la fin des systèmes d’information et les outils de communication déployés dans le cadre de la crise sanitaire. La fermeture du fonds devrait être effective d’ici à la fin de l’année 2023, sous réserve que nous ne connaissions pas de nouvelle épidémie. Les dernières dépenses sont estimées à 96 millions d’euros en crédits de paiement, dont un tiers au titre du traitement des prestations de 2022.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Le groupe Renaissance salue l’augmentation considérable des moyens alloués à nos soignants, à l’hôpital public et à la santé en général. L’hôpital public recevra en effet plus de 100 milliards d’euros de crédits à compter de 2023 : cela va naturellement bien au-delà de cette mission.

Je souhaitais vous interroger sur l’élargissement du périmètre de la mission. Que pensent les professionnels de la carte Vitale biométrique ?

La dépense relative à l’AME est inférieure aux prévisions de la loi de finances initiale. Le nombre de bénéficiaires diminue. Est-ce le résultat de mesures antérieures, qui prendrait leur plein effet en 2022 ? Je pense notamment au délai de carence de trois mois, instauré pour l’ouverture des droits à la protection universelle maladie (Puma) pour les demandeurs d’asile, à la réduction de la durée du maintien de ces droits lorsque les conditions de régularité de séjour ne sont plus remplies et aux diverses mesures de lutte contre la fraude.

S’agissant des compensations versées à la sécurité sociale, je partage l’avis de la rapporteure spéciale Quelle est votre appréciation sur l’accroissement du transfert de TVA à la sécurité sociale, quand on sait que l’État ne récupère plus que la moitié du rendement de cette taxe ? Une logique de simple compensation des exonérations ne serait-elle pas préférable à un financement pérenne des branches ?

Enfin, je m’interroge sur les restes à payer relatifs au fonds de concours.

M. Kévin Mauvieux (RN). L’enveloppe votée pour les cartes Vitale biométriques a été sous-utilisée. Un bilan intermédiaire du GIE Sesam-Vitale est-il prévu ?

Les agences régionales de santé (ARS) ont coûté 400 millions d’euros en 2022 ; or elles rationnent les soins en permanence tout en alourdissant l’administration, notamment dans les hôpitaux, où on continue à parler de monstre bureaucratique. En effet, 30 % du temps à l’hôpital est consacré à des tâches administratives. Les commissions des finances et des affaires sociales devraient se saisir de la question d’une éventuelle suppression des ARS, ou réfléchir à la restructuration de ce système.

Le montant de l’AME est de 1,2 milliard d’euros, sans prendre en compte un possible écart de 580 millions d’euros pris en charge par l’assurance maladie, soit un coût total de 1,7 milliard. Cette aide a avant tout un but humanitaire : il s’agit d’aider des personnes dans des situations graves mettant réellement en cause leur santé. Or, votre rapport fait état de dépenses de confort, comme le recollement d’oreilles ou l’aide à la procréation. Dispose-t-on de statistiques permettant de connaître la part de dépenses de confort dans les dépenses totales de l’AME ?

M. Damien Maudet (LFI-NUPES). Lorsque nous avons face à nous une ministre déléguée au ministère de la santé, on ne peut s’empêcher de voir l’éléphant dans la pièce, à savoir la situation catastrophique que traverse notre pays en matière de santé, d’hôpital et de médicaments. Notre devoir de parlementaires est de vous interroger sur ces sujets. François Braun nous a dit en novembre que la situation s’améliorerait dans les six mois ; or, six mois plus tard, des services continuent de ferme, les régulateurs du 15 sont en grève, et la France traverse une pénurie de médicaments – antiépileptiques, antibiotiques, paracétamol… La seule réponse structurelle qui nous est apportée est celle d’Élisabeth Borne : tous les ministères devront réaliser 5 % d’économies. Quel domaine de votre ministère se porte suffisamment bien pour se permettre de telles économies ?

M. Pascal Lecamp (Dem). Le premier objectif de la mission Santé est l’amélioration de l’état de santé de la population et la réduction des inégalités territoriales et sociales de santé. On peut se satisfaire que l’espérance de vie en bonne santé après 65 ans continue à progresser, pour atteindre 77,3 ans pour les femmes et 75,7 ans pour les hommes.

La mission Santé finance également les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Quel est le coût de ce soutien, et quel est son bilan dans l’amélioration de l’accès aux soins des Français ?

L’un des indicateurs du programme 204 est le taux de couverture des plus de 65 ans contre la grippe. La cible était de 62 % en 2022. Or, 56,8 % de cette population a été vaccinée, contre 60 % l’année précédente. Comment l’expliquez-vous ? L’objectif fixé pour 2023 vous semble-t-il réalisable ?

L’Institut national contre le cancer connaît des difficultés de recrutement en raison du manque d’attractivité des postes, qui sont essentiellement des contrats à durée déterminée. Envisagez-vous de faire évoluer ces modalités de recrutement ?

Le programme 204 prévoit également une participation au financement des travaux de construction de l’académie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Lyon, dont l’ouverture est prévue pour 2024. Quel est l’état d’avancement de ce chantier ?

Le programme Performance hospitalière pour des achats responsables (Phare) a été lancé en 2011. En 2022, il représente 2,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et 2,2 millions en crédits de paiement. Où en est ce programme ?

Enfin, le programme 378 Carte Vitale biométrique a consommé 3,4 millions d’euros en autorisations d’engagements et crédits de paiement. Pouvez-vous revenir sur les différentes étapes prévues pour la carte Vitale biométrique ainsi que pour l’application carte Vitale ?

M. Joël Aviragnet (SOC). La loi de finances pour 2023 a permis une très légère augmentation du budget alloué à la mission Santé. Cependant, au vu de l’inflation galopante et des besoins de ce secteur essentiel abandonné, le compte n’y est pas. Si l’ensemble du secteur de la santé souffre d’un désinvestissement chronique depuis plusieurs années, la psychiatrie en est sans aucun doute le parent pauvre. Alors que la situation était déjà critique avant la pandémie, les confinements ont fait exploser le nombre de concitoyens souffrant de troubles psychiques. Or les assises de la santé mentale n’ont pas produit les résultats attendus. Il est pourtant urgent de saisir ce sujet à bras-le-corps et d’écouter les professionnels, les associations de patients et les universitaires.

