Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Audition de Mme Claire Hédon, défenseure des droits ..... 2

 

 

 

 

 


Mardi
4 octobre 2022

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 1

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Sacha Houlié,
Président


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La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La commission auditionne Mme Claire Hédon, défenseure des droits.

M. le président Sacha Houlié. Nous recevons aujourd’hui Claire Hédon, défenseure des droits, qui va nous présenter son rapport annuel publié au mois de juillet dernier et que nous n’avons pas pu recevoir lors de la session extraordinaire. Le défenseur des droits vient généralement présenter son rapport au moment de sa publication, mais le calendrier nous en a empêchés cette année.

Je précise, madame la défenseure des droits, que vous êtes accompagnée de trois de vos adjoints : Mme George Pau-Langevin, qui est également notre ancienne collègue et qui est adjointe en charge de la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité ; Mme Pauline Caby, adjointe en charge de la déontologie dans le domaine de la sécurité ; M. Eric Delemar, adjoint en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant et défenseur des enfants.

J’ajoute que vous êtes également compétente dans le domaine de la protection des lanceurs d’alerte, domaine qui a beaucoup intéressé notre commission au cours de la précédente législature. Vous venez d’ailleurs, pour la première fois, le 28 septembre dernier, d’utiliser cette prérogative en reconnaissant officiellement la qualité de lanceur d’alerte à une ancienne salariée d’UBS.

Mme Claire Hédon, défenseure des droits. Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui. Ce moment, qui consiste à venir chaque année vous présenter notre rapport annuel, est important pour moi. Il nous permet de mettre en avant ce que nous faisons, mais nous sommes également un bon observatoire des difficultés que rencontre la société pour accéder à ses droits et les faire valoir.

Cécile Barrois de Sarigny, adjointe en charge de la protection et de l’orientation des lanceurs d’alerte, n’a pas pu être présente aujourd’hui. La dernière loi de mars 2022 a renforcé nos compétences et nous a permis d’avoir une adjointe spécialisée sur la problématique des lanceurs d’alerte. Je tiens également à souligner que je suis accompagnée par Mireille Le Corre, notre nouvelle secrétaire générale.

Depuis quelques années, nous sommes nombreux à constater une distance croissante entre nos concitoyens et nos institutions au sens large (service public, autorités administratives, politiques, élus). Nous sommes aussi nombreux à essayer d’expliquer et de comprendre cette distance.

En tant que défenseure des droits, à mon poste depuis plus de deux ans, et avec les agents du siège de l’institution chargés du traitement et des réclamations, avec plus de 750 délégués territoriaux présents en métropole et en outremer, je suis bien placée pour constater au quotidien les défaillances, les pratiques illégales ou discriminatoires, les blocages qui alimentent un sentiment de découragement et de défiance.

Pour répondre au découragement et à la défiance, il n’y a pas de meilleures solutions que de veiller en toute circonstance au respect du droit. Cette question est une boussole pour mon institution ; elle est fondamentale pour la cohésion sociale. Selon moi, c’est aussi une boussole de notre démocratie.

Bien évidemment, ce que je vois n’est pas un reflet statistiquement représentatif du fonctionnement global des services publics, du monde du travail, de l’accès aux biens et services publics, de l’activité de la police et de la gendarmerie, ou encore de la situation des enfants. Toutefois, ce que je perçois en tant que défenseure des droits, ce sont des obstacles qui s’accumulent sur le chemin des droits et qui peuvent devenir de véritables entraves.

Ce rapport annuel n’est pas une simple occasion de vous parler de ce que nous faisons ; c’est aussi un moyen de mettre l’accent sur ce que nous observons.

J’observe des pratiques et des dispositions, parfois neutres en apparence, qui aboutissent à traiter de façon moins favorable, voire de manière défavorable, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, des personnes en situation de précarité ou des personnes d’origine étrangère.

Ces défaillances, ces obstacles, ce sont d’abord les personnes les plus vulnérables qui en sont les plus victimes et qui en paient le prix fort. Nous devons être particulièrement vigilants à cette question de la vulnérabilité, qui est un facteur de risque d’atteinte aux droits.

Pourquoi avons-nous rendu au cours de l’année un rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ? Pourquoi y a-t-il des atteintes à ces droits fondamentaux ? C’est parce que ces personnes âgées se retrouvent en situation de vulnérabilité. Il en est de l’honneur de notre société de protéger ces personnes vulnérables contre des attaques de leurs droits. Avoir comme curseur le respect des droits, quel que soit le moment des personnes et quelle que soit leur vulnérabilité, me paraît un point essentiel.

Cette évolution d’atteinte aux droits n’est pas inéluctable, pourvu qu’on s’attache à réparer les maux qui la pressent. Réparer ces maux, c’est respecter les droits, c’est garantir que les droits soient toujours, en toute circonstance et pour toute personne, pleinement garantis. C’est ce que je m’attache à faire dans nos cinq domaines de compétences.

Permettez-moi de présenter, avant tout, ce qu’est l’institution du défenseur des droits. C’est une haute autorité indépendante à valeur constitutionnelle, avec deux missions principales : la première consiste à rétablir les personnes dans leurs droits, à partir des réclamations que nous recevons ; la deuxième vise à promouvoir les droits et les libertés. Concrètement, lorsque nous voyons un certain nombre de difficultés récurrentes dans l’accès aux droits, nous rendons un certain nombre de rapports et de préconisations pour résoudre ces atteintes au droit de façon plus globale. J’aurai sans doute l’occasion de revenir vous voir pour être auditionnée et rendre des avis sur des projets et des propositions de loi ainsi que dans le cadre de commissions d’enquête.

Nos cinq champs de compétences sont les suivants : la défense des droits des personnes dans les relations avec les services publics, la lutte contre les discriminations, la défense et la promotion des droits de l’enfant, le contrôle de la déontologie des forces de sécurité et, enfin, l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte.

Avant de détailler ces cinq domaines, je tiens à m’arrêter sur le nombre de réclamations que nous avons enregistré. L’an dernier, en 2021, nous avons reçu 115 000 réclamations dans les cinq champs de compétences que je viens de citer. Cela correspond à une augmentation de 18 %. C’est un reflet des difficultés d’accès au droit, puisque c’est la première année que nous enregistrons une augmentation si importante – et je peux vous dire que celle-ci tend à se poursuivre sur l’année 2022.

Sur ces 115 000 réclamations, 80 % concernent les droits des usagers de services publics. Ce sont des personnes qui rencontrent des difficultés dans leur lien avec les services publics (caisse primaire d’assurance maladie – CPAM, Pôle Emploi, caisse d’allocations familiales – CAF, Préfecture, etc.) dans divers domaines. Ce chiffre mérite d’être mis en parallèle avec notre capacité d’écoute pour recevoir les personnes et traiter ces réclamations. Nous fonctionnons avec 550 délégués territoriaux bénévoles, qui assurent des permanences de deux demi-journées par semaine dans 870 points d’accueil et qui traitent les dossiers, ainsi qu’avec 250 personnes au siège – en majorité des juristes – qui traitent les dossiers et les décisions les plus complexes.

Nous intervenons majoritairement en médiation (dans 80 % des cas), en sachant que celle-ci aboutit quatre fois sur cinq à un résultat positif. Faute de possibilité de médiation, nos juristes peuvent être amenés à rendre des décisions et à émettre des recommandations après enquête contradictoire. Lorsque nos recommandations ne sont pas suivies, nous avons la possibilité de publier un rapport spécial au journal officiel, ce qui permet de médiatiser l’affaire. Sur notre site internet, nos décisions sont rendues publiques mais elles sont anonymisées alors que, dans le rapport spécial, nous n’anonymisons pas et nous communiquons le nom de l’organisme en cause.

Je tiens à vous donner un exemple concret. Cette affaire concernait les bons du trésor. L’État refusait de rembourser les bons du trésor (90 000 euros) à une réclamante. Il convient de noter que la loi a changé la prescription des bons du trésor en 2008. La réclamante s’est rendue à plusieurs reprises au trésor public entre 2008 et 2013 pour récupérer une partie de ses bons. Or, à aucun moment, elle n’a été informée du changement de la loi. Certes, nul n’est censé ignorer la loi, mais l’administration doit aussi remplir un rôle d’information. En 2017, les finances publiques ont refusé de lui rembourser ses bons du trésor ; la réclamante s’est alors adressée au défenseur des droits. Nous avons tenté de résoudre cette situation par la médiation. Il aura fallu cinq ans pour régler le problème. Nous avons adressé des recommandations à l’administration, mais cela n’a pas été suivi d’effet.Finalement, nous avons rendu l’affaire publique et l’intervention du ministre des Finances a permis de trouver une solution. Nous avions demandé un traitement en équité, c'est-à-dire sans création de précédent. C’est la somme en jeu qui a rendu cette situation notable.

Toutefois, même lorsque les montants sont moindres, les atteintes au droit qui résultent de défaillances du service public peuvent être considérables. Je peux également vous citer le cas d’une femme accusée illégitimement de fraude pour avoir omis de déclarer à la CAF les revenus de sa fille, revenus qu’elle avait d’ailleurs déclarés aux impôts. Elle s’est retrouvée avec un montant disproportionné d’indus à sa charge, au point d’avoir à quitter son logement. De la même manière, nous intervenons quand un étranger n’arrive pas à prendre rendez-vous à la préfecture. Inutile de vous citer le rapport de la Cour des comptes qui établit clairement que le nombre de postes supprimés en lien avec la dématérialisation a été trop important et empêche l’accès à la préfecture. Enfin, nous intervenons aussi lorsqu’un agriculteur ne parvient pas à percevoir les aides de la politique agricole commune (PAC) auxquelles il a droit parce que l’administration n’a pas validé la demande qu’elle a effectuée en son nom, faute d’avoir confirmé sa signature.

