Compte rendu

Commission d’enquête visant
à établir les raisons de la perte de
souveraineté et d’indépendance
énergétique de la France

– Audition de M. Nicolas Hulot, ancien ministre d’État de la transition écologique et solidaire (2017-2018) et de Mme Michèle Pappalardo, Membre de l’Académie des Technologies, ancienne directrice de cabinet de M. Nicolas Hulot              2

– Présences en réunion................................25


Mardi
28 février 2023

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 45

session ordinaire de 2022-2023

 

Présidence de
M. Raphaël Schellenberger,
Président de la commission
 


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Mardi 28 février 2023

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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M. le président Raphaël Schellenberger. La commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France procède aujourd’hui à l’audition de M. Nicolas Hulot, ministre d’État de la transition écologique et solidaire entre 2017 et 2018.

Monsieur Hulot, nous vous remercions d’avoir accepté cette invitation pour nous informer et nous éclairer sur les décisions qui ont été prises au cours de l’exercice de vos fonctions ministérielles. Vous êtes accompagné de Mme Michèle Pappalardo, membre de l’Académie des technologies, qui fut votre directrice de cabinet et celle de votre successeur.

Avant d’occuper les fonctions pour lesquelles vous êtes particulièrement entendus aujourd’hui, vous avez tous les deux participé au débat public relatif au système énergétique français des quinze dernières années.

La Fondation pour la nature et l’homme, que vous avez créée, monsieur le ministre d’État, et dans laquelle Mme Pappalardo s’est investie, est devenue pratiquement incontournable dans les divers processus de concertation mis en place par les pouvoirs publics. Vous avez également exercé des responsabilités importantes sur le plan politique. Le Pacte écologique proposé aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 en est un exemple.

Quant à vous, madame Pappalardo, vous avez présidé l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe, aujourd’hui Agence de la transition écologique) de 2003 à 2008, et occupé les fonctions de déléguée interministérielle puis commissaire générale au développement durable.

Entre 2017 et 2018, des décisions significatives ont été prises dans le domaine de l’énergie. Ce dernier ne représentait qu’une partie des larges attributions qui avaient été conférées au ministre de la transition énergétique et solidaire, mais il comportait des enjeux essentiels. En effet, monsieur Hulot, vous étiez chargé de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique de l’énergie, notamment afin « d’assurer la sécurité d’approvisionnement, la lutte contre le réchauffement climatique et l’accès à l’énergie, et de promouvoir la transition énergétique. » Vous aviez également en charge, conjointement avec le ministre de l’économie et des finances, la politique des matières premières et des mines en ce qui concerne les matières énergétiques.

En 2017, le plan Climat comportait des mesures importantes dans le domaine de l’énergie, notamment l’arrêt de la production énergétique à partir de charbon dès 2022 et le remplacement des voitures thermiques à l’horizon de 2040. Ce plan marque un tournant, puisque l’objectif « facteur 4 » est remplacé par un objectif de neutralité carbone en 2050. La loi du 30 décembre 2017 a d’ailleurs mis fin à la recherche ainsi qu’à l’exploration des hydrocarbures. Lors des auditions que nous avons déjà conduites, ce changement de paradigme a pu être avancé par certains pour expliquer des revirements politiques.

La baisse de la consommation d’énergie et le développement des énergies renouvelables sont des constantes de votre programme. Votre audition devrait néanmoins permettre de mieux identifier les enjeux qui étaient les vôtres à cette époque en matière de mix électrique, notamment concernant la place de l’énergie nucléaire.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur le ministre d’État, madame Pappalardo, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Nicolas Hulot et Mme Michèle Pappalardo prêtent successivement serment.)

M. Nicolas Hulot, ancien ministre d’État de la transition écologique et solidaire. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai souhaité que le mot solidaire soit ajouté à l’intitulé du ministère, car j’avais une cruelle conscience que la mutation qui était devant nous – ce changement de paradigme que vous venez d’évoquer – était conditionnée à son acceptabilité sociétale. Compte tenu de l’urgence, nous devions garder ce paramètre en tête.

Dans le domaine purement énergétique, la loi « Grenelle 1 », la loi « Grenelle 2 », la loi relative à la transition écologique pour la croissance verte ou le plan Climat s’étaient accompagnés de nombreux engagements, mais les objectifs fixés n’étaient pas en voie de réalisation. Pour ce qui était de la réduction de la consommation, du développement des énergies renouvelables ou de l’évolution de la part du nucléaire dans le mix électrique, nous ne respections pas les trajectoires souhaitées.

La transition énergétique est un terme générique, derrière lequel se profile une transformation de notre modèle économique et de notre modèle de société. Celle-ci ne peut pas se faire dans la brutalité, car elle remet en cause des éléments fondamentaux. Malheureusement, le sens de la planification fait défaut à notre démocratie.

En matière énergétique, nous devions concilier plusieurs contraintes, la première étant, vous l’avez rappelé, la sécurité de l’approvisionnement. La couverture des besoins essentiels des entreprises, comme des particuliers, devait être assurée.

Par ailleurs, nous devions tenir compte du paramètre climatique, qui prime presque sur tout le reste. Il a fallu du temps pour prendre conscience de son importance et il s’est finalement imposé brutalement, nous contraignant à programmer la sortie de l’économie carbone. Chez nous, comme ailleurs, elle était l’économie de référence. Sans rappeler le rôle que les énergies fossiles ont joué dans le développement des économies contemporaines, nous avions une forme sinon d’addiction, du moins de dépendance, vis-à-vis de ces énergies. Elles ont permis certaines choses que nous pouvons mettre au crédit du progrès, même si cela n’a pas été sans conséquences.

Nous devions également prendre en compte la réalité énergétique de notre pays, avec un parc nucléaire composé de cinquante-huit réacteurs, parfois vieillissants.

Il nous fallait composer avec toutes ces contraintes, alors que nous avions déjà accumulé un retard considérable dans l’atteinte de nos objectifs. Pour respecter la loi, nous aurions dû mettre en place des mesures d’une grande brutalité sociale. Elles nous auraient également fait prendre des risques concernant la sécurité d’approvisionnement et la sûreté de notre appareil de production, notamment dans le domaine du nucléaire.

Il était nécessaire de tout remettre à plat. Nous avons essayé de dresser un état des lieux, sans aucun dogme, en ayant une approche intégrale et transversale de la politique énergétique, c’est-à-dire en nous intéressant autant à l’offre qu’à la demande.

Tous ceux qui se sont un peu intéressés à la question le diront, le modèle énergétique de demain, quel qu’il soit, reposera sur la sobriété, clé de voûte de toute réussite. Or de ce point de vue, nous étions aussi très en retard. Nous étions confrontés à une croissance constante des besoins d’énergie, du fait de l’urbanisation, de l’évolution des comportements et de l’utilisation massive de nouveaux appareils ou de l’explosion des véhicules électriques de plus en plus énergivores. Il était indispensable de retrouver une certaine rationalité.

Avec mon cabinet, nous avons adopté une méthode consistant à ne pas nous focaliser sur l’électricité, mais à appréhender la politique énergétique de manière globale. Notre ambition était de développer des filières industrielles, de protéger l’approvisionnement et l’indépendance nationale, de réduire la demande d’énergie – nous la considérions comme une priorité, en particulier s’agissant des énergies fossiles –, et de soutenir les différentes formes d’énergies renouvelables. Nous avons réussi à faire accepter le gaz comme énergie de transition, ce qui n’était pas évident à l’époque. Je nous félicite d’avoir pris l’initiative d’augmenter les capacités de stockage : cette décision nous permet certainement de passer l’hiver actuel dans de meilleures conditions.

Concernant la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique et sa limitation à 50 %, j’ai été obligé de prendre une décision, difficile pour moi, mais rationnelle. Si nous n’avions pas repoussé l’échéance, nous aurions dû imposer des mesures brutales dont nous n’aurions pas forcément maîtrisé les conséquences.

Nous avons surtout organisé la fin des énergies fossiles, en prenant en compte les enjeux de développement territorial.

S’agissant de la terminologie, plutôt que de parler d’indépendance ou de souveraineté, j’emploierais plutôt le mot de « vulnérabilité ». Un pays produisant l’intégralité de l’énergie qu’il consomme à l’intérieur de ses frontières sans être dépendant d’autres technologies ou d’autres sources d’approvisionnement remplirait les conditions de la souveraineté. La France n’a semble-t-il jamais connu une telle situation, même à l’époque du charbon. Nous en sommes loin désormais : en ce qui concerne les énergies fossiles, nous dépendons principalement de la Russie pour le gaz et du Moyen-Orient pour le pétrole. S’agissant du nucléaire, nous dépendons de l’uranium importé notamment du Kazakhstan. Il faut se garder de sous-estimer la complexité des chaînes de valeur. Celles-ci impliquent de nombreuses technologies, qui peuvent aussi être source de dépendance. Ne voyez pas dans cette remarque une critique facile vis-à-vis du nucléaire ! Nous devons toutefois être objectifs.

