Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

 Audition de M. Fabrice Melleray, dont la nomination est proposée par la Présidente de l’Assemblée nationale en qualité de membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et choix sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement (M. Ian Boucard, rapporteur)                            2

 Audition de Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, sur son rapport annuel                12

 

 

 


Mercredi
27 septembre 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 76

session extraordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Sacha Houlié, président


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La séance est ouverte à 9 heures 05.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La commission auditionne M. Fabrice Melleray, dont la nomination est proposée par la Présidente de l’Assemblée nationale en qualité de membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Lien vidéo : https://assnat.fr/N0CmEA

M. le président Sacha Houlié. Nous allons procéder à l’audition de M. Fabrice Melleray, dont la nomination en tant que membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) est proposée par la présidente de l’Assemblée nationale, en remplacement de M. Christophe Pallez.

Le 25 janvier, nous avions confirmé à l’unanimité la nomination de M. Pallez, mais celui-ci a finalement renoncé à rejoindre la HATVP, pour des raisons d’incompatibilité avec ses anciennes fonctions de déontologue de l’Assemblée nationale. La présidente de l’Assemblée nationale a donc décidé de proposer votre nom, monsieur Melleray. Vous êtes professeur de droit public, spécialisé dans le droit de la fonction publique.

Pour cette proposition de nomination, le rapporteur est M. Ian Boucard, du groupe Les Républicains. Il vous a transmis un questionnaire, dont les réponses ont été communiquées aux membres de la commission et mises en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 19 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit que le candidat doit réunir une majorité positive de trois cinquièmes des suffrages.

M. Ian Boucard, rapporteur. Les auditions en lien avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ont toujours une résonance particulière au sein de notre assemblée car nous sommes directement concernés par ses compétences et par sa mission, celle d’améliorer la confiance des citoyens dans leurs élus et leur administration.

Les obligations fixées par la loi et contrôlées par la HATVP sont très exigeantes, mais elles permettent à chacun d’entre nous de s’interroger sur ses pratiques : les conflits d’intérêts, le lobbying dont nous faisons l’objet, la menace constante de la corruption. Si ce cadre nous paraît parfois contraignant, nous ne devons pas oublier qu’il constitue une protection contre le risque de sanctions pénales très lourdes. Preuve de la confiance qu’il accorde à la HATVP et de l’importance qu’il donne aux questions de déontologie, le législateur a élargi ses compétences au contrôle des représentants d’intérêts en 2016, puis au contrôle des mobilités entrantes et sortantes des fonctionnaires en 2019.

La HATVP est au cœur du débat public et de la vie politique de notre pays. Loin de chercher la lumière à tout prix, elle œuvre souvent discrètement pour accompagner les élus et les agents publics et faire grandir une culture de la déontologie. La responsabilité de cette autorité est immense et il est de notre devoir de nous assurer que les membres de cette institution sont les plus compétents possible.

En application de l’article 29-1 de notre règlement, notre commission est amenée à se prononcer sur la nomination d’un nouveau membre au sein du collège de la HATVP, sur proposition de notre présidente, M. Christophe Pallez n’ayant pu prendre ses fonctions.

Vous êtes loin d’être un second choix, monsieur Melleray, car votre parcours est remarquable. Agrégé de droit public en 2002, vous avez été successivement professeur des universités à Poitiers, Bordeaux IV et Paris I. Vous êtes désormais professeur à l’École de droit de Sciences Po et directeur de l’AJDA, la principale revue d’actualité juridique en droit administratif. Vous avez également publié de nombreux ouvrages de référence, notamment en droit de la fonction publique, ce qui n’est pas sans lien avec notre sujet. Vos compétences juridiques sont donc indéniables et correspondent aux fonctions auxquelles vous prétendez.

Je vous ai adressé plusieurs questions concernant votre personnalité et votre vision du rôle de la HATVP dans notre organisation institutionnelle. Je vous remercie d’y avoir apporté, dans des délais très courts, des réponses détaillées et précises, qui montrent à la fois votre rigueur juridique et votre excellente connaissance de l’institution.

À la lecture de vos réponses, trois questions supplémentaires me sont venues à l’esprit. La première concerne vos expériences. La connaissance pratique de la vie des élus, des institutions et des administrations ne risque-t-elle pas de vous faire défaut dans l’exercice de vos fonctions ? La deuxième concerne votre carrière universitaire, qui est riche et dynamique. Quelle part de votre temps pensez-vous consacrer à la Haute Autorité ? Comment envisagez-vous de concilier vos missions auprès de la HATVP avec vos activités professorales et éditoriales ? Enfin, quels sont, selon vous, les principaux défis qui attendent la HATVP dans les prochaines années et dans quelles mesures vos compétences seront-elles un atout pour les relever ?

M. Fabrice Melleray. J’ai l’honneur de me présenter devant vous, parce que la présidente de l’Assemblée nationale a proposé de me nommer pour six ans, non renouvelables, au sein du collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

J’entame la seconde moitié de ma carrière académique. Je suis professeur de droit public depuis septembre 2002 et j’enseigne depuis cinq ans à l’École de droit de Sciences Po. Je suis donc fonctionnaire de l’État en activité. Depuis ma thèse de doctorat, je suis spécialisé en droit administratif et j’ai mené d’assez nombreux travaux en droit de la fonction publique, en publiant notamment un manuel dont la sixième édition est en préparation. Dans ce cadre, je me suis évidemment intéressé aux questions déontologiques, aux attributions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et aux incidences de ces dernières sur la situation des fonctionnaires et autres agents publics. Vous avez toutefois raison, monsieur le rapporteur, je me suis davantage focalisé sur ce volet que sur le contrôle de la situation des élus et des membres du Gouvernement.

À ces travaux académiques s’ajoute, depuis un peu plus de cinq ans, une expérience plus concrète et pratique de la déontologie. J’ai en effet intégré, en 2018, le collège de déontologie du ministère de la culture. J’en assure la vice-présidence et mon mandat – c’est le deuxième – prendra fin en avril 2024. Cet organe collégial est présidé par M. Alain Ménéménis, conseiller d’État honoraire, et l’autre vice-présidence est assurée par Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre au Conseil d’État.

Le champ de compétences de ce collège de déontologie est différent de celui de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Cependant, de nombreuses questions traitées sont de même nature, comme le contrôle des projets de reconversion ou de cumul d’activités ou l’appréciation portée sur les questions souvent délicates de conflits d’intérêts. Pour illustrer cette proximité, j’évoquerai quelques-uns des cas que nous avons examinés entre septembre 2022 et mai 2023 – notre dernier rapport annuel a été publié au printemps.

Un agent public peut-il exercer une activité accessoire consistant à intervenir contre rémunération lors de séminaires ou de colloques ? Un administrateur de l’État peut-il devenir cadre dans une entreprise avec laquelle le ministère a conclu des marchés publics ? Quelle conduite un établissement public doit-il adopter à l’égard de son ancien dirigeant qui, une fois parti dans le secteur privé, souhaite continuer à entretenir des relations contractuelles avec son ancienne administration ? Un agent peut-il publier un livre en utilisant une documentation produite dans le cadre de ses fonctions administratives sans saisir au préalable l’administration de son projet ? Ces quelques questions peuvent faire écho à des problématiques traitées par la HATVP.

Ces deux éléments de mon parcours expliquent peut-être que la présidente de l’Assemblée nationale, que je remercie pour sa confiance, ait envisagé ma nomination à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, parmi les deux personnalités qualifiées qu’il lui revient de nommer.

J’en viens à la manière dont j’appréhende les fonctions qui pourraient m’être confiées. La liste des attributions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’est, comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, élargie depuis sa création par le législateur en 2013, ce qui traduit la confiance que vos prédécesseurs et vous-mêmes avez en cette institution. L’évolution est telle qu’une auteure a récemment soutenu qu’il s’agissait d’une institution d’un genre entièrement nouveau, marquant « la naissance d’une nouvelle branche de la séparation des pouvoirs », dédiée à l’exigence de probité. Elle développe ainsi l’idée qu’il existerait un quatrième pouvoir. Je ne partage absolument pas cette appréciation. À l’instar de la plupart des observateurs, je considère que si la HATVP a un objet et des missions spécifiques, elle demeure l’une des nombreuses autorités administratives indépendantes créées ces dernières décennies par le législateur. Elle n’est rien de plus, et rien de moins.

Mon mandat au sein de ce collège serait soumis à des règles de déontologie strictes, issues de la loi de 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes, mais aussi de textes portant spécifiquement sur cette institution, qu’il s’agisse de dispositions législatives ou de son règlement intérieur, qui excède les exigences législatives. Dans un souci d’exemplarité, certaines pratiques de la HATVP vont même au-delà des obligations fixées par les textes. Je citerai un seul exemple. Si vous confirmez ma nomination, ma déclaration de patrimoine – comme celle de l’ensemble des membres du collège – sera publiée sur le site de la Haute Autorité. Il s’agit d’un choix de l’institution. Le seul équivalent concerne les membres du Gouvernement. Je serai soumis à une obligation de réserve renforcée, prévue par le règlement intérieur, à une obligation de discrétion, de respect du secret professionnel, de probité et d’impartialité. Tous les textes se combinent pour dessiner un cadre déontologique exigeant, ce qui est parfaitement logique eu égard à l’importance des informations qui circulent au sein du collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Les compétences de la HATVP se sont progressivement diversifiées. Initialement conçue pour garantir la probité des gouvernants et plus largement des décideurs publics, elle s’est ensuite vu confier d’autres missions importantes, comme le contrôle des représentants d’intérêts, et a repris des tâches qui incombaient précédemment à la commission de déontologie de la fonction publique. Toutes ses missions ne sont pas de même nature, mais elles reposent sur les mêmes piliers, à savoir : prévention et lutte contre les conflits d’intérêts ; valorisation de la probité et de la transparence. Elles visent en outre un seul et même objectif : qu’un « tiers de confiance » exerce un contrôle et édicte des avis, afin d’éviter une détérioration du lien de confiance qui doit, si l’on ne veut pas risquer une crise démocratique, unir les gouvernants et les administrateurs d’une part, et les gouvernés d’autre part.

De mon point de vue, le bilan de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est tout à fait satisfaisant. Cependant, il est toujours possible d’améliorer le fonctionnement d’une institution, qu’elle soit publique ou privée.

Le fonctionnement quotidien de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pourrait ainsi être simplifié et elle a elle-même suggéré quelques évolutions. Elle souhaiterait notamment avoir la possibilité de consulter directement les établissements bancaires et financiers, sans passer par l’intermédiaire des services fiscaux. Cette réforme nécessiterait une révision législative, mais elle ne modifierait nullement l’étendue des informations communiquées à cette institution. Elle permettrait, en revanche, d’accélérer la procédure. De même, la HATVP souhaiterait être dotée d’un pouvoir de sanction administrative en cas d’absence de dépôt des déclarations d’intérêts ou de patrimoine. En l’état de la législation, les dossiers sont transmis au parquet, qui n’a pas le temps de les examiner. Constituer un collège des sanctions, distinct du collège que je prétends intégrer, apporterait de la fluidité.

Au-delà de ces réformes ponctuelles, faut-il modifier des éléments plus substantiels ? Je n’en suis pas certain.

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique exerce-t-elle ses attributions dans les meilleures conditions ? On lit parfois qu’elle entraverait exagérément les projets de pantouflage ou de reconversion. La lecture de ses avis me paraît toutefois démentir cette appréciation alarmiste. Les avis d’incompatibilité sont peu fréquents et, si les avis de compatibilité avec réserves sont nombreux, ils visent avant tout à sensibiliser leurs destinataires sur l’existence d’un risque pénal. Loin d’être un obstacle, la HATVP joue un rôle protecteur des intérêts des personnes qui sont soumis à son contrôle.

S’agissant d’une possible extension des pouvoirs de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, notamment en matière de recours à des cabinets de conseil ou de lutte contre la corruption, je considère que ses missions sont déjà nombreuses et que l’attribution de nouvelles compétences exigerait des moyens humains supplémentaires. Il vous appartiendra toutefois, en votre qualité de législateur, d’apprécier l’opportunité d’une telle réforme et de prendre les décisions qui en découleraient dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.

Le bilan de dix années d’activité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique fera l’objet d’un colloque dans les murs de l’Assemblée nationale, à la date anniversaire de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Vous y interviendrez, monsieur le président, dans une table ronde intitulée « La transparence : gage de confiance ? ». À elle seule, la transparence ne suffit pas à garantir la confiance. En se focalisant sur tel ou tel cas particulier, elle peut même nourrir la défiance et la suspicion à l’égard des décideurs publics. Je suis néanmoins convaincu que l’exercice de transparence est une nécessité démocratique et qu’elle est d’une grande utilité. Le bilan de l’activité de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique confirme le niveau très élevé de probité des décideurs publics dans notre pays. La prévention des conflits d’intérêts est nettement mieux assurée qu’elle ne l’était il y a encore quelques années. Participer à cette mission d’intérêt général serait, si vous m’accordez votre confiance, un grand honneur !

Mme Élodie Jacquier-Laforge (Dem). J’interviens en tant que présidente de la délégation du Bureau chargée de la transparence et des représentants d’intérêts. Je porte une attention particulière aux relations entre les groupes d’intérêts et les parlementaires. De nombreuses pistes ont été envisagées pour les clarifier, notamment dans le rapport rédigé par mon prédécesseur, Sylvain Waserman, et dans celui de nos collègues Cécile Untermaier et Gilles Le Gendre.