Toutes ces défaillances alimentent le découragement dont je vous ai déjà parlé. Les services publics, au lieu d’inspirer confiance, deviennent une source de méfiance, voire de rejet de l’autre, de l’institution, de l’État. Finalement, cela engendre du non-recours au droit, estimé à plus de 30 % pour le revenu de solidarité active (RSA), à 50 % pour le minimum vieillesse et à 30 % pour les allocations chômage. Toute cette partie concerne les relations avec les services publics. C’est 80 % de notre activité.

Redonner confiance passe par un accès réel au service public et un accueil adéquat. Pouvoir rencontrer quelqu’un s’avère indispensable. Notre grande force repose sur nos délégués qui accueillent les réclamants. Redonner confiance passe aussi par la lutte contre les discriminations. Le nombre de réclamations est passé de 5 000 par an en moyenne à 7 000 en 2021 – notamment grâce à la création de la plateforme. Nous observons toutefois que l’ampleur des discriminations ne se montre absolument pas dans le nombre de réclamations recensées. Le non-recours s’avère majoritaire : les personnes pensent qu’elles n’ont pas de preuve, craignent les représailles, pensent que le parcours va être compliqué. Elles ne saisissent pas les tribunaux.

Mettre en lumière les discriminations et les dénoncer constitue notre travail au quotidien. Nous avons publié des rapports en 2021 sur les gens du voyage, sur la mise en œuvre de la convention internationale des droits des personnes handicapées. Nous sommes un mécanisme indépendant du contrôle de l’application par la France de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH). Nous avons rendu des conclusions au comité onusien. La France a été auditionnée en août 2021 et le comité onusien a suivi une grande part de nos recommandations. De nombreux progrès restent toutefois à faire.

Signaler et sanctionner les discriminations fait partie de notre travail également. À la demande du Président de la République, nous avons lancé la plateforme antidiscriminations.fr il y a un an et demi environ, en tant qu’autorité administrative indépendante. Nous avons voulu en faire un service de signalement plus facile, avec un numéro de téléphone spécifique, le 3928, et avec des écoutants formés juridiquement. Il faut savoir que la durée moyenne des appels est de 20 minutes, avec un processus de réorientation. De nombreux appels durent ainsi près de 45 minutes du fait de la complexité des situations de discrimination. Un site internet, des contenus pédagogiques et un annuaire (regroupant plus de 1 300 partenaires engagés dans la lutte contre les discriminations) sont également proposés sur notre plateforme. Après plus d’un an de fonctionnement, les résultats sont au rendez-vous. Nous avons reçu plus de 19 000 appels au 3928, nous avons participé à 3 500 chats et nous enregistrons une augmentation de 25 % des réclamations en discrimination. Sur ce dernier point, je n’affirme pas que les discriminations augmentent, mais c’est le fait de nous saisir qui est devenu plus facile.

La plateforme permet une écoute de qualité et une réponse adaptée, mais la lutte contre les discriminations ne peut pas se réduire à faciliter le recours des victimes. Il faut se mettre en capacité de mener des mesures de prévention, de sensibilisation, d’éducation et de communication sur ce que sont ces discriminations. Il faut renforcer la portée de l’action de groupe afin que des recours collectifs soient mis en œuvre et que la personne ne se retrouve pas seule face aux tribunaux. Il faut des dispositions qui rendent réellement dissuasives les sanctions. Nous avons également besoin d’un observatoire permettant de mesurer ces discriminations. Notre liste de recommandations s’avère assez longue. Nous avons remis une contribution à la consultation citoyenne lancée par le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances au printemps 2021.

Sur la question des discriminations, je tiens à partager avec vous l’étonnement que j’ai ressenti à mon arrivée au vu du nombre de décisions que nous continuons à rendre sur les cas de discrimination liés à la grossesse alors que la loi s’avère très claire et très protectrice. Nous sommes saisis par des femmes qui, de retour de leur congé de maternité, ne retrouvent pas un poste équivalent à salaire équivalent. Nous avons de nombreux progrès à faire dans ce domaine. Les problématiques de grossesse et handicap méritent une attention particulière également.

S’agissant des conditions de la confiance dans le droit, je tiens à souligner que celles-ci se construisent dès l’enfance et l’adolescence. Nous accordons une attention particulière aux droits de l’enfant, de façon générale, et particulièrement au droit à la santé, qui est défini dans la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). C’est pour cette raison que nous avons rendu notre rapport annuel sur les enfants, à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, sur la santé mentale des enfants et le droit au bien-être. Je tiens à insister sur le fait que la question de la protection des droits de l’enfant traverse l’ensemble de l’institution, au travers de toutes ses compétences. Je pense notamment à la question de la discrimination avec la particularité du handicap : difficultés d’accès à l’école pour les enfants en situation de handicap, difficultés à avoir accès au temps périscolaire et à la cantine, difficultés à bénéficier de la présence d’un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH). Ainsi, cela traverse également la compétence de la lutte contre les discriminations, les questions de déontologie des forces de sécurité sur la façon dont les enfants sont entendus, ainsi que les compétences d’accès aux services publics et de droit des usagers. Chaque année, nous recevons plus de 3 000 saisines – 3 425 en 2021 – relatives au droit et à l’intérêt supérieur de l’enfant. L’immense majorité est traitée au siège par le pôle en charge des droits des enfants.

La France s’est engagée dans différentes conventions internationales, ce qui nous engage. La question de l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être davantage respectée et mise en avant.

Pour redonner confiance en nos institutions, il s’avère indispensable de contrôler le respect de la déontologie par les forces de sécurité. Ce contrôle s’effectue en premier lieu par les pairs, c'est-à-dire ceux qui travaillent ensemble. Il est aussi exercé par les organes de contrôle internes (inspection générale de la police nationale – IGPN – et inspection générale de la gendarmerie nationale – IGGN). Nous sommes le contrôle externe de la déontologie des forces de sécurité. La confiance placée dans les services de police et de sécurité est liée au fait qu’il existe un contrôle et que celui-ci s’exerce sur une base de transparence. C’est sur cette base que, l’an passé, nous nous sommes opposés à l’article 24 du projet de loi de sécurité globale sur l’interdiction de diffuser des images permettant d’identifier des policiers. Cette mesure aurait conduit à une forme d’opacité assumée de leurs actions et aurait validé, finalement, une défiance de la police vis-à-vis de la population. Le Conseil constitutionnel s’est d’ailleurs prononcé dans le même sens.

Pour consolider la confiance qu’inspirent les forces de sécurité, celles-ci doivent pouvoir être contrôlées. C’est notamment le rôle du défenseur des droits, qui est le seul organe de contrôle externe et indépendant de la déontologie des forces de sécurité. C’est à ce titre que nous avons présenté des observations à propos des contrôles d’identité de trois lycéens en Seine-Saint-Denis en mars 2017 à la gare du Nord. Après avoir mené une instruction contradictoire, nous avions considéré que ces contrôles d’identité étaient discriminatoires, ce qui a été confirmé par la cour d’appel de Paris le 8 juin 2021. Cette décision, de même que celle qui a été rendue par le Conseil d’État à propos du schéma national de maintien de l’ordre, montre bien la solidité de nos analyses et de nos recommandations. Notre mission de contrôle du respect de la déontologie contribue à retisser un lien de confiance entre les forces de sécurité et la population. Elle est malheureusement souvent entravée du fait des difficultés à identifier les fonctionnaires en cause (à cause du port de la cagoule par exemple) ou du fait du manque de réceptivité des institutions de police et de gendarmerie à nos préconisations.

Je tiens à vous dire un mot sur nos observations formulées devant les tribunaux en qualité d’amicus curiae (« amis de la cour »), sans représenter aucune des deux parties. Nous pouvons intervenir à ce titre devant le juge administratif, le juge judiciaire et la Cour européenne des droits de l’homme. 172 observations ont été formulées devant les tribunaux en 2021 et nous avons été suivis dans 82 % des cas par les tribunaux. Ce constat témoigne de la solidité et la rigueur de notre travail et de notre raisonnement juridique.

Enfin, s’agissant du traitement réservé aux lanceurs d’alerte, il constitue un bon indicateur de la vitalité de notre démocratie. À l’occasion de la transposition de la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne, nous avons émis un avis pour formuler plusieurs recommandations. Nous avons échangé en bonne intelligence avec l’Assemblée sur cette loi, et nous avons préconisé de mettre en place un fonds de soutien dédié aux lanceurs d’alerte, d’octroyer aux lanceurs d’alerte l’aide juridictionnelle sans condition de ressources, de prévoir des sanctions à l’encontre des organismes qui ne mettent pas en place des procédures de signalement (alors que c’est obligatoire), ainsi que d’instaurer un dispositif spécifique pour les signalements relatifs à la défense nationale et au secret de la défense.

Nous avons participé activement au processus qui a mené à une évolution positive contenue dans les propositions de lois organiques et ordinaires transposant la directive, en particulier l’extension aux personnes morales de la possibilité de venir en aide aux lanceurs d’alerte en leur permettant d’être reconnus comme facilitateurs et la faculté pour les juges d’allouer, au cours de la procédure, une provision pour frais de l’instance et à des fins de subsides.

Le rôle du défenseur des droits a été sensiblement renforcé, puisque celui-ci jouera désormais un rôle pivot dans l’orientation des lanceurs d’alerte. Il pourra également se prononcer sur la qualité de lanceur d’alerte d’une personne, quel que soit le régime d’alerte dont elle relève. Nous avons rendu notre première certification positive, ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de non-certification jusqu’alors.

