Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Examen de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales (n° 658 2e rect.) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure)                            2

 Examen, selon la procédure de législation en commission, de la proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection (n° 661) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure)                            16

 Examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à créer un Défenseur de l’environnement (n° 608) (M. Gérard Leseul, rapporteur)                            32

 

 


Mercredi  

1er février 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 34

session ordinaire de 2022-2023

Présidence

de M. Sacha Houlié,

Président

 


  1 

La séance est ouverte à 9 heures 05.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

 

M. le président Sacha Houlié. Les trois propositions de loi (PPL) que nous examinons ce matin sont inscrites à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Socialistes et apparentés, prévue le jeudi 9 février.

La Commission examine la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co‑victimes de violences intrafamiliales (n° 658 2e rect.) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/lkng0v

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cette PPL visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales me tient particulièrement à cœur. Au cours des douze années pendant lesquelles j’ai occupé les fonctions de vice-présidente d’un exécutif en charge de la prévention et de la protection de l’enfance, j’ai été confrontée à l’indicible. En tant que députés, nous avons le devoir impérieux de mieux protéger les enfants.

Les chiffres sont vertigineux. On estime aujourd’hui à 400 000 le nombre d’enfants qui vivent dans un foyer où s’exercent des violences conjugales et à 160 000 celui des enfants qui, chaque année, en France, subissent des violences sexuelles. Les filles et les enfants en situation de handicap sont plus exposés aux violences sexuelles. Dans 90 % des cas l’agresseur est un homme et, dans 50 % d’entre eux, il est un membre de la famille.

Ces enfants, dont la voix est souvent inaudible et les moyens d’action limités, nous avons la responsabilité collective de les protéger, pour préserver les adultes en devenir qu’ils sont. Les travaux de la psychiatre Muriel Salmona ont montré les conséquences psychotraumatiques durables de l’exposition à ces violences au cours de la construction psychique et physique de l’enfant. Il faut donc intervenir le plus tôt possible par la mise en sécurité de l’enfant et un accompagnement médico-social adapté. L’objet de la PPL est donc d’agir lorsque l’enfant est en danger, pour limiter, voire, dans les cas les plus graves, rompre les relations entre l’enfant et le parent violent ou agresseur.

Je l’ai souvent dit ici, un parent violent ne peut pas être un bon parent. En raison du temps limité imparti à l’examen des PPL dans le cadre des niches parlementaires, celle-ci se concentre sur les modifications à apporter au traitement judiciaire de la question centrale qu’est l’exercice de l’autorité parentale, du droit de visite et d’hébergement. Elle s’attache plus particulièrement à mettre en place des mécanismes automatiques de retrait ou de suspension de l’autorité parentale, ou de son exercice, lorsque le parent est poursuivi, mis en examen ou condamné pour les infractions les plus graves commises sur son enfant ou sur l’autre parent.

Dans le cadre d’une réflexion plus globale, il y aura également urgence à inclure la prise en charge médicale des enfants victimes, le remboursement des soins pédopsychiatriques et l’accompagnement spécialisé en psychotraumatologie. J’espère que nous pourrons l’intégrer au prochain PLFSS, pour améliorer la prise en charge de ces enfants.

Il n’est pas nouveau que le législateur se préoccupe de l’autorité parentale et de ses mécanismes. Les pouvoirs du juge pour retirer l’autorité parentale ou son exercice ont d’ailleurs été renforcés ces dernières années, à la suite du Grenelle des violences conjugales. La présente PPL s’inscrit dans la lignée de la loi du 28 décembre 2019, dite loi Pradié, et de celle du 30 juillet 2020.

La prise de conscience de l’ampleur des violences sexuelles sur les enfants a progressé grâce aux travaux de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ainsi qu’à des mouvements comme #MeeTooIncest, à l’action d’associations et d’activistes, et à des textes comme celui que j’ai défendu à l’Assemblée nationale, adopté en première lecture en février 2021. Je tiens à leur rendre un hommage particulier et à préciser que le travail et les recommandations de la Ciivise ont largement inspiré le texte que je vous présente aujourd’hui. Ils ont également conduit le garde des sceaux et la secrétaire d’État chargée de l’enfance à annoncer leur volonté d’avancer sur les mesures relatives au retrait de l’autorité parentale et de son exercice. Celle-ci s’est manifestée dans leur choix de travailler avec moi afin d’aboutir à un texte transpartisan, et je m’en réjouis.

Dans le cadre des travaux préparatoires de la présente proposition de loi, de nombreux échanges avec des magistrats, des experts et des associations ont révélé la nécessité de réécrire certains articles. Les modifications substantielles que je proposerai d’apporter au texte ont pour but de garantir l’effectivité des mesures envisagées, cela dans le seul intérêt supérieur de l’enfant. Elles auront pour conséquence de faire tomber vos propres amendements aux articles 1er et 2 ; je vous prie, dès à présent, de bien vouloir m’en excuser.

La nouvelle rédaction que je propose pour l’article 1er prévoit la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, dès lors qu’un parent est poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d’instruction pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de son enfant. Cette suspension s’appliquerait jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales lorsqu’il est saisi par le parent poursuivi, ou jusqu’à la décision du juge pénal saisi au fond. Le but est ici de protéger l’enfant pendant la procédure pénale.

Pour les cas de violences conjugales, la suspension ne s’appliquerait qu’en cas de condamnation pour violences sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits. Pour citer Karen Sadlier, membre de la CIIVISE : « Il faut bien comprendre qu’un enfant témoin de violences conjugales est obligé de vivre avec un psychopathe ou un sociopathe. »

La réécriture que je proposerai conserve le caractère automatique du retrait de l’autorité parentale ou de son exercice en ajoutant la précision que le juge peut se prononcer autrement par une décision spécialement motivée. La logique actuelle selon laquelle le juge pénal peut retirer l’autorité parentale ou son exercice, mais de façon exceptionnelle, est ainsi inversée. Un autre amendement assurera la coordination entre le code civil et le code pénal.

D’autres pays avancent également en matière d’intérêt de l’enfant, à l’image de l’Australie, qui vient de décider la refonte de son système de droit de la famille. Dans ce pays, les agresseurs se verront ainsi interdire la possibilité de multiplier les procédures judiciaires contre les victimes. Peut-être y viendrons-nous aussi en France.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Éric Poulliat (RE). Aux termes de l’article 371-1 du code civil, la vocation naturelle et première des parents à assurer la protection et l’éducation de leurs enfants est une responsabilité, un devoir. Quand ils manquent à cette responsabilité en commettant des violences, l’intérêt supérieur de l’enfant peut justifier des restrictions de leurs droits.

La violence est un phénomène hélas bien trop répandu. Elle constitue le mode de vie habituel de 20 % des familles, qu’elle soit commise contre les enfants, les femmes ou les personnes âgées. Dans notre pays, 12,4 % des hommes et des femmes ont été victimes des violences de leurs parents dans leur enfance. Les conséquences peuvent en être destructrices : problèmes de santé, addictions, comportements à risques, troubles psychiques et sociaux graves. Ainsi, 60 % des enfants qui vivent des situations de violences intrafamiliales souffrent d’un trouble de stress post-traumatique complexe. Ils connaissent dix à dix-sept fois plus de troubles comportementaux et anxiodépressifs que les autres enfants, qui se traduisent par une perte d’espérance de vie de dix à vingt ans.

Lorsque la protection de l’enfant n’est plus correctement assurée dans le cadre familial, c’est à la société de le faire. Aujourd’hui, le retrait de l’autorité parentale, même en cas de violences intrafamiliales, est très rare. Il nous faut faire mieux, aller plus loin que les textes déjà adoptés lors de la précédente législature, notamment les lois du 28 décembre 2019 et celle du 30 juillet 2020. À cet égard, le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti et la secrétaire d’État chargée de l’enfance Charlotte Caubel ont annoncé différentes mesures. La présente PPL s’inscrit dans leur continuité et dans celle des travaux effectués par notre ancienne collègue Marie Tamarelle-Verhaeghe, sans oublier les conclusions de la Ciivise. Elle prévoit ainsi une extension de la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale au stade des poursuites, ainsi que le retrait automatique de cette autorité en cas de condamnation pour violences d’une certaine gravité, lorsque celles-ci s’exercent au sein du foyer.

Le groupe Renaissance salue cette proposition de loi. Avec la rapporteure de la délégation aux droits des enfants, notre majorité contribuera à l’enrichir en proposant plusieurs amendements visant à affermir son assise juridique, notamment au regard de la fragilité constitutionnelle des peines automatiques, et à s’assurer de la pertinence de sa portée sur le terrain.

Mme Marie-France Lorho (RN). Depuis les années 1970, l’autorité parentale est progressivement devenue conjointe, ce qui peut s’avérer complexe lorsqu’il existe des violences au sein du couple ou à l’égard des enfants. En cas de crime au sein du couple, la coparentalité est remise en cause par l’article 378-2 du code civil par la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale pour le parent poursuivi. L’article 378 du code civil permet au juge pénal de prononcer le retrait partiel ou total de l’autorité parentale, pour sanctionner les crimes ou les délits commis par l’un des parents sur l’enfant ou sur l’autre parent. La PPL vise à étendre le champ d’application de ces deux articles à d’autres situations.

À l’article 1er, les cas d’inceste sur l’enfant par agression sexuelle ou viol sont d’une gravité telle que la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale nous paraît souhaitable. En revanche, les faits de violence entraînant une incapacité totale de travail de plus de huit jours sur la personne de l’autre parent ne peuvent pas être placés sur un même plan. Le principe d’automaticité en matière familiale nous semble d’application délicate. Nous préférons, face à un acte de violence isolé sur la personne de l’autre conjoint, laisser à l’appréciation souveraine du juge la mesure de suspension. Elle ne peut, dès lors, pas être de plein droit.

Il n’en demeure pas moins que les violences habituellement commises sur l’autre conjoint créent de facto un climat dangereux. Le maintien de l’exercice de l’autorité parentale du parent régulièrement violent s’oppose à l’intérêt supérieur de l’enfant. Sa suspension de plein droit au stade des poursuites et jusqu’au prononcé de la décision du juge aux affaires familiales nous paraît justifiée.

Concernant l’article 2, les faits d’inceste par viol ou agression sexuelle sur l’enfant sont d’une gravité telle qu’ils justifient à nouveau le retrait automatique de l’autorité parentale du parent condamné, et de son exercice. Les crimes et les actes de violence habituels contre l’autre parent appellent la même mesure – celui qui les commet n’a pas la capacité d’être un parent sain et sécurisant pour son enfant.

Toutefois, les faits de violence isolés sur l’autre conjoint doivent être laissés à l’appréciation du juge pénal. Comme pour la suspension de l’exercice de l’autorité parentale de plein droit, la notion d’automaticité en matière familiale doit être maniée avec prudence. Si nous admettons son principe, nous souhaitons, pour des raisons de constitutionnalité, qu’elle soit accompagnée d’une faculté de dérogation pour le juge. Cette dérogation devra être motivée à l’aune de la personnalité du parent auteur de violences et de la gravité des faits qui lui sont reprochés.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Les violences exercées contre les enfants sont un problème dont notre société a du mal à reconnaître le caractère massif et systémique. Même si la violence est reconnue, même si l’auteur est condamné, ces faits feront l’objet d’une forme d’euphémisation, qu’illustre parfaitement la non-remise en cause de l’autorité parentale d’un parent condamné pour une violence sexuelle exercée contre son enfant pointée dans la PPL. Pour cette raison, le groupe LFI-NUPES considère que cette proposition de loi est utile. L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur le droit des parents de disposer de leur enfant. Les réécritures que vous proposez à travers vos amendements sont de nature à assurer la compatibilité des mesures introduites avec la souveraineté du juge, avec les principes du droit. Nous souhaitons donc soutenir cette proposition de loi.

Néanmoins, ces mesures, pour utiles qu’elles soient, vont se heurter à la limite des moyens budgétaires. Mon propos n’est pas de dire qu’avec l’argent on peut régler tous les problèmes. Par moyens budgétaires, j’entends le temps humain qui doit être consacré à éduquer, à former, à prévenir, à enquêter, à sanctionner, mais aussi à réhabiliter quand c’est nécessaire. La société doit consacrer plus de temps à tout cela.

S’attaquer aux violences faites aux enfants, vouloir y mettre un terme, c’est entreprendre une révolution anthropologique. Ces violences plongent leurs racines dans un millénaire d’histoire patriarcale, et pour remettre en cause cet état de fait, il faut s’en donner les moyens. On ne peut pas le faire avec des services de police qui manquent de temps et de moyens pour enquêter ou avec une aide sociale à l’enfance à terre. C’est impossible lorsque les moyens des services publics ne sont pas à la hauteur.

M. Aurélien Pradié (LR). Saluant le travail constant de notre collègue Isabelle Santiago dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, le groupe Les Républicains soutient totalement cette proposition de loi, qui accomplit une avancée nécessaire.

La réalité est celle-ci que 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences conjugales et que 160 000 subissent chaque année des violences sexuelles avérées. Les filles et les enfants en situation de handicap sont plus exposés aux violences sexuelles, infligées, dans 90 % des cas, par des hommes qui sont membres de la famille dans la moitié des cas.

Face à ce véritable fléau, le premier des dangers serait de s’habituer, de se chercher collectivement des excuses en considérant que l’on ne peut pas faire plus, parce qu’il y aurait des éléments profonds que nous ne pourrions pas combattre ni dépasser. Notre responsabilité est de faire en sorte que ces chiffres soient le plus bas possible et cette proposition de loi va en ce sens, en dotant la justice d’outils nouveaux.

Déjà, la loi défendue par Les Républicains, permettant notamment de confier au juge aux affaires familiales la possibilité de suspendre, dès l’ordonnance de protection, l’exercice de l’autorité parentale lors d’une phase préventive constituait une avancée. Il est en effet plus facile, juridiquement et politiquement, de suspendre ou de retirer l’exercice ou l’autorité parentale à l’auteur de violences conjugales lorsqu’il est définitivement jugé que lorsqu’il ne l’a pas été. Or c’est là que les choses se jouent probablement de manière déterminante. C’est la raison pour laquelle il ne faut avoir aucune pudeur, aucune réserve à faire en sorte que, dès la phase qui n’est pas encore celle de la décision définitive de la justice, les enfants soient protégés. L’erreur serait de ne pas le faire et de prendre un risque, ce qui s’apparenterait à une faveur accordée à l’auteur présumé de violences.

J’aimerais que notre travail collectif permette de préciser ce qui relève véritablement de la suspension et du retrait de l’exercice de l’autorité parentale, et ce qui relève de l’autorité parentale elle-même. Nous sommes favorables à la mobilisation du maximum d’outils, car il existe des situations dans lesquelles le seul fait de conserver l’autorité parentale sans en avoir l’exercice peut poser des problèmes et peser sur la vie des enfants.

Il est également un point simple sur lequel nous devons nous entendre : l’auteur de violences conjugales n’est jamais un bon père. Il n’existe aucune circonstance dans laquelle un homme qui aurait violenté son épouse, qui l’aurait tuée, pourrait être un bon père. C’est le principe auquel nous ne devons jamais déroger.

La noblesse de cette proposition de loi est de donner à la représentation nationale l’occasion de protéger ce que nous avons de plus précieux, c’est-à-dire nos enfants, et, à travers eux, l’avenir de notre pays.

M. Erwan Balanant (Dem). Parce que les enfants sont l’avenir de notre pays, parce qu’ils sont parmi les plus vulnérables de notre société et qu’ils dépendent de nous, adultes, il est de notre devoir d’élus de doter notre arsenal législatif de toutes les mesures propres à leur assurer une protection maximale contre toutes les formes de violence, et plus encore celles qui s’exercent dans le cadre familial.

De trop nombreux enfants sont les victimes directes ou indirectes des agissements d’un parent violent. En 2019, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes recensait 400 000 enfants vivant dans un climat de violences intrafamiliales. En 2021, plus de 50 000 enfants et adolescents ont été victimes de maltraitance et 14 mineurs sont décédés, tués par un de leurs parents dans un contexte de violence au sein du couple. D’après le rapport de l’Unicef de novembre 2022, un enfant est tué tous les cinq jours en moyenne, en France.

Face à l’augmentation croissante des violences intrafamiliales, il est indispensable de renforcer la protection des enfants au regard de l’autorité parentale et, surtout, de l’exercice de cette autorité. Il peut s’avérer nécessaire de couper, en partie ou totalement, les liens avec le – ou les – parent auteur de violences. Le groupe Démocrates salue donc à ce titre votre volonté, madame la rapporteure, de donner un nouveau cadre à l’autorité parentale et à son exercice.

Pour reprendre les mots de la Déclaration des droits de l’enfant de 1959, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être notre guide. Il doit déterminer en permanence nos réflexions et nos choix. Néanmoins, les législateurs que nous sommes ne peuvent faire l’économie des principes fondamentaux de notre droit. C’est pourquoi le groupe Démocrate était réservé quant au caractère automatique du retrait de l’autorité parentale, sans autre forme de procès.

Aujourd’hui, seul le juge aux affaires familiales peut statuer sur l’autorité parentale ; la version initiale du texte posait donc un problème au regard de l’individualisation des peines, protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH). C’est pourquoi nous avions proposé qu’en lieu et place de ce retrait automatique de l’autorité parentale, la condamnation d’un parent pour crime ou délit à l’encontre de l’autre parent ou de son enfant entraîne l’obligation pour le juge de statuer sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale. Celui-ci aurait ainsi pu statuer in concreto et aurait dû motiver sa décision de maintenir un lien entre le parent condamné et l’enfant, dans l’intérêt supérieur de ce dernier. Vos amendements vont en ce sens et je me félicite du travail collectif qui a ainsi été accompli pour trouver le juste équilibre entre protection de l’enfant et préservation des relations familiales et respect des liens d’attachement.

Vous connaissez mon implication sur ces sujets et le groupe Démocrate mesure les attentes auxquelles ce texte souhaite répondre. Nous avons à cœur de travailler avec vous afin d’aboutir à la rédaction la plus efficace qui soit, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous voterons donc le texte qui nous est proposé.