Désinvestir dans la santé mentale et plus particulièrement dans la psychiatrie, c’est mettre en danger la vie des personnes souffrant de troubles psychiques, car nous sommes incapables de leur assurer la qualité de soins dont ils ont besoin. C’est aussi demander aux professionnels toujours plus d’efforts avec toujours moins de moyens.

La situation n’est plus tenable : les professionnels sont fatigués, les patients moins bien soignés qu’avant et les familles délaissées. Même du point de vue budgétaire, c’est une énorme erreur : le coût annuel, direct et indirect, des troubles psychiques est estimé à 109 milliards d’euros. Dans le même temps, les dépenses annuelles de santé mentale ne sont que de 23 milliards d’euros : c’est presque cinq fois moins. Le Gouvernement ne cesse d’appeler à bâtir des majorités d’idées sur des sujets précis : il me semble que la santé mentale doit en faire partie. Il est urgent d’agir en investissant massivement dans ce secteur essentiel et délaissé : y êtes-vous disposée ?

M. Christophe Plassard (HOR). Le niveau d’activité physique dans la population est très insuffisant au regard des recommandations de l’OMS, et ce quel que soit l’âge. La sédentarité – facteur de risque à part entière – progresse, à la faveur des évolutions de la société, marquées entre autres par le développement du numérique. Ces tendances de fond ont été amplifiées par l’épisode du covid, avec, notamment, le confinement et l’impossibilité de pratiquer une activité sportive suivie pendant plusieurs mois.

Vous avez également évoqué les enjeux de prévention du PNNS4, financé en partie par le programme 204. La prise en compte des effets de la crise sanitaire sur les habitudes alimentaires, la pratique de l’activité physique et la sédentarité en constituent un axe nouveau. Pourriez-vous nous en dire davantage sur l’action du Gouvernement dans ce domaine ? Comment s’articule ce programme avec la mise en œuvre de la Snanc ?

M. Sébastien Peytavie (Écolo-NUPES). L’évaluation de l’exécution du budget de la mission Santé est l’occasion de vérifier si l’État financeur est à la hauteur de la promesse de dignité qui repose sur notre système de soin et ses acteurs. Sans protection sociale effective et sans couverture maladie, la qualité de notre système de santé n’est pas assurée. C’est parce qu’il est généreux et efficient qu’il fonctionne encore et le plus souvent. Nous avons fait face à la crise du covid grâce à la solidarité, la vaccination et le soin. Laisser des trous béants dans notre protection maladie a un coût : transmission de virus, maladies, décès, incapacité ou encore anxiété. Nous ne nous en sortirons dignement que par le collectif.

Concernant le programme 183, le rapport commun de l’IGF et de l’Igas de 2019 précise que l’essentiel de l’AME est une nécessité pour l’hôpital public. Si vous supprimez ou rendez ingérable l’AME, vous risquez de provoquer un non-recours par inertie, et, surtout, une accumulation de la dette hospitalière, faute de disposer d’un système assurant la solvabilité des intéressés. En France, on soigne, peu importe notre couverture maladie : c’est notre honneur. Dans le cas inverse, ce sont donc des situations alarmantes qui attendent les hôpitaux d’Île-de-France, de Provence-Alpes-Côte d’Azur ou de Nouvelle-Aquitaine. Quid des personnes qui n’ont pas de carte Vitale ? Le même rapport indique que cette situation entraîne une moindre coordination entre les professionnels, faute de circulation de l’information. Où la situation en est-elle ?

Sur le non-recours, la loi de finances rectificative du 1er décembre a annulé un certain nombre de crédits de ce programme. En enlevant 6 % du budget de l’AME, on creuse une entaille dans la situation des institutions du soin et des patients. Certes, vous n’êtes pas de ceux qui appellent à une suppression sèche et irresponsable ; mais cela suscite des inquiétudes légitimes, sur lesquelles j’aimerais entendre votre éclairage.

M. Charles de Courson (LIOT). Dans le rapport annuel de performance (RAP) de la mission Santé, quatre indicateurs ne sont pas renseignés – et pas des moindres : la part de la population se déclarant en bonne santé, l’espérance de vie en bonne santé, le taux de participation au dépistage du cancer colorectal et, enfin, la prévalence du tabagisme quotidien. Quand en connaîtrons-nous le résultat ?

D’autres indicateurs affichent un résultat particulièrement inquiétant : je pense au taux de couverture vaccinale contre la grippe chez les seniors, dont l’écart à la cible est de cinq points ; je pense aussi au fait que 30 % des décisions présentées aux victimes de pathologies graves le sont après le délai légal de six mois. Comment expliquez-vous cette détérioration ?

Quelles suites entendez-vous donner aux recommandations de la Cour des comptes relatives aux programmes 378 et 379 ?

S’agissant du programme 378, j’avoue avoir beaucoup de réserves sur la carte Vitale biométrique, puisque chacun sait que les fraudes supposent une complicité entre un acteur de santé et la personne soignée : je ne vois pas en quoi des indications biométriques sur la carte Vitale contribueraient à réduire les détournements. J’ai cru comprendre que vous vous en remettriez à la sagesse du rapport des inspections, qui devrait paraître prochainement. J’ai cru comprendre aussi que vous nourrissiez certaines réticences : je les partage, et je crains qu’une telle dépense produise bien peu de résultats.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NUPES). À la suite de la hausse de 12 % de l’AME, vous souhaitez réguler les dépenses en luttant contre les détournements. Il n’est plus à préciser que l’AME est un impératif de santé publique. La régulation que vous proposez – et donc l’absence d’accès aux soins – aurait un coût bien plus important pour le système de santé. La fraude à l’AME, souvent citée, est un non-sujet, puisqu’elle ne représente qu’une poignée de personnes – trente-huit en 2018, pour 0,06 % des dépenses : on est bien loin des milliards de l’évasion fiscale. Plusieurs associations ont dénoncé dans une enquête les entraves administratives freinant le recours à ce dispositif, qui couvrirait seulement 51 % des étrangers en situation irrégulière.

