Compte rendu

 Commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences

 

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des syndicats et organisations professionnelles de taxis :

– M. Rachid Boudjema, président de l’Union nationale des taxis (UNT)

– M. Karim Asnoun et Mohamed Abid, CGT-Taxis

– Mme Emmanuelle Cordier, présidente de la FNDT-CPME

– M. Gérôme Lassalle, Association Taxi Elite France

– M. Christophe Jacopin, président du GESCOP (GIE de coopératives de taxis)

– M. Jean-Michel Rebours, trésorier de la Fédération nationale des taxis (FNAT)

– M. Ahmed Senbel, Président de la Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI) 2

– Présences en réunion................................32

 

 


Jeudi
9 février 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 2

session ordinaire de 2022-2023

Présidence de
M. Benjamin Haddad,
Président de la commission

 


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Jeudi 9 février 2023

La séance est ouverte à 9 heures 03.

(Présidence de M. Benjamin Haddad, président de la commission)

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M. le président Benjamin Haddad. Mesdames, messieurs les représentants de la profession des taxis en France. Je vous remercie de vous être rendus disponibles rapidement pour répondre à nos questions lors de ce premier jour d’auditions de notre commission d’enquête.

À partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d’investigation (International Consortium of Investigative journalists – ICIJ) ont publié ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « Uber files ». S’appuyant sur 124 000 documents internes à l’entreprise américaine, datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour s’implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personne (T3P), qui était jusqu’alors réservé aux taxis.

Dans ce contexte, notre commission d’enquête a deux objectifs : d’une part, identifier l’ensemble des opérations de lobbying menées par Uber pour s’implanter en France, le rôle des décideurs publics de l’époque et émettre des recommandations concernant l’encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts ; d’autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales, environnementales du développement du modèle d’Uber (de « l’ubérisation ») en France, et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Dans la mesure où vous avez été les premiers concernés par cet essor du secteur des VTC, il nous a paru naturel de vous entendre en premier, pour recueillir votre analyse de l’évolution du secteur du T3P depuis 2014, des méthodes de lobbying d’Uber en comparaison des vôtres, et des conséquences de l’ubérisation pour votre profession aujourd’hui. Nous avons besoin de votre retour d’expérience sur cette période, sur le nouveau paysage concurrentiel actuel et ses conséquences sociales, économiques et environnementales. Plus largement, nous souhaiterions également connaître vos recommandations sur l’avenir de votre secteur d’activité qui a beaucoup évolué ces dernières années, y compris sur le plan législatif. Par exemple, la plateforme Uber propose désormais des services de taxi, et non plus seulement de VTC : qu’en pensez-vous ? Avez-vous été consultés ? Quel en est l’impact sur votre profession ? Avez-vous désormais accès à ce type de plateformes ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Rachid Boudjema, M. Karim Asnoun, M. Mohamed Abid, Mme Emmanuelle Cordier, M. Christophe Jacopin, M. Jean-Michel Rebours, M. Ahmed Senbel et M. Gérôme Lassalle prêtent serment).

M. Karim Asnoun, CGT-Taxis. Les grands groupes privés ont toujours cherché à influencer les pouvoirs publics pour favoriser leurs intérêts personnels. Avec M. Macron, nous avons toutefois constaté une aggravation de l’abandon de l’intérêt général au profit de ces intérêts privés. Les Uber files ne constituent qu’une illustration de ce phénomène omniprésent. La « République exemplaire » promise par l’actuel Président semble bien théorique.

L’association des plateformes d’indépendants, un groupement privé qui défend l’intérêt des plateformes, est ainsi dirigée aujourd’hui par l’ancien secrétaire d’État au tourisme, Hervé Novelli, qui a introduit les modifications législatives relatives à l’auto-entrepreneuriat et aux VTC, sans lesquelles ces plateformes n’auraient pas pu s’implanter en France. Cet ancien ministre est donc employé aujourd’hui par ceux qui lui doivent leur implantation.

C’est plus généralement une pratique courante pour Uber de recruter des agents des États où elle souhaite s’implanter : on peut citer Neelie Kroes, ancienne commissaire européenne à la concurrence ; Grégoire Kopp, ancien conseiller du ministère des Transports ; Alexandre Quintard Kaigre, ancien des services de Matignon. Cette porosité entre l’État et les grandes entreprises privées est un vrai sujet de débat.

L’enquête du collectif de journalistes révèle une relation privilégiée entre une multinationale « voyou », Uber, et le ministre Macron, qui lui a accordé un soutien immodéré, en totale contradiction avec des fonctions ministérielles ou présidentielles, tant cette multinationale personnifie le rejet des valeurs constitutives de l’État.

Les syndicats de taxis et la CGT-Taxis n’ont pas du tout bénéficié du même traitement de faveur, bien au contraire. Nous sommes à cet égard très étonnés que Monsieur Haddad, président de cette commission, ait déclaré à la commission des lois du 16 novembre dernier qu’« Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, a échangé avec les acteurs du monde des taxis, les syndicats ». Cette affirmation est fausse, puisque M. Macron, que ce soit comme ministre, candidat à l’élection présidentielle ou Président de la République, ne s’est jamais donné la peine d’échanger avec nous, ni même de répondre à nos doléances, alors même que, comme vous l’avez rappelé Monsieur Haddad, ce dossier affecte en premier lieu le taxi.

Cette absence d’échange avec les syndicats de taxis, qui lançaient pourtant l’alerte sur les nombreuses infractions commises par les plateformes, nous a contraints à multiplier les mouvements sociaux en 2014, 2015, 2016 et 2019. Seules ces actions nous ont enfin permis d’amorcer un dialogue avec les représentants des gouvernements concernés, mais jamais directement avec M. Macron, pourtant très impliqué dans ces dossiers, comme le révèle cette enquête.

Nous sommes d’autant plus choqués de cette différence de traitement et de ce parti-pris que cette multinationale n’a cessé de s’illustrer par ses méthodes illégales, violentes, sexistes, comme en général par une attitude antirépublicaine et antisociale.

En 2014 et 2015, Uber développe le service Uber Pop, soit un transport de personnes effectué, non par des VTC ou des taxis, mais par des particuliers, en violation de toutes les lois françaises. Lors du procès Uber Pop au pénal (dont une grande partie des syndicats ici présents étaient partie civile), Uber a d’ailleurs montré à travers sa défense une véritable organisation de type mafieux, utilisant tous les stratagèmes pour se soustraire à la justice et organiser son irresponsabilité juridique.

Comment un élu de la République peut-il encore aujourd’hui se faire l’avocat d’une multinationale qui a multiplié les scandales en quelques années, tout en revendiquant une optimisation fiscale agressive, par définition contraire aux intérêts du pays ?

L’argument d’une création d’emplois, qu’aime à rappeler l’ancien ministre Macron, est fallacieux puisque cette entreprise sans scrupule constitue surtout la caricature de la « casse » des droits des travailleurs. Uber ne crée pas des emplois mais de la précarité : c’est un fait avéré. Le mois dernier, Uber vient encore de se faire condamner par le tribunal prud’homal de Lyon à requalifier en « salariés » ceux qu’elle nommait « partenaires ». Le but ultime d’Uber est même de se passer des chauffeurs en s’appuyant sur les progrès des voitures autonomes.