Je voudrais vous soumettre un cas pratique. La présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat ont récemment mis en demeure un groupe, dont vous retrouverez aisément le nom, et lui ont demandé de respecter les obligations déontologiques auxquelles les représentants d’intérêts sont assujettis. Le président de la HATVP a eu une appréciation différente de la situation, même s’il a constaté un « manque de rigueur et de mesure » de la part de ce groupe dans ses activités de lobbying. Chacun doit rester dans son rôle et intervenir en toute indépendance, mais comment envisagez-vous de travailler avec les assemblées parlementaires ?

M. Gilles Le Gendre (RE). Dix années sont une durée suffisante pour évaluer l’action de la HATVP au service des Français et d’une plus grande confiance dans la vie publique. Elle s’est définitivement installée comme un organe déterminant pour le bon fonctionnement de nos institutions. Elle aborde néanmoins cette nouvelle décennie en faisant face à de nombreux défis, que vous avez vous-même énumérés. J’insisterai pour ma part sur la nécessité d’un équilibre, ô combien complexe, entre une défense intransigeante de la transparence et le risque d’excès bureaucratiques ou tatillons.

L’encadrement de la représentation d’intérêts est indispensable pour renforcer la transparence dans la prise de la décision publique. Avec ma collègue Cécile Untermaier, nous avons réalisé une mission flash sur ce sujet, qui s’est traduite en une proposition de loi transpartisane, que nous souhaiterions voir inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée.

Quel progrès devons-nous accomplir pour guider le contrôle des représentants d’intérêts et leur inscription au répertoire numérique ? Vous avez souligné le caractère collégial de la HATVP mais, compte tenu de votre expérience en matière de déontologie, dans quels domaines souhaiteriez-vous imprimer une marque plus personnelle au cours de votre mandat ?

M. Philippe Schreck (RN). Depuis le 1er février 2020, la Haute Autorité est compétente en matière de déontologie dans la fonction publique. À ce titre, elle émet donc des avis relatifs à la mobilité des hauts fonctionnaires. Dans vos réponses au questionnaire du rapporteur, vous indiquez que plus des deux tiers des avis expriment une compatibilité avec réserves. Vous sous-entendez toutefois que l’effectivité du contrôle pourrait s’avérer problématique, compte tenu de l’insuffisance des moyens dont dispose l’institution.

Vous appelez à doter la Haute Autorité d’un pouvoir de sanction administrative en cas de manquement à l’obligation de déclaration et à renforcer ses pouvoirs. Comment envisagez-vous le suivi concret des réserves qui sont émises ? Comment garantir l’effectivité des sanctions en cas de non-respect de ces dernières ?

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). La HATVP a pour mission d’assurer la transparence, pour essayer de rétablir la confiance des Français dans la vie politique. Pour le moment, l’objectif n’est pas atteint, puisque 81 % des Français n’ont pas confiance dans les partis politiques. Les Françaises et les Français ont souvent l’impression – justifiée – que les personnalités politiques au pouvoir votent des lois qui vont à l’encontre de leurs intérêts, par exemple lorsqu’ils font passer en force une réforme des retraites avec un 49.3, alors que la majorité du peuple y est opposée.

Nos concitoyens se détournent de la politique, parce qu’ils ont parfois tendance à considérer que les élus font tous n’importe quoi et que, d’une certaine manière, ils sont tous un peu corrompus. Le rôle de la HATVP est de lutter contre cette idée-là. Rendre publics les patrimoines mobiliers, les portefeuilles d’actions et les participations détenues dans des entreprises y contribue, mais des progrès restent à faire au sujet du patrimoine immobilier, car celui-ci peut influer sur le choix des élus, notamment en matière de taxation.

Pourquoi les déclarations de patrimoine des membres du Gouvernement et des membres de la HATVP sont-elles facilement accessibles en ligne, alors que celles des députés et sénateurs doivent être consultées en préfecture ? Comment justifier cette transparence « à moitié » ? Assurer une transparence totale sur le patrimoine, y compris immobilier, des élus de la nation, serait un moyen de rétablir la confiance de la population.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Votre candidature, que vous avez sans doute proposée, souligne l’importance d’avoir des « sachants » au sein du collège de la HATVP.

Le bilan de son activité confirme la probité de la majorité des élus et des gouvernants ; je vous remercie de l’avoir rappelé dans votre exposé. Mes propos vont dans le même sens que ceux de mon collègue Léaument. S’il est normal de s’attarder sur les cas critiques, cette réalité très positive mériterait d’être plus souvent mise en avant. En rejoignant la HATVP, pourriez-vous y contribuer ?

Vous avez relevé les progrès faits en matière d’appréciation des conflits d’intérêts. Je  partage votre point de vue s’agissant des sphères supérieures du pouvoir. Des problèmes restent en revanche à régler au niveau local, où des conflits d’intérêts se nichent dans beaucoup de situations.

Nous avons défendu l’idée de faire de la HATVP un acteur clé de la déontologie, en lui confiant un rôle de chef d’orchestre et de diffuseur de cette culture. Pensez-vous qu’elle est en mesure d’assumer cette responsabilité ? Devons-nous prévoir de nouvelles réformes ?

M. Philippe Pradal (HOR). Vous évoquez la possibilité de doter d’un pouvoir de sanction autonome la Haute Autorité, ce que cette dernière avait d’ailleurs déjà envisagé. Cette solution permettrait d’éviter des sanctions pénales qui soit ne sont pas prononcées, soit peuvent sembler démesurées par rapport aux manquements constatés.

Dans la procédure devant la Haute Autorité, la place du contradictoire pourrait-elle être renforcée, afin d’éviter les difficultés auxquelles sont parfois confrontés les nouveaux élus ou les élus de petites collectivités ?

Enfin, comment la coordination avec les dispositifs de déontologie mis en place dans les collectivités territoriales pourrait-elle être améliorée ? Sans aller jusqu’à une harmonisation de la doctrine, des lignes directrices pourraient être fixées, par exemple dans le cadre d’instances de partage. Pensez-vous que la Haute Autorité a un rôle à jouer dans ce domaine ?

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Le travail de la HATVP est fondamental, car la démocratie sort toujours abîmée des affaires qui éclatent chaque semaine dans notre actualité. Une partie d’entre elles ne relève pas des attributions la Haute Autorité : je pense par exemple aux détournements de fonds ou aux violences sexuelles et sexistes. Il faudrait peut-être envisager qu’elle puisse également s’en saisir, mais je vais probablement un peu loin.

S’agissant de l’élargissement possible des missions dévolues à la HATVP, nous avons tous été marqués par l’annulation de l’agrément de l’association Anticor. Il revient à un membre du Gouvernement, en l’occurrence au garde des sceaux, de statuer sur l’agrément permettant à une association ayant pour objet de lutter contre la corruption de se porter partie civile. Considérant qu’un tel mode de fonctionnement n’était pas acceptable, les Écologistes ont proposé que cette mission soit confiée à une autorité indépendante, en l’occurrence la HATVP. Quelle est votre position à ce sujet ? Nous sommes ici au cœur de la lutte contre les conflits d’intérêts.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Monsieur Melleray, l’institution que vous pourriez rejoindre à l’issue de cette audition joue un rôle essentiel dans la vie démocratique, en particulier face aux attentes croissantes des citoyens en matière de transparence et de probité des responsables publics.

Selon vous, quelles sont les mesures que la HATVP pourrait déployer pour renforcer la confiance de la population envers les élus que nous sommes ?

Ces dernières années, la Haute Autorité a connu un élargissement de ses compétences en matière de lobbying. Un répertoire des lobbyistes a été créé. En dépit de ces évolutions positives, le président de la HATVP continue de souligner les limites de son action, notamment en l’absence de code de déontologie des représentants d’intérêts. Celui-ci était prévu par la loi Sapin 2 mais n’a jamais vu le jour. Quelle est votre position à ce sujet ?

Enfin, plusieurs associations ont récemment dénoncé le lobbyiste Phyteis, un fabricant de pesticides, pour un manquement à ses obligations de déclaration. La présidente de notre assemblée lui a adressé une mise en demeure. De son côté, la HATVP n’en fera rien. Que pensez-vous de cette divergence d’appréciation ? Si vous aviez été membre de cette institution, auriez-vous été favorable à l’envoi d’une mise en demeure ?

Mme Edwige Diaz (RN). Auditionné par notre commission le 28 juin, M. Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, proposait de doter l’instance d’un pouvoir de sanction administrative. Selon lui, une amende administrative serait plus appropriée qu’une procédure pénale pour les élus ne remplissant pas leurs obligations déclaratives. Depuis 2020, il renouvelle régulièrement cette demande dans les interviews qu’il accorde ou lors de ses auditions. Seriez-vous favorable à une telle évolution ?

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). M. Jean-Louis Nadal, ancien président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a écrit un rapport remarquable sur l’exemplarité des responsables publics, intitulé Renouer la confiance publique. Ce texte comporte beaucoup de préconisations. J’ai été particulièrement intéressée par son analyse du peu de place laissée par le droit français à la révocation des élus.

La révocation des élus peut être analysée comme une revendication populiste et démagogique, en particulier par des élus qui ont tout à craindre d’un tel dispositif. Pourtant, elle constitue plutôt la norme à l’échelle planétaire. On la retrouve dans presque tous les continents et dans de très nombreux pays, par exemple aux États-Unis. C’est même, en réalité, une invention française : sous la Révolution, on parlait du « rappel » des élus et même, dès le Moyen Âge, des commis de confiance.

Aujourd’hui, le Président de la République est dans une situation de totale irresponsabilité constitutionnelle, ce qui génère une culture de l’impunité qui rejaillit sur toute la classe politique. Que pensez-vous d’accorder aux citoyens la possibilité de révoquer leurs élus s’ils estiment que leur action n’est pas conforme à ce qu’ils espéraient ? Cette évolution ne pourrait-elle pas donner naissance à un écosystème plus vertueux ?

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Pourquoi demander à une personne qui passe d’une fonction soumise à déclaration de patrimoine à une autre de refaire une nouvelle déclaration ? En un ou deux mois, elle n’a pas le temps d’acheter beaucoup de maisons ! Ne serait-il pas suffisant de lui demander si son patrimoine a évolué ? Cet allègement de la procédure éviterait en outre les risques de copier-coller. Nous en avons connu un exemple fameux qui a fini dans la presse, alors qu’il ne s’agissait que d’une erreur. Le contrôle est important, mais ne tombons pas dans de la suradministration !

M. Fabrice Melleray. Madame Untermaier, vous avez indiqué que je m’étais probablement porté candidat, ce qui n’est pas le cas. J’ai été contacté par le cabinet de la présidence de l’Assemblée nationale.

Je souhaiterais lever une ambiguïté concernant la question des sanctions. Le suivi des mises en garde supposerait des moyens considérables. Quand vous demandez à plusieurs milliers de personnes de ne pas entrer en contact, comment pouvez-vous vous assurer que cette exigence est respectée ? Envoyer un courrier de rappel tous les ans suffit-il ? La HATVP dispose de moins de soixante-dix agents et d’un budget d’un peu plus de 9 millions. Elle n’a pas la capacité de tout vérifier.

Le pouvoir de sanction ne porterait pas sur le non-respect des mises en garde mais, de manière beaucoup plus modeste, sur les absences de déclaration. Celles-ci concernent une cinquantaine de personnes. Saisir le parquet pour quelqu’un qui souffre de phobie administrative légère n’est pas forcément la solution. Une sanction proportionnée suffit généralement pour que les informations soient transmises.

Évidemment, si vous quittez une fonction pour en reprendre une autre quelques jours plus tard, faire deux déclarations dans un laps de temps aussi court n’a pas grand sens. En cas de modification brutale de votre patrimoine, vous devez de toute façon le signaler. Toutefois, je pense que les textes ne permettent pas d’alléger la procédure ; il faudrait les modifier.

S’agissant de la révocation des élus, madame Garrido, je ne rejoindrais pas la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique si elle devait être dotée d’un tel pouvoir : je ne me sentirais pas du tout capable de prendre une telle responsabilité. Je comprends très bien la dimension politique de cette évolution, qui sera peut-être un jour votée par le Parlement, mais elle exige des qualités, notamment de sagesse, que j’estime très sincèrement ne pas avoir. Le rôle que je peux jouer est plus technique et plus modeste.

Je reste un observateur extérieur, mais je lis les rapports de la Haute Autorité, ses avis et la presse. Je connais les polémiques. Parmi ses trois grandes attributions, le contrôle des représentants d’intérêts est la plus difficile à assurer, sans doute parce que le sujet est plus complexe et que les textes ne sont pas toujours d’une très grande clarté. De bonne foi, certains représentants d’intérêts peuvent s’interroger sur leurs obligations. S’agissant des relations avec le Parlement – qui est une dimension essentielle du sujet, mais pas la seule –, une collaboration étroite est indispensable entre la Haute Autorité, les déontologues et les assemblées. Il ne faut pas que chacun travaille de son côté.

Concernant le positionnement de la Haute Autorité, vous avez, madame Untermaier, évoqué la question du niveau local. Nous allons être confrontés à des difficultés dans ce domaine, car les textes récents sont difficiles à interpréter. Vont apparaître des conflits non seulement entre le public et le privé, mais également entre le public et le public. Ces derniers sont, à mon avis, encore plus complexes à gérer.