Les résultats sont clairement déplorables, et les financements loin d’être à la hauteur de l’enjeu. Comment justifiez-vous ce sous-investissement financier et humain ? Comment pouvez-vous assumer une politique de stigmatisation et de discrimination des personnes immigrées ?

Mme Nadia Hai, présidente. Nous aborderons plutôt l’AME dans la deuxième partie de la réunion.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je répondrai à cette dernière question en vous rappelant ma conviction forte : la mission Santé reflète également l’engagement de fraternité envers les plus démunis qui est au cœur de la promesse républicaine.

L’expérimentation sur la dématérialisation de la carte Vitale, lancée en 2019, a été ralentie par la crise sanitaire. Elle est toujours en cours et a été élargie à d’autres départements. Il est encore bien trop tôt à ce stade pour en tirer des conclusions ou envisager une généralisation. Je rappelle que ce déploiement se fera sur la base du volontariat, et ne supprimera pas la carte Vitale dont nous nous servons actuellement.

J’ai travaillé sur les ARS, notamment pour un rapport d’information réalisé avec Jean-Carles Grelier. L’enjeu est de renforcer l’échelon départemental et la proximité des délégations départementales et des acteurs des territoires – élus, professionnels de santé et établissements hospitaliers, sociaux et médico-sociaux. Je tiens à saluer leur travail pendant la crise sanitaire. Il s’agit d’un maillon essentiel de l’organisation de notre système de santé. Contrairement à ce que vous dites, les ARS ont déjà fait beaucoup d’efforts – et peut-être trop – concernant le nombre d’emplois ; au contraire, cet échelon devrait être renforcé.

Le panier de soins de l’AME a été modifié en 2020. Il est beaucoup trop tôt pour mesurer l’impact de cette modification, puisque la crise sanitaire est passée par là. Pour les actes n’entrant pas dans ce panier, un accord préalable du service médical de la caisse de la sécurité sociale est nécessaire. Une partie du budget de l’AME est consacrée aux hospitalisations, ce qui montre bien que les bénéficiaires sont des personnes dont la santé est souvent dégradée.

Nous avons encore besoin d’accentuer et d’accélérer le taux de vaccination grippale. Il est effectivement un peu moins bon cette année que l’année dernière, lorsque le covid-19 a poussé de nombreux Français à se faire vacciner contre la grippe – ce qui avait d’ailleurs entraîné une course aux vaccins. Pourtant, la vaccination reste le meilleur moyen de se protéger et de protéger les personnes qui ne pourraient pas se faire vacciner.

J’en viens aux indicateurs. La France ne dispose sans doute pas encore d’une politique d’évaluation suffisante, notamment en matière d’indicateurs.

L’indicateur du programme 204 relatif au taux de participation au dépistage du cancer colorectal pour les personnes de 50 à 74 ans affichait une cible à 46 %. Les données sont traitées par Santé publique France en lien avec les ARS. Nous ne disposerons des données pour 2022 que dans quelques semaines. Elles ne devraient pas évoluer sensiblement par rapport à la moyenne nationale de 2021, soit entre 34 et 35 %, du fait d’un contexte encore marqué par la crise sanitaire et de la mise en œuvre très récente et progressive des nouvelles modalités de remise des tests aux populations cibles : les pharmaciens peuvent remettre les kits de dépistage depuis le mois de juillet.

La cible de l’indicateur de prévalence du tabagisme quotidien aux populations de 18 à 75 ans était de 23 % ; nous ne disposons pas des données pour 2022. En effet, la périodicité du baromètre de Santé publique France évolue : à partir de 2024, il sera réalisé tous les deux ans, soit en 2024 pour 2026. En conséquence, il n’y a pas eu d’enquête pour connaître la prévalence du tabagisme quotidien en 2022. En revanche, les données de 2023 seront connues à l’automne prochain grâce à l’enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes (Eropp) que réalise l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives.

Concernant les indicateurs sur le pourcentage de la population de 16 ans et plus se déclarant en bonne santé et sur l’espérance de vie en bonne santé, les données concernant l’exécution 2022 seront connues en début d’année 2024 pour le premier, en raison des délais d’Eurostat, et fin 2023 pour le second. Je ne manquerai pas de vous en tenir informés.

Les travaux de construction du bâtiment de l’OMS sont en cours : il fonctionnera en lien avec l’institut One Health.

Les enjeux liés à la nutrition et à l’alimentation sont importants. Il nous faudra mesurer avec précision les effets de la crise sanitaire sur l’alimentation, mais aussi sur la baisse de la pratique d’activité physique. Le Gouvernement mène une politique nutritionnelle forte, axée sur la prévention et la promotion de la santé avec des mesures concrètes, opérationnelles et multisectorielles, qui doivent et devront accompagner cette transition des systèmes alimentaires, tout en prenant en compte les évolutions sociétales que vous avez évoquées. Le déploiement du nutri-score est important : plus de 1 100 entreprises sont engagées dans ce dispositif, contre 415 en 2020. Six autres pays européens ont souhaité le mettre en œuvre de façon coordonnée avec la France. Nous souhaitons que ce développement international se poursuive.

La signature, en 2022, d’un accord collectif dans le secteur de la boulangerie, dont le premier rapport d’évaluation sera publié prochainement, montre des progrès encourageants, avec la réduction effective des teneurs en sel. Je salue les efforts des professionnels de la filière.

Un volet outre-mer du PNNS4, publié en septembre 2022, nous permet de prendre en compte les spécificités de ces territoires, notamment en matière de diabète. En 2022 a également été engagée une procédure simplifiée d’attribution du logo PNNS pour garantir la fiabilité des outils. Enfin, en 2021, le site internet du réseau des acteurs du PNNS a été lancé pour promouvoir et faciliter les initiatives locales en nutrition.

La loi « climat et résilience » a constitué une étape clé en instaurant des mesures concrètes telles que l’éducation à l’environnement et l’obligation dans l’ensemble de la restauration collective scolaire de proposer au moins un menu végétarien par semaine. Elle a également introduit la Snanc, qui déterminera des orientations ambitieuses pour notre politique d’alimentation durable et de nutrition, en s’appuyant sur le programme national pour l’alimentation et le PNNS.