Pour conclure, le fait que l’article 2 de la loi 2016-1920, dite « Grandguillaume », n’ait jamais été appliqué, montre bien le dysfonctionnement de notre République. Il visait précisément à poser les bases d’un contrôle de ces plateformes. Cette loi, promulguée en décembre 2016, n’a vu son décret d’application publié que trois années plus tard. Or, il était lui-même soumis à un arrêté, qui a encore mis deux ans à être publié, en octobre 2021. Il a donc fallu cinq ans pour obtenir des textes réglementaires, qui aujourd’hui, malgré nos nombreuses alertes, ne sont toujours pas appliqués. Les plateformes ne sont donc toujours pas contrôlées, ce qui est évidemment au détriment des travailleurs du taxi.

Nous comptons donc sur votre commission pour mettre fin à cette opacité. Un lobbyiste ne devrait pas pouvoir dicter sa loi aux représentants du peuple.

M. Rachid Boudjema, président de l’Union nationale des taxis (UNT). Mesdames, messieurs les parlementaires, je tiens d’abord à vous féliciter d’avoir créé cette commission d’enquête pour faire la lumière sur les Uber files et leurs révélations concernant les méthodes employées par une entreprise étrangère pour s’implanter en France, en dépit des lois de notre pays, et sur les conséquences sociales, économiques et environnementales de cette implantation. Quel a été le rôle des décideurs publics dans cette implantation ?

Cette commission est d’une importance cruciale pour nous, en tant que représentants de la profession de taxi, mais aussi comme citoyens. Car, si nous nous résignions, comme certains l’espèrent, à accepter que l’état de fait l’emporte sur l’état de droit, alors nous nous rendrions coupables de complicité implicite dans le mépris de nos institutions qu’ont manifesté les pratiques très opaques du consortium Uber, telles qu’elles ont été acceptées et accompagnées par certains parlementaires et par l’ancien ministre de l’Économie et des finances. Il s’agit pour cette commission de freiner la progression de la croyance : « tous les mêmes, tous complices, tous pourris », qui constitue un véritable poison pour nos démocraties.

M. Ahmed Senbel, Pprésident de la Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI). Depuis 2008, nous constatons une succession d’initiatives des pouvoirs publics allant toujours dans le même sens : sacrifier le taxi et le modèle social français au profit d’une multinationale. Ces initiatives prennent la forme de rapports ou textes législatifs (rapport Attali, loi Novelli, rapport IGAS, loi d’orientation des mobilités) mais aussi d’un laisser-faire dans l’application de la loi et d’un détournement des statuts, avec l’outil Uber Pop et le transport rémunéré par des particuliers. La profession de taxi s’est toujours interrogée sur la facilité du développement d’Uber en France et du peu de réactivité des pouvoirs publics, semblant fascinés par ce nouvel acteur, qui a pourtant toujours cherché à contourner la loi et à en exploiter les failles. D’autres pays, notamment européens, ont adapté plus rapidement leur législation.

Il a fallu des années pour mettre fin à Uber Pop, qui constituait une activité illégale, ou pour clarifier les conditions d’utilisation du statut « loi d’orientation des transports intérieurs » (LOTI), qui a été détourné par les plateformes. Les fédérations et syndicats de taxis ont dû mener un combat extrêmement dur à cette fin, avec de nombreuses grèves et manifestations en 2014 et 2016. La profession était alors dans une situation désespérée. Elle avait alors le sentiment que le Gouvernement voulait sacrifier les taxis et nous avons toujours pensé qu’il y avait un parti-pris du Gouvernement. En 2015, la profession s’est offusquée lorsque Grégoire Kopp, conseiller du secrétaire d’État chargé des Transports, est devenu le directeur de la communication d’Uber France. Ces pratiques n’ont pas évolué, puisque la sœur du ministre en charge du numérique, Jean-Noël Barrot, est directrice de la communication d’Uber pour l’Europe de l’Ouest et du Sud. Les révélations de Mark MacGann, à l’été dernier, ont établi ce que tout le monde supposait déjà.

Ces pratiques ont évidemment des conséquences sociales : la paupérisation des chauffeurs et de nombreux drames humains. La profession de taxi est constituée de chauffeurs à temps plein qui investissent dans leurs fonds de commerce. La licence leur donne le droit de travailler dans la rue, dans les gares et dans les aéroports, mais elle constitue aussi leur capital retraite. Loin d’être des « rentiers », comme cela a pu être dit, les chauffeurs de taxi travaillent en moyenne 70 heures par semaine et partent rarement à la retraite avant 65 ans. L’arrivée des VTC, massivement subventionnée par les plateformes, mais aussi par les aides à l’emploi, a entraîné une perte brutale de revenus pour les taxis. De nombreux chauffeurs de VTC exercent cette activité en complément et à temps partiel, sans les mêmes charges, ce qui constitue une concurrence déloyale. Le prix des licences s’est effondré, privant de nombreux chauffeurs de leur capital retraite. Pire, leur baisse de revenus a empêché nombre d’entre eux de rembourser leurs crédits, ce qui a engendré de nombreux drames, des faillites, des familles brisées et parfois même des suicides.

Mme Emmanuelle Cordier, présidente de la FNDT-CPME. Je vous remercie de nous recevoir ce jour dans le cadre de cette enquête, qui est pour nous primordiale et cruciale.

La succession des conflits relatifs à l’exécution de la profession de taxi trouve sa source dans le rapport Attali de 2008 et l’ouverture à la concurrence frontale qu’il programmait pour des activités ne relevant pas du même cadre réglementaire, sans que l’administration soit en mesure d’effectuer les contrôles et suivis de l’application de ses propres textes, organisant ainsi le chaos dans l’activité du transport de personnes.

Ces actions emportaient des conséquences pour les finances publiques, d’une part en favorisant des plateformes numériques implantées sur des paradis fiscaux au détriment d’entreprises payant impôts et charges en France ; d’autre part en laissant perdurer, avec l’aval de l’État, un vide juridique exemptant les plateformes de type Uber d’une inscription au registre des plateformes de mise en relation pour le T3P.

L’ensemble de ces éléments préalables ont conduit à deux conflits durs successifs, qui ont entraîné la promulgation des lois Thévenoud et Grandguillaume, en 2014 et 2016, visant à clarifier et encadrer l’activité du T3P. Les parlementaires avaient alors subi de fortes pressions de la part du ministère des finances, très actif dans ce dossier, empiétant sur les prérogatives des ministères de l’Intérieur et du Transport, dans le but avéré de favoriser l’émergence d’une masse de VTC au service d’Uber en particulier.

Tant les deux parlementaires initiateurs de cette régulation du secteur – dont on peut penser qu’ils seront entendus par la présente commission– que la haute administration des ministères concernés ont fait l’objet de pressions des cabinets ministériels visant à modifier les textes initiaux proposés et à en dénaturer la portée.

Ces pressions se sont poursuivies dans la mise en œuvre de ces lois, avec une lenteur voulue – dont M. Grandguillaume lui-même s’est publiquement plaint – dans la publication de leurs décrets d’application et arrêtés, notamment concernant les moyens de contrôle et de sanction prévus par l’article 2 de la loi Grandguillaume.

Lors de la crise sanitaire récente, un accord avait de même été formalisé avec Uber pour faire financer par l’assurance-maladie le transport en VTC des personnels soignants, et élargir ainsi le champ d’intervention d’Uber au transport de malades assis, pour légitimer son extension au T3P. C’est in extremis et au regard de la mobilisation des fédérations de taxis que ce projet sera retiré après avoir été annoncé publiquement. Nous voyons ici perdurer un tropisme pro-Uber voire une complicité visant à dénaturer le cadre réglementaire de la profession de taxi.