La Haute Autorité essaye de jouer un rôle moteur, sans avoir d’autorité hiérarchique sur les déontologues des ministères, comme j’ai pu le constater pendant cinq ans. Elle n’a pas non plus d’autorité sur les déontologues locaux. Des initiatives ont toutefois été lancées, comme une réunion annuelle des déontologues ou la diffusion d’une lettre d’information. Elles pourraient être renforcées, notamment en facilitant les occasions d’échange et de partage. Néanmoins, la Haute Autorité n’a pas vocation à devenir la cour suprême de la déontologie.

Pour ce qui est de ses missions de contrôle des patrimoines et des déclarations d’intérêts, les chiffres montrent que la Haute Autorité vérifie 30 à 40 % de ce qu’elle reçoit. En tant que députés, vous avez la chance d’être contrôlés de manière systématique, mais un grand nombre de décideurs publics ne le sont pas. Entre celles qui sont soumises à des déclarations d’intérêts et celles qui passent du public au privé, la HATVP devrait contrôler des dizaines de milliers de personnes. Je ne doute pas de l’efficacité de ses services, mais ils ne comptent que soixante-dix agents. Ils font ce qu’ils peuvent, avec les moyens dont ils disposent.

Quand le cabinet de la présidente de l’Assemblée nationale m’a contacté, je me suis renseigné auprès de personnes que je connaissais pour savoir combien de temps devait être consacré à ce mandat. Il m’a été répondu que cette activité pouvait être exercée à titre accessoire, contrairement au Conseil supérieur de la magistrature, par exemple, où il faut siéger trois jours par semaine. En l’occurrence, une réunion est organisée tous les quinze jours et les dossiers sont communiqués la veille. J’ai estimé qu’en m’organisant, je pouvais libérer le temps nécessaire sans difficulté majeure. Si vous confirmez ma nomination, je renoncerai à diverses tâches administratives. J’en ai prévenu le directeur de Sciences Po.

La question de la disponibilité des membres pourrait se poser en cas d’élargissement des compétences de la Haute Autorité. S’il faut siéger plusieurs jours par semaine au lieu d’une fois tous les quinze jours, il faudra peut-être envisager de créer des postes à temps plein, comme dans d’autres autorités administratives indépendantes. Des simplifications de la procédure sont toutefois possibles. Je faisais notamment référence à l’obligation de passer par l’intermédiaire des services fiscaux. D’autres améliorations seraient envisageables.

Lors de la nomination des membres du Gouvernement, la liste des personnes qui avaient été pressenties et qui ont finalement été écartées, non pas au terme d’un arbitrage politique mais en raison de leur situation fiscale ou de conflits d’intérêts, n’est jamais publiée. Je m’en réjouis. L’obligation de réserve et de discrétion est parfaitement respectée par les membres de la Haute Autorité. J’apprécie cette absence de fuites, alors qu’ils traitent de questions sensibles. Celle-ci participe à la légitimité de cette institution.

La HATVP remplace désormais la commission de déontologie de la fonction publique. En tant que spécialiste de droit de la fonction publique, j’ai le sentiment que cette mission est correctement remplie. Des fonctionnaires craignent parfois de ne plus pouvoir pantoufler, mais ce n’est pas le cas. Il est, en revanche, normal de les mettre en garde contre une possible infraction pénale et de leur rappeler l’existence d’un délit de prise illégale d’intérêt, dont vous avez d’ailleurs récemment révisé la formulation. Même à leur niveau de compétences et à leur niveau hiérarchique, certains d’entre eux ont tendance à l’oublier.

Pour résumer, la question des représentants d’intérêts me semble être celle qu’il faudra approfondir. Dans ce domaine, le droit n’est pas encore mûr. S’agissant des deux autres grandes missions de la Haute Autorité, des aménagements techniques permettant de simplifier les modes de fonctionnement seront certainement suffisants.

Je ne me prononcerai évidemment pas au sujet de l’agrément d’Anticor. Cette association dispose d’un agrément particulier de la HATVP concernant les représentants d’intérêts. Celui-ci avait été accordé et le Conseil d’État vient de considérer qu’il n’était pas compétent pour traiter du recours dont il était l’objet. L’affaire a été renvoyée au tribunal administratif de Paris. Pour le moment, la question est donc pendante. La HATVP n’a pas vocation à fusionner avec l’Agence française anticorruption. Si ses compétences étaient élargies de manière très importante, il faudrait lui donner des moyens considérables et son objet deviendrait différent.

Si vous voulez voter une loi vous obligeant à mettre vos patrimoines en ligne, vous pouvez le faire. Quand les premiers patrimoines ont été mis en ligne, j’avais toutefois été frappé que la presse organise une sorte de concours du plus beau patrimoine. J’ai longtemps vécu à Bordeaux. À la suite de la révélation de son patrimoine, une ancienne ministre des solidarités, bordelaise, avait reçu une demande en mariage d’un autre membre du Gouvernement. Cette démarche m’avait choqué. Si les patrimoines sont contrôlés sérieusement, je ne sais pas s’il est indispensable de les mettre en ligne. Ces informations peuvent être utilisées à plus ou moins bon escient.

M. le président Sacha Houlié. Je vous remercie pour vos réponses. Je vais vous raccompagner avant que nous procédions au scrutin.

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Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

 Nombre de votants : 37

 Blancs et nuls : 3

 Suffrages exprimés : 34

 Majorité des 3/5e : 21

 Avis favorables : 28

 Avis défavorables : 6

En conséquence, elle émet un avis favorable à la nomination de M. Fabrice Melleray en tant que membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

La séance est suspendue à dix heures.

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Puis la commission auditionne Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, sur son rapport annuel.

Lien vidéo : https://assnat.fr/zKNbSs

M. le président Sacha Houlié. Nous recevons maintenant Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), pour nous présenter ce rapport annuel d’activité publié en mai dernier. Je précise que vous êtes accompagnée de M. André Ferragne, secrétaire général de votre administration que nous sommes également heureux d’accueillir.

Avant de vous donner la parole, Madame la contrôleure générale, je tiens à rappeler que la commission des lois demeure très attentive à la préservation de la dignité des personnes privées des libertés, particulièrement aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, comme le montraient les débats très riches sur cette question lors de l’examen du projet d’orientation et de programmation pour le ministère de la justice.

 Par ailleurs, le bureau a souhaité que la commission prenne toute sa part dans ce débat sur le thème de la régulation carcérale, en confiant à Mmes Caroline Abadie et Elsa Faucillon une mission d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale. Les conclusions de ce rapport ont été présentées le 19 juillet dernier.

Je rappelle enfin que le champ d’intervention de votre autorité ne se limite pas aux prisons, puisqu’il inclut aussi les lieux de privation de liberté, comme les établissements psychiatriques, les centres de rétention administrative, les zones d’attente, les centres éducatifs fermés, les locaux et conditions de garde à vue.

Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Merci, Monsieur le président. C'est toujours impressionnant de parler devant la représentation nationale. Je vous présente notre rapport. Évidemment, des choses se sont passées depuis que notre rapport est sorti.

Je vais commencer par l’abandon par l’État des gens qui sont enfermés et de ceux qui sont chargés de les garder, de les soigner ou de les éduquer. Pourquoi ? Parce qu’en prison, par exemple, les surveillants nous confient leur détresse, les directeurs nous disent que la prison est devenue un grand hôpital psychiatrique ou un asile d’antan. Il y a plus de 30 % de gens qui y sont atteints de graves troubles psychiques. Ils nous disent aussi qu'ils redoutent à chaque instant un incident très grave, qu’ils s'étonnent qu’il n’y en ait pas déjà eu – et il y en a d’ailleurs tous les jours. Je vous rappelle qu’il y a 250 morts en prison chaque année, dont 120 suicides, sept fois plus qu’à l’extérieur. Il y a 15 % d’illettrés qui ressortent illettrés, parce qu’ils n’ont tous les tous accès à la culture, à l’enseignement, au travail, au sport. Tout est contraint par la surpopulation.

 Il est prévu normalement un surveillant pour 50 détenus, mais dans les coursives, c’est un pour 120. S’agissant des normes de sécurité, les avis rendus par les sous-commissions de sécurité sont très étonnamment favorables à la poursuite de l’activité, alors que nous voyons des fils dénudés pendant au-dessus des bouilloires, des installations électriques effroyables…  Et surtout, les sous-commissions de sécurité se prononcent au vu du nombre de places théoriques d’une prison et non en fonction du nombre de résidents de la prison. C’est quand même une modalité  très inquiétante. Nous allons beaucoup nous pencher sur la sécurité.

Il y a tellement de monde. Les surveillants sont renvoyés à leur impuissance professionnelle. Imaginez-vous vous lever le matin et vous coucher le soir en disant que vous avez mal fait votre travail. Ils disent qu'il y a de forts risques de décompensation psychique du côté des détenus et du côté des surveillants.

 Nous avons soutenu avec enthousiasme la proposition de Caroline Abadie et Elsa Faucillon, qui a le courage d’aller au fond des choses et de proposer quelque chose de viable. Le Gouvernement s’est vite assis, si je peux me permettre cette expression un peu triviale, sur les États généraux de la justice qui préconisaient une régulation carcérale, en tout cas une décélération carcérale et la restriction des entrées par le biais d’une limitation des comparutions immédiates. Je vous en dirai un mot parce qu’elles se sont subrepticement allongées. On a créé plusieurs sortes de comparutions immédiates : la comparution immédiate à délais différés, et la comparution immédiate comme avant, le « flag ». Cela se produit aussi sous une autre forme, en raison du développement de la reconnaissance préalable de culpabilité, soit le plaider-coupable, accompagné d’un mandat de dépôt, qu’on appelle aussi le CRPC-déferrement.  D’ailleurs, je signale que les avocats de Créteil sont en grève contre cette forme de déferrement.

Je voudrais vous parler de l’urgence d’agir, et non pas d’adopter des attitudes incantatoires face à la catastrophe des prisons. Je dis la catastrophe, parce qu’on paye 110 euros par jour et par détenu. Comme l’écrit un détenu, ça fait beaucoup pour fabriquer de la récidive et c’est un problème qu’on doit regarder de façon pragmatique. Ce n’est pas faire un cadeau aux détenus, c’est réfléchir au sens de la peine, au sens que l’on veut donner à une punition qui ne peut pas être un châtiment corporel comme il l’est en ce moment, dans des cellules bondées, grouillantes de vermines, avec moins d’un mètre carré d’espace vital par personne. Il faut réfléchir à l’après. Ces gens, dans les maisons d’arrêt, ont vocation à sortir, ils vont sortir. Alors autant qu’ils sortent dans le meilleur état possible et qu’ils aient appris un métier. En Allemagne, 70 % des détenus travaillent, contre 28 % ici, et tous ont accès à des activités intellectuelles, culturelles et sportives. Pourquoi ? Parce que cette organisation sert à boucher les trous de l’éducation qui n’a pas été donnée, et sert à faire en sorte que la prison ne soit pas un temps mort. Il est quand même stupide de payer si cher pour ressortir dans des états pires qu’à l’entrée.

Je voudrais passer aux centres éducatifs fermés et à l’enfance. C’est un énorme problème. Vous aurez à vous pencher sur l’aide sociale à l’enfance, qui n’est pas capable d’assumer sa tâche. Les enfants maltraités sont retirés à des familles maltraitantes pour être placés dans des familles d’accueil peu ou très mal contrôlées, où ils sont souvent maltraités également. Ensuite, ils passent par les foyers de l’enfance, les foyers PJJ, et nous les retrouvons dans les centres éducatifs fermés. Vous aurez à vous y pencher, parce que je crois qu’il est prévu la construction de dizaines de nouveaux centres éducatifs fermés. Faites bien attention, parce que j’ai rencontré récemment les directeurs de ces centres, qui nous disent qu’ils sont inondés, le mot n’est pas joli, d’enfants dans des états psychiatriques de plus en plus inquiétants, des enfants qui souffrent de troubles cognitifs énormes, de pathologies mentales énormes. Ils devraient avoir un éducateur fil rouge depuis le début, qui s’occupe de l’enfant, mais ils l’appellent l’étoile filante.

 Ils apprennent, une fois que l’enfant est placé chez eux, mais bien plus tard, qu’il suivait un traitement psychiatrique et recevait des piqûres. Mais comment voulez-vous faire cohabiter des enfants dans des états pareils avec des enfants qui sont certes délinquants, mais qui vont mentalement bien ? Je laisserai la parole à André Ferragne sur les hôpitaux psychiatriques et la situation de la psychiatrie, mais je vous assure que c’est très inquiétant. Les centres éducatifs fermés fonctionnent pour le moment. Ils fonctionnent bien quand ils s’appuient sur une équipe pérenne, solide, ancienne. Mais cela n’est pas le cas ou bien c’est rare. Nous en voyons de formidables et nous avons envie que les enfants puissent y rester plus longtemps. Nous en voyons d’autres qui mériteraient de fermer. J’ai rencontré une directrice qui couche avec les gosses et quelque chose ne va pas dans le recrutement ou dans la surveillance.