En ce qui concerne la TVA, l’utilisation d’un seul outil pour assurer la neutralité financière est source d’efficacité et de lisibilité. La TVA est particulièrement utile, car entièrement affectée à la branche maladie. Sur le programme 379, si les crédits budgétaires ont été finalement privilégiés, c’est parce qu’il s’agit de reverser des crédits précis versés par l’Union européenne, notamment dans le cadre du plan de relance.

Nous souhaitons que 100 % du territoire soit couvert par les CPTS. Ces dernières présentent un intérêt fort de coordination entre les professionnels de santé. Elles ont d’ailleurs participé de manière importante au déploiement de la vaccination contre la covid-19, en lien avec les collectivités. Elles sont également fortement impliquées dans le plan souhaité par le Président de la République pour que nos concitoyens souffrant d’une affection de longue durée (ALD) et qui ne sont pas suivis par de médecin traitant puissent en avoir un avant la fin de l’année. Les ARS organisent en outre la prise en charge des soins non programmés, notamment le déploiement des services d’accès aux soins (SAS).

M. Pascal Lecamp (Dem). Quel est l’horizon de déploiement des CPTS ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous voudrions qu’il soit achevé à la fin 2023. Nous en sommes à 68 %. L’objectif est ambitieux : c’est la raison pour laquelle nous avons lancé le « Tour de France » des CPTS. Nous nous rapprochons cependant de notre cible, grâce à l’adhésion de tous les professionnels.

M. Damien Maudet (LFI-NUPES). Vous n’avez pas répondu à ma question.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous sommes dans le cadre de l’évaluation de l’exécution du budget 2022 de la mission Santé.

Mme Nadia Hai, présidente. Nous aborderons ce sujet lors des discussions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Enfin, le projet Phare est une stratégie pluriannuelle qui produit des effets réels. Sur 25 milliards d’euros annuels d’achats hospitaliers, le gain atteint près de 3 milliards depuis 2012, et 8 000 acheteurs formés sont impliqués dans cette communauté. Le projet Phare s’engage dans la voie des achats innovants, avec l’aide de start-up, et la valorisation dès l’achat de critères de qualité sur le parcours de soins.

Mme Nadia Hai, présidente. Nous en venons à l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure spéciale. Chers collègues, dans le cadre du printemps de l’évaluation de l’année 2021, j’ai conduit une première étude visant à évaluer le coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière. Contrairement à une croyance répandue, j’ai démontré que ces soins ne sont pas uniquement prodigués dans le cadre de l’aide médicale de l’État : au moins onze dispositifs différents existent en la matière, pour un coût total qui n’avait, à ma connaissance, jamais fait l’objet d’une estimation précise. L’AME constitue bien sûr un dispositif central dans cette organisation, avec un panier de soins sans équivalent. Ailleurs en Europe, la prise en charge se limite aux soins urgents et vitaux.

Aux côtés de l’AME, il existe donc au moins dix autres dispositifs d’importance variable : maintien des droits à l’assurance maladie, soins dispensés à Mayotte, soins prodigués dans les centres de rétention administrative, mission d’intérêt général dédiée à la précarité, permanences d’accès aux soins de santé, admission en séjour pour soins, soins en détentions et équipes mobiles psychiatrie et précarité ainsi que Samu sociaux et dépenses fiscales.

Le coût agrégé de l’ensemble n’est pas négligeable. À l’issue des travaux que j’ai conduits en 2021, je suis parvenue à estimer le coût de six de ces onze dispositifs, dont les principaux, pour 2019. Il est de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, soit plus de 600 millions d’euros de plus que le seul coût de l’AME. J’ai déposé le 25 mai 2021, avec les membres du groupe Les Républicains, une proposition de résolution visant à faire connaître plus largement les conclusions de mes travaux et invitant le Gouvernement à prendre des mesures fortes pour réformer l’offre de soins dispensée aux étrangers en situation irrégulière. Je déposerai prochainement une nouvelle proposition de résolution, car je constate qu’aucune réforme n’a été engagée depuis.

Je note également que le projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ne comportait au stade de son dépôt aucune disposition relative aux soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière. Pourtant, s’il est souvent rappelé que l’AME constitue une proportion marginale des dépenses publiques de santé, elle représente tout de même 17,2 % des dépenses de l’État consacrées à la politique de l’immigration et de l’intégration en 2023. C’est un vrai angle mort de notre politique de l’immigration.

Dans le cadre de ce nouveau Printemps de l’évaluation, j’ai choisi de réitérer l’exercice, car cet effort de transparence renouvelé est nécessaire.

Je ne conteste pas que l’AME constitue une aide essentielle, notamment en matière de santé publique et de pertinence de la dépense. Néanmoins, je crois qu’il est important de rappeler qu’en France et à l’inverse des autres pays européens, le panier de soins pris en charge ne se limite pas aux soins urgents et permet d’accéder à des soins non essentiels, comme le recollement des oreilles ou la pose d’un anneau gastrique. Je tenais également à vous signaler l’explosion du nombre de bénéficiaires, qui est une tendance de long terme. Au 30 septembre 2022, on comptait 403 144 bénéficiaires de l’AME de droit commun, soit 5,9 % de plus par rapport à 2021, 20,5 % de plus par rapport à 2019 et 123,4 % de plus par rapport à 2003. Ces chiffres illustrent assez bien l’absence de pilotage de ce dispositif.

S’agissant du montant de la dépense d’AME, j’ai tenu compte dans mes estimations des frais de gestion, qui sont considérables et bien plus élevés que ceux d’autres dispositifs, ainsi que des créances irrécouvrables des établissements de santé – c’est-à-dire des dettes laissées par les étrangers en situation irrégulière. La dépense d’AME représenterait ainsi environ 1,2 milliard d’euros en 2022. Cette estimation, qui est plus élevée que la seule dépense retracée dans la mission Santé s’appuie sur le travail sur l’AME que les corps d’inspection ont conduit en 2019.

