Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, sur les crédits des missions « Sécurités » et « Immigration, asile et intégration »                            2             

 

 

 

 

 

 


Mardi
18 octobre 2022

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 5

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Sacha Houlié,
Président


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La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, sur les crédits des missions « Sécurités » et « Immigration, asile et intégration ».

M. le président Sacha Houlié. Nous abordons l’examen pour avis des missions relevant du ministère de l’intérieur et des outre-mer en présence du ministre Gérald Darmanin. Après qu’il nous aura présenté les grandes lignes de ses budgets, nous engagerons la discussion des missions Sécurités et Immigration, asile et intégration.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Les crédits budgétaires que je vous présente ont vocation à augmenter les moyens nécessaires au fonctionnement du ministère de l’intérieur, dont j’ai l’honneur de commander les femmes et les hommes courageux.

Sous le quinquennat précédent, 10 milliards d’euros avaient été octroyés au ministère de l’intérieur ; en 2023, la marche budgétaire que forment le projet de budget et le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP), donne une traduction concrète à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), adoptée cet après-midi au Sénat par une très large majorité.

La mission Sécurités prend en charge la stratégie du doublement de la présence des forces de l’ordre sur l’espace public. Nous vous demandons la création de 8 500 emplois au ministère de l’intérieur, dont 3 818 équivalents temps plein (ETP) au titre de 2023. Les re-créations de postes de policiers et de gendarmes sont prévues pour intervenir au cours des deux premières années budgétaires, de sorte que nous soyons prêts à recevoir la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques en 2024.

La police et la gendarmerie nationales seront les bénéficiaires de 95 % de ces créations d’effectifs. Sur ces 2 850 nouveaux ETP, 1 640 seront répartis dans les dix-huit unités de forces mobiles (UFM), dont onze nouvellement créées – sept de gendarmerie mobile et quatre de compagnies républicaines de sécurité (CRS) – et 1 266 seront envoyés dans les circonscriptions de sécurité publique prioritaires, c’est-à-dire là où la délinquance est la plus forte et où le nombre de policiers fait le plus grandement défaut. Les réserves opérationnelles de police et de gendarmerie seront également renforcées, jusqu’à atteindre 50 000 personnes en 2027.

La politique territoriale du ministère s’affirme, en premier lieu, par la re-création, pour la première fois, des effectifs des préfectures – 50 l’année prochaine, un peu moins de 400 au cours du quinquennat. En second lieu, par l’augmentation des crédits de vidéoprotection qui progressent tous les ans de 5 millions d’euros dans le cadre de la Lopmi, et qui viendront abonder le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), bien connu des élus. En troisième lieu, par des moyens, hors personnel, extrêmement élevés : 4 800 nouveaux véhicules seront acquis pour la police nationale et la gendarmerie nationale, après les 13 310 qui sont venus remplacer les sept huitièmes des deux parcs, dans le cadre du plan de relance. Une attention particulière sera accordée à la nouvelle politique d’achat, à hauteur de 250 millions d’euros, des tenues des policiers : elles seront désormais fabriquées en France, dans un tissu français, ce qui n’était pas le cas dans les derniers appels d’offres lancés par le ministère d’intérieur. La première marche du réseau Radio du futur, accepté par le Sénat, sera engagée cette année, à hauteur de 250 millions d’euros – l’appel d’offres a été lancé et le marché signé avec la société Airbus. Trente-six nouveaux hélicoptères viendront équiper la gendarmerie nationale et la sécurité civile.

J’en viens à la cybercriminalité, menace à la fois actuelle et pour demain. En 2021, les forces de l’ordre ont enregistré 260 000 procédures judiciaires liées à la cybercriminalité, soit une progression de 20 %. Plus de la moitié des escroqueries sont le fait de cyberattaquants ; elles touchent sans distinction nos concitoyens et les entreprises.

Le budget pour 2023 prévoit la création de cyberpatrouilleurs, en augmentation de 50 %, la mise en place du numéro d’urgence « 17 cyber », en attendant le vote de la Lopmi pour engager d’autres volets de notre politique de lutte contre la cybercriminalité. Celle-ci ne se substitue pas à la présence sur la voie publique ou sur le terrain, elle la complète.

Les investissements très importants pour la modernisation des services numériques du ministère de l’intérieur se poursuivent. En 2023, 700 millions sont consacrés au seul numérique du ministère, à la fois pour renforcer Pharos et la plateforme Thésée, lancée en mars dernier et dédiée à la lutte contre les e-escroqueries ; mettre en œuvre la plainte en ligne – la visio-plainte –, que la Lopmi autorise ; développer l’application « Ma Sécurité » et le portail de signalement des violences conjugales, lancé par la Première ministre.

Les outre-mer, puisque j’en suis le ministre, bénéficieront d’un effort sans précédent, avec une forte progression des effectifs et des moyens budgétaires. Pour Mayotte, l’effort prend la forme du plan Shikandra 2, sur lequel je travaille à la suite de ma visite sur ce territoire. Pour la Guyane, il s’agit du renforcement des effectifs que j’ai annoncé lorsque je m’y suis rendu, de l’opération Harpie, qu’il convient sans doute de revoir de fond en comble, ainsi que la re-création des brigades de recherche de gendarmerie de Saint-Laurent-du-Maroni et des antennes de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) à Cayenne. Je ne vais pas détailler toutes les annonces pour chaque territoire d’outre-mer, mais je voulais faire un zoom particulier sur Mayotte et la Guyane.

Nous préparons activement la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques de 2024. Les marches budgétaires, en termes de création d’effectifs comme en moyens budgétaires, sont très importantes – déjà 200 millions s’ajoutent aux moyens budgétaires et matériels évoqués pour les JO.

Le programme Immigration et asile enregistre une progression de plus de 18 % de ses crédits. Cela couvre la création de 2 200 places supplémentaires en centres de rétention administrative (CRA), un chiffre jamais atteint jusqu’à présent. Le prochain débat sur le projet de loi « immigration » sera l’occasion d’évoquer l’éloignement des étrangers en situation irrégulière pour motif d’ordre public – 3 000 ont déjà été expulsés depuis un an. Nous nous mobilisons pour que la loi qui nous permettra demain d’être plus efficaces soit au rendez-vous budgétaire des années 2023 et 2024. Au passage, je souligne que les services des préfectures ont refusé de délivrer ou renouveler 70 000 titres en un an et demi, en raison d’une inscription au casier judiciaire, ce qui n’était pas le cas avant 2020. Les agents de préfecture, en lien avec la police et la gendarmerie nationale, disposent désormais des moyens qui le leur permettent.

En matière d’accueil des demandeurs d’asile et d’examen de leur situation, les délais de traitement ont pu être améliorés grâce aux efforts budgétaires que vous nous avez consentis au cours des deux dernières années. En 2020, 200 emplois supplémentaires ont ainsi permis de réduire les délais de décision : 170 000 décisions ont été prononcées en 2020 et en 2021, dans le délai d’instruction de deux mois qui avait été fixé par le Gouvernement –  promesse tenue, donc, alors même que les délais de recours devant la justice administrative rendent les choses fort complexes.

Le délai de traitement des demandes d’asile a un impact direct sur le montant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), dont l’octroi est un peu automatique, si j’ose dire. Pour 2023, nous avons évalué l’ADA à 321 millions d’euros, ce qui ne me paraît pas un mauvais chiffre puisque, sur les 491 millions inscrits en loi de finances 2022, nous en avons consommé 388.

 

Mission Sécurités (M. Thomas Rudigoz et M. Éric Pauget rapporteurs pour avis) :

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis (Sécurité). Le budget que vient de présenter le ministre de l’intérieur s’inscrit dans une trajectoire amorcée dès 2017, qui s’amplifie sans discontinuer depuis la précédente législature. Les crédits de paiement (CP) affectés à la police nationale connaissent ainsi une augmentation de plus de 6 %, atteignant 12,4 milliards d’euros. Ceux de la gendarmerie progressent de la même façon et atteignent près de 10 milliards d’euros. Les budgets de la police et de la gendarmerie présentent donc une hausse cumulée de près de 1,3 milliard d’euros par rapport à 2022 : nous ne pouvons que nous réjouir de la concrétisation, dans le projet de loi de finances pour 2023, des engagements pris par le Président de la République et le ministre de l’intérieur à l’issue du Beauvau de la sécurité.

Ces engagements doivent aussi trouver leur place dans la Lopmi, adoptée en première lecture par le Sénat et que notre commission examinera au début du mois de novembre.

Je n’entrerai pas dans le détail de la répartition des crédits, le ministre en ayant déjà brossé un tableau complet.

Le renforcement de l’ensemble des moyens, qu’il s’agisse de la création de 8 500 postes de policiers et de gendarmes, du développement des outils numériques mis à leur disposition ou de la rénovation et de la construction de nouveaux locaux, est une condition indispensable au bon accomplissement de leurs missions, dont on mesure chaque jour l’importance pour la sécurité de nos compatriotes. Permettez-moi d’avoir une pensée pour nos forces de l’ordre blessées ces derniers mois dans l’exercice de leurs fonctions, face à des délinquants et criminels de plus en plus déterminés.

Je souhaiterais soulever deux points en particulier.

Premièrement, les documents budgétaires font état du recrutement de 1 462 personnes au sein du corps d’encadrement et d’application de la police nationale. Cette hausse correspond-elle majoritairement à l’embauche de nouveaux gardiens de la paix ? Quelle sera la catégorie d’emploi des 5 400 futurs assistants d’enquête dont la Lopmi prévoit la création ?

Deuxièmement, au sein du programme Gendarmerie nationale, le montant des dépenses d’investissement diminue de 8 % par rapport à l’année dernière. Une telle évolution s’explique sans doute par l’achèvement du plan de renouvellement des véhicules de la gendarmerie mobile. Une autre explication pourrait-elle être un effet de décalage sur l’exécution des crédits de paiement dû au calendrier de réalisation des 200 brigades de gendarmerie que vous avez annoncé le mois dernier devant notre commission ?

J’ai choisi, cette année, de consacrer la partie thématique de mon rapport pour avis à l’activité de l’Office anti-stupéfiants (Ofast). La lutte contre le trafic de drogue constitue, monsieur le ministre, l’une de vos priorités. L’Ofast, organe interministériel créé dans le cadre du plan national contre les stupéfiants et placé sous l’autorité de la direction centrale de la police judiciaire, est opérationnel depuis 1er janvier 2020. Après trois ans de fonctionnement en tant que chef de file de la lutte anti-stupéfiants, il m’est apparu nécessaire de faire le bilan de son action.

L’organisation et le fonctionnement de l’Ofast soulignent à quel point la lutte contre les trafics de stupéfiants exige une approche à la fois globale et territoriale. Globale, car il est nécessaire de combiner efficacement l’ensemble des dimensions stratégiques et opérationnelles pour « comprendre », « cibler » et « agir », selon les trois piliers de l’Ofast. Territoriale, car ce sont dix antennes, quatorze détachements et près d’une centaine de cellules départementales du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) qui assurent au quotidien le combat de terrain contre les réseaux de trafiquants de drogue. La finesse de ce maillage territorial et le développement d’actions de coopération européenne et internationale de grande envergure permettent aujourd’hui à l’Ofast de jouer pleinement son rôle de chef d’équipe, en disposant d’une autorité incontestable et reconnue à l’échelle internationale.

Cependant, la hausse du volume des saisies de cannabis, de cocaïne et d’héroïne témoigne autant de la réussite de l’ensemble des acteurs engagés dans cette lutte – police, gendarmerie, douanes, finances publiques, marine nationale – que de l’augmentation de la production et du transit de stupéfiants sur notre territoire.

Cette situation constitue un triple fléau, sanitaire, social et sécuritaire, et les habitants des quartiers les plus défavorisés en sont les premières victimes. Nous avons le devoir collectif de continuer à combattre avec la plus grande vigueur les acteurs de ces trafics, en anéantissant leurs ressources par la fermeture des points de deal, qui génèrent en moyenne 20 000 à 80 000 euros de chiffre d’affaires chaque jour, et à mettre hors d’état de nuire les dealers et les commanditaires.

Je salue ici le dévouement exemplaire et le dynamisme des agents de l’Ofast, notamment de sa directrice Mme Stéphanie Cherbonnier. Bien que dans l’ombre, ces femmes et ces hommes sont le visage de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ils supportent avec courage et détermination les risques physiques auxquels leur mission les expose.

Pour réussir, l’action de l’Ofast suppose également de relever des défis à la fois juridiques, opérationnels et organisationnels.

Le travail de l’Ofast doit se faire en bonne articulation avec celui des directions départementales de la sécurité publique. Il faut tout faire pour empêcher tout conflit de priorité entre le nécessaire travail à long terme de démantèlement des filières et l’urgence quotidienne de fermeture des points de deal dans les quartiers. Il est également indispensable de consacrer des moyens d’action adaptés pour lutter contre tous les trafiquants, notamment ceux, qui, se situant au « milieu du spectre », peuvent aussi bien échapper à l’attention de l’Ofast qu’à celle des policiers de la sécurité publique. Cette exigence apparaît d’autant plus cruciale dans la perspective de la réforme visant à « départementaliser » la police nationale dans le but d’améliorer la synergie entre les différents services de police et d’encore mieux lutter contre cette criminalité organisée.

Il me paraît donc primordial que les forces de sécurité engagées dans la lutte anti-stupéfiants soient renforcées, en moyens et en effectifs, au cours des prochaines années. C’est à cette condition que le combat contre le trafic de drogue finira par être gagné.

M. Éric Pauget, rapporteur pour avis (Sécurité civile). Les crédits du programme Sécurité civile, avec 640,6 millions d’euros, ressortent en hausse de 12,8 % par rapport au précédent exercice. Cette augmentation s’inscrit dans le cadre un peu plus général de la Lopmi et le déblocage de 15 milliards au cours des cinq prochaines années pour le ministère de l’intérieur. Toutefois, en tenant compte de l’inflation, ce budget n’augmente vraiment que de 8,2 %.

Seulement 8 % du budget total de la sécurité civile est à la charge de l’État, l’ensemble, qui représente 7,3 milliards d’euros, étant essentiellement assumé par les départements et les communes, qui financent les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis). La sécurité civile coûte un peu plus de 100 euros par an et par Français ; c’est peu au regard du grand dévouement de nos sapeurs-pompiers et de l’ensemble des personnels de la sécurité civile de notre pays, mais aussi par rapport à ce qui peut être sauvé par leur action.

Pour la seconde partie de mon rapport, j’ai choisi comme thématique la prévention et la lutte contre les feux de forêt.

La stratégie française repose sur deux principes : l’anticipation des risques et une réponse dite du vite et fort, dès le premier départ de feu. Cette doctrine a montré son efficacité puisque l’essentiel des feux est éteint sans avoir atteint 10 hectares. Toutefois, les incendies de l’été dernier ont montré que le risque s’étend désormais à l’ensemble du territoire alors qu’il touchait jusqu’à présent essentiellement le sud du pays. Or tous les Sdis ne disposent pas des mêmes moyens pour y faire face.

S’agissant de la prévention des risques, plusieurs pistes peuvent être envisagées : renforcer les sanctions à l’égard des pyromanes et des incendiaires criminels – j’ai déposé dernièrement une proposition de loi en ce sens ; généraliser les comités communaux de feux de forêt et harmoniser leurs missions, disparates selon les communes et pas forcément connues de tous nos maires ; mieux faire respecter l’obligation légale de débroussaillement – 30 % seulement des foyers concernés respectent cette obligation ; consolider le maillage d’équipements de défense contre les feux de forêt – certains espaces boisés exposés à ce risque n’en sont pas encore dotés ; définir des critères de défendabilité des massifs, qui fixeraient des standards de protection et objectiveraient les besoins en équipements.

Deuxième sujet important, le financement des Sdis est trop souvent ramené à leur coût alors que leur action est à valoriser financièrement. L’Assemblée des départements de France et la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France nous appellent à valider une méthode qu’ils appellent « le calcul de la valeur du sauvé ». Ce calcul permet de valoriser l’action de nos forces de sécurité civile mais aussi de prendre en compte ce que les assurances auraient dû financer si leur action n’avait pas été mise en œuvre.

Avec le changement climatique, la pression sur les Sdis va s’accroître. Il est donc essentiel de renforcer leurs moyens. Je propose de le faire par trois mesures d’ordre fiscal : l’augmentation de la fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance qui est versée par l’État aux départements pour financer les Sdis ; l’exonération du malus écologique qui s’applique désormais à l’ensemble de leurs véhicules ; l’exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), au même titre que l’armée qui ne la paie pas pour ses véhicules. Des marges de manœuvre financières non négligeables pourraient être ainsi dégagées et affectées à la lutte incendie.

Le rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement sur l’évolution du financement des Sdis ne nous a pas encore été transmis. Pourriez-vous néanmoins nous indiquer quelles mesures sont envisagées pour raffermir les capacités d’investissement des Sdis ?

Quel regard portez-vous sur les propositions d’ordre fiscal que je viens d’énoncer ?

Dernier sujet, largement partagé par les différents organismes audités : le besoin d’une gouvernance plus proactive et volontariste des politiques publiques touchant à la sécurité civile, dont le champ s’étend largement au-delà du seul ministère de l’intérieur. Un regroupement des services, aujourd’hui disséminés entre plusieurs ministères – intérieur, transition écologique, Europe et affaires étrangères, défense, santé – au sein d’une délégation interministérielle consacrée à la sécurité civile qui serait placée sous l’autorité du Premier ministre est-elle envisageable ?