Cette conjonction d’enfants délinquants et de psychiatrie défaillante contribue au fait que la prison est un immense asile. Ce n’est pas tenable. Nous avons été amenés à rendre des recommandations en urgence sur la façon dont les centres de rétention administrative (CRA) sont gérés. Les étrangers sont envoyés en zone de vie, où les policiers chargés de les garder ne rentrent pas, parce qu’ils ont de plus en plus peur des retenus ; et les retenus ont, eux aussi, de plus en plus peur. Simplement, dans ces zones de vie, c’est la loi du plus fort. Les chambres ne ferment pas. Les personnes mettent des serviettes de toilette ou des draps qu’ils font tenir avec du dentifrice séché pour prévenir les intrusions dans leur chambre. Je dirais que, dans ces centres, le travail des policiers n’est pas la garde, c’est un travail de surveillant.  Les policiers ne sont pas formés à la garde et ils sont, eux aussi, laissés à l’abandon, dans des endroits où on a changé la politique, puisqu’on y envoie de préférence les sortants de prison – dont d’ailleurs je me demande pourquoi on ne les suit pas en amont. Les préfectures se feraient donner la liste des gens susceptibles d’être renvoyés dans leur pays d’origine et feraient les démarches. Pourquoi les envoyer dans des centres de rétention qui coûtent 690 euros par jour et par personne retenue ?  Nous avons repéré ce phénomène de portes tournantes à Toulouse, à Bordeaux-Gradignan, à Perpignan, à Nanterre, aux Baumettes. Les gens sortent du centre de rétention. Vous savez que seules 10 % des OQTF sont exécutées, et même moins de 10 %... Alors c’est un peu plus quand ça vient des centres de rétention, je crois que c’est 40 % des gens qui partent. Je ne comprends pas sur quelle base légale on retient des gens qui ne vont pas partir, puisque certains pays d’origine ne reprennent pas leurs ressortissants. C’est une politique affirmée et revendiquée par le ministre de l’intérieur. Ils ne doivent pas sortir, donc ils restent en « prison ». Je vous rappelle que ces services n’ont pas fait les démarches en amont. On les envoie dans les CRA pour 690 euros par jour, on les relâche des CRA dans la nature sans rien.

 Un procureur m’a dit qu’il en avait assez de subir les pressions de la préfecture, qui semblent combler les défaillances du ministre de l’intérieur et de ses services, puisqu’ils n’arrivent pas à renvoyer les gens dans leurs pays d’origine. On lui demande de poursuivre les gens qui sortent de CRA, pour des faits qu’il ne poursuivra pas, qu’il s’agisse d’étrangers avec papier ou de Français avec une carte nationale d’identité (CNI).  Ils commettent un deal, un vol à l’étalage, et ils sont renvoyés en prison. Ils y passent alors trois mois, puis tout recommence.

M. André Ferragne, secrétaire général du CGLPL. Quelques mots sur la situation des hôpitaux psychiatriques. Je rappelle naturellement que le CGLPL n’est pas chargé de contrôler la psychiatrie, mais seulement la situation des patients en soins sans consentement. Néanmoins, cette situation et les droits de ces patients sont indissociables du contexte dans lequel ils sont pris en charge.

 L'élément majeur de ce contexte, c’est évidemment la crise démographique que subissent les hôpitaux psychiatriques, c’est-à-dire la baisse du nombre de personnels médicaux et paramédicaux, qui conduit à une augmentation en volume de la contrainte, notamment du nombre des soins sans consentement qui est en croissance pour diverses raisons, dont une est la défaillance des systèmes de prévention et notamment des soins ambulatoires permettant de prévenir la crise. Cette situation de baisse démographique s’aggrave dans la plupart des hôpitaux que nous visitons. Elle est plus grave encore en ce qui concerne les services de pédopsychiatrie, puisqu’il y a en France plusieurs départements qui n’ont pas de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie. Les enfants placés dans ces départements sont hospitalisés avec des adultes dans des structures qui ne sont pas adaptées à leur prise en charge et qui ne sont même pas adaptées à leur protection. Aujourd’hui, la situation est assez grave.

 Comme vous le savez, la remontée en charge de la psychiatrie est un projet à très longue haleine, puisqu’il s’agit de former des médecins. C’est quelque chose qui, de notre point de vue, demande que l’on réinterroge le modèle de la psychiatrie actuelle hospitalo-centrée, avec un système de fermeture de lits d’hospitalisation complète qui précède la mise en place des dispositifs ambulatoires censés la remplacer, alors qu’ils devraient plutôt la suivre, puisque dans l’intervalle de temps qui se déroule entre ces deux phénomènes, il y a une crise de la prise en charge.

 Il est de plus en plus question d’une nouvelle loi sur la psychiatrie, qui serait destinée à mettre en place un nouveau modèle. Il y en a eu une précédente en 1960, et une autre au début des années 1990. Aujourd’hui, on voit bien que les modèles ainsi constitués sont en partie obsolètes.

 Le deuxième sujet important sur la psychiatrie, c’est la suite qui a été donnée à une loi que vous avez votée, il y a maintenant deux ans, sur le contrôle juridictionnel des mesures de contraintes. Cette loi peine beaucoup à se mettre en place, parce qu’à la fois du côté médical, du côté judiciaire et surtout entre les deux, c’est-à-dire du côté des systèmes d’information, les outils font défaut. Les outils de communication font défaut. On est dans des conditions de délai très brèves, donc des délais qui ne supportent pas l’échange de courriers ou des procédures d’information qui prennent un peu de temps. Aujourd’hui, le contrôle de ces mesures de soins sans consentement est très inégal dans ce que nous observons, très inégal suivant les juridictions. À Paris, par exemple, nous avons vu avec le tribunal judiciaire qu’il était assez efficace, puisqu’un pourcentage significatif de mesures fait l’objet de mains levées, mais ce n’est pas la même chose partout.

 Néanmoins, je souhaite appeler votre attention sur les lacunes que comporte encore ce contrôle juridictionnel, puisqu’il y a un certain nombre de mesures de psychiatrie qui échappent au contrôle du juge, en particulier le placement dans une unité pour malades difficiles et surtout l’ensemble de la situation des enfants, puisqu’il n’existe pas de statut de l’enfant hospitalisé, que ce soit en psychiatrie ou ailleurs – de sorte que les enfants en soins libres ne sont pas censés être placés à l’isolement et en contention, et pourtant le sont.

 Pour finir, je voudrais attirer votre attention sur un sujet qui est en train de se développer dans le flou juridique le plus total, ce qu’on appelle les unités de soins intensifs en psychiatrie. Ce sont des objets nouveaux qui n’ont aucun statut ni règlementaire, ni même par circulaire. Les « soins intensifs » en psychiatrie, cela ne veut pas dire que les soins sont plus intensifs. Cela veut dire que la contrainte est plus forte. C’est une forme de langage détourné sur le sujet. Ces unités de soins intensifs, qui sont des unités d’enfermement dans lesquelles il n’y a que des patients en soins sans consentement, se développent en l’absence de tout statut, en l’absence de toute politique d’affectation des patients et surtout en l’absence de tout contrôle juridictionnel, alors que le simple placement dans cette unité est fortement restrictif de droit.

Je voulais attirer votre attention en qui concerne l’état de la psychiatrie tel qu’il ressort de nos visites de 2022 et de celles qui se sont poursuivies en début 2023.

M. le président Sacha Houlié. Mes trois questions portent davantage sur la situation estivale des établissements pénitentiaires que sur le rapport que vous avez commis, mais je pense que vous pouvez répondre. Vous avez évoqué la prison de Bordeaux-Gradignan, qui a laissé voir une suroccupation de 240 % cet été, qui a conduit à un stop écrou, donc à un processus quasiment spontané de régulation carcérale. Je voulais savoir si vous aviez eu des relations avec la directrice interrégionale des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Y a-t-il eu des conseils de votre part dans l’accompagnement de cette procédure ? Avez-vous mesuré les effets sur l’établissement directement en connexe, je pense notamment aux transferts qui ont eu lieu à Vivonne, où nous avons constaté trois suicides pour un centre pénitentiaire de 700 détenus. Est-ce la conséquence directe de ces transfèrements ?  Connaissez-vous des établissements pilotes, où que vous jugez comme tels, dans le déploiement des politiques de santé mentale ? Vous avez parlé de la surreprésentation des personnes malades en prison, en tout cas atteintes de troubles psychiatriques. Dans certains établissements, notamment le centre pénitentiaire de Vivonne où je me suis rendu il y a quelques jours, il existe une vraie volonté, avec des établissements spécialisés comme les centres hospitaliers en psychiatrie, d’avoir une véritable action qui entraîne quand même presque 80 consultations journalières au service psychiatrique interne de l’établissement pénitentiaire.

Vous avez aussi parlé de la notion de travail, comme processus permettant la réinsertion des détenus et de faire aussi redescendre la pression dans l’établissement pénitentiaire. Constatez-vous, à travers les nouvelles législations que vous avez saluées par rapport au contrat de travail ainsi qu’à la rémunération des détenus et aux droits qui leur sont octroyés, une amélioration de la situation, notamment du point de vue de la marge de progression et de la possibilité d’avoir de plus en plus de détenus travailleurs ? Vous avez, notamment, cité l’exemple allemand.

Mme Caroline Abadie (RE). Vos avis nous font rarement plaisir, évidemment, puisqu’ils pointent, que ce soit en santé mentale, dans les CRA ou en détention, des situations que nous déplorons également, que nous pouvons constater nous-mêmes sur le terrain.

 J’ai noté toutefois que, dans vos rapports, vous essayez aussi de distribuer des encouragements. Les efforts qu’on a pu faire sur la codification du droit pénitentiaire, les efforts qu’on a faits sur le statut du travailleur en détention, le déploiement aussi de la téléphonie. Tout cela, vous le saluez, j’en cite quelques-uns, mais pas tout, avec des efforts et des nuances. Nous apprécions que vous ayez des avis qui puissent être nuancés, qui encouragent nos propres efforts.

Oui, nous connaissons la situation. Cela fait trente ans qu’il y a une surpopulation en maison d’arrêt, particulièrement, dans notre pays. À Gradignan, cette année, le taux d’occupation s’est situé à 240 %, ce qui a amené, hors cadre légal, des personnels pénitentiaires à fermer les portes de leur établissement pendant quelques semaines, au prix peut-être de conséquences géographiques, mais en tout cas pour éviter probablement une mutinerie.

La surpopulation, ce ne sont pas juste des mètres carrés. Ce sont aussi des effectifs et des activités. Nous ne pouvons pas aujourd’hui imaginer réinsérer avec cette oisiveté en prison qui est presque imposée. Nous avons plaidé depuis plusieurs années en faveur de la création de 15 000 places de prison, mais en même temps, nous avons aussi fait en sorte de développer les alternatives à la détention, parce que, selon nous, les deux vont ensemble – d’autant que les alternatives, souvent, permettent une meilleure réinsertion et à un meilleur coût.

Face à tous ces efforts, pourtant, nous ne pouvons que constater cette surpopulation chronique. C’est la responsabilité du politique. Le politique ne peut pas regarder impuissamment ce constat et doit aujourd’hui programmer la réduction de la surpopulation carcérale.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Mon intervention sera moins une question qu’un relais des travaux menés avec Mme Abadie, un relais de préconisations formulées dans votre rapport. Vous parlez d’ailleurs d’une inertie coupable face à la surpopulation carcérale. Vous parlez aussi de calculs à court terme, sans vision ni réalisme, répondant au populisme par des incantations et des roulements de biceps. Et cela, la société tout entière n’a pas fini de le payer très cher.

 Je reprends vos propos, parce qu’il me semblent résonner très justement avec ce que nous avons à produire aujourd’hui, y compris dans cette commission, c’est-à-dire lutter contre des instrumentalisations, contre des fausses informations et contre une volonté qui nous éloigne du sens de la prison et du sens que nous sommes censés donner à la prison pour qu’elle rende service à la société tout entière, pas simplement pour qu’elle rende service aux détenus, même si c’est une volonté que nous pouvons assumer.  Lorsque les détenus sortent de cette prison, nous devons savoir qu’ils ont exécuté leur peine, mais aussi qu’ils sont en capacité de se réinsérer dans cette société et donc d’éviter la récidive. C’est en luttant contre cette surpopulation carcérale que nous pouvons y aider. Mais pas seulement. Nous avons aussi besoin de surveillants et, d’ailleurs, vous pointez cette réalité du déficit de surveillants qui est calculée sur les effectifs théoriques et pas sur les effectifs réels. Vous dénoncez aussi le manque de prise en charge des troubles psychiatriques.

Au travers de plusieurs préconisations avec Mme Abadie, à la fois retrouver le sens de la peine, lutter contre le tout carcéral, mais aussi mettre en place un mécanisme de régulation contraignant, nous pensons que c’est aller dans le bon sens et dans le sens de la peine retrouvée.

M. Yohan Gillet (RN). Les établissements pénitentiaires connaissent une surpopulation importante. Les statistiques officielles montrent que la situation s’aggrave du fait de l’ensauvagement de notre société. Violences contre les agents pénitentiaires, agressions entre détenus, dysfonctionnements. Les conséquences de la surpopulation carcérale sont nombreuses. La solution, nous la connaissons tous. Il faut construire des prisons, mais force est de constater que, là aussi, le gouvernement échoue.

Je tiens à souligner le travail remarquable et le professionnalisme des surveillants pénitentiaires. Ils effectuent un travail difficile et sont les premières victimes de cette surpopulation. Les dernières données disponibles font émerger douze agressions par jour d’agents pénitentiaires. Nos agents pénitentiaires, premières victimes de la surpopulation carcérale, je le disais, sont par ailleurs en effectifs insuffisants. Cette situation n’est plus tenable. Je me demande bien quand il y aura une prise de conscience en la matière.

Madame la contrôleure générale, en 2022, vos visites d’établissements pénitentiaires, dont celui de Nîmes sur ma circonscription, semblent se limiter assez largement à l’appréciation des conditions de vie des détenus. Il me semble que votre travail, s’il ne faisait pas l’impasse sur les conditions de travail difficiles des surveillants pénitentiaires, pourrait enfin être un tant soit peu crédible.