Le dispositif de maintien des droits expirés permet à un étranger dont le titre de séjour arrive à expiration de bénéficier d’une prolongation automatique de son droit à l’assurance maladie pendant six mois, afin de couvrir un éventuel retard dans le traitement de sa demande de renouvellement de titre de séjour. En 2021, j’avais souligné que les conditions d’accès à ce dispositif étaient beaucoup trop souples. En effet, le code de la sécurité sociale n’impose pas d’engager une démarche de renouvellement pour en bénéficier, ce qui devrait être réformé. J’ai constaté que la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) avait intensifié les contrôles, ce qu’il faut saluer. Leurs résultats sont éclairants : 22,5 % des dossiers clôturés à l’issue de ces contrôles concernent des bénéficiaires du dispositif de maintien des droits expirés, qui étaient dans l’incapacité d’attester de la régularité de leur situation. Ils auraient donc dû relever de l’AME. En appliquant ce ratio à l’ensemble des 877 830 dossiers qui seront contrôlés, ce sont 197 512 étrangers qui auraient dû être soignés au titre de l’aide médicale de l’État entre fin 2019 et début 2023, donc environ 580 millions d’euros qui n’ont pas été pris en compte dans la dépense d’AME. Cela n’est pas acceptable : d’abord parce que des étrangers en situation irrégulière bénéficient d’une protection santé à laquelle ils n’ont pas droit ; ensuite parce que l’assurance maladie supporte une dépense qui devrait relever de l’État au titre de l’AME.

La procédure d’admission séjour pour soins, enfin, me semble insuffisamment étudiée, alors que son coût est sans doute très élevé, même s’il est malheureusement impossible de l’évaluer précisément. Il s’agit d’une exception française ou presque, puisqu’en Europe, seule la Belgique permet de régulariser des personnes pour motif de santé. Ce principe est de moins en moins acceptable socialement. Ce dispositif a été complètement détourné de son objectif, celui d’un titre de séjour octroyé dans une visée essentiellement humanitaire pour répondre à des situations exceptionnelles et graves.

Des trois critères d’accès au titre de séjour pour soins, aucun n’est véritablement respecté.

La résidence habituelle en France est le premier. En 2022, 3 222 demandes, soit 13,3 % du total, ont été déposées par des personnes entrées sur le territoire depuis moins de douze mois. Pour limiter les abus, je recommande d’abroger la dérogation au critère de résidence habituelle qui a été introduite par décret et d’inscrire dans la loi une condition de durée de résidence minimale de deux ans.

Le deuxième critère est l’exceptionnelle gravité de la pathologie. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) évoque dans son dernier rapport au Parlement la banalisation de ce critère. Par exemple, il peut arriver – même si ces cas ne sont heureusement pas majoritaires – qu’une femme obtienne le titre de séjour pour soins pour bénéficier d’une procréation médicalement assistée (PMA) en France. Afin de limiter ces dérives inacceptables, je recommande de préciser dans la loi que le pronostic vital de la personne doit être engagé à court terme.

Le dernier critère, l’absence d’accès effectif aux soins dans le pays d’origine, n’est pas opérant : l’Ofii m’a indiqué que des Suisses, des Américains ou encore des Canadiens déposaient chaque année des demandes d’admission au séjour pour soins et recevaient une réponse favorable. Si ces cas sont marginaux, ils témoignent des défaillances du dispositif et des limites de ce critère. Je recommande de revenir aux critères de l’absence de traitement dans le pays d’origine, qui me semble plus restrictif et plus précis ; il s’appliquait d’ailleurs jusqu’en 2016.

Je ne vous ai présenté que trois des onze dispositifs qui constituent l’offre de soins dispensée aux étrangers en situation, dont le coût total serait proche de 1,7 milliard d’euros, voire de 1,8 milliard, en tenant compte de la procédure d’admission au séjour pour soins. À mon sens, l’offre de soins proposée en France aux étrangers en situation irrégulière est très généreuse – et même trop. L’exception française – ou plutôt l’anomalie française – doit cesser. J’ai formulé un certain nombre de recommandations en ce sens dans mon rapport. Je crois – et il s’agit d’un prérequis à toute démarche de réforme – que nous devrions disposer de statistiques fiables pour mieux piloter ces dépenses de soins. En effet, comment déterminer efficacement les moyens à allouer à l’offre de soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière si on ne connaît pas suffisamment les destinataires de ces dispositifs ? Il est essentiel de diligenter un travail interministériel ou de solliciter les corps d’inspection pour affiner cette évaluation.

Ensuite, nous devrions connaître la nature et le coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière. Il conviendrait d’autoriser le ministre chargé de la santé à recueillir des données sur la nationalité des demandeurs et des bénéficiaires de l’AME ainsi que sur les pathologies soignées.

Sur le fond des dispositifs, plusieurs réformes d’ampleur s’imposent, outre celles que j’ai déjà évoquées. Ainsi, l’AME de droit commun devrait être limitée aux soins urgents, et à ceux liés à la lutte contre les pandémies, à la grossesse et à la vaccination obligatoire afin d’aligner la situation française sur celle des autres pays européens. Il faudra également réformer la protection santé des demandeurs d’asile provenant de pays d’origine sûrs.

Madame la ministre déléguée, est-il envisagé d’autoriser prochainement le recueil des données sur la nationalité des demandeurs et des bénéficiaires de l’AME ainsi que sur les pathologies soignées ? Que proposez-vous pour réformer la procédure d’admission au séjour pour soins qui laisse place à trop de dérives, lesquelles sont d’ailleurs détaillées dans le dernier rapport au parlement de l’Ofii ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Depuis 2020, le panier de soins a été très largement réduit. Tant sur le plan de la santé que d’un point de vue économique, n’est-il pas préférable de soigner une angine plutôt que d’attendre qu’elle se transforme en phlegmon ? Pour moi, la réponse ne fait aucun doute.

Vous nous demandez d’exclure du panier de soins certains gestes médicaux. Des travaux sur ce point ont été réalisés en 2001. La liste ne peut être ni exhaustive ni pertinente au regard des problématiques individuelles des patients. Au contraire, il est préférable de soumettre la demande de soins à accord préalable, même au-delà de neuf mois. L’évaluation individuelle de la pertinence de cette demande serait ainsi réalisée par des médecins-conseils de l’assurance maladie.