Tous ces éléments montrent notre capacité à résoudre des problèmes par une écoute, par un dialogue, par la permanence de nos délégués, par la plateforme anti-discrimination, en prenant le temps nécessaire avec les personnes qui nous appellent, et par la prise en compte de l’avis des personnes concernées dans les rapports que nous rendons.

Défendre les droits impose de refuser des glissements et relégations qui placent les personnes les plus vulnérables dans des zones de non-droit. Cela suppose d’accorder une vigilance constante aux phénomènes et tendances qui y contribuent. Je vous le redis : la situation des plus vulnérables est un repère qui nous renseigne sur la situation de la société. On dit que la solidité d’une chaîne se mesure à son maillon le plus faible. De la même façon, je suis convaincue par le fait que l’effectivité des droits se vérifie là où ils sont les plus fragiles.

M. le président Sacha Houlié. Je note que ce sont les relations avec les services publics qui sont la source de très nombreuses saisines (près de 90 000 sur les 115 000 enregistrées). Votre institution est vraisemblablement mieux connue des citoyens qu’auparavant. Constatez-vous une réduction des saisines dans certains domaines, notamment pour ce qui concerne les impôts, du fait de la mise en place du prélèvement à la source ? Percevez-vous le versement à la source de prestations sociales, prévu et annoncé par le Gouvernement, comme une possibilité de réduire les demandes de saisine qui viendraient de la CAF ? Les relations avec France services sont-elles à l’origine de l’évolution de certaines demandes ?

Avez-vous noté des difficultés particulières concernant les demandes de naturalisation dans le contexte de l’épidémie de covid ? Enfin, considérez-vous que la plateforme antidiscriminations.fr ou le numéro 3928 pourraient encore être améliorés dans leur fonctionnement, au travers de nouvelles campagnes de communication par exemple ?

M. Guillaume Gouffier-Cha (RE). J’ai une question sur l’inclusion numérique. Dans un rapport de février 2022, vous dressez un large bilan d’étape sur la dématérialisation des procédures et les inégalités d’accès au service public. Vous y soulignez « le coup d’accélérateur sans précédent en faveur des personnes en situation de vulnérabilité numérique que constitue la stratégie nationale pour un numérique inclusif, initiée en 2018, et visant non seulement l’accès au très haut débit, mais également le meilleur accompagnement des usagers. »

Je pense notamment au plus de 2 300 espaces France services, guichet unique et physique de proximité. Je pense également au renforcement de l’accompagnement dans l’utilisation des outils numériques. Pourraient également être évoqués les 250 millions d’euros dédiés à l’inclusion numérique dans le plan France relance, s’ajoutant aux 280 millions d’euros initialement mobilisés pour cette stratégie nationale.

Pour autant, la fracture numérique n’est pas résorbée. 13 % des usagers se trouvent en difficulté pour accéder seuls aux procédures dématérialisées de l’administration. Ce constat nous oblige, d’autant qu’il a de lourdes conséquences sur l’accès au droit et qu’il pénalise plus particulièrement les personnes âgées, les personnes non diplômées et les personnes en situation de pauvreté.

À ce titre, le Gouvernement a annoncé la semaine dernière le lancement de l’acte 2 de la stratégie nationale pour un numérique inclusif, dont les contours feront très prochainement l’objet d’une consultation.

Selon vous, quelles doivent être les priorités pour cette nouvelle étape, s’agissant plus spécifiquement de l’accompagnement des usagers en difficulté dans l’utilisation des outils numériques ?

Par ailleurs, vous préconisez, dans votre rapport, d’associer dématérialisation et facilitation des démarches. Il nous faut, en effet, parvenir à une situation dans laquelle la dématérialisation n’est plus un obstacle à l’accès au service public, mais au contraire, un vecteur d’effectivité, de recours et d’accès au droit. Comment pouvons-nous relever ce défi ?

Mme Julie Lechanteux (RN). 160 000 enfants subissent des violences sexuelles chaque année. Je remarque, dans votre rapport d’activité remis sur table à mon grand regret, que nous ne parlons pas des droits des enfants qui subissent des violences sexuelles. On estime qu’en France, près de 5,5 millions de femmes et d’hommes ont subi des violences de ce type durant leur enfance. Cette situation horrifiante a des conséquences importantes sur le développement personnel de ces futurs adultes, amenés à vivre une grande partie de leur existence dans la souffrance.

La commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) a publié un rapport le 21 septembre afin de synthétiser une année de témoignages recueillis auprès de victimes de violences sexuelles infantiles. Les plus de 16 000 témoignages recueillis ont confirmé les multiples conséquences lorsque les victimes grandissaient, allant des troubles alimentaires aux tentatives de suicide.

Les atteintes et agressions sexuelles sur mineurs sont pourtant réprimées par la loi, les peines encourues pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, voire des peines plus lourdes, notamment en cas de situation incestueuse. Après s’être assuré que les peines étaient bel et bien appliquées, il faut une stratégie nationale d’éradication des violences faites aux enfants. Il faut également une large campagne de prévention sur ces sujets. Il est également indispensable de s’intéresser au recueil de témoignages des enfants, afin de mettre en place des dispositifs permettant d’assurer une détection plus rapide des violences sexuelles infantiles. Enfin, il est également nécessaire d’agir sur le fait que près de 9 personnes sur 10 ne portent pas plainte lorsqu’elles sont victimes d’agressions sexuelles, comme cela a été démontré dans une enquête du ministère de l’Économie en 2021.

Quelles sont les solutions que vous préconiseriez pour faire face à ces fléaux ? Quelles solutions allez-vous soutenir concernant la prévention de ces actes et leur détection ? Quels sont les dispositifs qui pourraient être mis en place afin de faciliter le dépôt de plainte des victimes, qui gardent bien souvent le silence ?

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Je vous remercie tout d’abord pour votre rapport et pour votre travail au quotidien. Les retours que nous avons dans nos circonscriptions montrent à quel point cette action s’avère essentielle, d’où la nécessité de débloquer toujours plus de moyens pour pouvoir déployer ce type de dispositif.

Je souhaite vous interpeller sur la question de la dématérialisation, et plus particulièrement sur le public des personnes âgées et des retraités. Les associations sont très souvent les structures amenées à répondre au non-accès de ces publics particuliers aux services publics, notamment en matière de retraite. J’ai été interpellée par une association (Ayyem Zamen) qui s’occupe des personnes âgées pour des problématiques de logement. Elle s’est retrouvée à devoir prendre en charge les difficultés de ces personnes qui étaient confrontées à des guichets fermés de la caisse nationale d’assurance maladie ou d’assurance vieillesse et se trouvaient désemparées. Ces personnes sont systématiquement renvoyées vers les associations, sans que ces dernières bénéficient de budgets supplémentaires ou de dispositifs de financement permettant de mener à bien un tel accompagnement. Une partie du travail des associations s’en trouve en quelque sorte détournée. J’aimerais entendre la défenseure des droits sur le déport observé sur les associations.

M. Erwan Balanant (Dem). Vous avez parlé de l’effectivité des droits et des zones de non-droit. Pour faire respecter les droits, il faut au préalable que ceux-ci existent et il incombe au législateur de définir des interdits et de créer certains cadres juridiques.

S’agissant du droit des enfants, l’Assemblée nationale vient de créer une délégation au droit des enfants. Je suis surpris du chiffre proportionnellement peu élevé des saisines concernant le droit de l’enfance par rapport au volume global de 115 000 saisines. Ne serait-ce pas révélateur d’un manque de droits pour nos enfants et du manque d’affirmation de certains droits ?

Comme vous l’avez souligné dans un rapport, la libération de la parole n’est possible que si l’enfant connaît ses droits. Par conséquent, il faut les créer. Nous l’avons fait pour le harcèlement scolaire au travers de la loi de 2019 et de l’amendement dont j’ai été à l’origine.

Dans le cadre de vos actions, vous développez un certain nombre de partenariats. Nouez-vous des partenariats avec l’éducation nationale sur l’effectivité des droits ? Dans le texte sur la création du délit, le droit à une scolarité sans harcèlement scolaire et sans violence a d’ailleurs clairement été établi.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le rapport que vous nous présentez est qualitatif et éclairant sur la situation de nos concitoyens. L’augmentation des réclamations mérite d’être notée mais, comme le disait mon collège à l’instant, ce chiffre est vraisemblablement en deçà de la réalité. Nous constatons que la question des procédures s’avère majeure dans la société et que le sentiment de rejet est extrêmement fort sur ce sujet. J’ai apprécié votre analyse sur les espaces France services, qui laisse penser que l’usager est à la fois acteur du service public et usager.

J’ai deux questions sur les personnes fragiles. Premièrement, sur les droits de l’enfant, certaines pages de votre rapport reflétant la situation des enfants s’avèrent très émouvantes. Les saisines vous confrontent à des atteintes insupportables au droit des enfants les plus vulnérables, et en particulier pour les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance. S’agissant de ces enfants en particulier, je considère qu’ils devraient bénéficier du ministère d’avocat dès lors qu’ils sont seuls, sans accès au droit. Nous pourrions imaginer un dispositif automatique d’avocat permettant de défendre les enfants qui se trouvent en danger et sans famille pour leur venir en aide. Àmon sens, le juge, seul, ne peut pas suffire à garantir ce droit.

Deuxièmement, au niveau des EHPAD, je suis étonnée du nombre de réclamations mis en avant, bien inférieur à ce à quoi je m’attendais. Ne pourrions-nous pas imaginer un contrôle externe et indépendant de ces établissements avec le défenseur des droits ?