M. Hervé Saulignac (SOC). Notre groupe soutient avec une certaine fierté cette proposition de loi présentée par notre collègue Isabelle Santiago. Le premier de ses deux articles étend la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale, des droits de visite et d’hébergement aux cas de poursuites pour viol ou agression sexuelle contre son enfant, et de condamnation pour violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours contre l’autre parent. Le deuxième article prévoit le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice en cas de viol ou d’agression sexuelle contre son enfant.

Chaque année, près de 25 000 plaintes sont déposées pour des violences sexuelles sur mineur, dont près d’un tiers ont pour cadre le cercle familial. Si l’on ne connaît pas le nombre exact d’infanticides dans notre pays, il est, de toute façon, abominablement élevé.

Il est évident pour toutes et tous qu’un parent qui frappe ou agresse sexuellement son enfant ne peut plus décemment avoir de contact avec sa victime, cela dans l’intérêt supérieur de l’enfant. La première des précautions réside dans la suspension de son autorité parentale, dès lors que des poursuites judiciaires sont engagées.

Concernant les violences perpétrées contre le conjoint, lors de la discussion de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, présentée par Bérangère Couillard, je m’étais étonné de ce que le retrait de l’exercice de l’autorité parentale n’était prévu qu’en cas de meurtre du conjoint, et non en cas de violences. La violence conjugale est aussi un manquement grave aux obligations à l’égard des enfants, qui en sont non seulement les témoins, mais aussi les victimes collatérales. Les conséquences traumatiques qu’ils subissent sont d’ailleurs souvent sous-estimées.

On l’a dit, un parent violent n’est pas un bon parent. Nous ne pouvons accepter que le protecteur devenu bourreau puisse bénéficier d’un droit à contact, que sa victime soit son enfant ou son conjoint. Nous considérons donc qu’en cas de condamnation d’un parent pour certains crimes et délits à l’encontre de l’enfant ou de l’autre parent, l’autorité parentale n’a plus lieu d’être, les violences conjugales et intrafamiliales étant contraires aux intérêts de l’enfant.

Je suis convaincu que nos collègues de la majorité accueilleront favorablement cette proposition de loi et finiront par la soutenir avec autant de force que nous. L’ancien Premier ministre Édouard Philippe avait indiqué, dans son discours de lancement du Grenelle des violences conjugales, qu’il fallait en finir avec cette acception selon laquelle « un conjoint violent n’est pas forcément un mauvais père ». Il avait ajouté : « Tant que les hommes se convaincront qu’ils peuvent frapper la mère de leurs enfants sans être de mauvais pères, on peut hélas redouter qu’ils continueront à le faire. Tant que les femmes se convaincront que leur conjoint peut les frapper sans être de mauvais pères, on peut hélas redouter qu’elles resteront avec eux ».

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Les chiffres qui ont été cités sont effrayants, glaçants. Nous n’avons pas de mot pour les qualifier. Ce fléau que sont les violences intrafamiliales est resté longtemps tabou dans notre société. Il est présent dans tous les territoires, dans les villes comme dans les campagnes, et dans tous les milieux.

Notre rôle de législateur est aussi de protéger les enfants, de favoriser la libération de leur parole et de participer à une prise de conscience collective. Des aménagements de la loi ont déjà permis d’avancer sur ce sujet, mais la vigilance reste de mise et d’autres évolutions sont nécessaires.

Depuis la première étape de cette prise de conscience, en 2005, de nombreuses lois ont été votées, mettant de nouveaux outils juridiques et pratiques à la disposition des associations et du personnel judiciaire pour protéger les enfants et les femmes victimes. En l’état du droit, l’exercice de l’autorité parentale est suspendu de plein droit lorsque l’un des parents est poursuivi pour un crime commis sur l’autre parent. En outre, le juge pénal peut prononcer le retrait partiel ou total de l’autorité parentale ou de son exercice, en cas de condamnation pénale pour un crime ou un délit commis sur l’enfant ou sur l’autre parent. En cas d’inceste ou d’atteinte volontaire à la vie de l’autre parent, le juge est obligé de se prononcer sur cette question.

Nous partageons l’avis que ces dispositifs demeurent insuffisants pour protéger efficacement les enfants. En cas de viol ou d’agression sexuelle à l’encontre de l’enfant, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale doit être de plein droit, et la loi doit en prévoir le retrait dès lors qu’un parent est condamné pour viol ou agression sexuelle contre son enfant.

Nous approuvons pour partie les mesures contenues dans cette proposition de loi. Mais l’article 2 nous semble présenter un risque fort d’inconstitutionnalité. Grâce au travail engagé avec vous, madame la rapporteure, et avec les autres groupes, nous présenterons tout à l’heure un amendement qui permettra, nous l’espérons, de l’éviter.

La rédaction de l’article 1er nous semble également comporter un risque de dévoiement en cas de conflit entre les deux parents. La suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de poursuites pour violences avec ITT de plus de huit jours commises sur l’autre parent pourrait conduire à une double suspension de l’autorité parentale, préjudiciable pour l’enfant. En outre, l’évocation générale de poursuites pourrait inciter l’un des parents à instrumentaliser cette procédure en usant de celle de la citation directe, qui entraînerait la suspension de plein droit de l’autorité parentale de l’autre parent. Là aussi, l’amendement déposé conjointement permet d’éviter cet écueil.

Cependant, ce dispositif, après sa réécriture, pourrait constituer une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, qui découle de nos engagements conventionnels, selon l’article 8 de la CEDH. Nous sommes donc favorables à une réécriture plus équilibrée de ce texte afin qu’il puisse trouver une application pertinente et vraiment protectrice pour les enfants.

Sous réserve de l’adoption de ses amendements, le groupe Horizons et apparentés votera cette proposition de loi.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Il y a urgence à protéger les enfants. Magistrats et avocats demandent depuis longtemps des outils supplémentaires pour accélérer les procédures de protection et en assurer l’effectivité. Cette proposition de loi va dans ce sens. Le groupe Écologiste-NUPES la soutient ; elle est la petite pierre nécessaire qui va fournir ces outils supplémentaires à la justice pour protéger des centaines de milliers de victimes, pour sauver leur vie.

Il y a quelques jours encore, le Conseil national des barreaux parlait de la violence de la justice par absence de moyens. Si l’on veut vraiment avancer, il faudra en effet des moyens supplémentaires importants, pour les tribunaux mais aussi pour innover. En Belgique, par exemple, le tribunal de la famille accueille les familles, assure un suivi médical et juridique et obtient un taux de résolution des affaires supérieur à ceux que l’on trouve en France. Et c’est bien le principal que d’arriver à punir pour que justice soit faite.

Mme Karine Lebon (GDR-NUPES). Selon les mots de Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies, rien n’est plus important que de bâtir un monde dans lequel tous nos enfants auront la possibilité de réaliser pleinement leur potentiel et de grandir en bonne santé, dans la paix et dans la dignité.

À La Réunion, chaque jour, sept enfants sont identifiés comme étant en danger par la cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip). Depuis 2019, les signalements directs ont augmenté de 60 % et il y a eu quatre fois plus de saisines du parquet par la Crip. Encore n’est-ce là que la partie émergée de l’iceberg.

À La Réunion comme en métropole, les angles morts et la lenteur de la justice peuvent tuer et ont déjà tué. En 2019, après des violences et de nombreuses menaces proférées par son mari devant leurs enfants, une jeune femme quitte le foyer familial pour s’installer avec ces derniers dans un centre d’hébergement. Deux mois plus tard, à leur demande, elle leur accorde quelques jours en compagnie de leur père. Alors qu’elle s’apprête à les récupérer, l’homme tue leurs trois fils, âgés de 2, 3 et 5 ans. Dans les trois mois qui ont précédé ce crime, deux mains courantes et une plainte avaient été déposées. Cette affaire, qui n’est ni anodine ni isolée, est la preuve qu’en cas de violences intrafamiliales, le temps est assassin et peut emporter avec lui la vie de nos enfants.

La proposition de loi d’Isabelle Santiago est nécessaire : elle corrige un impensé. Nous la soutiendrons.

En son article 1er, elle étend les conditions de suspension de l’autorité parentale, du droit de visite et d’hébergement au parent poursuivi ou condamné pour violences responsables d’une ITT de plus de huit jours. Elle ouvre également la possibilité de suspendre l’autorité parentale en cas de violences ou de crime sur l’enfant. En l’état, la loi laisse de trop nombreux parents face à un cas de conscience permanent : soit respecter le droit de visite et d’hébergement, et remettre l’enfant au parent accusé de violences ; soit être condamné pour non-présentation d’enfant. C’est alors le parent non violent qui risque de perdre la garde de l’enfant.

Comme suite logique, l’article 2 rend automatique le retrait en cas de condamnation pour inceste – une disposition appelée à évoluer par voie d’amendement. Il existe encore un monde, et le pays des droits de l’homme en fait partie, où l’inceste n’entraîne pas la suspension de l’autorité parentale et de la garde. Ce monde, nous avons pour mission de le rendre meilleur pour que les enfants puissent grandir en bonne santé et dans la dignité. Nous ne sommes déjà pas sûrs de leur léguer un climat vivable, alors assurons-nous, au moins, de les faire vivre dans un monde où leurs droits seront assurés, protégés.

Nos enfants ne sont pas que des dommages collatéraux des violences intrafamiliales. Ils sont les victimes à part entière de ce fléau. On les dit éponges – à émotions, à connaissances, à normes, à valeurs. Ne les laissons pas éponger les coups et les violences, physiques comme morales, de leurs parents.

Notre République porte la responsabilité du sort de tous ses enfants. Elle est leur héritage, comme elle a été le nôtre avant eux. Les grandes réparations peuvent sortir du droit, disait Léon Gambetta. Nous ou nos enfants pouvons les espérer, car l’avenir n’est interdit à personne.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). La suspension ou le retrait de l’autorité parentale est une mesure grave, tant pour l’un et l’autre parent que pour l’enfant. C’est un outil juridique qui est loin d’être anodin ; il est aussi difficile à utiliser qu’à demander. De nombreuses victimes qui le voudraient éprouvent des difficultés à engager les démarches et doivent être accompagnées.

Parce que le point est sensible, il nous faut agir avec beaucoup de prudence, en ayant toujours en tête notre objectif : la protection des victimes et la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant. En raison des enjeux, il me semble essentiel que les modifications législatives que nous allons apporter recueillent l’unanimité. J’espère que le front commun dont notre assemblée a fait montre en adoptant à l’unanimité la proposition de loi sénatoriale instaurant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, que j’ai corapportée, se reproduira aujourd’hui. C’est un signe fort pour les victimes.

Je remercie Mme la rapporteure pour son travail de réécriture. Ses amendements répondent aux réserves juridiques que pouvait susciter la version initiale du texte.

400 000 enfants, chaque année, sont exposés à des violences intrafamiliales, ce nombre effrayant en dit long sur le chemin qu’il nous reste à parcourir. En 2019 et en 2020, deux lois avaient déjà permis d’accroître l’arsenal législatif en matière de suspension de l’autorité parentale. La lenteur de notre système judiciaire ne doit pas pénaliser les victimes, ce qui rend nécessaire de pouvoir soustraire les enfants à l’emprise d’un parent violent.

En l’état, cette suspension n’est possible que pour le seul cas de crime au sein du couple. Notre groupe comprend la nécessité de limiter ce type de mesure aux cas les plus graves, mais estime indispensable d’en élargir le champ. Un amendement doit justement permettre de l’étendre aux cas d’agressions sexuelles incestueuses contre l’enfant, dès le stade des poursuites.

Nous avons une interrogation sur votre proposition de suspendre l’autorité parentale en cas de condamnation, même non définitive, pour les violences ayant entraîné plus de huit jours d’ITT. C’est une rédaction équilibrée, mais pourquoi avoir ajouté comme condition supplémentaire que l’enfant ait assisté aux faits ? Il me semble que s’il voyait sa mère porter des marques de violence, il serait tout aussi choqué que s’il avait assisté à la scène.

Concernant le retrait de l’autorité parentale, notre groupe avait de fortes réserves quant à la rédaction initiale. Ce retrait automatique, sans décision expresse du juge pénal, nous paraissait peu réalisable. Nous saluons donc la nouvelle mouture du texte, qui laisse le juge pénal dans la boucle, en inversant la logique actuelle.

Dans une instruction à destination des procureurs, en date du 28 janvier 2020 et faisant suite à la loi de 2019 sur les violences intrafamiliales, le garde des sceaux précisait qu’il existait encore des hypothèses de crimes commis contre l’autre parent – la séquestration criminelle, par exemple –, où le juge pénal n’avait pas l’obligation de se prononcer sur le retrait. La nouvelle rédaction que vous proposez permettra-t-elle de réparer cet oubli surprenant ?

En dehors de ces quelques interrogations, nous sommes favorables à votre texte.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions individuelles des autres députés.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Merci de m’accueillir au sein de votre commission, pour vous faire part des réflexions du rapport pour information de la délégation aux droits des enfants sur cette proposition de loi.

Le droit a évolué ces dernières années dans le sens d’une protection plus effective des enfants. Toutefois, il demeure lacunaire, tandis que « notre société est malade des violences intrafamiliales », selon le pédopsychiatre Luis Alvarez. Il est urgent de réagir. Ce texte d’Isabelle Santiago est donc important et justifié.

L’extension des cas de suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale proposée par l’article 1er me paraît cohérente. Il n’est pas justifié que cette suspension ne concerne actuellement que les crimes commis par un parent contre l’autre. Je suis pleinement convaincue par une telle mesure conservatoire durant l’instruction, dans les cas prévus par cet article.

Dans sa version initiale, la proposition de loi comporte toutefois quelques imperfections. Elle mérite d’être enrichie et précisée, car elle ne définit pas clairement son objet, à savoir les violences intrafamiliales. Elle alterne les notions de violences conjugales et d’inceste sans poser de lien entre elles et se focalise sur le viol, excluant de son dispositif les agressions sexuelles et les actes d’une exceptionnelle gravité, tels que les actes de torture et de barbarie.

L’automaticité du retrait de l’autorité parentale présente, par ailleurs, des risques tant juridiques que pratiques. Concernant les premiers, il n’est pas certain qu’un tel mécanisme soit conforme aux principes constitutionnels d’indépendance des fonctions juridictionnelles et d’individualisation des peines ainsi qu’au contrôle de proportionnalité exercé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). S’agissant des seconds, elle est susceptible de produire des conséquences non voulues par son auteur : instrumentalisation des procédures ; privation de tout lien familial ; risque de relaxe pour excessive sévérité de la sanction.

Je propose donc de nuancer le dispositif prévu. Le retrait automatique est, à mon sens, justifié uniquement dans le cas de crimes et d’agressions sexuelles commis sur l’enfant, sous réserve de préciser dans le texte que ce principe vaut à défaut de motivation contraire expresse du juge. Dans les autres cas de figure, il faudrait plutôt privilégier un dispositif de saisine obligatoire du juge et favoriser les ordonnances de protection.

Ce texte gagnerait également à être complété, notamment par l’insertion d’un article additionnel ajoutant un nouveau cas de délégation forcée de l’autorité parentale.

Par ailleurs, dans la continuité des travaux que nous avons conduits avec mes collègues sur la proposition de loi Tamarelle-Verhaeghe, il me semble nécessaire de réfléchir au statut de l’enfant exposé aux violences conjugales ainsi qu’au suivi psychologique dont il pourrait bénéficier.

Sous ces quelques réserves, je salue le travail de la rapporteure sur ce texte, qui va dans le bon sens. J’espère que, tous ensemble, nous parviendrons à insuffler une dynamique de cohérence et de renforcement du droit relatif à la protection des enfants.

Mme Caroline Yadan (RE). Mes chers collègues, nous devons faire montre de prudence, d’extrême prudence même.

On construit une loi, non pas avec de bons sentiments, mais en accord avec des principes de droits fondamentaux. Parmi ceux-là, la présomption d’innocence.

La suspension de plein droit de l’autorité parentale dès l’engagement des poursuites – et quelles sont ces poursuites, d’ailleurs ? –, permet à l’un des parents de se servir, le cas échéant, de son enfant comme d’une arme de destruction massive ; de l’utiliser comme élément de chantage vis-à-vis de l’autre parent et ce, d’abord et avant tout, au préjudice de l’enfant.

Protéger l’enfant, c’est aussi tenir compte de situations particulières, dans lesquelles de fausses accusations sont proférées uniquement pour écarter l’autre parent. Et ce n’est souvent qu’après plusieurs années de procédure que la vérité peut être rétablie.

Les garde-fous sont absolument nécessaires. Nous devons laisser à la libre appréciation du juge, qui en détient la faculté dans le cadre des ordonnances de protection, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale. Il peut la prononcer lorsqu’il l’estime juste, et envisager un droit de visite et d’hébergement dans un lieu neutre.

Enfin, cette proposition de loi ne permettra pas de recourir à la médiation restaurative.

M. Didier Paris (RE). Je salue le travail de coconstruction auquel a donné lieu cette PPL : cette pratique originale, pas si fréquente, a permis de limiter les dangers potentiels que pouvait receler le texte initial. Je pense en particulier à la limitation, autant que faire se peut, de l’automaticité des décisions judiciaires. En droit français, dans notre conception même du droit, on laisse en effet le plus possible l’appréciation au juge. C’est un système complexe qui nous vaut d’en être à la troisième loi en quatre ans sur le même sujet. Il est complexe également parce qu’il combine les prérogatives du juge civil et celles du juge pénal, et que l’on confond souvent l’autorité parentale et l’exercice de cette autorité.

Je souhaiterais obtenir deux précisions. Premièrement, qu’entend-on par poursuites ? Une simple plainte auprès du procureur de la République constitue-t-elle une poursuite de nature à déclencher certaines des mesures prévues dans le cadre de cette PPL ? Deuxièmement, sauf erreur de ma part, c’est au juge civil de caractériser le fait que l’enfant a assisté aux violences. Pour ce faire, il va devoir aller rechercher la procédure pénale, ce qui ne manquera pas de ralentir significativement la procédure, sans parler des difficultés qu’il aura à établir les faits.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Merci pour vos propos. Il est essentiel que nous essayions, ensemble, de contribuer à une meilleure protection de nos enfants. Je reste à la disposition de tous les groupes pour préparer la séance et discuter des points qui seront évoqués aujourd’hui.