Encore aujourd’hui, la volonté de réduire le niveau de l’examen des taxis VTC au motif fallacieux de favoriser ainsi l’emploi et la réinsertion, alors qu’il s’agit de professions utilisant la voie publique et devant avoir des compétences en matière de sécurité des personnes et d’accueil des clients. Ces compétences devraient plutôt être renforcées au regard des objectifs de réussite de la coupe du monde de rugby ainsi que des Jeux olympiques et paralympiques de Paris (JOP) et d’attractivité de la France par le rehaussement de l’image de professionnalisme de ses acteurs économiques.

Ce dossier est comme les autres piloté et suivi par le cabinet du ministre, puis du Président de la République en personne. Les fédérations de taxis ont ainsi ressenti, dans leurs contacts avec la haute administration, à quel point sa marge de manœuvre avait été fortement entravée par les contacts directs d’Uber et de ses lobbyistes avec les cabinets ministériels, particulièrement des finances à Bercy. À croire qu’il suffit de ne pas payer d’impôts ou de charges ni d’employer 30 000 personnes salariées avec les cotisations sociales afférentes, pour être reçu à l’Élysée.

Nous portons trois demandes qui permettraient de résoudre la crise permanente que nous vivons.

Nous demandons en premier lieu, une clarification des conditions légales de réservation préalable des taxis et des VTC, en deuxième lieu, une définition de la durée de cette réservation. L’imprécision actuelle des textes légaux sur ces points empêche de s’assurer qu’ils sont respectés conformément à l’intention du législateur et s’oppose au principe du droit voulant qu’il soit intelligible et d’application non subjective. Le ministère des Transports ne souhaite pourtant pas répondre à ces demandes.

En troisième lieu, nous demandons qu’il soit possible de s’assurer des modalités tarifaires d’exécution des prestations de VTC. Le dispositif actuel ne le permet pas, ce qui induit deux effets : celui pour le client de la non-transparence de la prestation ; et celui d’apporter un biais sur un marché concurrentiel entre deux acteurs dont les règles d’exécution de leurs prestations sont totalement différentes.

M. Christophe Jacopin, président du GESCOP (GIE de coopératives de taxis). Le GESCOP regroupe trois coopératives de taxis représentant 1 000 sociétaires coopérateurs taxis parisiens. Il existe depuis 1978, date de l’ordonnance du général de Gaulle ayant permis la création de sociétés coopératives de production (SCOP).

Emmanuel Macron a toujours été un soutien à la société Uber et ne s’en est jamais caché. Je résumerai ici certains faits, qui sont davantage détaillés dans un document et un livre que je vous remettrai à l’issue de ma présentation (Uber : la prédation en bande organisée, écrit par un journaliste indépendant).

En 2008, M. Macron a été le rapporteur de la commission Attali qui a préconisé la libéralisation des taxis.

En 2016, Uber Pop a été interdit en France par le Conseil constitutionnel et, en 2021, Uber France a été condamnée à réparer les préjudices moraux pour 910 chauffeurs sociétaires coopérateurs.

En 2015, l’association UFC-Que Choisir a relevé 22 clauses abusives et / ou illicites dans les conditions d’utilisation du service Uber et aucune déclaration n’a été faite à la CNIL.

En 2019, un rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) a signalé une convergence du taxi vers le VTC, ce qui nous pose des problèmes et interroge dès lors que le statut de VTC est précaire et n’est pas idéal.

En 2020, M. Macron, dans une vidéo lors de la journée internationale contre les violences faites aux femmes, cite en exemple Uber, alors que des agressions sexuelles avérées sont commises par des chauffeurs Uber, et que le secteur du taxi prenait déjà en charge à cette époque ces personnes fragiles.

En 2021, pour satisfaire les plateformes VTC (dont Uber en pénurie de chauffeurs), le Gouvernement a souhaité simplifier les conditions de l’examen pour les VTC, alors qu’il affichait déjà 80 % de réussite.

En 2021, le Gouvernement français a exercé une pression sur la Commission européenne pour éviter les requalifications en salariat des travailleurs et préserver le modèle économique voulu par les plateformes.

Ces éléments factuels interrogent donc sur l’intérêt de l’État à soutenir ces plateformes, au détriment des chauffeurs de taxi, qui payent leurs impôts, leurs taxes et leurs charges sociales.

Les pratiques prédatrices d’Uber pour déstabiliser un marché ne sont-elles pas anticoncurrentielles ? En effet, Uber propose à longueur d’année des promotions aux clients ou aux chauffeurs, ce qui déstabilise totalement notre secteur d’activité. Pourquoi aucune enquête n’a-t-elle été diligentée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou par le ministère de l’Économie ? Pourquoi l’État laisse-t-il faire Uber en toute impunité alors que toute autre société commerciale serait « épinglée » ?

Comment expliquer que M. Macron, alors ministre de l’Économie, ait pu, comme le Gouvernement actuel, prôner comme modèle de réussite une société qui réalise des pertes « colossales » depuis des années ?

L’ensemble des syndicats avaient adressé à M. Philippe, puis à M. Castex, alors Premiers ministres, un courrier commun concernant la pénibilité de notre secteur d’activité, prouvée par de nombreuses études : aucune réponse ne nous a été adressée en retour. Nous ne sommes pas pris en considération.

Le millier de chauffeurs de taxis que je représente sont des entrepreneurs qui font travailler plus d’une centaine de personnes. Ils paient des impôts et des taxes ; délivrent une mission de service au public. Voir un représentant de l’État privilégier des sociétés prédatrices, sans morale, qui bafouent les lois françaises, pratiquent l’évasion fiscale et fragilisent notre système de protection sociale, constitue une atteinte profonde aux valeurs de tout citoyen.

Nous espérons que cette enquête parlementaire permettra de mettre en lumière les facilités dont Uber a bénéficié au détriment des autres acteurs économiques.

Uber n’est cependant que « la partie visible de l’iceberg » : d’autres plateformes font la même chose dans d’autres secteurs d’activité. Ce type de prédateurs envahit toute l’Europe et nous devons nous en prémunir pour préserver notre dynamisme économique.

M. Christophe Jacopin remet en séance à la commission d’enquête le livre et le document cités dans sa présentation.

M. Gérôme Lassalle, Association Taxi Elite France. Mes confrères ont rappelé la différence de traitement évidente et inique dont ont été victimes les taxis.

Il faut se demander pourquoi le frère de M. Attali, lequel est l’auteur en 2008 d’un rapport à charge contre les taxis et à l’origine de la loi Novelli qui a permis à une contrefaçon de « se goinfrer » sur le T3P, se trouve travailler aux États-Unis dans une société qui fait partie des actionnaires d’Uber qu’elle valorise à hauteur de 62 milliards d’euros ; ou pourquoi l’inspecteur des finances mandaté par le ministre des finances pour établir un rapport sur la fiscalité du numérique était M. Nicolas Colin, lui-même actionnaire d’une plateforme de VTC et créateur de The Family, qui sert à promouvoir des plateformes de ce type.

Ces conflits d’intérêts, s’ils sont avérés, sont extrêmement graves et ne devraient pas avoir lieu dans un pays comme le nôtre.

Qui en profite ? Ce sont ceux qui ont fait en sorte que les taxis ne soient pas entendus et soient spoliés, afin que soient employés des travailleurs sans droit, n’ayant pas le statut de salarié ni droit au chômage, etc.