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sabrina Agresti-Roubache (RE).  Je salue ici un budget historique. Il est conforme à la trajectoire de la Lopmi, qui prévoit 15 milliards d’euros sur cinq ans. Il augmente de 1,2 milliard par rapport au budget de 2022 et prévoit la création de plus de 3 018 postes, dont 2 874 postes de policiers et gendarmes.

Conformément à l’engagement du Président de la République de réarmer les territoires, la mission budgétaire Administration générale et territoriale de l’État voit les effectifs des préfectures et sous-préfectures augmenter pour la première fois depuis dix ans. Quarante-huit postes viendront renforcer dès 2023 les services à fort enjeu pour le ministère de l’intérieur. De nouvelles sous-préfectures viendront compléter un réseau au sein duquel des espaces France Services continueront à être développés.

L’État a inversé la dynamique de recul des services publics et a renforcé sa présence dans les territoires. Depuis 2018, plus de 2 000 espaces France Services ont été créés dans tous les départements pour permettre aux citoyens d’effectuer leurs démarches de proximité et bénéficier d’un accompagnement physique personnalisé.

L’identité numérique du citoyen, développée depuis 2017, constitue désormais le pivot de nouvelles perspectives au sein du ministère de l’intérieur et des outre-mer et, plus largement, le développement des services à l’usager qui réclame un haut niveau de confiance.

La mission Sécurités concourt aux actions du ministère de l’intérieur et des outre-mer et vise à assurer la sécurité intérieure, prévenir et lutter contre le terrorisme, poursuivre l’effort contre toutes les formes de délinquance, garantir la protection des Français, maintenir les capacités de gestion de crise et intensifier la lutte contre l’insécurité routière. Des moyens inédits en la matière seront déployés.

Un effort de recrutement considérable est prévu en 2023 : 2 874 postes supplémentaires permettront de créer onze unités de forces mobiles afin de sécuriser les grands événements sportifs à venir, ainsi que d’engager l’implantation de 200 nouvelles brigades de gendarmerie.

Des projets numériques structurants portés par la nouvelle Agence du numérique des forces de sécurité, instituée à partir du 1er janvier 2023, permettront de répondre aux prochains enjeux sécuritaires, y compris dans le cadre de l’organisation prochaine, en France, de grands événements.

Les efforts en matière d’immobilier seront poursuivis, avec la réhabilitation des commissariats, des casernes de gendarmerie ou des bases de sécurité civile.

Le doublement de la présence des forces de l’ordre sur le terrain sera notamment assuré par le recrutement de policiers et gendarmes, dans la continuité du plan « 10 000 jeunes », déployé au cours du précédent quinquennat. Entre 2023 et 2027, le ministère de l’intérieur et des outre-mer bénéficiera de 8 500 créations d’emplois. Je l’entends dans ma circonscription, à Marseille, nos concitoyens veulent voir plus de « bleu » dans la rue. Nous répondons à leur demande en déployant ces efforts inédits pour leur sécurité. En prenant le tournant du numérique, en agissant dans la proximité et en prévenant mieux les crises futures, le Gouvernement et la majorité répondent aux défis présents et à venir.

La mission Immigration, asile et intégration porte les crédits de la direction générale des étrangers en France orientés selon trois axes d’action : la gestion des flux migratoires, l’intégration des étrangers en situation régulière, notamment des réfugiés, ainsi que l’accueil et l’examen de la situation des demandeurs d’asile.

Comme l’a rappelé le Président de la République, notre politique est tout à la fois inefficace et inhumaine. Inefficace parce que nous comptons plus d’étrangers en situation irrégulière que nombre de nos voisins. Inhumaine, parce que cette pression fait qu’on les accueille trop souvent mal.

Il nous faut intégrer mieux et plus vite par la langue et par le travail. Parallèlement, nous nous devons d’améliorer l’efficacité des politiques de reconduite à la frontière pour les étrangers en situation illégale. Tel est le sens de ce PLF2023, qui prévoit, en outre-mer, la création de 900 nouvelles places d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (Huda), et, sur le territoire métropolitain, la création de 1 500 places de centres d’accueil et d’examen des situations administratives (Caes) et 2 500 places de centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada).

En matière de lutte contre l’immigration irrégulière, l’effort en faveur du développement des capacités de centres de rétention administrative est poursuivi et certaines tâches non régaliennes, effectuées jusqu’à maintenant dans ces centres par les effectifs de la police aux frontières, sont externalisées.

Des moyens importants sont attribués à la politique d’intégration, dont les crédits progressent de 24 % afin de financer 1 000 nouvelles places de centres provisoires d’hébergement (CPH) pour les réfugiés, ainsi que le déploiement progressif du programme d’accompagnement global et individualisé des réfugiés (Agir) dédié à l’insertion des réfugiés dans notre société.

Une question pour finir. L’augmentation des effectifs de la police et de la gendarmerie est une vraie bonne nouvelle pour nos concitoyens. Quels moyens seront mis pour leur formation ?

M. Jordan Guitton (RN). Je veux, tout d’abord, rendre hommage à nos forces de l’ordre, à nos policiers et à nos gendarmes qui travaillent sans relâche pour protéger nos concitoyens. Je veux aussi remercier tous nos sapeurs-pompiers et l’ensemble de la sécurité civile de leur engagement, pour leur détermination et leur action quotidienne face aux incendies de haute intensité qui ont touché la France l’été dernier.

Les forces de l’ordre et les serviteurs de la sécurité civile méritent la reconnaissance de la nation. Nous nous devons de donner tous les moyens à ces héros du quotidien afin qu’ils puissent nous protéger dans les meilleures conditions. C’est la raison pour laquelle ces moyens doivent augmenter, et nous le demandons depuis de nombreuses années. C’est aussi la raison pour laquelle, au sein du groupe Rassemblement national, nous défendons une vision sécuritaire ambitieuse, nourrie par le programme présidentiel de Marine Le Pen, adoubée par 13,2 millions de Français.

Il est nécessaire d’accorder les moyens à la justice et aux forces de sécurité d’exercer leur mission. Il faut aussi combattre le crime par une réponse opérationnelle à la hauteur des menaces et simplifier les procédures pour faciliter le travail des enquêteurs. Enfin, il convient de moderniser l’institution judiciaire et rendre une plénitude de compétences aux maires. C’est pourquoi les crédits budgétaires doivent servir l’action de nos forces de l’ordre et les protéger en mettant en œuvre le principe de présomption de légitime défense pour les policiers. Ils le réclament, nous le réclamons haut et fort depuis de nombreuses années. Qu’attendez-vous pour le faire ?

L’urgence est d’augmenter les moyens de la politique de sécurité, car la France n’y consacre finalement qu’un peu plus de 1 % de son PIB, ce qui est peu comparé aux autres pays européens.

Vous livrez des chiffres de la délinquance très souvent optimistes dans les médias et dans vos interviews, mais depuis la suppression de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, qu’en est-il de la transition avec le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMI) ? N’y a-t-il pas un problème d’indépendance qui affecterait la publication de ces chiffres ?

S’agissant des crédits budgétaires, je note que les crédits de la mission Sécurités augmentent effectivement : plus 6 % pour la police nationale, plus 4 % pour la gendarmerie nationale, plus 13 % pour la sécurité civile. Plus largement, votre projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur propose d’augmenter le budget de votre ministère de 15 milliards d’euros sur cinq ans. Pourquoi n’avez-vous pas abondé de manière plus significative les budgets des premières années de cette loi de programmation : il est urgent d’agir, tout de suite, dès l’année prochaine ! L’augmentation est d’autant plus nécessaire que l’inflation du nombre de délits et de crimes est, elle aussi, bien réelle dans le pays, et que nos concitoyens attendent des actes forts de votre Gouvernement.

Vous rattrapez depuis 2017, il faut le dire, les mauvais choix de votre ancien parti politique qui avait supprimé 12 000 postes de policiers et de gendarmes en 2010 et 2011. Avec les réformes des gouvernements précédents, nous sommes revenus au niveau des effectifs de policiers et de gendarmes de 2011, mais la situation sécuritaire n’est plus du tout la même.

Vous parlez de la Lopmi comme d’une réforme inédite. Oui, les budgets de la police, de la gendarmerie et de la sécurité civile augmentent, mais ils restent encore largement insuffisants face à l’urgence de la situation. Le budget de votre ministère ne progresse que de 1,2 milliard d’euros en 2023 et de seulement 880 millions en 2024 par rapport à 2023.

Selon les chiffres de la Banque de France, en 2023, l’inflation se situera à 4,7 %. En réalité, compte tenu de cette inflation, l’augmentation par rapport à 2022 du budget de votre ministère pour 2023 s’établit à seulement 273 millions. C’est bien là le problème principal de cette loi de programmation budgétaire : elle paraît augmenter les budgets, mais eu égard à la situation économique réelle du pays, elle demeurera insuffisante, les crédits engagés ne permettront qu’une petite amélioration de la situation de nos forces de l’ordre et, de manière générale, de notre sécurité. Nous sommes loin d’une révolution !

Enfin, quelle conséquence aurait l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution sur les crédits que nous votons et discutons ce jour ? Les chiffres annoncés dans ce PLF seront-ils maintenus ? Quelles garanties pouvez-vous apporter quant à l’application stricte et réelle de ce budget ? Il y va de la sécurité de notre pays, première des libertés, comme le dit si bien Marine Le Pen.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’organisation de la mission budgétaire Sécurités et la répartition des crédits traduisent deux aspects : les priorités du Gouvernement dans la lutte contre la délinquance telle que lui-même l’analyse, et les conditions dans lesquelles la sûreté peut être garantie pour tous. J’emploie le terme de sûreté à dessein, en ce qu’il recouvre la préservation des personnes et des biens, mais aussi la protection des citoyens vis-à-vis des institutions. Tel est l’esprit dans lequel nous avons rédigé quelques amendements.

La vision gouvernementale s’arrête souvent à la délinquance de voie publique, j’en veux pour preuve la communication ferme qui a été faite autour des points de deal et de leur supposée réduction. De ce point de vue, le compte n’y est pas : les contrôles systématiques n’amènent qu’au déplacement des points de deal, et les personnes qui habitent à proximité n’y gagnent pas une vie plus sereine. Les policiers ont clairement le sentiment de vider la mer avec les mains. Or le sens est devenu un élément majeur pour ceux qui exercent ce beau métier de policier ou de gendarme, les difficultés de recrutement actuelles en attestent. Qui plus est, cela correspond à une forme de contrôle social, cette pression s’exerçant toujours sur les mêmes territoires et franges tendanciellement défavorisées de la population.

La logique et l’efficacité voudraient qu’on mobilise les crédits pour lutter contre la délinquance en col blanc et financière, et contre le crime organisé ; c’est le moyen évident de lutter contre le trafic de stupéfiants.

La deuxième forme de délinquance qui nous paraît devoir être visée sont les violences faites aux femmes, fort multiples dans une organisation sociale patriarcale. Nous soutiendrons un amendement visant une sensibilisation globale des services de police en systématisant la formation à l’accueil et le soutien d’intervenants sociaux.

S’agissant de la police judiciaire, vous faites parfois fortement consensus – ici, contre la réforme de la police judiciaire. Mon groupe partage les arguments à la fois de préservation des missions de lutte contre les délits du haut du spectre, et leur indépendance, liée à n’importe quel État de droit. Nous proposons donc d’analyser les coûts, en particulier des recrutements destinés à ces fameuses directions départementales au détriment des moyens dits de technopolice.

La loi de finances doit également concourir à créer les conditions de l’indépendance de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), indispensable pour renouer les liens de confiance entre la police et la population, qui participent du bon ordre.

Nous sommes favorables au recrutement de policiers ; encore faut-il qu’il y ait des écoles pour les former – une dizaine d’entre elles a été fermée.

Enfin, nous présenterons un amendement concernant la sécurité civile qui réclame, elle aussi, planification, organisation et capacité à se projeter, en particulier par l’achat de matériels modernes et adaptés.

M. Alexandre Vincendet (LR). Les députés Les Républicains sont extrêmement attentifs à la mission Sécurités. Celle-ci voit ses crédits augmenter de 1,05 milliard d’euros –6,75 % en CP et 6,82 % en AE –, ce qui porte son budget total à 15,77 milliards. Nous saluons cette progression favorable à la sécurité des Françaises et des Français, en ces temps où, certains quartiers de nos grandes villes deviennent des zones de non-droit et où la lutte contre toutes les formes de délinquance doit disposer de moyens à la hauteur des enjeux.

La progression des crédits, conséquence partielle du Beauvau de la sécurité et des premières mesures liées à la Lopmi, devrait bénéficier à la police nationale et à la gendarmerie, à raison respectivement de 54 % et 43 % des crédits, et se traduire notamment par la création de 2 857 nouveaux emplois, soit un triplement du volume constaté en 2022.

Le Gouvernement commencera donc à tenir sa promesse de doubler les effectifs sur la voie publique et d’armer les onze nouvelles unités de forces mobiles en 2023, alors que les forces de sécurité ont enregistré une hausse record des coups et blessures volontaires de plus de 21 % en trois ans, ce qui en porte le nombre au niveau historique de 260 500 en un an, soit plus de 700 agressions par jour – ce n’est pas acceptable.

Dans la même perspective, 276 millions d’euros sont affectés au recrutement et à la formation des réserves opérationnelles – autre défi pour les prochaines années –, avec un objectif fixé à 30 000 réservistes au sein de la police nationale.

Manquent toutefois tous les indicateurs relatifs aux objectifs annuels du Gouvernement, censés rendre compte de l’efficacité – ou non – de sa politique. Par exemple, les atteintes aux biens constatées en zone police sont indiquées comme étant en baisse en 2022, mais aucune donnée ne vient étayer cette affirmation, alors qu’elles ont augmenté entre 2020 et 2021. Il en est de même pour les crimes et délits commis à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique – nous le regrettons.

En matière de stupéfiants, la France est le pays d’Europe qui compte proportionnellement le plus de consommateurs. Il faudra bien relever le défi que constitue la lutte contre ce qui est devenu un fléau.

Le programme Police nationale présente un plafond d’emploi fixé à plus 1 907 ETPT, auxquels s’ajoutent sept emplois pour le renforcement de l’évaluation de l’encadrement supérieur de la police. Cette évolution permettra le doublement de la présence policière sur la voie publique, l’augmentation du nombre de compagnies de CRS, le renforcement de la filière investigation par la création de postes d’assistants d’enquête, et l’accroissement du nombre de formateurs.

Il me semble urgent de fournir à toutes les casernes et commissariats un matériel informatique fonctionnel. Un surcroît d’investissements dans la police technique et scientifique est également indispensable pour accélérer l’investigation et augmenter le taux d’élucidation des crimes et délits.

Le programme Gendarmerie nationale représente 43 % de la mission et dispose de 9,9 milliards en crédits de paiement – plus 595 millions d’euros –, soit une augmentation de 6,39 %.

La Lopmi prévoit la création, à partir de 2023, de 200 brigades, essentiellement en milieu rural, afin de densifier le maillage territorial de la gendarmerie et empêcher la formation de zones blanches sécuritaires, en métropole comme en outre-mer. Aucun territoire ne doit être oublié, car, que l’on vive en milieu urbain ou en milieu rural, la liberté d’aller et de venir en paix est la première des libertés publiques.

Le programme Sécurité et éducation routières, qui représente 0,32 % de la mission, est doté de 74,4 millions en CP, en hausse de 48,36 %. Il a pour objet la lutte contre l’insécurité routière, dont la finalité est de faire baisser le nombre de personnes tuées ou blessées sur les routes de France – un objectif que nous partageons tous.

Enfin, le programme Sécurité civile regroupe l’ensemble des politiques du ministère de l’intérieur dédiées à la protection des populations et à la gestion de crise. Il représente 2,79 % de la mission et dispose de 640,1 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 12,76 %.

Les feux de forêt, plus nombreux et d’une exceptionnelle intensité en 2022, ont fortement mobilisé toutes les forces de sécurité civile sur une grande partie de notre territoire, brûlé plus de 60 000 hectares et conduit au déplacement de près de 55 000 personnes. Afin de mieux faire face à ces phénomènes appelés à être de plus en plus fréquents, une hausse des crédits était évidemment nécessaire.

Nous saluons la volonté du Gouvernement d’accorder plus de moyens aux forces de l’ordre et en attendons des résultats concrets sur l’ensemble du territoire. À cet égard, nous serons attentifs à l’évolution des indicateurs de la délinquance.

Mme Élodie Jacquier-Laforge (Dem). Cette année, la mission Sécurités, dotée de plus de 15 milliards d’euros, consacre de nouveaux moyens humains, financiers et juridiques, pour assurer la sécurité intérieure, lutter contre le terrorisme et la délinquance, gérer les crises et l’insécurité routière.

Les moyens humains ont vocation à renforcer la présence sur le terrain. Policiers et gendarmes devraient voir leurs rangs grossis par la création de près de 8 500 postes. Vont ainsi pouvoir bénéficier directement d’une hausse de personnel, notamment, les transports en commun et la voie publique.

Quatre unités de forces mobiles seront créées en vue de l’organisation de la Coupe du monde de rugby et des Jeux olympiques. Elles constitueront indéniablement une force de protection et de sécurité supplémentaire pour la tenue de ces événements internationaux. Le groupe Démocrate se réjouit que de nombreux supporters et supportrices venus du monde entier pourront ainsi profiter pleinement des festivités. À l’issue de ces événements, vers quelle mission seront redirigés ces CRS ?

Le déploiement du réseau Radio du futur, dont j’aimerais avoir le détail, mettra-t-il fin aux zones non couvertes, par exemple la commune de Presles, en Isère ?