La dernière mouture du texte que nous avons envoyée au cabinet du garde des sceaux prenait en compte les diverses remarques émises à l’occasion des auditions, notamment s’agissant du risque d’inconstitutionnalité.

Madame Descamps, la séquestration me semble couverte par le texte, mais je le vérifierai.

J’aurais, moi aussi, préféré que la suspension de plein droit puisse s’appliquer plus largement qu’aux seuls enfants ayant assisté aux faits. J’avoue que c’est un point d’équilibre que nous avons trouvé lors du processus de coconstruction du texte. La mesure concernera malgré tout de nombreux enfants.

J’ai bien entendu ce matin que, pour toutes et tous ici, l’urgente nécessité est de mieux protéger nos enfants. Pourtant, madame Yadan, votre remarque sur la médiation restaurative m’a fait bondir. C’est précisément parce qu’elle ne réussit pas à protéger les enfants dans les cas les plus graves que nous présentons ce texte. Toutes les remontées de terrain le montrent, partout, que ce soit dans les villes ou dans les villages, les situations sont très complexes pour les enfants et pour les femmes victimes de violence. Et lorsqu’il s’agit d’agressions sexuelles et de crimes, non, il n’y a pas de médiation possible. Stop ! Pas de visite médiatisée, pas de médiation ; on coupe le lien, on protège les enfants. Je vous le dis, ce discours n’est plus audible. Les statistiques sont ce qu’elles sont parce que, au nom de la sacro-sainte famille, les enfants doivent rester avec leur agresseur. Ce mot de médiation est exactement celui que je ne veux plus entendre. Nous devons protéger au maximum nos enfants, bien entendu dans le respect du droit et du libre arbitre du juge.

Article 1er : (art. 378-2 du code civil) Suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement en cas de poursuites pour violences conjugales ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours, pour viol incestueux ou pour agression sexuelle incestueuse

Amendements identiques CL29 de Mme Isabelle Santiago, CL26 de M. Éric Poulliat et CL27 de Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cet amendement a pour objet de réécrire l’article 1er. Il prévoit la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, dès lors qu’un parent est poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d’instruction pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de son enfant. Cette suspension s’appliquerait jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi par le parent poursuivi, ou jusqu’à la décision du juge pénal saisi au fond. Nous souhaitons ainsi protéger l’enfant pendant la procédure pénale.

En cas de violences conjugales, la suspension ne s’appliquerait qu’en cas de condamnation pour violences sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.

M. Éric Poulliat (RE). Nous avons travaillé avec Mme la rapporteure pour parvenir à une rédaction satisfaisante, en recherchant l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces dispositions renforcent la protection des enfants en étendant la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, non seulement aux cas d’agressions sexuelles incestueuses mais aussi aux crimes commis sur la personne de l’enfant. De la même façon, la suspension s’applique en cas de violences conjugales.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Guidés par l’intérêt supérieur de l’enfant, nous partageons la volonté d’élargir les motifs de suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de poursuites. La réécriture de l’article permet d’éviter des effets de bord identifiés dans la rédaction initiale.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous approuvons cette rédaction. Puisque l’adoption de ces amendements fera tomber les nôtres, je souhaite évoquer quelques éléments supplémentaires qu’ils apportent : le CL17 vise à préciser que les violences conjugales doivent présenter un caractère volontaire ; le CL18, que l’ITT de plus de huit jours est constatée par un médecin légiste. Nous redéposerons nos amendements en séance, tout en saluant le travail qui a été fait.

M. Aurélien Pradié (LR). Nous sommes favorables à ces amendements, qui réussissent à instaurer un dispositif juridiquement solide et permettent d’être opérationnel, n’en déplaise à ceux de nos collègues qui persistent à penser que l’existence de violences au sein de la famille ne justifie pas la suspension mécanique de l’autorité parentale, et qu’une médiation restaurative serait de nature à réparer les violences commises sur la mère. Cette vision corporatiste ou irresponsable nous empêche d’avancer depuis des années.

Il me semble que la réflexion sur la question de la détention de l’autorité parentale doit encore être poussée d’ici à l’examen en séance publique. Si l’on conçoit que l’exercice de l’autorité parentale puisse n’être que suspendu tant que l’auteur présumé n’a pas été condamné, lui en conserver la détention entraîne une contrainte pour la mère, qui doit, au minimum, l’informer si elle veut changer son enfant d’école ou si celui-ci doit subir une intervention chirurgicale. Cela laisse au père, s’il estime que la décision de la mère n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant, la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales pour l’empêcher. Il faut donc bien encadrer la détention de l’autorité parentale.

La commission adopte les amendements et l’article 1er est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Article 2 : (art. 378 du code civil) Retrait automatique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour viol incestueux ou agression sexuelle incestueuse ou pour crime ou violence conjugale ayant résulté en une ITT supérieure à 8 jours

Amendements identiques CL31 de Mme Isabelle Santiago, CL25 de M. Aurélien Pradié, CL28 de Mme Nicole Dubré-Chirat et CL30 de Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cet amendement a pour objet de rendre obligatoire, par une réécriture de l’article 2, le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice lorsque le parent est condamné pour crime contre l’autre parent, crime contre l’enfant ou agression sexuelle incestueuse. Pour des raisons de constitutionnalité, je vous propose d’ajouter que le juge peut se prononcer autrement, par une décision spécialement motivée. Cela revient à inverser la logique actuelle, comme nous l’avions fait pour la fixation du consentement sexuel à 15 ans. Il s’agit là d’une très belle avancée qui apporte à la fois l’automaticité et le respect du droit.

M. Aurélien Pradié (LR). Cette rédaction sécurise le dispositif, puisque le magistrat conserve sa liberté d’appréciation.

L’article 378 du code civil, dans sa nouvelle version, commencerait par les mots suivants : « Se voit retirer totalement l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale… ». Je serais favorable à ce que l’on remplace « ou » par « et ». En effet, si un homme condamné et incarcéré était privé de l’exercice de l’autorité parentale, mais en conservait la détention, la mère devrait toujours l’informer des actes fondamentaux de la vie de son enfant, tel que le changement d’école ou la pratique d’actes médicaux. Ces situations mettent parfois en danger la vie de la mère, qui ne peut pas sortir des radars de l’auteur des violences.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). L’amendement de réécriture de l’article prend en considération l’inconstitutionnalité des peines automatiques. Dans sa nouvelle rédaction, l’article 378 du code civil prévoit les cas dans lesquels le retrait de l’autorité ou de son exercice – qui est possible dans le droit actuel en cas de condamnation pénale – devient obligatoire, à moins d’une décision contraire, spécialement motivée, du juge. Cette peine sera prononcée à l’encontre du parent condamné. Conformément au principe d’individualisation des peines, le juge garde son pouvoir d’appréciation et peut ne pas retirer l’autorité ou son exercice, à condition de rendre une décision spécialement motivée. Il s’agit d’inverser la logique actuelle pour les infractions les plus graves.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Nous nous réjouissons du dialogue constant qu’ont entretenu les groupes sur ce texte. L’amendement de réécriture, que nous avons déposé conjointement, vise à s’assurer de la constitutionnalité du dispositif, sans s’éloigner de l’esprit de l’article initial. La disposition est ainsi rendue compatible avec le principe d’individualisation des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui implique qu’une sanction pénale ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous sommes favorables à cette rédaction, qui trouve un point d’équilibre.

Monsieur Pradié, le parent qui est en prison peut s’y trouver pour des faits autres qu’un crime. La faute qu’il a commise ne doit pas l’empêcher d’être informé que son enfant est malade ou va être opéré. Sans qu’il soit question de faire abstraction de l’emprise qu’il a pu exercer sur la mère ou l’enfant, elle n’en fait pas définitivement un monstre. Chacun a droit à la rédemption après avoir purgé sa peine. Tout en recherchant l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut rester prudent : n’essayons pas d’aller au-delà du dispositif que nous avons trouvé. Tel est le sens des amendements que j’ai déposés.

La commission adopte les amendements et l’article 2 est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Après l’article 2

Amendement CL32 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cet amendement vise à coordonner les dispositions du code pénal avec celles que nous avons introduites dans le code civil.

La commission adopte l’amendement. L’article 3 est ainsi rédigé.

Amendement CL2 de M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Cet amendement est issu du témoignage de mères de famille. Il vise à suspendre les poursuites pénales pour non-représentation d’un enfant, en cas de garde alternée, lorsque le père ou la mère qui le réclame est poursuivi ou a été condamné du chef de violences sexuelles incestueuses. Tout en respectant le principe de la présomption d’innocence, il faut rechercher l’intérêt supérieur de l’enfant. Lorsqu’une enquête est en cours, qu’il existe un doute sérieux, conforté le cas échéant par le témoignage de psychologues constatant des agressions physiques, il est incompréhensible que la mère ou le père soit dans l’obligation de remettre son enfant à l’autre parent. Imaginez la détresse du parent qui sait ce qu’il pourrait se passer. Nous proposons donc de suspendre les poursuites pénales le temps de l’enquête.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cette situation fait partie de celles qui nous ont amenés à travailler sur ce texte. Nous avons cherché un équilibre entre le droit et l’intérêt supérieur de l’enfant. S’agissant du problème soulevé, les textes réglementaires ont été récemment modifiés. Par décret du 23 novembre 2021, lorsqu’une personne mise en cause pour délit de non-représentation d’enfant soutient que les faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des violences, notamment sexuelles, sur le mineur, le procureur de la République veille à ce qu’il soit procédé à la vérification de ces allégations avant de décider de déclencher ou non des poursuites. Autrement dit, la non-représentation de l’enfant déclenche une enquête.

Dans ce cadre, l’article 1er que nous venons d’adopter s’applique également. En tout état de cause, dès le début de l’enquête, il faut se saisir très rapidement des possibilités qu’offre le droit pour protéger l’enfant. En vertu de celui-ci, les dispositions que nous avons votées s’appliquent à compter des poursuites, et non du dépôt de la plainte, mais d’autres dispositions peuvent être mobilisées. Le parent peut aussi saisir le juge aux affaires familiales pour qu’il statue sur l’exercice de l’autorité parentale et des droits d’hébergement et de visite à tout moment, qu’une enquête soit en cours ou pas.

Dans le cadre de notre réflexion, nous avons aussi envisagé puis écarté la création d’une ordonnance de protection pour les enfants, qui serait prise dans les six jours. L’ordonnance de protection existe pour les femmes et peut aussi couvrir les enfants, mais, selon des statistiques de 2019, les mesures les concernant étaient peu appliquées jusqu’à récemment. Depuis le Grenelle des violences conjugales, et grâce à la mobilisation de la société sur ces sujets et à l’adoption de plusieurs textes, la protection des enfants est montée en flèche puisque la mise en place de l’autorité parentale exclusive dans le cadre d’une ordonnance de protection est passée de 26 % des cas en 2019 à 80 % des cas en 2022.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de retirer votre amendement.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Je salue votre travail mais je ne retirerai pas l’amendement. Soit les dispositions ne sont pas appliquées, soit les délais procéduraux sont insupportablement longs – ils peuvent dépasser un mois. Chaque semaine, l’enfant doit être remis à l’autre parent sans qu’une décision de justice soit prise. Si l’accusation se révèle infondée, la personne sera innocentée, mais mieux vaut protéger l’enfant en ne le présentant pas pendant trois semaines ou un mois, jusqu’à l’aboutissement de l’enquête.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je soutiens l’argumentation de la rapporteure. Le problème sera réglé par le retrait automatique de l’autorité parentale ou de son exercice, sauf décision contraire et motivée du magistrat.

Toutefois, M. Naegelen a raison, les délais d’enquête sont trop longs. Les enquêteurs que Marie Guévenoux et moi-même avons auditionnés, dans le cadre de la mission d’information sur la réforme de la police judiciaire, nous ont confié être en grande difficulté du fait de la multiplication des affaires de violences intrafamiliales. Si l’on estime que le traitement de ces violences est prioritaire, il faut organiser en ce sens les services de police judiciaire et y mettre les moyens. D’autres contentieux devraient alors, nécessairement, passer au second plan. C’est le cœur du sujet. Grâce au Grenelle des violences conjugales la parole s’est libérée, mais il s’en est suivi un engorgement de la machine policière et judiciaire, un allongement scandaleux du délai de traitement des plaintes et des classements sans suite à la chaîne. Ce n’est pas par la loi que l’on réglera ce problème, mais par l’organisation des services.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

Puis, la Commission examine, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection (n° 661) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/lkng0v

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’examen de cette proposition de loi selon la procédure de législation en commission (Plec) contraignant un peu l’exercice, nous avons souhaité nous limiter aux deux articles dont nous avons proposé la modification.

Pour mémoire, l’ordonnance de protection est une procédure d’urgence pour les situations de violences conjugales, par laquelle le juge aux affaires familiales (JAF) prend toute une série de mesures dans un délai très court – interdiction de contact, de paraître, de porter ou de détenir une arme, mais aussi possibilité, pour la partie demanderesse, de dissimuler sa domiciliation. Le juge peut également statuer sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale et prononcer l’éviction forcée du conjoint violent.

Dans la panoplie judiciaire, c’est la première étape à franchir pour une victime qui souhaite se séparer d’un partenaire violent ou se protéger d’un ancien partenaire violent. Ces mesures doivent lui permettre d’organiser au mieux cette séparation tout en étant protégée.

Cette ordonnance est un bel outil, qui est cependant loin de donner entière satisfaction. Le nombre de demandes accordées a certes augmenté de 129 % entre 2015 et 2021, mais il partait de si bas que cela reste insuffisant. En valeur absolue, il est dérisoire : en 2021, 3 852 demandes d’ordonnances de protection ont été acceptées quand 208 000 personnes se sont déclarées victimes de violences de la part d’un partenaire ou d’un ex-partenaire. En comparaison avec la situation en Espagne, il l’est tout autant : 25 289 ordonnances de protection y ont été délivrées en 2020. Mais il l’est encore plus au regard des autres chiffres de l’année 2021 : 122 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ; 684 suicides ou tentatives de suicides de femmes à la suite du harcèlement de leur partenaire ou ex-partenaire ; 190 tentatives de féminicides.

Pour reprendre les mots d’Ernestine Ronai, présidente de l’observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, ce n’est pas une femme qui meurt sous les coups tous les trois jours, mais trois victimes qui, tous les jours, sont aux portes de la mort ou la franchissent. C’est ce constat qui m’a conduite à déposer cette proposition de loi qui modifie, un peu, les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection ou plutôt qui facilite le travail du juge et l’éclaire sur l’appréciation qu’il doit porter sur ces violences.

L’article 1er reprend une préconisation du Comité national de l’ordonnance de protection (Cnop).

Ce comité a été instauré en 2020 par la ministre de la justice Nicole Belloubet, pour augmenter le nombre d’ordonnances de protection demandées et celui des ordonnances délivrées, et pour identifier les difficultés et les obstacles expliquant la faiblesse du nombre d’ordonnances de protection. Ernestine Ronai, très engagée sur ces sujets, en est également la présidente. En particulier, le comité a fait le suivi de la disposition prévoyant le raccourcissement de quarante-deux jours à six du délai de délivrance introduit en 2019 par la loi Pradié.

Dans son premier rapport d’activité publié en juin 2021, le Cnop a fait parmi d’autres recommandations celle de retirer de la loi la notion de danger. L’article 515-11 du code civil prévoit en effet que le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection « s’il estime […] qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ». Or, une étude menée par une magistrate honoraire membre du Cnop montre que la notion de danger complexifie la décision à rendre par les juges. Elle les conduit à hiérarchiser les violences, en distinguant celles qui sont sources de danger de celles qui ne le sont pas, notamment en s’appuyant sur la fréquence et l’ancienneté des violences. Mais c’est là une mission impossible, puisque le danger est par définition imprévisible et que l’objet de l’ordonnance de protection est la prévention d’un risque.

Peut-on envisager des violences, portées devant le juge en débat contradictoire, qui puissent ne pas laisser penser qu’il existe un danger imprévisible pour la victime ? Toutes les violences mettent en danger les personnes qui les subissent ; toutes les victimes de violences méritent d’être protégées, dès lors qu’elles en font la demande au juge et que ces violences sont vraisemblables.

Aucune violence n’est anodine ; toute violence subie mérite une protection. Ce message doit être martelé par le législateur, pour donner confiance aux victimes, pour les inciter à saisir le juge. C’est ce que disent le Cnop et sa présidente, c’est ce que dit M. Édouard Durand, magistrat qui a notamment travaillé dans le cadre de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Cette conviction est étayée par le guide pratique de l’ordonnance de protection, publié par la direction des affaires civiles et du sceau (Dacs) à destination des magistrats, qui précise bien : « la violence “vraisemblable” constitue un danger en tant que tel ». Ce n’est pas le danger, mais la violence qui doit être vraisemblable ; le danger est constitutif de cette violence.

J’ai longuement échangé avec Ernestine Ronai et je suis convaincue du bien-fondé de cette préconisation. C’est pourquoi, considérant que la notion de danger est inhérente à la reconnaissance de violences vraisemblables portées devant le juge, je prévois, à l’article 1er, de la retirer de l’article 515-11 du code civil.

Par une décision du 16 septembre 2021, la Cour de cassation n’a pas procédé au renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité, qui invoquait l’atteinte au principe de la présomption d’innocence faite par l’ordonnance de protection. Elle a considéré que la question ne présentait pas de caractère sérieux, car les mesures prises par le juge reposaient, non sur la culpabilité, mais sur la potentielle dangerosité de la partie défenderesse. Je considère que la procédure apporte des garanties suffisantes à la partie défenderesse – décision d’un juge après un débat contradictoire, mesures provisoires – et que, même en l’absence de la mention explicite de danger, le juge ne se prononce pas sur une culpabilité, mais sur un risque potentiel. C’est une ordonnance de protection, donc de prévention, et non pas une sanction.