M. Jean-Michel Rebours, trésorier de la Fédération nationale des taxis (FNAT). Mes collègues ont déjà presque tout dit.

Le manque de considération des pouvoirs publics à notre égard nous interroge. Nous n’obtenons de réponse à presque aucun des courriers que nous adressons. Nous n’avons toujours pas obtenu la feuille de route qui nous a été promise depuis plus de deux ans pour régler certains problèmes.

Nous demandons depuis sept ans que les codes APE des chauffeurs de taxi et des chauffeurs de VTC soient au moins distingués. On nous a d’abord répondu que c’était impossible au niveau européen, puis qu’une sous-classe pourrait être créée : nous l’attendons toujours. À défaut, les VTC restent classés comme des « transports de voyageurs par taxi ». Comment est-ce possible ?

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Bonjour à tous. Cette première audition constitue un moment important et ce n’est pas sans émotion que j’interviens devant vous.

Comme le président de cette commission d’enquête et vous-mêmes l’avez rappelé, les travaux de cette commission d’enquête ont d’abord un rapport avec la démocratie et l’intérêt général. Comment des décideurs publics peuvent-ils privilégier des intérêts privés, ou ne pas faire respecter les lois de la République en laissant un état de fait s’imposer à l’état de droit ?

Les révélations des Uber files ont montré que, lors de la création de la plateforme Uber en France, 17 échanges avaient eu lieu entre Uber et le ministre de l’Économie de l’époque ou ses proches collaborateurs. Pouvez-vous confirmer que, pour votre part, vous n’avez eu aucun échange avec le ministère de Bercy, le ministre de l’Économie de l’époque ou ses proches collaborateurs ?

M. Ahmed Senbel. Malgré nos demandes, y compris écrites, de rencontres pour discuter de la souffrance de la profession, nous n’avons obtenu aucune audience, officielle ou officieuse.

M. Karim Asnoun. Au début de l’année 2016, nous étions tous mobilisés pour dénoncer une dérive de plus des plateformes, qui, comme d’habitude, détournaient encore les règles pourtant faibles posées par la première loi Thévenoud. Pour éviter à leurs chauffeurs – qu’elles souhaitent non formés, malléables et corvéables à merci – de recevoir le peu de formation qui leur était ainsi imposé, elles ont en effet passé toutes leurs structures en statut « LOTI ». Sans doute du fait d’un vide juridique, les autorités françaises sont à nouveau restées passives alors que des milliers de véhicules sous ce statut « inondaient » le marché. Après plusieurs jours de mobilisation très dure, nous avons été reçus par le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur et le ministre des Transports mais pas par M. Macron, qui avait seulement envoyé son directeur de cabinet.

M. le président Benjamin Haddad. Vous avez donc quand même rencontré le directeur de cabinet du ministre de l’Économie.

M. Karim Asnoun. Il était en effet présent lors de cette réunion à Matignon.

M. Jean-Michel Rebours. Je le confirme.

M. le président Benjamin Haddad. Lors des auditions de préparation des lois Thévenoud et Grandguillaume, votre profession a-t-elle pu être auditionnée ?

M. Jean-Michel Rebours. Nous avons en effet été auditionnés à plusieurs reprises, notamment ici même concernant la loi Thévenoud.

M. Rachid Boudjema. Nous n’avons jamais été auditionnés par le ministre de l’Économie à l’époque. Nous avons été auditionnés uniquement à l’issue des mobilisations sociales de la profession, par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre (et qui avait nommé le député Thévenoud rapporteur), en présence du ministre de l’Intérieur et du ministre des Transports mais pas par l’ancien ministre de l’Économie. Nous l’avions pourtant sollicité à de multiples reprises car nous soupçonnions une forme de favoritisme, dont il ne se cachait pas, mais n’avons jamais été reçus.

M. le président Benjamin Haddad. Vous dites avoir sollicité le ministre de l’Économie au moment des auditions sur la loi Thévenoud. Or, la loi Thévenoud date de 2014.

M. Rachid Boudjema. Il s’agissait d’auditions organisées en 2016 à l’issue de la loi Thévenoud. Nous l’avions sollicité et il ne nous avait répondu que par voie de presse, en se disant favorable à l’ouverture du marché.

M. Ahmed Senbel. Sur le plan chronologique, avant la loi Thévenoud et la loi Grandguillaume, il suffisait pour obtenir une carte professionnelle de VTC de la demander à Atout France. Nous avions donc déjà commencé à alerter sur la situation d’anarchie ainsi créée et à demander des rencontres officielles que nous n’avions pas obtenues. Uber a alors créé Uber Pop. Or, le ministre de l’Économie avait alors autorité sur la DGCCRF pour mettre fin à Uber Pop. Des employés de MacDonald’s dans la journée se faisaient taxis en soirée. Des drames ont commencé à en résulter pour les familles des chauffeurs de taxis qui ne pouvaient plus vivre de leur activité. Certains ont commencé à faire la police eux-mêmes. Tout ceci aurait pu être évité et même les lois Thévenoud et Grandguillaume n’auraient pas été nécessaires si nous avions été reçus à temps. À l’occasion des lois Thévenoud et Grandguillaume, nous avons bien sûr été auditionnés à l’Assemblée nationale mais nous n’avons jamais pu rencontrer officiellement le ministre de l’Économie.

M. le président Benjamin Haddad. Au moment de l’implantation d’Uber Pop en France, le ministre de l’Économie était M. Montebourg. Est-ce donc lui que vous avez alors sollicité ?

M. Christophe Jacopin. En décembre 2015, à propos de l’application Uber Pop, M. Macron, alors ministre de l’Économie, a déclaré : « Uber ne devrait pas être interdit à Paris ».

Lors des manifestations liées à la loi Grandguillaume, en 2016, nous avons été reçus par M. Grandguillaume, le médiateur, qui nous a annoncé, sans nous consulter, que nous changerions de tutelle, du ministère de l’Intérieur pour le ministère des Transports, ce qui nous assimilait aux VTC.

M. Jean-Michel Rebours. À l’époque, les VTC étaient des véhicules de tourisme avec chauffeur qui dépendaient du ministère du tourisme.

M. Karim Asnoun. M. Macron a été ministre des finances à partir du mois d’août 2014. Or, les mouvements sociaux qui ont permis d’initier un dialogue datent de janvier et février 2014.

M. Macron était en revanche ministre de l’Économie, et visiblement très impliqué, lorsqu’en juin 2015, nous avons manifesté contre Uber Pop (et Heetch, car d’autres plateformes qu’Uber étaient dans la même situation d’irrégularité). Néanmoins, nous n’avons eu aucun contact avec lui. Pourtant, M. Cazeneuve a reçu les taxis marseillais à Marseille avant de prendre d’urgence un avion pour recevoir ensuite les taxis parisiens à Paris, assez tard dans la soirée.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. À la suite des déclarations ostentatoires de soutien à Uber d’Emmanuel Macron en décembre 2015, avez-vous eu le sentiment d’un désaccord politique entre lui et les ministres de l’Intérieur et des Transports concernant le conflit entre taxis et VTC, qui pourrait être plus justement désigné comme un conflit entre une profession réglementée (la profession de taxi) et le développement d’un exercice illégal de la profession de taxi ?