Les forces de l’ordre, dans leur lutte contre la délinquance du quotidien, se heurtent parfois à des obstacles juridiques. Par exemple, l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) a été instaurée pour pénaliser l’occupation des parties communes d’immeubles ou de terrains, et l’usage illicite de stupéfiants, afin de simplifier la procédure pénale. Or cette amende forfaitaire délictuelle ne peut être utilisée lorsque les protagonistes sont mineurs ou en cas de récidive. J’ai été interrogée à ce sujet : une évolution est-elle envisagée pour élargir son recours ?

Des moyens supplémentaires sont consacrés à la lutte contre la cybercriminalité, qui se manifeste par des attaques contre nos hôpitaux ou des institutions publiques, rendant plus vulnérables les données personnelles de nos concitoyens. Il nous appartient de nous saisir sans attendre de cette question, comme le font au quotidien les services du ministère de l’intérieur, que je veux soutenir ici. Le groupe Démocrate comprend la nécessité d’intervenir dans ce domaine par le recrutement de profils plus scientifiques et plus techniques pour assurer la sécurité numérique dans l’ensemble du territoire.

Cette protection concerne également les nouvelles méthodes de travail qui s’appuient sur la dématérialisation et la progression de l’utilisation des outils numériques. Ceux-ci doivent être obligatoirement protégés en testant les failles et en informant correctement les personnels. La protection des données doit être assurée pour les démarches dématérialisées, comme les procurations électorales, mais elle doit également s’adapter à toute la population, sans négliger les citoyens qui se retrouveraient en difficulté face à l’accès aux outils numériques. Une attention particulière doit également être portée aux personnes, surtout les jeunes enfants, qui utilisent l’espace numérique sans en connaître les dangers. Protéger, c’est assurer la sécurité physique mais également informer.

Le groupe Démocrate sera attentif aux propositions qui contribueront à protéger tous les citoyens dans le cyberespace et aideront les forces de l’ordre à assurer la protection et l’accompagnement de nos concitoyens.

S’agissant du programme Sécurité civile, les mégafeux de cet été sont le signe que nous devons nous adapter extrêmement rapidement aux effets du dérèglement climatique, ce que seul un travail de coopération interministérielle permettra. Le renforcement des moyens aériens de la sécurité civile est primordial, et le texte le prévoit. Avec la multiplication des vagues de chaleur et la hausse globale des températures dans les prochaines années, nous devons renforcer la prévention et la lutte contre les incendies.

Le groupe Démocrate salue le développement d’une gendarmerie verte, dédiée notamment à la protection de l’environnement. Elle sera le symbole de l’exemplarité dont doivent faire preuve nos institutions dans l’action pour notre survie. Quelle sera la feuille de route de ces gendarmes affectés à la protection de l’environnement ?

M. Roger Vicot (SOC). Ce projet de budget est plein de surprises. La première est plutôt bonne : 15 milliards, une somme rarement atteinte pour une loi d’orientation et de programmation, dont 8 milliards répondent à des nécessités – par exemple avoir des logiciels qui fonctionnent. Vous avez travaillé sur l’immobilier, les véhicules, l’informatisation, la digitalisation, les grands événements à venir, toutes choses absolument nécessaires. Mais le diable se cache dans les détails et certains points nous paraissent encore un peu flous – on le sait, quand c’est flou, il y a un loup !

Parmi ces loups, nous en avons soulevé un, au travers des réponses, voire des non-réponses, qui nous ont été apportées, qui est lié aux créations de postes. S’agit-il de créations de postes nettes ou ces créations seront‑elles annulées par les départs à la retraite au cours des années qui viennent ? Nous présenterons des amendements sur ce sujet.

Autre loup, le nombre des formateurs suivra-t-il celui des créations de postes ?  Dans le PLF2022, les formateurs supplémentaires de la police nationale se comptait quasiment  sur les doigts de la main – ils étaient passés de 267 à 281. Nous nous en inquiétons d’autant plus que vous prévoyez également d’augmenter le nombre d’officiers de police judiciaire (OPJ) jusqu’à 26 000 dans les années qui viennent.

Même si le Sénat en a considérablement réduit la voilure, il conviendra également d’étudier très attentivement le sujet des amendes forfaitaires délictuelles. Le texte initial prévoit la multiplication des infractions prises en charge par les AFD. De 11, elles passeraient potentiellement à 3 400 puisque seraient concernés tous les délits donnant lieu à une condamnation de prison jusqu’à un an. Se poseraient alors des questions quant à l’individualisation de la peine et l’égalité territoriale, dans la mesure où les policiers seront les seuls à décider de ces AFD.

Autre interrogation liée à la formation, celle des assistants d’enquête dont on ne sait pas exactement quelle sera la mission. On nous dit qu’ils seront, auprès des OPJ, un peu les équivalents des greffiers de justice. Comment tout cela fonctionnera-t-il précisément ?

Concernant la réforme de la police judiciaire, monsieur le ministre, vous avez écarté les critiques d’un revers de main un peu rapide. Sauf à penser que la Conférence nationale des procureurs généraux, les procureurs de la République, les policiers de la PJ, les policiers qui expérimentent cette réforme et les avocats sont dans l’incapacité de la comprendre, expliquez-moi ce très fort mouvement national d’opposition à la réforme de la PJ ? Nous pensons que la PJ doit être soignée ; or les crédits qui lui sont destinés baissent de presque 13,5 %.

Enfin, sur la sécurité civile, de nombreux départements ont fait l’expérience d’incendies ravageurs cet été. Les Sdis, les pompiers et les soldats du feu sont en difficulté financière. Ils font appel à l’État : vous devez répondre à cet appel.

M. Didier Lemaire (HOR). Le budget de la mission Sécurités augmente pour l’année 2023, en cohérence avec les objectifs du projet de Lopmi pour les cinq prochaines années.

Je me réjouis de la hausse des crédits des programmes Police nationale et Gendarmerie nationale. Elle permettra le recrutement de 8 500 policiers et gendarmes supplémentaires d’ici à 2027, dont 950 emplois à temps plein en 2023. C’est une bonne chose qui s’inscrit dans la continuité de l’action menée par la majorité depuis 2017.

Nous connaissons, en France, un déficit de gendarmes, de policiers et de policières. Dans la troisième circonscription du Haut‑Rhin que j’ai l’honneur de représenter, les huit brigades sont parfois contraintes de fermer l’accueil au public, en semaine comme le week-end, en raison d’un manque d’effectifs. Les brigades de bourgs centres tels que Saint-Louis et Altkirch sont tout autant affectées que celles de villes de taille plus modeste. Même les communautés de brigades, dites COB, instaurées ces dernières années, ne suffisent plus à couvrir de façon quotidienne les besoins du territoire. Outre le défaut d’accueil du public, donc de lien avec la population, à une époque où les violences intrafamiliales et les cambriolages sont en hausse, je crains l’épuisement des personnels, qui restent motivés et dont je salue ici l’engagement quotidien.

Les critères de répartition des nouveaux agents sont-ils déjà établis ? J’insiste à nouveau sur l’attention qu’il faudra porter aux communes les moins dotées.

Le budget du programme Sécurité civile est en hausse d’environ 13 % par rapport à 2022. Je suis particulièrement attentif à ce sujet. Notre pays a connu cet été 8 850 feux de forêt de toute taille et d’intensité diverse sur une grande partie de notre territoire. Des régions autrefois épargnées ont été touchées durement et violemment. Je me réjouis que votre ministère ait bien conscience des enjeux qu’implique la sécurité civile de demain. Les phénomènes naturels extrêmes s’accélèrent en France, contraignant l’État et les collectivités territoriales à affronter des crises majeures qui se succèdent, voire se conjuguent.

Si les feux de forêt sont à 92 % d’origine humaine, l’évolution du climat devient un facteur aggravant dans le départ des incendies. La politique de prévention, sur laquelle repose la doctrine française de lutte contre les feux de forêt, doit être renforcée. Les communes peuvent y participer pleinement en créant des réserves communales ou intercommunales de sécurité civile, des plans communaux de sauvegarde ainsi que des comités communaux Feux de forêt. Le Gouvernement envisage-t-il d’accompagner les communes dans leurs actions de prévention du risque en général auprès de la population et dans l’éducation aux risques incendie en particulier ? Si oui, comment ?

L’éducation de nos concitoyens et concitoyennes doit intervenir à l’échelon le plus proche possible de leur vie et peut être orchestrée par des maires volontaires, qui ressentent parfois le besoin d’être guidés dans cette démarche. Je crois savoir que votre ministère travaille à des mesures qui consisteront peut-être à faire évoluer la part du produit de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) reversée aux Sdis et à accompagner les entreprises qui souhaitent libérer leurs salariés sapeurs-pompiers volontaires mais ne le peuvent pas pour des raisons économiques. Ces mesures impliqueront, j’en suis sûr, plus de moyens d’action et de prévention, et le développement d’une véritable culture du risque.

Le groupe Horizons votera en faveur des crédits de ces missions.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). De loi de finances en loi de finances, les ministres nous présentent des crédits en augmentation. Je ne conteste pas la nécessité de ces moyens, mais je m’interroge sur l’application, l’effectivité et les conséquences de ces augmentations.

En 2019, avant vos prises de fonctions au ministère de l’intérieur, l’ONU dénonçait l’usage excessif de la force dans les stratégies de maintien de l’ordre choisies en France face aux gilets jaunes. En 2020, la presse espagnole en disait autant des interventions brutales et violentes choisies cette fois pour « gérer » les actions de soutien aux migrants à Paris, particulièrement place de la République. En 2022, hier, c’est un rapport indépendant britannique qui a dénoncé les agressions criminelles, les charges continues et aléatoires de la police à l’encontre des supporters et l’utilisation injustifiée de gaz lacrymogènes lors de la soirée connue aujourd’hui sous le nom de fiasco du Stade de France.

Dans cette petite portion de faits, je suis gênée par l’image qui est renvoyée de la France et des Français, celle d’un pays incapable d’adopter des doctrines de maintien de l’ordre dignes du XXIe siècle, celle d’un pays rétrograde. En tant que femme politique, citoyenne et législatrice, il m’est difficile de le tolérer. Pourtant, nous allons octroyer de nouveaux budgets sans que cette doctrine, cette logique, qui se transmet de ministre en ministre, ne soit changée ni même évoquée.

Ce n’est pas le travail des policières et policiers ou des gendarmes qui est en cause, ce sont bien les décisions, les orientations de leurs décideurs qui sont vilipendées par l’Europe tout entière et qui, tout comme notre inaction climatique, font de nous le vilain petit canard de l’Europe. Si au moins la police s’en portait bien, si la population se disait en sécurité partout dans les territoires, ce ne serait pas bien grave que l’Europe se moque de nous. Le problème, c’est qu’à la fin du mois de juin, trente-quatre policières et policiers et quatorze gendarmes s’étaient donné la mort, dont dix dans la police dès le mois de janvier– des chiffres jamais enregistrés jusque-là. Quant au sentiment d’insécurité, sa réalité parfois, chacun le connaît.

Aujourd’hui, c’est la police judiciaire qui gronde. Hier, trente-six villes ont connu des manifestations d’agents de police. À Strasbourg, où je suis élue, 50 policiers enquêteurs et magistrats étaient dans la rue ; ils étaient 50 à Nîmes, 90 à Nice, entre 200 et 300 à Nanterre, 150 à Lyon, 150 à 200 à Montpellier, ces agents qui ont coutume d’observer religieusement le devoir de réserve.

Suffit-il d’affecter 15 milliards d’euros supplémentaires à la sécurité intérieure pour améliorer la qualité du service rendu au citoyen et l’exercice des policières et des policiers ? Plus de bleu est-ce vraiment mieux de bleu ? Cela assurera-t-il aux policiers sur le terrain, qui en ont assez, qu’hormis des chiffres présentables, la qualité de leurs conditions de travail va s’améliorer ?

Monsieur le ministre, je n’ai pas ciblé particulièrement vos politiques et votre personne. Je n’attaque pas des personnes, je remets en question une doctrine politique. J’espère donc que votre réponse sera dénuée du cynisme que vous m’avez déjà opposé et que nous pourrons travailler sérieusement, dans le respect de la démocratie parlementaire.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). On nous demande de voter des crédits sans examen préalable de la loi directement concernée : nous ne savons pas comment ces crédits qui concernent la Lopmi, discutée au Sénat à l’heure où nous parlons, seront déployés au cours des cinq prochaines années.

On nous présente des moyens qui font la part belle au volet répression au détriment de la sécurité de proximité. On ne peut que déplorer que ce choix de votre ministère. Les actions relatives à la sécurité, à la paix publique et à la sécurité routière sont dépouillées de centaines de millions d’euros pour alimenter les dépenses d’investissement en casques pare-balles et boucliers de maintien de l’ordre pour des agents qui en ont certainement besoin. Les crédits amputés concernent la lutte contre la délinquance, l’accueil et le contact avec les usagers. De même, pour la gendarmerie nationale, on nous annonce la création de 200 brigades et le recrutement de près de 1 000 ETP, sans préciser qu’un tiers de ces nouvelles unités seront itinérantes et se déplaceront dans les communes rurales, déjà abandonnées par bien des services publics et de proximité.

On nous demande d’acter la restructuration de la police judiciaire, une réforme pourtant décriée par l’ensemble des parties concernées. D’un côté, les moyens des forces de l’ordre augmentent, mais pour créer des unités de forces mobiles destinées à combler artificiellement des manques, au détriment d’une présence continue sur le terrain ; d’un autre côté, la police judiciaire est dépouillée de 429 millions d’euros, alors que vous avez vous-même reconnu que nous manquons d’environ 5 000 OPJ. Apparemment, la solution pour trouver les moyens humains qui manquent cruellement est toute trouvée : avec la Lopmi, il sera désormais possible aux élèves policiers et gendarmes de passer les concours d’OPJ dès la fin de leur scolarité au lieu de trois ans après leur prise de fonction.

Quelle garantie avons-nous que la réforme n’affectera pas le niveau de formation, de pratique et d’expérience OPJ ? Comment juguler la criminalité, dont les méthodes et la spécialisation sont de plus en plus insidieuses, si vous mettez aux enchères l’expertise des enquêteurs et enquêtrices de la PJ ? Nous n’avons eu aucun retour sur l’expérimentation de la réforme en cours dans différents endroits du territoire, dont la Guyane. C’est bien dommage.

Nous estimons que la politique du chiffre du Gouvernement ne pourra aboutir qu’à des pratiques contre-productives, loin du terrain et de la population, que l’on prive de la proximité avec les forces de l’ordre censées la protéger, et loin de l’intérêt de la police et de la gendarmerie, que l’on prive du sens de leur mission en les nomadisant, en les rendant interchangeables et en empêchant leur enracinement local.

Enfin, la dématérialisation des plaintes doit être abordée avec précaution et systématiquement accompagnée d’alternatives physiques. Si le numérique peut être une aubaine, il encourage aussi la désertion des services publics de nos territoires.

M. Paul Molac (LIOT). Notre groupe ne peut que saluer l’engagement budgétaire en faveur des policiers et des gendarmes, avec des crédits de la mission Sécurités qui progressent de 1 milliard sur un an.

Les hasards du calendrier font que nous allons devoir voter les crédits d’une mission avant même d’avoir pu débattre du projet de Lopmi. C’est un problème, car ces crédits correspondent à la trajectoire prévue à son article 2. Cela ressemble à un vote a priori. Comment décider de l’utilisation de crédits en 2023 avant même d’avoir pu débattre des priorités pour nos policiers et nos gendarmes ?

La réforme de la police judiciaire se traduit budgétairement par le recrutement de 2 800 officiers de police judiciaire dès 2023. Comment seront-ils déployés sur le territoire ? Cette réforme a créé de vives tensions sur le terrain. Les enquêteurs redoutent la départementalisation de leur travail et la fusion avec les effectifs de sécurité publique qui s’occupent de la délinquance du quotidien. Cette fusion ne conduira-t-elle pas à mobiliser les OPJ pour des missions de plus faible importance, qui ne relèvent pas, en principe, de leur compétence ? La culture du corps risque d’être brisée. En dépit des hausses de moyens, la fusion et les difficultés qui en résulteront nécessairement risquent d’affaiblir la capacité d’action des enquêteurs.

S’agissant de la gendarmerie nationale, notre groupe salue la création de 200 nouvelles brigades qui viendront densifier le maillage territorial, après des années de suppression de brigades.

Dans la concertation entre élus locaux et préfets qui est évoquée pour le déploiement des brigades, de quelle marge de manœuvre disposeront les élus locaux ? Vous annoncez vouloir tenir compte des spécificités territoriales. Si on prend l’exemple de la Corse, dont les spécificités géographiques sont évidentes, quelles adaptations pourraient être envisagées ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le rapporteur Rudigoz, les 1 472 postes de gardiens de la paix, qui constituent le corps d’encadrement et d’application (CEA) de la police nationale, correspondent tous à des créations nettes. Et, monsieur Vicot, elles s’ajoutent aux recrutements qui viennent compenser les départs à la retraite ou les cessations d’activité dans la police nationale. Pour la Métropole lilloise, dont vous êtes élu, ce seront 260 policiers supplémentaires, tous départs confondus. Parmi les grands auteurs que vous avez cités, Martine Aubry a salué, une fois n’est pas coutume, l’action du ministre de l’intérieur en disant que c’est ce qu’elle attendait, même si c’est depuis longtemps.

D’une manière générale, il est difficile pour le ministre de l’intérieur d’évoquer les effectifs par conscription, car il ne peut répartir que ceux qui sortent de l’école. Une fois intégrés, on ne peut pas les forcer à prendre les postes ouverts. Nous entreprenons une réforme parallèle à la réforme de la police nationale, qui n’aura pas de conséquences budgétaires, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.