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Je salue à mon tour la qualité du document qui nous a été remis et que nous devrons approfondir. Le groupe Horizons réfléchit à la manière de rapprocher le service public et les citoyens. Force est de constater que la commune reste le socle d’accès aux droits – en tout cas, elle est reconnue comme telle par nos concitoyens. Parallèlement, certaines communes se sentent délaissées en termes de compétences par rapport aux établissements publics de coopération intercommunale. Dans un monde idéal, une formation des secrétaires de mairie pourrait-elle permettre de favoriser un meilleur accès aux droits ? Est-ce l’accès aux données qui poserait problème ? Cela pourrait avoir du sens vis-à-vis de nos institutions plus largement. Nous savons qu’aujourd'hui, de nombreux concitoyens ont du mal à joindre les caisses de retraite, par exemple. Je rappelle que les maisons France services ne sont déployées que dans les anciens chefs-lieux de canton.

Si l’excellent travail produit par les délégués du défenseur des droits mérite d’être salué, le nombre de ces délégués s’avère toutefois insuffisant pour couvrir le territoire. Dans ma circonscription qui compte 124 communes, il n’y a que deux délégués. Comment pouvons-nous partager les responsabilités en vue d’une meilleure efficacité vis-à-vis de nos concitoyens ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Vous avez déjà évoqué la pauvreté des enfants. L’enquête Ipsos-Secours populaire a révélé une explosion, chez les enfants, de la perception de la pauvreté. Dans notre pays, 3 millions d’enfants vivent en situation de pauvreté ou d’exclusion. En raison de la crise sociale que nous traversons, et notamment avec l’inflation, la situation risque de s’aggraver. Je pense particulièrement aux enfants qui se retrouvent à la rue et qui sont particulièrement nombreux. Les chiffres ne traduisent pas la réalité : on nous annonce presque un doublement du nombre d’enfants à la rue cette année, en sachant que seules les familles qui appellent le 115 sont prises en considération dans ces statistiques.

Dans les Hauts-de-Seine, il y a quelques années, faute de constructions de logements à des prix abordables et faute de moyens pour l’hébergement d’urgence, les critères de vulnérabilité ont été déclenchés et nous nous sommes retrouvés avec de nombreuses familles à la rue, avec des enfants de moins de trois ans. La majorité, à l’Assemblée nationale, considère que la solution réside dans la fluidification des parcours. Je souhaite connaître votre regard sur la mise en place de ces critères et, plus généralement, sur l’accès au droit au logement, en particulier pour les enfants, ainsi que votre avis sur la garantie pour l’enfance, décidée au niveau européen.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Je tiens à évoquer la situation de la Corse et son actualité en termes de droit. Je fais référence à la décision du tribunal de l’application des peines antiterroristes en appel concernant le refus de semi-liberté pour l’un des trois membres du commando Erignac, Pierre Alessandri. Cette décision survient après un avis favorable en première instance, après 25 ans passés en prison et à la suite d’une actualité brûlante au mois de mars 2022 – l’assassinat d’Yvan Colonna, conséquence d’une non-levée du statut « détenu particulièrement signalé » (DPS) réclamée de manière unanime par la société corse pour un rapprochement.

Le nouveau refus de cette semi-liberté, en appel, après une première décision favorable en instance, avec un réaudiencement prévu dans un an pour l’autre détenu, crée un émoi dans le contexte insulaire. Le motif de refus mis en avant est le suivant : « trouble à l’ordre public », malgré toutes les évaluations positives concernant Pierre Alessandri, et malgré son projet de réinsertion.

Cela donne le sentiment d’une logique de vengeance politique concernant ces individus, à tel point que la conférence des présidents de groupe de l’Assemblée de Corse, toutes opinions confondues, a pris une délibération solennelle pour s’émouvoir et considérer qu’il s’agissait bien d’un motif politique.

Voici un passage du communiqué de Patrick Baudouin, président national de la ligue des droits de l’Homme (LDH) : « Le dialogue engagé entre la Corse et Paris ne pourra s’inscrire dans le temps que, si et seulement si, la justice cesse d’être confondue avec la loi du Talion », en rappelant les règles pénitentiaires européennes auxquelles la France adhère, « et celle qui reconnaît que les détenus, condamnés ou non, retourneront un jour vivre dans la société libres, et que la vie en prison doit être organisée en tenant compte de ce fait ». Il est essentiel que la justice soit équitable pour trouver une nouvelle voie politique pour la Corse.

Mon propos vise à connaître votre positionnement sur le sujet et à faire cheminer ce point urgent.

Mme Claire Hédon, défenseure des droits. Mes réponses seront regroupées par thématiques.

S’agissant des difficultés d’accès aux services publics, elles concernent l’ensemble des services (CPAM, CAF, préfecture, CNAV, etc.). Le panel des réclamations s’avère très large et concerne l’ensemble des services publics. Il est  impossible de cibler l’endroit où cela va le plus mal, car la situation est très variable dans les territoires.

Quoi qu’il en soit, si la dématérialisation est une chance pour de nombreuses personnes car elle simplifie leur démarche, elle est également source d’exclusion pour d’autres. Lorsqu’on évoque 13 millions de personnes en difficulté avec le numérique, on pense immédiatement aux personnes âgées, aux personnes en situation de handicap, aux précaires, aux personnes étrangères, mais les jeunes sont également concernés. 28 % d’entre eux sont confrontés à des difficultés pour faire des démarches en ligne. Selon moi, il s’avère indispensable de maintenir une double entrée dans les services publics. Le 100 % dématérialisé n’est pas envisageable : la possibilité de déposer des dossiers papier doit être préservée. De la même manière, l’accueil doit être maintenu, car il s’avère indispensable de pouvoir rencontrer un agent de service public et de pouvoir exposer ses difficultés.

Cela me permet d’élargir mon propos à la question qui concerne plus spécifiquement les personnes âgées et leur maintien des droits à la retraite. Nous observons clairement un report de charge vers le monde associatif, vers les éducateurs et les assistantes sociales, vers les proches, etc. Ce qui relevait auparavant du service public, c’est-à-dire le service au public, risque d’être oublié dans un tel contexte.

Pour moi, il ne fait aucun doute que le déploiement des espaces France services constitue une avancée, qui présente toutefois des limites. Une centaine de nos délégués sont présents dans ces espaces. Force est de constater que certains espaces France services parviennent à établir une ligne directe avec des services spécifiques, mais cela n’est pas le cas pour tous, faute d’accès aux logiciels nécessaires. Dans certains endroits, la CAF elle-même (ou d’autres organismes) se trouve en difficulté faute d’agents suffisants.

En ce qui concerne les questions de naturalisation, nous avons rendu un rapport sur les délais. La règle est de rendre une décision dans les six mois, mais certaines personnes restent sans réponse pendant deux ans, trois ans, voire quatre ans.

Vous m’avez interrogée sur les pistes d’amélioration du 3928. Il convient de faire connaître davantage cette ligne (et même l’institution), trop peu connue en dehors du monde institutionnel et des associations. Nous avons besoin de moyens pour développer la communication, pour « aller vers ». Je reviens sur une démarche organisée récemment à Strasbourg visant à répondre à des personnes dans la rue. Nous nous sommes installés place Kléber, avec 25 juristes et 15 délégués territoriaux pour répondre aux questions des passants. Cette initiative nous a également permis d’aller à la rencontre du monde associatif, de faire une conférence à la faculté de droit et à Science Po, ainsi que de rencontrer l’école qui forme les travailleurs sociaux. Ces échanges sont utiles pour nous faire connaître.

Pour nous améliorer, il nous faut plus de moyens. Je pense également que l’État devrait lancer une grande campagne de communication sur les discriminations.

Vos questions ont été nombreuses sur le droit des enfants, qui est l’une de nos préoccupations essentielles. La question des violences sexuelles est bel et bien une préoccupation pour notre institution. Il s’avère normal que nous ayons peu de saisines sur ces questions car les cas sont directement traités par les tribunaux.

Nous pouvons être amenés à observer des auditions qui ne se passent pas dans des conditions correctes, mais nous ne sommes pas saisis directement des questions de violences sexuelles sur mineurs. Nous nous sommes largement prononcés sur ces questions. Nous avons été auditionnés par la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église (CIASE) et la CIIVISE.

Plus globalement, sur les questions de viol, nous sommes confrontés à une impunité totale, avec seulement 1 % de condamnations pour viol. Moi aussi, je suis extrêmement choquée par ce qui se passe. Nous ne pouvons pas faire tout peser sur la victime : certaines d’entre elles ne veulent pas aller devant les tribunaux, car elles jugent cette épreuve trop difficile.

En termes de prévention, la mise en place de cours d’éducation sexuelle à l’école s’avère indispensable. Cela permet de libérer la parole et de faire prendre conscience à l’enfant que ce qu’il vit n’est pas normal. Un rapport fait état d’une effectivité de 15 % de ces cours réalisés en milieu scolaire. Il incombe d’ailleurs au Parlement de s’assurer de l’application des lois. Or, une loi a bel et bien été votée sur le sujet mais, de fait, elle n’est pas appliquée.

Nous intervenons dans les écoles avec nos jeunes ambassadeurs des droits de l’enfant et de la lutte contre les discriminations (JADE). Ces jeunes en service civique ont un âge compris entre 16 et 24 ans et se rendent dans les écoles pour parler de la convention internationale des droits de l’enfant. C’est l’occasion d’une libération de la parole. Nous avons été amenés à mettre en place une cellule de traitement destinée aux JADE afin qu’ils sachent dans quel cas un signalement s’avère nécessaire, mais aussi pour les accompagner, car ils entendent des récits particulièrement inquiétants.