M. Karim Asnoun. Oui il y avait un véritable désaccord. C’est surtout en 2016, lors de la médiation Grandguillaume, que nous avons senti nettement une opposition interne entre Alain Vidalies, alors ministre des Transports, et le ministère des finances. M. le député Grandguillaume lui-même nous expliquait alors souffrir de pressions issues de son propre groupe parlementaire. À peine avait-il présenté son projet de loi à son groupe que ce dernier l’avait assailli de remarques et de contre-propositions qui émanaient directement des plateformes. Le lobbying des plateformes exerçait donc une influence forte à cette époque.

M. Rachid Boudjema. Même par voie de presse, on voyait cette divergence de vues entre les ministres de l’Intérieur ou des Transports et M. Macron puisque ce dernier prenait position dans la presse pour dire que les positions des taxis étaient inacceptables alors qu’une médiation était en cours. Il prenait ainsi « à rebours » le travail mené par le ministre des Transports de l’époque et le député Grandguillaume, qui se confiait régulièrement sur les pressions qu’il subissait.

M. Christophe Jacopin. Sans la mobilisation des syndicats, des organisations professionnelles et des chauffeurs de taxis, je ne sais pas où nous en serions aujourd’hui.

Mme Emmanuelle Cordier. Dès le rapport Attali est apparu un intérêt à déréglementer notre profession qui se portait pourtant bien. Lorsque nous avions cherché des explications auprès des ministres concernés, nous avons été traités de « nantis » et de « pleureuses » qui passent leur temps à se plaindre. Toutefois, nous n’étions pas dupes, même si nous ne savions pas d’où venait précisément ces critiques. On savait qu’il y avait un conflit quelque part à notre détriment. Comment pouvait s’expliquer la volonté d’un gouvernement à modifier la réglementation d’une profession qui se portait bien et qui rapportait ? Comment expliquer la recommandation du rapport Attali en faveur de la déréglementation du secteur si ce n’est un conflit d’intérêt financier ?

M. le président Benjamin Haddad. Le rapport Attali a été établi au début de la présidence de M. Sarkozy (qui a été élu en 2007). Les plateformes de VTC n’avaient alors pas encore été créées. Un débat sur l’ouverture de la profession existait donc déjà avant la création d’Uber. Uber n’existait pas, même aux États-Unis, au moment du débat sur le rapport de M. Attali.

Mme Emmanuelle Cordier. Oui le conflit a démarré avant l’arrivée d’Uber. Le rapport Attali date de 2008.

M. Christophe Jacopin. Je tiens à rappeler les faits. La commission Attali s’est réunie en 2007-2008. M. Macron en était l’un des rapporteurs. Parmi les 316 mesures proposées dans le rapport Attali, deux concernaient le transport de particuliers. L’une recommandait d’augmenter le nombre de taxis mais l’autre préconisait déjà de développer l’entrée sur le marché des VTC, autrement dit de libéraliser le secteur. Aucune concertation n’avait alors été engagée avec les organisations professionnelles ou les syndicats. Tous les gouvernements ultérieurs ont pourtant suivi les préconisations de ce rapport Attali. Comme l’a rappelé M. Karim Asnoun, la loi Novelli notamment a permis en 2009 à Uber de s’implanter en France.

M. Karim Asnoun. La réglementation de la profession de taxi a toujours irrité ceux qui voudraient que tout soit réglé par le marché. Le rapport Rueff-Armand s’y opposait déjà en 1959. Si nous sommes régulés depuis les années 1930, c’est cependant parce que l’histoire de notre économie a démontré que la « main invisible » ne pouvait pas équilibrer tous les marchés. Le secteur du taxi est certes perfectible mais tous les rapports qui ont été établis à son sujet l’ont été sans concertation de la profession et dans un contexte de déficit de données, ce qu’a établi le député Thévenoud : aucune donnée statistique scientifique n’existe sur le taxi mais tout le monde s’autorise à donner son avis.

Mme Emmanuelle Cordier a cependant souligné la capacité, révélée par les         Uber files, des lobbyistes de ces multinationales à manipuler l’information, notamment sur internet. On sait qu’ils ont payé des cabinets spécialisés pour créer de faux articles et mener une campagne de dénigrement des taxis sur des sites connus du grand public. D’ailleurs, Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée aux PME de votre Gouvernement actuel, a fait partie de l’un de ces cabinets – iStrat – une société chargée de répandre des contre-vérités afin d’influencer l’opinion publique. Une telle manipulation de la presse par les forces de l’argent doit nécessairement alerter les élus attachés à la démocratie que vous êtes.

M. le président Benjamin Haddad. Le rapport Attali avait été commandité par le Président Sarkozy et avait émis un grand nombre de recommandations pour ouvrir à la concurrence et déréguler de nombreux secteurs, parmi lesquels les taxis. Il est toutefois largement antérieur à la création d’Uber et à l’implantation des plateformes de VTC, donc à toute forme de lobbying possible de leur part.

De même, les auditions lors de la préparation du rapport sur le projet de loi Novelli sur le statut d’autoentrepreneur sont antérieures à l’arrivée des VTC.

Votre profession s’était déjà, sous la présidence de M. Sarkozy, opposée par des mouvements sociaux à ce débat, qui est donc antérieur à l’émergence d’entreprises comme Uber.

M. Rachid Boudjema. Nous avons voulu démontrer qu’il y a toujours eu une volonté de déréguler les secteurs administrés. Des rapports ont été publiés à ce sujet en 1959, et même dès les années 1930. Pour contester cette volonté de dérégulation, nous avons toujours agi de manière officielle avec les méthodes que la République nous offrait. Ce qui aujourd’hui peut surprendre les parlementaires, les citoyens et notre profession, ce sont les méthodes déloyales employées par Uber, et ce qui, surtout, peut choquer, c’est l’écoute dont elle a bénéficié de la part de certaines personnalités publiques et de certains ministres. C’est sur ce point qu’il faut rester concentré. Les Échos ont relaté que le vice-président d’Uber, en 2014, avait menacé de chercher des travers dans le passé de chaque journaliste qui critiquerait son modèle. Cela avait terrorisé de nombreuses personnes à l’époque.

Mme Emmanuelle Cordier. La profession a été délibérément mise à mal par les pouvoirs publics et les VTC ont pu prendre l’espace ainsi laissé libre.

M. le président Benjamin Haddad. Considérez-vous que les pouvoirs publics vous avaient déjà mis à mal avant l’implantation de ces plateformes ?

Mme Emmanuelle Cordier. La déréglementation que nous venions de subir nous avait en effet déjà affaiblis, ce qui a facilité l’installation des VTC.

M. le président Benjamin Haddad. Pouvez-vous me préciser de quelle époque date la déréglementation à laquelle vous faites référence ?

Mme Emmanuelle Cordier. Nous la subissons depuis très longtemps, et notamment depuis le rapport Attali. Toutefois, nous sommes maintenant face à des lobbyistes qui n’ont aucun scrupule pour la pérenniser. Nous ne sommes pas de taille si l’État ne nous soutient pas.

M. le président Benjamin Haddad. Cet effort de déréglementation de la profession date donc selon vous d’avant l’arrivée des plateformes de VTC.

Mme Emmanuelle Cordier. Le terrain pour l’arrivée des VTC a été volontairement préparé.

M. le président Benjamin Haddad. Cette volonté n’est cependant pas liée à un effort de lobbying de la part d’Uber puisqu’Uber n’existait pas au moment du rapport Attali.

Mme Emmanuelle Cordier. Uber a utilisé toutes les failles existantes. Toutes n’ont pas été créées par le rapport Attali.