Votre rapport d’activité 2022 parle des conditions de détention, des recours excessifs aux fouilles, de la gestion sécuritaire attentatoire au droit, mais vous semblez omettre les premières victimes de cette surpopulation. Comment d’ailleurs pointer les fouilles excessives quand on connaît la réalité ? À Nîmes, toujours et pour rappel, un surveillant avait été agressé par un détenu avec une lame de rasoir et avait eu la gorge tranchée sur huit centimètres. Ma question est simple : pourquoi le sort des personnels de l’administration pénitentiaire est-il si absent de votre rapport ? Pourquoi aucune de vos recommandations n’aborde ce thème ? Pourquoi, Madame, quand je vous écoute, ai-je l’impression d’entendre un député de la Nupes ?

Mme Élodie Jacquier-Laforge (Dem). Je suis une nouvelle fois allée au centre pénitentiaire de Grenoble Vars, avec le bâtonnier de Grenoble, la semaine dernière. Nous sommes nombreux en Isère à avoir effectivement interpellé le Garde des sceaux sur l’état de vétusté de cet établissement. C'est l’ensemble du système pénitentiaire en France qui est dans une situation critique. Vous l’avez rappelé, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme cet été. Cet établissement ne fait pas exception.

 Mon intervention vise à souligner, comme l’a fait ma collègue Caroline Abadie, cette volonté politique qui a été marquée par un engagement fort de nouvelles places de prison et pour indiquer que cette volonté politique est bien évidemment nationale, mais elle doit être aussi soutenue par les élus locaux. La nécessité de ce nouvel établissement se fait sentir, notamment par cette surpopulation endémique, mais aussi par un établissement qui arrive vraiment en fin de vie. Le mur de la promenade a dû être consolidé puisqu’il était en train de s’effondrer. Une zone n’est pas aux normes pour les personnes détenues dans le quartier disciplinaire. Je crois que cette volonté doit être bien évidemment celle de notre commission.  Nous sommes nombreux à nous rendre dans les lieux de privation de liberté et nous exerçons nos missions collectivement de façon très attentive.

Je terminerai en remerciant le personnel pénitentiaire, puisqu’à chaque fois, nous voyons la qualité de ces hommes et de ces femmes qui travaillent dans des conditions difficiles.

M. Hugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je vais venir en renfort des argumentations sur les questions de la régulation carcérale, parce qu’il faut reposer rapidement le constat.

 On a eu des lois successives, et dans la mandature précédente, notamment la loi de programmation de la justice qui avait pour intention pas seulement de construire de nouvelles places de prison, mais aussi de limiter les incarcérations, et notamment de limiter les courtes peines. Force est de constater que cette loi n’a pas produit les effets escomptés, puisqu’on a un accroissement du nombre de personnes détenues. D’ailleurs, sur trente ans, les lois successives qui visaient à proposer des alternatives à l’incarcération n’ont fait, en réalité, qu’augmenter le nombre de personnes au total, que ce soit en détention ou dehors, placées sous main de justice.

 C’est d’abord un constat, un constat d’échec et pour notre déshonneur à toutes et à tous, ce sont 2 383 matelas au sol que nous avons dans nos prisons. Évidemment, je n’ai pas changé d’avis, et mon groupe non plus, sur l’enjeu d’abord et avant tout d’une déflation pénale pour atteindre ces objectifs. Néanmoins, force est de constater que la majorité politique pour cela n’existe pas à cette heure à l’Assemblée nationale, mais que tout le monde constate que les conditions de travail des uns sont les conditions de vie des autres et inversement. Du coup, il y a un enjeu à faire en sorte qu’il n’y ait pas de surpopulation, y compris en l’état actuel de la situation et de la politique pénale.

 Dès lors, le mécanisme de régulation carcérale apparaît comme le plus indiqué, pour contenter tout le monde, quelle que soit son opinion politique. Qu’il faille construire des places de prison ou pas est sans incidence ni impact sur le mécanisme de régulation carcérale. Je le dis pour essayer de faire converger les approches sur ce sujet et que l’on puisse évidemment obtenir une majorité pour agir sur cette question. Le mécanisme de régulation carcérale semble s’imposer un petit peu, à la fois pour ceux qui regardaient la question de près comme une évidence et pour d’autres.

Ma question serait la suivante : où en êtes-vous des relations et des discussions avec le Gouvernement et l’administration pénitentiaire, et quels sont aujourd’hui les acteurs institutionnels, y compris dans la magistrature, qui se sont déclarés favorables à ce mécanisme ?

M. Hervé Saulignac (SOC). Madame la contrôleure générale, merci pour les travaux que vous menez. Je voudrais vous poser une question qui est peut-être un peu à la limite de votre périmètre de contrôle, puisque s’agissant de la psychiatrie, vous traitez essentiellement de ceux qui reçoivent des soins sans consentement. Je voudrais vous parler de l’hospitalisation psychiatrique à domicile, qui va croissante avec pour les raisons que l’on connaît. Elle est beaucoup moins onéreuse pour la Sécurité sociale, mais elle se traduit par un suivi de moins bonne qualité, avec un lien très distendu entre le patient et les soignants. On voit même parfois des patients qui finissent par disparaître des radars des établissements.

 Je voudrais savoir si vous avez observé des sorties du régime d’hospitalisation dont on peut penser qu’elles sont motivées par, si vous me permettez l’expression, le besoin de faire de la place ou d’alléger la charge de travail dans des services psychiatriques qui sont en sous-effectif chronique. J’ai conscience que ma question est un peu paradoxale, puisque si je devais la résumer, je demanderais : est-ce qu’on n’accorde pas, dans certains cas, des libertés au détriment des soins ?

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Madame la contrôleure générale, les constats que vous évoquez sont bouleversants, quand bien même nous connaissons déjà la réalité.

 Je voulais vous interroger rapidement sur la situation de l’enseignement en prison, sur les contraintes pesant sur l’accessibilité de l’enseignement, et sur vos préconisations pour que le législateur puisse les alléger dans l’objectif de rendre effectif ce droit à l’enseignement.

Sur la situation d’accès à l’enseignement dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, là aussi quelles pourraient être vos préconisations sur les lacunes éventuelles de l’action gouvernementale en matière de droit d’accès à l'enseignement ? De votre point de vue, sont-elles le fait d’une absence de moyens, de normes, de contraintes que nous pourrions lever par notre action législative ?  

M. Jean Terlier (RE). Peut-être un mot en préambule. J’entends, du côté de certaines de nos oppositions, dire que ce gouvernement, cette majorité ne font pas le nécessaire en matière de construction de prisons, et, dans le même temps, ces mêmes députés votent la loi de programmation en justice qui inscrit dans le dur la réalisation d’un plan ambitieux de 15 000 constructions de places de prison. Oui, 15 000, et on ira même jusqu’à 18 000 si on arrive à faire d’abord les premiers 15 000, vous avez raison.

Vous avez évoqué sur la question des centres éducatifs fermés (CEF). Il faut rappeler que ces établissements permettent d’accueillir huit à douze mineurs, avec des professionnels qui sont au nombre de vingt-sept. Ces CEF constituent une alternative à la prison, vous l’avez dit, et je pense que c’est intéressant aussi que certains de mes collègues l’entendent : cela fonctionne bien quand on a une équipe éducative performante. Vous avez aussi dit, je reprends vos mots, « on voudrait voir les enfants y rester plus longtemps ». Je partage partiellement ce constat avec vous. Les mineurs délinquants rejoignent peut-être un peu trop tardivement ces structures, où ils y reçoivent un encadrement et des mesures appropriées.

Peut-être une question sur ce sujet, pour nous aider à avancer. Vous savez qu’il y a un plan ambitieux de réalisation de CEF dans le cadre de cette mandature et de la précédente. Pouvez-vous nous faire part des mesures qui seraient les vôtres pour que l’ensemble des centres éducatifs fermés fonctionnent de manière très correcte.

Mme Edwige Diaz (RN). Madame la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ce qui attire l’attention à la lecture de vos différents rapports d’activité, c’est la constance de votre constat au sujet de la surpopulation carcérale, que personne ne conteste. C’est ainsi que chaque année, on lit vos mêmes recommandations, dénonciations, condamnations et préconisations.

La surpopulation carcérale est une question sur laquelle vous travaillez depuis longtemps, puisqu’en 2004, lorsque vous étiez journaliste chez Libération, vous lanciez déjà l’alerte et vous parliez de surpopulation carcérale en ces termes : « C’est au-delà du pire ».

 Sauf qu’en 2007, l’autorité administrative indépendante que vous dirigez depuis 2020 a été créée et qu’elle est dotée d’un budget important : 6 millions d’euros pour 2023 et une augmentation d’un million d'euros depuis 2020.

Un commentaire sur les propositions que vous formulez, à savoir suspendre les incarcérations et vider les prisons. Elles ne sont pas souhaitables, lorsqu’on s'intéresse, comme le Rassemblement national, à la sécurité des Français et à la reconstruction des victimes. Mais ce qui interpelle, c'est que vous dénoncez l’inertie du Gouvernement. Or, après quinze ans d’existence, une facture élevée pour les finances publiques et des résultats dérisoires en matière de prise en compte des recommandations, j’ai deux questions.

 Comment justifiez-vous l’utilité de votre instance ? Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous vous accommodez plutôt bien de la situation des prisons, puisqu’au final, elle assure la pérennité de votre fonds de commerce ?

M. Élisa Martin (LFI-NUPES). Le 12 juillet, j’étais à la frontière franco-italienne à Menton et j’ai pu, avec mon équipe parlementaire, entrer dans un lieu qui est dit lieu de mise à l’abri. Ce lieu est sans encadrement juridique, on y contraint à rester un certain nombre de personnes sans droit ni titre. Et bien sûr, ce lieu est aujourd’hui situé à l'intérieur des locaux de la Police aux frontières (PAF). Sont retenus des femmes, des enfants, des majeurs, sans aucun cadre juridique – en gros, au motif que la frontière italienne est administrativement fermée. En particulier, elle est fermée la nuit. Pour pouvoir renvoyer les personnes, puisque c’est une sorte de jeu de ping-pong, vers la frontière italienne, on les enferme, on est d’accord sur ce terme ; et à partir du moment où c’est fermé à clé et où votre liberté d’aller et venir est niée, on est bien dans un lieu d’enfermement.

 Ce que nous avons pu constater, outre le caractère d’enfermement du lieu, que les lieux ne sont pas adaptés pour accueillir toutes ces personnes, dont des enfants, des femmes et des femmes enceintes. Notre inquiétude est d’autant plus renforcée que nous avons cru comprendre, au travers des propos de M. Darmanin, qu’il comptait bien élargir ce lieu et pouvoir y priver de liberté 200 personnes. Que peut-on faire et que vous pouvez-vous faire pour le fermer ?

Mme Dominique Simonnot. Concernant le stop écrou de Gradignan, j’ai été en contact avec tout le monde. Je suis tombée sur des professionnels désespérés de la prison. Ce stop écrou a été fixé à 190 %, un objectif modeste. Il devait être décidé dès que la prison atteignait les 190 % d’occupation, et finalement, il n’a été déclenché qu’à 230 %. Je peux vous dire qu’à Gradignan, j’ai rencontré les agents pénitentiaires désespérés.

Je me soucie particulièrement de la vie des surveillants, et on ne cesse de dire, d’ailleurs, que le sort des détenus et des surveillants, en ce qui concerne ce problème, est lié.

 Le problème est que quand ça n’est pas national, c’est local. Évidemment, ça se déverse sur les prisons d’à côté. À la prison de Poitiers-Vivonne, il y a un nombre de suicides très inquiétant.

Concernant la psychiatrie en prison, son accès y est restreint. Vous me dites qu’il y a plein de détenus qui prennent rendez-vous. Nous avons parlé hier avec le délégué ministériel au plan psychiatrie, qui nous dit qu’il a vu des endroits où il y a trente inscrits pour la journée et seulement quatre détenus qui viennent. À Poitiers, il y a un service psychiatrique, c’est vrai que ça doit marcher un peu mieux, mais ça n’empêche pas de tels faits. Les conditions de détention sont telles que, comme je vous le dis, cela donne une impression d’abandon par l’État, à la fois des surveillants, des détenus et des médecins. Je vous rappelle que les surveillants et les médecins sont contingentés selon le nombre théorique de places, et non selon le nombre de prisonniers.

M. André Ferragne. Il y a deux vitesses d’accès à la psychiatrie en prison. Il y a les établissements qui sont dotés d’un service médico-psychologique régional et les autres. Dans la première catégorie, contrairement à ce que le nom du service en question indique, c’est un service qui fonctionne principalement au bénéfice des détenus de l’établissement. Et dans les autres établissements, on est réduit à faire appel aux services psychiatriques de proximité. Je vous renvoie, là-dessus, à ce que je disais tout à l’heure de l’état des établissements de santé mentale.

Mme Dominique Simonnot. Madame Abadie, on s’est vraiment félicités de la codification, dans le droit pénitentiaire, du droit du travail, de la codification du droit pénitentiaire en général.  Le salaire distribué reste quand même un peu en dessous de la main. J’ai récemment croisé un professeur dans une maison d’arrêt, qui a abandonné parce qu’il lui fallait à peu près deux heures pour entrer dans la prison. C’est un motif de découragement aussi des entreprises qui seraient susceptibles d’apporter du travail aux détenus. Les normes de sécurité sont peut-être exagérées. Je ne vois pas pourquoi en Allemagne, c’est plus facile. Je prends toujours cet exemple, parce que je ne crois pas que l’Allemagne soit un exemple de laxisme pénitentiaire ni pénal, et je ne crois pas qu’il y ait un taux de récidive supérieur à ici, au contraire même. Simplement, on croit plus aux peines hors les murs en Allemagne.