Vous nous avez alertés sur le fait que nous sommes peu saisis sur les questions liées au droit des enfants. J’en suis bien consciente. Il s’avère que nous sommes peu saisis directement par des enfants. La question de la connaissance des droits par les enfants s’avère fondamentale pour que le défenseur des droits puisse être saisi. Il faut absolument qu’une telle institution, qui a été créée pour les plus éloignés du droit et pour faciliter l’accès aux droits, soit plus connue du grand public.

Je ne sais pas si le problème de fond réside dans le fait que les droits des enfants s’avèrent insuffisants ou s’il est lié à une non-application de ces droits. D’après la CIDE, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une boussole. Malheureusement, dans les faits, ce sont plutôt les contraintes budgétaires qui orientent les décisions, comme cela a été le cas sur le sujet de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, par exemple.

Sur la question des enfants en danger et de l’accès à un avocat, je laisse la parole à mon adjoint en charge des droits des enfants, qui a un parcours de directeur d’établissement d’éducateurs spécialisés, complémentaire avec les ressources internes de l’institution (magistrats et juges pour enfant).

M. Eric Delemar, défenseur des enfants. Nous serons très vigilants concernant l’application de la loi de protection de l’enfance de février 2022, qui prévoit la possibilité de recourir à un avocat pour les enfants discernants et de nommer un administrateur ad hoc pour les enfants non discernants. Malheureusement, nous manquons cruellement d’administrateurs ad hoc, ceux-ci n’étant pas reconnus tant sur le plan financier que pour leur investissement.

Nous sommes très préoccupés par les enfants en situation de danger. S’occuper des enfants pendant la crise sanitaire n’a pas été sans conséquences psychosociales pour les enfants, qui ont besoin des interactions sociales pour grandir – sans parler de l’accès à la culture et de l’accès aux sports. C’est l’occasion pour moi de manifester la difficulté, pour notre société, de voir comment les politiques auprès des plus vulnérables profitent à tous et sont méconnues. Entre le 17 mars et le 11 mai 2020, 60 000 enfants vivaient dans des maisons d’enfants à caractère social. Ce sont les seuls internats qui ont été maintenus. S’est-on inquiété de la présence de clusters ou d’éventuelles difficultés ? Qui s’occupe de ces enfants aujourd’hui, au vu de la pénurie de postes que nous constatons ? Certains départements sont confrontés à des centaines de mesures d’assistance éducative non mises en œuvre. Concrètement, ces enfants se retrouvent en danger chez eux (violences, difficultés d’apprentissage, abus, etc.). Comment tolérer que des décisions de magistrats ne soient pas mises en œuvre ? Face à de telles situations, le développement de la méfiance des citoyens n’a rien d’étonnant.

L’absence de logements et la précarité de certains logements ont été évoquées. On dit toujours qu’il n’y a jamais d’enfants pauvres et qu’il n’y a que des enfants qui subissent la pauvreté. Bien entendu, ceux qui se trouvent en grande précarité souffrent d’une difficulté d’accès aux droits sectorisés (école, santé). Les défenseurs déplorent régulièrement des saisines dues à la méconnaissance par les mairies du décret de 2020 sur la simplification des documents administratifs permettant d’inscrire les enfants à l’école.

Enfin, la garantie jeune au contrat d’engagement ne doit pas se substituer aux accueils provisoires de jeunes majeurs. La présence d’un éducateur et une vision globale de l’accompagnement de ces enfants s’avèrent essentielles.

Mme Claire Hédon, défenseure des droits. Notre prochain rapport annuel relatif aux enfants sera ciblé sur la vie privée des enfants, avec un focus sur l’impact des réseaux sociaux, les risques de harcèlement et la question d’accès au logement. Il y a urgence à construire massivement des logements très sociaux pour permettre aux familles d’accéder aux logements.

Sur la question des droits des enfants, nous avons des comités d’entente avec le monde associatif qui nous alerte sur les difficultés que peuvent rencontrer les enfants. Je suis bien évidemment préoccupée par la question de la pauvreté des enfants. Notre préoccupation est de permettre à ceux qui sont les plus éloignés du droit d’avoir les moyens de nous saisir. Je me suis autosaisie de la situation observée en Ile-de-France, et particulièrement en Essonne. Des lycéens se retrouvent sans aucune affectation, ce qui signifie que, depuis le 1er septembre, ils ne sont pas scolarisés alors qu’ils ont moins de 16 ans. Pour mémoire, l’obligation de scolarité s’impose à l’enfant – qui doit aller à l’école – mais aussi à l’État – qui est obligé de scolariser l’enfant.

Je reviens à présent sur votre interrogation au sujet des EHPAD, et plus particulièrement sur notre éventuel rôle de contrôle externe indépendant de ces établissements. Je vais être très honnête : on nous ajoute constamment des compétences sans nous ajouter des moyens. Concrètement, nous n’avons pas les moyens d’aller contrôler les EHPAD. Nous avons rendu un rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD et nous continuons à avoir des réclamations de maltraitance, essentiellement dues à un manque de moyens. L’encadrement doit être revu pour atteindre 8 personnels pour 10 résidents – en sachant qu’en Allemagne et que dans les pays du Nord, ce taux est de 10 personnels pour 10 résidents. 8 sur 10, c’est le minimum pour traiter correctement les personnes âgées et respecter leurs droits. Ce constat nous renseigne sur ce que notre société est prête à faire pour les plus vulnérables et à investir sur les personnes âgées.

Une piste visant à former les secrétaires de mairie a été évoquée. Nous constatons que ces secrétaires font déjà une partie du travail, dans les faits. Toutefois, les tâches qui relèvent du service public ne peuvent pas être transférées à cette catégorie de personnel, dont la liste de missions est déjà très vaste.

Abordons à présent l’impact de la dématérialisation. Le rapport de la Cour des comptes met en exergue une réduction trop importante des effectifs, ce qui se traduit par une incapacité à traiter l’ensemble des dossiers. La dématérialisation a permis des économies de postes, mais celles-ci ont été trop massives et trop rapides, ce qui a généré des atteintes aux droits. La décision du Conseil d’État est également très intéressante sur la question des étrangers. En d’autres termes, tant que ceux-ci ne sont pas en capacité de faire des démarches intégralement dématérialisées, il faut prévoir une double entrée (avec un accueil physique).

J’ai bien pris note de votre interpellation sur le sujet corse. L’institution ne peut pas remettre en cause une décision de justice. J’en profite pour vous signaler que nous avons 140 délégués présents dans les lieux de détention.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Votre rapport me semble incomplet sur la partie France services. En page 13, il est spécifié que la dématérialisation des démarches administratives se poursuit. En page 17, vous indiquez que l’existence de France services ne répond pas à la promesse d’améliorer l’accès au service public.

Je souhaite savoir si vous envisagez de mener une étude courant 2023 sur France services afin de mettre en évidence d’éventuelles améliorations ou problématiques. À l’oral, vous laissez entendre que le système s’est traduit par une amélioration, alors que votre approche est plus pessimiste dans le rapport.

Enfin, j’en profite pour saluer Mme Pau-Langevin pour le travail réalisé au sein de votre institution.

Mme Edwige Diaz (RN). Je souhaite vous interroger sur votre rapport à la police, police qui a le sentiment que vous vous acharnez sur elle. Je pense à la lugubre affaire Théo, pour laquelle vous avez demandé des poursuites disciplinaires contre les policiers. Plus tard, vous vous êtes autosaisie de trois dossiers concernant l’usage d’armes à feu par des policiers qui ont été confrontés à des refus d’obtempérer. Cette autosaisie avait vocation à demander l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre des policiers auteurs des tirs. Puis, le fait le plus marquant réside dans votre déclaration visant à envisager d’expérimenter l’arrêt du contrôle d’identité, au motif que, dans certains quartiers, pour certains jeunes, cela devient insupportable.

Cette déclaration, qui a été qualifiée par Emmanuel Macron d’idée « qui a franchi les limites de l’imbécillité », a excédé les syndicats de police, qui ont estimé, à juste titre, qu’une telle mesure risquerait de créer des zones de non-droit et d’abandonner un peu plus des quartiers déjà défavorisés. Par toutes ces déclarations, vous avez pu donner l’impression qu’en tant que défenseure des droits, censée défendre la République, vous vous êtes plus rangée du côté des délinquants.

C’est un sentiment qui s’est vu renforcé lorsque vous avez indiqué qu’il y avait un véritable problème de confiance de la population dans sa police. Or, selon un sondage CSA publié récemment, 84 % des Français affirment avoir confiance dans la police.

Et vous, madame la défenseure des droits, avez-vous confiance dans la police ?

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Je constate avec satisfaction que vous vous êtes saisie de la question des lycéens sans affectation dans l’Essonne.

Sur la question des amendes, dans votre rapport, vous prenez l’exemple d’une étudiante étrangère qui a reçu une amende de 1 000 euros après avoir été contrôlée quatre fois par la police. Plus largement, constatez-vous une forme de discrimination vis-à-vis des amendes contraventionnelles ?

Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) prévoit la mise en place d’amendes forfaitaires délictuelles, ce qui se traduirait par un passage de 11 amendes de ce type à plus de 3 400. Une telle approche revient à remettre le jugement d’un délit (qui doit faire l’objet d’un jugement et qui demande une individualisation des peines) entre les mains des policiers et des gendarmes. Que pensez-vous de ce passage des délits vers les amendes délictuelles ? Je souhaiterais également que vous soyez auditionnée dans le cadre de l’examen de ce projet de loi.