L’objectif de l’article 1er est donc de lever un obstacle à la délivrance de l’ordonnance de protection, identifié comme tel par le Cnop et les associations, et qui complique le travail des magistrats.

Cet article 1er est complété par l’article 2, qui modifie la durée maximale, de six mois, des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance. Or six mois, c’est très court pour organiser une séparation et repartir sur de nouvelles bases. L’article 2, qui reprend une proposition faite au Sénat par la ministre Laurence Rossignol, allonge ce délai à un an. Ainsi, le juge disposera d’une plus grande marge de manœuvre et pourra, s’il l’estime nécessaire, prendre des mesures pour une année entière. Mon propos est de faciliter l’office du juge.

Ce texte s’inscrit dans la lignée des propositions de loi précédentes. Je veux notamment saluer le travail d’Aurélien Pradié, à l’origine, en 2019, d’une loi accomplissant de grandes avancées en matière d’ordonnance de protection : réduction du délai de délivrance à six jours ; suppression explicite du prérequis de dépôt d’une plainte préalable pour obtenir la délivrance. La loi du 20 juillet 2020, défendue par Guillaume Gouffier-Valente, a également permis des avancées, notamment en matière de levée du secret médical pour les victimes de violences conjugales et de reconnaissance du suicide forcé comme une circonstance aggravante.

En aucun cas je ne souhaite que le législateur force la main du juge ; il doit le guider. À travers ce débat, nous devons convaincre les magistrats de la nécessité de délivrer les ordonnances de protection, très souvent demandées par des femmes victimes de violence, tout en les assurant de notre confiance pour apprécier la situation et prendre les mesures adaptées.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Ludovic Mendes (RE). Notre assemblée, et singulièrement la commission des lois, a déjà contribué aux avancées en matière de protection des victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Je pense notamment aux textes adoptés dans le contexte du Grenelle des violences conjugales, en 2019 et en 2020, à l’initiative de notre collègue Aurélien Pradié et de notre groupe. Ou encore, plus récemment, à la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence, adoptée à l’occasion du nouveau temps transpartisan. Je remercie Cécile Untermaier de présenter, en cohérence avec ces travaux, cette proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection.

Depuis son introduction dans notre arsenal juridique, en 2010, l’ordonnance de protection a connu une nette montée en puissance à partir de 2017, sous l’impulsion du législateur et du Gouvernement. Nous avons décorrélé explicitement la délivrance de l’ordonnance de protection et le dépôt de plainte ; fixé un délai de délivrance de six jours au lieu des quarante-deux habituellement constatés ; complété et renforcé les mesures que le JAF peut prononcer dans le cadre de l’ordonnance de protection ; introduit une obligation pour le juge de recueillir les observations des parties sur chacune des mesures disponibles, afin que de nouvelles demandes puissent émerger.

En somme, nous avons substantiellement renforcé cet outil, indispensable pour répondre à l’urgence de la situation. Le rapport d’évaluation de nos collègues Guillaume Vuilletet et Aurélien Pradié est, à cet égard, éclairant, comme le sont les chiffres. Alors que les analyses de 2019 mettaient en lumière un recours insuffisant à l’ordonnance de protection, le nombre de demandes a augmenté de 73,4 % entre 2018 et 2021. Le taux d’acceptation est passé de 61,8 à 66,7 %, indiquant une hausse importante du nombre d’ordonnances de protection délivrées. Cette dynamique doit être encore renforcée, comme le recommande le Cnop.

La proposition de loi que nous examinons comporte deux articles, dont nous partageons les motivations. S’agissant du second, nous souscrivons au doublement de la durée maximale de protection ; il est de nature à assouplir le dispositif et à alléger la charge de travail des JAF.

Pour ce qui est du premier, nous comprenons la démarche motivant la suppression de la notion de « danger » des conditions de délivrance des ordonnances de protection, et en partageons l’objectif. Les moyens d’y parvenir soulèvent néanmoins, selon nous, un point de vigilance important.

D’abord, nous craignons que le maintien de la seule condition des « violences vraisemblables » ne favorise des effets de bord préjudiciables aux victimes, voire à leurs enfants, par une instrumentalisation de la procédure par le conjoint habituellement violent. Nous ne pouvons prendre ce risque au regard des mesures susceptibles d’être prises dans le cadre de l’ordonnance de protection, en matière d’interdiction de paraître ou d’exercice de l’autorité parentale, par exemple.

Ensuite, nous redoutons une fragilisation juridique, très préjudiciable, du dispositif. En matière civile, tout l’enjeu est de préserver l’équilibre entre la protection des victimes et l’atteinte portée aux libertés individuelles par les mesures prises par le juge civil – des mesures qui reposent sur des faits vraisemblables et non sur une condamnation pénale.

À cet égard, depuis la préconisation formulée par le Cnop, la Cour de cassation a rendu un arrêt reconnaissant la conformité de l’ordonnance de protection au principe de présomption d’innocence par le fait que les mesures prises par le JAF se fondent sur la potentielle dangerosité appréciée à la date de la décision. Le danger constitue donc un élément fort de la constitutionnalité de l’ordonnance de protection.

C’est pourquoi nous proposerons une modification de l’article 1er, qui apportera une nette amélioration par rapport au sens littéral du droit en vigueur, selon lequel le danger et la violence constituent aujourd’hui deux critères séparés. Nous constatons que notre préoccupation est partagée par certains de nos collègues, des groupes Horizons et GDR notamment.

Espérant que cette réserve sera levée, le groupe Renaissance soutiendra avec conviction la proposition de loi.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Face à la subsistance et à la recrudescence des violences conjugales et intrafamiliales, de nombreux dispositifs légaux ont été développés ces dernières années pour protéger les victimes. L’ordonnance de protection, introduite par la loi du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, en fait partie.

Délivrée par le juge aux affaires familiales, l’ordonnance de protection permet de prendre, dans des délais très brefs, des mesures de nature à éviter le renouvellement ou la commission de violences dans le cadre familial – l’interdiction d’entrer en relation avec la victime, de se rendre dans certains lieux, de porter une arme, entre autres.

Cette ordonnance de protection est sous-utilisée, comme le remarque le Comité national de l’ordonnance de protection, créé en juin 2020, ce qui rend l’objectif de ce texte parfaitement opportun.

L’article 1er supprime comme condition de délivrance d’une ordonnance de protection le critère de vraisemblance du danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés, pour ne conserver que celui de la vraisemblance de la commission de faits de violences allégués. Si nous partageons l’esprit de cet article, nous pensons que rédigé ainsi, il crée une insécurité juridique. Dans la mesure où la condition de vraisemblance de la commission des faits de violence allégués n’est pas assortie d’indications relatives à la temporalité de ces faits, il serait possible qu’une ordonnance de protection soit sollicitée au titre de faits de violence anciens, non réitérés et ne présentant plus de danger pour le conjoint ou l’enfant. Il serait probablement nécessaire de se référer à la jurisprudence pour combler ce vide juridique. Nous défendrons un amendement qui permettrait d’améliorer le dispositif sans altérer l’esprit de l’article.

L’article 2 allonge la durée maximale de l’ordonnance de protection de six à douze mois. La durée de six mois est en effet jugée insuffisante au regard de celle des procédures au fond devant le juge des affaires familiales. Les demandes de renouvellement de l’ordonnance de protection impliquent des démarches lourdes pour la victime et le système judiciaire. Nous sommes donc parfaitement disposés à voter cet article en l’état.

Sans conditionner notre vote à l’adoption de notre amendement – même si nous l’espérons –, le groupe Rassemblement national se prononcera favorablement sur cette proposition de loi, qui apporte une solution opérationnelle supplémentaire.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). L’ordonnance de protection, consacrée à l’article 515-11 du code civil et dont ce texte propose de revoir le régime, avait déjà été renforcée par une loi de 2019 supprimant le dépôt de plainte préalable et instaurant un délai maximal de six jours, à compter de la date d’audience, pour statuer sur sa délivrance. C’est en continuité de ce renforcement que vous proposez d’en alléger les conditions de délivrance, en supprimant de l’article 515-11 la notion de danger, qui serait intrinsèque aux violences vraisemblablement commises.

Vous proposez également d’allonger la durée maximale de l’ordonnance de protection de six à douze mois. À ce jour, deux situations seulement permettent un allongement : le divorce ou la séparation de corps intervenus pendant le délai de l’ordonnance de protection ; la saisine du juge aux affaires familiales d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale. Il s’agirait donc d’apporter de la souplesse, étant entendu que le juge garderait la possibilité de fixer une durée inférieure s’il le jugeait utile. La durée de six mois s’avère trop courte ; il en résulte de nombreuses demandes de renouvellement, qui engendrent de nouvelles démarches et contribuent à l’engorgement du système judiciaire.

Il y a bien de la pertinence à renforcer l’ordonnance de protection et à en étendre la durée, puisque c’est un outil que nous souhaitons développer pour lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales. Nous souhaitons ainsi faciliter son accès et en améliorer l’information auprès des victimes. Cette information n’a rien d’un détail et l’enjeu en est réel au regard des 147 femmes tuées en 2022, dont 2 seulement bénéficiaient d’une ordonnance de protection.

Parallèlement à la mise en place d’un tel type d’outil juridique, un grand plan de lutte contre ces violences doit être déployé, en matière d’accompagnement des victimes mais aussi et surtout de prévention. Il s’agit d’enrayer le système à l’origine de ces comportements déviants, purs produits du patriarcat historique et de la domination masculine qui en découle. Le groupe LFI déposera deux amendements en ce sens. L’un tendra à raccourcir le délai de délivrance des ordonnances de six jours à deux, ce qui suppose davantage de moyens matériels et financiers. L’autre, consistera à s’assurer que les auteurs de violences ne sont pas en possession d’une arme à feu pendant le délai de protection.

Notre groupe soutiendra le texte et l’accompagnera de ces deux amendements, qui ont vocation à renforcer encore la protection des victimes de violences intrafamiliales.

M. Aurélien Pradié (LR). Merci, madame la rapporteure, pour votre travail constant sur ces sujets. Il est assez facile de s’entendre sur des outils destinés à lever l’exercice de l’autorité parentale et à condamner les auteurs de violence dès lors que les faits sont avérés. Mais le fond du problème est de prévenir ces faits, et là, l’affaire devient plus difficile.

Dans notre pays, le dispositif le plus stratégique dont nous disposons pour protéger les victimes avant que la décision de justice soit rendue, c’est l’ordonnance de protection. Nous le renforçons de manière continue depuis plusieurs années. Nous l’avons fait en facilitant les conditions d’accès, notamment en rappelant dans la loi de décembre 2019 qu’il n’était pas nécessaire de déposer une plainte pour accéder à l’ordonnance de protection, et en diffusant auprès du grand public l’information que l’ordonnance de protection était ce qu’il y avait de plus facile à obtenir pour toutes les femmes en danger.

Avant cette loi de 2019, il fallait en moyenne quarante-deux jours pour délivrer une ordonnance de protection. Les avocats eux-mêmes n’en sollicitaient pas, car ce délai ne répondait pas à une situation d’urgence. La loi l’a réduit à six jours et on sait qu’il est respecté désormais. Cela explique que de plus en plus d’ordonnances de protection sont demandées et délivrées.

L’ordonnance de protection se décline en plusieurs niveaux. Elle peut aller de l’interdiction faite aux auteurs de violences d’approcher de leurs victimes présumées à la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, en passant par la privation du port d’arme ou l’extraction de l’auteur présumé du logement. Il faut s’assurer que toute la palette des outils est utilisée.

En supprimant le verrou que constitue la notion de danger et en allongeant la période de protection, la PPL va dans le bon sens et c’est la raison pour laquelle notre groupe la soutiendra sans réserve.

J’appelle cependant votre attention sur un problème toujours pendant, lié au fait que la délivrance de l’ordonnance de protection est confiée à un juge civil. Ainsi, la pose d’un bracelet antirapprochement, essentielle pour que l’auteur de violences ne passe pas à l’acte, ne peut être décidée qu’avec l’accord de cette personne. Nous avons travaillé sur la création de juridictions spécialisées dans le but que le magistrat puisse disposer à la fois de la matière civile et de la matière pénale. Cette question n’est toujours pas tranchée et, quels que soient nos efforts pour renforcer l’ordonnance de protection, il faudra bien, un jour, renforcer également les pouvoirs du magistrat qui la délivre.

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). La question des violences intrafamiliales nous préoccupe tous, sans distinction, au sein de notre commission. En tant que législateurs, il est impératif que nous puissions garantir aux victimes qu’elles seront entendues, mais aussi protégées contre toute atteinte à leur intégrité physique ou psychique.

En 2022, 124 femmes ont été tuées, contre 122 en 2021 et 102 en 2020. Le confinement a agi comme un révélateur des violences conjugales, en les aggravant parfois. Cet accroissement alarmant doit nous interroger quant à notre capacité à donner les moyens, humains et juridiques, pour assurer la préservation des intérêts des victimes.

Quel est l’état de l’arsenal juridique en France ? Notre législation ne cesse d’évoluer, pour améliorer la prévention et la répression, en s’appuyant sur des études et sur le travail des associations, qui sont en prise directe avec la réalité. Ainsi, après le cinquième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, à l’automne 2019, le Gouvernement a organisé le premier Grenelle contre les violences conjugales sur la base d’un constat : en France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. La majorité a déployé une stratégie de lutte contre les violences conjugales, afin de prévenir les violences, de protéger les victimes et leurs enfants et de mettre en place un suivi et une prise en charge des auteurs de violence, pour éviter la récidive.

Selon les mots d’Ernestine Ronai, « l’ordonnance de protection est la première marche de protection pour les femmes victimes, car elle peut être déposée sans plainte. Il est important de préciser qu’elle n’a pas pour objet la condamnation de l’auteur, mais la protection de la victime. Il s’agit d’appliquer le principe de précaution. » Je crois comprendre, madame la rapporteure, que vous souhaitez faire primer ce principe, et lui seul. Notre groupe partage ce dessein.

Renforcée en 2020, cette mesure d’urgence qu’est l’ordonnance de protection peut être délivrée par le juge aux affaires familiales à une double condition : qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission de faits de violence allégués ; qu’il existe un danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. Or de nombreux sachants, en particulier au sein du Cnop, dénoncent cette formulation qui complexifierait le travail du juge et limiterait la délivrance d’ordonnances de protection. Depuis bientôt deux ans, la suppression de la référence au danger est ainsi préconisée.

En effet, l’appréciation du danger séparément des faits de violence allégués donne lieu à de nombreuses décisions de rejet. Cette séparation et l’absence de réitération de faits de violence sont considérées comme caractérisant l’absence de danger. Les violences physiques, la plainte récente et le certificat médical concomitant, qui confirme ou précède les déclarations faites au commissariat, sont les critères prépondérants retenus par le juge.

Dans ces conditions et au regard de l’urgence, donnons au juge les moyens juridiques de délivrer cette mesure, en restant vigilants aux éventuels effets de bord qu’une suppression sèche pourrait induire, qu’ils soient liés à des questions de constitutionnalité ou de praticité, voire de dévoiement des procédures ou de la mesure.

Notre groupe accompagnera toute démarche tendant à la préservation des intérêts des victimes et covictimes de violence conjugales.

M. Hervé Saulignac (SOC). Chers collègues, vous connaissez la position du Groupe socialistes et apparentés sur la proposition de loi de notre collègue Cécile Untermaier.

Un jour sur deux ou presque, la presse fait état d’un nouveau féminicide. Ce décompte macabre et insupportable ne doit pas être une fatalité. Pourtant, parmi les 146 femmes tuées en 2019, seules 2 bénéficiaient d’une ordonnance de protection. Dans la majorité des cas ou presque, la victime avait déjà subi des violences et 63 % d’entre elles les avaient signalées aux forces de l’ordre.

Malgré les lois qui se succèdent, les résultats sont mauvais. La comparaison avec nos voisins fait mal : l’Espagne délivre ainsi dix-sept fois plus d’ordonnances de protection que la France, soit plus de 28 000 contre 1 600 environ, en 2018. Force est de constater que ce choix a porté ses fruits : en Espagne, la proportion des victimes tuées par leur conjoint, qui avaient précédemment porté plainte contre leur agresseur, est passée de 75 % en 2009 à 20 % en 2019.

Le risque de violence après la séparation augmente : dès 2003, il a été démontré que c’est à ce moment-là que les violences commençaient pour 17 % des femmes Et pour celles qui ont eu des enfants avec l’ex-conjoint violent, neuf sur dix subissent des agressions verbales ou physiques.

Comme le rappelle le juge Édouard Durand, de la Ciivise, protéger, c’est anticiper le risque. C’est l’objet de l’ordonnance de protection. Cette proposition de loi vise donc à mieux protéger les victimes de violences conjugales, en favorisant la délivrance de ces ordonnances, pour une durée plus longue.

Le critère de double conditionnalité est souvent dénoncé comme trop contraignant et, surtout, de nature à nourrir l’idée qu’il existe une violence sans danger. Cette appréciation du danger consécutif à des violences alléguées entraîne souvent des rejets de demandes et des interprétations complexes pour le juge, qui finissent par limiter l’octroi d’ordonnances de protection. Nous estimons que le danger est, en quelque sorte, consubstantiel aux violences. Dès que des actes de violence sont allégués, le danger est probable, sans qu’il soit nécessaire de le démontrer. Distinguer violence avec danger et violence sans danger revient à les hiérarchiser et à minimiser le risque.

J’entends celles et ceux qui craignent une instrumentalisation de l’ordonnance de protection. Gageons qu’il vaut mieux un peu trop protéger que de ne pas protéger du tout. Nous sommes loin, très loin, de courir le risque de délivrance d’ordonnances à la chaîne. Du reste, comme le dispose l’article 515-11 du code civil, l’ordonnance de protection est délivrée à l’issue d’un débat contradictoire.