Dans mon esprit, l’indépendance énergétique pourrait être atteignable à l’échelle européenne, même si nous sommes également dans une forme de dépendance concernant les énergies renouvelables. Celles-ci ont besoin de matières premières, comme les terres rares, dont nous n’avons pas trouvé de réserves dans notre sol, en tout cas pas pour le moment.

L’esprit dans lequel nous avons travaillé consistait à remettre de l’ordre et, autant que possible, à dresser un état des lieux. Un ministre manque souvent d’informations. Il est facile de dire qu’il faut fermer une centrale ou réduire la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, mais quel est le coût social ou le coût économique d’une telle décision ? Comment être certain qu’elle n’entraînera pas une rupture d’approvisionnement ?

Je ne suis pas resté en poste très longtemps, mais jusqu’à la fin, il m’a manqué beaucoup d’éléments pour appréhender la situation de manière globale. Combien coûte le démantèlement ? Quelle prolongation d’exploitation serait envisageable, pour quels réacteurs, quelles centrales ? Les données, lorsque j’en avais, n’étaient pas toujours concordantes. Dans ces conditions, il était difficile de prendre des décisions.

J’ai beaucoup regretté que le débat sur la stratégie énergétique de la France se focalise en permanence sur un rejet ou une défense du nucléaire ou des énergies renouvelables. Ces positions tranchées nuisent à une réflexion rationnelle et experte. Elles sont presque devenues un marqueur politique. Compte tenu des enjeux sociaux, économiques ou écologiques, cette situation me désole. Les travaux de votre commission permettront peut-être de revenir à un peu de rationalité.

La question est tellement épidermique qu’elle s’est traduite par une multiplication des fronts de refus. Quand vous êtes ministre de l’énergie, vous avez face à vous les antiéoliens, les antisolaires, les antithermiques et les antinucléaires. Je caricature évidemment, mais la situation peut devenir compliquée, car en démocratie, il faut tenir compte des oppositions locales ou nationales.

Il n’existe pas de modèle parfait. Je défie quiconque de démontrer que les énergies renouvelables pourraient, à elles seules, pourvoir aux besoins d’énergie de la France – je le souhaiterais, pourtant. Le nucléaire ne le permettrait pas non plus. Rien n’est tout blanc ou tout noir. Dans le domaine énergétique comme dans beaucoup d’autres, la diversité est probablement la meilleure option. Elle doit en outre s’accompagner de sobriété, c’est-à-dire d’une baisse drastique de notre consommation. Les gisements sont nombreux et pourraient permettre la création d’emplois non délocalisables. Grâce aux économies réalisées, nous pourrions en outre réorienter de l’argent vers des secteurs prioritaires comme la santé, l’éducation ou l’environnement.

M. le président Raphaël Schellenberger. Pour simplifier la décision future, nous avons parfois tendance à relire des décisions du passé à l’aune des connaissances actuelles, ce qui est l’une des difficultés du débat politique.

Monsieur Hulot, vous avez, de longue date, été un animateur du débat énergétique, notamment avec la charte environnementale que vous avez fait signer aux candidats à l’élection présidentielle de 2007. Certains auraient apparemment cherché à vous « recruter », d’une manière ou d’une autre, dès 2002. Comment avez-vous vu la question évoluer, depuis cette époque jusqu’à votre entrée au gouvernement en 2017 ?

M. Nicolas Hulot. Avant d’accepter des responsabilités ministérielles, j’ai travaillé dans le domaine associatif. L’une des ambitions que j’avais avec ma fondation était de faire le lien entre le discours scientifique et la décision politique. Je voulais que tout le monde se parle et que toutes les positions s’expriment, pour avoir la meilleure diffusion possible de l’information.

Ma fondation disposait d’un conseil scientifique regroupant des experts de nombreuses disciplines. Le Pacte écologique ou le Grenelle de l’environnement ont permis que les ministères, Matignon ou l’Élysée s’ouvrent à d’autres voix. Cet exercice est un moyen de se forger des convictions et de les mettre à l’épreuve. Les choix engagent sur le très long terme. Ils conditionnent le succès d’un modèle économique, influent sur la santé, voire désormais sur l’avenir de la planète. Compte tenu des enjeux, il ne doit pas y avoir une exclusivité d’expression, de réflexion ou de diagnostic.

Dans l’esprit de certains, l’écologie avait une signification idéologique ou politique, mais j’ai tenu à ce qu’elle donne lieu à un débat sociétal. Pour résoudre ces équations complexes et prendre des décisions, nous avions besoin de l’intelligence des uns et des autres. Je ne pensais pas que le sujet susciterait un tel clivage. Des avancées ont néanmoins été possibles et la situation continue à évoluer.

Au sein de ma fondation, nous avons toujours privilégié un esprit d’ouverture. M. Jean-Marc Jancovici, que vous avez auditionné, a fait partie de mon conseil scientifique pendant très longtemps. Je ne partageais pas la même vision que lui concernant la place du nucléaire dans le mix électrique. Cependant, nous avons fait preuve d’une forme d’intelligence de processus, en prenant acte de nos différences et en identifiant des points de convergence.

Nous avons besoin de points d’étape. Atteindre l’objectif de 50 % de nucléaire dans le mix électrique en était un : il nous aurait permis de faire la démonstration de la supériorité d’un scénario par rapport à l’autre, en montrant soit que nous pouvions progressivement nous passer du nucléaire, soit que nous ne le pouvions pas.

La contrainte climatique a redonné un peu de crédit, ou en tout cas de raison d’être, au nucléaire. Il n’est pas neutre s’agissant des émissions de gaz à effet de serre, car les matériaux fissiles ne sont pas acheminés par voie navigable. Toutefois, toute personne de bonne foi reconnaîtra qu’il est assez vertueux dans ce domaine. Il a, en revanche, d’autres conséquences. La question des déchets est philosophique, car nous donnons procuration aux générations futures pour les prendre en charge. Nous leur déléguons cette responsabilité sans qu’elles en soient informées. Une société qui se dit civilisée doit assumer ses propres responsabilités et être capable de contenir les risques liés à son activité dans le temps et dans l’espace. J’ai donc toujours été prudent et réservé concernant le nucléaire, tout en ayant conscience que nous ne pouvions pas nous en passer facilement. Nous devons faire la démonstration de ce qu’il est possible de faire. Malheureusement, la planification n’a pas véritablement opéré et n’a pas permis de se livrer à cet exercice. Il est peut-être encore temps de redresser la barre.

M. le président Raphaël Schellenberger. Au cours de nos auditions, certains nous ont dit que la question énergétique n’était pas au cœur du débat lors de la campagne présidentielle de 2007, en tout cas pas comme elle a pu l’être en 2022.

Votre charte pour l’environnement a été signée par la plupart des candidats en 2007. Comment la question énergétique se situait-elle par rapport à la préoccupation environnementale ? Était-elle centrale ?

M. Nicolas Hulot. Dans le Pacte écologique, la question énergétique était surtout abordée sous l’angle du climat. Nous proposions de fixer un prix du carbone, ce qui était assez novateur à l’époque. Les plus grands économistes considéraient en effet que ce dispositif était indispensable pour orienter les investissements.

Différentes propositions visaient également à soutenir le développement des énergies renouvelables. Par rapport à d’autres pays, la France était déjà très en retard dans ce domaine. Le sujet de l’énergie n’était donc pas totalement absent, mais il n’était pas non plus l’élément principal du Pacte écologique.

M. le président Raphaël Schellenberger. Ces éléments sont importants car ils nous permettent de nous replacer dans le contexte de l’époque.

Vous êtes une personnalité publique qui a été très sollicitée dans le débat politique français. Il vous a plusieurs fois été proposé d’entrer au gouvernement. Vous avez plusieurs fois refusé, puis, en 2017, vous avez accepté. Quelles étaient vos conditions pour entrer au gouvernement en tant que ministre d’État, en charge notamment de l’énergie ?

M. Nicolas Hulot. J’avais effectivement eu l’occasion de refuser d’entrer au gouvernement, parce que je ne me sentais pas capable de faire face à cette lourde responsabilité. Ce ministère a un périmètre très large, puisqu’il couvre le transport, parfois le logement, l’énergie, voire – ce fut le cas me concernant – l’économie sociale et solidaire.

J’ai accepté cette proposition en 2017 pour deux raisons. Je me suis engagé toute ma vie en faveur de l’écologie. J’avais tout essayé pour faire de cet enjeu un déterminant majeur de notre avenir, sauf d’être ministre. J’avais déjà travaillé auprès de M. François Hollande comme envoyé spécial pour préparer la COP21, mais je restais un peu en dehors de la politique. Je ne voulais pas avoir de regrets. J’ai tout de même posé quelques conditions, car il me semblait important de ne pas retomber dans les travers du passé, avec des ministres qui n’avaient pas les moyens de leurs ambitions. Disposer d’une feuille de route partagée me paraissait indispensable. La transition écologique est une transition sociétale lourde, qui ne peut pas souffrir d’injonctions contradictoires.