Des contrôles ont été effectués sur l’accès à l’AME. Ces dépenses font sans doute partie des plus scrutées de l’État.

Il n’y a pas de raison de compter les frais de gestion de l’AME dans les dépenses de l’AME, non plus que celles gérées par la Cnam.

La nationalité des bénéficiaires de l’AME ne fait pas partie des données recueillies. En amont de l’attribution de l’AME, les seules informations nécessaires à l’instruction de la demande sont l’irrégularité de séjour du demandeur et le niveau de ressources de son foyer. Une fois l’AME accordée, aucune information relative à la nationalité n’est nécessaire pour assurer la prise en charge des frais de santé. Après une analyse juridique, nous ne pouvons pas envisager, sous la responsabilité du ministère, un tel traitement national, comportant des données particulièrement sensibles à caractère personnel.

Par ailleurs, les données sur les pathologies sont recueillies uniquement pour les soins délivrés en établissement de santé, de façon strictement anonymisée. En ville, le recueil des pathologies n’est pas et n’a jamais été pratiqué. Il ne paraît pas envisageable de créer une exception pour les bénéficiaires de l’AME.

Les seules données dont nous disposons sont les suivantes : en 2019, 60 % des 1 083 personnes en situation irrégulière et présentes depuis au moins trois mois sur le territoire français questionnées dans le cadre de l’enquête « Premiers pas » de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) étaient originaires d’Afrique subsaharienne, et 25 % Afrique du Nord. Aujourd’hui, aucune donnée relative à la nationalité précise des demandeurs et bénéficiaires de l’AME n’est recueillie par les caisses d’assurance maladie.

La gestion de cette donnée pose une difficulté au regard du règlement général sur la protection des données et de la loi « informatique et libertés ». La collecte de la nationalité doit pouvoir se justifier au regard des finalités du traitement envisagé, en lien avec la prestation concernée. Le traitement de données spécifiques aux bénéficiaires de l’AME ne pourrait donc avoir pour finalité principale que la lutte contre l’immigration irrégulière ; mais il faudrait alors pouvoir documenter comment cet outil y contribuerait concrètement. En outre, ce traitement pourrait présenter un risque sur le plan constitutionnel, car il faudrait démontrer qu’aucun autre outil n’est aussi efficace pour lutter contre l’immigration irrégulière, notamment les potentielles filières d’immigration pour soins. La finalité de l’AME est tout autre : il s’agit avant tout de délivrer des soins aux personnes irrégulières en situation précaire, dans un objectif de préservation de la santé publique.

Je rappelle enfin que l’AME fait l’objet de contrôles approfondis sur l’ensemble des étapes d’instruction des demandes d’attribution de la carte et de prise en charge des soins. Les bénéficiaires de l’AME sont également soumis à des contrôles ciblés a posteriori. Ils sont en effet inclus dans les programmes nationaux de contrôle de la Cnam qui concerne tous les assurés sociaux, y compris ceux bénéficiant de l’AME. Le montant du préjudice financier relatif aux actions de contrôle sur le dispositif d’AME et de l’ordre de 900 000 euros en 2021.

En 2022, un peu moins de 18 000 personnes disposaient d’un titre de séjour en cours de validité destiné aux étrangers dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale. Le dernier rapport de l’Ofii évoque un certain nombre de dysfonctionnements, qui sont en cours d’analyse, mais dont une part importante relève des ministères de la justice et de l’intérieur. Il me semble que nous pouvons réfléchir à des leviers d’amélioration de ce système sans pour autant le remettre en question.

M. Benoit Mournet (RE). Le groupe Renaissance aborde la question de l’AME sans aucune idéologie. Si nous vous suivons sur la nécessité d’un meilleur pilotage et d’un suivi statistique, gardons-nous de fausses réponses, comme a pu l’être la franchise de 30 euros, ou d’approches trop restrictives qui auraient un effet immédiat sur les finances des hôpitaux – qui payaient ces franchises pour éviter de se retrouver avec des créances irrécouvrables. Les objectifs humanitaires et de santé publique prévaudront en effet toujours pour les médecins.

Quelle a été l’incidence des mesures de 2020, sur le plan tant budgétaire que de la santé publique ? Quelle suite avez-vous donnée aux quatorze mesures que proposait le rapport de l’Igas et de l’IGF de 2019 ? Envisagez-vous d’en prendre d’autres dans les mois à venir ? Quelle est la cause de la sous-exécution constatée cette année ?

M. Kévin Mauvieux (RN). Nous pensons que les dépenses de santé de l’AME doivent être destinées à des soins urgents et vitaux : est-il urgent de recoller des oreilles ou de soutenir une PMA pour un étranger s’étant rendu de manière irrégulière sur le territoire français ? La rapporteure a rappelé à juste titre que la très grande majorité des pays européens ont une politique bien plus restrictive que la nôtre et qui comporte précisément cette notion d’urgence vitale.

Les Français considèrent que le système de santé est bien plus restrictif envers eux qu’envers les étrangers. On leur répète que les antibiotiques ne sont pas automatiques, et on leur dérembourse de plus en plus de médicaments, pendant qu’un étranger peut se faire recoller les oreilles aux frais de l’État.

Enfin, l’AME ne peut être débattue en tant que telle, mais dans le cadre d’une plus large discussion sur la politique d’immigration. En effet, l’AME sera de plus en plus nécessaire si on accueille toujours davantage d’étrangers sans pouvoir les intégrer, en les laissant dormir sous des ponts, pendant que se propagent des épidémies. L’AME doit être refondue dans une politique globale de l’immigration ; dès lors, nous pourrons restreindre l’AME et rediriger cette dépense prioritairement vers les Français.

M. Pascal Lecamp (Dem). L’AME est un dispositif essentiel dans l’accès aux soins pour tous. Le délai d’instruction des demandes est passé à vingt-huit jours en 2022 pour 322 176 demandes, contre trente-trois jours en 2021. Nous saluons cette progression, qui témoigne des efforts des services des caisses d’assurance maladie pour raccourcir les délais, même s’ils restent élevés. Madame la ministre déléguée, vous avez fixé un objectif à vingt-quatre jours pour 2023. Pensez-vous qu’il sera atteint ?