Nous souhaitons donc revenir sur cette double conditionnalité en supprimant la notion de danger, pour que l’ordonnance de protection soit délivrée dès lors qu’il y a des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission de faits de violence allégués.

Enfin, nous proposons de faire passer la durée de protection de six à douze mois, pour mieux protéger dans le temps.

M. Philippe Pradal (HOR). La proposition de loi assouplit le régime de délivrance de l’ordonnance de protection. Elle supprime la condition de danger. S’il existe des raisons de considérer comme vraisemblable la commission de faits de violence allégués à l’encontre de la victime ou un ou plusieurs enfants, cela pourrait suffire au juge pour délivrer une ordonnance de protection. Elle propose également d’allonger la durée maximale de délivrance de six mois à douze, sans remettre en cause la possibilité pour le juge de fixer une durée inférieure.

L’objectif du texte est louable et nous le partageons : renforcer les outils judiciaires en faveur de la protection des victimes, des femmes en particulier. Il ne faut jamais oublier que 147 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire en 2022.

La lutte contre les violences faites aux femmes est la grande cause de l’actuel quinquennat et du précédent, et de nombreuses mesures ont permis des avancées majeures en matière de protection des femmes, dans le cadre familial notamment. Parmi celles-ci figurent la suppression du dépôt de plainte comme préalable à la délivrance d’une ordonnance de protection ; le délai maximal de six jours à compter de la date d’audience pour statuer sur sa délivrance ; le déploiement du bracelet antirapprochement ; l’attribution d’un téléphone grave danger (TGD) à la victime ; l’accompagnement à l’accès au logement ou, encore, la suspension du droit de visite et d’hébergement des enfants mineurs pour le parent violent.

L’ordonnance de protection est un outil judiciaire central dans la politique de protection des victimes. La dernière étude statistique relative à l’ordonnance de protection réalisée par le ministère de la justice permet ainsi d’établir que les demandes d’exercice exclusif de l’autorité parentale sont acceptées huit fois sur dix. De même, les demandes de fixation de la résidence des enfants chez la partie protégée sont acceptées dans près de 90 % des cas. Ces chiffres démontrent une efficacité incontestable.

Il faut que le plus grand nombre de victimes puissent bénéficier de cet outil. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à un assouplissement des conditions de délivrance de l’ordonnance de protection.

Cependant, la pure et simple suppression de la condition de danger nous préoccupe, car elle est de nature à créer un risque quant à la constitutionnalité du dispositif. L’équilibre entre le principe de précaution nécessaire pour protéger les victimes et l’atteinte portée aux principes fondamentaux, tels que la présomption d’innocence ou la liberté d’aller et venir, repose bien sur cette condition de dangerosité et de limitation dans le temps et l’espace.

Néanmoins, nous sommes conscients que cette condition de danger, telle qu’elle est rédigée actuellement, peut être insatisfaisante dans sa mise en œuvre. Nous appelons donc de nos vœux une discussion entre Mme la rapporteure et les autres groupes parlementaires. C’est le sens de l’amendement d’appel que nous avons déposé.

Convaincu de la nécessité de protéger au mieux les victimes, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je rejoins mes collègues sur le constat et sur la nécessité d’agir vite. Beaucoup de chiffres ont été cités, qui sont autant de vies brisées. Ce sont ces chiffres que nous avons le devoir, en tant que législateurs, de réduire jusqu’à leur disparition.

Les violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes sont des sujets majeurs. Ils nécessitent des politiques publiques d’ampleur, ambitieuses. Certes, il y a eu des avancées, mais pour ce qui est de l’ambition, nous en sommes encore loin. Je parle d’ambition sur le fond, mais aussi sur les fonds. Il faudrait au minimum consacrer 1 % du PIB à cette question pour ne pas avoir à agir après coup, à travers la justice. Il faut se doter de la capacité d’anticiper pour faire en sorte que, dans cette société, les femmes ne soient pas en danger dès lors que certains hommes sont à proximité.

La justice est le parent pauvre et c’est la raison pour laquelle elle peine face à la recrudescence des cas, des plaintes et de la violence. Ailleurs, en Belgique ou en Espagne, les moyens et l’ambition existent. C’est assez simple : quand on donne des moyens, les résultats suivent et la société peut avancer.

Cette proposition de loi est juste un outil supplémentaire au service de la justice, mais elle permettrait de sauver des vies. C’est pour cela qu’elle est importante. Chaque année, trop de femmes meurent, alors qu’elles ont entamé des démarches, qu’elles ont porté plainte. La société ne parvient pas à les protéger parce qu’elle laisse des hommes dangereux dehors, parce qu’elle les laisse approcher des femmes. Elle met en danger ces femmes, mais aussi toute la société. C’est pour cela qu’il est important d’agir. Il s’agit de savoir quelle démocratie nous voulons.

Outiller la justice comme le propose ce texte est urgent et utile. Nous proposerons de le compléter et de le muscler un peu, avec deux petits amendements.

En tout cas, le groupe Écologiste votera pour ce texte.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Les attentes des victimes sont nombreuses et il n’est pas simple de réviser un des principaux dispositifs de protection judiciaire des femmes victimes de violences conjugales. Notre groupe soutient la démarche dans laquelle s’inscrit cette proposition, alors que les violences intrafamiliales ne cessent de progresser. La honte doit changer de camp. Notre système judiciaire se doit d’être réactif et d’accompagner au mieux ces femmes victimes de violences, commises par le mari, le concubin ou l’ex-partenaire.

L’ordonnance de protection, calibrée spécifiquement pour les femmes victimes de violences, a démontré toute son utilité. Elle permet d’intervenir avant toute condamnation, pour assurer la protection de la victime. Le dispositif reste cependant sous-utilisé, puisque seulement 3 300 ordonnances ont été délivrées en 2020. J’espère que la proposition de loi relative à l’aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, que notre assemblée a adoptée en première lecture, va changer la donne.

Sur le fond, le dispositif doit encore être perfectionné, notamment pour atténuer les disparités territoriales.

Le présent texte a le mérite d’apporter des modifications qui vont indéniablement dans le bon sens. Notre groupe souhaite, lui aussi, que le droit en vigueur soit clarifié. Il paraît ainsi surprenant de demander au JAF d’apprécier, outre les violences, l’existence d’un danger. Cela sous-entend qu’il existe des violences non dangereuses pour les femmes et les enfants.

Votre proposition de loi propose de supprimer purement et simplement le critère de danger. Certains juristes ont une position plus mesurée et suggèrent simplement d’assouplir ce critère. Quelle rédaction doit être privilégiée ? S’il s’agit de la version initiale, est-elle suffisamment solide sur le plan juridique ?

Au-delà de ce débat légistique, notre groupe rappelle que l’ordonnance de protection est avant tout un dispositif d’urgence. Si nous voulons qu’il puisse déployer toute son utilité, il faut s’assurer que les victimes ne se heurtent pas à des lourdeurs juridiques ou procédurales.

S’agissant de la durée maximale de l’ordonnance de protection, le Parlement avait déjà fait le choix de la prolonger de quatre à six mois. Ce texte entend aller jusqu’à douze mois, car il est vrai que le droit en vigueur ne permet pas une protection à long terme. Beaucoup de victimes se demandent, à raison, ce qui se passera après ce délai de six mois.

Ce délai maximal peut être prolongé par le juge, mais uniquement lorsqu’une demande de divorce ou une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale a été déposée. Si l’ordonnance de protection ne constitue qu’une mesure temporaire, notre groupe soutient la volonté d’allonger cette protection, dans la mesure où elle permettra de soulager les victimes, de les accompagner pendant un an au minimum, jusqu’à une condamnation pénale pour les violences commises.

Sous réserve des clarifications que vous nous apporterez, notre groupe soutiendra ce texte.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Cette proposition de loi vise à renforcer l’ordonnance de protection et préconise des avancées, que nous approuvons.

L’ordonnance de protection est une procédure rapide, pour laquelle le juge dispose de pouvoirs importants. Ce qui, en théorie, la rend très efficace. En théorie seulement, car dans les faits, elle est peu utilisée et lorsqu’elle l’est, elle aboutit rarement à une ordonnance de protection.

Si la vraisemblance des faits de violence ne pose pas vraiment de difficulté, il en va autrement de la preuve d’un danger. Cela exclut quasi systématiquement les victimes qui ont pu se mettre à l’abri en quittant le domicile familial. Chaque fois que la victime est partie, et si elle n’est pas poursuivie par les assauts de son conjoint violent ou par ses menaces, le juge considère qu’elle n’est plus en danger. Et comme elle n’est plus en danger, elle n’est pas protégée. C’est donc la double peine : la victime de violences qui est partie ne retrouve pas le domicile conjugal et n’est pas protégée dans des délais brefs.

La proposition de loi présente des avancées indispensables pour protéger efficacement les victimes, femmes, enfants ou conjoints violentés en général. Pour la rendre encore plus efficace et accessible, nous nous sommes permis de présenter quelques amendements. Les évolutions que nous proposons ont été réfléchies, travaillées en collaboration étroite avec les associations d’aide aux victimes de violences intrafamiliales, avec le parquet et avec les deux barreaux de La Réunion, dont je salue le travail acharné pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants, un véritable fléau sur l’île. Nous avons tissé un réseau important, auquel prennent part tous les élus, de tous bords.

À La Réunion, où je suis élue, 2 050 femmes ont été suivies par les associations en 2022, pour des problématiques de violences intrafamiliales. Chaque jour, sept Réunionnaises en moyenne ont déposé plainte pour ce type de fait, tandis que quarante et un TGD ont été attribués. Pourtant, vingt-quatre ordonnances de protection seulement ont été délivrées. Au total, seulement 3,5 % des femmes portent plainte, 1 % font appel aux associations.

J’exerce la profession d’avocate à La Réunion. Nos amendements ont été nourris par notre pratique, concrète et malheureusement habituelle de l’ordonnance de protection. Nous déposons quasiment une demande par mois. Pour ces amendements, nous nous sommes placés au plus près du terrain, à la fois en demande et en défense. Nous nous sommes demandé quoi faire pour améliorer le texte, mais aussi pour qu’il n’engendre pas d’abus ou des détournements de procédure.

À l’évidence, il est nécessaire d’assouplir les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection ; j’ai déposé un amendement en ce sens. Il nous paraît également indispensable de conserver le caractère d’urgence de cette procédure. L’ordonnance de protection relève de l’extrême urgence. Elle est plus rapide qu’une procédure classique, plus rapide qu’une procédure de référé. Au regard des pouvoirs exceptionnels du juge et de l’effort que cette procédure demande au personnel de justice, il nous faut veiller à ce qu’elle ne devienne pas la procédure de droit commun. Je tiens, à cet égard, à saluer le travail des magistrats et des greffiers, qui accomplissent un travail exceptionnel pour parvenir à délivrer une ordonnance de protection en six jours. On a l’habitude de se plaindre de la lenteur de notre justice ; il faut savoir également reconnaître quand elle fait vite et bien.

En supprimant purement et simplement la condition de danger dans le texte actuel, il ne reste plus de référence à la notion d’urgence. J’ai donc déposé un amendement, dont nous discuterons dans quelques instants.

Deuxième point d’importance : le champ d’application de cette ordonnance. Nous avons déposé un amendement pour l’étendre aux enfants victimes de violences en dehors du couple. La démarche est simple : il s’agit d’offrir une protection maximale aux enfants, qui sont les adultes de demain. C’est en les protégeant efficacement aujourd’hui que nous verrons le fléau des violences intrafamiliales diminuer dans les années à venir.

Merci donc pour cette proposition de loi. Nous avons hâte d’en débattre.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Merci à tous les intervenants. Je suis impressionnée par votre appropriation de l’ordonnance de protection, qui est un outil essentiel.

Je retiens un constat largement partagé : l’ordonnance de protection est un bon outil, insuffisamment utilisé et peut-être un peu trop compliqué à mettre en œuvre.

Une source de blocage est connue et identifiée, par le Cnop en particulier. La formulation pose problème au magistrat, qui est en difficulté pour apprécier un danger par définition imprévisible, mais consubstantiel à la violence conjugale. Nous considérons qu’il faut supprimer ce verrou.

J’ai entendu certaines craintes quant au risque d’instrumentalisation à ce sujet, mais le juge sait la contourner. Faisons-lui confiance pour éviter ce piège. Au reste, quand il y a débat contradictoire, les avocats sont généralement présents, en défense comme en demande, pour contrer ce risque de dérive.

Concernant l’inégalité territoriale, évoquée par Mme Descamps, on note des applications différentes de ce dispositif, selon les territoires et selon que le magistrat est plus ou moins sensible à la question de la violence conjugale ou intrafamiliale.

Quant au problème de la constitutionnalité, nous l’aborderons dans le cadre de l’amendement déposé par le groupe Renaissance. Je m’en préoccupe, car je sais qu’une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel pourrait conduire à la censure de l’article. Faut-il sortir par la porte pour revenir par la fenêtre ou, au contraire, savoir être sage de temps en temps ? C’est toute la finesse du travail que nous devons accomplir maintenant.

Avant l’article 1er

Amendement CL4 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). L’amendement tend à élargir le champ de l’ordonnance de protection aux violences exercées par un parent contre un ou plusieurs enfants dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement. Dans ces cas-là, en effet, il n’existe aucune voie de droit suffisamment rapide pour protéger l’enfant. L’ordonnance de protection ne peut être utilisée, car les violences ne se sont pas exercées au sein du couple. Une procédure en référé peut durer deux mois dans certains tribunaux et les mesures de contrôle judiciaire ne sont pas toujours accordées.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Le groupe socialiste partage votre préoccupation, en témoigne le dépôt par ma collègue Isabelle Santiago d’une proposition de loi pour renforcer la protection de l’enfant. Cependant, je ne pense pas que l’ordonnance de protection soit le bon outil, surtout si elle n’est pas complétée par des mesures ciblées pour les enfants.

La procédure en référé, qui est une procédure d’urgence, devrait permettre d’apporter une solution dans des délais plus courts. L’ordonnance de protection est pensée pour protéger une personne adulte, victime de violences conjugales, surtout lorsqu’elle se sépare. Les mesures sont adaptées à cette situation, même si le cas de l’enfant est pris en compte. Sans étude d’impact, il est difficile d’aller plus loin.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à retirer l’amendement ; sinon, avis défavorable, ce qui m’ennuierait.

L’amendement est retiré.

Article 1er : (art. 515-11 du code civil) Modification des critères de délivrance de l’ordonnance de protection

Amendement CL5 de M. Jean-François Coulomme

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’amendement tend à réduire de six jours à deux jours le délai de délivrance de l’ordonnance de protection par le juge aux affaires familiales, à compter de la fixation de la date de l’audience. Nous sommes conscients du manque de moyens dédiés à la justice civile, mais cette mesure nous semble importante pour renforcer la protection des femmes victimes de violences.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Votre amendement est intéressant et témoigne de la volonté, que nous partageons tous, d’accélérer les procédures d’urgence. Cela étant, le délai de six jours est déjà un progrès significatif apporté par le législateur et il est tenu malgré la restriction des effectifs. Je ne voudrais pas mettre en difficulté les magistrats, qui accomplissent un travail extraordinaire aux côtés des avocats, en leur imposant unilatéralement un délai qu’ils ne pourraient que difficilement respecter.

Rappelons surtout que des mesures sont prises avant l’ordonnance de protection. On n’attend pas cette dernière pour mettre la victime à l’abri. Cela étant, le juge ne doit pas considérer que l’affaire est gagnée dès lors que la personne est protégée. Je voudrais, plus modestement, que ces six jours soient mis à profit pour prendre des mesures efficaces. Je vous invite donc à retirer votre amendement, sinon avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CL2 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). L’ordonnance de protection était soumise à deux conditions : apporter la preuve de la vraisemblance des faits et de l’existence d’un danger. Vous prévoyez de supprimer la condition du danger et nous partageons tous cette volonté. Cependant, l’ordonnance de protection doit demeurer une procédure d’urgence afin d’éviter un détournement de cette voie de droit et un engorgement de la juridiction. L’amendement tend, par conséquent, à conditionner l’ordonnance de protection à des violences vraisemblables et actuelles. Des députés ont déposé des amendements pour rétablir la condition du danger. Cela peut être une façon de rétablir l’urgence mais prenons garde à ce que cette condition n’empêche pas de protéger des femmes qui auraient réussi à quitter le domicile conjugal.

La notion de violences vraisemblables et actuelles aurait le mérite de rétablir le caractère urgent de la procédure et d’empêcher des personnes, qui auraient été victimes d’un seul acte de violence non répété plusieurs mois auparavant, de demander une ordonnance de protection. Je ne suis pas certaine, si l’on s’en tenait à la seule vraisemblance des faits, que tous les juges iraient au-delà du texte pour respecter l’esprit du législateur.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Les magistrats s’attachent d’abord au texte. Ce n’est que lorsqu’il est opaque qu’ils lisent les débats parlementaires pour comprendre l’intention du législateur.

La prévention d’un risque doit être la plus large possible. Mon collègue Hervé Saulignac l’a dit avec raison, il vaut mieux trop protéger que pas assez. Une ordonnance de protection n’impose pas au juge une obligation de résultat quant à la justesse du risque encouru. Elle sert à prévenir un risque en raison d’un comportement qui peut être actuel ou plus ancien. Je comprends votre intention mais le juge saura apprécier la nature des violences et ne délivrera sans doute pas d’ordonnance de protection si les faits datent de plusieurs années et que la personne ne semble plus en danger. En restreignant le champ de l’ordonnance, je crains d’apporter un verrou supplémentaire à la procédure. Bien sûr, il y a des bons et des mauvais juges, comme partout, mais en général, les juges sont soucieux de respecter le dispositif. Si les violences doivent être actuelles, il faudra définir cet adjectif. La notion pourrait être interprétée différemment d’un territoire à l’autre. Le lien entre le danger et l’actualité des violences ne me semble pas systématique.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). On peut aussi se poser la question de la définition de la vraisemblance. Le juge en décidera et pourrait, tout autant, déterminer l’actualité des violences. Notre rôle est d’encadrer la procédure et nous devons faire en sorte que l’ordonnance de protection ne soit pas utilisée lorsque les violences sont anciennes et que la victime n’est plus en danger.