Avant d’accepter sa proposition, j’ai discuté avec le Président de la République, afin de m’assurer que nous partagions les mêmes points de vue, notamment dans le domaine énergétique. Il avait probablement une vision plus enthousiaste que moi du nucléaire, mais il n’avait pas de dogme. J’ai demandé que, dans un premier temps, nous développions les énergies renouvelables, parce que nous étions très en retard dans ce domaine par rapport à nos voisins européens. Nous devions vraiment en faire une priorité. J’ai également souhaité introduire le concept de précarité énergétique, qui constituait un angle mort de la politique menée jusqu’à présent.

J’ai accepté la proposition qui m’a été faite, parce que le Président m’a assuré que Matignon et l’Élysée appuieraient l’action du ministère et feraient en sorte que nous n’ayons pas de conflits à l’intérieur du gouvernement.

Ensuite, tout ne s’est pas forcément passé comme je l’aurais souhaité. Au moment où ces promesses m’ont été faites, elles étaient probablement sincères. Au fil du temps, les anciennes habitudes sont néanmoins revenues. Les enjeux de court terme finissent souvent par l’emporter. Or quand vous luttez contre les effets du changement climatique, vous ne pouvez malheureusement pas obtenir de succès visibles le temps d’un quinquennat.

Pour résumer, j’ai accepté de devenir ministre d’État, car je pensais pouvoir créer une forme d’élan et réussir à faire de la transition écologique une priorité.

M. le président Raphaël Schellenberger. Je souhaitais connaître les conditions que vous aviez posées plus que les raisons qui vous ont poussé à accepter d’entrer au gouvernement.

M. Nicolas Hulot. J’ai évoqué avec le Président de la République certains sujets sur lesquels il ne s’était pas exprimé, comme la biodiversité, mais je souhaitais surtout que nous actions les priorités et les moyens. Tous les ministres qui m’ont précédé se plaignaient des mêmes affres – les budgets au rabot, les décisions contradictoires prises par d’autres ministères, les interminables réunions interministérielles à Matignon où ils devaient se battre pour chaque décision, etc. J’espérais que les choses seraient différentes et qu’il y aurait davantage d’ambition.

M. le président Raphaël Schellenberger. Dans l’exercice de votre fonction ministérielle, vous avez été amené à poursuivre la fermeture de certains moyens de production carbonés et notamment à organiser la fin de la production d’électricité à base de charbon. Au moment où vous avez pris ces décisions, quelle place occupait la sécurité d’approvisionnement dans les réflexions ?

M. Nicolas Hulot. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a plafonné à 63,2 gigawatts la production d’électricité d’origine nucléaire. Nous devions composer avec cette contrainte. Si le réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville avait été opérationnel, il aurait pu compenser la fermeture d’une centrale ou d’un réacteur. En revanche, si aucune autre installation n’avait été à l’arrêt, il ne nous aurait pas permis de respecter la limite qui avait été fixée. Je parle sous le contrôle de Michèle Pappalardo, car ma mémoire peut faire défaut.

Nous avons retardé la fermeture de certaines centrales thermiques, parce que celle-ci aurait été trop brutale. Rien n’avait été prévu sur le plan social.

Nous avons également repoussé l’échéance concernant la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique et reporté la fermeture de certains réacteurs.

Quand j’ai essayé d’évaluer les conséquences sociales et économiques de ces décisions et de savoir quels réacteurs devaient être prioritairement fermés, je n’ai pas réussi à obtenir d’informations suffisamment précises. Sans abandonner les objectifs, nous avons donc été obligés de revoir l’échéancier.

Après mon départ, des centrales thermiques ont été fermées, ainsi que les deux tranches de Fessenheim. Vous connaissez bien cette centrale, monsieur le président, et je maîtrise probablement moins que vous les débats sur l’opportunité de sa fermeture. Néanmoins, personne n’aurait pu imaginer que Flamanville prendrait autant de retard et que cet EPR ne serait toujours pas opérationnel aujourd’hui. Nous sommes face à un cas d’école. Tout le monde pensait que la fermeture d’un ou de plusieurs réacteurs serait compensée par l’ouverture de Flamanville.

Pourquoi Fessenheim était-elle en tête de liste ? Si je ne me trompe pas, en 2017, l’un des réacteurs avait été à l’arrêt pendant toute l’année et le second pendant une centaine de jours, soit un total d’environ 450 jours de fermeture. Nous avions également découvert des problèmes de corrosion – d’autres centrales étaient touchées. Par ailleurs, nous subissions une pression de la part de nos voisins européens concernant Fessenheim. Il s’agissait de notre plus vieille centrale et elle était à proximité de deux frontières. Nous devions en tenir compte.

J’avais demandé au secrétaire d’État Sébastien Lecornu d’envisager la mise en place de contrats de transition énergétique et écologique. Nous ne savions pas combien de temps prendrait le démantèlement, combien d’emplois seraient nécessaires ou quelles seraient les possibilités de reconversion. Ces questions n’avaient pas été étudiées, peut-être par manque de moyens, mais aussi parce qu’il n’existait pas de réponses claires. L’ancienne centrale de Brennilis, dans les monts d’Arrée en Bretagne, occupe toujours soixante-dix personnes, alors qu’elle a été arrêtée dans les années 1980. Le budget qui était prévu a explosé.

Nous manquions d’éléments cruciaux pour prendre des décisions et nous devions tenir compte de la contrainte fixée par la loi. Sauf si nous avions fait adopter un autre texte, celle-ci s’imposait à nous.

M. le président Raphaël Schellenberger. Ma question ne concernait pas la centrale de Fessenheim. L’expertise qui a été menée a conclu qu’elle n’était pas touchée par les problèmes de corrosion sous contrainte.

Quand vous étiez ministre d’État, vous avez dû organiser la sortie du charbon. Les décisions qui ont été prises s’inscrivaient dans la continuité de la décennie passée. Une dizaine de gigawatts de capacités de production thermique fossile a été fermée. La question a-t-elle été abordée sous l’angle de la sécurité d’approvisionnement ?

Pour compléter les propos que vous avez tenus, pouvez-vous nous indiquer où en était le démantèlement du réacteur de Chooz A lorsque vous étiez ministre d’État ?

M. Nicolas Hulot. J’ai retrouvé les chiffres exacts concernant Fessenheim : en 2017, l’un des réacteurs a été arrêté toute l’année ; le second l’a été pendant 82 jours. Ils l’ont été pour de bonnes raisons, mais, comme vous l’avez relevé, ce n’était pas à cause de problèmes de corrosion – ils ont concerné d’autres centrales.

En abandonnant le charbon, nous prenions évidemment un risque en matière d’approvisionnement. Pour le limiter, nous avons essayé d’améliorer les méthodes de stockage de l’électricité produite par les énergies renouvelables. Nous avons surtout augmenté les capacités de stockage de gaz et nous avons œuvré pour le faire accepter comme une énergie de transition.

Ces décisions sont intervenues au moment où nous avons fait adopter une loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures en France, mais ces activités étaient très limitées.

Notre échéancier permettait d’éviter de fermer simultanément Fessenheim et les centrales à charbon. Nous avions compris que Flamanville ne serait pas opérationnel tout de suite. Nous en avons tiré les conséquences et nous avons reporté certains engagements. Ces décisions n’étaient pas faciles à prendre pour moi, car j’avais le sentiment de freiner toute la dynamique, mais j’en ai assumé la responsabilité. Il fallait tenir compte de notre vulnérabilité. Je ne pouvais pas prendre le risque d’une coupure générale d’électricité.

Mme Michèle Pappalardo, ancienne directrice de cabinet de M. Nicolas Hulot, membre de l’Académie des technologies. La fermeture des centrales à charbon était inscrite dans le programme du Président de la République et les premiers discours évoquaient une mise en œuvre immédiate de cette mesure. En étudiant attentivement la réalité de la production d’électricité, nous avons toutefois constaté notre retard en matière d’énergies renouvelables et de sobriété. Réseau de transport d’électricité (RTE) estimait en outre que, pour des raisons de sécurité, il ne fallait pas fermer les centrales à charbon tout de suite. Nous nous en sommes finalement très peu servi, mais nous n’avons pas voulu prendre de risques en matière d’approvisionnement.

Progressivement, les discours ont un peu évolué et ils sont devenus plus prudents quant à la date de fermeture des centrales à charbon. Sans être remise en cause, il était acté que celle-ci ne pourrait intervenir qu’une fois toutes les conditions réunies pour le faire de manière sécurisée, c’est-à-dire après 2019 ou 2020. RTE estimait en effet que la période 2018-2020 pouvait être tendue.

Nous avons donc ralenti le rythme et nous en avons profité, même si les échéances étaient proches, pour essayer d’anticiper les conséquences de ces décisions pour les territoires, notamment en recherchant des activités de substitution ou en proposant des formations aux personnels. M. Sébastien Lecornu avait pour mission de travailler avec les élus et l’ensemble des acteurs locaux. Nous souhaitions trouver des solutions avant l’arrêt des centrales, dont certaines ne sont d’ailleurs pas encore fermées aujourd’hui.