De même, on observe une légère progression du taux de contrôle des dossiers pour lutter contre les abus : en 2022, il s’établissait à 14,4 %, dépassant l’objectif fixé à 13 %. Pour 2023, l’objectif est de 14 %. Au vu des résultats de 2022, pensez-vous le revoir à la hausse ?

Les dépenses de l’AME sont chaque année sous-estimées : nous y voyons un manque de transparence. Nous partageons la proposition de Mme la rapporteure d’établir des statistiques plus fines sur la consommation de soins par les étrangers en situation irrégulière pour mieux appréhender les dépenses.

M. Arthur Delaporte (SOC). Les propos de Kévin Mauvieux me font mal au cœur : les contre-vérités qu’il passe son temps à diffuser font du milliard dont nous débattons aujourd’hui le plus polémique et le plus surveillé de France. J’aimerais qu’on prête autant d’attention à l’ensemble des dépenses de santé : en effet, ce n’est pas là qu’il y a des économies à faire, comme l’a rappelé la ministre déléguée, puisque ces dépenses en évitent d’ultérieures plus lourdes encore. Il est évident que l’AME doit être défendue !

Monsieur Mauvieux, savez-vous pourquoi, en France, on peut se faire rembourser des chirurgies d’oreille ? Notre pays a accueilli des personnes qui arrivaient avec des oreilles découpées, notamment des Khmers. Monsieur Mauvieux, avant de dire n’importe quoi, je vous invite à vous renseigner : vous tenez des propos d’une inhumanité crasse, en appelant à réserver l’AME à l’extrême urgence – c’est aussi un peu ce que vous dites, madame la rapporteure spéciale, en parlant d’urgence vitale : faut-il attendre que ces étrangers soient au bord de la mort pour que l’État les prenne en charge ? Je vous rappelle nos engagements internationaux en matière de protection de la dignité humaine.

Alors que la droite sénatoriale, entre autres, veut supprimer l’AME, notre devoir est d’avoir une parole forte. Ce milliard le plus surveillé de France est celui qui fait honneur à notre pays ; c’est celui qui nous permet de dire que, quel que soit son statut, on a des droits, notamment le droit fondamental à la santé.

M. Christophe Plassard (HOR). Le coût réel de l’AME en 2022 est estimé à 1,2 milliard d’euros – un montant destiné à augmenter dans les années à venir au regard de la hausse constante du nombre de bénéficiaires – 20 % entre 2019 et 2022. Par ailleurs, l’étude approfondie de cette problématique a révélé un minimum de neuf autres dispositifs permettant un accès aux soins des étrangers en situation irrégulière, pour un coût agrégé de 1,7 milliard d’euros en 2022, également destiné à augmenter, pour les mêmes motifs, mais aussi en raison de détournements des objectifs initiaux de ces dispositifs.

L’AME est un outil important, qui évite en particulier l’importation de maladies étrangères sur notre territoire. Pour autant, il semble nécessaire d’éviter les abus. À ce titre, le Gouvernement prévoit-il d’inclure l’AME dans les dispositifs contrôlés dans le cadre du projet de lutte contre la fraude, évoqué par le Président de la République et par le ministre des comptes publics ? Aussi, prévoyez-vous de redéfinir les contours des actes médicaux pouvant être prodigués dans le cadre de l’AME ?

M. Charles de Courson (LIOT). Notre groupe rejoint Mme la rapporteure : nous manquons d’informations sur l’ensemble des dispositifs. Peut-être pourrions-nous regrouper les onze qui existent dans un programme unique, ce qui nous donnerait une vision plus claire de la situation – et éviterait certains propos excessifs sur ces sujets.

L’octroi de soins aux étrangers en situation irrégulière est souvent justifié comme un outil de prévention de santé publique. Cependant, certains actes médicaux non urgents ne sont pas destinés à éviter la propagation d’épidémies, mais sont dispensés pour des raisons humanitaires : nous devons nous demander où placer le curseur, même si les règles, une fois fixées, ne sont pas toujours respectées.

Dès lors, quelle réflexion mener sur le panier de soins ? Ne serait-il pas opportun de diligenter une étude afin, là encore, de clarifier les débats et de définir des indicateurs de suivi pertinents pour évaluer les objectifs ? Il n’y a pas eu de nouveau rapport sur le sujet depuis celui de l’Igas de 2019. Même quand l’information existe, elle est insatisfaisante ; les indicateurs du RAP le montrent bien : le pourcentage de dossiers d’AME contrôlés en 2022 est de seulement 14 %. Madame la ministre déléguée, ce taux est-il satisfaisant ? En outre, le RAP montre que l’obligation du dépôt physique des primo-demandes d’AME a de nouveau été suspendue entre janvier et février en raison de la vague omicron. Entendez-vous augmenter les taux de contrôle ?

Quel est l’impact de la dématérialisation sur l’accès aux soins et sur certaines fraudes ?

Pouvons-nous estimer le coût des soins aux personnes en situation irrégulière à Mayotte, où elles représentent la moitié de la population ? Le non-recours au dispositif est-il évalué ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Concernant l’AME et plus largement le programme 183, les écarts entre la loi de finances initiale et l’exécution 2022 ne s’expliquent pas, comme on pourrait le croire, par une baisse du nombre de bénéficiaires, qui a au contraire augmenté de 6,3 % entre 2021 et 2022. Au 31 mars de cette année, l’AME bénéficie à 388 320 personnes contre 403 144 au 30 septembre 2022. La variation entre les crédits votés en LFI pour 2022 et la consommation s’explique par une annulation de crédits de 64 millions décidée lors du collectif budgétaire de fin d’année 2022, dans un souci de mise en cohérence avec les dernières prévisions d’exécution pour 2022.

L’Irdes a publié des travaux de recherche sur l’accès à l’AME dans des structures de Paris et de l’agglomération de Bordeaux susceptibles d’accueillir des personnes sans titre de séjour. Sur plus de 1 200 étrangers en situation irrégulière interrogés en 2019. 51 % des personnes éligibles à l’AME y ont effectivement recours. Ce taux dépendait en premier lieu de la durée de la présence sur le territoire : seuls 24 % des bénéficiaires ont recouru à l’AME lors de la première année de présence, contre 70 % pour ceux séjournant en France depuis trois à cinq ans. Le recours augmente également avec la maîtrise de la langue française.