Nous écrivons la loi pour protéger les victimes mais nous devons évacuer tout risque d’abus ou de détournement de procédure.

M. Erwan Balanant (Dem). Quelle serait une violence sans danger ? J’ai beau chercher, je ne trouve pas.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Le texte actuel masque une forme d’hypocrisie. Parce qu’on n’a pas osé, pu ou voulu écrire qu’il s’agissait de violences d’une certaine gravité, on a inscrit la notion de danger : une violence forte serait dangereuse, mais pas une violence moins forte. Je ne partage pas cette conviction. La comparaison entre les féminicides et les situations qui ont conduit à prendre des ordonnances de protection montre que nous nous trompons. L’origine du féminicide, c’est le premier coup, pour lequel on ne recourt pas à l’ordonnance de protection. En revanche, nous devons faire passer le message aux nouvelles générations que toute violence conjugale, aussi minime soit-elle, est dangereuse. L’ordonnance de protection sert à prévenir un risque qui ne se caractérise pas par la gravité de la violence mais par l’existence de la violence.

L’exigence du caractère vraisemblable de la violence me semble donc nécessaire, car le juge ne doit pas être instrumentalisé.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL7 de M. Emmanuel Taché de la Pagerie et amendements identiques CL11 de M. Ludovic Mendes et CL12 de M. Philippe Pradal (discussion commune)

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). L’avantage de cette rédaction est qu’elle ne réintroduit pas une double condition assez artificielle en distinguant entre les faits de violence et le danger mais qu’elle ancre les faits de violence et le danger en résultant dans un temps voisin de la sollicitation de l’ordonnance de protection. Nous vous proposons donc de substituer aux mots « à l’encontre de la victime ou un ou plusieurs enfants » les mots « exposant la victime ou un ou plusieurs de ses enfants à un danger actuel ou imminent ».

M. Ludovic Mendes (RE). Nous ne pouvons pas nous permettre d’engager la constitutionnalité d’un dispositif si important pour la protection des victimes. Nous ne pouvons prendre le risque de fragiliser et d’annuler le travail réalisé par les parlementaires en supprimant la condition tenant au danger.

Dans un récent arrêt, la Cour de cassation a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’ordonnance de protection, au motif que la question de l’atteinte à la présomption d’innocence ne présentait pas un caractère sérieux dès lors que « les mesures que le juge aux affaires familiales peut prononcer sur le fondement de l’article 515-11 du code civil, s’il estime qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime et un ou plusieurs enfants sont exposés, reposent non sur la culpabilité de la partie défenderesse mais sur sa potentielle dangerosité appréciée par le juge à la date de sa décision ». Le critère de dangerosité semble ainsi constituer un élément important de la constitutionnalité du dispositif de l’ordonnance de protection.

Nous devons réintroduire le critère du danger pour tenir compte des préoccupations exprimées par les différents acteurs, dont le Cnop. Nous partageons également l’avis de la rapporteure de prendre en compte l’analyse du Cnop selon laquelle l’appréciation du danger séparément des violences alléguées donne lieu à de nombreuses décisions de rejet.

Par conséquent, l’amendement tend à assouplir la caractérisation du danger, qui devrait désormais être potentiel et non plus vraisemblable et de lier son appréciation à celle des violences vraisemblables en faisant référence aux violences « exposant la victime ou un ou plusieurs enfants à un danger potentiel ».

M. Philippe Pradal (HOR). La suppression pure et simple de la notion de danger fait peser un risque sur la constitutionnalité du dispositif. La proposition du Cnop est antérieure à l’arrêt de la Cour de cassation. Nous proposons d’assouplir la caractérisation du danger qui devrait désormais être potentiel, conformément à la jurisprudence. De surcroît, en faisant référence aux violences exposant la victime ou un ou plusieurs enfants à ce potentiel danger, le danger serait davantage apprécié au regard de l’existence de violences vraisemblables.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’adoption de l’amendement CL7 restreindrait le champ de l’ordonnance. Avis défavorable.

S’agissant des amendements identiques CL11 et CL12, je ne vous cacherai pas que M. Mendes et moi avons travaillé avec la Chancellerie. C’est vrai, le texte pourrait être entaché d’inconstitutionnalité. C’est un risque mais cela ne me dérangerait pas, en cas de question prioritaire de constitutionnalité, de présenter mes arguments au juge : le caractère vraisemblable des violences conjugales suffit à caractériser le danger.

Outre le Cnop, j’ai rencontré des présidents de tribunaux qui travaillent dans des pôles spécialisés composés d’un juge aux affaires familiales, un juge des enfants, un juge de tribunal correctionnel, et qui m’ont confirmé la difficulté qu’ils avaient à appréhender la notion de danger.

Le débat parlementaire éclairera le magistrat. Prenons acte de l’avancée de la majorité qui sépare les violences conjugales, seules vraisemblables, d’un danger qui, inhérent à ces violences conjugales, devient potentiel. Nous sommes sensibles à cette volonté de prévenir les risques. Je suppose qu’aucun magistrat ne pourrait motiver le rejet d’une ordonnance de protection en affirmant que, malgré l’existence de violences conjugale vraisemblables, le danger n’est pas caractérisé. Sagesse.

M. Ludovic Mendes (RE). Nous voulons répondre au Cnop et aux victimes. Les recours pour casser des ordonnances de protection sont nombreux et le risque d’inconstitutionnalité est réel. C’est pourquoi nous avons proposé cet amendement. De surcroît, les juges pourront motiver plus facilement leur décision de valider ou non l’ordonnance de protection. À titre personnel, il me semble qu’il faudrait revoir la rédaction de l’article 515-9 du code civil qui se réfère à la notion de danger. Peut-être pourrions-nous y travailler d’ici à l’examen en séance pour aboutir à un dispositif plus équitable, qui réponde aux revendications des magistrats et du Cnop.

Les violences conjugales sont un véritable danger, qu’elles soient actuelles, passées ou futures.

M. Erwan Balanant (Dem). La violence conjugale est en effet constitutive d’un danger : pourquoi, dès lors, considérer que le danger ne serait que potentiel ? Je préférais la rédaction initiale de la rapporteure mais, puisqu’il s’agit d’une avancée, notre groupe votera l’amendement.

Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes considèrent que toute violence, qu’elle soit psychique ou physique, est un danger.

La commission rejette l’amendement CL7.

La commission adopte les amendements identiques.

Amendement CL10 de Mme Sandra Regol

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’amendement tend à ajouter une mesure de protection possible pour la victime en laissant au juge la possibilité d’interdire la consommation d’alcool ou de stupéfiants au domicile de la victime et d’interdire également à l’auteur des violences de se trouver en état d’ébriété dans ce domicile commun.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. C’est vrai, les violences conjugales sont souvent liées à des comportements addictifs. Cependant, le choix a été fait de favoriser une approche préventive plutôt que répressive en donnant la possibilité au juge de proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique, ou encore un stage de responsabilisation. Malheureusement, nous manquons de statistiques de la part de la Chancellerie pour mesurer l’efficacité de ces mesures. Le Cnop devrait s’y atteler.

Prévoir une interdiction qui s’appliquerait au domicile même de la partie défenderesse serait une peine disproportionnée pour un mécanisme qui reste du domaine civil.

Je vous invite à retirer l’amendement, sinon j’y serai défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CL6 de M. Jean-François Coulomme

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’amendement tend à ce que la détention ou le port d’arme soient interdits de plein droit dès lors qu’un juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Nous partageons tous votre préoccupation. Dès lors que le juge délivre une ordonnance de protection, il doit imposer au conjoint présumé violent de rendre son arme s’il en détient une. Nous avions l’intention de prévoir une telle mesure mais, au civil, une peine d’interdiction automatique risque d’être jugée inconstitutionnelle. Nous avons cependant essayé d’atteindre le même objectif puisque l’article prévoit déjà que, lorsqu’une interdiction de contact est prise, le juge doit spécialement motiver sa décision de ne pas prendre une interdiction de détention ou de port d’arme.

Nous avons réussi, me semble-t-il, à sensibiliser les magistrats à ce sujet.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : (art. 515-12 du code civil) Extension du délai maximal de délivrance de l’ordonnance de protection

Amendement CL9 de Mme Sandra Regol

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’amendement tend à offrir au juge plus de souplesse quant à la durée de l’ordonnance de protection et, à la victime, la possibilité de demander la prolongation d’une ou plusieurs mesures de cette ordonnance.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il est déjà possible de prolonger la durée de l’ordonnance de protection dans certains cas précis, par exemple lorsque le juge a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale. D’autre part, l’esprit de votre amendement est satisfait par l’article qui prévoit d’allonger à douze mois la durée pour laquelle le juge peut prononcer les mesures. Je vous invite à le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL13 de Mme Cécile Untermaier.

Elle adopte l’article 2 modifié.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

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*     *

La réunion est suspendue de douze heures à douze heures dix.

Puis, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à créer un Défenseur de l’environnement (n° 608) (M. Gérard Leseul, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/lkng0v

M. Gérard Leseul, rapporteur. De nouvelles données le montrent chaque jour, l’urgence climatique est de plus en plus pressante.

Selon le programme des Nations unies pour l’environnement, 30 % de la population mondiale est exposée à des vagues de chaleur mortelle plus de vingt jours par an. En France, l’année 2022 a été la plus chaude jamais enregistrée par Météo-France depuis le début des relevés en 1900, et la deuxième année la plus sèche depuis 1959.

Le Fonds mondial pour la nature a relevé que près de 68 % des populations de vertébrés auraient disparu entre 1970 et 2016, un rythme cent à mille fois supérieur au taux naturel d’extinction. Enfin, six des neuf limites planétaires identifiées par l’équipe de scientifiques conduite par le professeur Johan Rockström, auraient d’ores et déjà été franchies.

Nous sommes responsables d’un changement d’état irréversible des écosystèmes mondiaux, mais aussi de graves pollutions, en particulier locales. Les incendies du site Bolloré Logistics et celui de l’usine Lubrizol ont ainsi porté atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement sain.

Le droit de l’environnement fait pourtant l’objet d’une attention importante et approfondie depuis plus d’un demi-siècle. Le développement du droit international et du droit communautaire, la consécration de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité par l’intégration de la Charte de l’environnement et le renforcement continu des dispositions du code de l’environnement ont progressivement dessiné les contours d’un édifice juridique toujours plus protecteur.

Cette construction n’est pas achevée et le droit de l’environnement peut toujours être enrichi. L’échec de la révision constitutionnelle tentée en 2021 ou le manque d’ambition de la loi « climat et résilience » nous le rappellent.

Surtout, les pouvoirs publics ne font pas encore suffisamment appliquer le droit de l’environnement. Plusieurs explications peuvent être avancées.

Tout d’abord, au niveau local, l’autorité de police administrative compétente en matière d’environnement, à savoir les préfets, n’intègre pas suffisamment les enjeux environnementaux dans ses décisions. Professeurs de droit et associations de défense de l’environnement s’accordent même à dire qu’ils sont parfois écartés au profit d’autres intérêts, notamment économiques. Sensible aux intérêts économiques locaux, le préfet est victime du phénomène de « capture du régulateur », et les acteurs économiques dont l’activité nuit à l’environnement sont trop peu ou inégalement sanctionnés. Parfois même, ce sont les préfets qui sont sanctionnés lorsqu’ils font respecter le droit de l’environnement – cela aurait valu son éviction à la préfète d’Indre-et-Loire.

La deuxième explication tient à la technicité et à la complexité du droit de l’environnement, qui ne facilitent pas son appropriation par le citoyen. Celui-ci est désavantagé par rapport aux acteurs économiques qui disposent d’un meilleur accès à l’information, comprennent mieux la réglementation et disposent d’une plus grande expertise, ce qui leur permet de faire primer leurs intérêts. La complexité et la lenteur des procédures judiciaires en matière d’environnement éloignent également le citoyen de la justice environnementale.

Enfin, on ne peut que déplorer le caractère encore trop parcellaire de l’évaluation environnementale des politiques publiques. À cet égard, la Commission européenne a récemment relevé que le droit français ne prévoyait pas de garanties suffisantes pour faire en sorte que les autorités accomplissent leurs missions de manière objective. De surcroît, l’évaluation préalable des projets et propositions de textes législatifs reste insuffisante : les développements consacrés aux conséquences environnementales des projets de loi sont trop succincts, tandis que nous ne disposons pas de moyens suffisants pour évaluer les conséquences environnementales de nos propositions de loi.

De cette situation, de nombreux travaux scientifiques et juridiques ont conclu la nécessité de créer une autorité administrative compétente en matière d’environnement.

Plusieurs pays ont d’ores et déjà choisi de confier à une autorité indépendante des compétences en matière de médiation environnementale. En Nouvelle-Zélande, un commissaire parlementaire de l’environnement a été créé en 1986. En Argentine, en Suède, en Espagne, en Ontario, en Belgique ou en Autriche, les compétences des médiateurs ont été étendues au domaine environnemental.

En France, la Convention citoyenne pour le climat avait recommandé de créer un Défenseur de l’environnement. Quelques mois plus tard, le précédent Gouvernement avait confié à Mme Cécile Muschotti, alors députée, le soin de conduire la mission pour préciser les contours de cette nouvelle autorité. J’avais, pour ma part, défendu cette proposition audacieuse dès 2021, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la préservation de l’environnement, qui avait malheureusement échoué.

Je vous propose aujourd’hui de créer une nouvelle autorité indépendante en matière d’environnement, sur le modèle du Défenseur des droits, créé en 2008 et institué en 2011, qui est bien ancré dans le paysage institutionnel français et représente une réussite à bien des égards.

Le Défenseur de l’environnement poursuivrait trois objectifs principaux.

Premièrement, il permettrait de mieux prendre en compte l’intérêt général environnemental dans la conduite des politiques publiques, notamment au niveau local. Il jouerait également un rôle de vigie au niveau local, en surveillant l’application du droit de l’environnement par les autorités déconcentrées. À cette fin, il serait doté d’un pouvoir de sanction administrative dont il ferait usage en tant que de besoin pour assurer la protection de l’environnement.

Deuxièmement, il améliorerait la compréhension et l’accessibilité du droit de l’environnement et des procédures associées et remplirait une fonction de « guichet unique environnemental ». Il pourrait être saisi par toute personne estimant que l’environnement est menacé. Il l’orienterait vers les institutions compétentes et accompagnerait le requérant, voire se substituerait à lui, devant les tribunaux.

Il contribuerait aussi à une meilleure lisibilité du paysage institutionnel française en rassemblant en une autorité unique de nombreux services compétents en matière d’environnement, qui sont autant d’interlocuteurs pour le citoyen.

Troisièmement, il contribuerait à une meilleure évaluation environnementale des politiques publiques en rassemblant les moyens des services compétents. Il pourra ainsi rendre des avis sur les conséquences environnementales des textes législatifs.

Son champ de compétences serait large. Il veillerait à la préservation de l’environnement et des biens communs planétaires par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, les organismes investis d’une mission de service public ainsi que par toute autre personne. Il contrôlerait le respect du principe d’amélioration constante, c’est-à-dire de non-régression, par les personnes publiques. Il s’assurerait que les politiques publiques respectent les limites qui conditionnent l’habitabilité de la terre.

S’agissant de son organisation, le Défenseur de l’environnement serait inscrit dans la Constitution, ce qui garantirait sa pérennité. Il serait nommé par le Président de la République, après application de la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution – sa nomination devrait être approuvée par les commissions permanentes des deux assemblées.

Il serait créé par fusion de services et d’autorités administratives existantes, charge à la loi de préciser lesquelles.

Il disposerait de garanties d’indépendance. Son mandat serait de six ans, non renouvelable. Ses fonctions seraient incompatibles avec celles de membres du Gouvernement et de membre du Parlement. D’autres incompatibilités et garanties devront être déterminées par la loi organique, comme l’inamovibilité.

Il serait assisté d’un collège et de plusieurs adjoints. J’en profite pour indiquer que nos auditions ont mis en évidence l’importance de la collégialité, du fait de la complexité des questions environnementales. J’y suis sensible. Nous préciserons ce point lors de l’examen de la loi organique.

Quant à ses attributions, le texte prévoit de lui accorder le pouvoir de rendre des avis sur les projets et propositions de loi, de prendre des sanctions administratives et de se saisir d’office.

Le texte renvoie à la loi organique le soin de définir les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur de l’environnement, c’est-à-dire son statut juridique et ses pouvoirs. Pourront être envisagés un droit d’information, de recommandation, un pouvoir d’injonction, la possibilité de formuler des observations au cours d’une procédure juridictionnelle, voire d’ester en justice.

La meilleure défense, c’est la défense. Si nous voulons que nos concitoyens puissent défendre leur droit de vivre dans un environnement sain, que les pollutions soient sanctionnées et que nos lois accomplissent systématiquement des avancées en matière de préservation de l’environnement, nous devons instaurer une institution experte, identifiable, protectrice, indépendante et inscrite dans la Constitution : un Défenseur de l’environnement.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Clara Chassaniol (RE). Au premier abord, cette proposition de loi m’a paru s’inscrire dans l’accélération de la transition écologique que nous avons impulsée pour ne pas figurer parmi les témoins attentistes des drames que provoque le changement climatique. J’y ai vu une idée politiquement attrayante permettant de donner leur effectivité aux principes de la Charte de l’environnement et donnant suite aux travaux de notre ancienne collègue Muschotti.

Toutefois, à y regarder de plus près, cette proposition se heurte à plusieurs limites, d’ailleurs mises en exergue lors des auditions que vous avez menées.

Se pose tout d’abord la question de l’articulation avec les prérogatives du Défenseur des droits, qui dispose déjà de moyens d’agir pour la défense des droits définis dans le code de l’environnement ou du droit à un environnement sain, reconnu en septembre dernier par le Conseil d’État comme une liberté fondamentale. Les contours d’une nouvelle autorité concurrente, qui défendrait, qui plus est, un droit dont la personnalité juridique n’est pas acquise, paraissent à ce stade assez imprécis.