M. le président Sacha Houlié. Le rapporteur a justement invité Mme Hédon à se prononcer dans le cadre des auditions. Le Sénat est d’ailleurs en train de réécrire cette partie du texte en commission au cours de la semaine.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Dans votre rapport, vous avez pointé les conséquences pénalisantes de la transformation numérique accélérée des services publics pour plus de 10 millions d’usagers. Cette réalité, nous la ressentons. Dans mon département, un grand nombre de dossiers de réclamations déposés auprès du délégué territorial concerne la difficulté des usagers pour effectuer leurs démarches en ligne. On parle aussi beaucoup d’illectronisme. Cela est vécu comme une véritable exclusion et tous les publics peuvent être concernés. Les plus fragilisés subissent une double peine : privation d’un égal accès aux services publics et sentiment de déclassement.

Malgré une prise de conscience des pouvoirs publics et l’intervention des maisons France services, rien ne semble arrêter cette course folle à la dématérialisation qui justifie la fermeture de guichets institutionnels et la réduction d’agents.

Si nous savons que la révolution numérique actuelle nous échappe, elle nécessiterait pourtant un effort national d’accompagnement afin de garantir un accès au droit à tous les citoyens.

Les remontées du terrain témoignent d’améliorations, mais les démarches restent trop complexes, mouvantes, et totalement dématérialisées pour certaines d’entre elles. Et que dire de la généralisation de l’automatisation dite « intelligente » ? Qu’en est-il du citoyen dans tout cela ?

Madame la défenseure, dans quelle mesure vos recommandations en faveur d’un accès alternatif au numérique sont-elles prises en compte par l’État ?

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Vous avez raison de rappeler, Madame la défenseure des droits, que le législateur a aussi un devoir de surveillance de l’application de la loi et de ses éventuelles dérives.

Récemment, nous avons beaucoup parlé de la loi contre le séparatisme et du contrat d’engagement républicain. Nous sommes un certain nombre à avoir dénoncé les dérives potentielles qui pouvaient en découler. Il y a quinze jours, à Poitiers, un préfet a affirmé qu’un atelier de désobéissance civile était un acte qui rentrait dans le cadre de ce qui empêchait de considérer comme républicaine l’activité de réseau associatif qui promeut la lutte pour la préservation du climat et de l’environnement, à savoir Alternatiba.

Cette interprétation du préfet remet en question de nombreux éléments. Celui-ci demande aux élus de supprimer les subventions versées à cette association. Cela remet en question la liberté d’association, mais aussi la liberté d’expression et même la notion de désobéissance civile, qui est ancienne, documentée et non violente. Enfin, cela raisonne difficilement avec toutes les répressions exercées sur nombre de militantes et de militants. Les outils juridiques sont désormais utilisés contre celles et ceux qui essaient simplement de faire respecter le droit. Nous en arrivons à devoir nous justifier d’être antiracistes, d’être pour des droits égaux entre les hommes et les femmes ou de lutter pour le droit à l’environnement.

Il serait souhaitable que votre institution soit dotée de moyens coercitifs afin d’aider le législateur à faire évoluer la loi correctement, sur tous les territoires.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Le programme JADE est déployé par votre institution depuis quinze ans, en vue de sensibiliser les enfants à leurs droits grâce à l’intervention de jeunes de 16 à 25 ans. Le rapport annuel de votre autorité fait état d’une sensibilisation de 50 000 enfants à leurs droits en 2021-2022. Aujourd'hui, 100 jeunes ambassadeurs sont présents sur le territoire, dans 23 départements et 2 métropoles (dont la métropole de Lyon).

Que va devenir cette action ? Ces jeunes seront-ils déployés sur la totalité des départements ? À quelle échéance ? Quelle est la formation suivie par les JADE en amont de leur déploiement sur le terrain ? Comment adaptent-ils leurs interventions entre les élèves de primaire, collège et lycée et au sein des institutions spécialisées ?

Dans ma circonscription se trouve l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu, au sein duquel des JADE se sont rendus l’année dernière. Quelles actions de sensibilisation les JADE prodiguent-ils aux mineurs délinquants ? Ont-ils des modules de formation spécialisés pour ce type d’intervention ?

Plus largement, quels sont les retours des jeunes et des enseignants sensibilisés par les JADE ? Un suivi est-il réalisé à la suite des actions de sensibilisation menées ?

Enfin, votre rapport met en lumière le fait que ces actions mènent parfois à une libération de la parole des enfants sensibilisés et à une procédure dite de « paroles inquiétantes ». Comment vous en saisissez-vous précisément ?

M. Timothée Houssin (RN). Vous avez publié, en février 2022, un rapport sur les mineurs non accompagnés (MNA) au regard du droit. Ce document présente le parcours qui permet de prendre en charge la protection de ces migrants présumés mineurs – appelés autrefois mineurs isolés étrangers. Malheureusement, dans ce rapport de 130 pages, vous éludez le point capital que constitue la fraude massive à ce statut de mineurs non accompagnés. Il est de notoriété publique qu’une grande majorité d’entre eux sont en fait majeurs. Cette fraude est documentée et chiffrée par nos institutions. Nous disposons d’un rapport du Sénat, datant de 2017, qui estime que 70 % des mineurs non accompagnés seraient en réalité majeurs. Un rapport de l’Assemblée nationale de 2021 estime même qu’ils sont 90 %. On sait que ces faux mineurs représentent une majorité des 23 000 MNA, que leur prise en charge coûte 50 000 euros par an aux contribuables français, que les centres d’accueil sont saturés par des majeurs – ce qui nuit à la sécurité des vrais mineurs – et que de très nombreux faux mineurs étrangers sont condamnés par nos tribunaux. Cette fraude devient une véritable filière d’immigration clandestine.

Pourquoi fermer les yeux sur une telle situation ? Pourquoi cette fraude massive est-elle éludée des rapports ? Quelles mesures préconisez-vous pour lutter contre cette fraude puisqu’il s’agit d’une usurpation des droits dont vous êtes la défenseure ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Aujourd’hui, tous ceux qui fréquentent ou contactent les institutions et services publics de notre pays se rendent compte du chaos dans lequel se trouvent des institutions à caractère social comme le centre communal d’action sociale (CCAS), les associations de parents d’enfants inadaptés (APEI), etc. Les institutions sont victimes d’un déficit organisé des moyens humains. Les accès aux droits sont rendus inopérants par des parcours numériques sous-organisés et des délais de traitement surréalistes.

Dans ce contexte, le droit des enfants mineurs non accompagnés subit une triple peine. Je ne souhaite pas entrer dans les propos de mon collègue qui relèvent d’une incroyable paranoïa. Nous constatons une discrimination au niveau du parcours administratif au moment de l’entrée des jeunes dans les centres, une absence de continuité dans les dispositifs lorsque le mineur atteint la majorité et une problématique de formalités numériques, inaccessibles, avec des délais très longs, ce qui contribue à projeter le jeune majeur dans une zone de non-droit.

Quels dispositifs proposez-vous pour assurer une permanence du service public et de la protection des droits ?

Mme Claire Hédon, défenseure des droits. Sur la question des espaces France services, notre rôle n’est pas d’évaluer l’ensemble de ces espaces, même si je suis convaincue qu’il faudrait le faire. Cela demande toutefois d’importants moyens. Ma fonction me permet d’observer ce qui va mal, mais plus difficilement de percevoir ce qui va bien. Toutefois, nos délégués témoignent de l’existence de réelles avancées dans certains espaces France services. La situation dépend du service public concerné – et pas seulement de l’espace France services.

S’agissant du projet de LOPMI, nous avons accepté d’être auditionnés et nous rendrons un avis dès demain au Sénat, dans lequel nous exprimerons nos inquiétudes sur les amendes forfaitaires délictuelles (AFD) et le recours au juge.

Je reviens sur la police : l’enjeu de confiance et d’exemplarité s’avère essentiel. À aucun moment, je ne mets en cause l’ensemble de la police. Je condamne toutefois certains comportements inadmissibles. Sur l’affaire Théo, des poursuites ont été engagées par le ministère de l’Intérieur. S’agissant des autosaisines sur les refus d’obtempérer, nous intervenons dans le cadre de notre rôle de contrôle externe des forces de sécurité. L’enquête menée par nos services n’a pas encore démarré et je ne commente jamais une affaire en cours. Nous souhaitons étudier les conditions dans lesquelles l’usage d’une arme ou de plusieurs armes a été fait et nous nous intéressons également à la formation des policiers. Vous devriez considérer que l’existence d’une autorité indépendante comme la nôtre s’avère intéressante, car elle permet de poser des questions sur l’organisation et l’encadrement. J’insiste sur le fait que la confiance dans la police passe par l’exemplarité.

Je m’attendais à une question sur les contrôles d’identité. En France, nous ne sommes pas en mesure de quantifier le nombre de contrôles d’identité menés chaque année. En Grande-Bretagne, de tels contrôles n’existent pas, puisqu’il n’y a pas de pièces d’identité. Et pourtant, la Grande-Bretagne n’est pas une zone de non-droit ; bien heureusement, des contrôles y sont opérés. La police pratique le « stop and search » : des personnes sont arrêtées dans la rue et la police leur pose un certain nombre de questions, avec possibilité de les fouiller. 780 000 « stop and search » ont été enregistrés en 2021, en sachant qu’il s’agissait d’une année exceptionnelle (autour de 550 000 contrôles annuels habituellement). Je demande une meilleure traçabilité en France. La Cour des comptes a été saisie sur cette question : combien y a-t-il de contrôles ? Pour quelle efficacité ? L’existence des contrôles d’identité discriminatoires est réelle et a été reconnue par le juge. Pour les évaluer, une meilleure traçabilité s’avère nécessaire. J’ai bien conscience du blocage de la police sur ces questions. Pour progresser, une expérimentation visant à contrôler les moyens de traçabilité et à les mesurer mériterait d’être mise en œuvre, au moyen d’un enregistrement sur tablette ou d’une caméra-piéton par exemple.