La Lopmi a fait l’objet de nombreuses interpellations, mais je n’entre pas dans le sujet. Il sera largement traité le moment venu et, si la commission m’y invite, je répondrai, comme toujours, à son invitation pour répondre aux questions des parlementaires.

Les assistants d’enquête seront bien issus du personnel administratif, technique et scientifique du ministère de l’intérieur. Il ne s’agit pas de recruter des contractuels ou de créer un nouveau corps de fonctionnaires. Ces personnes appartiennent à la communauté des policiers mais ne sont pas des policiers stricto sensu ; elles ne portent pas d’armes. Grâce à des formations et à des qualifications, elles obtiendront le grade d’assistant d’enquête.

J’en viens aux 200 brigades de gendarmerie.

Dès 2023, 950 effectifs supplémentaires sortis d’école arriveront dans les brigades territoriales de la gendarmerie nationale. Je serai en mesure de créer quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze brigades de gendarmeries, après accord sur leur implantation et les conditions de leur accueil.

La Guyane recevra quatre nouvelles brigades de gendarmeries. C’est vous-même, monsieur Rimane, avec le président Serville, qui avez demandé à avoir deux brigades fluviales, plus adaptées à la réalité guyanaise. Par nature, donc, elles seront itinérantes.

Le lieu d’installation des brigades n’est pas prédéfini. Le choix sera fait à l’issue de réunions que j’ai demandé à tous les préfets de la République d’organiser. J’ai moi-même lancé une consultation dans le Cher et je ferai de même dans d’autres départements. Les maires et les parlementaires seront conviés à ces réunions pour évoquer, avec les commandants de groupement, la délinquance en zone de gendarmerie dans chaque département, et pointer les difficultés. Il en est sûrement résulté de la suppression de 500 brigades en vingt ans, dont nous devrons tenir compte pour en recréer 200 en cinq ans.

Réimplanter des brigades là où elles ont été supprimées, pourquoi pas, mais il faut aussi prendre en considération les populations qui ont pu évoluer ou les axes routiers qui ont pu être créés. Divers projets, commerciaux, d’infrastructures, agricoles ou autre, sont également susceptibles de voir le jour. Il faut les envisager sur cinq ans, car on crée une brigade pour qu’elle corresponde aux besoins de la population et à la délinquance de demain.

J’ai proposé que les commandants de groupements et les préfets établissent une carte des implantations qu’ils jugeraient utiles, qu’ils soumettront pour réflexion à l’Association des maires et à l’Association des maires ruraux. D’autres réunions seront organisées vers février-mars pour procéder aux restitutions et s’accorder avec les élus sur les lieux d’implantation des brigades. Ceux-ci dépendent aussi des possibilités de les accueillir, qui peuvent prendre la forme aussi bien d’anciennes casernes militaires désaffectées, que de projets de réhabilitation ou de construction, ou de mise en commun avec les polices municipales ou les casernes de pompiers. L’imagination est au pouvoir ! Des crédits sont prévus pour accompagner ces rénovations ou constructions.

On peut imaginer qu’il y ait entre deux et cinq brigades par département : les départements les plus urbains n’ont pas besoin de brigade de gendarmerie, contrairement aux départements ruraux qui en nécessitent davantage.

À la fin, bien évidemment, c’est le ministre de l’intérieur qui signera l’implantation de ces brigades, après consultation des élus. Je suis donc à votre disposition quel que soit votre groupe politique. L’écriture de ces 200 brigades pourrait être terminée vers mars-avril puis il faudra que les militaires et leurs familles s’installent, ce qui supposera un accompagnement social soutenu.

Pour résumer, l’imagination est au pouvoir, les effectifs et les crédits pour l’immobilier sont là. Une consultation est lancée d’aujourd’hui jusqu’en décembre ; la décision du lieu d’implantation sera prise entre janvier et mars-avril. Je suis prêt à revenir devant votre commission pour justifier des implantations.

M. Rudigoz nous a dit le plus grand bien de l’Ofast, qui est une préfiguration de la réforme de la police nationale par le décloisonnement des services et la réunion dans la Cross d’éléments territoriaux et départementaux. Il faut bien comprendre que le point de deal en bas de l’immeuble à Tourcoing est parfois lié à la drogue qui arrive de Colombie ou d’ailleurs par le port du Havre. Ce lien particulier entre la délinquance du quotidien et la grande criminalité fait de l’Ofast un service très intéressant. C’est l’exemple de ce qui fonctionne en interservices et en départemental. D’ailleurs, le président de la commission des lois a pu le constater lors d’un déplacement aux Antilles.

La lutte contre la drogue fonctionne, même si elle est toujours à gagner, toujours à mener. Vous ne pouvez toutefois pas nier, madame Martin, que le nombre de points de deal dans votre département est passé de 374 à 81 – au niveau national, il est passé de 3 952 à 3 245, soit une baisse de 20 %. Certes, ils se récréent parfois. J’aurais été un drôle de maire, au temps où je l’étais, si j’avais répondu aux personnes qui se plaignaient de la saleté de la rue : « À quoi bon la nettoyer, dans deux jours, elle sera de nouveau sale ? ». C’est cela la mission de la police et la gendarmerie nationales, c’est d’intervenir. « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ». Oui, la délinquance revient, et il faut réintervenir.

La sécurité n’est pas n’importe quelle politique publique. Elle est moins structurelle puisqu’elle s’inscrit dans l’urgence, et sans cesse il faut remettre l’ouvrage sur le métier – « La mer, la mer toujours recommencée ! » Personne ne vient à bout de toute forme de délinquance immédiatement et la délinquance n’existe plus seulement dans les rêves.

S’agissant de la sécurité civile, M. le rapporteur Pauget a dressé un certain nombre de constats avec lesquels je pourrais être d’accord. Je me permets toutefois de rectifier la part qu’il a attribué à l’État dans son budget total : certes, il prend en charge 8 % et les Sdis le reste, mais ceux-ci sont financés pour un quart par l’État, à hauteur de 25 milliards d’euros.

Je n’ai pas encore reçu le rapport sur le financement des Sdis que j’ai commandé à l’Inspection. La TSCA est versée aux départements, qui la reversent théoriquement aux Sdis, mais chacun sait qu’elle n’est pas reversée de manière homothétique, selon que les départements, qui doivent aussi assumer des dépenses sociales, disposent ou pas des ressources suffisantes – cela dit sans les critiquer. Je pense que les inspecteurs, qui traitent également d’autres sujets, auront achevé leur travail à la fin du mois d’octobre. Je le communiquerai aux présidents de commission avant sa publication. J’ai reçu une première note de synthèse. Là encore, je suis à votre disposition pour venir discuter des pistes proposées dans ce rapport intéressant.

Serais-je favorable à une niche fiscale ? Je suis un peu gêné pour vous répondre en cette période budgétaire. J’ai été ministre des comptes publics, je sais que, par nature, le titulaire du portefeuille est favorable à des dispositions fiscales supplémentaires. Elles répondent à une cohérence dont on peut toujours discuter. Je reconnais volontiers que le malus écologique sur les véhicules polluants des Sdis, qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser ceux-là, pose une difficulté de compréhension. La mesure a certes un fondement écologique mais il est vrai qu’en l’absence d’avancée dans la conception de ces matériels lourds, elle peut être perçue comme un handicap pour eux.

L’armée ne paie pas la TICPE, certes, mais cela est assez logique : la fiscalité étant versée à l’État, taxer l’armée reviendrait à ce qu’il se taxe lui-même – un système chadokien, en somme. La TICPE a été imaginée dans un souci écologique ; c’est donc un sujet plus vaste que le financement des Sdis. Je suis ouvert à ces questions.

Le Président de la République reçoit les acteurs de la sécurité civile pour réfléchir à l’adaptation du système aux changements climatiques. Cela demandera très certainement des moyens supplémentaires, notamment pour encourager le volontariat des sapeurs-pompiers. La difficulté ne tient pas tant à la quantité de volontaires qu’au nombre de jours qu’ils consacrent au volontariat. La vocation ne se perd pas, ce sont les employeurs, le plus souvent privés mais aussi publics, qui ne mettent pas suffisamment les pompiers à disposition. Au lieu de voir une richesse dans les sapeurs-pompiers, ils y voient sans doute une difficulté de fonctionnement pour leur entreprise ou le service public. Lorsque sont survenus les incendies en Gironde, j’ai dû moi-même appeler les employeurs pour qu’ils libèrent les sapeurs-pompiers volontaires. Ce n’est pas tout à fait normal et peut-être y aurait-il des choses à prévoir dans la loi. Nous aurons sans doute l’occasion de reparler prochainement de la sécurité civile, pourquoi pas en organisant une séance spécifique sur la question.

Madame Agresti-Roubache, il faut en effet former les formateurs, et cela prend un peu de temps. C’est pourquoi nous prévoyons dans la Lopmi la re-création de 252 postes de formateurs supplémentaires pour la gendarmerie nationale et de 447 pour la police nationale, qui va de pair avec les effectifs en formation initiale et continue.

Monsieur Guitton, concentrer les effectifs en début de programmation, c’est ce que nous faisons : sur les 8 500 postes prévus, nous en créons 5 500 en deux ans, et nous re-créons les onze unités de forces mobiles au cours des deux premières années également. Après, la difficulté est de recruter et de former plus de 3 000 personnes, ce qui pour les écoles de police et de gendarmerie sera une prouesse. L’année dernière, nous avons recruté et formé 1 800 personnes directement opérationnelles, et nous allons quasiment doubler la mise deux années de suite. Ce qui demande des écoles de police, des formateurs et du temps, puisque nous avons élargi la formation à douze mois, nous allons le faire, en 2023, sans école de police supplémentaire car nous n’aurions pas le temps d’en construire. Ce sera une grande réussite.

Les 15 milliards de la mission, dites-vous, seraient en fait moindres du fait de la forte inflation. Votre démonstration est fausse. D’abord, le budget du ministère de l’intérieur est aux deux tiers composé de crédits de titre 2 (T2), c’est-à-dire de dépenses de personnel sur lesquelles l’inflation n’a pas de conséquence – le point d’indice est autre chose. Le PLF a été construit sur une hypothèse de 4,7 % d’inflation, conformément aux prévisions de la Banque de France. Si l’inflation peut avoir une incidence, c’est sur les véhicules ou l’immobilier, donc sur un tiers du budget.

Ensuite, espérons que l’inflation ne se situera pas à 6 % ou 7 % pendant cinq ans. D’ailleurs, la Banque de France, que vous avez citée, évoque une inflation de 4 % l’année prochaine et aux alentours de 1 % par la suite. L’hypothèse vous sert, mais l’honnêteté commande de préciser qu’elle se limite à l’année 2023. Donc, sur les 15 milliards, on ne parle que des 3 milliards inscrits la première année, marquée par une inflation forte, dont les deux tiers ne sont pas concernés par l’inflation.

Pour être complet, en 2023, l’inflation représente 210 millions d’euros sur les 8 milliards, hors T2. Je ne pense pas qu’il y ait là de quoi affirmer que « votre fille est muette », pour citer Molière. Votre argumentation est sans doute séduisante politiquement, mais elle n’est pas vraie budgétairement. Il faut s’en réjouir. On peut être en désaccord sur la façon d’utiliser les moyens, mais tout le monde constate les augmentations sans précédent des crédits.

Pour ce qui est du service de sécurité du ministère de l’intérieur, il est totalement indépendant. Il publie les statistiques de la délinquance qui dépendent de l’Insee, sur lesquelles n’avons pas le droit d’intervenir. Je découvre les chiffres de la délinquance quand ils sont publiés par le SSMI. Si un jour, à Dieu ne plaise, vous êtes ministre de l’intérieur, vous découvrirez, comme moi, les chiffres dans le journal – je vois M. Bernacilis qui opine, c’est que cela doit être vrai ! – et vous pourrez les commenter et les interpréter.

Madame Martin, vous avez évoqué la nécessité de formation relative aux violences intrafamiliales. Je n’ai pas pris connaissance de vos amendements, mais tous les policiers et gendarmes reçoivent désormais une formation initiale dès l’école. Ceux que nous devons former sont les personnels qui sont sortis de l’école de police ou de gendarmerie il y a plus de trois ans, quand la formation n’était pas dispensée. Les deux tiers le sont à ce jour, il en reste donc un tiers.

Ce qui manque le plus pour les 400 000 enquêtes sur violences intrafamiliales ouvertes chaque année par la police et la gendarmerie, ce sont les OPJ. Il en manque d’ailleurs partout. Au passage, la Lopmi et la réforme de la police nationale n’emportent aucune baisse des crédits de la police judiciaire et de la délégation à la sécurité routière – je ne sais où vous l’avez lu. En matière de violences intrafamiliales, j’attends et je souhaite de tout cœur la justice spécialisée évoquée par Mme la Première ministre, sur le modèle de l’Espagne. Il s’agirait d’une grande avancée.

Je rejoins en grande partie le constat de M. Vincendet.

Madame Jacquier-Laforge, outre les onze unités de force mobile que nous recréons, nous en libérons sept autres qui tiennent certains sites à Paris – l’Élysée, les ambassades des États-Unis et d’Israël, le ministère de l’intérieur – alors qu’elles ne doivent pas être utilisées pour cela. En tout, nous formerons donc dix-huit unités de force mobile supplémentaires.

À quoi serviront-elles après les JO ? Les unités de force mobile, notamment la gendarmerie mobile, servent beaucoup en outre-mer pour répondre aux difficultés de délinquance – sept escadrons de gendarmerie mobile (EGM) sont actuellement présents en Guyane. Elles contribuent aussi à l’ordre public, en fonction des manifestations. Vingt UFM déployées aux frontières ont permis de réaliser 10 000 procédures de non-admission d’étrangers irréguliers, contre 3 000 il y a encore un an et demi. Il n’y a jamais eu autant de policiers aux frontières.

Enfin, lorsque je pérennise des unités de force mobile auprès des préfets, comme je l’ai fait à Perpignan – ce dont le maire même se félicite dans la presse –, à Marseille ou à Lyon, la délinquance baisse drastiquement, car nous pratiquons la sécabilité, qui consiste patrouiller à deux ou à trois. Maintenant que les CRS et les gendarmes acceptent de le faire, j’utilise les unités de force mobile pour saturer le terrain, grâce à quoi les chiffres de la délinquance baissent fortement dans ces communes.

Avec la gendarmerie verte, l’idée est de former 3 000 gendarmes dans les brigades pour lancer des enquêtes dans le cadre de cellules départementales des atteintes à l’environnement et à la santé publique (Caesp) sur les questions relatives au bruit, aux décharges et aux pollutions de l’eau, par exemple.

Je veux rassurer une nouvelle fois M. Vicot sur le fait que les créations de postes sont bien nettes. Je n’entre pas dans le débat sur la réforme de la police nationale ; je ne partage pas son opinion mais nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre du débat sur la Lopmi.

Monsieur Lemaire, les créations de brigades de gendarmerie répondront en grande partie au problème d’accueil que vous soulevez. Pour éduquer la population à la sécurité civile, nous allons créer, sur le modèle japonais, une journée dédiée à tous les risques, qu’ils soient naturels, de sécurité civile ou bactériologiques. C’est un point fort de la Lopmi qui a été peu évoqué au Sénat et je vous remercie de votre question.

Madame Regol, oui, les crédits supplémentaires amélioreront le service public de la sécurité, c’est bien pourquoi je les propose. Il me semble que la présence sur la voie publique permet de résoudre un grand nombre de problèmes de sécurité. Certes, ce ne sont pas des policiers dans la rue qui empêchent les violences dans les couples ou dans les foyers, mais ils ont un effet évident sur les violences faites aux personnes.

Le ministère de l’intérieur, les policiers et les gendarmes sont des urgentistes de la situation. Ils ne sont pas ceux qui règlent structurellement le problème de la délinquance d’un pays. J’ai été élu local suffisamment longtemps pour savoir que ce sont l’urbanisme, la politique de peuplement, l’éducation, les inégalités de naissance, une partie de l’immigration non intégrée, les difficultés économiques, la pauvreté qui en sont responsables. Il se trouve que je porte des crédits qui, comme le dit M. Rimane, « font de la répression ». À chacun sa tâche, si l’éducation nationale faisait de la répression et moi de l’éducatif, ce serait sans doute difficile à comprendre.

Je suis d’ailleurs un peu étonné de votre propos, monsieur Rimane. Le président de la commission des lois était là lorsque le président Serville m’a demandé d’autoriser la légitime défense pour les policiers en Guyane – vous ne l’avez pas contrarié. Je vous le dis, je n’accepterai pas la répression à tous crins que vous prônez.

Monsieur Molac, je pense avoir répondu sur les brigades de gendarmerie. Pour ce qui est de la réforme de la police nationale, nous en débattrons dans un autre cadre.

 

Mission Immigration, asile et intégration (Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis) :

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. L’année 2023 sera la sixième qui verra les crédits de la mission Immigration, asile et intégration augmenter. Ceux-ci s’élèveront à 2 milliards d’euros en crédits de paiement en 2023, soit le double d’il y a cinq ans. Il s’agit d’un effort budgétaire supplémentaire substantiel.

Par rapport à la loi de finances initiale de 2022, les crédits demandés sont en augmentation de 34 % en AP et de près de 6 % en CP.

Le programme 303 Immigration et asile comprend les trois quarts des crédits de la mission. Il finance la politique de l’asile et la lutte contre l’immigration irrégulière.

L’action 02 Garantie de l’exercice du droit d’asile finance notamment l’allocation pour les demandeurs d’asile (ADA). Sa dotation pour 2023 s’élève à 314 millions d’euros, contre 467 millions, soit une diminution – la seule – de 36 % par rapport à la dernière loi de finances. Selon le projet annuel de performance, cette diminution repose sur une projection de 135 000 demandes introduites à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et sur l’hypothèse d’une amélioration des délais de traitement de la demande d’asile, qui devrait mécaniquement réduire les crédits nécessaires à l’ADA. Vous l’avez d’ailleurs évoqué, monsieur le ministre, et je souhaiterais vous entendre plus longuement sur vos hypothèses en la matière et sur la manière dont celles-ci s’articulent avec l’ADA dont bénéficieront les protégés temporaires d’Ukraine.

Pour ce qui est de l’accueil et de l’hébergement des demandeurs d’asile, les crédits demandés en AE sont en hausse de plus de 36 %. Cette augmentation s’explique principalement par le renouvellement pour trois ans de conventions pluriannuelles de l’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile. La dotation pour 2023 permettra de financer 900 nouvelles places en outre-mer, portant la capacité du parc à près de 53 000 places, 1 500 places en centres d’accueil et d’examen des situations et 2 500 places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, soit 4 900 places, tout confondu.

Les crédits relatifs à la lutte contre l’immigration irrégulière connaîtront, eux aussi, une hausse significative de près de 32 % en AE et de 18 % en CP. Ils financeront la poursuite de l’augmentation des capacités d’accueil des centres de rétention administrative (CRA), de 1 859 places en 2022 à 1 961 places en 2023, avec la livraison de 90 places au CRA d’Olivet et l’extension de celui de Perpignan.

L’action Soutien, qui regroupe une partie des moyens nécessaires au fonctionnement courant de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), connaîtra également une forte progression, passant de 5,6 millions d’euros en 2022 à 28,5 millions en 2023. Ces crédits sont destinés au développement de nouveaux systèmes d’information. Leur augmentation est telle que nous aimerions en savoir davantage.

Les crédits du programme 104 Intégration et accès à la nationalité française, second de la mission, s’élèvent à 543 millions d’euros en AE et en CP, soit une hausse de 24,3 % par rapport à la loi de finances initiale de 2022.

L’augmentation massive des crédits permettra la poursuite du déploiement du programme d’accompagnement global et individualisé pour les réfugiés (Agir). À terme, son objectif est de proposer à chaque bénéficiaire de la protection internationale un accompagnement, notamment vers le logement et l’emploi.

L’action 16 Accompagnement des foyers de travailleurs migrants connaîtra une augmentation significative de ses crédits, de près de 40 %. Ces moyens supplémentaires permettront de mieux concourir à la mise en œuvre du plan de traitement des foyers et à un meilleur accompagnement de leurs résidents.

Pour ce premier exercice d’avis budgétaire, j’ai choisi de m’intéresser à l’admission exceptionnelle au séjour (AES) et à l’application de la circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls.

Les articles L. 435-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) posent un régime d’admission exceptionnelle au séjour, par lequel des étrangers sans papiers ne remplissant pas les conditions relatives à l’admission au séjour de plein droit peuvent être régularisés. Il permet de répondre à des situations humaines, d’étrangers sans papiers ayant créé des attaches en France ou qui se sont insérés dans le marché du travail. Les critères sont, pour chacun des motifs, nombreux et stricts. Ces régularisations se font au cas par cas, et la circulaire Valls est venue préciser aux préfets les critères permettant d’apprécier les dossiers. Pour mémoire, l’AES concerne environ 30 000 étrangers par an.

Le choix de ce thème a requis que je m’intéresse en premier lieu aux problématiques d’accès aux préfectures. Le public de l’AES fait face à des difficultés en la matière, mais celles‑ci s’inscrivent dans un contexte plus large et concernent l’ensemble des étrangers. J’ai, bien sûr, eu le souci de respecter le périmètre de la mission Immigration, asile et intégration pour ne pas déborder sur celui de la mission Administration générale et territoriale de l’État, mais l’accès aux préfectures, essentiel en matière d’AES, ne pouvait échapper à mes travaux.

Celui-ci est marqué par deux réalités liées à la dématérialisation : la prise de rendez‑vous auprès des services de l’immigration en passant par des plateformes numériques, d’une part, et la constitution des demandes de titres dématérialisées, d’autre part. Si l’AES n’est, à ce jour, pas concernée par cette seconde démarche, j’en dirai toutefois quelques mots, en particulier s’agissant de l’administration numérique des étrangers en France, l’Anef.

J’ai été interpellée à de très nombreuses reprises sur les difficultés qui résultent du déploiement de l’Anef. De nombreux dysfonctionnements pénalisent au premier chef les usagers, mais créent aussi des surcharges de travail pour les préfectures et leurs agents, ainsi que pour les associations. Ce déploiement représente un immense défi organisationnel pour les services préfectoraux, qui doivent s’adapter à cette évolution. J’ai bien conscience qu’il représente aussi un immense défi technique pour votre administration, monsieur le ministre, et je formule le vœu que ces problèmes soient rapidement surmontés, pour les usagers comme pour l’ensemble des personnes concernées.

La problématique des difficultés de prises de rendez-vous est largement connue et documentée. Elle résulte d’un sous-dimensionnement des effectifs au sein des services concernés et touche l’ensemble des étrangers, mais singulièrement le public de l’AES. Dans certaines préfectures, les étrangers sollicitant une AES ne doivent plus prendre un rendez-vous en ligne, mais faire parvenir un dossier. Ils sont ensuite contactés pour la prise de rendez-vous. J’ai pu constater, pour la déplorer, la longueur des délais d’instruction, même s’ils ont été améliorés. Dans l’une des préfectures étudiées, par exemple, de nombreux dossiers déposés en 2019 n’ont toujours pas été instruits.

Sur ce premier sujet, je formule plusieurs propositions qui dépassent le seul champ de l’AES : assurer un dimensionnement plus adapté des effectifs des services préfectoraux en charge des étrangers ; garantir une voie alternative à la prise de rendez-vous en ligne, comme exigé par le Conseil d’État en juin dernier ; maintenir ouverts des guichets, « gourmands » en effectifs mais indispensables,  au sein des préfectures pour les demandes spontanées ; repenser le système d’octroi des rendez-vous pour le sécuriser, l’uniformiser et éventuellement, à terme, réfléchir à des attributions automatiques de rendez-vous calées sur la date d’expiration du précédent titre.

En matière d’AES, les associations qui accompagnent les étrangers jouent un rôle central. La qualité et la régularité des échanges entre les préfectures et ces associations sont essentielles. Je sais que ces relations se sont tendues en plusieurs lieux sur le territoire national et je formule le souhait que des espaces de dialogue s’y recréent.

Comme nombre de mes collègues, je suis régulièrement interpellée par des maires et élus locaux qui accompagnent et soutiennent des familles installées sur leur territoire, qui les connaissent bien, qui savent leur lien avec l’école et la vie locale, et qui sont certainement aptes à évaluer leur intégration dans notre société. J’aimerais qu’une forme de parrainage républicain par ces élus puisse entrer dans les critères d’évaluation d’une demande d’AES.

En second lieu, je me suis intéressée à l’application de la circulaire Valls sur notre territoire. J’indique que le Conseil d’État a précisé, dans une décision de 2015, que l’étranger en situation irrégulière ne pouvait se prévaloir des lignes directrices de cette circulaire devant le juge administratif ; cette analyse a été confirmée vendredi dernier par le Conseil d’État, saisi à nouveau sur ce point.

Les critères de la circulaire Valls, qui entrera bientôt dans sa dixième année, semblent encore faire l’objet d’un certain consensus. C’est dans son application que résident ses limites. Il ressort de mes auditions que la circulaire est très inégalement appliquée sur le territoire. D’après certaines associations, plusieurs préfectures ne l’appliqueraient plus du tout. Parmi celles qui l’appliquent encore, on constate d’importantes différences d’instruction d’une préfecture à l’autre, et parfois même entre agents d’une même préfecture. L’AES relève du pouvoir d’appréciation du préfet et la circulaire contient de simples orientations générales. Il est donc naturel qu’existent des différences de traitement des demandes sur le territoire, mais celles-ci semblent excéder ces écarts acceptables et constituer de véritables inégalités de chance face à la procédure.

Monsieur le ministre, je sais que vos services travaillent à l’identification des pratiques sur le territoire et à leur harmonisation. Je souhaiterais recueillir vos observations et vos intentions sur ce point.

Enfin, mes travaux m’ont conduite à m’appesantir sur la dimension « travail » de l’AES, qui a concerné 7 000 personnes en 2020. Le système est paradoxal, puisque le travail des étrangers en situation irrégulière est interdit, mais que l’exercice de cette activité leur permet in fine, sous certains critères strictement définis, d’obtenir un titre de séjour via l’AES.

Il me semble utile de faire évoluer le dispositif dans deux directions. En premier lieu, le dispositif requiert aujourd’hui que l’employé soit accompagné dans la procédure par son employeur, ce qui exclut injustement du dispositif certains employés ne bénéficiant pas de ce soutien. Monsieur le ministre, vous avez regretté ici même qu’un travailleur sans papiers doive être soutenu par son employeur pour sortir de la clandestinité. « Je pense que c’est un rapport de force qui n’est pas positif pour le salarié », avez-vous dit. Quels sont les projets du Gouvernement en la matière ?

Plus largement, il me semble indispensable de simplifier et de moderniser cette procédure pour embrasser davantage de situations, notamment celles des autoentrepreneurs, pour la rendre plus en phase avec les besoins massifs de main-d’œuvre au sein des secteurs en tension, pour protéger ceux qui seraient susceptibles d’être embauchés par des employeurs peu scrupuleux et abusant de leur situation de vulnérabilité, mais aussi pour protéger les employeurs, très nombreux, qui souhaitent embaucher en toute légalité et rapidement des personnes en attente de titre de séjour.

J’ai remarqué que les amendements déposés ont pour point commun de modifier le seul programme de lutte contre l’immigration irrégulière. À ma gauche, on le déshabille pour créer des places supplémentaires dans les centres provisoires d’hébergement des réfugiés, abonder les actions d’accompagnement, prendre en compte les coûts sociaux de l’inflation ou abonder le budget de l’allocation pour demandeur d’asile. À ma droite, c’est l’exact opposé : on abonde conséquemment ce même programme de lutte contre l’immigration irrégulière, notamment pour augmenter notre parc de CRA.

En me défaisant de toute posture, j’ai mené ma mission avec objectivité et humilité en cherchant l’équilibre, ô combien délicat, insatisfaisant, sinon impossible à trouver, entre l’accueil réel et effectif que nous devons mettre en place pour les femmes, les enfants et les hommes qui arrivent dans notre pays, et la fermeté absolue vis-à-vis de ceux qui, résolument, n’ont aucune intention de s’intégrer dans notre société, dans notre République.

Faire vivre la fraternité de notre devise, d’un côté, protéger notre République et nos valeurs fondamentales, de l’autre, l’un et l’autre ne sont nullement irréconciliables, bien au contraire. Je suis même convaincue que nous pouvons à la fois humaniser encore bien davantage notre politique d’accueil tout en luttant drastiquement contre l’immigration irrégulière. Que ceux que nous accueillons, nous les accueillions vraiment pleinement et que nous agissions avec la même détermination envers ceux que nous refusons.

Un élu me disait hier, à propos de la situation d’une famille étrangère, il faut juste que l’on sache. Le « ni-ni » n’est pas tenable : soit c’est oui, soit c’est non. Au-delà de l’examen des crédits de cette mission, je ne doute pas que la future loi « asile » permettra des avancées.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sabrina Agresti-Roubache (RE). La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) traite les recours formés contre les décisions de l’Ofpra en 190 jours à l’automne 2022. Ses délais de traitement sont en relative stagnation contrairement à ceux de l’Office, qui ont été sensiblement réduits. Comment l’expliquez-vous ?

Nous prenons acte de votre volonté de doubler le contenu des formations civiques et linguistiques que l’étranger primo-arrivant reçoit lorsqu’il s’engage dans un parcours d’intégration républicaine par la signature d’un contrat d’intégration républicaine, le CIR. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

M. Timothée Houssin (RN). Monsieur le ministre, lorsque je vous ai interpellé sur les mauvais résultats de votre ministère en matière d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), vous avez préféré nier les chiffres catastrophiques – taux d’exécution de 13 %, hors des années covid – plutôt que d’apporter des solutions. Quant au fait que des centaines de personnes sous OQTF commettent des crimes et des délits sur notre territoire, qu’ils sont supposés avoir quitté, vous l’avez balayé d’un revers de main.

Malheureusement, ce scandale continue. Vendredi, en plein Paris et en pleine journée, Lola, 12 ans, a été violée, torturée, étouffée et son corps abandonné dans une malle. La principale suspecte, qui a partiellement avoué les faits, a été identifiée grâce à une caméra de vidéosurveillance. Il s’agit d’une clandestine algérienne en situation irrégulière depuis trois ans, qui avait déjà été contrôlée par la police – preuve que nos forces de l’ordre font leur travail – et qui faisait l’objet d’une OQTF. Elle aurait dû quitter le territoire avant le 21 septembre, ce qui signifie que, vendredi, elle aurait dû être en Algérie et Lola rentrée chez elle, après sa journée de collège. Je vous repose donc ma question : que comptez-vous faire pour augmenter réellement le taux d’exécution des OQTF ?

Vous avez estimé, ce matin sur RTL, que la procédure d’OQTF s’était déroulée dans les règles. Si la loi avait été correctement appliquée, une clandestine qui a probablement assassiné un enfant se promènerait-elle tranquillement sur notre territoire ?  Ou alors, si la loi a été correctement appliquée, qu’on la change !

Mme Borne, interpellée sur ce même sujet dans l’hémicycle, a évoqué la récupération et le respect pour la famille. Qu’est-ce que la récupération, sinon le devoir qui nous incombe de rappeler à chaque occasion la multiplication des cas de Français victimes de personnes en situation irrégulière sur notre territoire ? Qu’est-ce, sinon notre devoir de rappeler les conséquences de la politique qui est menée et de rappeler ces vérités jusqu’à ce que la politique change ? Qu’est-ce que le respect pour la famille, sinon la nécessité de tirer les leçons de ce drame pour modifier la loi et accorder plus de moyens à la lutte contre l’immigration clandestine, afin que de tels drames ne se reproduisent plus ?

Pour agir, il faut de la volonté et des crédits. Au-delà de cet exemple dramatique, c’est l’ensemble de votre politique en matière d’immigration qui pose problème.

Dès 2022, le rapport de la commission des finances du Sénat sur le bilan des crédits de la mission Immigration, asile et intégration est accablant : « [...] le contexte d’incapacité structurelle à maîtriser les flux migratoires persiste. [...] L’augmentation des crédits destinés à l’éloignement des migrants en situation irrégulière demeure dérisoire et ne devrait pas permettre d’amélioration de la politique de lutte contre l’immigration illégale. [...] Cette évolution est en contradiction majeure avec l’objectif affiché par le Président de la République de rendre effectives les mesures d’éloignement prononcées [...] ».

Malheureusement, pour 2023, votre politique ne change pas. Nous savons où vont les crédits dédiés à la gestion de l’immigration. Faut-il se réjouir qu’ils soient en augmentation quand la part consacrée à l’exercice du droit d’asile continue d’exploser, passant de 1,3 milliard d’euros en 2022 à 1,8 milliard en 2023, et que l’on y consacre désormais 89 % du budget du programme Immigration et asile ?

En face, la lutte contre l’immigration irrégulière n’occupe que 9 % du budget, elle n’augmente que de 50 millions – dix fois moins que les crédits consacrés à l’accueil de l’immigration.

Les chiffres changent mais la politique demeure. C’est une politique de renoncement. L’immigration explose, mais pas les moyens pour la juguler : 90 % des crédits du programme sont utilisés pour faire venir toujours plus d’immigrants, alors qu’ils devraient servir à contrôler l’immigration, à lutter contre l’immigration illégale et à expulser les personnes qui se maintiennent chez nous en situation illégale.

Malheureusement, monsieur le ministre, en voyant ce que vous nous proposez pour 2023, nous savons déjà que la prochaine fois que vous reviendrez devant notre commission, il y aura eu d’autres Lola et que votre Gouvernement ne se sera pas donné les moyens de l’éviter. Dans ce contexte budgétaire, nous prônons que les dépenses liées à l’arrivée de migrants soient réduites et que ces mêmes crédits soient réorientés vers la lutte contre l’immigration illégale.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, la dernière fois que nous vous avons reçu en commission, je vous avais demandé la libération d’un Guinéen séropositif du centre de rétention de Vincennes. Vous aviez produit son fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) sans vous soucier de son état de santé. Il y a deux jours, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a suspendu la décision de placement en centre de rétention. Je vous avais pourtant demandé de vous conformer au droit international et européen, en respectant le droit à la vie privée et familiale et à la dignité humaine, et d’arrêter de faire la courte échelle à l’extrême droite sur l’asile et l’immigration.

Cette mission budgétaire trahit le fond de votre pensée. L’humanisme, ce n’est pas vous ! Votre budget se résume à une hausse record du budget de l’éloignement de 15,3 %, face à une diminution des crédits de la garantie d’exercice du droit d’asile. C’est bien la marque des orientations sécuritaires voulues par votre Gouvernement au détriment de l’accès aux droits et de la solidarité envers les personnes migrantes et les demandeurs d’asile de notre pays. Cela nous donne un avant-goût de votre projet de loi à venir sur l’asile et l’immigration.

Je ne pense pas que cette politique budgétaire évitera à la France les condamnations de la CEDH, les avis alarmants du Comité des droits de l’homme de l’ONU et les saisines de plus en plus fréquentes de la Défenseure des droits. Dans votre politique de l’éloignement, vous consacrez un budget non négligeable à la création de places en centre de rétention administrative, ces lieux qui remplacent la prison et maintiennent le principe de double peine, abolie depuis 1981. Confronté aux problèmes d’insécurité, comme à Nantes, plutôt que de recruter dans la police judiciaire, vous annoncez l’ouverture prochaine d’un centre de rétention. Quel rapport ? A priori, aucun, sauf à faire un amalgame raciste, comme le fait si bien notre collègue du Rassemblement national.

En dehors du contexte pandémique, la France enferme près de 25 000 personnes, dont des enfants. Pourtant, le taux d’éloignement depuis les centres de rétention reste faible au regard du nombre élevé de personnes enfermées – 42,5 % en 2021. Toutes les associations présentes en centre de rétention démontrent, année après année, qu’enfermer plus de personnes, et plus longtemps, ne conduit pas nécessairement à des éloignements effectifs si les placements n’ont pas été réalisés avec discernement. Pourquoi continuer ce qui ne marche pas ?

Nous aurions pu nous réjouir de l’augmentation du programme Intégration et accès à la nationalité française, et notre groupe a salué l’ouverture de l’accès à la nationalité aux ressortissants étrangers ayant été en première ligne pendant la crise sanitaire. Mais le manque de personnel pour traiter les dossiers, la dématérialisation et la disparité des pratiques préfectorales n’ont fait qu’allonger les délais d’attente. Des médecins, des caissières, des infirmiers, des aides à domicile qui se sont mis au service de la nation attendent toujours une réponse. Ces admissions que l’on appelle pudiquement « exceptionnelles au séjour » dépendent de décisions totalement arbitraires, chaque préfecture faisant sa loi. La République est une et indivisible, mais pas ses commissaires…

Au lieu de lancer un plan massif de recrutement et d’uniformisation des pratiques préfectorales, vous engagez des crédits dans une dématérialisation déshumanisante et, donc, dans l’exclusion.

Quant à l’asile, à la suite de l’agression russe, notre pays s’est honoré en accueillant les réfugiés ukrainiens. Cet accueil inédit est sans commune mesure avec tous les autres dispositifs mis en place. Grâce au statut de la protection temporaire, les Ukrainiens ont pu accéder immédiatement à des droits que seuls les nationaux et les réfugiés installés de longue date peuvent obtenir – les autres personnes étrangères doivent attendre le traitement de leur demande de titre de séjour ou d’asile et sont maintenues dans une quarantaine sociale partielle pendant cet examen.  Pour répondre à la volonté politique, les préfectures se sont mobilisées en ouvrant leurs portes, là où d’ordinaire les différents téléservices empêchent tout accès immédiat. De même, l’accès à un hébergement a été quasiment immédiat, alors que les demandeurs d’asile doivent attendre plusieurs jours à plusieurs mois avant d’y accéder, quand ils ne sont pas privés de conditions matérielles d’accueil.

Le contraste est saisissant. Les mêmes droits légitimes dont bénéficient les Ukrainiens réfugiés sur notre territoire devraient être accessibles à tous les réfugiés, quelle que soit leur provenance.

La répartition budgétaire continuera à entretenir cette politique inhumaine. Nous ne voterons pas ce budget.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Ce budget arrive dans un contexte où prévaut le sentiment d’une situation migratoire hors de contrôle.

Rappelons que la première source d’immigration illégale reste l’immigration légale. Avec 400 000 entrées légales par an, peuvent se maintenir sur notre sol les déboutés du droit d’asile qui ne sont pas expulsés, les titulaires d’un premier titre de séjour, dont la délivrance a augmenté d’un tiers depuis 2012, ou encore les détenteurs de visas touristiques.

L’immigration familiale subie est surreprésentée. C’est la première catégorie de titres de séjour délivrés en 2021, avec environ 90 000 premiers titres de séjour. C’est un phénomène inquiétant, en ce qu’il représente 50 % de ces titres de séjour. Il faudra répondre à cette problématique dans le futur, en particulier dans la prochaine loi que vous nous présenterez.

L’immigration du travail est sous‑représentée par rapport à celle des autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en particulier européens. Il faudra probablement l’augmenter : elle représente 13 % de l’immigration en France, contre un tiers en Allemagne. En France, c’est l’immigration familiale qui fait office d’immigration de travail, et 40 % d’immigrés ayant un niveau « brevet » ou inférieur alimentent les trappes à bas salaires.

L’immigration étudiante connaît également une dérive, avec 85 000 titres. Avons-nous besoin d’une immigration étudiante hors de contrôle, dans toutes les filières, y compris celles qui n’offrent pas de travail en France ?

Le détournement de la demande d’asile que j’ai évoqué, qui en fait une voie légale d’immigration, est préoccupant : 140 000 demandeurs d’asile par an ; un tiers est protégé ; seulement 50 % des déboutés reçoivent une OQTF. À terme, il sera nécessaire de délivrer automatiquement une obligation de quitter le territoire français à l’ensemble des personnes déboutées, même s’il faudra la suspendre le temps de l’appel devant la CNDA.

Par ailleurs, pourquoi ne pas remettre des visas aux ressortissants géorgiens et albanais, dont l’augmentation des demandes d’asile a été de l’ordre de 150 % en 2020, ce qui représente près de 10 000 demandeurs d’asile par an ?

Nous saluons, dans ce budget, l’augmentation du nombre de places en centre de rétention administrative. Nous demandons, afin de les garder sous la main, un placement plus important des demandeurs d’asile provenant de pays sûrs, sachant qu’ils seront in fine déboutés. Nous sommes particulièrement inquiets des résultats imputables à l’absence de politique migratoire : 500 000 clandestins, des éloignements lamentables – 13 000 en 2021, 22 vers l’Algérie au début de cette année –, et une aide médicale d’État qui dépasse le milliard d’euros.

Je m’interroge sur la sincérité des documents budgétaires qui nous ont été transmis. La cible à atteindre sur la part des demandeurs d’asile hébergés a été abaissée : elle représentait 90 % dans le PLF pour 2022 ; elle est de 70 % dans le PLF pour 2023. La part des places occupées par les demandeurs d’asile dans le dispositif national d’accueil était de 89 % dans le PLF pour 2022 ; elle est de 84 % dans le PLF pour 2023. S’agit-il d’une baisse d’ambition, d’une baisse des moyens ? Vos propositions antérieures étaient-elles des mensonges présentés à la représentation nationale ?

Sommes-nous sûrs que les chiffres que vous nous présentez aujourd’hui sont les bons ? Je pense en particulier aux délais moyens de traitement d’un dossier par l’Ofpra : dans le PLF pour 2022, ils étaient estimés à 112 jours, mais la réalité était de 261 jours, soit près du double. Se pose donc la question sur la cible 2023 de la loi Collomb, à 60 jours : vous viseriez une division du délai quasiment par cinq, alors que vous ne créez que huit emplois supplémentaires à l’Ofpra et que nous devrons probablement faire face à une augmentation de la demande d’asile.

Le nombre d’éloignements en 2021 était prévu à 3 000 dans le PLF pour 2021 ; vous nous en proposez 7 000 dans le PLF pour 2023. Comment allez-vous doubler ce nombre, alors que le budget dédié aux étrangers en situation irrégulière ne compense, en réalité, que l’augmentation des places de CRA, le kérosène et les achats de billets ? Ce budget ne permettra pas d’augmenter, ni a fortiori de doubler les expulsions.

Je m’interroge donc sur l’adéquation des moyens financiers aux objectifs politiques annoncés, sachant notamment que la dotation pour l’allocation pour demandeurs d’asile est fondée sur 135 000 demandes d’asile introduites à l’Ofpra, soit le chiffre de 2019. Pouvez-vous nous garantir la validité de ce chiffre ? Quelles sont les tendances pour 2022 ?

Dans ma circonscription, le tribunal administratif de Lille vient d’annuler trois arrêtés préfectoraux d’interdiction de distribution des repas à Calais. Quelles seront vos consignes aux préfets ? Leur demanderez-vous de ne plus prendre de tels arrêtés, ou reverrez-vous votre position pour continuer à protéger la population et éviter la création de points de fixation ?

M. Emmanuel Mandon (Dem). Avec une hausse globale de 6 % par rapport au projet de loi de finances pour 2022, les crédits de la mission Immigration, asile et intégration amplifient les efforts engagés en faveur des programmes 303 et 104, en accordant aux pouvoirs publics de nouveaux moyens. La trajectoire budgétaire proposée nous semble préfigurer le projet de loi sur l’immigration annoncé pour le début de l’année 2023, dont l’ambition, sans préjuger l’issue de la concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, devrait consolider les trois axes d’action stratégique de la politique migratoire : la maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment à l’égard des profils dangereux ; l’intégration des étrangers en situation régulière ; la garantie du droit d’asile.

Le premier objectif, la lutte contre l’immigration irrégulière et le contrôle des flux, est un sujet de cohésion sociale, à n’en point douter, tout comme l’acceptation d’une immigration légale fondée sur les besoins économiques. C’est un débat ancien et permanent, auquel les gouvernements successifs ont tenté de répondre, notamment par la politique des quotas.

Depuis 2016, une autre voie a été choisie, avec le passeport talent qui vise à attirer la main-d’œuvre qualifiée, mais ne parvient pas à répondre aux besoins en emploi des secteurs en tension. C’est un sujet majeur, indissociable de la conduite d’une politique volontariste et assumée contre l’immigration irrégulière. Nous espérons que le futur projet de loi nous permettra de l’aborder sereinement. Vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur l’implication notre groupe.

Face à des flux migratoires internationaux et européens aussi importants qu’aujourd’hui, une politique efficace contre l’immigration illégale doit plus que jamais être pilotée. Le renforcement des leviers budgétaires y concourt, avec l’arsenal permettant de rendre effectives les décisions d’éloignement. Les outils sont divers, de l’aide au départ volontaire assortie d’une aide juridique et à l’insertion, au retour forcé, en passant par l’expulsion des profils dangereux, car nous savons d’expérience que seules les réponses individualisées sont pertinentes. Le taux de reconduite à la frontière en 2021 n’était que de 43 %. Pour 2023, nous relevons le déploiement en parallèle de nouveaux crédits en AE, à hauteur de 61,40 millions d’euros pour la rétention administrative des clandestins, et de 44,12 millions pour l’exécution des décisions de reconduite à la frontière des irréguliers, tout aussi importante.

En matière de garantie de l’exercice du droit d’asile, la France, comme ses voisins européens, a dû faire face à une forte augmentation des demandes. Les efforts budgétaires consentis ces dernières années ont incontestablement permis de réduire significativement les délais de traitement des demandes et des décisions de naturalisation de l’Ofpra. Nous prenons acte du maintien du haut niveau d’engagement financier pour 2023, tout en insistant sur l’importance de poursuivre l’accélération de l’instruction des dossiers.

Déposer une demande de titre de séjour reste une démarche compliquée pour beaucoup d’étrangers. Si l’Ofpra s’améliore, dans les préfectures, premiers guichets d’enregistrement de la demande d’asile, l’engorgement est d’autant plus fort que le décret du 24 mars 2021 a rendu obligatoires les démarches en ligne. Le ministère de l’intérieur s’est engagé à proposer d’autres modalités de dépôt, pour satisfaire à la décision du Conseil d’État annulant partiellement le décret, mais elles ne sont toujours pas effectives. Nous espérons des informations concrètes.

Le soutien budgétaire à l’accompagnement global et individualisé des demandeurs d’asile va dans le bon sens. Néanmoins, alors que notre pays reste confronté à de forts flux secondaires venus par la Méditerranée, pour que notre politique d’asile soit réellement efficace, la réponse doit être européenne.

Le programme 104 Intégration et accès à la nationalité française, dont les crédits sont en hausse de 24,3 %, est déterminant si nous voulons préserver une approche efficace conciliant une promesse républicaine et une immigration maîtrisée et contrôlée.

Le groupe Démocrate votera les crédits de cette mission.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Notre groupe est soucieux d’une immigration contrôlée, mais sans y trouver prétexte à gesticulation. Pour avoir été magistrat administratif, j’observe que la difficulté de régularisation fait perdre beaucoup de temps aux préfets, aux associations méritantes, aux parlementaires et aux élus, même lorsque les situations, de toute évidence, justifient la régularisation. Nous gagnerions en crédibilité si nous savions gérer ces questions bien plus rapidement.

L’idée d’un parrainage, tel qu’évoqué par Mme la rapporteure, me paraît une piste intéressante. Ce n’est d’ailleurs pas autre chose que nous faisons lorsque nous demandons une régularisation : nous présentons un dossier montrant, preuves à l’appui, l’opportunité de cette intégration pour la personne qui est en France depuis longtemps, et son utilité pour la société, car, très souvent, l’entreprise souhaite l’embaucher.

Sur ce point précis, il nous manque vraiment une circulaire. Nous avons la circulaire Valls, mais nous ne sommes sûrs ni de la réalité de son application, ni de pouvoir nous appuyer dessus. Certes, une circulaire ne peut pas intervenir dans un jugement ; toutefois il est essentiel qu’en matière de régularisation, la position des préfets soit connue et ne diffère pas d’une préfecture à l’autre. Bien évidemment, le juge ensuite est souverain mais, avant d’aller devant lui, concentrons-nous sur la possibilité de régulariser les personnes qui, de toute évidence, le méritent et, de toute évidence, ne retourneront pas dans leur pays.

Au passage, remercions les associations, diocésaines ou autres, qui travaillent sur ces dossiers complexes. Elles participent à l’intégration et évitent bien souvent à ces personnes de dormir dehors.

Dans cette difficulté de régularisation, que peut-on faire avec la circulaire Valls ? Est-elle toujours d’actualité ? Peut-on s’en emparer pour plaider des dossiers qui nous paraissent incontestables ? Actuellement, on sent que la vis se resserre ; la situation devient extrêmement difficile, compliquée pour le corps préfectoral, mais plus encore pour les personnes qui sont à la porte de la France républicaine.

La difficulté de dépôt des dossiers a été dénoncée à maintes reprises. Il n’est pas admissible, en France, d’être dans l’impossibilité de déposer un dossier. En tant que parlementaires, nous recevons des étrangers qui ont demandé un rendez-vous en ligne et à qui on a répondu qu’il n’était pas possible de leur en accorder un. Le service public chargé d’exécuter une politique publique majeure ne fonctionne pas.

Je redoute que nous nous heurtions aux mêmes difficultés avec le dispositif d’accès à la nationalité qui reposera sur le système de dématérialisation d’information Natali. Des personnes qui sont très éloignées du numérique ont la volonté de bien faire, mais n’arrivent pas à déposer leur dossier. Nous sommes prêts à intervenir, car ce n’est pas l’espace France Services qui résoudra le problème, nous le savons déjà.

Enfin, d’après le jaune budgétaire, les cabinets de conseil sont, dans leur grande majorité, retenus par le ministère de l’intérieur. Allez-vous finalement décider de l’internalisation, qui est vraiment souhaitée pour travailler mieux à cet accueil dématérialisé dont la préfecture ou, en tout cas, le ministère de l’intérieur devrait faire son affaire ?

M. Philippe Pradal (HOR). Les crédits de la mission Immigration, asile et intégration s’élèvent pour 2023 à plus de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement. Cela représente des augmentations significatives que le groupe Horizons souhaite souligner : 34,18 % pour les AE, 5,94 % pour les CP.

Financer correctement un accueil et une intégration plus humains toujours aussi nécessaires, sans pour autant renier une politique claire et efficace vis-à-vis de ceux qui entrent irrégulièrement sur notre territoire ou qui s’y maintiennent sans droit ni titre, ainsi pourrait être résumé l’objet de la mission. Pour le groupe Horizons, cette dynamique, évoquée par le Président de la République le 22 septembre dernier, semble se traduire de manière pertinente dans les crédits attribués.

Fort d’une longue tradition d’accueil des demandeurs d’asile, l’État se doit d’être à la hauteur. Notre groupe approuve donc la forte concentration des crédits consacrés à cette action, avec près de 2 milliards en AE et 1,2 milliard en CP. L’objectif de réduction des délais de traitement d’une demande d’asile à l’Ofpra, à 60 jours contre 75 jours en 2022 et plus de 260 jours en 2020 et 2021 en raison de la crise sanitaire, est déterminant. En outre, notre groupe tient à saluer la création de 2 500 places supplémentaires pour les demandeurs d’asile au sein des Huda et des Cada.

L’intégration est également un aspect déterminant de la politique migratoire de la France. Ainsi, le renforcement de plus de 70 % des crédits en faveur de cette action est bienvenu. Nous nous réjouissons que plus des trois quarts de ces crédits soient mis à disposition des préfets de région, compte tenu de la nécessaire territorialisation des politiques d’intégration. Les 273 millions d’euros ainsi consacrés visent notamment à financer l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), mais également les dépenses afférentes au contrat d’intégration républicaine (CIR).

Instauré par la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France, ce contrat a pour objet l’appropriation des valeurs de la République, la maîtrise de la langue française et l’insertion professionnelle de l’étranger primo-arrivant. Le CIR matérialise l’engagement de la personne qui veut s’installer en France. Chaque année, quelque 100 000 personnes signent ce contrat. Notre groupe salue l’intégration du volet insertion professionnelle, en partenariat avec Pôle emploi depuis le 1er janvier 2022, car l’insertion professionnelle demeure une clé incontournable de l’intégration des primo-arrivants.

Tout cela doit aller de pair avec la lutte contre l’immigration irrégulière. Cette dernière voit ses moyens renforcés à hauteur de 205 millions d’euros en AE et 169 millions en CP, soit des augmentations respectives de 31,66 % et 17,83 % par rapport à 2022. Ils iront renforcer le contrôle aux frontières, les mesures d’éloignement, la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, et la lutte contre les filières. La création, dès 2023, de 102 places supplémentaires au sein de 26 centres de rétention administrative est à souligner, l’objectif étant d’atteindre 50 % de places supplémentaires d’ici à 2025 par rapport à 2017. Les efforts visant à augmenter le taux d’exécution des OQTF doivent également se poursuivre.

Il importe que l’accent soit mis sur la formation linguistique des signataires du CIR. Si en 2022, 76 % d’entre eux atteignent le niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), l’objectif de 80 % pour 2023 et 90 % à l’horizon 2025 nous semble hautement souhaitable. Les documents budgétaires insistent sur le renforcement de l’évaluation initiale du niveau de langue des signataires du CIR, afin d’améliorer l’orientation vers les différentes formations proposées – A1, A2 ou B1.

Je souhaiterais savoir si les signataires du CIR bénéficient majoritairement de formations visant le niveau A1. Le cas échéant, ne serait-il pas pertinent d’élever le niveau d’exigence au niveau A2, voire encore supérieur ? D’autres pays l’ont fait avec, parfois, un certain succès.

En tout état de cause, les crédits attribués à cette mission nous semblent aller dans le bon sens et viser le bon équilibre. Le groupe Horizons votera donc en faveur des crédits alloués à cette mission.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). On ne peut que se réjouir des efforts déployés en faveur des réfugiés ukrainiens et des augmentations budgétaires. Toutefois, des questions restent en suspens.

En prenant le bus ou le tram pour se rendre de Strasbourg, où j’habite, à Kehl, on est frappé par la différence dans l’accueil qui existe entre les deux villes. À Kehl, les personnes ne vivent pas dans des bidonvilles, sous des tentes, dans des conditions indignes ; les conditions d’accueil sont en dur, en toute humanité. On ne peut pas dire que l’Allemagne est le pays le plus à gauche en Europe, ni celui qui compte le plus de députés NUPES. Pourtant, les Allemands arrivent à faire des choses que nous ne faisons pas.

Ce constat m’incite à m’interroger sur l’inégalité de traitement entre les différents territoires en France. Strasbourg doit être la neuvième ville de France, elle compte 300 000 habitants et elle devra rendre 10 % des places d’accueil qui seront supprimées en France, soit 700 sur 7 000, quand l’ensemble du département en perdra 1 000. Un septième des places sera donc supprimé dans ce seul département, qui est loin d’être l’un des plus peuplés de France, et qui, en tout cas, ne représente pas le septième de la France. Pourquoi cette ville et ce département sont-ils ainsi particulièrement touchés ?

Je m’interroge d’autant plus que Strasbourg est une capitale européenne, la ville qui abrite toutes nos institutions européennes : la Cour européenne des droits de l’homme et toutes les institutions des droits humains. C’est donc un territoire qui attire plus que d’autres des flux de personnes qui viennent rechercher le droit et la reconnaissance de ce qu’elles ont subi. Derrière cette inégalité de traitement, n’oublions pas tout cela.

Les suppressions de places d’hébergement mettent surtout en exergue des situations catastrophiques : 42 000 enfants sans abri en France dorment dans la rue. Des collègues ont signé une tribune transpartisane ; certains de votre coalition les ont rejoints, pour rappeler l’urgence à agir.

Dans tout ce qui nous est ici présenté, je relève encore de nombreux questionnements qui me poussent à dire que l’on n’avancera pas. Les moyens financiers sont bien là, mais ils sont déployés, non pour la solidarité, non pour l’accueil, mais pour le renforcement de contrôles qui n’en finissent pas de démontrer leur incapacité à endiguer les flots. Pourquoi donc tout cet argent là où il est inutile, alors qu’il pourrait au moins servir notre devise républicaine ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le budget consacré à l’immigration est certes en hausse, mais pas pour rechercher l’efficacité par l’accueil. C’est un budget qui, depuis quelques années, est déterminé par un agenda politique. On a vu, pas plus tard qu’il y a quelques instants, combien ce thème est instrumentalisé, et à un degré d’écœurement rarement atteint.

Sur la question migratoire, le Gouvernement joue avec le feu. Pourtant, s’il est un défi important à relever pour notre pays et pour de nombreux autres au XXIe siècle, c’est bien celui de l’organisation et de la préparation de l’accueil dans de bonnes conditions. Or ce budget immigration ne s’en soucie pas. Il ne se soucie pas non plus des alertes ou des condamnations prononcées en cas de bafouement des droits humains parfois les plus fondamentaux, comme l’accès à l’eau.

Dans la continuité de la réforme des conditions de rétention portée par le projet de la loi « asile immigration » en 2018, le plan d’investissement dans les centres de rétention prévoit une augmentation du nombre de places et du taux d’occupation. La capacité dite immobilière d’accueil pour l’ensemble des vingt-deux CRA de métropole est de 1 859 places en 2022, contre 1 719 places en 2021. En 2023, elle sera portée à 1 961 places, avec la création du CRA d’Olivet et l’extension de celui de Perpignan.

C’est une rétention qui s’apparente de plus en plus à une détention : on passe désormais directement de la prison au centre de rétention, notamment dans les zones frontalières, comme Menton, où les droits fondamentaux des migrants sont bafoués au quotidien. Une rétention qui continue d’accepter et d’autoriser la présence d’enfants, en dépit des neuf condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que la rétention d’enfants constitue un traitement inhumain et dégradant. Si certains ici n’ont rien à faire de la Cour européenne des droits de l’homme, ce n’est pas mon cas, et je pense que nous devons nous soucier de ses condamnations.

En 2021, quarante et une familles, dont soixante-seize enfants, ont été enfermés en rétention dans l’Hexagone, et bien plus à Mayotte. Des pratiques illégales sont toujours constatées, telles que le rattachement fictif de mineurs à des adultes tiers ou des expulsions expéditives, au mépris du droit à un recours effectif, et parfois en violation de l’interdiction de renvois collectifs. J’ai pu constater moi-même, à Menton, le refoulement de mineurs à la frontière.

Dans le même temps, le Gouvernement prévoit une baisse drastique de l’enveloppe allouée à l’allocation pour demandeurs d’asile, puisque cette dernière sera amputée de 36 %. Cette baisse serait justifiée par l’anticipation de délais d’instruction plus serrés et par un renforcement de la lutte contre les fraudes. « Ça va aller mieux, les délais seront raccourcis », c’est ce qu’on nous répète en permanence. Pareil dans les préfectures : la dématérialisation permettra de gagner du temps, donc on réduit les moyens en amont. En réalité, cela ne fonctionne pas ; les délais s’allongent davantage et l’engorgement gagne. Comment ne pas y voir des économies faites sur le non-respect des droits ? Comment le comprendre en pleine guerre de la Russie contre l’Ukraine, alors que les réfugiés ukrainiens disposent de cette aide ?

Dans ce budget comme dans bien des précédents, l’apprentissage du français langue étrangère est le parent pauvre. La langue, si elle n’est pas maîtrisée, peut constituer un réel facteur d’exclusion pour les personnes étrangères, sur le plan social comme professionnel. C’est un incontournable des démarches administratives : maîtrisée, elle est un formidable outil de partage et d’intégration, et permet également un parcours sans rupture, pour peu qu’on y mette les moyens.

Notre pays se prévaut beaucoup de la francophonie en dehors de ses frontières, mais il n’est vraiment pas à la hauteur sur son territoire, alors même que la connaissance de la langue française y est l’une des conditions d’intégration exigée par l’administration. Au reste, si je ne me trompe pas, monsieur le ministre, vous comptez encore renforcer cette condition dans votre projet de loi. Il ne peut donc s’agir seulement d’une injonction ; il faut mettre les moyens. Ce sera le sens de l’un de mes amendements.

Enfin, ce budget est toujours dans l’hypocrisie par rapport à ces 600 000 à 700 000 personnes sans papiers qui travaillent dans notre pays, qui y paient leurs impôts, qui y scolarisent leurs enfants, y vivent et aspirent à y rester. La circulaire Valls participe de cette hypocrisie et aide beaucoup de patrons à exploiter sans vergogne ces salariés.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions individuelles des députés.

Mme Sarah Tanzilli (RE). La transformation numérique est un enjeu majeur de ces prochaines années, et la nouvelle criminalité impose de se doter d’outils numériques et d’agents des forces de sécurité intérieure formés. Plus spécifiquement, nos services de police judiciaire spécialisés dans la cyberpédocriminalité manquent encore de moyens humains et du matériel nécessaire pour lutter efficacement contre ce phénomène grave et intolérable. Le groupe central des mineurs victimes (GCMV), chargé de la pédocriminalité au sein de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), effectue à Nanterre un travail remarquable, mais ne peut pas intercepter autant d’agresseurs qu’il le faudrait.

En tant que ministre de l’intérieur, vous êtes particulièrement attentif au déploiement d’investissements dans le numérique et la lutte contre la cybercriminalité, ce qui se traduira par la création d’une école cyber et d’un groupe de cyberpatrouilleurs. Comment articuler la lutte contre le la cyberpédocriminalité et l’action de ces derniers ? Le nombre d’enquêteurs au sein du GCMV, chargé de la pédocriminalité sur le volet cyber, sera-t-il augmenté ? 

M. Rémy Rebeyrotte (RE).  Vous aviez envisagé, il y a quelques années, de déconcentrer des services du ministère de l’intérieur dans nos territoires, hypothèse que vous aviez soulevée dans une logique d’aménagement du territoire. Une telle déconcentration est‑elle toujours d’actualité ?

La loi « sécurité globale » prévoyait une adaptation des formations, et surtout de leur durée, pour les policiers municipaux originaires de la police nationale et de la gendarmerie, du fait que leur parcours facilite leur intégration rapide dans nos communes et apporte un confort supplémentaire à la gestion de la sécurité publique dans nos collectivités territoriales. Apparemment, cela ne fonctionne pas tout à fait comme nous avions pu l’imaginer.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Avant les élections, la reconstruction de quatre gendarmeries avait été annoncée dans notre département de Saône-et-Loire. Or l’opérateur fait défaut et annonce qu’au vu des modalités financières, il ne construira pas ces gendarmeries. Il semblerait que se pose un problème d’accompagnement dans le financement de la construction. Je tenais à vous alerter sur cette question.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Tanzilli, je voudrais ici vous annoncer la création d’un office de police judiciaire supplémentaire, en complément de l’OCRVP. Il sera spécialisé dans la lutte contre les violences faites aux mineurs, puisque les crimes à l’encontre des mineurs sont en progression, dans le cadre d’internet notamment. Cet office sera confié à la police judiciaire et bénéficiera de trente enquêteurs supplémentaires.

Le premier office manque en effet d’enquêteurs. Il s’agit de profils très spécialisés et, lorsque des postes sont ouverts, nous ne trouvons pas toujours de candidats. Cet office lutte contre la pédocriminalité, notamment sur internet. Le second office, qui s’occupera des mineurs, répondra, je pense, à votre souhait. Il me semble qu’est ainsi démontré qu’en créant des offices de police judiciaire, on ne supprime pas de police judiciaire. Peut-être, un jour, arriverai-je à faire entendre cet argument – la preuve du pudding est qu’il se mange !

Monsieur Rebeyrotte, nous déconcentrons 2 500 emplois dans les territoires, comme je l’avais déjà fait lorsque j’étais à Bercy. Je citerai, en autres exemples, l’IGPN au Havre.

S’agissant de la police municipale, je suis plus circonspect. Cette question relève de la fonction publique territoriale et du fonctionnement de l’Association des maires de France. Je les invite à exprimer ce qu’elles souhaitent pour leur police municipale. Par exemple, faut-il des écoles de formation de police municipale ?

En outre, la police municipale n’est pas la même à Nice qu’à Paris, Grenoble ou Tourcoing. Le code général des collectivités territoriales dispose que chaque ville l’organise comme elle le souhaite, par le biais de ses organes délibérants. N’étant pas l’employeur des polices municipales, j’aurais du mal à avoir une position – d’ailleurs, il y a autant de polices municipales que d’employeurs municipaux. La question est intéressante, mais elle relève de l’échelon décentralisé. Je respecte les compétences prévues par l’article 72 de la Constitution. Si vous pensez nécessaire de modifier les choses, je laisse cela à votre sagacité d’élus locaux et de parlementaires.

Dès que l’on parle d’immigration, pas grand monde ne reste calme. J’ai entendu des propos excessifs de part et d’autre.

Je voudrais tout d’abord saluer le travail de Mme la rapporteure, intéressant et parfois critique, notamment sur l’amélioration du service public – le sujet peut en effet susciter des critiques nombreuses. Des choses ont été dites qui vont me pousser à dévoiler des arbitrages de la loi à venir sur l’immigration.

Par exemple, je trouve inacceptable que seul l’employeur puisse demander la régularisation de la personne embauchée sans papiers. Nous proposerons donc, avec Olivier Dussopt, que ce soit l’employé, et non l’employeur, qui demande la régularisation, afin d’éviter cette pression, que l’on pourrait qualifier « d’armée de réserve », de la part de patrons voyous. Nous renforcerons d’ailleurs très fortement les sanctions contre les employeurs qui embauchent des sans-papiers. Ces sanctions sont extrêmement réduites, en tout cas peu appliquées, et cela donne lieu à des calculs sur les économies réalisées entre le moment de l’embauche d’un sans‑papiers et celui de l’intervention des organes de contrôle – personne n’a jamais raisonné ainsi pour un ticket de métro, bien évidemment ! Voilà un exemple de délinquance en col blanc contre laquelle il convient de renforcer les dispositions.

Les files d’attente dans les préfectures, de physiques sont devenues en grande partie numériques. Les raisons en sont multiples. Madame Untermaier, j’ai beaucoup de respect pour votre personne et pour le travail que vous accomplissez. Mais enfin, pas vous et pas ici ! Les suppressions d’emplois dans les préfectures durent depuis quinze ans. Je les ai arrêtées quand j’étais ministre des comptes publics, à la demande du Président de la République. Vous avez supprimé 1 422 emplois dans les préfectures, sous trois majorités qui se sont succédé et singulièrement durant le quinquennat du président Hollande. Vous avez supprimé 56 % des emplois dans les services des étrangers des préfectures et, vous avez raison, en conséquence de cette politique il y a moins d’agents derrière les guichets.

Pour la première fois depuis quinze ans, nous avons cessé de supprimer des emplois dans les préfectures et, dans ce PLF, nous proposons d’en créer un petit peu moins de 400 au cours des cinq prochaines années. Sans doute n’est-ce pas suffisant mais, madame Untermaier, vous pourriez reconnaître avec honnêteté avoir commis une erreur, à une époque, en supprimant des emplois en préfecture. Puisqu’il faut des agents supplémentaires pour réduire le temps d’attente, nous allons recruter des agents de préfecture. Il serait donc intéressant que vous votiez les crédits qui permettent la re-création de ces postes.

Le système ne fonctionne pas bien non plus parce qu’on demande aux étrangers de revenir devant les guichets de préfecture, alors qu’ils ont déjà un titre de séjour. Nous créons nous-mêmes des sans-papiers alors qu’ils ont des papiers, qu’ils travaillent et n’ont aucun problème avec l’ordre public. C’est la raison pour laquelle le chiffre des personnes en situation irrégulière sur le territoire national n’est pas très honnête, dans la mesure où des personnes deviennent sans-papiers parce que nous ne sommes pas capables de leur donner des rendez-vous à temps dans les préfectures.

On leur demande de renouveler leur titre de séjour notamment lorsqu’ils changent d’employeur.  Ce n’est pas normal, cela prend du temps aux agents de préfecture et c’est mal accueillir l’étranger qui travaille et vit normalement sur le territoire de la République. Nous proposerons donc, avec Olivier Dussopt, que la personne qui change simplement d’employeur n’ait pas à demander de nouveaux papiers, et que le titre concerne l’étranger et non pas son employeur et son emploi. Contrairement à ce qui se fait aujourd’hui, nous voulons être gentils avec les gentils, et méchants avec les personnes qui posent des difficultés à la République.

Par ailleurs, j’ai personnellement été touché, lorsque j’étais maire, par la question des chibanis algériens, qui ont quasiment toujours vécu sur le territoire de la République française, qui sont venus en France au moment où l’Algérie était française et à qui on demande encore, à 80 ans, de se présenter dans les préfectures. Ces personnes ne posent aucun problème d’ordre public, elles sont tout à fait intégrées, voire assimilées. Pour diverses raisons, elles choisissent de ne pas prendre la nationalité française ; c’est leur droit le plus strict. Nous prendrons donc des dispositions afin de ne plus faire l’insulte à ces personnes d’avoir à se présenter, ce qu’elles font aujourd’hui et qui embolise le fonctionnement des préfectures. Je parle des chibanis algériens, mais cela peut être le cas d’autres personnes.

On peut bien ajouter des ETP et des crédits supplémentaires – j’en suis toujours heureux –, mais il y a aussi une question d’organisation de nos services du ministère de l’intérieur.

J’en viens aux questions sur l’ADA. Fin 2022, 125 000 personnes perçoivent l’ADA ; s’ajoutent à cela 80 000 autorisations provisoires de séjour (APS), l’équivalent de l’ADA pour les Ukrainiens – ceux-ci ne sont donc pas pris en compte parmi les allocataires de l’ADA.

Au passage, la comparaison entre le dispositif destiné aux réfugiés ukrainiens et l’ADA n’est pas juste. Si la France insoumise ou Europe Écologie-les Verts souhaitent que le régime de l’asile soit aligné sur le système appliqué aux Ukrainiens, chiche ! Sachez tout de même qu’en contrepartie, les Ukrainiens ont l’obligation de retourner, au bout de trois ans, dans un pays qui ne sera plus en guerre. Si vous souhaitez cette solution, je ne la trouve guère humaniste. Les Syriens et les Afghans ne seraient peut-être pas très heureux d’avoir à repartir dans trois ans dans des pays qui, a priori, ne sont pas chavirés par la démocratie. Heureusement que nous ne retenons pas cette proposition.

Nous diminuons l’ADA parce que, l’année dernière, nous avons inscrit plus de crédits que nous n’en avons consommés. Contrairement à ce que vous avez dit, madame Faucillon, depuis que je suis ministre de l’intérieur, nous avons surévalué les crédits. Sur un peu plus de 400 millions d’euros inscrits, vous constaterez que nous en avons dépensés moins, à hauteur de 380 millions. Nous gagnons désormais du temps avec les demandes d’asile, certes, encore insuffisamment, parce que l’ADA est versée avant que la personne ait ou n’ait pas obtenu le droit d’asile. D’ailleurs, au bout de six mois, elle peut travailler.

Dans le projet de loi que nous présenterons avec Olivier Dussopt, nous nous demandons s’il ne faudrait pas avancer le versement de l’ADA pour certains demandeurs d’asile – ceux qui ne travaillent pas, ceux dont on est certain qu’ils ne pourront pas repartir dans leur pays, comme les personnes qui viennent d’Afghanistan, par exemple.

Il ne faut pas voir autre chose que notre capacité à être plus efficaces à l’Ofpra. Tout le monde le dit et le constate, notamment grâce aux ETP que vous avez votés. Nous sommes moins efficaces sur le plan de la juridiction administrative. Nous statuons désormais en 140 jours. L’Ofpra enregistre à ce jour un stock de 40 000 dossiers, contre 84 000 quand je suis devenu ministre de l’intérieur. Nous aurions donc divisé par deux le stock, alors que nous recevons davantage de demandes d’asile qu’en 2020, en période de covid. Nous sommes plus performants.

En revanche, la CNDA et les tribunaux administratifs ont parfois allongé leurs délais, pour de multiples raisons, notamment liées au covid. Les juges collégiaux de la CNDA ne voulaient pas se réunir autrement que physiquement, ce qui a retardé l’étude des dossiers. Des mouvements sociaux importants ont touché la CNDA, notamment à l’initiative des barreaux d’avocats, pour protester contre la réforme des retraites par points imaginée par l’ancien gouvernement. Bref, l’Ofpra a diminué ses délais, et la juridiction administrative les a soit maintenus, soit allongés.

C’est la raison pour laquelle, dans la réforme que nous proposerons au Parlement, une mesure touche profondément au fonctionnement de la juridiction administrative, notamment de la CNDA, en lien avec le Conseil d’État. Je ne la détaillerai pas ici ; pour résumer, elle passera par la territorialisation en lien avec les Guda, ce qui permettra de gagner un mois avant d’autoriser une entrée ; la possibilité de recourir au juge unique et la possibilité d’accéder à la visio-audience.

Je rappelle à Mme Faucillon et à Mme Brocard que les crédits de l’ADA diminuent de 170 millions, pour se situer à 321 millions d’euros en 2023. Nous pensons que nous resterons dans cette épure. Nous verrons, bien évidemment, ce qu’il en sera l’année prochaine. En tout cas, je pense que l’examen des deux années budgétaires passées suffit à rendre caduque votre démonstration.

La mise en place de l’Anef, vous avez raison, madame la rapporteure, n’est pas simple mais cela ne m’effraie pas outre mesure, puisque je mène d’autres projets informatiques au ministère de l’intérieur, après en avoir mené d’importants au ministère des comptes publics, en particulier celui de l’impôt à la source. Autant, on peut se poser la question du pilotage du dossier par la police nationale, autant dans la préfectorale, on constate une réussite s’agissant des titres dématérialisés des demandeurs d’emploi. Cela mérite d’être souligné, parce que vous nous aviez interrogés l’année dernière sur cette politique de dématérialisation. Nous relevons qu’elle se révèle d’une grande efficacité pour tout le monde, y compris pour les personnes qui attendent bien moins longtemps et qui sont beaucoup plus réactives.

Le projet informatique de l’Anef concerne des systèmes d’information plus complexes, dont la mise en place s’achèvera dans les semaines et mois qui viennent. Mais nous avons d’ores et déjà gagné des délais importants : par exemple, dix-sept jours désormais pour un titre étudiant, treize jours pour un titre talent et un seul passage en préfecture contre trois jusqu’à présent.

Ce n’est pas l’alpha et l’oméga, il faut poursuivre notre effort. Certaines préfectures, comme celle du Nord, par exemple, ont instauré un système de prises de rendez-vous. Au moins, l’étranger sait quel jour il peut se présenter à la préfecture. Ce n’est pas le cas partout. Parfois, les files d’attente numériques ne s’organisent pas pour les prises de rendez-vous, la gestion se fait au fil de l’eau du traitement des mails, posant des problèmes à de nombreuses personnes. Reste toujours une possibilité de rencontre physique, qui se heurte, toutefois, à la suppression des effectifs dans l’administration préfectorale, au télétravail et à la crise du covid que nous avons vécue. L’honnêteté aurait peut-être dû pousser un certain nombre d’entre vous qui contestez la politique du Gouvernement, à droite comme à gauche, à rappeler que nous avons traversé une crise sanitaire. Reconduire les étrangers à la frontière quand les avions ne volent pas, ou quand des tests sanitaires sont demandés en toute occasion, est assurément rendu compliqué ! En période de covid, les touristes ne circulent pas, et on ne renvoie pas non plus les étrangers dans leur pays.

Monsieur le député Houssin, j’ai appris que l’un de vos camarades de campagne d’extrême droite allait réserver le nom de domaine de la jeune fille et récupérer des données pour en faire publicité. Vous pouvez être dépassé dans l’ignominie !

L’OQTF a été émise le 22 août 2022 à l’encontre de la suspecte, qui n’était pas connue des services judiciaires, si ce n’est pour violences conjugales. Si vous aviez travaillé davantage le droit des étrangers, vous auriez su que les étrangers victimes de violences conjugales sont protégés par la loi et par l’action des préfets. Peut-être voudriez-vous changer la loi, mais, pour l’heure, elle s’applique.

Vous dites que l’auteure supposée, en tout cas la suspecte, a reconnu les faits. Je respecte, quant à moi, le secret de l’instruction. La principale suspecte est algérienne. Elle est arrivée légalement sur le territoire national avec un titre d’étudiante ; elle a d’ailleurs passé, me semble-t-il, un CAP. De ce que nous savons aujourd’hui, elle a été victime de violences conjugales. Le préfet et la loi protègent les victimes des violences conjugales, y compris lorsqu’elles n’ont pas de papiers ; il s’agit donc d’une procédure particulière. Fin août, elle a fait l’objet d’un contrôle de police, à l’occasion duquel nous avons constaté que son titre de séjour n’était plus valide. Elle a donc fait immédiatement l’objet d’une OQTF.

Âgée de moins de 25 ans, n’ayant par ailleurs aucun casier judiciaire – je le précise parce que vous avez parlé des multirécidivistes –, étant elle-même apparue comme otage, victime de violences conjugales, nous avons organisé un départ aidé, une procédure qui fonctionne puisque nous en avons enregistré 1 583 depuis le 1er janvier. Fin septembre, elle n’est pas repartie, mais je vous rappelle, monsieur le député, que nous sommes un État de droit et que les gens peuvent présenter des recours. Cette personne, en l’occurrence, n’avait pas épuisé son délai de recours. J’ignore si elle l’a déposé, mais si elle l’a fait, le délai était suspensif.

À un moment, il faut reconnaître l’inexactitude de votre présentation. Au début de votre propos, vous avez déclaré que six Algériens avaient été arrêtés pour le meurtre de cette petite fille. Au bout de quelques heures, la justice en a relâché quatre. On ne vous entend pas formuler de remarques particulières sur le fait que vous avez peut-être été un peu rapide !

Sur la principale suspecte, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que la police a fait son travail et que voilà sept semaines que cette personne avait l’obligation de quitter le territoire. Dans aucun pays du monde, on n’expulse quelqu’un en sept semaines. Si vous connaissez ne serait-ce qu’un pays qui soit plus efficace en matière de reconduite à la frontière que la France, dites-le moi !

Au cours d’une dernière réunion, votre groupe a cité la Grande-Bretagne. On voit bien à quel point ce sont des chimères. Les Britanniques expulsent 4 500 personnes par an ; la France en a expulsé 14 565 depuis le début de l’année. J’ajoute que l’accord avec le Rwanda n’a jamais existé, puisqu’il n’est jamais entré en vigueur. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal expulsent moins de personnes que la France. La France est le pays qui expulse le plus de personnes.

La situation que nous connaissons touche tous les pays occidentaux. On peut toujours discuter du nombre d’étrangers que nous voulons recevoir et du type de migration que nous voulons. Il faut d’abord avoir le courage de dire que plus de la moitié de cette immigration est familiale, rendue automatique par le regroupement familial, mais pas uniquement. La question se posera aux parlementaires. L’immigration de travail représente 9 %, les titres étudiant environ 10 %, et le reste forme les demandes d’asile.

Vous releviez la nécessité de les réguler. Comment voulez-vous réguler la demande d’asile, à moins de changer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Constitution de la Ve République ? Je vous ai découvert très gaulliste dernièrement, aussi, je suis un peu étonné que vous vouliez toucher à la Constitution du Général de Gaulle et au préambule de celle de 1946. On ne peut pas fixer de quotas sur le droit d’asile car, par nature, les personnes qui demandent l’asile sur le territoire national sont pourchassées pour des raisons physiques, sexuelles ou politiques. Mme la rapporteure évoquait une voie d’amélioration, qui passerait par notre rapidité à répondre à ces personnes, plutôt que de fixer des quotas.

Vous avez cité Mme Le Pen pendant la campagne présidentielle. Elle proposait que les personnes demandent le droit d’asile dans des pays en guerre. J’imagine bien un Afghan cherchant le consulat de France à Kaboul : « Ah, bon, il n’y en a plus ? Les agents du consulat sont partis ? Pourtant, cela aurait été bien parce que je demande l’asile, je suis pourchassé dans mon pays. » S’il s’adresse à un policier taliban, il connaîtra quelques problèmes ! Cela n’est pas possible, monsieur le député. Vous avez bien fait, finalement, d’aller sur une triste actualité parce que, sur le fond, votre réflexion n’était pas très construite.

Je me suis exprimé sur la question des CRA. M. Dumont dispose des chiffres de l’année 2021. Dans la mesure où je ne fais pas de name dropping pays par pays, je vais citer le cas du pays qu’il a mentionné. Les reprises d’expulsions sont élevées – plus de 20 % depuis le mois dernier, lui-même en progression de plus de 40 % par rapport à cet été – pour une raison simple : de nombreux pays lèvent leurs restrictions sanitaires, telles que les tests PCR.

Nous nous heurtons à un triple problème. Celui, d’abord, des OQTF émises contre des personnes que nous ne pouvons pas expulser. Que faisons-nous d’un Afghan à qui nous avons refusé un titre de séjour, qui est sous le coup d’une OQTF mais que nous ne voulons pas expulser en Afghanistan ? La question se posera dans le cadre du débat sur l’immigration. On ne pourra pas l’expulser, quels que soient ceux qui gouvernent notre pays, sauf si vous me dites qu’il faut les remettre entre les mains de tel ou tel pays – mais ce n’est pas ce que vous dites. Cela vaut pour l’Afghanistan, la Syrie, le Soudan.

Nous rencontrons ensuite des difficultés avec les laissez-passer consulaires de ces pays. On peut toujours dire que l’on peut être plus performant, mais la question ne se limite pas à des relations de ministre de l’intérieur à ministre de l’intérieur. Se posent des questions d’ordre géopolitique.

Enfin, nous avons le problème des recours trop longs. Sur celui-là, nous pouvons agir. Nous aurons un débat sans doute difficile sur la réduction des recours. Il existe jusqu’à douze procédures pour expulser un étranger ; le projet de loi proposera de les réduire à quatre. Par ailleurs, nous proposerons la suppression de l’interdiction de la double peine et de tous les empêchements d’expulsion. Nous estimons le nombre des personnes que nous pourrions expulser à 4 000 personnes par an, si nous n’avions pas dans notre droit ces règles visant l’arrivée avant 13 ans sur le territoire national ou concernant les personnes mariées à un Français. Le débat dans l’hémicycle sera, je l’imagine, très difficile, mais nous avons là un moyen d’améliorer nos procédures d’expulsion.

Vous semblez vous étonner que nous voulions ouvrir un centre de rétention administrative à Nantes. Mme la maire de Nantes est d’accord avec moi, elle a d’ailleurs assumé courageusement sa position dans le débat public local. Je l’ai reçue et nous avons signé un communiqué de presse commun. Elle-même constate qu’une partie de la délinquance est le fait d’étrangers sur le territoire nantais. Ce n’est pas une chose terrible que de le constater, puisqu’ils représentent plus de 60 % de la délinquance dans le centre-ville de Nantes. Je vous propose de prendre rendez-vous avec la maire de Nantes, car il me semble que votre coalition politique doit encore beaucoup travailler pour se mettre d’accord sur tous ces sujets.

Le tribunal administratif de Lille a annulé trois arrêtés de la préfecture du Pas-de-Calais ; il en a validé d’autres, portant sur le centre-ville de Calais. Ceux que M. Dumont a évoqués ont été cassés cet après-midi. Le préfet a fait appel, l’appel étant suspensif. Si l’appel nous donne tort, nous nous mettrons en règle avec les lois de la République ; s’il nous donne raison, nous continuerons à éviter les fixations, afin de ne pas offrir des opportunités aux passeurs.

Je rappelle que seulement 5 % des immigrés arrivant dans votre région demandent l’asile en France puisqu’ils veulent rallier l’Angleterre. Nous disposons encore de 7 000 places disponibles d’hébergement pour ces personnes, qui méritent d’avoir de l’eau, de l’électricité, du chauffage, de la nourriture, dans des lieux dédiés et non pas dans des jungles reconstituées. C’est là l’essentiel, nous ne pouvons que leur donner.

Madame Untermaier, vous avez évoqué la reconstruction de gendarmeries. Dans la Lopmi, je proposerai l’idée d’une foncière de la gendarmerie et de la police nationale, qui me semble un dispositif plus intelligent pour construire, car les élus ont des difficultés de financement, qui les oblige à contracter des prêts. Parfois, les petites communes ont du mal à porter ces projets.

Madame Faucillon, la rétention des enfants dans les CRA soulève deux difficultés. Qui considérons-nous comme mineur : un jeune âgé de moins de 18 ans ou de moins de 16 ans ? Il est anormal qu’un enfant de moins de 16 ans vive dans un CRA pendant plusieurs jours de suite. Je suis donc favorable à sortir les enfants des centres de rétention administrative. Ils ne sont jamais tout seuls, ils sont toujours avec leur famille, ce qui soulève une seconde question : soit on sépare la famille – le père, la mère et l’enfant ; soit on assigne la famille à résidence. Il faudra que nous en discutions, parce que mettre en assignation à résidence ne doit pas empêcher d’expulser les personnes. Nous aurons peut-être des points de vue politiques différents, mais vous comprenez bien qu’il faudra le faire, dans des conditions humaines et de respect des droits de l’homme. Je suis prêt à changer la loi sur ce point.

À Mayotte, la difficulté c’est que les personnes y restent moins de quarante-huit heures, parfois largement moins de vingt-quatre heures, avant d’être expulsées vers les Comores. Une grande partie des personnes concernées sont accompagnées par des mineurs. Mayotte est donc un cas très à part, dont il faudra discuter. On peut tout à fait imaginer quelque chose qui soit conforme à l’intérêt que l’on porte, tout en considérant que le droit des étrangers n’est pas le même que nous appliquons en métropole, quand nous mettons plusieurs semaines à expulser quelqu’un. Je suis prêt à discuter de ce sujet dans le cadre du projet de loi. Ce n’est pas une disposition que nous introduisons aujourd’hui dans le projet de loi, mais elle peut faire partie du débat parlementaire, bien évidemment.

Madame Regol, j’ai du mal à comprendre que vous vous plaigniez de la restriction du nombre de logements puisque, à Strasbourg même, il n’y a aucune fermeture de places d’accueil et de logements. Des fermetures sont intervenues en 2021 pour des raisons de restrictions liées au covid, comme ce fut le cas partout. Pour l’année 2023, nous créons 4 900 places. J’ai donc du mal à imaginer comment nous pourrions en fermer dans votre département, mais je suis prêt à en discuter avec vous. Nous avons prévu 30 000 places d’hébergement et d’accueil au cours du quinquennat et n’avons décidé d’aucune fermeture d’accueil et de logement à Strasbourg.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je vous montrerai les chiffres.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est en effet à vous de me les montrer, puisque je m’en tiens à ce qui est écrit dans le PLF pour 2023.

M. le président Sacha Houlié. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour l’assouplissement que vous envisagez d’apporter au décret liant le titre de séjour au travail, y compris lorsque la personne change d’emploi. C’était l’objet d’une question écrite que je vous ai adressée la semaine dernière. Je suis d’autant plus satisfait que la disposition étant réglementaire, je n’aurai pas pu la faire la modifier lors de l’examen du projet de loi sur l’immigration.

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La séance est levée à 20 heures 30.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Sabrina Agresti-Roubache, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Elsa Faucillon, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, M. Andy Kerbrat, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Julie Lechanteux, M. Didier Lemaire, Mme Marie-France Lorho, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot

Excusés. - M. Philippe Dunoyer, Mme Marie Guévenoux, Mme Emeline K/Bidi, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre-Henri Dumont, M. Paul Molac, M. Alexandre Vincendet