Néanmoins, vous mettez en lumière une préoccupation que nous partageons concernant le manque de lisibilité des moyens d’interpeller les pouvoirs publics sur les enjeux environnementaux. Notre majorité défend la logique du guichet unique dès lors que des dispositifs rendent contraignant l’exercice de droits. C’est une question démocratique à laquelle il faut apporter des réponses, le cas échéant en fusionnant certaines instances, comme vous le suggérez. Leur fonctionnement et leurs compétences étant toutefois extrêmement variés, un simple rapprochement de lignes budgétaires ne serait pas suffisant. La sûreté nucléaire, l’accès à l’eau, les nuisances aéroportuaires ou les problèmes d’approvisionnement en énergie ne sont pas soumis aux mêmes risques et ne répondent pas aux mêmes logiques.

Concernant la capacité à évaluer les impacts de nos politiques sur l’environnement, la création du secrétariat général à la planification écologique, l’année dernière, a été une avancée importante mais il reste du chemin à parcourir. Nous devons repenser les moyens de l’évaluation et du contrôle parlementaires. Donner cette responsabilité à une autorité qui dessaisirait le Parlement de ses prérogatives doit être analysé au regard de nos missions et de la perception de nos concitoyens de la capacité réelle du politique à agir. C’est à nous, collectivement, d’incarner l’écologie. Notre majorité, qui mène ce combat, a engagé des transformations majeures dans la lutte contre le changement climatique afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 – arrêt de grands projets d’artificialisation, interdiction de location de passoires thermiques, augmentation de la part du renouvelable dans notre mix énergétique pour être le premier pays à sortir du fossile.

Si les enjeux que vous soulevez sont cruciaux en matière écologique, un changement constitutionnel visant à créer une nouvelle institution ne peut sérieusement faire l’objet d’une proposition de loi qui comporte de tels biais. Le projet mériterait de s’inscrire dans une réflexion plus globale, plus aboutie quant aux missions, attributions et compétences d’une nouvelle autorité. Il serait intéressant d’aborder ce sujet au sein de la commission transpartisane qui aura pour ambition de repenser l’architecture de nos institutions et de redonner de la vitalité démocratique à notre pays.

Aussi, tout en reconnaissant la démarche positive ici engagée, il nous semble que la solution proposée ne répond pas au problème posé du renforcement de l’effectivité des normes environnementales et ne définit pas suffisamment les contours de cette entité. C’est pourquoi notre groupe votera contre ce texte.

M. Romain Baubry (RN). En 1978, la France assistait à l’avènement d’une première autorité administrative indépendante, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Progressivement, la Ve République a vu un véritable État dans l’État se développer avec la démultiplication des autorités administratives, ces dernières s’éloignant bien souvent des préoccupations de nos compatriotes. En mars 2021, au sein de cet hémicycle, alors que nos prédécesseurs débattaient du projet du Gouvernement visant à inscrire le climat dans la Constitution, le garde des sceaux lui-même affirmait qu’il ne souhaitait pas multiplier ces autorités.

Ce texte, critiquable à de nombreux égards, vise à déléguer d’importantes prérogatives environnementales à l’un de ces « objets juridiques non identifiés », comme les nommait l’ancien sénateur Patrice Gérald dans un rapport parlementaire. Alors que nos compatriotes émettent la volonté que leurs élus se chargent de la mise en place d’une politique globale environnementale, seule la nécessité d’adopter des mesures concrètes fait consensus.

Aujourd’hui, le parti socialiste, en présentant ce texte, voudrait donner l’impression qu’il s’empare du sujet. Dès 2010, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale dénonçait les mauvaises raisons de création d’autorités administratives en ces termes : affichage politique, défiance vis-à-vis de l’administration traditionnelle ou des juridictions ou encore manque de courage politique – caractéristiques qui vous vont plutôt bien.

Outre la forme d’entité juridique que ce texte créerait, les missions et pouvoirs conférés à cette nouvelle autorité sont préoccupants. En l’état, l’autorité se verrait confier une mission de préservation de l’environnement et des biens communs planétaires. Ces termes, bien trop vagues, laissent présager qu’elle s’arrogera progressivement un pouvoir de nuisance. Elle cumulera des prérogatives de contrôle des politiques publiques, de publication d’avis sur les projets et propositions de loi ainsi qu’un pouvoir de sanction sans avoir la légitimité du pouvoir législatif ni celle d’une juridiction.

L’absence de prise en compte de l’intérêt de nos compatriotes dans les missions de cette nouvelle autorité est particulièrement alarmante. Protéger l’environnement fait consensus dans la population mais si vous souhaitez une pleine adhésion, elle ne devrait pas être une nouvelle fois la victime d’une écologie punitive. Les Français n’ont pas à porter la pleine responsabilité de mauvais choix politiques, qui n’appartient qu’à ceux qui ont gouverné.

Quant à la saisine de cette autorité, elle ne serait pas fondée sur la violation d’une disposition légale ou sur l’atteinte à un droit protégé ou à une liberté garantie, mais sur la vague interprétation d’une potentielle menace à la préservation de l’environnement. De ce fait, le groupe Rassemblement national s’oppose à ce que l’on donne à une autorité administrative le moyen d’exprimer, par le biais d’un pouvoir de sanction, la manière dont la Nation doit déterminer sa politique environnementale. C’est à nous, parlementaires, de définir cette politique.

Le Rassemblement national maintient qu’une transition écologique ne réussira que si elle est bénéfique à l’ensemble de nos compatriotes. Lorsque vous étiez au pouvoir, vous avez démontré être capables du contraire.

Nous nous opposerons donc au texte proposé.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Selon le tout récent rapport du programme européen d’observation de la Terre, Copernicus, les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées dans le monde. L’année 2022 a été plus chaude d’environ 1,2 degré que pendant la période 1850-1900, avant que la révolution industrielle produise ses effets sur le climat. En Europe, elle a été la deuxième année la plus chaude. Les concentrations de dioxyde de carbone relevées dans l’atmosphère ont également atteint un niveau record.

« Qui aurait imaginé […] la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? » demandait benoîtement Emmanuel Macron lors de ses vœux le 31 décembre dernier. Qui ? Les compagnies pétrolières, depuis les années 1960, et à peu près tous les scientifiques qui travaillent sur le sujet depuis les années 1980-1990. Mais au vu du bilan de son précédent mandat, marqué par une flagrante et criminelle inaction climatique, de telles inanités ne sont guère surprenantes de la part du président des ultrariches et des ultrapollueurs. Rappelons qu’en novembre 2020 et octobre 2021, la justice a condamné l’État français pour manquement à ses engagements de lutte contre le dérèglement climatique. Rappelons également que seules 16 mesures très libéralement inspirées des 149 initialement proposées par la Convention citoyenne pour le climat ont été incluses dans la loi « climat et résilience » de 2021. Un an après son adoption, à peine 10 % des dispositifs législatifs ont été suivis par la publication des décrets d’application.

La présente proposition de loi constitutionnelle de nos collègues du groupe Socialistes et apparentés est donc éminemment opportune. Elle s’inspire d’une proposition de la fameuse Convention citoyenne qui défendait la création d’un Défenseur de l’environnement afin de renforcer l’efficacité des voies de recours des citoyens et des citoyennes pour agir contre des atteintes à l’environnement et pour améliorer la transparence et la précision des rapports d’évaluation a priori des lois dans le domaine environnemental. Le rapport Muschotti, commandé par le Premier ministre Castex, concluait également, en juillet 2021, à l’utilité d’une telle nouvelle instance.

Le Défenseur de l’environnement disposerait ainsi, sur le modèle de la Défenseure des droits, d’un statut d’autorité administrative indépendante (AAI) qui lui permettrait d’assurer l’effectivité de l’application des normes environnementales. Cette autorité pourrait à la fois s’autosaisir ou être saisie par n’importe quelle personne. Elle rendrait des avis publics sur les projets et propositions de loi et les évaluations qui les accompagnent avant examen du Parlement. Elle aurait la possibilité d’être assistée par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions afin de favoriser la participation citoyenne. Elle disposerait d’un pouvoir de sanction délimité par loi organique. Enfin, sa création devrait simplifier le paysage institutionnel en fusionnant des organismes existants.

Nous sommes favorables à cette proposition, que nous souhaitons par ailleurs inclure dans une stratégie plus globale. Notre défi en tant que société est d’inscrire l’activité humaine dans le cadre des limites planétaires. Pour y répondre avec responsabilité et détermination, nous devons procéder à une bifurcation écologique. Il s’agit de changer la façon dont nous produisons, consommons et échangeons pour nous mettre en harmonie avec la nature, tout en garantissant des conditions de vie dignes à chacun. Cela doit être planifié.

La planification est d’abord une méthode, la règle directrice et le principe qui en oriente le contenu. Nous l’appelons la « règle verte ». Concrètement, cela signifie l’obligation, à l’échelle de la France, de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer ni de produire plus de pollution et de déchets que ce qu’elle peut supporter. C’est le sens des amendements d’appel que nous avons déposés concernant la règle verte et le principe de non-régression, la planification, les biens communs et le référendum sur les accords de libre-échange.

Nous voterons avec enthousiasme pour ce texte.

M. Ian Boucard (LR). Cette proposition de loi constitutionnelle du groupe socialiste vise à créer un Défenseur de l’environnement sur le modèle du Défenseur des droits. Il serait chargé de s’assurer de l’effectivité du principe constitutionnel de préservation de l’environnement et disposerait pour ce faire du statut d’autorité administrative indépendante. Il veillerait en particulier à la préservation et à l’amélioration constante de notre environnement. Il pourrait s’autosaisir ou être saisi par toute personne estimant que la préservation de l’environnement est menacée.

Si personne ne peut nier la nécessité de lutter contre le changement climatique, il convient de se demander si cette proposition de loi améliorerait la situation actuelle. Or, selon nous, il n’est pas nécessaire de créer une énième entité consultative appelée à se prononcer sur les projets de loi relatifs à l’environnement. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont l’efficience et le coût sont remis en cause, et dont nous venons d’étendre le champ de compétences, joue déjà ce rôle. De plus, la protection du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit consacré par notre Charte de l’environnement, entre pleinement dans les missions du Défenseur des droits : il appartiendra donc à celui-ci de s’investir dans ce domaine.

Enfin, rappelons l’existence du Haut Conseil pour le climat, organisme indépendant chargé de donner des avis et d’émettre des recommandations sur la mise en œuvre des politiques publiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre en France. Il a vocation à apporter un éclairage indépendant sur la politique du Gouvernement en matière de climat. Vous connaissez notre préoccupation constante de réduire le surcoût de la technostructure, que nous estimons à 25 milliards, et notre réticence à déléguer à une nouvelle autorité administrative indépendante des compétences importantes.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Nous comprenons les préoccupations des auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle. Je ne reviendrai pas sur les constats que le texte évoque s’agissant de la dégradation très préoccupante des indicateurs globaux de l’état de notre environnement, et ce, malgré l’évolution positive de notre droit, comme en témoigne la place fondamentale dans notre ordre juridique de la Charte de l’environnement, consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 juin 2008.

Le premier argument avancé pour justifier la création d’un Défenseur de l’environnement est le retard pris dans la publication de décrets d’application d’une loi, c’est-à-dire une situation certes déplorable mais classique de mauvais fonctionnement administratif. Pour y remédier, il nous est proposé beaucoup plus qu’un simple décalque de l’institution du Défenseur des droits : il s’agit de concentrer entre les mains d’une nouvelle autorité administrative indépendante des compétences et des moyens obtenus par dépeçage d’autres instances, tout en affichant l’ambition de lutter contre la complexité du droit et de donner plus de visibilité symbolique, d’impact administratif et politique à la protection de l’environnement.

Une telle proposition n’apparaît pas totalement réaliste. La description des missions de ce nouveau défenseur, dans un périmètre qui nous semble insuffisamment circonscrit, semble hésiter constamment entre évaluation, gestion, dénonciation tribunitienne, précontentieux et pouvoir de sanction. Ce mélange des tâches ne peut pas rendre justice aux intentions des auteurs. Aussi, il conviendra d’éviter tout risque d’empiétement et de confusion.

L’importance du sujet et des transformations institutionnelles qu’il entraîne mériterait cependant une approche concertée et une vision d’ensemble. La création d’un Défenseur de l’environnement indépendant mérite que nous œuvrions ensemble, dans le cadre d’une démarche d’évaluation globale et de la réflexion transpartisane sur les institutions que nous appelons de nos vœux.

Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrate votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je salue le rapporteur pour son travail, qui s’inscrit dans un contexte alarmant et répond à une demande des citoyens désemparés par l’ampleur du problème. La création d’un Défenseur de l’environnement s’inscrit également dans une histoire qui a vu naître et croître le droit de l’environnement, dont nous devons redouter le détricotage. Nous constatons en effet que les objectifs à court terme, chers à nos amis politiques, et l’argument de l’efficacité ont le beau rôle face aux protecteurs de l’intérêt général, qui ne sont pas toujours bien entendus.

Le Défenseur de l’environnement doit être vu comme un outil pour faire vivre la Charte de l’environnement et les droits qu’elle reconnaît aux citoyens : droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ; devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ; droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques. Comment assurer aux citoyens que ces droits à valeur constitutionnelle sont protégés, si ce n’est avec un Défenseur de l’environnement ?

Ce projet a le mérite de se calquer sur le dispositif que nous connaissons du Défenseur des droits. Il doit être directement connecté à la Charte de l’environnement et son périmètre devra être défini – nous n’en sommes là qu’aux travaux préparatoires, et cette proposition de loi ne demande qu’à prospérer dans le cadre de la séance publique. Nous pourrions nous retrouver sur certaines des missions qui seraient confiées au Défenseur : avis obligatoire avant tout texte sur l’environnement ; réception des alertes et protection des lanceurs d’alerte ; pouvoir d’autosaisine ; pouvoir d’enquête et d’investigation.

Le rapporteur a choisi la constitutionnalisation de cette institution, sur le modèle du Défenseur des droits, qui a pourtant moins de pouvoirs que bien d’autres autorités administratives indépendantes créées seulement par la loi. Ce choix est cohérent avec la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement. Au-delà des critiques, il faut s’attacher à l’objectif, qui est de garantir aux citoyens le droit de vivre dans un monde meilleur et mieux protégé des nuisances.

M. Didier Lemaire (HOR). Le droit de l’environnement s’est considérablement développé en France ces dernières années, avec l’intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité, en 2005, l’adoption de la loi « climat et résilience » en 2021 et l’arrêt du Conseil d’État du 20 septembre 2022 jugeant que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé constituait une liberté fondamentale.

Votre proposition de loi constitutionnelle vise à créer un Défenseur de l’environnement disposant du statut d’autorité administrative indépendante et ayant vocation à assurer l’effectivité de l’application des normes environnementales. Il serait doté d’un pouvoir de sanction s’agissant de la répression administrative et de déclenchement de la répression pénale. Il aurait pour mission de veiller à la préservation de l’environnement et des biens communs planétaires, à l’amélioration constante de cette préservation, à la reconnaissance par les politiques publiques des limites qui conditionnent l’habitabilité de la Terre et à rendre publics, lorsqu’il l’estime nécessaire, des avis sur les projets et propositions de loi.

Si je salue votre initiative, monsieur le rapporteur, je m’interroge toutefois sur sa réalisation d’un point de vue purement juridique. En effet, le champ d’intervention du Défenseur des droits est très insuffisamment circonscrit et la préservation des biens communs planétaires est une notion aux contours flous et potentiellement hors de notre sphère juridique. De plus, les compétences que vous souhaitez lui confier risquent d’entrer en collision avec celles d’autres institutions telles que le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel. Le Défenseur de l’environnement ne disposera pas de l’impartialité requise pour prononcer des sanctions, qu’elles soient dirigées contre l’État ou contre n’importe quelle personne publique ou privée. Cela engendrera un risque de conflit d’intérêts ou de confusion entre les différents pouvoirs.

Cette proposition de loi constitutionnelle mérite d’être travaillée plus en profondeur. Le groupe Horizons comprend l’intérêt symbolique à inscrire l’environnement au niveau constitutionnel. Toutefois, ce sujet est bien trop sérieux pour qu’on s’en saisisse par le biais d’un article unique d’une proposition de loi constitutionnelle déposée au détour d’une niche parlementaire, dont on connaît les limites procédurales.

Dès lors, le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je veux dire ma surprise à l’écoute des interventions des groupes Renaissance, Démocrate et Horizons. Ils prétendent partager l’objectif mais trouvent des arguments spécieux pour justifier de ne rien faire. L’urgence environnementale est là mais il faudrait repousser à plus tard l’adoption de mécanismes permettant d’améliorer la situation. Ce n’est pas cohérent.

Pendant très longtemps, les questions environnementales et d’écologie n’étaient pas déterminantes dans l’élaboration du droit, en dépit du consensus scientifique en la matière. Le droit progresse, certes, mais il n’est pas encore suffisamment appliqué. Ainsi, les préfets et les maires, qui disposent d’un pouvoir de sanction, privilégient toujours le court terme dans leurs arbitrages entre l’intérêt économique, l’intérêt social et l’intérêt environnemental, ce dernier étant toujours laissé de côté. Or, si tout le monde procède de cette manière, rien n’avance et l’environnement se dégrade.

D’autres processus sont envisageables : chambre parlementaire du futur ; personnalité juridique accordée à des fleuves, à des mers ou à des forêts ; inscription dans la Constitution d’un principe de non-régression environnementale ; recevabilité des amendements en matière environnementale sur le modèle de l’article 40 de la Constitution. En l’occurrence, la création d’un Défenseur de l’environnement n’a rien d’innovant : il s’agit d’un mécanisme connu et maîtrisé. Je ne comprends donc absolument pas la frilosité sur ce sujet.