M. le président Raphaël Schellenberger. Aviez-vous des informations sur l’état d’avancement du démantèlement du réacteur de Chooz A ?

Mme Michèle Pappalardo. Nous en avions certainement, mais je n’en ai aucun souvenir.

M. Nicolas Hulot. Ma réponse est identique.

M. le président Raphaël Schellenberger. Vous avez indiqué ne pas avoir de réponses concernant le démantèlement de Fessenheim. Or Chooz A est souvent considéré comme le terrain d’apprentissage du démantèlement.

M. Nicolas Hulot. J’avais besoin d’ordres de grandeur. Concernant les déchets ultimes, chacun connaît les comparaisons par rapport à la taille des piscines olympiques. Le démantèlement d’une centrale représente toutefois des volumes de déchets beaucoup plus importants. Tous n’ont pas la même dangerosité, ni la même durée de vie. Il faut également pouvoir organiser le démantèlement dans le temps et avoir une idée du nombre de personnes nécessaires.

À Brennilis, le démantèlement a déjà coûté 850 millions d’euros et n’est toujours pas achevé. Nous ne savons pas quand il le sera. C’est un élément que nous devons prendre en considération. À un moment, il faudra que quelqu’un paie. Ce n’est pas un argument facile contre le nucléaire. C’est, en revanche, la preuve que nous devons tenir compte de tous les paramètres. Ce constat vaut aussi pour les énergies renouvelables. Nous n’y arriverons jamais si nous ne réussissons pas à sortir des postures dogmatiques.

M. le président Raphaël Schellenberger. Chooz A utilise la technologie standardisée du parc français ; Brennilis est un réacteur unique.

Mme Michèle Pappalardo. Vous avez raison. Brennilis est un cas très particulier. C’est un réacteur de recherche, qui utilise des techniques spécifiques et dont le démantèlement est très long.

Le démantèlement de Chooz est un cas d’étude pour EDF, mais il n’est pas achevé. Il ne fournit donc pas de vision globale. En outre, bien que la technologie utilisée soit identique, Chooz n’est pas comparable à Fessenheim : il ne s’agit pas d’une centrale type de notre parc. Les travaux en cours pourront certainement nous apporter quelques réponses. Néanmoins, nous devrons nous contenter de scénarios pendant encore un certain temps. Pour le moment, nous ne disposons pas d’un véritable cas pratique.

M. le président Raphaël Schellenberger. Nous laisserons les experts juger de ces différences de technologies. Nous ne devons pas non plus oublier de nous replacer dans le contexte des années 2017 et 2018. Cinq ans ont passé.

Monsieur le ministre d’État, vous avez plusieurs fois déploré le manque d’informations ou la difficulté d’y avoir accès. Il me semble que le rapport de MM. Yannick d’Escatha et Laurent Collet-Billon a été remis lorsque vous étiez en fonction. Celui-ci aborde à la fois le nucléaire civil et le nucléaire militaire et a été presque immédiatement classé secret défense. La commission d’enquête a demandé à avoir communication des parties consacrées au nucléaire civil. Comme la presse s’en était fait l’écho à l’époque, ce rapport préconisait la construction d’au moins six EPR de nouvelle génération. En avez-vous eu connaissance ? Ce rapport a-t-il éclairé vos décisions ?

M. Nicolas Hulot. La sortie du nucléaire n’a jamais été actée au plus haut niveau de l’État. Personne ne m’a jamais dit qu’aucun nouvel EPR ne serait construit. Une fois l’objectif de 50 % du mix électrique atteint, la construction de nouveaux réacteurs était probablement envisagée. Je ne me souviens pas que ce rapport me soit parvenu en l’état, mais comme je voudrais dire la vérité et ne pas me tromper, je laisse la parole à Michèle Pappalardo.

Mme Michèle Pappalardo. Ce rapport a été réalisé à l’initiative de différents ministères, dont le nôtre – nous avions choisi M. d’Escatha – et avec un objectif très précis. Le nucléaire civil commençait à souffrir d’une perte de compétences. Puisqu’elle ne semblait pas toucher le nucléaire militaire, nous voulions nous inspirer des pratiques du ministère de la défense, notamment pour renforcer l’attractivité de ce secteur. Nous avons été un peu déçus, car le rapport ne traitait finalement pas ce sujet.

Je ne suis pas certaine d’avoir lu le rapport, ce qu’avait assurément fait le conseiller en charge de l’énergie. Nous en avions fait part au ministre d’État.

Nous espérions que le parallèle entre le nucléaire civil et militaire, qui est rarement fait, nous ouvrirait des pistes. Nos questions étaient très précises. Préconiser un plan de construction de centrales ne correspondait pas du tout à ce que nous attendions.

Je ne sais plus quand le rapport a été rendu, mais il me semble que c’était peu avant notre départ, à l’été 2018, ce qui explique que nous en ayons un souvenir limité. Il a en outre été rapidement classé secret défense, ce qui signifie que nous ne pouvions plus l’évoquer publiquement. Nous ne l’avons donc pas exploité.

M. le président Raphaël Schellenberger. Vous avez commandé un rapport sur l’avenir de la filière. Pour la préserver, celui-ci préconise de construire des centrales. Pourquoi dites-vous que ce n’était pas la réponse que vous attendiez ?

Mme Michèle Pappalardo. Ce genre de rapport fait l’objet d’une décision interministérielle, mais nous avions clairement exprimé nos préoccupations. Elles avaient d’ailleurs orienté le choix des personnes. Nous cherchions à redynamiser la filière, en nous inspirant des pratiques de la défense. Nous pensions que le sujet serait abordé sous l’angle des ressources humaines – recrutement, formation, gestion des personnels.

De nombreux autres travaux, qui n’étaient pas classés, étaient en cours concernant l’évolution du parc nucléaire. RTE élaborait divers scénarios pour préparer la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ou permettre d’atteindre une part de 50 % du mix électrique. Nous examinions ces modèles à longueur de journée. Nous considérions donc que ce n’était pas l’objet de ce rapport.

M. Nicolas Hulot. Je remercie Michèle Pappalardo, qui a une mémoire plus précise que la mienne – je me suis éloigné de tous ces sujets depuis deux ans. Je suis incapable de vous dire si j’ai lu le rapport dans son intégralité, ce qui est toutefois peu probable. Je suppose qu’à l’époque, un de mes conseillers m’en avait transmis une synthèse.

Nous ne pouvions pas courir tous les lièvres à la fois : il n’était pas possible de baisser notre consommation, développer massivement les énergies renouvelables, réduire la part du nucléaire et construire de nouveaux EPR. Flamanville n’était toujours pas opérationnel. Aucun EPR, ni celui du Royaume-Uni, ni celui de Finlande, n’était en activité. Cette situation méritait de prendre un peu de recul. Il me semblait que nous n’étions pas à deux ans près et que nous ne pouvions pas nous lancer dans un tel projet au prétexte de conserver des savoir-faire. Une décision politique avait en outre été inscrite dans la loi. La production d’électricité à partir de l’énergie nucléaire était plafonnée.

Les EPR semblaient touchés par une malédiction, qui nous invitait à faire preuve de prudence dans nos choix et nos décisions. Nous pouvions assurer une certaine continuité de l’activité grâce aux exportations, puisque nous vendions des centrales à l’étranger. C’était un moyen de conserver des savoir-faire. Cet enjeu de compétences ne pouvait pas justifier la construction de nouveaux réacteurs. Il s’agissait à l’époque d’EPR équivalents à celui de Flamanville.

M. le président Raphaël Schellenberger. M. le ministre d’État a plusieurs fois souligné les difficultés d’accès à l’information. Madame la directrice de cabinet, comment sont traités et synthétisés les nombreux rapports produits pour éclairer le ministère ? Lors de son audition, Yves Bréchet a évoqué les 4 000 pages qu’il a rédigées en tant que haut-commissaire à l’énergie atomique et qui, selon lui, n’ont pas été lues.

Mme Michèle Pappalardo. Il est difficile d’apporter une réponse générale. Pendant les dix-huit mois du ministère, il ne me semble pas que nous ayons reçu énormément de rapports. Nous n’en avons pas eu vraiment le temps.

Ayant rédigé de nombreux rapports pour la Cour des comptes, j’ai une certaine expérience de ce qu’ils deviennent. Certains sont très utilisés, d’autres moins. Ce serait toutefois une erreur de considérer qu’ils ne servent à rien.

Le rapport que nous évoquons est un peu particulier, parce qu’il a été classé. Habituellement, lorsqu’un rapport est rédigé sur la politique énergétique, il est analysé par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Quel que soit son auteur, elle a généralement été sollicitée pendant la phase de rédaction. Elle connaît donc bien le sujet et peut apporter au cabinet et au ministre d’État toutes les explications et précisions nécessaires.

Le cabinet dispose généralement d’un ou deux spécialistes de l’énergie, qui prennent connaissance du rapport et apportent leur éclairage.

Le ministre d’État ne peut pas lire intégralement tous les rapports qui lui sont transmis, mais il dispose de synthèses. J’avais, il y a bien longtemps, été directrice de cabinet de Michel Barnier. Avec Nicolas Hulot, nous avons organisé de nombreuses réunions avec la DGEC pour comprendre les différents sujets.

Les rapports n’ont pas vocation à être appliqués tels quels. Ils alimentent la réflexion et constituent une base de partage avec les autres ministères, avec Matignon et avec l’Élysée. Ils fournissent des informations, qui s’ajoutent à beaucoup d’autres éléments. La période que nous avons connue entre 2017 et 2018 était très particulière : RTE avait construit de multiples scénarios, en intégrant toujours de nouvelles hypothèses. Les échanges avec les experts étaient très riches. Nous avions régulièrement des discussions avec EDF, RTE, la DGEC et, pour certains sujets, avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou l’Ademe.

M. le président Raphaël Schellenberger. Lors de son audition, Mme Ségolène Royal a présenté les dispositifs inscrits dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Elle a nommément accusé Mme Pappalardo d’avoir détricoté cette loi et de l’avoir rendue inopérante. Je vous accorde donc un droit de réponse.

M. Nicolas Hulot. J’ai entendu ces propos de Mme Royal. Quand nous sommes arrivés au ministère, nous avons découvert que certains engagements qui avaient été pris concernant les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) n’étaient pas budgétés. Ils n’auraient pas été honorés, ce qui risquait de compliquer les relations entre l’État et les territoires. Cette situation était d’autant plus regrettable que de nombreux beaux projets étaient prévus. Nous nous sommes donc battus pour sauver ce dispositif – il manquait environ 350 millions d’euros.

Mme Michèle Pappalardo. Heureusement, les directrices de cabinet n’ont pas le pouvoir de détricoter les lois !

Les TEPCV représentaient une partie de l’enveloppe spéciale de transition énergétique. Celle-ci devait être de 750 millions d’euros, mais n’avait été financée qu’à hauteur de 400 millions. Il manquait donc 350 millions pour concrétiser l’ensemble des opérations. Certains nous ont demandé d’arrêter le dispositif et d’annuler les projets pour lesquels nous n’avions plus de crédits. Nous avons toutefois réussi à convaincre et obtenu que les engagements pris par la ministre soient respectés.

Mme Royal a également évoqué les procédures, qui avaient été critiquées par la Cour des comptes. Celle-ci avait relevé des irrégularités en matière de gestion administrative. Nous avons donc revu les modes de fonctionnement.

Au fur et à mesure des besoins, nous avons ajouté des crédits. Les derniers TEPCV ont été payés en juillet 2022. Le dispositif s’inscrivait dans la durée. Lorsque nous étions au ministère, nous n’avions donc pas de problèmes de trésorerie. Nous étions toutefois inquiets pour nos successeurs et tenions à ce que les financements promis soient disponibles.

De mémoire, nous avons dû dépenser 600 millions d’euros des 750 millions de l’enveloppe initiale. Certaines opérations – TEPCV ou autres – ont été annulées. Quelques projets restent en cours, mais bénéficient désormais de crédits du ministère.

La Cour des comptes avait relevé que beaucoup d’opérations bénéficiaient déjà des possibilités de financement dans le budget du ministère. L’enveloppe spéciale de transition énergétique était donc une forme de débudgétisation.

D’après Mme Royal, j’aurais tout fait, lorsque j’étais à la Cour des comptes, pour mettre fin aux TEPCV. Ce n’est pas le cas. Je n’appartenais pas à la chambre qui travaillait sur le sujet. Je l’ai découvert en arrivant au ministère. Ensuite, j’ai évidemment pris connaissance des rapports de la Cour des comptes et je m’en suis servie pour résoudre les problèmes qui avaient été identifiés, mais je n’ai jamais voulu remettre en cause les TEPCV. Au contraire, nous avons tout fait pour que les projets puissent se concrétiser.

M. le président Raphaël Schellenberger. Nous voilà donc rassurés !

M. Antoine Armand, rapporteur. Quand vous arrivez aux responsabilités, dans quel état trouvez-vous EDF ? Quelles sont les relations que vous entretenez avec la direction de cette entreprise ? Quelles sont les premières orientations que vous lui fixez ? Quelle marge de manœuvre avez-vous pour faire appliquer ces décisions ? Quelles limites constatez-vous alors que vous avez, à plusieurs reprises, évoqué la révolution culturelle que représenterait pour EDF le passage du nucléaire aux énergies renouvelables ?

M. Nicolas Hulot. EDF était l’un des partenaires de ma fondation. J’avais donc l’habitude de dialoguer avec cette entreprise et avec ses PDG avant d’entrer au gouvernement.

Il a été difficile de faire évoluer la culture d’EDF. Son métier était de vendre de l’électricité et d’en vendre le plus possible. La mutation a été longue, car elle remettait en cause toute la stratégie initiale de l’entreprise. Donner la priorité à la sobriété et à l’efficacité énergétique signifiait proposer aux clients des solutions leur permettant de moins consommer.

Quand je suis arrivé au gouvernement, j’ai rapidement reçu M. Jean-Bernard Lévy pour lui demander d’accélérer le développement des énergies renouvelables. Nous étions en retard par rapport à nos voisins. Le prix du kilowattheure pour le solaire ou l’éolien était en train de chuter. Tous les indicateurs montraient que, quoi qu’on en pense, les énergies renouvelables allaient prendre une place importante dans le mix énergétique au niveau mondial.

En France, nous étions dans une position particulière, compte tenu de la place du nucléaire dans la production d’électricité. Ce n’est pas le cas ici, mais la part du nucléaire dans la production d’électricité est trop souvent confondue avec la part du nucléaire dans la production d’énergie – le nucléaire représente environ 40 % de la consommation d’énergie primaire en France.

EDF a eu du mal à faire évoluer sa raison d’être. L’entreprise, comme Total, a proposé un plan en faveur du solaire. Elle s’est progressivement engagée dans les énergies renouvelables, mais cette mutation n’a pas été spontanée. Tout ce qui pouvait mettre en péril les savoir-faire que nous évoquions tout à l’heure était difficile à vivre pour EDF. Néanmoins, je voulais que nous réduisions la consommation, que nous accélérions le développement des énergies renouvelables et, s’agissant du nucléaire, que nous prenions le temps nécessaire pour analyser la situation, sans brutalité et sans irréversibilité. Nous n’étions pas à deux ans près pour prendre des décisions.

Avec EDF, nos relations étaient donc courtoises, mais nous avions des logiques et des points de vue différents.

M. Antoine Armand, rapporteur. Les anciens responsables d’EDF – nous auditionnerons le responsable actuel dans quelques minutes – nous ont fait part de leurs craintes concernant la perte de compétences. L’absence de construction de nouveaux réacteurs après l’EPR de Flamanville et les décisions inscrites dans la PPE consécutive à la loi de 2015 ont marqué un coup d’arrêt à l’attractivité du secteur. Le risque était également de voir disparaître les savoir-faire qui existaient au sein d’EDF et de ses sous-traitants. Vos interlocuteurs vous avaient-ils fait part de ces inquiétudes ?

M. Nicolas Hulot. Il s’agissait en effet de leur principal argument, qui n’était pas totalement infondé, et ils étaient dans leur rôle en le mettant en avant. Mais la perte de compétences est-elle réellement aussi brutale ? Justifiait-elle de prendre des décisions de manière excessivement rapide, alors que l’efficacité des EPR n’avait pas été démontrée ?

Nous avons l’impression que Flamanville est une histoire passée, mais rien n’est réglé, ni sur le plan économique, ni sur celui de la technologie. Pour décider de relancer cette filière, il aurait fallu que nous soyons un peu rassurés. Or nous ne l’étions pas.

Avec le changement climatique, le nucléaire se refait une forme de vertu car il émet peu de gaz à effet de serre. Je comprends cet argument et je suis incapable de démontrer que la France pourrait se passer du nucléaire, tout en respectant les contraintes et objectifs qu’elle s’est fixés. Néanmoins, nous devons éviter les excès de confiance. Nous avons parfois tendance à faire preuve d’une forme d’amnésie collective dans ce domaine.

À l’époque, en 2017, l’expérience de Flamanville était plutôt calamiteuse. Il ne me semblait pas possible de relancer la construction de plusieurs EPR dans ce contexte. Au contraire, il fallait prendre du recul.

M. Antoine Armand, rapporteur. Vous venez de dire que vous êtes incapable de faire la démonstration que nous pourrions nous passer du nucléaire dans notre mix électrique. Pourtant, en mars 2018, vous saluiez la future fermeture de Fessenheim comme le début d’un « mouvement irréversible » concernant le nucléaire et, en août 2018, dans l’entretien célèbre où vous avez annoncé votre démission du gouvernement, vous dénonciez la « folie inutile économiquement et techniquement, dans laquelle on s’entête ». Je suppose que ce « on » était le gouvernement auquel vous ne vouliez plus appartenir. Je ne suis pas certain de bien comprendre l’articulation entre vos différents propos.

M. Nicolas Hulot. Lorsque j’ai prononcé ces phrases, les désagréments – c’est un euphémisme – que nous connaissions à Flamanville et les difficultés rencontrées par les EPR du Royaume-Uni et de Finlande nous montraient que nous étions dans une forme de fuite en avant. Dans le secteur économique privé, de tels dérapages budgétaires entraîneraient immédiatement des sanctions pour les responsables. S’agissant des délais, nous ne savons même pas combien nous aurons de retard.

Ce qui était « irréversible » était le rééquilibrage du mix énergétique en faveur des énergies renouvelables. J’ai toujours considéré que l’atteinte de l’objectif de 50 % de nucléaire dans la production d’électricité constituait un point de passage permettant de déterminer si nous pouvons aller plus loin et notamment accélérer le développement de la filière éolienne.

La politique énergétique de la France donne lieu à une communication pathétique. Les débats crispés entre les pro- et les antinucléaires, les pro- et les anti-énergies renouvelables, notamment l’éolien, créent une espèce de front de refus dans tout le territoire. Celui-ci constitue évidemment une contrainte supplémentaire. En tenant compte de tous ces paramètres, je ne suis pas capable de vous dire si nous pourrons nous passer du nucléaire. Du point de vue technologique, ce serait possible. Le Portugal l’a fait pendant 103 jours. Le Costa Rica vient de le faire pendant un an et demi. Ce pays exporte une partie de sa production énergétique à partir des énergies renouvelables vers les pays voisins.

Si nous n’étions pas confrontés à tous ces freins, je suis convaincu que les énergies renouvelables nous permettraient, avec les interconnexions européennes, de disposer d’une indépendance qui serait sinon totale du moins importante.

Si nous relançons le nucléaire – ce qui semble être la voie dans laquelle nous nous dirigeons –, il ne faudra pas non plus faire abstraction des résistances qui ne manqueront pas de s’exprimer, en particulier s’agissant des déchets. Personne ne veut de ces déchets. La France est en contentieux avec plusieurs pays qui nous ont confié leurs déchets à retraiter et qui ne veulent pas les récupérer. Par ailleurs, le refroidissement des réacteurs des centrales nucléaires nécessite beaucoup d’eau. La situation hydrique actuelle en France doit nous faire réfléchir. Disposerons-nous de ces ressources en quantité suffisante à long terme ?

Nous ne devons pas nous précipiter. Il faudra prendre des risques, mais nous devrons les prendre en toute transparence, après un débat de société. Ces choix ne peuvent pas être guidés par des considérations idéologiques, dogmatiques ou purement politiques.

M. Antoine Armand, rapporteur. Avant que vous n’arriviez au ministère, la question des déchets était très présente dans vos prises de position. Elle constituait un argument majeur pour demander la sortie rapide et irréversible du nucléaire en France.

En matière de déchets nucléaires, l’une des solutions est de fermer le cycle, c’est-à-dire de réutiliser à l’infini le combustible, totalement ou au moins en grande partie. En 2010, la France avait lancé le projet Astrid, qui visait à mettre au point un démonstrateur en vue d’une phase industrielle future. Ce nouveau type de réacteur aurait pu absorber les déchets, donc résoudre le problème.

Le haut-commissaire à l’énergie atomique Yves Bréchet, qui était en poste au moment où vous étiez vous-même ministre d’État, nous a assuré vous avoir transmis de nombreux rapports, à vous, ainsi qu’à votre directrice de cabinet, pour souligner l’importance de ce projet. Il a déploré son arrêt au stade des études préalables. Le démonstrateur n’a jamais été construit.

Puisque vous étiez particulièrement inquiet de la question des déchets nucléaires, avez-vous soutenu ce projet qui aurait permis de les supprimer en quasi-totalité en fermant le cycle ? Au contraire, y étiez-vous opposé et, dans ce cas, pour quelles raisons ?

M. Nicolas Hulot. Là encore, j’ai essayé de ne pas être dogmatique. Un procédé permettant de créer un cercle vertueux dans lequel les déchets deviendraient des ressources aurait évidemment constitué une belle illustration de l’économie circulaire.

Quand nous étions au gouvernement, le sujet n’était pas, à ma connaissance, dans le débat public. La discussion avait lieu avec le commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). M. François Jacq, que nous avions nommé à la tête de cet organisme, avait proposé un rééquilibrage de son action, afin de conserver un budget constant. Il a décidé de privilégier le réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH), qui se trouve à Cadarache. Celui-ci étudie l’optimisation des technologies actuelles, notamment face à leur vieillissement. Compte tenu des problèmes de corrosion que nous avons découverts, ce choix était le bon.

Nous ne pouvions pas courir tous les lièvres à la fois. Nous avions pris un tel retard dans le respect de nos engagements qu’il devenait urgent de disposer de technologies opérantes. Si j’ai bien compris, le projet Astrid visait à construire un démonstrateur non un réacteur qui aurait produit de l’énergie. D’après les informations dont je disposais, aucune application industrielle n’était attendue avant 2050. Il me semblait que nous avions d’autres priorités, dans le domaine de la sobriété ou des énergies renouvelables.

Astrid permet en effet de réutiliser une grande partie des combustibles usés, ce qui accroît un peu notre indépendance. Cette ressource n’est pas perdue et restera disponible. Le procédé produit toutefois d’autres déchets. En réalité, les volumes sont divisés par cinq. Ce résultat est loin d’être négligeable, mais le réacteur n’aurait pas été disponible avant 2050. Or d’ici à cette date, les énergies renouvelables pouvaient prendre une place majeure dans notre mix énergétique.

Je n’ai pas pris part à la décision, mais si vous m’aviez demandé mon avis à l’époque, je vous aurais répondu que ce projet ne me semblait pas prioritaire. Les travaux sont très avancés à Cadarache. Ils répondent aussi aux besoins de la médecine nucléaire. Je partage donc complètement le choix qui a été fait par M. François Jacq.

Mme Michèle Pappalardo. Plusieurs autres choix étaient possibles, en dehors du réacteur Jules Horowitz. Rétrospectivement, les bonnes décisions ont été prises, compte tenu du cadre budgétaire.

Le budget du CEA n’était pas totalement constant, puisque nous l’avions augmenté de 300 millions dans la loi de finances pour 2018, la seule que nous avons élaborée. Le CEA rencontrait quelques difficultés, étant donné l’évolution de ses différents programmes, et nous avions tenu à lui accorder des moyens supplémentaires.

M. Bernard Bigot avait beaucoup insisté sur l’intérêt du réacteur Jules Horowitz, notamment pour la médecine. De nombreux travaux étaient nécessaires pour le nouveau programme nucléaire et les EPR. Le choix du réacteur Jules Horowitz était plutôt judicieux, compte tenu des enjeux de maintenance et de prolongation de la durée de vie des centrales.

Nous n’étions pas directement à la manœuvre, car les décisions étaient plutôt prises par le CEA, dont nous ne sommes que l’une des tutelles. Même si M. Bréchet ne partageait pas les choix qui ont été faits, les autres acteurs du monde du nucléaire considéraient qu’il n’y avait pas d’urgence à concentrer les moyens sur le projet Astrid. Celui-ci a été suspendu, mais beaucoup d’études ont été faites et la phase de démonstration pourra toujours être relancée, si cela est nécessaire.

M. Antoine Armand, rapporteur. Comme d’autres interlocuteurs l’ont exprimé devant cette commission d’enquête, vous avez indiqué que l’objectif de 50 % de nucléaire dans le mix électrique ne reposait pas sur une étude d’impact technique prenant en compte les conséquences sur le réseau, notre capacité à produire des énergies renouvelables et l’impact sur notre sécurité d’approvisionnement.

J’aimerais que vous vous exprimiez, l’un et l’autre, à ce sujet, pour m’assurer que vous avez bien la même lecture de la situation que nos autres interlocuteurs, en poste à l’époque ou arrivés aux responsabilités par la suite. Avez-vous constaté, en arrivant au ministère, que les dispositifs permettant d’atteindre cet objectif à l’horizon 2025 – à un ou deux ans près –, tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement, n’existaient pas, comme pourrait d’ailleurs le confirmer votre décision de repousser la fermeture de certaines centrales pilotables ?

M. Nicolas Hulot. Cette difficulté ne nous a pas échappé. J’ai énuméré les différentes contraintes auxquelles nous devions faire face en introduction. La sécurité d’approvisionnement est un paramètre aussi important que la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la sobriété énergétique.

C’est pourquoi nous avons pris des mesures pour essayer de faciliter et d’accélérer le développement des énergies renouvelables. Entre le début d’un projet éolien et sa réalisation, il s’écoulait entre huit à dix ans. Ces délais entraînaient des aberrations, puisque les technologies prévues étaient devenues obsolètes et qu’il était nécessaire, pour implanter des éoliennes de nouvelle génération, de reprendre le projet au début. La situation était kafkaïenne.

Nous avons élaboré un projet de loi qui aurait théoriquement dû nous permettre d’accélérer le développement des énergies renouvelables, mais les oppositions sont restées très virulentes. Nous avons également augmenté les capacités de stockage de gaz. La réflexion a été engagée, non sans difficulté, sur le stockage de l’hydrogène. Cette technologie est très prometteuse pour les transports collectifs, probablement le transport ferroviaire et pourquoi pas le transport maritime. Certaines échéances ont été repoussées. Nous ne nous sommes pas entêtés. Beaucoup de dispositions ont été prises pour ne pas mettre en péril notre approvisionnement. Ce paramètre a rapidement prévalu. Nous ne pouvions pas prendre de risques dans ce domaine.

La situation était compliquée car l’objectif de 50 % était inscrit dans la loi. À moins de changer la loi, nous devions le respecter. Nous avons donc essayé de prendre toutes les précautions nécessaires pour préserver la sécurité d’approvisionnement.

Selon un récent rapport de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), nous pourrions plus facilement nous passer du gaz russe si les engagements du Grenelle de l’environnement avaient été respectés. Lorsqu’ils sont fixés, les objectifs sont probablement étayés, mais ils ne s’accompagnent pas des moyens et des méthodes permettant de les mettre en œuvre. Il n’y a pas de stratégie ou de feuille de route, ce qui débouche toujours sur des situations complexes.

Quand je suis arrivé au ministère, les objectifs n’étaient pas tenus, l’impératif climatique était de plus en plus pressant, le parc nucléaire était vieillissant et Flamanville ne fonctionnait pas, ce qui ne créait pas de dynamique autour de cette technologie. Il fallait essayer de combiner tous ces paramètres en gardant son sang-froid.

Mme Michèle Pappalardo. L’objectif de limiter la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025 n’était pas tenable. Du retard avait été pris concernant les énergies renouvelables. Nous savions que l’objectif de 23 % en 2020 était irréaliste. Les miracles n’existent pas en matière de construction d’infrastructures énergétiques. Généralement, les surprises sont plutôt inverses !

Sur le papier, tous les objectifs peuvent être atteignables. Il suffit de faire bouger les paramètres, mais les efforts qu’il aurait fallu engager étaient irréalistes. Nous l’avons expliqué au ministre d’État, qui n’était pas particulièrement content de devoir annoncer ce type de décision. Pourtant, il n’y avait pas d’autre option. Il fallait reprendre la réflexion, revoir les scénarios et refaire une planification pour espérer atteindre les 50 % en 2035.

La PPE a été achevée après notre départ, mais nous pensions à l’époque que l’échéance de 2035 était réaliste. Beaucoup d’efforts seront néanmoins nécessaires pour la respecter.

M. Antoine Armand, rapporteur. Nous avons récemment voté une nouvelle loi pour accélérer l’implantation des énergies renouvelables. Vous aviez déjà pris des dispositions dans ce domaine, notamment dans la loi de 2018. Quel bilan dressez-vous des difficultés d’implantation rencontrées par l’éolien terrestre, l’éolien maritime et le photovoltaïque ? Sont-elles principalement liées à l’acceptabilité sociale ou à l’émergence d’une filière industrielle ? Quel est le frein le plus important ?

M. Nicolas Hulot. La communication a été assez désastreuse sur les énergies renouvelables, qui sont toujours opposées au nucléaire. Il y a également un manque d’informations concernant les capacités de ce dernier. La fronde est très organisée, comme nous l’avons constaté lors des dernières élections, souvent au nom de l’écologie d’ailleurs. À moins de passer en force, tout est donc très compliqué. Il s’agit pour moi de la principale difficulté, même si la structuration des filières a probablement pris du retard.

Les autres pays n’ont pas connu les mêmes problèmes, parce que le sujet n’y est pas devenu aussi politique. En France, il constitue désormais un marqueur, ce qui est désolant. Nous aurions dû réussir à dépasser ces oppositions.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) considère que la majorité de l’électricité produite dans le monde le sera prochainement grâce aux énergies renouvelables. Nous sommes malheureusement très en retard à l’échelle européenne.

Nous ne pouvons pas être totalement indépendants avec les énergies renouvelables, notamment à cause des terres rares, mais la situation est identique pour le nucléaire. Nous ne maîtrisons pas toute la chaîne de valeur, contrairement à l’image qui est parfois véhiculée.

L’indépendance énergétique, c’est-à-dire le fait de disposer d’une énergie dont nous maîtrisons la technologie, l’approvisionnement et les conséquences dans le temps pour ne pas peser sur les générations futures, est un facteur de paix. Aurions-nous réagi de la même façon face au conflit ukrainien si nous n’avions pas été aussi dépendants du gaz russe ? Je n’en sais rien, mais je pose la question.

Les pays en voie de développement n’ont pas besoin de grandes unités de production utilisant des technologies sophistiquées, dont l’entretien est très coûteux. Le vent, le soleil, la géothermie ou le gradient thermique sont des énergies primaires gratuites. Des technologies sont évidemment nécessaires pour les transformer en électricité, mais celles-ci peuvent être relativement simples.

Les énergies renouvelables représentent 75 % de la production d’électricité au Danemark, 50 % en Allemagne et 47 % en Espagne. Ces pays ont pour objectif d’atteindre 100 % ou 80 % en 2030. J’ai l’impression que nous en sommes en train de rater le train et notre production d’électricité s’est effondrée en 2022.

En 2025, les énergies renouvelables seront la première source d’énergie dans le monde. Quelles que soient nos convictions concernant le nucléaire, nous devons les développer. Elles constitueront au moins un complément de capacités indispensable.

Si nous accélérons le développement des énergies renouvelables, nous pourrons faire la démonstration de notre capacité à nous passer, ou non, du nucléaire. Toutes les compétences n’auront probablement pas été perdues d’ici là.

M. Antoine Armand, rapporteur. Vous avez évoqué le retard de la France en matière d’énergies renouvelables. M. Jean-Louis Borloo déplorait d’ailleurs que les objectifs fixés dans ce domaine s’appuient sur la classification de la taxonomie européenne, sans tenir compte de la décarbonation de notre mix électrique.

Pour combler les besoins des quinze ou vingt-cinq prochaines années, pensez-vous qu’il serait préférable de produire ou d’importer de l’électricité d’origine fossile, issue notamment de centrales thermiques au gaz, ou de construire de nouvelles centrales nucléaires ? Si vous étiez toujours au gouvernement, quelle option privilégieriez-vous ?

M. Nicolas Hulot. L’Allemagne a choisi de sortir du nucléaire et d’utiliser les énergies fossiles comme énergie de transition. Nous avons la chance de ne pas être face à un choix aussi douloureux, parce que nous pouvons compter sur notre parc nucléaire. Nos cinquante-six réacteurs ne sont pas obsolètes. Il est regrettable que nous n’ayons pas pu avoir une approche rationnelle, nous permettant d’évaluer l’état de chaque réacteur. Certains auraient pu être prolongés sans remettre en cause la sécurité.

Nous aurions pu diminuer progressivement la part du nucléaire et, au fur et à mesure, augmenter celle des énergies renouvelables. Ce mouvement aurait été accompagné par une baisse de la consommation. La sobriété est une condition du succès. Sans elle, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs.

Nous n’allons pas fermer notre parc nucléaire demain. Nous pouvons attendre 2035 – ce n’est pas si loin – pour prendre des décisions concernant de nouvelles constructions. Dans quelques années, nous aurons une vision beaucoup plus claire de la situation et toutes les solutions resteront envisageables. J’aurais donc privilégié ce choix. En tout cas, je n’aurais donné aucun signal en faveur des énergies fossiles car la question climatique constitue une priorité.

M. Antoine Armand, rapporteur. Votre raisonnement consiste à développer au maximum les énergies renouvelables, mais je suppose que vous avez déjà tout mis en œuvre pour assurer cette montée en puissance, en tant que ministre d’État, présidente de l’Ademe ou commissaire générale au développement durable. Nous votons régulièrement des lois d’accélération du développement des énergies renouvelables. Pourtant, l’écart entre nos objectifs et nos capacités installées continue à croître.

Quels leviers pourrions-nous activer, ou activer différemment, pour faire un bond à la hauteur de l’urgence climatique ? Comme Mme Delphine Batho l’a rappelé récemment devant notre commission d’enquête, si nous voulons disposer de points de passage avant 2050, les échéances se situent en 2030 et 2035.

M. Nicolas Hulot. Je suis atterré par ces difficultés, d’autant que si une relance massive du nucléaire était décidée, elle susciterait aussi des résistances. Ceux qui sont opposés à l’implantation des éoliennes ne seront probablement pas très contents de l’implantation de nouveaux réacteurs ou de centres de stockage de déchets.

Des pistes sont à explorer. En Allemagne par exemple, 40 % des énergies renouvelables sont produites par des coopératives citoyennes, qui associent des agriculteurs, des communes ou des particuliers. Elles sont plus d’un millier, parce que chacun y trouve immédiatement son intérêt.

Je peux comprendre les réserves liées à des considérations esthétiques ou patrimoniales. J’aime l’océan et, comme j’habite près de Saint-Brieuc, je suis un peu triste de voir l’horizon barré par des éoliennes. Néanmoins, nous ne pouvons pas tout refuser.

Le consommateur doit également trouver son intérêt. Or la production d’énergie à partir du nucléaire ne sera probablement pas la moins coûteuse dans les années à venir. De nouveaux critères de sécurité ont été instaurés après les différents accidents nucléaires, ce qui a entraîné une augmentation des prix. À l’inverse, les prix de l’électricité produite à partir des énergies renouvelables ont tendance à chuter. Cet argument devrait prévaloir et permettre de revenir à une forme de raison.

Il est désolant que le débat énergétique ait pris cette tournure et que les énergies renouvelables, en particulier les éoliennes, aient si mauvaise presse. La responsabilité de cette situation n’est pas seulement politique. Elle est sociétale. Nous devons faire des choix. Si nous optons pour le nucléaire, faisons-le en toute transparence, sans occulter aucun des risques, y compris celui que cette voie soit hasardeuse du point de vue économique.

Mme Michèle Pappalardo. L’image des énergies renouvelables a tout de même évolué. Au début, il était très difficile de faire accepter l’idée qu’une autre forme d’électricité était possible. En France, le nucléaire était paré de toutes les vertus.

Nous entendons souvent que les énergies renouvelables, notamment l’éolien, ont mauvaise presse – le ministre d’État vient de le dire. Pourtant, lorsque les Français sont interrogés à ce sujet, ils sont plutôt favorables à leur développement. L’Ademe réalise un sondage dans ce domaine depuis le début des années 2000, ce qui permet d’analyser les évolutions.

Depuis deux ou trois ans, l’avis positif concernant le nucléaire est supérieur à 50 %, ce qui est souvent mis en avant. Selon les périodes, il oscille entre 40 et 60 %. Aujourd’hui, il a clairement passé le seuil des 50 %. En revanche, personne ne donne les résultats obtenus par les énergies renouvelables. De mémoire, le développement des éoliennes est pourtant souhaité par 75 % des sondés. L’enthousiasme est donc bien plus marqué que pour le nucléaire. Le photovoltaïque atteint des sommets, autour de 85 %.

Les Français sont favorables aux éoliennes, y compris lorsqu’ils sont directement concernés. Dans le sondage, une question s’adresse en effet aux personnes qui résident à côté des parcs éoliens, même si ceux-ci sont désormais assez éloignés des habitations. Elles témoignent d’une adhésion supérieure à la moyenne des personnes interrogées.

Nous lisons la presse, nous écoutons ceux qui critiquent et, comme souvent, nous ne nous intéressons pas aux trains qui arrivent à l’heure. Beaucoup de Français sont contents du développement des parcs éoliens, parce qu’ils en perçoivent l’intérêt, pour eux et pour leur territoire.

Je ne sais pas ce que nous pourrions faire pour accélérer fortement le développement des énergies renouvelables. En matière d’énergie, rien ne peut se faire du jour au lendemain de toute façon.

Il faut poursuivre la simplification des procédures. Nous avions commencé à le faire pour l’éolien offshore, en travaillant avec M. Sébastien Lecornu. Des mesures avaient également été prises en faveur du photovoltaïque. Nous avions réussi à raccourcir les délais de deux ou trois ans, ce qui n’est pas négligeable. Il faut également que les élus et les citoyens soient plus étroitement associés aux projets, pour qu’ils en comprennent mieux l’intérêt. Il est toujours difficile de savoir comment ce type de texte sera utilisé, mais j’espère que la nouvelle loi qui a été votée apportera des améliorations.

S’agissant du photovoltaïque, nous assistons à un développement important de l’autoproduction dans les maisons individuelles. De tels projets pourraient aussi être lancés dans les immeubles. Des perspectives intéressantes existent, à condition de clarifier certaines modalités d’organisation et de financement.

L’autoproduction territoriale, voire individuelle, est aussi un moyen de s’adapter au changement climatique et d’être résilient en cas de phénomène extrême perturbant le fonctionnement du réseau. Elle prend de l’importance.

Tout ne va pas changer du jour au lendemain, mais nous devrions tout de même progresser.

M. Nicolas Hulot. Nous sommes un peu pris de court pour répondre à votre question, même si nous aimerions pouvoir vous proposer une recette miracle.

Le prix de l’énergie est devenu un élément déterminant pour les ménages, et d’ailleurs pour tous les acteurs économiques. Or le développement du nucléaire n’entraînera pas une baisse du coût de production. J’essaye d’être le plus nuancé et le plus objectif possible. Néanmoins, je suis bien placé pour savoir que nous ne connaissons pas tous les coûts liés au nucléaire : aux coûts de production s’ajoutent les coûts induits par l’entretien, éventuellement la construction de nouveaux EPR, le démantèlement et le traitement des déchets. Il s’agit de coûts masqués, parce qu’ils sont encore inconnus.

À l’échelle mondiale, le coût du kilowattheure éolien a diminué de 72 % en douze ans et celui du solaire de 90 %. C’est un argument fort. La démonstration est en train de se faire que massifier les énergies renouvelables entraîne une baisse des prix, ce qui n’est pas le cas pour le nucléaire, au contraire. Le meilleur service que nous pourrions rendre aux consommateurs est donc de faire la part belle aux éoliennes. L’autoproduction est aussi une évolution très positive, même si, malheureusement, des personnes ont installé des panneaux solaires sans avoir de stockage, ce qui signifie que l’électricité produite dans la journée repart dans le réseau. De nombreuses malfaçons sont encore à déplorer.

La démonstration a été faite que les énergies renouvelables, qui étaient considérées comme n’étant pas compétitives, le sont désormais. L’Agence internationale de l’énergie fait autorité dans ce domaine.

M. Antoine Armand, rapporteur. RTE estime toutefois qu’un scénario fondé uniquement sur les énergies renouvelables serait plus coûteux en coûts complets qu’un scénario diversifié.

Plusieurs des personnes que nous avons auditionnées ont relevé que les énergies renouvelables non électriques – et tout ce qu’elles impliquent, comme la capacité à transférer les usages vers de la chaleur renouvelable par exemple – étaient des parents pauvres de la stratégie énergétique. Comment les avez-vous pris en compte lorsque vous étiez au ministère et, madame Pappalardo, à la tête de l’Ademe puis du Commissariat général au développement durable (CGDD) ?

M. Nicolas Hulot. J’ai eu la chance de pouvoir profiter de l’expérience acquise par Michèle Pappalardo à l’Ademe. Une des premières mesures que nous avons prises a été le développement de l’usage de la chaleur. Nous avons significativement abondé le fonds Chaleur. Nous avons parfois tendance à sous-estimer les énergies renouvelables non électriques mais elles doivent occuper une place importante, comme la biomasse.

Pour le moment, nous avons abandonné l’utilisation des courants marins, du mouvement de la houle, du gradient thermique, etc. Tout dépend des territoires. Si la Guadeloupe par exemple avait utilisé la géothermie – il serait intéressant de savoir pourquoi elle ne l’a pas fait, peut-être que certains n’y avaient pas intérêt –, elle aurait certainement pu atteindre une forme d’autonomie énergétique.

Nous disposons de gisements importants, que nous pourrions exploiter avec des réseaux intelligents, en nous appuyant sur les interconnexions. Il faut évidemment faire preuve de prudence, parce que le sujet est très complexe et que beaucoup de paramètres sont aléatoires, mais je suis convaincu que ce scénario serait idéal.

Mme Michèle Pappalardo. Je vous remercie de cette question, car la chaleur est effectivement le parent pauvre de la politique énergétique. Le fonds Chaleur est un outil essentiel, car il s’inscrit dans la durée. Les règles peuvent changer, mais le dispositif perdure. La géothermie vient également de faire l’objet d’un plan de relance.

La chaleur permet de combiner une production et une consommation locales. En utilisant des ressources qui peuvent être différentes, les territoires disposent ainsi d’une forme d’indépendance.

L’augmentation du fonds Chaleur n’a pas été simple à obtenir car il s’agissait d’une dépense supplémentaire. Même si son efficacité est supérieure à celle de bien d’autres investissements et qu’elle peut être démontrée, il est toujours difficile de convaincre quand il s’agit d’une dépense supplémentaire. Contrairement aux énergies renouvelables électriques, ce n’est pas un tarif qui dépend des implantations, au fur et à mesure de celles-ci – la dépense est plus visible.

Il faut donc continuer à travailler sur les énergies thermiques, y compris le solaire thermique.

M. le président Raphaël Schellenberger. Je vous remercie.

 

La séance s’achève à quinze heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Antoine Armand, Mme Olga Givernet, M. Raphaël Schellenberger.

Excusée. – Mme Valérie Rabault.