Nous nous félicitons de la téléphonie installée dans les cellules, mais il y a un prix. Ces téléphones ont été installés gratuitement dans les cellules, mais l’entreprise Telio se rembourse sur les communications passées par les détenus. Ces communications coûtent un prix exorbitant. L’exemple le plus frappant est celui de l’outre-mer. Pour appeler quelqu’un dans la même île que celle où l’on se trouve, on doit repasser par la métropole, ce qui coûte trois fois plus cher que les conversations de métropole à métropole. La téléphonie, on s’en félicite, mais sans excès : on enquête d’ailleurs sur ce sujet afin de publier un avis.

Avec le stop écrou, je viens de le dire, vous stoppez les incarcérations et vous les augmentez ailleurs. Tant que ce ne sera pas un mécanisme national, je n’y crois guère.

 Vous avez parlé du plan 15 000. Nous ne sommes pas pour la construction de prisons, mais davantage pour développer des façons d’exécuter les peines autrement. Surtout, ce plan 15 000 nous paraît totalement illusoire. Je vous renvoie au remarquable rapport de votre collègue Patrick Hetzel, qui explique comment, en plusieurs gouvernements successifs, on a eu des annonces de plans 15 000 qui ne se sont jamais réalisées. Un plan 15 000 a été annoncé en 2017 et ne s’est toujours pas réalisé. Pour le moment, on a trois mille places nettes sorties de terre. Et encore, la maison d’arrêt de Lutterbach avait été annoncée par Michèle Alliot-Marie en 2008. Donc, je ne sais pas quoi vous dire. On verra en 2027, cela n’a pas empêché d’en inscrire trois mille de plus, mais il paraît que cela ne compte pas. Comme vous, je pense qu’il en va de la responsabilité politique du Gouvernement et des parlementaires de décider ce que vous ferez des prisons, si vous mettez en place un mécanisme qui permette que la peine serve à quelque chose. Je ne parle pas de la loi qui nous oblige à vérifier que les droits fondamentaux des détenus et d’autres personnes sont respectés. Je parle simplement de façon pragmatique. Il faudrait que la prison serve à quelque chose. La seule façon, c’est qu’il n’y ait pas plus de détenus que de places. Cela me paraît tomber sous le sens. Allez visiter les prisons allemandes, vous verrez ce qu’il en est.

Madame Faucillon, oui, on parle d’inertie coupable de l’État en ce qui concerne les lieux de privation de liberté et d’un abandon des fonctionnaires chargés de soigner et de garder les détenus et les personnes enfermées elles-mêmes. Je crois que j’ai répondu en partie à ce que vous disiez sur le sens de la peine à retrouver. Le déficit de surveillants est effrayant. J’ai beaucoup de relations avec l’administration pénitentiaire, avec les directeurs des prisons. Je dis toujours que sur les fiches de poste des directeurs de prisons, il n’est pas marqué « recherche Superman pour diriger prison ingérable ». Or, c’est exactement le cas. Je ne comprends pas comment font les directeurs : c’est ingérable ce qu’on leur met dans les mains, et il en est de même pour les surveillants.

 Monsieur Gillet, je ne sais pas si vous avez l’impression d’entendre parler quelqu’un de la Nupes quand je parle, mais je crois que vous n’avez pas lu notre rapport. La loi nous oblige à vérifier les droits fondamentaux des détenus, puisque vous parlez des surveillants. Ensuite, je n’arrête pas de parler des surveillants en disant qu’on les abandonne, qu’ils nous confient leur détresse et leur désespoir. J’en profite pour dire que nous avons reçu au contrôle général – dans le cadre d’un travail qui aurait pu être fait par d’autres, sans doute – au moins trente organisations pénitentiaires, syndicats de personnels pénitentiaires, d’avocats, de magistrats judiciaires et administratifs, de médecins et associations, pour faire le point sur le sens de la peine et la situation des prisons ; nous avons été tous d’accord pour dire que cela ne peut plus durer. Cette désagrégation du service pénitentiaire de la justice, sous nos yeux, sans rien faire, ne peut pas durer. La représentation nationale devrait y prendre part.

M. André Ferragne. Je rappelle que le CGLPL est une autorité instituée par la loi et qui exerce son mandat dans le cadre fixé par la loi, que vous pouvez le consulter. Nous avons eu un litige sur la question du statut du personnel avec le Garde des sceaux, qui critiquait l’exercice de notre compétence à parler du personnel. Or, la loi fixe comme mandat au CGLPL de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Expressément, dans les débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 30 octobre 2007, la question de la compétence du CGLPL sur la situation du personnel a été abordée, et a été écartée explicitement par le Parlement.

Mme Dominique Simonnot. S’agissant de la prison de Denain, nous sortirons prochainement des recommandations en urgence, tellement la situation que nous y avons trouvée est épouvantable.

La prison de Grenoble, c’était l’exemple dont on se servait toujours. Dans cette prison s’est mise en place une convention de régulation carcérale entre personnes de bonne volonté que sont le personnel de la maison d’arrêt, la direction, les services pénitentiaires et les services judiciaires. Or, il a suffi que deux personnes de bonne volonté soient mutées pour que le mécanisme de régulation carcérale se casse la figure et que l’on soit remonté à un taux d’occupation de 176 % au moment de notre visite. C’est une situation catastrophique. Je signale que ce sont des détenus qui, s’appuyant contre le mur, ont dû signaler à la direction qu'il menaçait de s’écrouler. Sans eux, il se serait peut-être écroulé.

Alors oui, Monsieur Bernalicis, les lois successives n’y ont rien fait. Nous attendons que ce mécanisme de régulation soit inscrit dans la loi. Il y a beaucoup de voix qui se font entendre justement sur le sujet. Je suis très fière qu’on ait pu réunir au CGLPL ces trente organisations. Ce sont des gens qui ne se parlent pas, parfois qui refusent même de se parler, et qui pourtant se sont parlé pour constater la même chose : cela ne peut plus durer. Il faut bien faire quelque chose. C’est pour cela que je rebondis sur mes relations avec l’administration pénitentiaire et tous les acteurs de la chaîne pénale. Je crois avoir répondu et elles sont très fréquentes. On échange avec eux sur la psychiatrie.

M. André Ferragne. La question des hospitalisations à domicile ne relève pas de la compétence du CGLPL. Néanmoins, il y a deux éléments de réflexion que je peux apporter à votre assemblée sur ce point. Le premier, c’est que parmi les fonctions du CGLPL, il y a celle aussi de se référer à un corpus juridique qui n’est pas le corpus franco-français, mais qui est également celui des Nations Unies. Dans ce cadre, l’un des objectifs de la prise en charge psychiatrique, qui d’ailleurs ne relève pas d’une prise en charge hospitalière, mais d’une prise en charge médico-sociale, est la désinstitutionnalisation, c’est-à-dire la prise en charge par des soins ambulatoires.

En second lieu, sur la question de l’hospitalisation à domicile, ce que nous constatons de manière systématique, c’est que la qualité des soins ambulatoires a un effet direct sur la prévention des crises ; par conséquent,  le développement des soins ambulatoires en psychiatrie et de toute forme de prise en charge en milieu ouvert est une forme de prévention de la croissance du nombre des soins sans consentement. Il y a en France un certain nombre de services, dont le plus connu est à Lille, qui pratiquent un développement très élevé de cette prise en charge ambulatoire ; on observe que cela permet de prévenir très efficacement la crise, donc de faire baisser la contrainte.

Mme Dominique Simonnot. Je réponds à la question de M. Lucas sur l’enseignement en prison et dans les centres éducatifs fermés. On a beaucoup insisté dans notre rapport, parce que c’est effrayant de constater que les enfants enfermés ont quatre à six fois moins d’heures d'enseignement que leurs camarades de dehors. L’enseignement en prison et en centre éducatif fermé ne va pas du tout. Il est consternant de constater que chez des enfants qu’on devrait prendre à bras-le-corps, parce qu’ils vont grandir, parce que c’est notre avenir à tous, on ne fait pas ce qu’il faut. Il n’y a pas de statut spécial de professeur sans vacances scolaires. Les vacances scolaires sont appliquées, y compris dans les lieux d’enfermement. Un enfant qui rentre en prison en juin et en sort en octobre n’a pas eu une demi-heure d’enseignement.

 Les responsables d’enseignement dans les prisons nous disent qu’ils sont obligés de se débrouiller de mille façons, que cela tient à la personnalité du chef d’établissement avec qui il faut se débrouiller. Je vous conseille pour cela de parler de ce sujet à FO Direction. Il faudrait une loi qui rattache l’éducation en prison à l’éducation nationale en général, parce que pour le moment, ce n'est qu’une convention qui lie la pénitentiaire à l’éducation nationale. Il faudrait faire mieux pour faire plus dans les centres éducatifs fermés aussi.

Sur la construction ambitieuse des quinze mille places, je crois avoir répondu puisqu’il me faut aller vite. Sur les centres éducatifs fermés, je vous ai dit nos réserves. On a visité un centre éducatif fermé dans un état épouvantable. On a fait des recommandations. Un an plus tard, c’est sans doute à inscrire à notre bilan dérisoire, les choses avaient changé. La direction a repris les choses en main et ce centre éducatif fermé marche de façon formidable. Pourquoi ? Ils ont trouvé les moyens de trouver une équipe pérenne, solide, peut-être mieux payée. La direction s'est resserrée, ils ont resserré leur projet et ça marche très bien. Si on veut construire de nouveaux CEF, il faut s’en donner les moyens. Cela ne sert à rien de servir d’alibi, de dire qu’on enferme ces enfants-là et qu’on ne les voit plus Ce n’est qu’un alibi dans des centres éducatifs fermés qui marchent mal, faute de personnels compétents et formés.

Madame Diaz, je ne vais pas répondre à quelque chose que je considère comme un peu insultant. Je ne sais pas comment justifier mon bilan dérisoire par rapport à tout l’argent que l’on coûte à la République. Je ne sais pas quoi vous dire. Je ne me trouve pas dérisoire, parce que l’on fait avancer les choses dans les lieux qu’on visite. Pour vous, ce sont de petites choses minables, certainement, mais pour les gens qui sont enfermés et pour les gens qui les gardent, ce n’est pas rien du tout.

La frontière italienne est un gros problème, avec ses lieux d’enfermement.  J’en ai vu à la frontière entre la France et l’Angleterre, il s’agissait de camions, de containers fermés. On propose leur suppression. Alors évidemment, c’est très compliqué parce que ce sont des lieux où les gens sont enfermés un nombre d’heures très restreint, ce qui ne nous permet pas toujours de tomber sur eux. Ou bien, il faudrait qu’on reste là avec des jumelles à observer qui entre et qui sort.

M. André Ferragne. Nous avions fait les mêmes constats et demandé que ce lieu soit couvert par un cadre juridique.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Madame la contrôleure générale, je voudrais souligner que votre rapport a le mérite de rappeler une situation très préoccupante et je n’y reviendrai pas, car au-delà des constats, nous avons le devoir de rechercher des solutions concrètes et réalistes. Je voudrais donc vous interroger sur le travail en prison, ce qui nous ramène à la question du sens de la peine, à celle de la réinsertion des détenus, à la lutte contre le risque beaucoup trop élevé de récidive. Selon vos chiffres, en France, seulement 25 % des détenus travaillent. En Allemagne, on affiche un taux de 70 %.

 J’ai rencontré avant-hier dans mon département le chef Thierry Marx, dont on se souvient qu’il avait proposé d’introduire il y a vingt ans des cours de cuisine en prison, avec la possibilité d’obtenir un baccalauréat professionnel. Son expérience lui faisait dire que le taux de récidive baisse significativement dès lors qu’il y a un projet professionnel pour les détenus. On se souvient que, depuis la loi de juin 1997, le travail des détenus n’est plus obligatoire en France. Depuis cette date et l’ordonnance du 1er mai 2022, la personne détenue qui souhaite travailler doit demander à être classée au travail par l’administration pénitentiaire sur volontariat et son recrutement se fait via un contrat d’emploi pénitentiaire.

 Vous craignez que le manque de travail proposé et la faiblesse de l’offre de travail ne compromettent la pleine effectivité de ce nouveau régime. Alors que le Parlement se penche actuellement sur la création d’un contrat d’engagement de quinze heures hebdomadaires d’activité obligatoire afin de permettre le retour à l’emploi des personnes qui en sont le plus éloignées, ne pensez-vous pas que pour les détenus, de fait éloignés de l’emploi, le rétablissement en prison de l’obligation de travail ou d’un projet professionnel permettrait de structurer une véritable offre de travail, avec la signature de partenariats d’entreprises, et de créer ainsi de réelles conditions de réinsertion ?

Mme Marie-France Lhoro (RN). Je souhaiterais revenir sur le volet numéro trois de votre rapport thématique intitulé « L’intimité au risque de la privation de liberté ». Vous y évoquez notamment ce que vous jugez comme une entrave des prisonniers dans leurs relations avec l’extérieur. Vous déplorez que les prisonniers ne bénéficient pas de confidentialité dans leurs communications téléphoniques et que, je cite, « les points phones soient installés dans les espaces communs », qu’il y ait « la présence de professionnels pendant les appels et une suroccupation et occupation collective des cellules ». Vous indiquez aussi que, dans tous les lieux visités, tenir un téléphone portable est généralement interdit ou s’accompagne de restrictions partielles.