Je tiens à revenir sur les questions de dématérialisation. Certaines personnes se sentent exclues à cause de ces changements. Elles étaient autonomes avec les administrations jusqu’alors, mais elles ne le sont plus depuis la dématérialisation. Ce problème ne concerne pas uniquement les personnes âgées. Les 90 000 jeunes qui sortent sans classification du système scolaire font le lit de l’illettrisme et des difficultés à utiliser les outils informatiques.

Dans nos préconisations sur la dématérialisation, il faut également réfléchir à un droit à la connexion. Par ailleurs, une connexion à internet ne s’avère pas suffisante pour accéder aux services : il faut avoir un ordinateur et une imprimante et il faut savoir s’en servir. Pour moi, la seule solution est de conserver deux canaux d’entrée : un dématérialisé et un matérialisé.

Vous avez évoqué le cas de Poitiers et nous avions rendu un avis sur la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Le conseil municipal a revoté les subventions et nous serons attentifs aux suites qui y seront données, au titre du respect du droit et des libertés.

Je vous remercie d’avoir posé une question sur nos JADE. Ils ont permis de former 50 000 enfants au droit de la CIDE. Les JADE bénéficient actuellement d’une formation sur trois semaines et nous les formerons une deuxième fois en janvier pendant deux semaines. C’est une grande chance pour eux d’être formés par les juristes de notre siège, qui sont de grande qualité. S’agissant de l’intervention des JADE en EPM, nous envisageons d’organiser des expérimentations ciblées pour déterminer comment ils pourraient intervenir. Lorsque les JADE font remonter des paroles inquiétantes, nous saisissons le procureur si cela s’avère nécessaire.

Concernant les mineurs non accompagnés, je tiens à vous redire que notre curseur, c’est le respect des droits des personnes. Pour ces mineurs, nous sommes frappés par des atteintes aux droits à plusieurs moments : lors de l’arrivée du jeune et son évaluation, lors de sa prise en charge tout au long du parcours, et lors de sa sortie.

Ce curseur du respect du droit pour tous est un fondement indispensable. Cette question ne doit pas monter les populations les unes contre les autres. Le respect des droits de l’enfant doit primer. Les atteintes aux droits, qu’elles concernent les personnes âgées ou les MNA, continueront à me préoccuper autant et je continuerai à prendre la parole sur ces sujets.

Sabrina Agresti-Roubache (RE). Dans un communiqué de presse du 23 septembre, vous saluez les conclusions du rapport CIIVISE sur la protection de l’enfance dans le cadre d’affaires d’inceste et de violences sexuelles. L’un des axes-clés de ce rapport est le traitement judiciaire des violences sexuelles, en particulier dans le domaine cyber. Quels sont, d’après vous, les leviers que le législateur peut actionner afin de renforcer, en amont, la protection des enfants en ligne et, en aval, le traitement judiciaire des affaires de violences sexuelles ?

M. Jordan Guitton (RN). Plus de 20 millions de nos compatriotes résident dans la ruralité et souffrent parfois d’un accès difficile aux services publics. Les fermetures des lignes de transport et les suppressions de maternités, d’établissements scolaires et d’établissements hospitaliers isolent de plus en plus nos territoires ruraux.

De surcroît, l’inflation, qui concerne notamment les prix du carburant, touche fortement les habitants des zones rurales. Il s’avère nécessaire de protéger l’égal accès de tous les Français au service public. Nous le savons, le numérique permet d’atténuer les disparités d’accès au service public, mais encore faut-il pouvoir l’utiliser. Si des efforts ont été effectués dans ce sens, ils s’avèrent encore insuffisants. À cela s’ajoute parfois l’absence de maîtrise de l’informatique, qui crée une rupture d’égalité devant le service public.

Prenons l’exemple des maisons France services qui viennent compenser la fermeture au public des préfectures et la dématérialisation de l’action de l’État. Elles répondent à un besoin réel, mais restent encore inaccessibles pour certaines populations sans mobilité, notamment dans la ruralité.

L’accès aux soins est également inégalitaire en France. Selon une étude de l’association des maires ruraux du 30 septembre 2022, il manquerait encore plus de 6 000 médecins au sein de la ruralité. Beaucoup de collectivités territoriales ouvrent des maisons de santé.

Quel rôle allez-vous jouer pour que les discriminations géographiques soient résolues ? Il est primordial d’assurer aujourd'hui de manière efficace les services publics dans tous nos territoires et de défendre l’égalité d’accès au service public afin de renforcer notre cohésion territoriale. Quelle place prend la ruralité dans la défense des droits des usagers des services publics, dès lors que le droit à y accéder reste fondamental ? Quelles actions comptez-vous mettre en œuvre afin de défendre l’égalité d’accès au service public ? Quelle vision du droit au service public dans la ruralité envisagez-vous ? Il ne faut pas oublier que ces personnes paient elles aussi des impôts, sans avoir l’impression d’en recevoir un juste retour. Quel est le résultat de votre action pour limiter les fermetures de guichets dans les gares, notamment pour les petites lignes de TER (page 71 de votre rapport) ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Vous avez évoqué à plusieurs reprises votre manque de moyens. Pouvez-vous dresser la liste des moyens supplémentaires qui vous seraient nécessaires pour mener à bien votre action ? Nous avons besoin de visibilité sur vos perspectives budgétaires. Je vous rappelle que nous sommes actuellement en pleine discussion sur le projet de loi de finances. Cela pourrait être intéressant que tous les parlementaires présents puissent argumenter en votre faveur lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023.

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). En 2017, le Gouvernement lançait le programme action publique 2022 visant à adapter les services publics aux transformations profondes qui bouleversent notre société. Cela s’accompagne notamment d’un processus de numérisation, avec un objectif initial de 100 % des services publics dématérialisés à l’horizon 2022.

 Cette digitalisation concertée s’est accompagnée d’une dématérialisation beaucoup plus contrainte avec la crise sanitaire et les périodes de confinement. Si cette crise a été un formidable vecteur de transformation numérique, elle a aussi rappelé les inégalités existantes en la matière. Pour y faire face, le Gouvernement a massivement investi, afin que chacun puisse s’emparer des outils mis à disposition, en développant le très haut débit pour tous, en mettant en place plus de 2 300 maisons France services partout en France et en recrutant 4 000 conseillers numériques.

Ces efforts portent leurs fruits et font progressivement reculer l’illectronisme dans notre pays. Le nombre de conseillers numériques devrait d’ailleurs passer à 8 000 d’ici à la fin du quinquennat. Mais la route est encore longue et un grand nombre de nos concitoyens rencontrent toujours des difficultés pour accéder aux services publics sur internet.

En 2021, selon une étude de l’Insee, un tiers des adultes avait renoncé à effectuer une démarche administrative en ligne – vous avez d’ailleurs mis en lumière ces difficultés persistantes dans votre rapport de février 2022.

Dans le Loir-et-Cher, on dénombre 19 maisons labellisées France service, mais une seule est itinérante. Or de nombreuses personnes sont dans l’incapacité de se déplacer ou ont beaucoup de difficultés à le faire.

Les aides itinérantes ne devraient-elles pas être une priorité, afin de faire venir les services publics au plus près de tous ? Quels doivent être, selon vous, les chantiers prioritaires du Gouvernement sur ces questions ?

M. Yoann Gillet (RN). Tant les conventions internationales ratifiées que la Constitution garantissent le droit à l’éducation, qui implique la mise en place de mesures appropriées aux besoins des élèves en situation de handicap. À cet égard, l’État doit se donner les moyens de construire un milieu scolaire inclusif et d’assurer une scolarisation adaptée et effective. Pour cela, il faut des moyens financiers et humains dignes de ce nom.

Or, un manque de moyens financiers est à déplorer, ce qui a pour conséquence un manque de moyens humains. Plus particulièrement, nous manquons d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), dont le statut est, par ailleurs, très précaire.

En 2021, 20 % des saisines dont vous faisiez l’objet étaient relatives aux difficultés d’accès à l’éducation d’enfants en situation de handicap. La plupart de ces saisines portent sur leur accompagnement en milieu scolaire. Votre rapport d’activité 2021 confirme d’ailleurs cette préoccupation.

Les exemples de parents contraints de réduire, voire d’arrêter leur activité professionnelle sont nombreux, car leur enfant n’est pas accompagné par un AESH. Il n’est d’ailleurs pas rare, pour des familles, d’attendre plus de deux ans avant d’obtenir un AESH. Au-delà de ces constats, il faut souligner la réponse partielle qui est donnée aux besoins des enfants accompagnés. En raison d’un nombre d’heures trop limité, les parents s’inquiètent, à juste titre, d’un parcours scolaire inadapté et non optimal. Le nombre d’accompagnants doit être augmenté, leur statut doit être revalorisé et consolidé, l’appui de la solidarité nationale aux aidants doit être revalorisé, les pôles inclusifs d’accompagnement localisés doivent être réorganisés pour améliorer la prise en charge des élèves, et de nouvelles unités localisées pour l’inclusion scolaire doivent être créées.

Je viens d’énumérer des points urgents ; vous rappelez vous-mêmes un certain nombre de besoins à travers vos recommandations – notamment celles publiées dans votre rapport.