M. Ahmed Senbel. Il n’y a pas eu de déréglementation avant l’arrivée d’Uber. Il y avait seulement eu le rapport Attali qui proposait de déréglementer le secteur. C’est à l’arrivée d’Uber que la déréglementation s’est produite : la France a ouvert un grand « boulevard » à Uber en autorisant quiconque à devenir chauffeur de taxi. C’est de là que date la souffrance de notre profession. Nous n’avons pas compris pourquoi la France laissait ainsi agir Uber, contrairement à ce qui avait lieu en Allemagne, par exemple, ou en Espagne. Nous espérons que cette commission pourra nous éclairer à ce sujet.

On dit que nous avons depuis « gagné le combat » : c’est vrai mais c’est uniquement grâce à la qualité de service des taxis. Les chauffeurs ont commencé à travailler quatre-vingts heures au lieu de soixante ce qui a entraîné des drames et des suicides.

M. Jean-Michel Rebours. Il faut aussi rappeler que les VTC nous avaient initialement été présentés comme des véhicules de tourisme avec chauffeurs et non comme des véhicules de transport de personnes.

M. Christophe Jacopin. En permettant aux VTC de passer du secteur du tourisme à celui du transport de personnes, la France a permis à Uber de répondre à des appels d’offres en B-to-B et non plus seulement en B-to-C. Uber a ainsi pu déstabiliser le marché du taxi en proposant à longueur d’année des promotions auprès de la clientèle B-to-B avec laquelle travaillent de nombreux taxis.

Le lobbying d’Uber se poursuit aujourd’hui. L’État français est normalement le garant de notre modèle fiscal et de notre protection sociale. Or, concernant le projet de directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une  plateforme, comment la représentation permanente de la France à Bruxelles a-t-elle pu écrire un courrier officiel à la Commission européenne pour lui demander de laisser libre cours à la libéralisation des plateformes et de supprimer la présomption réfragable de salariat, objectif cher aux plateformes numériques ? Ce courrier – cité dans le document que je vous ai remis et qui est issu du site d’Euractiv – indique ainsi que « les autorités françaises ne sont [...] pas favorables à une présomption de salariat » et prône « des modèles reposant sur un degré d’autonomie et de flexibilité pour les travailleurs, coïncidant avec le modèle économique principalement mis en œuvre par les plateformes ». Ce courrier a été rédigé par la conseillère aux affaires sociales de la représentation permanente française, Émilie Marquis-Samari, et envoyée le 16 septembre 2021.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Monsieur Asnoun, vous avez qualifié les pratiques de lobbying d’Uber de « mafieuses », vous étonnant que des ministres puissent pourtant leur ouvrir leurs portes. Pouvez-vous détailler ces pratiques ? Vous en avez déjà cité quelques-unes, évoquant le fait de payer des cabinets pour écrire des articles mensongers. Lorsque nous entendrons cet après-midi le consortium des journalistes sur les Uber files, nous pourrons leur demander s’ils ont eu accès aux factures afférentes, et s’ils en connaissent les montants et les finalités. Notre commission d’enquête pourra également poser ces questions aux dirigeants d’Uber.

Par ailleurs, durant la période 2014-2016, couverte par les Uber files, ou encore lors des débats sur la directive européenne de présomption du salariat, avez-vous eu le sentiment que les décideurs publics proposaient des amendements venus d’Uber et dans ce cas à propos de quelles lois ? Je pense notamment à la loi d’orientation des mobilités (LOM) mais cela pourra aussi avoir eu lieu dès le début, lors de la loi travail de Myriam El Khomri.

M. Karim Asnoun. J’ai parlé de pratiques mafieuses en référence à la loi de l’omerta (du silence) pratiquée dans la mafia. En effet, j’ai assisté à toutes les audiences du tribunal pénal concernant l’affaire Uber Pop. Je ne suis pas un habitué des prétoires mais j’ai été stupéfait de constater qu’à chaque fois que les juges présentaient des éléments à charge, qui avaient été saisis au siège de la société Uber en France, ils se voyaient chaque fois opposer la même réponse : « Je ne connais pas ce document. Je ne l’ai jamais vu ». Devant une cour pénale, comme devant une commission d’enquête, on se doit pourtant de dire la vérité. Les trois juges ont même fait écouter à M. Thibaud Simphal, responsable d’Uber, des publicités visant à recruter des conducteurs Uber Pop qui étaient diffusées sur les radios nationales. Chaque fois qu’elles étaient diffusées, nos permanences syndicales étaient « inondées » d’appels de chauffeurs de taxi en colère qui se demandaient comment on pouvait faire appel à du travail dissimulé de manière aussi ostentatoire. Les responsables d’Uber ont dit devant les juges que c’était la première fois qu’ils entendaient ces spots publicitaires.

Le président d’Uber en France étant de nationalité irlandaise, la cour a fait venir un traducteur assermenté pour l’interroger. Après deux questions, les juges l’ont renvoyé : c’était un « homme de paille ». La représentation juridique d’Uber en France était assurée par une personne qui n’avait aucune implication dans la société. De même, MM. Thibaud Simphal et Pierre-Dimitri Gore-Coty, qui parlaient alors dans tous les médias français, où ils étaient présentés comme les directeurs France et Europe d’Uber, n’étaient plus devant le tribunal que de simples salariés d’Uber BV sans la moindre responsabilité politique ou juridique.

Ces méthodes sont particulièrement choquantes. Dans le taxi, on doit avoir un casier judiciaire vierge. Or, nous sommes ici confrontés à des pratiques de voyous.

S’agissant de votre deuxième question, Uber a particulièrement « inondé » un certain nombre de députés de multiples amendements lors de la loi Grandguillaume. Vous travaillez à l’Assemblée nationale et vous direz peut-être que ces pratiques sont courantes mais, en tant que simples citoyens, nous avons été choqués de retrouver, sur des points précis, des demandes d’amendements identiques à la virgule près émanant de groupes différents. Cela montre d’abord qu’ils n’ont pas rédigé ces amendements. Dans l’émission « Tout compte fait », sur France 2 en octobre 2016, on a par exemple pu voir l’embarras de Philippe Vigier, de l’UDI, lorsqu’on lui signalait que les amendements qu’il avait déposés lui avaient été fournis « clé en main » par Uber, en lui demandant où était le travail démocratique et législatif dans ce cas. Nous en venons nécessairement à nous demander si ce sont les lobbyistes qui rédigent les lois.

M. Rachid Boudjema. Dans cette émission, M. Vigier indiquait clairement qu’il n’était pas choquant pour lui de présenter un amendement rédigé « clé en main » par cette firme.

Dans les Bouches-du-Rhône, le préfet Laurent Nuñez avait pris un arrêté préfectoral le 20 octobre 2015 pour mettre un terme au désordre public qu’organisait Uber dans les rues marseillaises. Le matin même, nous avions été convoqués en préfecture pour nous dire qu’il fallait revoir les modalités de cet arrêté au motif qu’il aurait été « fragile ». Les découvertes du consortium des journalistes ont révélé que l’inquiétude des services de la préfecture ou de l’État tenait probablement moins à une telle fragilité qu’aux pressions qu’ils subissaient.