 En mai dernier, un détenu de la prison de Grasse a été condamné pour avoir dirigé, grâce à une flotte de téléphones et depuis sa cellule, un important trafic de stupéfiants dans la cité de la Cayolle à Marseille. De Rouen à Caen, en passant par Metz ou Châteauroux, des détenus des établissements pénitentiaires de civils ont été surpris en train de menacer de mort leur ancienne compagne par téléphone. Comment entendez-vous concilier le respect de l’intimité des détenus et notamment le respect de leurs conversations téléphoniques avec la sécurité publique ?

De la même manière, vous déplorez qu’il existe, je cite, « un moyen de contrainte comme le port de menottes ou a fortiori d’entrave, qui entraîne un rapport de soumission inhérent à la domination physique. » Vous dites également : « Lors de l’arrivée dans certains lieux de privation de liberté ou du fait de l’organisation des locaux, les personnes privées de liberté, menottées ou accompagnées d’une escorte doivent circuler sous le regard du public ».

Comment, Madame le contrôleur général, entendez-vous permettre au personnel des établissements pénitentiaires de préserver l’ordre de leur prison sans usage de contraintes légitimes à l’égard de personnes qui ont été condamnées par le système judiciaire français ? Je vous remercie.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). D’abord, j'ai été attiré par la page 16 de votre rapport, sur ce que vous dites concernant les mesures qui ont été prises au moment du Covid en matière d’allégement de la population carcérale. Vous soulignez quelque chose de positif, ce qui est assez rare. Ensuite, vous n’en tirez pas de conclusion. J’aimerais savoir ce que vous tirez comme conclusion de ce rapport assez positif que vous rendez sur cette mesure.

 Comment expliquez-vous que l’on a vraiment du mal en France à mobiliser les moyens alternatifs à la prison, parce que cela ressort dans votre rapport ? On sent bien qu’il y a un panel de propositions, mais qu’on a du mal en réalité à sortir « du tout-prison ».

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Madame la contrôleure générale, vous avez parlé de l’abandon de l’État, qui se retrouve aussi dans les centres de rétention administrative envers les retenus et les agents.

 Nous avons tous entendu, pour ceux qui visitent les centres de rétention administrative - pour ma part, j’en ai visité sept et je continuerai en vue de la loi asile et immigration – on a tous entendu cette phrase, quand on n’a pas une vision partisane et qu’on essaye de vouloir améliorer les situations : « C’est pire que la prison. Je préférerais être envoyé au bled tout de suite ». Tout le monde le dit et il y a une alerte à ce sujet. Et au-delà de votre rapport, je voudrais vous interroger sur les recommandations d’urgence que vous avez pu faire cet été suite à différents événements.

 Je vais parler de quelques événements : par exemple la mort d’un retenu le 26 mai au CRA de Vincennes, un autre le 3 juillet au CRA de Marseille. Je pense au nombre de tentatives de suicide qui a augmenté depuis la crise Covid, aux agents qui ont mis fin à leur jour, et je pense à celui de Rennes en 2020, qui s’est suicidé au sein du CRA de Rennes. Vous avez vous-même constaté les conditions d’enfermement qui sont gravement attentatoires à la dignité, aux droits fondamentaux des personnes.

 Nous l’avons tous vu : des locaux d’hébergement vétustes, des conditions d’hygiène déplorables, peu de respect de la dignité humaine et de l’intimité, pas de verrou aux toilettes, des portes défoncées, à Vincennes particulièrement. Après un tel constat, j’avoue que c’est aller dans le bon sens que de devoir ouvrir de nouvelles places de centres de rétention administrative et d’augmenter le nombre d’OQTF. Je profite de votre présence pour alerter de nouveau M. le président Houlié, à qui j’avais adressé un courrier par écrit pour une demande de création d’une mission flash sur le sujet de la rétention. La République ne peut pas fermer les yeux sur ces lieux dans lesquels elle enferme et malmène des ressortissants étrangers, sans quoi elle contrevient à ces principes universels.

M. le président Sacha Houlié.  Je vous rappelle simplement, Monsieur Kerbrat, que cette décision est soumise à l’appréciation du bureau et que nous avons examiné une loi de programmation du ministère de l’intérieur, dans laquelle nous avons traité de la rétention administrative. Par ailleurs, il me semble qu’une loi relative à l’immigration sera prochainement examinée par le Parlement. Enfin, une mission d’information vient d’être conduite au sein de notre commission sur la régulation carcérale et les alternatives à la détention.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Votre constat est terrible. C’est vrai qu’année après année, vous venez devant nous dénoncer une situation que nous connaissons et nous voyons bien que nous n’avons pas trouvé les portes de sortie.

 Je voulais vous poser une question sur un sujet qui va revenir à l’Assemblée nationale, qui n’est pas dans votre rapport, mais qui est sur le site et qui concerne les tests osseux auxquels il est fréquemment recouru pour déterminer l’âge d’une personne. Vous appuyez sans réserve les recommandations du comité des droits de l’enfant, tendant à « l’abandon d’un examen dont la fiabilité est largement et depuis longtemps contestée par les scientifiques » - de je vous cite. J’aurais souhaité savoir si, à l’approche de l’examen d’une proposition de loi sur ce sujet, vous mainteniez toujours cette analyse et si vous pourriez nous dire, le cas échéant, les effets délétères que cette mesure aurait pu provoquer.

Ma deuxième question, c’est d’abord un remerciement pour nous alerter sur le statut de l’enfant. Nous sommes en deçà par rapport aux préconisations de la convention internationale des droits de l’enfant, tant dans la société que dans la prison, qui en est le reflet. Je voulais à cette occasion vous demander votre soutien pour que les enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) puissent bénéficier de la présence d’un avocat qui veille aux droits de l’enfant, alors même que celui-ci a été abandonné. Aujourd’hui l’enfant est seul, et ce n’est pas dans une confrontation uniquement avec le juge que la solution la plus adaptée doit être vérifiée. Il y a un suivi à organiser. Il y a une importance majeure, me semble-t-il, à ce que l’avocat soit présent auprès de l’enfant abandonné, fragilisé et la convention internationale des droits de l’enfant nous le commande.

 Ma dernière question, c’est sur l’attractivité des personnels. J’ai très peur qu’on n’ait plus personne qui veuille travailler à la fois dans les prisons et en dehors des prisons.

M. Stéphane Rambaud (RN). La surpopulation carcérale en France atteint des niveaux alarmants. Selon les chiffres publiés par le ministère de la justice en août dernier, la France compte 74 000 détenus pour un peu plus de 60 000 places disponibles. La densité carcérale s’établit à 122 %, contre 118 % il y a un an.

 Ces chiffres prennent une résonance particulière lorsque l’on prend en compte le fait que près de 25 % des détenus sont étrangers, représentant un coût annuel de 700 millions d’euros. Dans ce contexte, il est d’autant plus pertinent de rappeler qu’une enquête de l’institut CSA de juillet 2022 montre que 72 % des Français souhaitent que les étrangers condamnés sur notre sol exécutent leur peine dans leur pays d'origine.

Face à ces éléments, ma question est la suivante. Allez-vous encourager le Gouvernement à se saisir activement de cette problématique et à entamer des négociations diplomatiques avec les pays concernés pour que les étrangers condamnés exécutent leurs peines dans leur pays d’origine ? Cela pourrait être une réponse temporaire à l’engorgement de nos prisons, en attendant la réalisation des promesses du Président Emmanuel Macron concernant la création de nouvelles places. De plus, face à la perspective d’une détention dans des conditions souvent plus rudes à l’étranger, cette mesure pourrait également servir de dissuasion à la commission de crimes et délits sur le territoire français.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Madame la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, je tiens à vous remercier grandement pour votre travail précieux pour la défense des droits fondamentaux, la défense des valeurs humaines, dont le Rassemblement national semble avoir une vision restreinte ou à géométrie variable, s’il en a réellement une.

La question du fonctionnement de la psychiatrie et des traitements qu’elle emploie révèle la vision de notre société à l’égard des malades mentaux. Plus de 80 ans après la création des asiles, Albert Londres considérait que celle-ci n’était pas fondée sur la volonté de soigner, mais relevait plutôt de la volonté de mettre à l’écart et d’isoler des personnes qui inspirent la crainte à la société. Aujourd’hui, si nous sommes loin des modèles des asiles, persistent de gros problèmes en termes de droits par rapport à la contention et à l’isolement, même si ces pratiques sont depuis peu considérées officiellement comme une privation de liberté et soumises au contrôle juridictionnel.

Votre rapport souligne de nombreux dysfonctionnements, fondés parfois sur un lexique pervers, volontairement ambigu, que vous relevez dans votre rapport : « Isolement thérapeutique » ou « prescrire un isolement », formulent qui donnent un caractère médical. Certains soignants considèrent qu’il faut mettre un terme à ces pratiques, comme c’est déjà le cas dans certains pays. Que pensez-vous de cette proposition ? Quelle piste pouvez-vous donner au législateur pour faire respecter les droits des patients dans ces unités, puisque vous constatez une absence d’effectivité du contrôle juridictionnel ?

 Enfin, que préconisez-vous concernant les patients mineurs hospitalisés, dont votre rapport souligne l’ambiguïté, voire l’absence de statut, puisqu’ils sont isolés en soins libres alors que leur consentement n’a pas été demandé, mais a été donné par leurs parents ?

M. Philippe Schreck (RN). Madame la contrôleure générale, votre rapport et l’avis que vous avez publié le 25 juillet 2023, me semble-t-il, reposent sur des postulats, voire des références qui ne sont pas exactes.

 Pour faire écho à une question qui a été posée, vous affirmez que la vague de libérations pendant la période Covid et le confinement s’est accompagnée d’une baisse de la délinquance. Je vous renvoie aux chiffres du ministère de l’intérieur. Ce ne sont pas les nôtres, mais ceux du ministère où l’on constate en 2020 un nombre d’homicides en hausse, qui connaît une augmentation de 55 victimes, des violences volontaires en hausse de 12 %, des violences intrafamiliales en hausse de 14 %, des viols en hausse de 32 %, des agressions sexuelles autres que le viol en hausse de 31 %. Les seules violences qui n’ont pas, pendant cette période, augmenté sont les violences routières, puisque nous n’avions pas le droit de rouler.

Le deuxième postulat, vous l’évoquez et vous êtes dans votre rôle, c’est la détresse des détenus et, marginalement, celle du personnel. Même si ce n’est pas dans le périmètre de votre mission, avez-vous déjà été déjà confrontés à la détresse d’une victime ? Est-ce que cela pourrait également modifier votre éclairage ?

Enfin, vous remettez en cause le plan de 18 000 places en prison. Deux questions à ce propos. D’une part, la réalisation de ce plan qui, bien entendu, est difficile, mais ce n’est pas parce qu’une chose est difficile qu’elle doit être abandonnée, la réalisation de ce plan ne participe-t-elle pas mécaniquement à la diminution de la pression et de la surpopulation carcérale ? C’est, me semble-t-il, le sens de la réponse que vous a adressé le Garde des sceaux.

Deuxièmement, ce plan ne permet-il pas de tendre vers l’amélioration de la dignité des conditions de détention par le renouvellement de cellules totalement désuètes, indignes et obsolètes ? Puisque vous visitez les prisons de villes se finissant par « gnan », après Gradignan et Perpignan, je vous invite à venir à Draguignan, où il s’agit d’une prison récente : peut-être pourriez-vous apprécier le progrès dans la dignité que ces nouvelles prisons peuvent apporter aux détenus.

M. le président Sacha Houlié. Avant de vous donner la parole, Madame la contrôleure générale, pour que ce soit clair pour tout le monde, 15 000 places de prison sont prévues dans la programmation budgétaire au titre de l’article 1er de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice. Ensuite, 3 000 places supplémentaires sont envisagées dans le rapport annexé à cette loi ; ces 3 000 places ne sont assujetties à aucun financement et sont conditionnées à la réalisation préalable des 15 000 premières places ainsi qu’à la délivrance des autorisations d’urbanisme par les collectivités locales. Voilà la réalité de ce que nous avons voté définitivement en première lecture à l’Assemblée nationale.

Mme Dominique Simonnot. M. Mandon a parlé des recherches et de rendre obligatoire le travail en prison, mais la loi le veut déjà. La loi prévoit que le détenu doit répondre positivement aux propositions de travail qui lui sont faites et malheureusement, ces propositions n’arrivent pas. Si vous voulez qu’on en reparle plus tard, je serais ravie qu’on puisse échanger sur le travail en prison. On a eu des prestataires notamment qui nous disaient ce que je vous disais tout à l’heure. La difficulté d’entrée en prison rebute beaucoup.

 Ensuite, il y a la frilosité des employeurs, qui sont parfois des marques de grand luxe, concernant les détenus. On m’a dit surtout, ne racontez pas avec quelle marque travaillent les détenus, parce que mes commanditaires ne veulent surtout pas que les dames qui achètent leurs rouges à lèvres apprennent qu’ils sont conditionnés par des grosses paluches de détenus. Il y a eu un moment aussi où un commanditaire est venu voir l’atelier. Il était venu à l’improviste et c’était jonché de crottes de rats. À la suite de quoi je crois qu’il a retiré ses crèmes de l’atelier. Tout cela pour vous dire qu’il y a deux nombreuses entraves au travail en prison. Je le disais tout à l’heure, ce professeur a fini par renoncer parce qu’il lui fallait deux heures chaque fois pour rentrer dans la prison. On devrait lever pas mal d’entraves sur la possibilité de travail des détenus. Peut-être que cela faciliterait les choses. Et encore une fois, je suggère de prendre exemple sur l’Allemagne où je me suis rendu, car ce que j’ai vu était vraiment parlant.