Plus généralement, la mesure du non-recours à l’AME est un exercice complexe, puisqu’elle suppose d’identifier les personnes éligibles au dispositif – c’est-à-dire les ressortissants étrangers en situation irrégulière sur le territoire depuis au moins trois mois et disposant de ressources inférieures au plafond d’accès à l’AME. Or, ces personnes sont peu ou pas connues des administrations. Elles ne se manifestent pas non plus auprès des caisses primaires d’assurance maladie, de sorte qu’il est difficile de les contacter pour comprendre les raisons de ce non-recours.

Le panier de soins a déjà été revu dans le projet de loi de finances de 2020, à la suite du rapport et des préconisations de l’Igas. Néanmoins, en raison des deux années de crise sanitaire que nous venons de traverser, les conclusions que nous pourrions tirer d’une analyse de la consommation du panier de soins en 2020, en 2021, voire, en 2022 seraient totalement biaisées. L’année 2023 pourrait toutefois nous permettre de vérifier l’impact de la modification de ce panier de soins sur les bénéficiaires de l’AME.

Entre 2020 et 2021, le délai d’instruction est passé de trente à trente-trois jours, en raison de la spécificité de la période, mais aussi des modifications du panier de soins, des nouvelles réglementations et des nouveaux contrôles. La création d’un quatrième pôle d’instruction permettra de réduire ce délai et de renforcer les contrôles. L’amélioration de l’outil de gestion devrait aussi permettre de diminuer ces délais pour revenir à vingt-quatre jours environ.

L’objectif devrait rester de 14 % de dossiers contrôlés. Néanmoins, il faut noter que les indicateurs portent uniquement sur les dossiers d’instruction et non pas sur tous les autres contrôles qui sont menés, notamment en cas de suspicion de soins abusifs.

Plusieurs d’entre vous m’ont demandé quel était le type de recours aux soins. En 2021, les dépenses hospitalières représentaient 64 % du budget total de l’AME. La moitié des séjours des bénéficiaires hospitalisés dans le secteur public relève du champ de la médecine, essentiellement en hépato-gastro-entérologie – 15 % –, en pneumologie – 13 % –, et en neurologie – 8 %. Plus d’un séjour sur quatre est réalisé en obstétrique, et un sur cinq relève de la chirurgie. Près d’un quart des séjours sont des séjours longs, présentant certaines complications ou comorbidités associées.

Vous dites que la prise en charge est différente dans les autres pays européens. Voici quelques exemples sur la couverture des soins non urgents essentiels. En Allemagne, une autorisation préalable des autorités de santé est nécessaire ; en Belgique, elle est laissée à l’appréciation du médecin ; pour le panier de soins, en Italie, la prise en charge des soins de premier recours se fait dans les mêmes conditions que pour les citoyens italiens ; le Royaume-Uni ne tient pas compte de la régularité du séjour ; en Espagne, l’accès aux soins gratuits se fait dans les mêmes conditions que pour les citoyens espagnols. Notons toutefois que la France est le seul pays d’Europe capable de fournir le montant des dépenses et le nombre exact de bénéficiaires d’une aide publique aux soins aux étrangers en situation irrégulière.

Monsieur de Courson, vous n’êtes pas sans savoir qu’il n’y a pas d’AME à Mayotte. La prise en charge est effectuée par le centre hospitalier, qui considère que 40 % de sa file active est constituée de non-affiliés sociaux, qui ne sont pas nécessairement en situation irrégulière.

Je veux conclure en rappelant notre conviction forte : cette mission Santé reflète notre engagement envers les plus démunis, qui est au cœur de la promesse républicaine. Au-delà de constituer une politique de santé publique essentielle à la protection des populations, l’aide médicale de l’État répond à cette exigence de solidarité et de générosité. N’oublions pas en outre la prévention, qui, bien qu’elle soit moins débattue que l’AME, est un enjeu majeur de santé publique : nous aurons peut-être l’occasion d’en parler plus longuement l’année prochaine.

Mme Nadia Hai, présidente. Je vous remercie pour vos réponses, et d’avoir relativisé les fantasmes autour de ce milliard d’euros, qui, quoi qu’on en dise, révèle avant tout notre humanité. Il y va de l’honneur de la France.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure spéciale. Monsieur Delaporte, mon rapport émet une proposition pour recentrer l’AME sur les soins urgents : je ne parle pas d’urgence vitale.

Plusieurs de mes collègues appellent à plus de transparence : madame la ministre déléguée, je renouvelle cette demande. Dans ma proposition de résolution, je ferai valoir la nécessité de disposer de plus d’éléments sur les étrangers en situation irrégulière, comme la nationalité et la nature des soins. La collecte de ces éléments existe pour les bénéficiaires de l’allocation pour demandeurs d’asile ; je ne vois pas pourquoi elle ne serait pas envisageable pour les bénéficiaires de l’AME.

Monsieur de Courson, j’ai intégré au coût total de ces dispositifs celui des soins dispensés à Mayotte, que j’ai évalué à 90 millions d’euros. Ce montant correspond aux 40 % évoqués par la ministre sur les 230 millions dépensés dans le cadre des soins dispensés dans le centre hospitalier de Mayotte, en considérant pour ma part que les étrangers qui ne sont affiliés à aucun régime d’assurance maladie sont en situation irrégulière.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de Mme Véronique Louwagie, rapporteure spéciale.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 17 heures 15

Présents. - Mme Nadia Hai, M. Pascal Lecamp, M. Mathieu Lefèvre, Mme Véronique Louwagie, M. Damien Maudet, M. Kévin Mauvieux, M. Benoit Mournet, M. Christophe Plassard

Excusés. - Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Joël Giraud, Mme Karine Lebon, M. Bryan Masson, M. Jean-Paul Mattei, M. Philippe Schreck, M. Charles Sitzenstuhl

Assistaient également à la réunion. - Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, M. Charles de Courson, M. Arthur Delaporte, M. Sébastien Peytavie