M. Jean-Michel Rebours. Lorsqu’il nous avait reçus en 2016, le ministre Bernard Cazeneuve nous avait promis qu’Uber Pop n’existerait plus dix jours après. C’était bien la première fois qu’on nous faisait une promesse dans un délai aussi court et elle a été tenue, ce qui m’avait toujours étonné. Je n’irais pas jusqu’à parler de méthodes mafieuses à ce sujet mais les révélations de Mark MacGann permettent mieux de comprendre ce qui s’est passé.

M. Christophe Jacopin. Le lobbying d’Uber se poursuit, puisqu’en 2021, le Gouvernement a demandé au ministère des Transports et aux fédérations nationales de revoir l’examen VTC-taxis alors que les chauffeurs de taxi ou même de VTC disaient plutôt qu’il fallait le renforcer car le taux de réussite était de 80 %. La fédération française des transports de personnes sur réservation (FFTPR), qui regroupe notamment Snapcar, Free Now, Marcel, Bolt et Uber, soutenait en effet que la difficulté des épreuves créait une pénurie des chauffeurs. Il fallait donc les simplifier pour produire en somme des « esclaves ». Le ministère des Transports souhaite toujours simplifier ces épreuves.

M. le président Benjamin Haddad. Le changement de l’examen VTC-taxis a essentiellement concerné le nombre d’heures requis pour obtenir une licence de chauffeur. Pouvez-vous préciser le nombre d’heures qui était requis avant et après ce changement ?

M. Christophe Jacopin. Les chauffeurs VTC doivent maintenant passer un examen alors qu’il leur suffisait auparavant de se déclarer administrativement pour obtenir une carte VTC après une ou deux semaines, le temps que certains contrôles très minimes soient menés.

M. le président Benjamin Haddad. L’administrateur me précise que le Gouvernement a réduit début 2016 la durée de formation nécessaire pour l’obtention d’une licence de VTC, de deux cent cinquante heures à sept heures. Je ne me souvenais plus de ces chiffres.

M. Jean-Michel Rebours. Plus aucune heure de formation n’est en réalité imposée, puisque quiconque peut se présenter en candidat libre à l’examen pour obtenir sa carte professionnelle.

M. Rachid Boudjema. Pour obtenir une carte professionnelle nécessaire à l’exercice de la profession de taxi, il fallait auparavant se soumettre à un examen organisé par les services préfectoraux des départements concernés. Un grand nombre d’objectifs étaient alors à remplir, y compris en matière de probité.

Deux cent cinquante heures de formation en présentiel ont été imposées aux VTC à la suite de nos mobilisations et de la loi Thévenoud mais elles n’avaient alors pas même besoin d’être validées par un examen. Un lobby a cependant obtenu leur réduction de deux cent cinquante heures à sept heures.

M. le président Benjamin Haddad. Pour obtenir une licence de VTC, la formation obligatoire est donc bien passée de deux cent cinquante heures à sept heures. Il existe par ailleurs un examen pour obtenir une licence de taxi mais aucun nombre d’heures de formation minimal n’y est associé, n’est-ce pas ?

M. Rachid Boudjema. Il faut différencier la licence de taxi, qui constitue un fonds de commerce, de la carte professionnelle, qui permet à une personne d’exercer cette profession.

M. le président Benjamin Haddad. Je parlais en effet de l’obtention d’une carte professionnelle qui n’est pas soumise à un nombre d’heures de formation mais à un examen. En revanche, sept heures de formation sont requises pour devenir chauffeur VTC.

Mme Emmanuelle Cordier. Avant l’arrivée des VTC, deux cent cinquante heures de formation et un diplôme étaient nécessaires pour être chauffeur de « grandes remises ».

La déréglementation a créé un vide juridique de 2014 à 2017, durant lequel il suffisait d’une formation de sept heures pour obtenir sa carte VTC, sans avoir à passer d’examen, simplement en la demandant en préfecture et en se rendant sur Atout France. Pour obtenir la carte de taxi, en revanche, il fallait toujours passer un examen très complet.

Un examen commun avec les taxis a ensuite été imposé aux chauffeurs de VTC dans le cadre duquel cent quatre-vingts à deux cents heures de formation sont seulement préconisées.

M. le président Benjamin Haddad. En 2016, un examen a ainsi été rendu obligatoire pour obtenir une carte professionnelle de taxi comme pour obtenir une licence de VTC. Aucun nombre d’heures de formation n’y est associé pour les taxis tandis que les VTC ont sept heures de formation à suivre.

Mme Emmanuelle Cordier. Non : les VTC sont maintenant soumis aux mêmes règles que nous. Leur seul problème est qu’ils n’arrivent pas, ou très peu, à répondre à cette obligation d’examen.

M. Jean-Michel Rebours. Comme les chauffeurs de taxi, ils peuvent se présenter en candidats libres à l’examen s’ils le souhaitent.

Cet examen comprend plusieurs épreuves : de la comptabilité, de l’anglais, du français, etc. Lors des dernières discussions sur les examens à venir, dont la réforme est annoncée depuis deux ans, il aurait été décidé que tous les QCR seraient supprimés : il ne resterait plus que des QCM. Ils voulaient même supprimer les épreuves de comptabilité et de français, pour les taxis comme pour les VTC. Toutefois, nous souhaitons conserver notre examen et même rétablir la forme qui était la sienne auparavant.

M. le président Benjamin Haddad. Cette déréglementation vaut en effet pour les deux secteurs désormais.

M. Rachid Boudjema. Elle n’est commune que depuis les mobilisations de 2016.

Suite à notre mobilisation de 2014, le législateur avait réussi à imposer deux cent cinquante heures de formation sans examen à l’issue pour conduire des voitures de transport ou de tourisme avec chauffeur (VTC). Les taxis quant à eux devaient suivre un examen datant de plus de vingt ans et contrôlé par les services de la préfecture. Les VTC ont néanmoins obtenu que leur nombre d’heures de formation soit réduit à sept, ce qui nous a poussés à manifester à nouveau en 2016 pour obtenir un examen identique pour les deux professions, sans formation obligatoire toutefois. Jamais les taxis n’ont donc été favorisés par rapport aux VTC : c’est plutôt l’inverse qui a eu lieu.

M. Christophe Jacopin. Depuis 2021, le Gouvernement souhaite donc simplifier les examens de VTC conformément aux demandes de la FFTPR qui invoque une pénurie de chauffeurs. Or, les chauffeurs de VTC pourront probablement vous confirmer qu’elle vient du fait que ce statut est précaire, parce qu’il dépend de cette plateforme, et qu’ils ne vivent pas de leur métier, en raison des promotions incessantes accordées sur le prix des courses. Les promotions sont normalement encadrées par la loi mais Uber peut librement réaliser des promotions tout au long de l’année. On peut se demander pourquoi le ministère de l’Économie l’accepte.

M. Jean-Michel Rebours. Les examens communs actuels comprennent une étape d’admissibilité et une étape d’admission qui est désormais organisée par les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) régionales. Or, les centres de formation obligent les candidats à une carte de taxi à venir à l’examen avec des véhicules équipés à la manière de taxis, avec un double pédalage. De même, les textes prévoyaient initialement que les candidats à une carte de VTC devaient venir avec des véhicules correspondant aux normes de longueur, etc. des véhicules de VTC. Or, une tolérance leur a d’abord été accordée pour passer l’examen sur d’autres types de véhicules et elle a perduré, de sorte qu’ils peuvent encore passer l’examen sur des Clio, par exemple, sans que personne ne dise rien.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Lors des mobilisations des taxis contre le développement d’Uber, des articles vantant la possibilité pour Uber de créer de l’emploi ont été publiés mais aussi des articles relatifs à la violence des taxis envers les VTC. Quel est votre témoignage sur ces violences ?