 Ensuite, Madame Lohro, je réponds au sujet du portable en prison. C’est vrai que c’est gênant quand on est dans une cellule, enfermés à trois ou quatre, de devoir parler à sa famille, devant tout le monde, à ses proches. Oui, c’est encore plus gênant quand on dirige un trafic de stupéfiants, mais ce n’est pas depuis la cellule, mais depuis des portables. Comme vous le savez, les portables sont interdits en détention. On ferait peut-être mieux de les autoriser sous surveillance. Je ne sais pas si je vous ai raconté cette histoire. Un jour, pendant de grandes fouilles des cellules, les surveillants ramassent tous les portables et, dans la journée, ils ont deux coups de fil de deux juges d’instruction qui disent de rendre les portables puisqu’ils sont sur écoute dans le cadre d’une instruction. On a été obligé de leur rendre leur portable. C’est possible d’écouter les portables qui sont en prison, comme sont écoutés d’ailleurs les détenus qui appellent de leurs cellules. La solution est peut-être celle-là. Il y a une grande hypocrisie à interdire les portables en prison alors qu’on sait qu’ils en ont tous et qu’en plus, ça crée du kaïda avec ceux qui sont obligés de les ramasser quand ils tombent dans la cour de promenade. C’est un nouveau métier qui est né, ramasseur. Il y a le lanceur, le ramasseur et il y a la nourrice comme on dit, c’est-à-dire ceux qui sont obligés de les garder en cellule sous la menace des autres. C’est un énorme problème, j’en conviens et je me demande s’il ne faudrait pas mieux le réglementer plutôt que de l’interdire tout court. Vous avez vu comme l’esprit humain est intelligent et se balade entre les interdictions de façon à les contourner toujours. Je ne sais pas quoi vous dire de plus.

En ce qui concerne les menottes, oui, nous déplorons la situation, parce qu’on voit que pour certains détenus, elles sont appliquées. Le menottage et les escortes de niveaux un, deux ou trois ne sont pas tellement décidés en fonction de la dangerosité, mais en fonction d’un sentiment. Ils sont quand même extrêmement généralisés et cela aboutit au fait que certains détenus arrivent à l’hôpital accompagnés de trois surveillants bottés et masqués et que cela donne des consultations dans des conditions qui ne sont pas tellement bonnes. Cela amène certains médecins à les refuser. Il y a surtout un problème d’extraction médicale énorme. Comme il n’y a pas l'escorte, il n’y a pas de soins, il n’y a pas d’extraction vers l’hôpital.

Je trouve ça un peu injuste, Monsieur Rebeyrotte, le reproche sur les leçons à tirer du Covid. Au contraire, on en a tiré beaucoup parce qu’on appelait à ce que se reproduise cette façon de réguler la population carcérale. Vous savez peut-être que c’est inspiré de mes premières années de vie professionnelle, qui ne sont pas du tout naïves et qui font que je ne peux que penser au personnel pénitentiaire, puisque j’ai été moi-même éducatrice pendant dix ans à la pénitentiaire. C'est un milieu que je connais bien. C’est un milieu que j’ai continué à fréquenter, où j’ai gardé des amis et où on continue à échanger. Je ne comprends pas pourquoi on a tellement de mal en France à sortir du tout prison. Cela fait des années qu’on en parle. Je me souviens, quand j'étais « éduc » à la pénitentiaire, tous les 14 juillet on attendait de pied ferme les cinq mille sorties dues au décret de grâce collectif qui ont été supprimées. Peut-être que ce serait la solution la plus simple de la rétablir puisqu’on n’arrive pas à s’entendre sur un mécanisme de régulation carcérale. Les sorties sont beaucoup améliorées, mais il n’y a plus cette loi. On avait notre caisse de secours, notre liste de foyers, notre liste d’hôtels, notre liste de boulots.

 Je serai toujours d’accord pour prôner qu’on sorte du tout prison. Il y a d’autres pays où l’on applique le moins de prison. Il n’y a pas plus de délinquance qu’ici. Il y a même ici plus de récidives qu’ailleurs, parce que les sorties de prison, quand on n’a rien appris et qu’on n’a rien fait de tout ce temps passé, de tout ce temps mort, on ne sort pas dans un meilleur état. Je rappelle que la loi veut que la prison propose de la réinsertion des activités, du travail, etc. Elle est incapable de proposer quoi que ce soit d’autre que des choses contraintes. Malheureusement, c'est extrêmement regrettable.

Dans les centres de rétention, vous avez lu nos recommandations. D’ailleurs, le nombre d’OQTF est très mal connu, parce qu’il est très peu rendu public : on l’obtient à partir du taux d’exécution qui est inférieur à 10 %. Si l’administration est une machine à fabriquer des OQTF en grand nombre, forcément le taux d’exécution de ces OQTF baisse.

J’ai quand même eu la surprise – pour vous dire à quel point les agents ne rentrent pas en zone de vie – de trouver à Lyon des graffitis en caca tracés sur les murs, dont trois croix gammées, qui étaient là depuis longtemps dans une odeur pestilentielle et qui n’avaient pas été nettoyées ou qui n’avaient choqué personne. C’est à partir du nouveau centre de rétention de Lyon, qui doit servir d’exemple aux autres, qu’on a fait des recommandations en urgence pour dire que c’est impossible de retenir des gens dans ces conditions, pour qu’ils ne partent pas.

 Madame Untermaier, sur la fiabilité des tests osseux, oui, c’est l’académie de médecine qui a dit qu’ils n’étaient pas fiables. Je constate que l’on continue à s’y référer avec affliction. Quant à la présence d’un avocat auprès des enfants de l’Ase, je ne crois pas que ce soit mon rôle. Je suis tout à fait prête quand même à l’appuyer, parce que c’est absolument normal, je crois.

 Monsieur Rambaud, la surpopulation est alarmante. La densité est de 122 % globalement, mais c’est un leurre parce qu’elle est d’environ 150 % dans les maisons d’arrêt où l’on exécute les courtes peines, où les gens sont en attente de transfert et où sont les présumés innocents. Vous me dites que 72 % des Français souhaitent que les détenus étrangers exécutent leur peine dans leur pays d’origine. Je répondrai que je ne suis pas là pour commenter des sondages, ni répondre à des sondages, ni obéir à des sondages. Je pense que le Gouvernement n’est pas plus bête que vous ou moi et qu’il essaye tout pour que ces détenus repartent dans leur pays d’origine et que les retenus repartent eux aussi dans leur pays origine. Simplement, les pays d’origine ne sont pas idiots non plus. Pourquoi voulez-vous qu’ils reprennent des gens qui sortent de prison, qui ont vocation à être chômeurs et qui vont venir les embêter dans leur pays ? En ce moment, il n’y a plus un Algérien, plus un Marocain qui repart. Je suis sûre que les efforts diplomatiques sont faits, y compris en payant, mais pour le moment, vous voyez qu’ils aboutissent très peu. Je doute même que d’autres efforts venant d’autres parties aboutissent. C’est simplement une question de réalité. Vous savez, les Maliens, je doute qu’ils repartent également et à un moment, le président malien avait déclaré à la France : « Moi aussi, j’ai un peuple et moi aussi, il me juge face à ce que je fais par rapport à mon peuple, à la diaspora ». Je ne sais pas quoi vous dire de plus.

 Vous verrez si vous arrivez au pouvoir, que vous ne ferez pas mieux. Je ne pense pas. Je ne crois pas. On ne sait jamais.

Madame Taurinya, je vais laisser André Ferragne vous répondre sur la psychiatrie.

M. André Ferragne. Vous faites écho à ce que nous avons dit sur la perversité du langage. Effectivement, les professionnels ont souvent une vraie difficulté à admettre la réalité et la dureté de leur exercice professionnel. Du coup, la tentation est grande de masquer cet exercice professionnel derrière des mots plus acceptables que la réalité.

 On a comme ça le mot « prescription » qui remplace le mot « décision », ce qui revient à faire un très bon marché du fait que dans une prescription, l’élément moteur du système, c’est le consentement du patient, ce qui n’est pas le cas quand on exécute soi-même une décision qu’on prend. On a cette question, qui nous est particulièrement pénible au CGLPL, j’en ai déjà parlé, celle de la notion de soins intensifs, qui consiste à désigner une espèce de cul-de-basse-fosse dans lequelle on entrepose des patients parce qu’on n’a pas assez de monde pour les soigner.

 Non seulement il n’y a pas d’intensité, mais il n’y a pas toujours non plus de soins. Malheureusement, c’est quelque chose contre quoi nous luttons, mais qui est un réflexe de protection spontanée, je pense, du personnel des établissements de santé mentale. C’est évidemment un réflexe de protection que l’on peut comprendre, puisqu’il s’agit de défendre leur propre image.

 Sur la question de l’entrée en vigueur des protections juridiques et des difficultés qui en découlent, je n’ai pas de solution miracle, si ce n’est celle qu’il faut laisser du temps au temps, parce que le monde judiciaire et le monde médical apprennent à se connaître et ne peuvent pas le faire très rapidement. En revanche, s’agissant d’une mesure récente qui est le droit de visite des bâtonniers dans les lieux de privation de liberté, je souligne la lacune que constitue l’absence de droit de visite des bâtonniers dans les établissements de santé mentale. Certains s’y sont présentés récemment et ont été accueillis parce que les établissements de santé mentale sont plutôt ouverts. Néanmoins, ils n’ont pas cette prérogative dans la loi. Je pense que c’est une lacune réelle.

Voilà la première piste législative à laquelle je pense. Les autres pistes législatives, c’est de combler les lacunes, c’est-à-dire de juridictionnaliser le contrôle du placement en unité pour malades difficiles (UMD), du placement en unités de soins intensifs psychiatriques (USIP). Il y a une décision récente du tribunal des conflits qui, je pense, vous conduira à légiférer sur ce point ; cette décision fait faire un pas de plus au juge judiciaire dans le champ de la protection de la liberté au regard des établissements de santé mentale. J’appelle votre attention aussi sur le fait qu’il y a deux décrets récents sur l’organisation des services de psychiatrie et sur les autorisations en psychiatrie qui vont très probablement ouvrir bientôt un champ à la jurisprudence administrative, puisqu’il n’y avait pas de cadre. Il y en a désormais un. La question de la conformité à ce cadre va donc pouvoir être traduite devant le juge. C’est un progrès dans le contrôle de la psychiatrie.

Enfin, votre dernière question portait sur les patients mineurs. Il y a ce que nous soulignons dans le rapport, cette ambiguïté très grave autour du fait que les patients mineurs sont déclarés en soins libres alors qu’ils sont enfermés sur la base de la volonté, certes libre, mais pas de la leur, puisque c’est celle de leurs parents. Ce que nous avons préconisé dans un rapport déjà ancien sur l’accueil des mineurs en psychiatrie, c’est que tout enfant mineur placé en établissement de santé mentale bénéficie, quel que soit son statut de placement, d’une protection comparable, en respectant évidemment le monopole de juridiction du juge des enfants, mais équivalente à celle des majeurs en soins sans consentement, puisqu’un mineur placé sur la libre volonté de ses parents ne peut pas être regardé, au moins par nous, comme en soins libres. Il doit donc avoir une protection juridictionnelle équivalente, mais plus largement.

 Ce qui nous paraît manquer beaucoup, c’est un statut du mineur hospitalisé, qui devrait prendre en compte la question de la protection de sa liberté, mais aussi la question de son accès à l’enseignement, la question des modalités d’exercice de l’autorité parentale sur cet enfant et la question globale de l’ensemble des droits à l’information et à la protection de cet enfant.

Je reviens sur l’idée évoquée par Mme Untermaier. Si on prévoit l’assistance systématique d’un avocat pour les enfants placés à l’ASE, il n’y a pas de raison que ceux qui sont placés en établissement de santé mentale obtiennent une moindre protection.

Mme Dominique Simonnot. Monsieur Schreck, vous m’avez demandé si j’avais déjà été confrontée à des victimes. Oui, bien sûr, comme tout le monde. Et non, ça ne change pas ma façon de voir, parce que je pense que si les détenus sortent en meilleur état et sans récidive, ce sera meilleur pour tout le monde, y compris pour les victimes.

Ensuite, le plan 15 000, je vous ai dit ce que j’en pensais. J’ai fâché votre président en disant que je n’y crois pas, mais bon, on verra bien.

Quant à la prison de Draguignan, vous verrez bientôt le rapport que nous allons élaborer et je vais vous surprendre peut-être, mais il vous fera sûrement plaisir pour une fois.

M. le président Sacha Houlié. Je vous remercie.

 

La séance est levée à 12 heures 15.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Ian Boucard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, M. Philippe Fait, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Éric Girardin, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Andy Kerbrat, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Marie Lebec, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, Mme Alexandra Masson, Mme Laure Miller, M. Didier Paris, M. Emmanuel Pellerin, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Philippe Schreck, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan

Excusés. - M. Xavier Breton, M. Jérémie Iordanoff, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, Mme Julie Lechanteux, M. Didier Lemaire, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Davy Rimane