Comment, en votre qualité de défenseure des droits, suivez-vous les avancées et les actions concrètes du Gouvernement ? Quel sont les progrès obtenus concernant l’instauration d’une école inclusive et sans discrimination par rapport aux années précédentes ? Quels moyens engagez-vous concrètement pour le confirmer et le surveiller ?

M. Jean Terlier (RE). Sur la question des mineurs délinquants, il y a près d’un an, nous avons voté le code de justice pénale des mineurs, en souhaitant maintenir les grands principes inhérents à l’ordonnance de 1945 (modifiée à de multiples reprises), et notamment la primauté de l’éducatif sur le répressif, ainsi que le maintien d’une justice spécialisée. Je sais que les mineurs délinquants entrent dans le spectre de vos attributions, comme en témoigne votre présence dans les établissements pénitentiaires pour mineurs. Dans le cadre de la commission des lois, des auditions ont d’ailleurs été organisées sur la question de l’application du non-discernement aux mineurs de moins de 13 ans et sur la problématique de ces mineurs, trop souvent prévenus dans les établissements pénitentiaires pour mineurs. La réforme du code de justice pénale des mineurs devrait permettre de réduire les délais de jugement des mineurs sur la question de leur culpabilité et ainsi remédier à la situation problématique des mineurs non définitivement condamnés.

Je souhaite savoir si, du côté de votre institution, vous disposez d’une évaluation faisant suite à la mise en place du code de justice pénale des mineurs.

Dans le cadre de la mission d’information confiée à la commission des lois sur les modalités de mise en place de ce code, nous vous auditionnerons bien volontiers.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Je souhaite évoquer le déploiement du numérique et la dématérialisation. Vous allez être amenée à rendre un avis sur le projet de LOPMI. Je tiens à attirer votre attention sur son article 6, qui prévoit la possibilité de porter plainte en ligne et d’être entendu par visioconférence. Vous avez vous-même souligné qu’aujourd’hui, la rupture numérique crée des atteintes aux droits et des exclusions, dans un pays où 24 % des personnes estiment qu’elles sont peu ou pas compétentes pour effectuer des démarches en ligne – et ce taux atteint 25 % chez les 18-24 ans.

Derrière une telle mesure, n’existe-t-il pas un risque de voir encore baisser le nombre de plaintes, pour des questions d’économies ? L’accès au numérique et à la dématérialisation peut se justifier dans le cadre d’un service public d’intérêt général qui répond au bien du plus grand nombre, mais ce n’est pas le cas à l’heure actuelle.

J’aimerais savoir si vous disposez d’ores et déjà de retours sur les pré-plaintes, avec des personnes qui renonceraient à leur accès au droit du fait de leurs difficultés vis-à-vis du numérique. Quel est votre ressenti face à cette numérisation à tout va, dans un contexte où une population de plus en plus importante n’a pas accès au numérique et se trouve, de ce fait, privée de l’accès au droit ?

Mme Claire Hédon, défenseure des droits. Ma fonction m’amène effectivement à être très présente à l’Assemblée nationale et au Sénat, car je suis conviée à de nombreuses auditions (44 auditions en un an). Une audition est bel et bien prévue le 19 ou le 20 octobre, dans le cadre de la préparation de l’examen de la LOPMI.

J’ai déjà évoqué la CIIVISE : le travail qui permet la libération de la parole s’avère essentiel. Nous assistons à une prise de conscience de la société sur ces violences, ce qui me paraît très important et devrait permettre d’avancer.

Je note vos inquiétudes – qui sont également les miennes – vis-à-vis des difficultés d’accès au service public. Je pense que vous observez ces difficultés dans vos permanences. Comme nous, vous êtes vraisemblablement confrontés à des réclamations. Force est de constater que ce qui s’observe dans la ruralité s’observe également dans les quartiers prioritaires de la ville. Nos délégués territoriaux sont présents sur le terrain. Je pense qu’ils ne sont pas suffisamment connus, mais ils peuvent bel et bien être saisis. Je suis inquiète, comme vous, des difficultés plus générales d’accès à l’ensemble des services publics (administration, santé, etc.). S’agissant des guichets dans les gares, au vu des réclamations que nous enregistrons, nous observons que les guichets continuent à fermer. Les personnes de plus de 80 ans qui n’ont pas de smartphone sont systématiquement verbalisées (amende de 50 euros, alors que le trajet coûte 3,5 euros), par exemple parce qu’aucun moyen « physique » n’est mis à leur disposition pour acheter un billet (guichet, automate).

S’agissant des conseillers numériques et des bus itinérants, nous observons que certains France services sont disponibles en bus itinérants. Ce dispositif mériterait d’être développé. Comme vous, nous constatons que des personnes renoncent à leurs démarches car elles ne parviennent pas à les mener à bien de manière dématérialisée.

Sur la question du handicap et de l’accueil des personnes handicapées à l’école, vous avez évoqué le rapport que nous avons rendu sur le sujet à la fin du mois d’août. Nous constatons un manque de moyens humains et des AESH qui ne travaillent pas à plein temps, ce qui n’en fait pas des métiers attractifs. Nous recommandons d’ailleurs de proposer ces postes à plein temps : au-delà du temps de présence scolaire, les assistants consacrent une partie de leur temps aux échanges avec les enseignants et les familles.

Dans notre rapport, nous mettons en évidence l’importance de la formation des enseignants à la question de l’accueil des enfants en situation de handicap. Nous y citons des exemples d’enseignants qui se sont adaptés à l’enfant en situation de handicap, ce qui a bénéficié à l’ensemble de la classe. Il s’avère indispensable que le Gouvernement publie des chiffres sur le nombre d’heures de scolarité des enfants en situation de handicap, comme nous le demandons dans nos recommandations.

S’agissant des mineurs délinquants, nous avons eu écho d’effets dans les établissements pénitentiaires, avec une légère diminution du nombre de prévenus mineurs. Lors de mes premières visites dans les EPM, j’ai été étonnée de l’absence d’étude en France sur l’évolution des enfants qui sont passés en détention – et notamment sur l’impact de cette expérience sur leur parcours de vie, sur l’accès à l’éducation, au logement, au travail, etc. Nous travaillons avec le ministère de la Justice afin qu’une étude d’ampleur soit menée dans ce domaine.

Je vous propose d’aborder à présent la question de nos moyens financiers. Nous disposons d’un budget de 26 millions d'euros environ, en sachant que nous avons 250 agents et 550 délégués territoriaux bénévoles (percevant une indemnité). Nous avons bénéficié d’une augmentation de nos moyens au moment du lancement de la plateforme anti-discriminations, mais celle-ci s’est avérée insuffisante. Les réclamations que nous enregistrons ont augmenté en 2021 et cette tendance semble se confirmer. Nous avons besoin de plus de moyens pour les traiter. Nous devons également nous faire connaître et aller vers la population. L’institution du défenseur des droits est un élément indispensable pour la démocratie. Elle rend service à l’État et crée de la cohésion sociale en rétablissant les personnes dans leurs droits. Nous devons être mieux connus et davantage saisis, et plus particulièrement davantage saisis par les enfants.

M. Philippe Gosselin (LR). Les personnes d’un certain âge sont confrontées à un problème d’accessibilité, mais cette problématique semble plus large. En particulier, les difficultés d’accès aux papiers d’identité (carte nationale d’identité, passeport) méritent d’être évoquées. Certains concitoyens attendent leurs papiers d’identité depuis plusieurs semaines, voire des mois. La situation ne s’améliore pas et s’avère désespérante. Avez-vous été saisis sur ces questions ? Comment pouvez-vous agir pour faire progresser la situation ?

Mme Claire Hédon, défenseure des droits. Je vous remercie pour votre question : « que pouvez-vous faire ? ». Nous formulons des recommandations et il conviendrait de se tourner vers le Gouvernement et vers le Parlement pour leur demander ce qu’ils peuvent faire pour que ces recommandations soient appliquées.

Cette situation témoigne du fait que nous sommes tous confrontés aux difficultés d’accès au service public, ce qui s’avère délétère vis-à-vis de l’image des services publics et des agents. Il s’avère que les agents sont eux-mêmes en difficulté pour assurer leur mission car ils ne sont pas suffisamment nombreux. Nous observons des réductions d’effectifs massives à l’origine de ces difficultés d’accès au service public. Je ne mets pas en cause les agents du service public, qui font un travail remarquable et qui sont eux-mêmes « usés ».

L’institution est bel et bien saisie sur les problématiques de délivrance et de délais pour les cartes d’identité, les passeports, les cartes grises et les permis à point. Cela montre bien que tout le monde est concerné. Plusieurs mois sont nécessaires pour obtenir une nouvelle carte d’identité.

Je peux vous donner l’exemple d’une femme de 82 ans d’origine étrangère, en France depuis 50 ans, qui demande un renouvellement de carte de séjour. Elle ne l’a pas reçue à temps pour aller en Algérie voir son fils rendre son dernier soupir, et n’a même pas pu assister à son enterrement.

 

Quel message véhiculons-nous à la société ? Il y a urgence à maintenir l’accueil dans nos services publics et à déployer un nombre suffisant d’agents.

M. le président Sacha Houlié. Je vous remercie.

 

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La séance est levée à 19 heures 10.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Jordan Guitton, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, Mme Marie Lebec, M. Benjamin Lucas, M. Thomas Ménagé, M. Philippe Pradal, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Béatrice Roullaud, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - M. Romain Baubry, M. Éric Ciotti, Mme Edwige Diaz, M. Philippe Dunoyer, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, Mme Julie Lechanteux, M. Ludovic Mendes, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Stéphane Rambaud, M. Davy Rimane, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier