Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice »                2

–   Nomination d’un rapporteur sur la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l’interruption volontaire de grossesse (n° 340 rectifié)                            34              34

 

 

 

 

 


Mardi
25 octobre 2022

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 8

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Sacha Houlié,
Président


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La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice ».

M. le président Sacha Houlié. Monsieur le garde des sceaux, les crédits de votre ministère présentent, pour la troisième année consécutive, une augmentation de 8 %. Bien évidemment, un bon budget n’est pas forcément un budget en augmentation – même si c’est toujours mieux. Il s’agit d’un rattrapage, tant la situation était dégradée depuis des décennies. Ce rattrapage est d’ailleurs loin d’être achevé et devra se poursuivre dans le cadre de la mise en œuvre des États généraux de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. La justice est à la croisée des chemins. Délaissée pendant près de trois décennies, elle fait l’objet, depuis cinq ans, d’un renforcement massif, traduction de la volonté claire du Président de la République et de la Première ministre, mais également la mienne, de considérer la justice pour ce qu’elle est : une institution essentielle qui fonde le pacte social.

Il vous revient, en tant que parlementaires, de poursuivre sur cette voie du renforcement de notre justice, ou de bifurquer vers les réflexes des décennies passées : sous-dotation chronique, effets d’affichage sans lendemain, court-termisme, etc.

Vous l’aurez compris, je vous propose de rester sur la voie de la restauration massive d’une justice rapide, efficace, proche de nos concitoyens, la justice de qualité que nous appelons tous de nos vœux.

En effet, après deux hausses de 8 % en 2021 et 2022, le projet de budget consacre une troisième augmentation consécutive de 8 % en 2023 au profit de notre justice. Ce sont ainsi 710 millions d’euros supplémentaires qui viendraient abonder en 2023 le service public de la justice, dont les crédits s’élèveraient au total à 9,6 milliards d'euros pour l’année 2023.

Si vous la votez, ce sera, en termes sonnants et trébuchants, la plus forte hausse de l’histoire du budget de la justice, comparée respectivement à celle de 660 millions d’euros l’année dernière et de 620 millions d’euros l’année précédente.

Cette hausse, pour massive qu’elle soit, a été calibrée pour que les services du ministère soient en mesure de l’exécuter pleinement et, ainsi, de combler de manière sérieuse et efficace des besoins forts. Car oui, les deniers publics doivent toujours être utilisés de la manière la plus efficace.

Pour 2023, l’augmentation est répercutée de la manière suivante sur les trois axes du ministère : 9 % de hausse pour les services judiciaires, soit un budget de 3,39 milliards d’euros; 7 % pour l’administration pénitentiaire, soit un budget de 3,91 milliards d’euros ; sans oublier, une hausse de plus de 10 % au bénéfice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), pour un budget de 917 millions d’euros.

En trois exercices, le budget de la justice a bénéficié de 2 milliards d’euros supplémentaires, passant ainsi de 7,6 milliards en 2020 à 9,6 milliards en 2023. Cela représente une augmentation de 26 % depuis mon arrivée, et de plus de 40 % depuis le début du premier quinquennat du Président de la République.

C’est donc un nouvel effort budgétaire inédit, s’inscrivant dans une trajectoire pluriannuelle inédite, que j’aurai l’occasion de vous présenter prochainement dans le cadre de la future loi de programmation pour la justice pour les années 2023 à 2027.

Le cap est clair : poursuivre le rattrapage de trente ans d’abandon humain, politique et financier de la justice, et mettre en œuvre les recommandations issues des États généraux de la justice, recommandations que j’ai soumises à concertation ces derniers mois.

Permettez-moi maintenant de vous présenter dans le détail ce que ces moyens supplémentaires permettront de financer en 2023 et dans les années à venir.

Premièrement, la justice, ce sont avant tout les femmes et les hommes engagés au quotidien au service de nos concitoyens pour la faire fonctionner contre vents et marées. Je veux ici rendre un hommage appuyé à leur engagement sans faille. Merci aux magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires, juristes assistants, avocats, professions du droit et agents administratifs pour leur engagement dans l’œuvre de justice.

Pendant trois décennies, ces hommages ont eu lieu chaque année sans que les actes ne soient joints à la parole. Depuis 2017, nous nous sommes précisément donné les moyens de remplacer les mots par des actions concrètes de reconnaissance et de renforcement de notre justice.

Nous allons accentuer, dès 2023 et sur les cinq prochaines années, le rythme et l’intensité des efforts en faveur du renforcement des moyens humains.

C’est la raison pour laquelle ce budget acte le plan de recrutement le plus important de l’histoire du ministère : 10 000 emplois supplémentaires pérennes, des « sucres lents », si je puis dire, d’ici à 2027, dont 605 emplois en juridictions qui ont d’ores et déjà été pérennisés au titre de la justice de proximité à la mi-2022.

C’est inédit, et même si comparaison n’est pas raison, je rappelle que 7 270 emplois ont été créés au cours du premier quinquennat du Président de la République ; cela représente une hausse de 11 % des emplois du ministère de la justice, qui compte aujourd’hui 90 000 personnels.

Ces 10 000 emplois seront répartis finement, année après année, en fonction des besoins identifiés sur le terrain, mais également des nécessités opérationnelles résultant à la fois des campagnes de recrutement et de l’avancement des projets immobiliers très ambitieux du ministère.

Néanmoins, je peux d’ores et déjà vous annoncer que seront sanctuarisés 1 500 postes de magistrats et 1 500 postes de greffiers supplémentaires sur la durée de tout le quinquennat, afin de renforcer les effectifs en juridictions.

Le nombre de postes de magistrats et greffiers créés sous le premier quinquennat étant respectivement de 700 et 850, nous doublerons donc le rythme de ces recrutements essentiels.

Pour 2023, ce sont 2 253 personnels qui arriveront dans les établissements pénitentiaires, dans les juridictions et dans les structures de la protection judiciaire de la jeunesse. Pour mémoire, 720 créations d’emplois étaient prévues en 2022. Nous triplons donc le rythme des recrutements en une seule année.

Ces 2 253 personnels seront répartis de la façon suivante : 1 220 pour la justice judiciaire, avec notamment 200 magistrats et 191 greffiers ; 809 pour l’administration pénitentiaire ; 92 pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le reste, soit 132 personnels, bénéficiera à la coordination de la politique publique de la justice.

Par ailleurs, 60 créations d'emplois sont prévues pour nos opérateurs : 26 pour l’École nationale de la magistrature (ENM), 19 pour l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) et 15 pour l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).

Deuxièmement, pour assurer ce niveau inédit de recrutement, je souhaite renforcer encore l’attractivité des métiers de la justice par des revalorisations salariales. À cet égard, le budget pour 2023 rehausse les crédits consacrés aux mesures catégorielles, atteignant ainsi 80 millions d’euros en 2023. Cela représente un doublement de l’enveloppe déjà importante de 2022 et une multiplication par plus de cinq depuis 2019.

Comme je l’ai annoncé dernièrement, les magistrats bénéficieront à compter du 1er octobre 2023 d’une revalorisation inédite de 1 000 euros brut par mois en moyenne. C’est la juste reconnaissance de leur engagement pour faire fonctionner le service public de la justice dans des conditions parfois difficiles. Je suis particulièrement conscient des difficultés matérielles qui demeurent. C’est bien pour cela que je m’échine à décrocher les budgets les plus importants et j’accepte volontiers qu’ils soient comparés à ceux de mes prédécesseurs. Je me bats car j’ai la certitude qu’il reste beaucoup à faire. Contrairement à ce que certains ont pu croire, je n’ai jamais dit que la justice avait été réparée. J’ai dit que j’avais réparé l’urgence, mais un journal n’a pas jugé bon de reprendre l’intégralité de mes propos. Si je n’avais pas cette certitude, je ne me serais pas battu pour organiser les États généraux dont le but est de simplifier les procédures et de renforcer les moyens dont notre justice a tellement besoin.

À tous ceux qui donnent des leçons de morale à la majorité à longueur de journée, de tous bords, qui n’ont pas été capables de ramener un centime pour les magistrats, ni un centime pour les greffiers, ni un centime pour les agents pénitentiaires, ni un centime pour les « sucres rapides », je dis « ça suffit ! ». Oui, il reste beaucoup à faire, mais il n’est pas encore élu, le gouvernement qui aura fait mieux que nous en la matière… surtout quand on sait que nous avons fait plus en deux ans pour les moyens de la justice que la gauche en cinq ans, et que la droite pour laquelle les chiffres sont négatifs. Nous avons embauché 700 magistrats, alors que, sous François Hollande, ils n’étaient que 27 et que, sous Nicolas Sarkozy, on taillait à la hache dans la fonction publique et on ne remplaçait pas les magistrats qui partaient à la retraite.

Je le dis avec force, 2023 sera encore une grande année ; l’enveloppe catégorielle de 50 millions d’euros permettra d’atteindre deux objectifs : l’attractivité de tous les métiers de la justice, et la fidélisation des femmes et des hommes qui travaillent au service de la justice de notre pays.

L’effort inédit de revalorisation indemnitaire des greffiers et des directeurs de services de greffe sera poursuivi, et plus de 10 millions y seront consacrés en 2023. Au total, c’est une augmentation de 12 % dont bénéficieront les personnels de greffe entre 2021 et 2023. Par ailleurs, j’ai demandé au directeur des services judiciaires d’engager une réflexion sur une réforme du statut des greffiers.

En ce qui concerne les personnels relevant des corps spécifiques de la protection judiciaire de la jeunesse, 7 millions seront consacrés, cette année encore, à des revalorisations indemnitaires. Cette nouvelle étape vise bien sûr à poursuivre la convergence avec les rémunérations de corps équivalents.

Quant aux surveillants pénitentiaires, nous achevons en 2023 la revalorisation de l’indemnité pour charge pénitentiaire, qui est passée de 1 400 à 1 869 euros sur trois ans. Les surveillants pénitentiaires ont bénéficié en 2022 d’une réforme importante de leur statut et de leur rémunération. La fusion des grades de surveillant et de brigadier a permis de simplifier la carrière des agents et de revaloriser de façon importante le salaire indiciaire, notamment en début et en fin de carrière. Comme je l’ai toujours dit, cette réforme était une première étape.

Des travaux, qui seront engagés dès le début de l’année 2023 avec les organisations syndicales, porteront sur une revalorisation d’envergure de leur statut et de leur rémunération pour les années suivantes. Je tiens à rendre hommage aux personnels pénitentiaires, qui font un travail difficile de manière remarquable. Ils ont accepté, ce qu’ils n’avaient pas fait depuis vingt ans, de signer la charte « Principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d’une détention sécurisée », dont l’objectif est de dépasser le rôle du porteur de clés. Troisième force de sécurité du pays, ils sont absolument indispensables et pleinement engagés dans la barque républicaine et judiciaire à laquelle nous sommes tous très attachés.

Pour ouvrir les établissements pénitentiaires du plan 15 000 places, nous devons nous donner tous les moyens pour recruter plus et dans de meilleures conditions, et pour fidéliser les agents.

Nous devons porter une attention particulière à nos corps d’encadrement. Qu’ils soient directeurs des services de greffe, directeurs d’insertion ou de probation, directeurs de service à la protection judiciaire de la jeunesse ou directeurs des services pénitentiaires, tous ces agents assurent au quotidien une mission délicate dans des conditions difficiles et mettent en œuvre des politiques complexes en faveur des personnes que nous prenons en charge. Pour toutes ces raisons, près de 10 millions d’euros seront consacrés cette année à une revalorisation de leur régime indemnitaire, mais également indiciaire.

Troisièmement, les crédits permettront de poursuivre et de finaliser le plan de construction des 15 000 places de prison supplémentaires voulu par le Président de la République.

Environ la moitié des établissements seront opérationnels en 2024, sur la cinquantaine de chantiers en cours. De plus, à l’heure où je vous parle, dix-huit opérations sont en chantier dans toute la France, avec par exemple une nouvelle construction de 740 places à la prison des Baumettes, à Marseille, ou la réhabilitation de l’ancien centre des jeunes détenus de Fleury- Mérogis, qui permettra la création de 408 nouvelles places.

En 2023, pas moins de dix établissements pénitentiaires seront livrés : sept structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), dont Avignon, Valence, Meaux ou Osny, et trois centres pénitentiaires, dont Caen et Troyes-Lavau que j’ai pu visiter en juillet dernier.

En 2023, plus de 441 millions d’euros sont inscrits au budget pour la réalisation du programme 15 000.

Celle-ci a été marquée, à ses débuts, par la difficulté des recherches foncières, souvent pour des raisons de faisabilité technique ou environnementale – découverte d’espèces animales protégées notamment –, mais également d’acceptabilité de la part des élus ou des riverains. En la matière, à l’instar des frites McCain, ce sont ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins… Ceux qui ont fait de la sécurité leur cheval de bataille ne sont pas au rendez-vous des obligations citoyennes et du courage nécessaire pour accepter l’implantation d’un établissement pénitentiaire dans sa commune ou sa circonscription.

La mise en œuvre du plan a également été entravée par des démarches contentieuses. Toutefois, puisque les terrains nécessaires au lancement de l’ensemble des projets sont désormais identifiés, les opérations ont pu entrer dans leur phase active et le rythme des livraisons va maintenant s’accélérer, pour s’échelonner jusqu’à fin 2027 et tenir ainsi les engagements du Président de la République.

Le plan 15 000 compte près de 2 000 places de SAS afin d’offrir un meilleur accompagnement aux détenus pour lutter avec acharnement contre la récidive. On parle tant des récidivistes – et oui, c’est un échec à chaque fois pour nous tous –, mais on ne parle jamais du détenu qui ne récidive pas. Et pourtant, on le sait, en évitant les sorties sèches, on diminue le nombre de récidives.

Le plan 15 000, qui portera à plus de 75 000 le nombre de places de prison, nous laisse entrevoir très sérieusement pour la première fois la possibilité d’atteindre notre objectif de 80 % d’encellulement individuel à l’horizon 2027. Nous vous proposerons donc de proroger, pour la dernière fois, le moratoire en la matière, pour que sa fin coïncide avec la sortie de terre de la totalité des constructions prévues dans le cadre du plan 15 000.

Enfin, je souhaite également engager les opérations nécessaires de réhabilitation des établissements pénitentiaires les plus vétustes, en particulier l’opération majeure et prioritaire de réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes, dont monsieur le président, vous savez qu’elle est nécessaire puisque vous l’avez visité dernièrement avec les députés de cette commission, afin d’y montrer notamment que la prison, ce n’est pas le « Club Med » ou tout autre parc d’attractions auquel elle est parfois comparée.

La construction de nouveaux établissements et la rénovation des établissements existants améliorent non seulement la dignité des conditions de détention, mais aussi les conditions de travail du personnel. La prison doit assurer une réponse pénale ferme, sans démagogie, empreinte d’humanisme, mais sans angélisme. Les conditions de détention dignes permettent aux personnels pénitentiaires de mieux réinsérer les personnes détenues. Il faut faire une place au travail en prison dans les projets de construction ou de rénovation, par exemple en prévoyant des espaces pour stocker du matériel pour les entrepreneurs.

Quatrièmement, je souhaite moderniser et agrandir l’immobilier juridictionnel pour permettre l’accueil des renforts humains dans les années à venir.

Ce sont 502 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 269 millions d’euros en crédits de paiement immobiliers qui sont prévus en 2023 pour permettre : de poursuivre les opérations d’ampleur engagées lors du quinquennat précédent, notamment les chantiers des palais de justice de Lille, de l’Île de la cité à Paris, de Bayonne, etc. ; de poursuivre les études des projets de Cayenne, Cusset, Meaux, Moulins, Nancy, Nantes, Perpignan, etc. ; enfin, de lancer de nouvelles opérations immobilières comme à Argentan, Chartres, Colmar, Saint-Brieuc ou Verdun.

Cinquièmement, enfin, j’évoquerai certains budgets qui permettront de moderniser et d’améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice et le bien-être de ses agents.

L’enveloppe des crédits consacrée aux dépenses de frais de justice sera portée à 660 millions d’euros pour renforcer les moyens d’enquête et d’expertise de la justice. Cette hausse de 12 millions d’euros porte à 170 millions l’effort consenti en faveur de ces moyens depuis mon entrée en fonctions et contribuera notamment à faciliter le déstockage des affaires, déjà engagé – il représente 30 % pour les affaires civiles à l’échelle nationale. Cela représente du temps judiciaire gagné et du temps d’attente en moins pour nos compatriotes lorsqu’ils sollicitent la justice.

Les crédits d’investissement informatique seront portés à 195 millions d’euros dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre du plan de transformation numérique ministériel. Ils concernent principalement les grands projets informatiques comme ASTREA, ATIGIP 360, PORTALIS ou la PPN – procédure pénale numérique. En parallèle, la mise à niveau technique des infrastructures, telles que les centres de production et le réseau, sera renforcée. J’ai dernièrement recruté un secrétaire général adjoint chargé du numérique, et des informaticiens seront déployés massivement, à raison d’un dans chaque juridiction, pour répondre immédiatement aux besoins du quotidien, notamment en cas de panne ou de bug.

Les crédits de l’accès au droit et à la médiation s’élèveront à 713 millions d’euros en 2023, ce qui représente une hausse de 33 millions d’euros par rapport à 2022, soit 5 %. Dans cette enveloppe, les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle continueront de croître en 2023 pour atteindre 641 millions d'euros, ce qui équivaut à une hausse de 26 millions d’euros en une année, soit environ 4 %.

Parallèlement, l’aide aux victime est portée à 43 millions d’euros, soit une hausse de 7 %, ce qui traduit l’importance que j’accorde à cette politique, qui est une priorité gouvernementale.

Sur cette enveloppe, 16,1 millions d’euros seront dédiés aux violences intrafamiliales – VIF –, marquant un doublement du budget VIF, qui était de 8 millions d’euros à mon arrivée en 2020.

Enfin, le renforcement de l’action sociale offerte par le ministère à ses agents sera poursuivi, avec 38 millions d’euros mobilisés en 2023, soit 8 % de plus que les 35 millions d’euros de 2022.

Voilà les grandes lignes du projet de budget 2023 pour la justice, qui frôle désormais les 10 milliards d’euros.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Le budget qui nous est présenté aujourd’hui s’inscrit dans une dynamique de renforcement des moyens de la justice inédite sous la Ve République, et dont nous pouvons être fiers. Il est un signal majeur adressé à notre administration judiciaire. Pour renforcer l’attractivité des corps des magistrats et des greffiers, il prévoit ainsi une revalorisation importante des rémunérations. Pour améliorer le fonctionnement de notre justice et soulager les personnels, il prévoit la création de 1 220 postes en 2023, dont 200 magistrats et 191 greffiers. Pour anticiper l’arrivée de promotions plus importantes permettant d’atteindre l’objectif de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires d’ici la fin du quinquennat, nous renforçons les moyens de l’École nationale de la magistrature et de l’École nationale des greffes.

Pour ce qui concerne les quatre programmes liés à la justice judiciaire et à l’accès au droit, ces engagements forts se traduisent par l’augmentation de 7,2 % des crédits de paiement, traduction budgétaire des revalorisations et des recrutements, mais aussi de l’augmentation des crédits pour les associations d’aide aux victimes et les structures d’accès au droit.

Cette année, la thématique de cet avis budgétaire porte sur l’accès au droit et l’accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales.

L’une des clés pour garantir que les victimes puissent exercer leurs droits est de multiplier les lieux et les dispositifs où elles seront en contact avec un professionnel susceptible de les accueillir et de les orienter. Les commissariats et les gendarmeries ont ainsi mis en place des procédures pour que la victime de violences conjugales puisse se signaler sans avoir à verbaliser la raison de sa venue. Le travail des associations d’aide aux victimes est, de ce point de vue, fondamental et je me réjouis donc que le budget alloué à ces associations augmente de plus de 11 % cette année. Des outils ont également été élaborés pour aider les professionnels en contact avec de potentielles victimes à évaluer correctement la situation : le ministère de l’intérieur a, par exemple, diffusé une grille d’évaluation du danger, qui comporte une vingtaine de questions.

Comme j’ai pu constater au cours des auditions auxquelles j’ai procédé, depuis le Grenelle des violences conjugales, en 2019, la lutte contre les violences conjugales a changé d’échelle. Des progrès réels ont été accomplis en matière d’accueil des victimes, grâce à ces outils, aux formations mises en place, à la meilleure coordination des acteurs au moyen des COPIL VIF, ou comités de pilotage dédiés aux violences intrafamiliales, pilotés par les juridictions, et surtout grâce aux moyens déployés – puisque l’enveloppe budgétaire allouée aux victimes de violences intrafamiliales a doublé entre 2020 et 2023, passant, comme l’a rappelé M. le ministre, de 8 à plus de 16 millions d’euros.

Des progrès peuvent encore être faits, notamment en formant encore plus largement les professionnels qui sont en contact avec les victimes, notamment les professionnels de l’enfance, en particulier les enseignants et les ATSEM – agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles –, qui sont en première ligne pour détecter les enfants victimes de violences dans le cercle familial et libérer leur parole.

L’accès au droit passe également par la connaissance des dispositifs de protection des victimes de violences intrafamiliales, au premier rang desquels les ordonnances de protection, première réponse judiciaire, qui n’est pas conditionnée au dépôt d’une plainte. Le nombre de demandes d’ordonnance de protection a augmenté de 73,4 %, entre 2018 et 2021, pour s’établir à 5 921, ce qui illustre la montée en puissance de ce dispositif. Le nombre de téléphones grave danger déployés a, lui aussi, explosé en quelques années, avec une augmentation de 700 % entre 2017 et 2022. L’objectif de 5 000 téléphones déployés sur tout le territoire devrait pouvoir être atteint d’ici à la fin de l’année.

Pour ce qui est de l’accès au droit et de l’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales, en particulier mineures, le travail accompli par les administrateurs ad hoc est fondamental. Le rôle de ces administrateurs est de représenter un mineur dans une procédure judiciaire lorsque les représentants légaux de ce dernier ne sont pas en capacité de le faire ou que leurs intérêts divergent des siens. Or, leur nombre a tendance à stagner, voire à diminuer, et les conditions de leur indemnisation n’ont pas été revalorisés depuis 2007.

La protection des victimes de violences intrafamiliales doit aussi progresser sur le volet de la prise en charge des conjoints violents. Les centres destinés à cette fin, dont les premiers ont été ouverts après le Grenelle des violences conjugales, sont désormais au nombre de trente sur la totalité du territoire. Parallèlement à cela, l’expérimentation menée sur le contrôle judiciaire avec placement probatoire, lancée en 2020, qui permet l’éloignement du conjoint violent et sa prise en charge en présentiel, se voit prolongée d’une année. Nous aurons certainement à nous pencher sur l’articulation et la pérennisation de ces dispositifs. Il est donc nécessaire, pour les victimes, que nous poursuivions la création de lieux d’accueil des conjoints violents, condition indispensable du maintien au domicile conjugal, lorsqu’elle le souhaite, de la victime et de ses enfants.

Monsieur le ministre, après cette brève présentation de mes travaux, j’en viens à quelques questions.

Agir sur l’attractivité de la carrière de greffier est devenue une nécessité, comme l’atteste le taux de vacance de 7 % qui touche cette filière. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les travaux engagés pour réformer cette dernière ? La création d’une catégorie A des greffiers, qui permettrait de renforcer cette attractivité, est-elle envisagée ? Quelles seraient les implications budgétaires d’une telle évolution ?

Envisagez-vous de réévaluer les conditions d’exercice des administrateurs ad hoc, qui jouent un rôle fondamental dans la défense des intérêts de l’enfant victime ?

Intégrer les frais de signification au défendeur de la décision d’acceptation de l’ordonnance de protection dans les frais de justice, comme cela me l’a été suggéré à plusieurs reprises au cours des auditions auxquelles j’ai procédé, serait de nature à renforcer l’effectivité de la décision de justice. Est-ce envisageable ?

Plusieurs de mes interlocuteurs ont fait état de difficultés rencontrées avec les bracelets anti-rapprochement, qui émettraient des alarmes intempestives. Le ministère mène-t-il des actions correctrices ?

Pouvez-vous me confirmer que le groupement d’intérêt public nouvellement créé France enfance protégée lancera bientôt une campagne de sensibilisation sur les violences sexuelles commises sur les mineurs ? Cette question me paraît prioritaire, compte tenu du nombre de mineurs victimes chaque année de violences sexuelles, estimé à 160 000 par la Ciivise, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Je tiens tout d’abord à rappeler les ordres de grandeur de ces deux budgets dédiés à l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse.

Pour cette dernière, le budget global représente 1 087 millions d’euros en crédits de paiement, en augmentation de 10,5 %, soit 103 millions d’euros de plus par rapport à l’année précédente. Dans ce budget, les dépenses de personnel augmentent de 13,6 % et les crédits hors masse salariale de 6 %.

Quant à l’administration pénitentiaire, son budget global s’élève à 4,9 milliards d’euros en crédits de paiement, en augmentation de 7,5 %, soit 343 millions d’euros, par rapport à l’année 2022. Dans ce budget, les dépenses de personnel augmentent de 8,6 % et les crédits hors masse salariale de 5,7 %.

Ces deux budgets ont été en constante augmentation au fil des projets de lois de finances de la précédente législature. Ce nouveau projet s’inscrit donc dans la continuité de cette dynamique de progrès, que nous devons saluer car elle montre que notre majorité et le Gouvernement ont pris la pleine mesure des enjeux cruciaux que représentent la politique pénitentiaire et celle de la protection judiciaire de la jeunesse.

Avant d’en venir à la partie thématique de mon rapport, je tiens à rappeler que nous avons été confrontés, en 2017, au mauvais état d’entretien des établissements pénitentiaires, les budgets alloués à cette fin ayant été sous-évalués pendant des années, voire des décennies. En effet, alors que, selon une étude de la direction de l’administration pénitentiaire, le budget nécessaire à la maintenance du parc pénitentiaire est estimé à 140 millions d’euros par an, 60 à 80 millions d’euros seulement y ont été consacrés entre 2014 et 2016. Le résultat était désastreux, notamment parce que la vétusté de certains bâtiments menaçait la dignité des conditions de détention.

Je me réjouis de constater que nous avons redressé la barre : ces budgets ont été en constante augmentation depuis 2017, avec 80,7 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2018, 100,6 millions pour 2019, 110 millions pour 2020, 110 millions pour 2021 et 120 millions pour 2022. Cette année encore, le budget continue dans cette direction avec 124,6 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement pour la maintenance et l’entretien des établissements. Gageons que les prochaines années nous permettront d’atteindre le niveau approprié, selon l’évaluation réalisée par l’administration pénitentiaire.

J’en viens à présent à la seconde partie de mon rapport, que j’ai choisi cette année de consacrer aux activités de réinsertion, en milieu fermé comme en milieu ouvert. Je tiens à préciser que j’avais choisi ce sujet avant l’été, car je souhaitais notamment travailler sur les missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation – SPIP. La polémique de cet été n’a fait que prouver la pertinence de ce choix, car nous devons visiblement faire encore preuve de pédagogie pour expliquer l’importance de la politique de réinsertion et des activités proposées aux personnes placées sous main de justice.

Du reste, le budget demandé pour 2023 ne s’y trompe pas, puisque les crédits destinés à cette politique sont, eux aussi, en augmentation, notamment pour le déploiement du bracelet anti-rapprochement, dont le budget augmente de près de 145 %, le développement du placement à l’extérieur, avec une augmentation de 67,5 %, et la mise en œuvre des réformes liées au travail en détention et au nouveau statut du détenu travailleur, avec un budget en hausse de 28 %. Je me réjouis de ces augmentations, qui montrent que la politique de réinsertion est aujourd’hui l’une des facettes essentielles de la politique pénitentiaire.

En milieu ouvert, nous devons continuer à développer toutes ces formes de suivi qui permettent de s’adapter au profil des personnes condamnées et, ainsi, de construire avec elles un parcours de réinsertion aussi adapté que possible. En milieu fermé, les activités proposées aux personnes détenues recouvrent plusieurs domaines : travail, formation professionnelle, insertion par l’activité économique, enseignement et activités éducatives, culturelles, socioculturelles, sportives et physiques. Toutes ces activités organisées dans le cadre de la détention contribuent au quotidien carcéral et aux parcours de réinsertion des personnes détenues. Si l’on comprend aisément l’apport des activités de formation, d’enseignement ou de travail, il ne faut pas perdre de vue que les autres activités ont également leur rôle à jouer. En effet, les apports socio-culturels permettent aux personnes détenues de développer notamment leurs compétences sociales et leurs capacités relationnelles, qui sont un maillon essentiel de la réinsertion.

En conclusion, il me semble important de rappeler que la politique de réinsertion est mise en œuvre notamment par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, souvent bien moins connus de nos concitoyens que les personnels de surveillance, alors qu’ils exercent des missions essentielles, assurant à la fois le contrôle des obligations prononcées par l’autorité judiciaire, notamment en milieu ouvert, et l’accompagnement personnalisé des personnes placées sous main de justice. Ils sont ainsi au premier rang de la lutte contre la récidive.

Monsieur le ministre, au cours des auditions et des déplacements que j’ai effectués, j’ai été alerté à plusieurs reprises par le manque d’attractivité des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Les directrices et directeurs de ces services ont d’ailleurs engagé récemment un mouvement social pour réclamer une amélioration de leur statut. Je les ai reçus et j’ai pu échanger avec eux sur ce sujet. Comment le Gouvernement prend-il en compte ces enjeux et quelles mesures catégorielles sont – ou seront – adoptées en faveur de ces personnels dédiés à la réinsertion ? Envisagez-vous de continuer le recrutement des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation sur le reste de la durée du quinquennat ?

Je m’interroge également sur la mise en œuvre, en janvier prochain, de la nouvelle procédure de libération sous contrainte – LSC – de plein droit. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit à ce titre le « fléchage » de trente agents de surveillance électronique, nombre qui, selon plusieurs syndicats, risque d’être insuffisant pour prendre en charge les nouvelles mesures de détention à domicile sous surveillance électronique qui seront mises en œuvre dans ce cadre. Comment seront gérées les mesures prononcées en application de cette nouvelle LSC ?

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial. Ce budget pour 2023 semble traduire les premières conséquences que le ministère entend tirer des recommandations formulées par le comité des États généraux de la justice. C’est une bonne chose. Toutefois, derrière des effets d’annonce, la réalité est, hélas, bien plus complexe et ambiguë qu’il n’y paraît.

Pour ce qui est de la justice judiciaire, il convient, en premier lieu, de rappeler que les difficultés structurelles des juridictions sont considérables. À titre d’exemple, le taux de vacance des postes de greffiers s’établit à 7,2 %, soit 2,7 points de plus qu’en 2019, avant la crise du covid-19. De plus, les cibles fixées en matière de délais de traitement des affaires civiles repartent de nouveau à la hausse.

La Première ministre a annoncé dans son discours de politique générale la création de 1 500 postes de magistrats sur cinq ans. Si 200 ETP, ou équivalents temps plein, de magistrats sont prévus par le projet de loi de finances pour 2023, sans doute les 1 300 postes supplémentaires seront-ils pour plus tard. Le ministère reste néanmoins dans l’ambiguïté : ces emplois relèvent-il de la création de postes au sein des juridictions ou de l’ouverture de places supplémentaires à l’École nationale de la magistrature ? En d’autres termes, ces renforts seront-ils opérationnels en 2023 ou à compter de 2025 seulement ?

Vous avez en outre annoncé une revalorisation à hauteur de 1 000 euros, à partir d’octobre 2023, de la rémunération des magistrats, qui prendra la forme d’une hausse des primes forfaitaires et modulables versées à ces derniers. En réalité, nous voyons bien que cette revalorisation concernera en priorité les magistrats les plus expérimentés, puisque ces primes sont indexées sur le traitement indiciaire. Surtout, cette prime ne résoudra pas la question centrale de l’attractivité de la profession.

Pour ce qui est de l’administration pénitentiaire, en dépit de la livraison de nouvelles places de prison, la population carcérale continue de progresser bien plus vite. Le taux d’occupation des places en maison d’arrêt pourrait ainsi atteindre plus de 130 % en 2023. Dans ces conditions, comment espérer une véritable amélioration des conditions de détention ?

Le projet de loi de finances prévoit par ailleurs la création de 809 emplois. Or, ces postes concernent majoritairement des personnels de surveillance, pour lesquels, comme nous l’avons vu pour les derniers budgets, le schéma d’emplois est, hélas, systématiquement sous-exécuté : l’action ne suit pas les annonces.

Des moyens supplémentaires seront, en outre, alloués au bracelet anti-rapprochement. Néanmoins, comme l’a d’ailleurs indiqué aussi notre collègue Aurélien Pradié, ces outils ont connu de nombreux dysfonctionnements, ce qui a conduit le ministère à changer de prestataire en 2022. Cet exemple montre qu’en dépit de moyens supplémentaires, le pilotage fait toujours défaut.

Par ailleurs, l’article 44 du projet de loi de finances prévoit de prolonger de deux ans l’expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable à la saisine du juge pour certaines affaires familiales. Sur le principe, j’y suis favorable, mais ce serait la troisième fois que nous prolongerions cette expérimentation alors que, selon les informations dont nous disposons, la Cnaf, la Caisse nationale des allocations familiales, n’a toujours pas donné son accord pour participer à son financement. On nous demande donc de nous prononcer sur un article sans savoir quelle en sera la véritable portée.

Enfin, permettez-moi de citer des acteurs du terrain judiciaire. Récemment, dans ma circonscription, à l’occasion de l’audience de rentrée, la présidente et la procureure du tribunal de Saverne ont dressé un état des lieux. La présidente a ainsi déclaré : « Nous sommes en situation de plein-emploi théorique. L’équilibre demeure fragile et, du côté des greffes, la situation est plus que délicate. Nous sommes en sous-effectif chronique, avec des postes non pourvus, nous obligeant à prioriser certains services et à ne traiter que les urgences pour d’autres. » La procureure a ajouté : « Le mérite de tous est grand, car la justice est le seul service public à devoir absorber chaque année, dans les faits et à moyens constants, une quantité énorme de réformes, et ce dans tous les domaines. » Comme vous le voyez, les choses sont un peu différentes sur le terrain de ce qu’elles sont dans vos discours.

Tous ces exemples montrent que, sans pilotage satisfaisant de ces moyens supplémentaires, la justice ne pourra sortir durablement de la crise qu’elle traverse encore aujourd’hui. Beaucoup reste donc à faire et, jusqu’à présent, les résultats ne sont malheureusement pas satisfaisants.

Monsieur le ministre, la justice de terrain, celle du quotidien, celle qui vit la réalité des tribunaux, est très éloignée de ce que vous venez de nous présenter. Quand accepterez-vous d’en venir enfin au principe de réalité ?

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des représentants des groupes.

Mme Caroline Abadie (RE). Nous étudions aujourd’hui le budget de la mission Justice qui, dans la continuité des cinq années précédentes, est marqué par une hausse historique de 8 %, qui le porte ainsi à plus de 9,6 milliards d’euros. Depuis 2017, nous avons considérablement renforcé les moyens humains et techniques de la justice. Après une augmentation budgétaire de 40 % sur la période de 2017 à 2022, le budget que vous nous présentez conserve, monsieur le ministre, la même dynamique.

Au nom du groupe Renaissance, je salue votre travail et l’effort budgétaire réalisé. Votre engagement témoigne de votre volonté de pérenniser et d’améliorer les actions entreprises pour moderniser le service public de la justice au service des Français.

Ce budget pour 2023 promet d’ailleurs une trajectoire ambitieuse pour la prochaine loi de programmation, qui interviendra dans la continuité des États généraux de la justice, en engageant des projets structurants pour votre ministère. En effet, après la création de plus de 7 000 emplois durant le précédent quinquennat du Président de la République, 10 000 créations de postes sont annoncées pour la période de 2023 à 2027, dont 2 253 ETP dès 2023, au service de nouveaux établissements pénitentiaires, de la protection judiciaire de la jeunesse et, bien sûr, de nos juridictions.

Il s’agit d’augmenter les effectifs et les rémunérations pour valoriser à leur juste niveau les missions et attirer les meilleurs profils. Sont ainsi créés par ce projet de loi de finances 208 postes de magistrats et 191 postes de greffiers, avec l’objectif d’en créer 1 500 pour chacun de ces emplois sur la durée du quinquennat.

Ma première question porte donc sur le phasage de ce déploiement, en termes de formation, de recrutement et de déploiement dans nos tribunaux – j’en veux pour exemple le tribunal de Vienne, dont les effectifs étaient complets cette année pour les postes de magistrats, mais inférieurs au seuil pour les postes de greffiers.

Des efforts similaires renforcent et modernisent l’accès au droit. Je salue à cet égard la progression de 26 millions d’euros des crédits budgétaires alloués à l’aide juridictionnelle, volet essentiel de cette politique. Dans le même temps, une augmentation de 7 % vient abonder les crédits accordés à l’aide aux victimes, axée sur une prise en charge pluridisciplinaire et, plus spécifiquement, sur les victimes de violences conjugales. Ces moyens permettent de financer des outils majeurs de la protection des victimes, comme les 5 000 téléphones grave danger.

Je me réjouis de voir les moyens de l’administration pénitentiaire renforcés, avec un effort tout particulier consacré à la réinsertion. Renforcement des moyens humains pour les conseillers de probation et d’insertion, financement pour accompagner le déploiement du contrôle judiciaire sous placement probatoire pour les auteurs de violences conjugales, renforcement des moyens de l’Atigip, l’Agence nationale du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle : ce sont là autant de moyens mobilisés pour l’indispensable mission de réinsérer les personnes placées sous main de justice.

Pour ce qui est plus précisément de la formation professionnelle, quels sont les objectifs et le mode de cofinancement envisagés avec les régions dans le cadre de la convention signée avec elles en début d’année ? Je rappelle à cet égard que, depuis le transfert de cette compétence aux régions, le nombre de détenus formés est passé de 40 % à moins de 12 %.

Avec la poursuite du plan 15 000 places, nous disposons de deux leviers complémentaires qui permettront, je l’espère, de réduire la surpopulation carcérale, particulièrement en maison d’arrêt. D’où une question sur les réalisations qui sortiront de terre en 2023 : à combien de places supplémentaires le chiffre de dix établissements que vous avez évoqué peut-il correspondre ?

Je tiens, enfin, à saluer l’engagement de l’ensemble des personnels de la PJJ et de ceux de l’administration pénitentiaire, confrontés à des conditions de travail toujours très difficiles compte tenu de l’occupation carcérale croissante. Ce budget nous permet de dire que, si la prison punit et surveille, elle réinsère aussi.

La réunion, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures vingt.

M. Thomas Ménagé (RN). Le pragmatisme nous invite d’abord à saluer la hausse des crédits alloués à la justice par ce budget pour 2023. Néanmoins, le réalisme nous oblige à nous rendre à l’évidence en décelant sous cette hausse un véritable budget de l’impuissance. Non, il ne permettra pas de rompre avec le laxisme judiciaire face à l’insécurité qui gangrène notre pays depuis des années.

Monsieur le ministre, vos fonctions font de vous d’abord le garant de l’exécution des peines prononcées. Pourtant, tout est fait pour qu’elles ne soient plus exécutées. Je n’invente rien, ce sont vos chiffres qui le démontrent : seules 21 % des personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à six mois font réellement l’objet d’une détention. Pire, vous souhaitez atteindre les chiffres de 18 % en 2023, 16 % en 2024, puis 14 % en 2025. Au lieu de poursuites en bonne et due forme après la commission d’un délit, les alternatives aux poursuites ou les peines alternatives, dont vous êtes friand et dont on sait pourtant qu’elles n’ont aucun effet, sont en constante augmentation. Le taux de rappels à la loi par délégué du procureur de la République passera ainsi de 30 % en 2020 à un objectif de 47 % en 2025. Le taux de peines alternatives à l’emprisonnement ferme passe, quant à lui, de 76,9 % en 2020 à un objectif de 81 % en 2025.

C’est donc sur cette base et sur ces prévisions que se fonde ce budget de la justice, qui témoigne d’un laxisme inacceptable pour les victimes et contre-productif pour prévenir la récidive. Beccaria disait que la certitude d’une punition, même modérée, fera toujours plus d’impression que la crainte d’une peine terrible si à cette crainte se mêle l’espoir de l’impunité. Vous devriez vous en inspirer. C’est tout le sens de nos propositions et du projet défendu par Marine Le Pen durant sa campagne présidentielle, proposant de privilégier les peines courtes, réputées plus efficaces pour prévenir la récidive et éviter que la petite délinquance du quotidien ne se transforme en grand banditisme.

Par votre intermédiaire, l’État abandonne progressivement l’une de ses missions régaliennes en la sacrifiant sur l’autel de la bien-pensance et de l’angélisme. Au bout du compte et comme toujours, cela pèse sur les Français, qui subissent l’insécurité au quotidien.

Sur le territoire dont je suis élu, le Loiret, un cas illustre toutes les contradictions et les injustices de votre politique. Le 20 septembre 2020, Valentin, 19 ans, était fauché par un automobiliste conduisant sous l’influence de l’alcool et de stupéfiants. Aujourd’hui, 25 octobre 2022, deux ans après les faits, la procédure est toujours en cours, interminable. Les parents de la victime m’ont fait part de leur immense chagrin et de ce qu’a d’insoutenable l’attente d’un jugement définitif et d’une réparation qui ne sera jamais à la hauteur de leur perte. Pendant ce temps, l’auteur est en liberté, a toujours son permis de conduire et, au volant de son véhicule, nargue les habitants de Montargis, dont les parents de Valentin et sa petite sœur.

Plus occupé, depuis votre nomination, à combattre le Rassemblement national qu’à apporter des réponses concrètes pour lutter contre la délinquance et à la criminalité, vous abdiquez une nouvelle fois, alors que l’insécurité vécue par nos concitoyens justifierait une réponse judiciaire forte. Ce budget révèle un projet politique : celui de l’impunité généralisée et du permis de commettre des infractions. Au fond, il dévoile une nouvelle corde à votre arc : la capacité de faire moins bien avec plus.

Qu’attendez-vous pour orienter ces hausses de budget vers le renforcement de la politique d’exécution des peines de l’ensemble des délinquants et pour rompre avec le marqueur de votre impuissance qu’est le déploiement massif des peines alternatives ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). L’augmentation de 8 % du budget de la justice, que vous jugez significative, sera très amoindrie par l’inflation. La France est à la traîne par rapport à ses voisins européens puisqu’elle dépense 72 euros par an et par habitant là où l’Italie en dépense 82, l’Espagne 88 et l’Allemagne 141. En outre, la France ne dispose que de 11 magistrats pour 100 000 habitants, contre le double pour l’Allemagne.

Un seul exemple suffit pour montrer à quel point vous êtes sinistrement déconnecté des besoins du terrain : le budget alloué à l’administration pénitentiaire, notamment pour la création de places de prison, est près de 8 fois plus élevé que celui de l’accès au droit et à la justice, et 4,5 fois plus élevé que celui de la protection judiciaire de la jeunesse. Votre budget est donc porté sur une politique carcérale et non sur l’amélioration en profondeur de ce service public en souffrance. Ainsi, l’aide juridictionnelle n’augmente que de 4,2 %, contre 15 % l’année dernière, au détriment des justiciables précaires. Tous les professionnels sur le terrain préconisent pourtant un élargissement massif de ce budget, indispensable pour l’accès aux droits des citoyens.

Par un heureux hasard, nous avons visionné hier soir, en collaboration avec le barreau de Paris, le documentaire « La justice à bout de souffle ». Les professionnels y sont unanimes pour dire que la justice va mal, très mal. Or le budget que vous nous présentez relève de l’indécence tant il est éloigné de la réalité des besoins.

Pour conclure, je citerai une greffière abordant la question des suicides et des conditions de travail déplorables : « Combien voulez-vous de morts ? ». Il est plus que temps de cesser cette politique d’investissement de façade dans la justice et d’agir pour remédier à la souffrance des professionnels et des justiciables dont vous devez défendre la cause.

M. Erwan Balanant (Dem). C’est un budget sans précédent de 9,6 milliards d’euros, en hausse de 8 % pour la troisième année consécutive que vous nous présentez. Nous pouvons le dire avec fierté : la justice se donne désormais les moyens de son action ; mais le chemin reste long tant l’administration judiciaire a été lésée pendant de nombreuses années. Ce budget n’est donc qu’une étape à valoriser.

Je tiens tout d’abord à saluer les efforts en faveur de la justice judiciaire, qui permettront de contribuer au déploiement de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et de donner corps aux États généraux de la justice. Je salue également la hausse substantielle de 33 millions d’euros du budget alloué à l’accès au droit.

Le code de la justice pénale des mineurs, dont nous venons de souffler la première bougie, a déjà su montrer son efficacité. Jusqu’à l’année dernière, les délais de jugement pour les mineurs n’étaient pas encadrés. Un mineur était jugé en moyenne dans un délai de 18 mois, et 45 % d’entre eux avaient alors atteint la majorité. Désormais, de l’audience de culpabilité à l’audience de sanction, il ne s’écoule plus que 8 à 9 mois en moyenne : c’est inédit. Vous annoncez votre volonté de poursuivre l’évaluation de cette réforme à travers une trentaine d’indicateurs nationaux et locaux qui permettent d’apprécier l’application quantitative et opérationnelle du code à chaque stade de la procédure. Pourriez-vous préciser de quelle manière les moyens alloués à l’accompagnement de l’ensemble des réformes de 2023 toucheront spécialement la justice pénale des mineurs ?

Par ailleurs, dans un avis de juillet 2021, la Défenseure des droits a révélé que les chefs d’établissements étaient réticents à prendre en charge des cas de harcèlement scolaire lorsque des plaintes étaient en cours d’enquête ou ont été classées sans suite, alors que ces deux procédures sont compatibles et indépendantes. Ne serait-il pas intéressant, pour une meilleure compréhension des droits de nos enfants, d’accentuer le partenariat entre la justice et l’éducation nationale ?

M. Ian Boucard (LR). Monsieur le garde des sceaux, vous avez récemment déclaré que la justice, c’était difficile à rendre. Je vous rejoins totalement. Il faut donc lui donner des moyens à la hauteur des ambitions affichées. Comme chaque année, la majorité présidentielle et le Gouvernement se félicitent d’un budget de la justice présenté comme exceptionnel et historique, alors que chacun sait que rien ne va changer fondamentalement pour les justiciables. En 2023, la plupart de nos concitoyens devront toujours attendre près de deux années pour qu’une décision de justice soit rendue : cela n’est pas acceptable.

Il est vrai que le budget de la justice augmente chaque année – ni plus ni moins que le budget général. Cette augmentation sera-t-elle suffisante pour que la justice soit mieux rendue ? Assurément non. Malgré les hausses des crédits intervenues ces dernières années, notre système judiciaire se dégrade petit à petit, en raison notamment de crédits d’investissement qui ne peuvent pas être dépensés. En trois ans, une année complète de crédits n’a pas été dépensée. Le covid-19 n’explique pas tout : alors que 15 000 places de prison étaient prévues pendant le premier quinquennat, ce chiffre a été ramené à 7 000 places d’ici à la fin de l’année 2022, avec peut-être 8 000 places supplémentaires à l’horizon 2027. Alors que nous arrivons à la fin de la première échéance, seules 2 081 places ont été ouvertes, et il ne devrait y en avoir que 2 000 supplémentaires en 2023. Le compte n’y est pas ! Nos prisons sont délabrées et indignes, avec un taux d’occupation qui ne fait qu’augmenter, passant de quasiment 120 % en 2020 à 126 % en 2021. Quant à l’année 2022, elle s’annonce encore plus compliquée avec une estimation à 129 %.

Le temps d’attente pour les justiciables est insupportable. Le délai moyen de traitement pour les affaires civiles est passé de 17,9 mois en 2020 à 19,1 en 2021 pour la Cour de cassation, et de 17 mois à 17,5 mois en cour d’appel, soit plus d’un an et demi avant que ces juridictions ne prennent une décision. Ces lenteurs difficilement acceptables ne font qu’augmenter d’année en année.

Il y a néanmoins des points positifs dans ce projet de loi, notamment en ce qui concerne les créations d’emplois. En 2023, le ministère bénéficiera de la création de 2 253 équivalents temps plein (ETP), dont 1 220 dans les services judiciaires pour renforcer la justice de proximité et résorber la vacance d’emploi dans les greffes, 809 dans l’administration pénitentiaire pour l’ouverture de nouveaux établissements et 92 pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Toutes ces créations d’emplois ne seront pas de trop au regard de l’augmentation du nombre d’affaires à juger, de la paupérisation de nos prisons et du manque de sécurité latent.

En juin 2022, il y avait 241 361 personnes prises en charge par l’administration pénitentiaire, dont 71 678 placées sous écrou. Heureusement, les 43 000 agents des services pénitentiaires, dont près de 30 500 personnes de surveillance et 5 000 personnels des Spip (service pénitentiaire d’insertion et de probation) sont présents chaque jour pour contribuer à la réinsertion des détenus et assurer leur sécurité. Je souhaite d’ailleurs leur rendre hommage, car ils font beaucoup avec peu de moyens, tout en étant la cible de violences de la part de la population carcérale. Ces violences, en constante augmentation, nécessitent des investissements de sécurité beaucoup plus conséquents que ceux prévus dans le projet de budget pour 2023.

Enfin, la réforme du code de procédure pénale est réclamée à la fois par les forces de l’ordre et par une bonne partie de l’institution judiciaire. À une question de ma part sur ce sujet lors du Beauvau de la sécurité, vous m’aviez répondu, avec votre verve habituelle, que cela ne se réformait pas d’un coup de baguette magique. Cette réponse a désormais un an et demi et aucune réforme sérieuse ne vient pointer le bout de son nez. Où en sommes-nous de cette réforme, qui ne coûterait pas un euro de plus ?

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le budget de la justice pour 2023 s’inscrit dans la continuité d’un effort significatif, avec une augmentation de 8 %. Les États généraux de la justice ont donné le tempo de la nécessité de maintenir cette trajectoire, tandis que les citoyens ont pris conscience du niveau de la justice en France, qui se situe en dessous de la moyenne européenne. Cela nous oblige.

Cet effort budgétaire n’est toutefois pas le plus remarquable : les 15 milliards d’euros alloués au ministère de l’intérieur accentuent le différentiel, alors qu’on sait combien justice, sécurité et libertés doivent fonctionner ensemble.

Une augmentation de 85 millions d’euros est consentie à la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que 92 créations de postes. C’est un effort manifeste, même si ce dernier chiffre peut paraître faible au regard de ce qui est demandé aux équipes mobilisées par la réforme de la justice pénale des mineurs. Il ressort des premières auditions que nous avons menées, avec mon collègue Jean Terrier, que les capacités de la protection judiciaire de la jeunesse pour réduire les délais ne sont pas aussi évidentes qu’on pourrait le croire. C’est normal, il faut changer les pratiques. Nous défendrons donc des amendements raisonnables, de nature à lui donner plus de souplesse dans l’exercice de ses missions, par exemple 50 postes supplémentaires de coordonnateurs, de formateurs et d’encadrement intermédiaire, ainsi que des psychologues, dont la jeunesse délinquante a besoin.

La détention provisoire ne diminue pas : elle s’élève toujours à 30 % des personnes détenues. Je sais que vous être résolu à y parvenir. Que doit-on faire pour cela ? Manque-t-on d’équipements, d’alternatives, d’éducateurs qui seraient en capacité de rassurer les juges pour prendre des décisions autres que l’enfermement ?

La question du numérique est tout à fait centrale dans les tribunaux judiciaires. Les logiciels sont extrêmement lourds à utiliser et ralentissent considérablement le travail des juges, alors la Cour de cassation et le Conseil d’État utilisent des logiciels tout à fait performants. Il faut absolument arriver à régler cette question. Avez-vous mesuré toute l’importance de ce sujet ?

M. Didier Lemaire (HOR). Le budget de la mission Justice augmente en 2023, la hausse s’élevant à 26 % depuis trois ans. L’objectif est triple : réduire les délais de traitement, particulièrement dans les contentieux du divorce et les contentieux portés devant le conseil des prud’hommes ; renforcer l’efficacité de la réponse pénale ; adapter et moderniser la justice en renforçant l’accès des usagers à leur dossier en ligne afin de faire baisser les frais de justice. Cette augmentation des crédits est cohérente avec les axes prioritaires défendus par le Gouvernement, à savoir le renforcement des moyens humains, l’amélioration des conditions de détention et le renforcement de certaines politiques pénales comme la lutte contre les violences intrafamiliales.

La France connaît un déficit de greffiers et de magistrats. Je me réjouis donc de la création de 10 000 emplois, dont 2 553 dès 2023, et du doublement de l’enveloppe consacrée aux mesures catégorielles, soit 80 millions d’euros pour renforcer l’attractivité des métiers. Sachant que notre pays comprend plus de 600 juridictions, pourriez-vous nous détailler la répartition de ces créations d’emplois ? Savez-vous d’ores et déjà dans quelles juridictions, quels services, quels territoires et quels délais ces nouveaux emplois seront pourvus ?

Le Gouvernement souhaite renforcer certaines politiques pénales, dont la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales. C’est indispensable, car celles-ci sont encore trop peu suivies de plaintes, en particulier lorsqu’il s’agit d’agressions à caractère sexuel. Je me réjouis donc que le budget consacré aux frais de justice augmente de 12 millions d’euros en 2023 et espère que cela encouragera les victimes à agir contre leurs bourreaux. En conclusion, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur des crédits de la mission.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). J’ai bien noté que les crédits de la mission Justice augmentaient cette année. Malheureusement, le volontarisme que vous affichez ne suffira pas à combler l’immense retard que nous avons accumulé depuis de trop nombreuses années. Nous partons en effet de très loin : le personnel est à bout, il n’a plus les moyens de rendre une justice de qualité, la justice civile est débordée, les cabinets des juges pour enfants sont saturés, les procureurs sont en sous-effectif et les cadences sont infernales. La perte de sens est totale.

Au niveau européen, la France se situe dans les derniers rangs s’agissant des budgets attribués à la justice. L’Allemagne compte deux fois plus de juges, de procureurs, d’avocats et de greffiers que la France, et même l’Espagne, l’Italie et la Belgique font mieux que nous. Le résultat de ce manque d’investissement, c’est l’allongement sans fin des délais de jugement. Le recours à la justice est devenu un véritable parcours du combattant, les requérants ne sont plus écoutés, les juges des affaires familiales sont trop souvent contraints de traiter chaque dossier de divorce ou de séparation en quinze minutes, sans même prendre le temps de donner la parole aux couples. Quant aux juges des enfants, ils sont condamnés à renouveler les mesures de suivi éducatif sans voir les familles, le nombre de dossiers à gérer étant tel qu’ils ne peuvent les recevoir toutes. Les délais de jugement sont scandaleusement longs : en première instance, au civil, un dossier est instruit en moyenne en 420 jours en France contre 220 jours en Allemagne.

Face à cette justice en crise, face à l’urgence dans laquelle nous sommes, les mesures que vous annoncez ne sont pas à la hauteur. Les présidents des tribunaux demandent 1 500 magistrats immédiatement – pas sur cinq ans ! Or 200 magistrats en 2023, ce n’est pas suffisant. Même constat pour l’équipe autour du magistrat : le juge a besoin de greffiers et de juristes assistants. Là encore, les effectifs et les revalorisations que vous annoncez ne sont pas à la hauteur. Il faut recruter davantage de greffiers pour que leur charge de travail soit raisonnable, avec un ratio minimum de deux greffiers pour un magistrat. Il faut aussi rendre leur fonction plus attractive en améliorant leur statut, leur rémunération et les perspectives d’évolution, par exemple en passant tous les greffiers en catégorie A. Il faut aussi revaloriser la carrière des juristes assistants, qui doivent pouvoir bénéficier d’un statut pérenne et attractif. L’absence de perspective à long terme – ils sont recrutés pour trois ans, renouvelable une fois – les incite à chercher un emploi plus stable, même lorsqu’ils s’épanouissent dans leur mission.

Malgré des efforts notables, ce projet de budget reste en dessous des besoins et ne résout pas à lui seul les grandes difficultés auxquelles fait face la justice de notre pays.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Monsieur le garde des sceaux, le ministère dont vous avez la charge craque de partout : manque chronique de moyens humains et financiers, manque de considération. Cela fait de trop nombreuses années que la justice est délaissée par le pouvoirs publics. Ce n’est pas de votre seul fait, certes, mais c’est à vous qu’il appartient désormais de proposer un budget à la hauteur des enjeux. Le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice du 5 octobre dernier confirme que la France continue de figurer parmi les pays qui, à PIB comparable, investissent le moins dans leur justice. Les conséquences de ce manque de moyens sont terribles, tant pour les professionnels de la justice que pour les justiciables. Ainsi, les délais de traitement des affaires pâtissent de ce sous-investissement : en moyenne, un dossier en première instance pour une procédure civile est résolu en 637 jours en France, contre 237 jours dans le reste de l’Europe. La hausse du budget de plus de 8 % est un début, mais elle nous paraît encore trop faible au regard des besoins, d’autant qu’une large partie de celle-ci sera absorbée par l’administration pénitentiaire.

Je souhaite aborder en particulier la question de la dotation annuelle de l’aide juridictionnelle, qui est largement insuffisante. Dans le barreau où j’exerce, elle a été épuisée dès le mois de juin cette année, et la dotation complémentaire l’a été dès le mois de septembre. La modification des critères d’accès à l’aide juridictionnelle semble en être la cause, mais c’est surtout l’augmentation de la pauvreté en France qui entraîne une demande plus importante. Pour 2023, le budget accordé à l’aide juridictionnelle augmentera de 4,2 % : c’est un bon début mais cela nous paraît encore très insuffisant. La pauvreté en France explose : 12 millions de personnes vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté, ce qui représente 18,46 % de la population ; à La Réunion, ce taux s’élève même à 20 %. L’augmentation des crédits de l’aide juridictionnelle doit donc accompagner cette réalité. Or, la pauvreté ne figure pas dans les différents critères d’analyse de votre ministère pour évaluer le besoin : pas de mention de l’explosion de ce phénomène, pas de prise en compte de ses conséquences directes, pas de projection sur l’augmentation des demandes d’aide juridictionnelle. Nous craignons donc que l’augmentation de la dotation pour 2023 soit bien en deçà de ce qui serait nécessaire.

En conclusion, le budget que vous présentez est encore très insuffisant au regard des besoins et des objectifs affichés. Je crains que, pour compenser cette insuffisance, vous ne décidiez dans un prochain projet de loi de réforme de la justice de généraliser quelques procédures complexes qui éloigneront encore plus le justiciable de la justice ou contribueront à diminuer le nombre d’affaires traitées à grands coups de caducité, de nullité ou d’irrecevabilité. Le besoin de justice est toujours plus important dans notre société où les inégalités se creusent. En tiendrez-vous compte ?

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Il n’est pas possible de nier les efforts budgétaires conséquents affichés dans le projet de budget pour 2023, avec 8 % d’augmentation en un an. Cependant notre groupe est partagé, car les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le problème semble être lié à un changement de paradigme.

S’agissant de la crise de recrutement qui frappe le système judiciaire, notre groupe relève l’écart entre les annonces de communication et les faits. Alors que la Première ministre, dans son discours de politique générale, annonçait 3 000 créations de postes réparties à égalité entre magistrats et greffiers, le budget 2023 nous semble loin de ce compte : il est prévu de créer « seulement » 200 postes de magistrats. Pourquoi reporter à demain, voire à la fin du quinquennat, le recrutement de 1 500 magistrats, alors que les tensions sur les juridictions judiciaires sont prégnantes ? S’agit-il de créations de postes immédiates, dès 2023 dans les juridictions, ou seulement de places supplémentaires à l’École nationale de la magistrature ?

Cette crise a un impact direct sur le principal indicateur de la mission : la durée de traitement des affaires judiciaires, au civil comme au pénal. Depuis la pandémie, le stock ne diminue pas, au point qu’il devient difficile de rendre justice dans un délai raisonnable. Outre les inégalités qui en découlent, la France s’expose à de nouvelles condamnations européennes pour ces délais excessifs. Le rapport du comité des États généraux de la justice, publié en juillet dernier, préconise comme piste d’amélioration de renforcer l’entourage du magistrat. Or, l’attractivité des emplois nous semble au point mort : les greffiers manquent à l’appel en dépit des crédits additionnels. Comment expliquer que le taux de vacance des postes de greffiers progresse et s’élève à 7,2 % ? Quelles sont les pistes explorées par le ministère pour pallier ce manque ?

S’agissant des prisons, là encore, notre groupe ne remet pas en cause la volonté de l’exécutif : des moyens sont prévus, 650 millions d’euros étant affectés aux investissements immobiliers. Cependant les indicateurs restent dans le rouge : le taux d’occupation des places en maison d’arrêt dépassera les 130 % en 2023, contre 119 % en 2020. Concrètement, quelles sont les projections d’évolution de ce taux d’occupation carcérale ?

Notre groupe s’inquiète également des faibles recrutements dans l’administration pénitentiaire. Comment expliquer que, chaque année, en dépit des créations annoncées, les prévisions sont atteintes d’une sous-exécution chronique ? Au-delà des efforts concernant la rémunération, quels sont les moyens déployés pour renforcer l’attractivité d’un métier qui souffre d’une image peu favorable ?

Enfin, notre groupe demande des éclaircissements sur la troisième demande de prolongation de l’expérimentation de la médiation préalable pour les affaires familiales. Depuis 2016, le Gouvernement n’a déployé le dispositif que dans onze juridictions, la pandémie n’étant sans doute pas la seule cause justifiant ce retard. Nous nous interrogeons également sur son financement : l’évaluation préalable évoque un coût total de 7,7 milliards sur 2023, dont seulement 2,8 pour l’État. En réalité, le coût pèse à 75 % sur les CAF (caisses d’allocations familiales). Comment le ministère peut-il le prolonger avant d’avoir obtenu les garanties que celles-ci poursuivront ce modèle de financement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la rapporteure pour avis, les greffiers bénéficieront à la fois d’une augmentation indemnitaire, à hauteur de 10 millions d’euros, et d’une revalorisation statutaire.

Le ministère travaille à une réforme de la mission et de la tarification des administrateurs ad hoc. Nous souhaitons qu’il y en ait un auprès de chaque enfant qui se présente devant une unité d’accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED). Et il faudrait qu’il y ait une UAPED par département : ce sont des lieux absolument essentiels, qui permettent de soigner les enfants et de les prendre totalement en charge, du point de vue médical, sanitaire, psychologique, psychiatrique et judiciaire. Il me semble d’ailleurs qu’il faudrait renommer ces « administrateurs ad hoc », car c’est un nom compliqué pour un petit enfant. Nous avons pensé à « parrain judiciaire », mais si vous avez d’autres idées, nous sommes preneurs.

Le financement de la campagne de sensibilisation sur les violences sexuelles commises sur les mineurs est prévu au sein du groupement d’intérêt public (GIP) dédié. C’est un sujet absolument prioritaire, vu le nombre de mineurs victimes chaque année, qui s’élève à environ 160 000 par an.

Deux voies sont ouvertes aux greffiers pour accéder à la magistrature. La première est le concours interne. En 2019, on comptait six greffiers sur les vingt-neuf lauréats et onze sur quarante-huit en 2021. Il existe aussi une possibilité d’intégration directe. Dans le cadre des États généraux de la justice, on réfléchit à la manière de mieux structurer l’équipe autour du magistrat, en créant un corps de catégorie A, auquel les greffiers, s’ils le souhaitent et s’ils en ont les compétences, pourront avoir accès. Cette idée, qui est très consensuelle, est en train de faire son chemin.

Les dysfonctionnements du bracelet anti-rapprochement (BAR) sont identifiés. M. Hetzel m’a reproché un manque de pilotage à ce sujet, mais dès que nous avons eu connaissance de ces problèmes, nous avons changé de prestataire. Et je peux vous dire que j’ai été directif, parce que j’ai envie que ça marche. Le bracelet anti-rapprochement est longtemps resté dans les tiroirs, mais j’ai demandé qu’on l’utilise bel et bien après l’affaire de Mérignac. Chaque BAR utilisé est immédiatement remplacé ; il en est de même des téléphones grave danger.

On a fait des progrès considérables, s’agissant des ordonnances de protection, qui peuvent désormais être prononcées en six jours, au lieu de quarante autrefois. L’expérimentation sur la réalité virtuelle, à laquelle je crois beaucoup, prendra bientôt fin et nous connaîtrons ses résultats scientifiques dans les prochaines semaines.

Monsieur le rapporteur pour avis, nous avons engagé plusieurs actions pour faire évoluer les missions confiées aux agents des services pénitentiaires d’insertion et de probation : 1 500 recrutements ont eu lieu depuis 2018, permettant de faire baisser le nombre de dossiers traités par ces agents de 80 à 71. On a également introduit des organigrammes de référence, qui sont très utiles. Le statut des CPIP s’est amélioré, avec leur passage en catégorie A et une revalorisation indemnitaire de 220 euros par mois en 2022.

Vous me demandez, à juste titre, ce que le ministère compte faire pour rendre le métier de directeur pénitentiaire d’insertion et de probation (DPIP) plus attractif. Les réformes interministérielles engagées depuis 2017 ont conduit à une revalorisation des salaires des CPIP, mais pas des DPIP. Le ministère s’est engagé, en 2022, à revaloriser les primes des DPIP d’environ 700 000 euros, qui viennent s’ajouter aux 600 000 euros octroyés à ce corps en 2021. Cette hausse va se poursuivent pour atteindre 1 million dans le PLF pour 2023. La revalorisation indiciaire, quant à elle, atteint 1,3 million. Il importe aussi de réformer leur statut pour rendre ces carrières plus attractives.

Vous craignez que les trente postes créés dans ce PLF ne suffisent pas à assurer le fonctionnement de la nouvelle procédure de libération sous contrainte de plein droit. Je précise que s’y ajouteront les soixante-dix postes affectés en renfort des pôles « placement sous surveillance électronique » en 2022.

Monsieur Hetzel, vous m’exhortez au réalisme. Soyons clairs : quand je dis que la justice a fait l’objet de trente ans d’abandon humain, budgétaire et politique, je pense aussi à votre famille politique. Nous avons embauché plus de 700 magistrats, alors que lorsqu’elle était au pouvoir, leur nombre diminuait, parce qu’on ne remplaçait même pas les départs à la retraite. Était-ce bien réaliste ? La critique est aisée, l’art est un peu plus difficile. On parle d’un budget, pas du tonneau des Danaïdes. Moi aussi, j’aimerais avoir plus de moyens.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). 15 milliards, par exemple ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je sais que vous vous voyiez à Beauvau, mais nous sommes entre gens sérieux. Certains de ceux qui disent que ces moyens ne sont pas suffisants n’ont pas voté le budget de l’année dernière, ni celui de l’année précédente.

Moins, ce n’est pas égal à plus : voilà une réalité arithmétique, mathématique. Que vous le vouliez ou non, et même si beaucoup reste à faire, la justice n’a jamais été budgétairement aussi bien dotée que depuis qu’Emmanuel Macron est Président de la République. Ces comparaisons vous font mal, mais c’est la réalité.

Nous avons fait beaucoup de choses, et nous pouvons en être fiers, même s’il reste beaucoup à faire :1 500 magistrats de plus, ce n’est pas rien ; 1 500 fonctionnaires de greffe de plus, ce n’est pas rien ; la mise en place d’une équipe autour du magistrat, ce n’est pas rien ; 200 créations nettes de postes de magistrats dès 2023, ce sera une promotion historique de l’École nationale de la magistrature.

Nous créons 1 000 postes de fonctionnaires contractuels : 191 greffiers, 400 juristes assistants et 429 autres postes. À cela s’ajoute la pérennisation de 605 postes de contractuels, obtenue dès 2022. Vous vous plaignez que cela prenne du temps, mais il faut former ces nouveaux fonctionnaires ; avant de les recruter, il faut les former. Soyons sérieux ! Le maître mot des États généraux de la justice, c’est l’effectivité. S’agissant de la prime des magistrats, je souhaite valoriser surtout les jeunes, aux alentours de 1 300 euros, car j’estime que ce sont eux qui en ont le plus besoin. Certains syndicats ont crié à la victoire, d’autres ont dit que ce n’était pas leur préoccupation : ils peuvent toujours donner cet argent à des associations caritatives. Le taux de vacance des magistrats était de 5,77 % au 1er septembre 2017 et de 0,58 % au 1er septembre 2021 – je reconnais qu’il est un peu remonté au 1er septembre 2022 – du fait des créations massives de postes dont bénéficie le ministère.

Madame Abadie, votre investissement sur ces questions est impressionnant. Vous êtes l’une des spécialistes de la prison et vous en parlez avec beaucoup de nuances. Il serait bon que vous soyez suivie, car on ne peut pas, sur ces sujets, faire preuve de ce manichéisme intellectuellement très facile. En 2022, quatre établissements vont être livrés : Koné, en Nouvelle-Calédonie, et trois structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) à Caen, Montpellier et Coulaines, près du Mans. En 2023, dix autres établissements seront livrés. J’ai passé mon été à visiter ces chantiers et j’ai insisté auprès des patrons de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) sur le fait que nous devions tenir nos engagements. Ces prisons sont en train de sortir de terre et les députés qui le souhaitent peuvent venir les voir avec moi. Les députés du Rassemblent national étaient là quand j’ai visité le chantier de la SAS de La Farlède, près de Toulon.

Le coût prévisionnel total du programme 15 000 places s’élève à 4,5 milliards d’euros. Certains trouvent qu’il faudrait mettre moins d’argent dans la pénitentiaire et davantage dans le judiciaire ; d’autres pensent qu’il faudrait construire plus de places de prison. J’entends souvent un raisonnement qui est assez simple, pour ne pas dire simpliste : il consiste à dire que plus on construit de prisons, plus on les remplit. Mais alors, que faut-il faire ? Comment garantir la dignité de la détention ? Et quelle réponse pénale apporter ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). On libère !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, Ah oui, bien sûr, on libère ! Mesdames et messieurs du Rassemblement national, ça, c’est du laxisme !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Pas vous, maître !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Plus on en construit, plus on les remplit. Conclusion : il ne faut plus en construire ! Comment, dans ces conditions, règle-t-on le problème de nos prisons indignes ?

Vous m’avez interrogé sur la répartition des effectifs au sein des services judiciaires. Il y aura 2 253 créations de postes en 2023, contre 720 en 2022. Elles seront réparties de la façon suivante : 1 220 postes dans les services judiciaires (SJ), dont 200 magistrats, 91 métiers du greffe, 575 personnels d’encadrement et 254 personnels administratifs et techniques ; 809 postes à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ; 92 à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ; et 132, enfin, au sein du secrétariat général en charge du pilotage de la politique de la justice.

Vous m’avez également interrogé au sujet de l’Atigip et du transfert de la compétence de la formation professionnelle aux régions. Je ne peux pas vous en dire davantage, précisément parce que ce sont les régions qui gèrent cela, mais sachez que nous sommes extrêmement vigilants. La formation professionnelle et le travail en détention sont absolument essentiels : ce sont des éléments clés de la réinsertion. J’entends beaucoup de « y’a qu’à, faut qu’on », mais il y avait peu de monde au balcon quand il s’est agi de voter le contrat du détenu travailleur, dont je ne suis pas peu fier. Pour les détenus, cela permet d’avoir un travail rémunéré – 45 % du SMIC – et la prise en charge des droits sociaux et des formalités administratives par l’État. Pour les patrons, c’est un coût de production moins élevé. Le salaire permet en outre d’indemniser les victimes. Ce dispositif crée une boucle cinq fois vertueuse.

J’en viens aux questions qui m’ont été aimablement posées par le Rassemblement national, qui me taxe de laxisme. Je rappelle que, sous la droite classique, vous aviez voté des aménagements de peine jusqu’à deux ans d’emprisonnement. C’est nous qui avons limité cette possibilité aux peines d’un an. Par ailleurs, le rappel à la loi a été supprimé, et l’avertissement pénal probatoire n’a strictement rien à voir.

Vous me parlez du programme présidentiel de Mme Le Pen. Elle souhaitait qu’il y ait 9 000 magistrats, mais nous avions déjà allègrement dépassé ce chiffre, ce qui montre l’intérêt qu’elle porte à ce sujet ! Elle voulait une peine de perpétuité réelle, qui existe depuis des temps immémoriaux dans notre code pénal. C’est du reste la sanction qui a été infligée, dans le procès V13, à M. Salah Abdeslam. Elle voulait encore des courtes peines, comme aux Pays-Bas. Or, les Pays-Bas y ont renoncé, parce que ça ne marche pas. Vous nous avez menti pendant toute la campagne, et c’est insupportable.

Entre 2001 et 2020, en matière criminelle comme en matière délictuelle, on a enregistré une hausse de la sévérité des peines prononcées, que vous le vouliez ou non. Vous avez évoqué une affaire en particulier, dont je comprends bien qu’elle puisse choquer, mais des milliers de décisions de justice sont rendues chaque année. Si j’ai introduit la justice filmée, c’est justement pour que les gens comprennent à quel point il est difficile de prononcer une peine et à quel point la personnalisation de la peine est importante ; pour que les gens voient que, dans un jury populaire, certains peuvent trouver une peine trop sévère, et d’autres, la trouver trop légère. C’est le jury populaire, ce sont nos compatriotes, qui fixent le quantum de la peine.

Par ailleurs, la fréquence du prononcé de l’emprisonnement ferme est en hausse. Entre 2002 et 2005, l’emprisonnement était prononcé pour 20 % des condamnations et pour 59 % des récidives ; entre 2016 et 2019, ces proportions étaient de 27 et 68 %. Près de 116 000 peines d’emprisonnement ferme ont été prononcées en 2010, 120 000 en 2015 et 132 000 en 2019. Ce qui est extraordinaire, c’est que vous me reprochez à la fois le laxisme de la justice – en oubliant que le garde des sceaux ne peut pas donner de directives et que les magistrats sont indépendants – et la surpopulation carcérale. C’est extraordinaire !

De 2009 à 2021, le taux de poursuite s’est accru de près de deux points. Le nombre de classements sans suite pour inopportunité des poursuites est passé précisément de 182 552 à 173 999. Vous vous arrêtez sur une affaire en particulier, c’est ce que j’appelle la « fait-diversification de la justice ». Vous poussez des cris d’orfraie et c’est naturellement le garde des sceaux qui est responsable de tout. Et vous, vous avez la solution !

Vous avez mille fois raison de citer Beccaria : c’est un grand humaniste, et l’humanisme, c’est tellement important, quand on parle de justice ! Mais les chiffres que vous donnez au sujet de l’exécution des peines sont faux. Il y a une hausse de 35 % de la population de détenus. Elle est supérieure de 7,8 % à la hausse du nombre de places opérationnelles. Les peines fermes prononcées par les tribunaux correctionnels sont exécutées : à 72 % dans un délai d’un an ; à 85 % dans un délai de deux ans ; à 91 %, au-delà. Je trouve que ces délais sont encore trop longs et je travaille à les réduire, mais laissez-moi vous expliquer une chose : les peines qui ne sont pas exécutées ne constituent pas un stock de peines mortes.

Le mandat de dépôt à l’audience, c’est l’exécution immédiate, : la personne est menottée et elle part tout de suite en prison. En revanche, pour qu’une peine aménageable soit exécutée, il faut réunir le juge d’application des peines et les CPIP. Il faut faire des enquêtes, s’assurer que c’est faisable, voir si la personne a un domicile, une ligne téléphonique : tout cela prend un peu de temps, qui est un temps de non-exécution. Mais il n’y a pas un stock de peines mortes : vous racontez cela sur tous les plateaux de télévision et c’est faux ! Au mieux, c’est une méconnaissance. Au pire, c’est un mensonge, et c’est politiquement très grave. En décembre 2020, ce sont 100 613 peines d’emprisonnement ferme qui étaient en attente d’exécution. Il s’agissait principalement de courtes peines ; 97 % de ces peines étaient aménageables. Comparez nos chiffres à ceux des autres pays européens et vous verrez que nous n’avons pas à rougir des nôtres.

Monsieur Coulomme, comment pouvez-vous me demander combien de morts il faudra pour que je réagisse ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Je rapportais les propos tenus par une fonctionnaire dans le documentaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On n’est pas obligé de tout relayer. Je veux bien tout entendre, mais pas n’importe quoi. Cet après-midi, lors de questions au Gouvernement, on a évoqué deux morts, forcément tragiques. La première, c’est celle d’une magistrate de quarante-quatre ans qui a été foudroyée en pleine audience, à Nanterre, la semaine dernière. Sa famille et la communauté judiciaire sont sous le choc ; on ne peut pas instrumentaliser ce drame. La deuxième, c’est le suicide d’une jeune femme, survenu il y a quelques mois. J’ai demandé une inspection pour en savoir davantage et j’ai estimé qu’un certain nombre d’informations n’avaient pas à être rendues publiques. Cette mort non plus, on ne peut pas l’instrumentaliser.

On peut toujours faire mieux mais, avant de critiquer ce qui est fait aujourd’hui, j’invite chacun à se rappeler ce qu’il a fait en son temps. Sous la gauche, entre 2012 et 2017, le budget de la justice a augmenté de 14,9 % ; depuis 2017, il a augmenté de 44 %. Sous Mme Christiane Taubira, on avait une augmentation de 1 % par an ; aujourd’hui, elle est de 8 %. Mais je comprends que tout cela puisse vous déranger.

Vous avez dit que l’inflation annulait en grande partie cette hausse. Je vous rappelle que le taux d’inflation moyen national, qui concerne les consommateurs individuels, ne s’applique pas strictement à un ministère. Le plus grand coût lié à l’inflation pour la justice en 2023, c’est le financement de la revalorisation du point d’indice des agents publics de 3,5 %, ce qui représente 128 millions pour 2023, soit 70 % de l’inflation comptabilisée dans le budget de la justice pour 2023.

Je répète que plus n’est pas égal à moins. Et je ne rougis pas de comparer les budgets que nous avons obtenus avec ceux qui ont été obtenus par d’autres en d’autres temps – tout en reconnaissant qu’il reste des choses à faire. Aux députés du Rassemblement national qui m’ont demandé quand je comptais démissionner, je répondrai que si j’avais le sentiment d’avoir tout fait, je partirais.

Monsieur Coulomme, vous avez deux ans de retard. Les chiffres figurant dans le rapport de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) s’arrêtent en 2020. Or nous sommes en 2022, en train d’évoquer le budget 2023 de la justice…

En outre, la comparaison avec l’Allemagne n’est pas pertinente : en France, les juges consulaires et les conseillers prud’hommaux ne sont pas des magistrats professionnels, et le droit anglo-saxon est plus gourmand en magistrats que le nôtre – si vous me permettez l’expression. Le rapport ne dit pas autre chose – pas plus que la Cour des comptes.

Enfin, vous pourriez faire preuve d’honnêteté intellectuelle et rappeler que les années visées ne sont pas celles durant lesquelles j’ai été ministre.

Monsieur Balanant – j’associe également Cécile Untermaier et Jean Terlier –, je suis fier de notre résultat concernant le code de justice pénale des mineurs ! Pendant la campagne présidentielle, j’entendais le Rassemblement national plaider pour une réforme de la justice pénale des mineurs. Mais elle avait eu lieu et vous n’étiez pas à l’Assemblée nationale, où Mme Le Pen a surtout brillé par son absence !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Elle a voté pour !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Les autres ne devaient pas le savoir, alors ! Cette réforme est opérationnelle, nous pouvons le dire après un an de mise en œuvre. Alors que les mineurs étaient jugés une fois sur deux quand ils étaient majeurs, ils le sont désormais dans un délai maximal de huit mois. Quand on s’attaque à la délinquance des mineurs, il est extrêmement important de lui apporter une réponse pénale très rapide.

Monsieur Balanant, je connais votre investissement concernant le harcèlement scolaire. Bien sûr, il faut renforcer les liens entre éducation nationale et justice. Mais, alors qu’on ne reproche pas la maladie au médecin, on reproche la délinquance au garde des sceaux. Pourtant, quand nous sommes saisis, il est déjà bien tard et mille raisons expliquent les faits : l’éducation, ce qu’on appelle la « culture de l’excuse » ou d’autres motifs sociologiques. Quand elle est confrontée à un féminicide qui n’a donné lieu à aucune alerte préalable, comment la justice peut-elle intervenir en amont ? La prévention, c’est essentiel. Les féminicides, c’est l’histoire de tout le monde, à commencer par les voisins.

Monsieur Boucard, vous m’interpellez sur la réduction des délais. Bien sûr, la justice est beaucoup trop longue, je l’ai dit dès mon arrivée au ministère. La plateforme citoyenne des États généraux de la justice le met en lumière, tout comme elle met également en avant la méconnaissance de la justice. Quand nous avons recruté des contractuels, on m’a regardé, au mieux, avec circonspection… et gratifié, au pire, d’un déluge de critiques au motif qu’il fallait embaucher des magistrats. Mais nous n’avions pas le temps de les former !

Dix-huit mois plus tard, on m’a demandé de pérenniser l’emploi de ces contractuels. C’est la démonstration que nous ne nous étions pas trompés. C’était audacieux mais, avec les magistrats qu’ils aident au quotidien, ils ont permis de faire diminuer le stock d’affaires civiles de près de 30 %. La baisse est également tangible au pénal. La justice va donc plus vite, mais elle doit aller encore plus vite, et être encore plus protectrice. C’est pourquoi nous proposons le recrutement de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, ainsi que de contractuels, et des moyens matériels.

Les dernières consultations des États généraux de la justice se sont terminées il y a quelques jours. Nous allons présenter les conclusions législatives et réglementaires mi-novembre – vous serez bien évidemment associés. Certaines mesures réglementaires, qui font l’objet d’un consensus, vont permettre d’alléger la procédure civile et donc d’aller plus vite – équipe autour du magistrat, médiation, etc. Il faut aussi inciter les avocats à aller vers cette dernière, c’est-à-dire les payer comme s’ils allaient au procès.

À la suite du rapport Sauvé, j’ai souhaité instaurer une nouvelle gouvernance. J’ai transmis ce rapport, ainsi que ses annexes, à tout le monde ; j’ai reçu tous les acteurs de la justice, sauf ceux qui n’ont pas souhaité franchir ma porte – c’est leur responsabilité –, et nous avons retenu toutes les propositions consensuelles. Pourtant, ce n’est pas de l’eau tiède ! Tout le monde a compris qu’il s’agissait d’une chance historique de moderniser la justice et de la rendre plus efficace, plus protectrice, plus rapide.

Madame Untermaier, vous comparez les 8 500 emplois du ministère de l’intérieur et les 10 000 créés sur le quinquennat au sein du ministère de la justice. Vous soulignez que la détention provisoire ne diminue pas. C’est vrai, et c’est une réponse à ceux qui affirment que la justice est laxiste. Non, la justice n’est pas laxiste, les prisons sont archipleines et la détention provisoire ne faiblit pas. On ne peut reprocher au ministère d’être laxiste tout en le blâmant de la surpopulation carcérale !

Je prends note de la création d’une mission d’information sur l’évaluation de la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs, que vous corapportez avec M. Jean Terlier. Depuis l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs, le nombre de mineurs détenus est en baisse de 12 %. C’est un succès, même s’il ne faut pas se réjouir trop vite, et analyser ces chiffres en détail. Les 92 créations d’emplois prévues à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans le projet de loi de finances pour 2023 s’inscrivent dans la continuité des 338 créations d’emplois entre 2018 et 2022. Nous accentuerons les efforts durant le quinquennat.

Vous m’interrogez sur les logiciels. Ceux de la Cour de cassation et du Conseil d’État fonctionnent très bien – mon directeur de cabinet peut en témoigner. Mais on ne peut nier le problème d’adaptation et de gestion des flux. Nous allons donc renforcer le réseau et proposons qu’un spécialiste informatique se rende dans les juridictions pour régler les problèmes locaux – l’idée est plutôt bien accueillie.

Monsieur Lemaire, je ne suis pas en mesure de vous dire combien de magistrats vont être affectés dans chaque juridiction, car c’est du ressort du dialogue de gestion piloté par la direction des services judiciaires. Du fait du défaut d’attractivité des juridictions de Cayenne et Mayotte, nous avons créé une brigade de soutien. Ainsi, des magistrats en poste en métropole pourront aller y travailler six mois, en ayant la certitude de retrouver leur poste. Le Conseil supérieur de la magistrature vient de donner son aval au dispositif.

Monsieur Iordanoff, j’ai déjà répondu sur les stocks. Il s’agit d’une préoccupation tout à fait légitime.

Madame K/Bidi, souvenez-vous de la mission relative à la profession d’avocat, dite Perben. Elle comprenait de nombreux avocats. Nous allons au-delà de ses préconisations concernant l’aide juridictionnelle (AJ) avec une hausse de plus de 50 % du budget, à 641 millions d’euros en 2023, contre 430 millions d’euros en 2020.

Monsieur Acquaviva, il est impossible de recruter simultanément 1 500 magistrats pour une raison simple : il faut les former et leur formation doit être de qualité, à hauteur de leurs futures responsabilités. Il faut donc prévoir des concours et des recrutements qui prennent en compte les locaux et les enseignants disponibles.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Pour désengorger les juridictions et éviter la correctionnalisation de crimes graves, des cours criminelles départementales ont fait l’objet d’une expérimentation. Leur généralisation, en cours, se poursuivra en 2023. Il n’existe pas encore de cours criminelles départementales dans le ressort de la cour d’appel de Dijon. Les magistrats, que j’ai rencontrés récemment avec Didier Paris, sont impatients qu’elles soient créées en Haute-Marne, en Côte-d’Or et en Saône-et-Loire. Pourriez-vous faire un premier bilan du fonctionnement de ces nouvelles institutions ? Qu’en est-il de leur déploiement ?

Mme Pascale Bordes (RN). Les avocats, acteurs clés de la démocratie, sont les vecteurs naturels de l’accès au droit. Ils sont pleinement engagés dans la défense de tous les justiciables, quels que soient leurs revenus. Cette défense s’organise notamment grâce à l’aide juridictionnelle, qui permet à toute personne dépourvue de ressources suffisantes d’accéder à un juge et de bénéficier d’une défense de qualité.

Cependant, tous les rapports concluent à l’insuffisance du budget de l’aide juridictionnelle pour couvrir tous les besoins des justiciables. On constate des évolutions, mais le budget ne permet pas d’assurer une rémunération acceptable des avocats qui interviennent à ce titre – tout au plus peut-on parler de rétribution. Depuis des années, les avocats travaillent en grande majorité à perte lorsqu’ils sont rétribués au titre de l’AJ, puisque l’indemnisation versée par l’État en fin de procédure ne couvre pas tous leurs frais.

Le nombre d’unités de valeur (UV) versées pour certaines procédures a augmenté, ainsi que leur montant – de 36 euros, alors que le rapport Perben préconisait 40 euros –, mais ce n’est toujours pas acceptable, encore moins en période d’inflation galopante. Les avocats ne peuvent continuer à être la variable d’ajustement d’un système à bout de souffle. La revalorisation de l’AJ est indispensable et urgente. Or, les crédits budgétaires qui lui sont consacrés en 2023 s’élèvent à 641 millions d’euros, en hausse de 4,2 %. Entendez-vous procéder rapidement à une revalorisation de l’AJ prenant réellement en compte l’inflation ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, comment allez-vous faire pour prolonger une dernière fois, jusqu’au 31 décembre 2027, le moratoire sur l’encellulement individuel, qui prend fin au 31 décembre 2022 ? On nous avait vendu la prolongation de ce moratoire jusqu’au 31 décembre 2022 en nous expliquant que la construction de nouvelles places de prison et la baisse des courtes peines allaient nous sauver. Cela n’a pas fonctionné. À l’inverse, la politique de déflation pénale des Pays-Bas a conduit à une diminution de l’incarcération et donc à la fermeture de prisons. Nous pourrions utilement nous en inspirer…

Vous avez évoqué la justice pénale des mineurs, mais qu’en est-il de la justice civile ? Dans le Nord, mais ailleurs également, les magistrats rencontrent de graves difficultés pour faire exécuter les décisions qu’ils ont prises dans l’intérêt supérieur des enfants, afin de les protéger. Cela ne peut plus durer ! Comptez-vous évoquer le problème avec les exécutifs des conseils départementaux ?

Mme Blandine Brocard (Dem). Les personnels de l’administration pénitentiaire exercent un métier extrêmement éprouvant. Ils ont tout mon soutien. Ils doivent être assurés de pouvoir rejoindre leur famille à l’issue de leur service.

Pour prévenir la récidive, nous devons rendre les détenus meilleurs à la sortie qu’ils ne l’étaient à leur entrée en prison, en évitant, par exemple, la radicalisation par contact avec les détenus radicalisés prosélytes, mais aussi en accompagnant les détenus vers la sortie. Les 130 millions d’euros affectés à la rénovation et à la modernisation du parc pénitentiaire poursuivent le même objectif.

Votre budget finance les mesures que nous avons adoptées lors de la précédente législature, notamment la création du contrat d’emploi pénitentiaire (CEP). Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dispositif ?

Nous faisons face une crise des vocations au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Je suis très régulièrement alertée par des éducateurs qui craquent et sont tentés de baisser les bras. Il ne s’agit pas de jeunes éducateurs, mais de personnels avec quinze ou vingt ans de métier. Ils font face à une très forte hausse des violences et doivent souvent gérer des cas qui nécessiteraient une prise en charge psychiatrique, ou d’autres mesures plus fermes. Comment lutter contre ces comportements pour que le métier d’éducateur retrouve sa première vocation : l’éducation ?

M. Romain Baubry (RN). Vous avez évoqué la réinsertion des détenus : en quoi faire de la voile en Méditerranée participe à cet objectif ? Cela permet-il de lutter contre la récidive ?

Les mesures catégorielles de revalorisation des salaires prévues dans le budget pour le personnel pénitentiaire sont faibles et ne vont pas permettre à l’administration pénitentiaire de recruter, sauf à ce que, comme sous l’ancien quinquennat, vous ne construisiez aucune place de prison supplémentaire. Les directeurs obtiennent 31 % des revalorisations salariales. Mais ils ne sont pas derrière les portes des cellules ! Vous auriez dû consacrer davantage à ceux qui sont en première ligne, ceux sans qui aucune porte ne s’ouvre. Comment attirer des candidats si vous n’offrez même pas un salaire décent – alors que vous êtes incapables de proposer un rythme de travail digne ?

Le manque de personnel de surveillance est à l’origine d’assassinats en détention. J’espère que vous ne jetterez pas à nouveau en pâture des surveillants pénitentiaires, comme vous l’avez fait à Arles lors de l’affaire Colonna.

Les moyens prévus dans le budget ne permettront pas de compenser la carence de surveillance humaine et de lutter efficacement contre les projections de drogues, d’armes, de téléphones et les livraisons par drone. Il faut mieux assurer la sécurité périphérique et interne des établissements.

Mme Émilie Chandler (RE). Le Grenelle des violences conjugales de 2019 a abouti à la mise en œuvre de dix mesures phares en faveur des victimes. Parmi celles-ci, le contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP) a été étendu à l’ensemble du territoire depuis le 1er avril. C’est une alternative à la détention provisoire, qui permet l’éviction immédiate d’un auteur de violences conjugales et sa prise en charge en hébergement adapté.

Dans les documents budgétaires, les crédits alloués aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) augmentent de 34 % afin de financer, notamment, l’extension géographique de l’expérimentation du CJPP. Quelle part des crédits sera destinée à cette expérimentation ?

M. Didier Paris (RE). Nous vivons une période charnière de l’histoire de la justice. Depuis trois ans, vous avez beaucoup œuvré pour la faire évoluer, en vous appuyant sur les États généraux de la justice. Vous avez réussi le tour de force de créer les conditions d’une justice qui s’adapte, qui se modernise, plus lisible, plus efficace, plus rapide. Les chiffres, exceptionnels, que vous venez de présenter le confirment. Nous en sommes tous conscients, en dépit de certaines prises de position politiques.

En prévision d’un éventuel projet de loi sur la justice, avez-vous réfléchi à une évolution de la gouvernance du système judiciaire qui permette de démultiplier les efforts budgétaires – modalités d’exécution du budget dans les juridictions, dialogue de gestion, liberté de décision, encore relativement faibles, réorganisation des cours d’appel, évolution du système numérique avec la nomination d’un secrétaire général adjoint, très attendue par le corps judiciaire.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Monsieur le ministre, il n’existe pas, ici, un « camp du laxisme ». Je ne peux que réfuter une telle prise de position, car le respect des droits humains n’est ni conditionnel, ni optionnel. Il faut combattre à tout prix ce terme, tout comme celui de droit-de-l’hommisme. En tant que parlementaires, nous devons tous œuvrer pour le respect des droits humains et il ne faut surtout pas banaliser les propos de ceux qui contestent la défense de ces droits.

Pourquoi y revenir ? Car la France a été condamnée pour ses conditions de détention à de multiples reprises, par la Cour européenne des droits de l’homme, par la Cour de cassation, et une décision du Conseil constitutionnel consacre l’interdiction de soumettre les personnes détenues à des conditions d’incarcération contraires à la dignité humaine. Pourtant, la surpopulation carcérale reste une réalité et la France continue à enfermer toujours davantage, à l’inverse de beaucoup de nos voisins européens.

Le plan immobilier pénitentiaire prévoit la création de 15 000 places supplémentaires d’ici à 2027. Peut-être n’en construira-t-on que 13 000, ou 11 000, mais cela reste symptomatique de l’enfermement comme slogan politique à succès. Pourtant, il faut le répéter, cela ne protège en rien nos concitoyens, car la prison ne protège pas, aujourd’hui, la société. Nous plaidons pour la régulation carcérale : il faut diriger les crédits vers l’insertion, vers les peines alternatives, mais aussi vers l’amélioration des conditions de travail des agents pénitentiaires.

M. Jean Terlier (RE). Vous avez fait preuve de courage en réformant le code de la justice pénale des mineurs. L’ordonnance de 1945, véritable totem, a été modifiée à quarante reprises, mais nul n’avait engagé une telle réforme structurelle, pourtant si nécessaire. Ses objectifs sont importants, dont l’ambition de réduire à 8 mois un délai de jugement qui s’élevait en moyenne à 18 mois, au point que les prévenus passaient souvent le cap de la majorité avant le jugement.

Les moyens financiers et matériels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont au rendez-vous : 1,1 milliard de crédits de paiement, 10,4 % de hausse du budget en 2022, 92 créations d’emploi en 2023, soit une hausse de 13,6 %.

La diminution du nombre d’affaires pénales concernant les mineurs, esquissée en 2021, se poursuit en 2022. Comment l’expliquez-vous ?

M. Timothée Houssin (RN). On ne peut que souscrire à l’objectif 2 du programme 166, « Renforcer l’efficacité de la réponse pénale, le sens et l’efficacité de la peine », mais les chiffres présentés le contredisent. Le taux d’alternative aux poursuites avec mesures de rappel à la loi passerait de 39 % en 2021 à 45 % en 2025. Avec 76 %, le taux de peines alternatives à l’emprisonnement ferme était déjà conséquent en 2021 et vous voulez le porter à 78 % en 2022, à 79 % en 2023, à 80 % en 2024 et à 81 % en 2025, comme si le fait de vider les prisons était en soi un objectif. Vous voulez en outre réduire le nombre de peines inférieures à six mois au profit d’une ridicule peine de détention à domicile, sous surveillance électronique, et la loi interdit de prononcer des peines d’emprisonnement de moins d’un mois ! C’est le monde à l’envers ! Au lieu d’une sanction réelle, dès les premières condamnations, à travers de très courtes peines, la non-incarcération pour de courtes peines est un objectif et pas même une manière de pallier le manque de places en prison !

En 2023, les autorisations d’engagement pour l’administration pénitentiaire diminuent de 17 %, et elles s’effondrent à partir de 2025, ce qui témoigne d’une politique et d’un budget de renoncement.

Par ailleurs, à moyen terme, les dépenses salariales stagnent : la hausse de 13 % en trois ans, compte tenu de l’inflation, ne correspond pas à une augmentation réelle des effectifs et des capacités d’incarcération. De plus, si les dépenses d’investissement atteignent 1 milliard en 2022 – ce qui, compte tenu du manque de places en prison, est insuffisant – elles s’effondrent de 80 % à l’horizon de 2025.

Il est question de l’ouverture de 15 000 places pour 2027, mais qu’avez-vous prévu pour la suite ? Il n’y a pas grand-chose. D’autres places disparaîtront-elles donc ? Quels objectifs fixez-vous à long terme, sachant que 86 000 personnes exécutent une peine privative de liberté et que nous n’avons que 60 000 places de prison ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoit la généralisation des cours criminelles départementales à compter du 1er janvier 2023. Je me félicite de votre contact avec les magistrats de votre ressort, qui se montrent donc impatients. Je ne peux pas vous donner immédiatement des précisions à propos de la situation en Bourgogne, mais je vous les communiquerai. Outre que, grâce à cette réforme, les audiencements sont plus rapides, la durée du procès est un peu plus courte et la question lancinante de la correctionnalisation est réglée, puisque les victimes de viol acceptent de moins en moins que les dossiers soient traités en correctionnelle. J’ajoute que les taux d’appel ont été inférieurs à ceux des cours d’assises classiques – dont je rappelle qu’elles demeurent, évidemment.

S’agissant de l’aide juridictionnelle, nous avons, bien entendu, tenu compte du rapport Perben et nous avons même été au-delà de ses préconisations, puisque le budget est passé de 430 millions d’euros en 2020 à 641 millions en 2023, ce qui représente une augmentation de 50 %. J’avais promis que ces efforts seraient réalisés en trois temps, et nous y sommes. J’ai donc tenu mes engagements.

S’agissant du moratoire de l’encellulement individuel, dont disposait le projet de loi de finances rectificative pour 2014, nous suivrons les décisions du Conseil constitutionnel. Nous aurons l’occasion de débattre d’un amendement à ce propos jeudi matin en séance publique, dans le cadre de la discussion des crédits de la mission Justice.

Un problème se pose en effet pour les décisions civiles concernant les mineurs, sur lequel nous devons travailler. Peut-être convient-il, en effet, que la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) y soit à nouveau associée ?

Le métier d’éducateur n’est en rien facile, comme d’ailleurs tous ceux de la filière sociale. L’École nationale de PJJ propose une formation spécifique, initiale et continue, de l’ensemble des éducateurs. Des recrutements permettent un accompagnement professionnel et un travail d’équipe : tutorat lors de la prise de poste, échanges de pratiques, inter-visions, supervisions, interventions de psychologues dans un cadre pluridisciplinaire ; 338 postes ont été créés à la PJJ lors du précédent quinquennat, et nous prévoyons d’en créer 92 de plus en 2023, afin de renforcer le soutien aux équipes et l’accompagnement professionnel. Les évolutions statutaires et indemnitaires sont également importantes avec le passage de ces fonctionnaires, en 2022, en catégorie A et, pour les acteurs du travail social, avec le bénéfice du complément indiciaire, ce qui représente plus de 2 000 euros par an.

Je n’ai jamais humilié des gardiens de la maison d’arrêt d’Arles, et ce dossier a été géré par la Première ministre à la suite d’un décret de déport. Cela dit, ne vous gênez pas, il en restera toujours – du moins l’espérez-vous – quelque chose… Je n’ai rien à voir avec les décisions qui ont été prises.

Nous avons procédé à des revalorisations statutaires et indemnitaires inédites pour les agents pénitentiaires, qui sont la troisième force de sécurité de notre pays – je pense par exemple à la fusion des grades et à d’autres mesures que je vous invite à examiner. J’entends que vous demandiez plus, mais je note que, l’année dernière, vous n’étiez pas au rendez-vous du vote du budget qui a permis de telles avancées.

À la suite de la circulaire du 23 septembre 2020 en application de la loi du 30 juillet 2020, le contrôle judiciaire, alternative à la détention provisoire, a été très renforcé. Les modalités de prises en charge sont harmonisées à l’aide d’un référentiel et d’une convention tripartite type. Le contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP) dispose de 175 places, pour une dotation de 2,6 millions d’euros. L’expérimentation a commencé fin 2020 à Nîmes et à Colmar. J’ai décidé de son extension à Bordeaux, Tour, Amiens, Cayenne, Draguignan, Saint-Étienne, Paris et Rennes à compter du 1er avril 2022. Un accompagnement des services est assuré par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), avec des déplacements sur site. Au 31 juillet 2022, 97 personnes placées sous main de justice ont été prises en charge dans le cadre du CJPP depuis le début de l’expérimentation et 24 personnes ont fait l’objet d’un placement extérieur dans les mêmes structures, dans la continuité ou non du CJPP.

Nous réfléchissons à une nouvelle gouvernance, afin de donner au service public de la justice toute son efficacité. Sur le plan local, je demande un renforcement du dialogue entre les élus, la préfecture, les forces de sécurité intérieure, les magistrats du siège et du parquet. Sur le plan central, il doit en être de même, car le fonctionnement en silo du ministère est préjudiciable. Des difficultés de transmission existent, par exemple, entre la direction des services judiciaires (DSJ) et le secrétariat général. Les cultures doivent changer, de même que les structures en charge de l’administration doivent être renforcées – budget, ressources humaines, informatique – y compris sur le plan des juridictions.

Je précise par ailleurs qu’il n’est pas question de supprimer une cour d’appel.

Les mots, en effet, ne doivent pas être galvaudés. Ils ont un sens, un double sens et ils suscitent parfois des contresens. Un procès en laxisme m’est fait régulièrement. Il suffirait de cogner pour régler les problèmes de délinquance, nous dit-on. Si c’était vrai, nous le saurions depuis des siècles. Il est vrai que l’œil ne se regarde pas voir, mais je m’efforce d’être ferme sans être démagogue, et humaniste sans être laxiste.

Nos compatriotes les plus défavorisés peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle, mais aussi des point-justice, qui sont des lieux où, gratuitement et dans la confidentialité, ils peuvent recevoir leurs premiers conseils. J’ai d’ailleurs souhaité que les élèves de l’École nationale de la magistrature s’y rendent.

La régulation carcérale n’est pas possible avec des indices qui seraient immuables. Ce sont les juges qui prononcent les décisions – dont je ne cesse de répéter qu’elles sont de plus en plus lourdes – et non le garde des sceaux. Il est faux de prétendre que les lourdes peines seraient susceptibles d’éradiquer la délinquance. Les peines planchers ont été abandonnées aux États-Unis, où des gamins en état de récidive étaient condamnés à vingt ans de prison pour avoir volé une pizza sans que la délinquance diminue pour autant. Les petites peines, quant à elles, sont souvent désocialisantes et criminogènes, comme nous le savons depuis très longtemps. Si nous décidions de doubler le quantum des peines, pensez-vous que le nombre d’homicides diminuerait ? Non ! Vous êtes dans la posture, pas dans l’analyse, et vous flattez en permanence les plus bas instincts ! Les solutions que vous préconisez n’en sont pas.

J’attends les conclusions de votre mission, monsieur Terlier, mais peut-être est-ce un peu grâce à nous si la délinquance des mineurs a diminué ! Lorsqu’un gamin de 16 ans est considéré comme coupable, son suivi est organisé – c’est le moment probatoire – et il est jugé : un tel processus me semble plus adapté que de le juger à ses 22 ans, âge auquel soit il s’est endurci dans la délinquance, soit il s’en est sorti. Dans les deux cas, la procédure n’a plus de sens. Je suis plutôt fier du texte que nous avons défendu, dont nous saurons bientôt s’il a favorisé la baisse de la délinquance des mineurs.

L’administration pénitentiaire bénéficiera en 2023 de la création nette de 809 emplois : 489 consacrés à l’ouverture des nouveaux établissements, 320 afin de renforcer les effectifs existants répartis entre les services et les missions, 200 pour les équipes de sécurité pénitentiaire, 30 pour la surveillance électronique, 90 pour les autres missions – formation initiale, continue, développement du travail pénitentiaire, services pénitentiaires d’insertion et de probation, renseignement pénitentiaire et les différentes autres fonctions support.

M. le président Sacha Houlié.  Nous reprendrons nos travaux à vingt et une heures trente avec l’examen des amendements à la mission Justice.

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Information relative à la commission

La Commission a désigné Mme Aurore Bergé rapporteure sur la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l’interruption volontaire de grossesse (n° 340 rectifié).

La séance est levée à 20 heures 20.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, Mme Aurore Bergé, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Jordan Guitton, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, Mme Emeline K/Bidi, M. Andy Kerbrat, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, Mme Marie-France Lorho, Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, M. Ludovic Mendes, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, M. Aurélien Pradié, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Raphaël Schellenberger, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, Mme Danièle Obono, M. Davy Rimane

Assistaient également à la réunion. - M. Patrick Hetzel, M. Philippe Schreck