En revanche, on peut débattre du contenu de ses prérogatives. S’agissant, par exemple, du fusionnement de l’ensemble des organismes existants, je serais personnellement réticent à y intégrer l’Autorité de sûreté nucléaire, qui ne me paraît pas relever de ce périmètre. De même, j’aimerais donner plus de poids à cette autorité en lui donnant le statut de d’autorité publique indépendante. On pourrait aussi discuter de l’autorité compétente pour désigner le futur Défenseur. Tous ces débats sont annexes : si vous avez des divergences, déposez des amendements plutôt que de bloquer cette évolution.

M. Jean-Louis Bricout (LIOT). Face au défi climatique, il est plus que temps de donner un coup d’accélérateur à nos politiques publiques environnementales. La simple consécration de droits environnementaux, même constitutionnels, ne permet pas d’assurer une protection effective. Le groupe LIOT soutient avec force la volonté de la Convention citoyenne pour le climat de créer un Défenseur des droits spécialisé dans les questions environnementales. Comme de trop nombreuses autres propositions, celle-ci avait été ignorée par le Président de la République, alors que le renforcement de la protection de l’environnement nous concerne tous et que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à le réclamer.

Le groupe LIOT accueille donc favorablement ce texte. La création d’un Défenseur des droits de l’environnement ne donne pas dans le symbole, au contraire. Il convient de lui donner une parfaite légitimité, comparable à celle du Défenseur des droits. De même, nous nous associons à la démarche visant à fusionner certaines institutions pour simplifier l’environnement administratif et institutionnel.

Nous souhaitons toutefois obtenir des précisions. Alors que le Défenseur des droits dispose d’un simple droit de suite, pourquoi privilégier un pouvoir de sanction pour celui de l’environnement ? Quelles seront ses compétences ? Interviendra-t-il uniquement pour la protection des droits collectifs ou pour toutes les requêtes ? Dans ce dernier cas, ne serait-il pas rapidement submergé par les demandes individuelles ?

Toutes ces interrogations ne nous empêcheront pas de voter en faveur de ce texte.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Qui aurait pu prédire la crise climatique ? La question n’est pas de moi mais du Président de la République. Cette phrase provocatrice balaie d’un trait de plume une dizaine de rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), vingt-sept conférences sur les changements climatiques (COP) et des décennies d’activisme écologique et de militantisme citoyen.

L’année 2022, la plus chaude jamais enregistrée en France, fut celle de l’urgence climatique. Cette époque est charnière. Elle nous invite à repenser non seulement nos pratiques mais également l’ensemble d’un système délétère à bien des égards. Notre arsenal juridique n’est pas étranger à ces problématiques : de l’intégration de la Charte de l’environnement au bloc de constitutionnalité en 2005 au vote de la loi « climat et résilience » en 2021, notre droit n’a cessé de s’étendre mais la question reste de son efficacité.

La présente proposition de loi pourrait rendre le droit de l’environnement plus contraignant. La constitutionnalisation du contrôle environnemental garantirait l’indépendance et l’inamovibilité du Défenseur des droits. En ce sens, le statut d’autorité administrative indépendante paraît le plus approprié. Il contrerait de manière indépendante les manquements constatés en matière de droit de l’environnement, assurant de fait l’effectivité de l’application des normes environnementales.

Je profite de cette intervention pour dire combien la lutte contre la crise climatique doit être au cœur de nos politiques publiques. Il est nécessaire d’engager une bifurcation écologique en proposant à la fois une planification écologique et une consolidation des droits sociaux, en réorientant les ressources de l’État. Nouveaux droits sociaux et révolution écologique, les deux vont évidemment de pair, car le président Macron et son monde néolibéral mènent une politique économique dévastatrice pour nos communs, pour les citoyens et citoyennes de l’Hexagone et des outre-mer.

Pour toutes ces raisons, le groupe GDR votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Je remercie les groupes qui soutiennent ce texte : ils ont compris l’importance de faire vivre le droit et de le faire appliquer, condition sine qua non pour que nos concitoyens aient confiance dans les décisions des autorités administratives et juridictionnelles.

Pourquoi une niche parlementaire ? Pour une raison simple : vous n’avez pas repris les propositions du rapport qu’un Premier ministre avait commandé à Cécile Muschotti, députée de votre majorité qui se disait favorable à la création d’un Défenseur de l’environnement. J’y ai donc moi-même donné suite, en proposant de nous inspirer du Défenseur des droits, dont la création a été une réussite.

Le périmètre devra naturellement être précisé. J’entends bien la question sur le fusionnement des autorités, notamment de l’Autorité de sûreté nucléaire. Je pense que celle-ci n’a pas vocation à être intégrée dans le futur Défenseur de l’environnement. Nous renvoyons à une loi organique pour trancher ces points. Nous avons collectivement posé une première pierre en adoptant la Charte de l’environnement : nous devons aller plus loin en créant cette nouvelle autorité.

Je termine avec des propos que le garde des sceaux tenait devant le Sénat, en juillet 2021 : « La Constitution doit s’adapter aux enjeux de notre temps, et donc être à la hauteur du défi écologique. Voilà pourquoi le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la Convention citoyenne pour le climat entendent garantir la protection de l’environnement. Ce combat est le nôtre ; il devrait être aussi le vôtre […] ». Je vous demande d’entendre ces propos.

Avant l’article unique

Amendement CL4 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). Cet amendement vise à ajouter un alinéa à la Charte de l’environnement afin que les communs indispensables à la vie ne soient plus soumis à des conventions marchandes et soient gérés dans la transparence avec les citoyens. Douze ans après le vote de la France aux Nations unies pour que l’eau et l’accès à l’assainissement soient considérés comme un droit fondamental de l’humanité, ce dernier ne figure toujours pas dans notre bloc constitutionnel.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Les biens communs présentent en effet une nature particulière et doivent bénéficier d’une protection spécifique. Toutefois, il ne me paraît pas opportun de modifier la Charte de l’environnement, qui constitue un ensemble cohérent et intégré au bloc de constitutionnalité depuis 2005. Je ne souhaite pas que nous revenions sur des textes essentiels et, pour ainsi dire, figés, qu’il s’agisse de la Charte de l’environnement, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou du préambule de la Constitution. Ma proposition de loi constitutionnelle a une ambition plus humble. À trop étendre son champ, nous risquerions de compromettre son adoption. C’est pourquoi je vous demande de retirer votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL3 de Mme Danièle Obono.

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). Il s’agit, par cet amendement d’appel, d’inscrire dans la Charte de l’environnement le principe de non-régression et la règle verte, ce qui donnerait un cap aux pouvoirs publics, offrirait de la lisibilité à nos concitoyens et constituerait une feuille de route claire pour le Défenseur de l’environnement. On affirmerait ainsi, au sommet de la hiérarchie des normes, qu’on ne peut plus prélever sur la nature plus qu’elle ne peut reconstituer chaque année et qu’on ne peut plus produire ce qu’elle ne peut supporter.

M. Gérard Leseul, rapporteur. L’idée est très intéressante ; j’avais d’ailleurs déposé des amendements en ce sens. La Charte de l’environnement fait référence au devoir de toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. Toutefois, le Conseil constitutionnel a toujours refusé de reconnaître l’existence d’un principe constitutionnel de non-régression. C’est regrettable, mais, pour l’heure, je me concentre sur la création du Défenseur de l’environnement, qui n’est pas le même débat.

Par ailleurs, la règle verte, dont j’approuve également le principe, est moins établie scientifiquement que les limites planétaires. Pour ces raisons, je vous demande de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

Amendements CL5 et CL6 de Mme Danièle Obono.

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). L’amendement CL5 vise à assurer une réelle planification de la bifurcation écologique en conformité avec les droits humains fondamentaux. Il réaffirme la reconnaissance et la protection des biens communs gérés démocratiquement. Il vise à garantir la prééminence de l’intérêt général sur les intérêts particuliers dans la conduite des activités sociales, comme la recherche scientifique. Il promeut le développement des services publics et souligne que la propriété privée ne peut être l’alpha et l’oméga de notre société, sans pour autant chercher à l’abolir.

L’amendement CL6 vise à rendre obligatoire le recours au référendum pour ratifier les traités de commerce, notamment de libre-échange, tant ils sont dévastateurs pour les écosystèmes et la biosphère – le jardin planétaire, selon le paysagiste Gilles Clément.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Les implications de votre amendement CL5 sont extrêmement étendues : gestion démocratique des biens communs, nationalisation de l’ensemble des activités de recherche scientifique, soumission du droit de propriété à l’intérêt général… Cela nécessiterait un long débat. Par ailleurs, certaines dispositions paraissent superfétatoires, en particulier les articles 4-1 et 4-5 que vous entendez insérer dans la Constitution et qui prévoient que cette dernière s’applique. L’objet de cet amendement excède celui de ma proposition. Je vous demande donc de le retirer.

Je vous en demande autant pour l’amendement CL6. D’abord, aux termes de l’article 53 de la Constitution que vous souhaitez compléter, les traités de commerce « ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ». Ils font donc déjà l’objet d’un contrôle démocratique. Si nous devions organiser un référendum chaque fois que la France conclut un accord international, notre procédure de ratification s’en trouverait considérablement alourdie.

Ensuite, pourquoi se limiter aux traités de commerce ayant des incidences sociales ou environnementales, sans prendre en compte les autres traités mentionnés à l’article 53, en particulier les traités de paix, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État ou ceux qui modifient des dispositions de nature législative ? Là encore, cela embrasse un vaste champ, qui excède celui de la proposition de loi et qui nécessiterait un large débat.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Ces amendements n’ont pas seulement valeur d’appel. À notre sens, une institution comme le Défenseur de l’environnement devrait s’inscrire dans le cadre d’une stratégie que se donne la Nation. Nous nous trouvons à un moment de l’histoire de l’humanité qui nécessite que l’on révise l’ordre de nos priorités et que l’on grave celles-ci dans le marbre de la Constitution. Le droit du commerce, par exemple, ne doit plus prévaloir sur la protection de l’environnement. Le libre-échange est l’un des facteurs qui empêche une véritable bifurcation.

C’est effectivement un débat plus global et nous continuerons à soulever ces enjeux. Pour l’heure, nous retirons les amendements.

Les amendements sont retirés.

Article unique : (article 71-2 [nouveau] de la Constitution) Création d’un Défenseur de l’environnement

Amendement de suppression CL11 de M. Romain Baubry.

M. Romain Baubry (RN). Il s’agit de supprimer l’article unique d’une proposition de loi constitutionnelle floue, qui ne recèle aucune utilité véritable pour nos compatriotes. Cette nouvelle autorité administrative chargée d’une mission lacunaire s’arrogera le droit de s’autosaisir pour surveiller et sanctionner le comportement de toute personne dès qu’elle estimera qu’une violation de l’environnement a été commise. Demain, ce seront nos agriculteurs, nos chasseurs, nos automobilistes, déjà grandement harcelés par certains lobbies ou groupuscules d’extrême gauche, qui seront pointés du doigt par ce futur porte-flingue de l’écologie punitive. Cette autorité administrative déconnectée ne saurait concilier l’intérêt des Français et la protection de l’environnement. Nos compatriotes seraient une nouvelle fois victimes d’une politique plus démagogique qu’utile. Nous nous opposerons donc à la création de cette instance.

M. Gérard Leseul, rapporteur. De notre point de vue, la création d’un Défenseur de l’environnement est une nécessité. Elle répond à un besoin, à une demande sociale. Ce n’est pas une idée nouvelle : elle a été formulée par de nombreux experts au cours des dix dernières années ; elle figure dans les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Nous avons consulté de nombreux constitutionnalistes, qui y voient un intérêt manifeste. Des citoyens réclament une autorité indépendante ; ils estiment que cela renforcerait la confiance dans les décisions publiques. Par ailleurs, la fusion d’autorités existantes permettrait de mutualiser des moyens et éviterait de créer une charge supplémentaire. Enfin, cela ne remettrait pas en cause la nécessité de conduire une politique ambitieuse en matière d’environnement.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL7 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à faire du Défenseur de l’environnement une autorité publique indépendante (API). Il s’agit de lui conférer la personnalité juridique, de lui permettre d’ester en justice et de le doter d’une liberté budgétaire. Il doit avoir les moyens d’action les plus étendus possible.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Il ne me semble pas utile d’inscrire dans la Constitution le statut juridique de cette entité. À titre d’exemple, c’est la loi organique qui confère au Défenseur des droits la qualité d’autorité administrative indépendante. Ni les AAI ni les API ne sont mentionnées dans la Constitution. Toutefois, sur le fond, il s’agit d’une question essentielle et complexe, que Mme Cécile Muschotti avait soulevée dans son rapport, sans véritablement la trancher. Il reviendra au législateur organique de se prononcer sur ce point. Je suis tout prêt à en discuter avant le passage en séance.

Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL13 de M. Gérard Leseul.

Amendement CL10 de M. Jérémie Iordanoff et sous-amendement CL14 de M. Gérard Leseul.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’amendement vise à inscrire dans la Constitution le principe de non-régression. J’ai déposé deux versions de cet amendement, qui répondent à deux logiques différentes : l’amendement CL10 définit le principe ; l’amendement CL8 renvoie sa définition à la Charte de l’environnement, dont le Conseil constitutionnel n’a pas reconnu la pleine portée juridique. On a besoin d’une disposition explicite dans la Constitution concernant ce principe.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Je partage votre objectif et je vous invite à adopter l’amendement CL10 modifié par mon sous-amendement afin d’éviter la mention redondante de l’amélioration constante.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le principe de non-régression est en effet suffisamment explicite par lui-même. Je suis favorable au sous-amendement et retire l’amendement CL8.

La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.

L’amendement CL8 de M. Jérémie Iordanoff est retiré.

Amendement CL2 de Mme Julie Lechanteux.

Mme Julie Lechanteux (RN). Il s’agit d’inclure la protection des conditions de vie des Français dans les missions de cette autorité administrative. Paradoxalement, les citoyens français sont les grands absents de ce texte alors qu’ils sont les premiers affectés par la question environnementale. Faire adhérer nos compatriotes à des politiques environnementales ambitieuses est nécessaire à la réussite de celles-ci. Leurs libertés ne doivent pas être sacrifiées sur l’autel d’une écologie déconnectée du réel.

Le Rassemblement national défend une écologie positive, enracinée dans la transmission de nos territoires, qui porte un espoir de vie meilleure pour l’ensemble de nos compatriotes. Les Français adaptent leur mode de vie et agissent chaque jour pour préserver l’environnement. Ils font preuve d’une bonne volonté remarquable tant dans la manière de consommer, de se déplacer que de se chauffer. Pourtant, les classes populaires sont régulièrement victimes de l’écologie punitive. La France populaire des gars « qui fument des clopes et roulent au diesel », méprisée par la macronie, ne doit pas être une nouvelle fois victime d’intrusions démagogiques et idéologiques dans son mode de vie.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Ma proposition n’a pas pour objet d’appliquer une politique punitive, comme vous le dites, mais d’assurer la mise en œuvre effective du droit de l’environnement, au bénéfice des citoyens. C’est en respectant l’environnement et les limites planétaires, en préservant l’habitabilité de la Terre et, globalement, en appliquant les principes de la Charte de l’environnement que nous permettrons à tous les habitants de notre pays, qu’ils soient français ou non, de vivre dans des conditions dignes. Par ailleurs, le bloc de constitutionnalité – je pense par exemple à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou au préambule de la Constitution de 1946 – énonce des droits économiques et sociaux bien plus concrets que la référence, vague, à des conditions de vie dignes.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL9 de M. Jérémie Iordanoff et sous-amendement CL16 de M. Gérard Leseul.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à étendre la liste des textes sur lesquels le Défenseur de l’environnement peut rendre un avis public, en y incluant les projets d’ordonnance relevant de l’article 38 de la Constitution et toute décision publique ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement, c’est-à-dire, essentiellement, des textes réglementaires et des projets d’aménagement.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Cette extension me paraît tout à fait pertinente. Je propose d’ajouter à la liste, par voie de sous-amendement, les projets de texte réglementaire. Il s’agit de permettre au Défenseur de l’environnement d’examiner les décrets les plus importants du point de vue de la préservation de l’environnement.

Avis favorable à votre amendement sous-amendé.

La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.

Amendement CL18 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Cet amendement de précision vise à ce que la loi organique définisse la bonne articulation entre les compétences du Défenseur de l’environnement et celles du Défenseur des droits.

La commission rejette l’amendement.

La commission rejette l’amendement de précision CL17 de M. Gérard Leseul.

 

Amendement CL12 de M. Romain Baubry.

M. Romain Baubry (RN). Il s’agit, par cet amendement, de supprimer le pouvoir de sanction du Défenseur de l’environnement. Le texte renvoie habilement à la loi organique la fixation des conditions d’octroi de ce pouvoir. La proposition de loi n’établit pas de distinction claire entre ces attributions et celles dont disposent les juridictions. On nous propose de confier un pouvoir de sanction à une autorité administrative sans nous indiquer ce qu’il apporterait de concret aux justiciables pour l’exercice de leurs droits. Nous n’accepterons pas que la Constitution confère un pouvoir de sanction à une autorité administrative sans qu’aucune limite lui soit clairement apportée. Ces attributions laissent transparaître le risque d’une intrusion intempestive dans le quotidien des Français.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Je suis très défavorable à cet amendement, car il est important d’assurer le respect du droit de l’environnement en confiant au Défenseur de l’environnement un pouvoir de sanction administrative. Celui-ci sera précisé et encadré par la loi organique dans le respect de la jurisprudence constitutionnelle.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL19 de M. Gérard Leseul.

La commission rejette l’article unique.

L’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle est ainsi rejeté.

 

La séance est levée à 13 heures 30.

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Membres présents ou excusés

 

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, Mme Béatrice Descamps, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, M. Philippe Dunoyer, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier‑Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, Mme Karine Lebon, Mme Julie Lechanteux, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, M. Gérard Leseul, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, M. Ludovic Mendes, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Aurélien Pradié, M. Stéphane Rambaud, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan

Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Raquel Garrido, M. Rémy Rebeyrotte

Assistaient également à la réunion. - M. Gabriel Amard, M. Xavier Breton, M. Jean‑François Coulomme, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. William Martinet, M. Christophe Naegelen, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Roger Vicot