M. Karim Asnoun. La véritable violence venait de cette multinationale qui s’autorisait à capter une partie de notre clientèle, au vu et au su des forces publiques, alors que les chauffeurs de taxi devaient passer un examen et louer une licence en s’endettant sur plusieurs années. Des débordements ont donc pu avoir lieu dans la rue car les chauffeurs de taxi ne comprenaient pas ce laisser-faire des pouvoirs publics. Aujourd’hui encore, l’article 2 de la loi Grandguillaume n’est toujours pas appliqué de sorte que les plateformes incitent toujours leurs conducteurs à rester sur la voie publique en attente de clientèle, ce qui est formellement interdit et engorge les villes. Une ONG vient ainsi de démontrer que ces véhicules polluaient les agglomérations, notamment en détournant une partie des utilisateurs des transports publics, du fait des prix de course dérisoires pratiqués grâce au subventionnement de ces courses par les actionnaires.

Les plateformes prétendent dans les médias manquer de chauffeurs pour demander une simplification des examens. La réalité est plutôt que leur modèle économique repose sur le fait de prélever leurs profits sur les revenus des chauffeurs. Elles auront donc toujours besoin de davantage de chauffeurs, et continueront à exercer une pression sur les pouvoirs publics pour obtenir ces chauffeurs.

Le fait même de faire passer un unique examen pour aboutir à deux statuts différents interpelle la CGT. Un examen doit normalement servir à vérifier que l’on connaît la nature de la profession vers laquelle on s’engage. Pour que nous sachions quel examen construire, il faut nous expliquer à quoi il sert. Or, le VTC comme le taxi réalisent la même activité : ils emmènent des personnes d’un point A à un point B. Pourquoi alors distinguer deux statuts ? Il ne sera pas demandé à l’un de parler plusieurs langues ou de s’adresser à certains segments de clientèle seulement. Au contraire, tous les travailleurs sont mêlés, ce qui entraîne parfois des tensions, en effet, lorsque certains constatent que les autres leur « volent leur pain ».

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. D’après The Guardian, Uber aurait incité les chauffeurs de VTC à se plaindre à la police de la violence des taxis et à mettre en scène des récits victimaires. Mark MacGann avait ainsi expliqué combien il était facile d’obtenir des photographies de violence à Barcelone et dit qu’il y aurait eu des collusions entre la stratégie de communication d’Uber et les grands médias pour y parvenir. Avez-vous eu le sentiment d’être victimes de ce type de manipulations ?

Vous dénoncez, non seulement une concurrence déloyale mais aussi un exercice illégal de la profession. Vous dites notamment que l’article 2 de la loi Grandguillaume n’est toujours pas appliqué. Comment cela se traduit-il au niveau des contrôles effectués ou non dans les aéroports, par exemple, concernant le respect du cadre légal de votre profession ?

M. Rachid Boudjema. En examinant les faits a posteriori, nous avons découvert comment Uber incitait ses chauffeurs à provoquer les artisans du taxi, parfois en se plaçant en tête de nos stations de taxis. Pour des chauffeurs qui avaient chèrement payé leur droit au travail, cette situation ne pouvait alors être qu’explosive. Nous réalisons maintenant avoir été manipulés pour que les images se retournent contre nous.

Nous avons plusieurs fois dénoncé la non-application de la loi Grandguillaume, y compris auprès de Mme Borne, qui, lorsqu’elle était ministre de la transition énergétique, s’était engagée à ce que nous n’assistions plus aux comités organisés à cet égard car ils constituaient une « blague ». On nous promettait sans cesse que les arrêtés seraient promulgués, mais nous avons fini par comprendre que la puissance publique ne voulait pas disposer de données sur les conditions dans lesquelles l’activité des secteurs du taxi et du VTC était exercée, ce qui était le seul objectif de la loi Grandguillaume. Mais même sur ce point, un lobby avait été exercé pour retarder la publication de ces arrêtés. Pourquoi maintenant que ces arrêtés ont été publiés ne se sert-on toujours pas de cet outil ? Nous sommes demandeurs de ces statistiques.

Mme Emmanuelle Cordier. La vraie violence pour la profession est créée par le refus manifeste du gouvernement de faire appliquer la réglementation. Comment voulez-vous qu’un chauffeur de taxi, qui passe des heures à attendre dans les aéroports, réagisse en voyant des centaines de véhicules VTC attendre dans la station essence la plus proche de l’aéroport, alors qu’ils n’en ont pas le droit ? Comment ne pourrait-il pas être tenté de faire lui-même appliquer la loi si l’État ne le fait pas ? Le nombre de racoleurs dans les aéroports et dans les gares, à un an et demi des JOP et à six mois de la coupe du monde de rugby, me rend honteuse de mon pays. Le Gouvernement a les moyens de faire arrêter cela mais ne veut pas le faire. Il est très réactif s’agissant des cotisations non payées. Où est son intérêt à ne pas faire respecter la loi si des lobbys ne sont pas en cause ?

M. Christophe Jacopin. Uber Pop permettait au « tout-venant » d’être rémunéré pour effectuer du transport de personnes. La véritable violence était là. Uber a voulu imposer une nouvelle réglementation, en mettant en pratique ce service totalement illégal. Lorsque vous exercez votre métier dix ou douze heures par jour, avec le stress de la circulation, et celui lié au passager (qu’on ne connaît pas), la fatigue physique et morale liée à la posture, etc., découvrir que quiconque peut désormais exercer le même métier en complément de revenu à des prix très bas est très violent. Il s’agit d’un véritable métier qui s’apprend et répond à des règles.

À la commission locale du T3P, nous demandons chaque année au ministère des Transports de quels contrôles font l’objet les plateformes : nous n’avons jamais de réponse. Le ministère nous assure seulement que des contrôles sont réalisés mais aucune donnée ne nous est fournie. Pour les taxis (les centrales de réservation, les centres de formation, etc.), les statistiques existent : les nombres de dérives, de fraudes et de condamnations peuvent être présentés, même si ces données sont logiquement anonymisées. Il y a donc une différence de traitement en matière de transparence.

M. Jean-Michel Rebours. Suite à nos réclamations, des contrôles peuvent être réalisés mais de manière très ponctuelle et surtout à Paris, où les « boers » du moins connaissent la réglementation du T3P. Sur le reste du territoire, les trois quarts des gendarmes et des policiers ne connaissent cependant pas cette réglementation. Nous avons demandé depuis plusieurs années que les forces de l’ordre reçoivent une formation à cette réglementation : on nous l’a promis mais cela n’a jamais eu lieu.

M. le président Benjamin Haddad. Le secteur des taxis souffre-t-il lui aussi d’une pénurie de chauffeurs ?

M. Karim Asnoun. Seules les plateformes VTC se plaignent d’une pénurie de chauffeurs. Il n’y a en réalité aucune pénurie mais un trop-plein : il y a beaucoup plus de chauffeurs que d’emplois disponibles en France. À Paris, un numerus clausus est appliqué, mais il évolue et la CGT déplore l’absence de données permettant de mesurer les besoins réels en création de licences.

M. le président Benjamin Haddad. La presse aussi se fait souvent l’écho de pénuries en chauffeurs de taxi et de VTC.

M. Rachid Boudjema. Ce sont en effet les plateformes qui se plaignent d’une pénurie à la presse. Si votre taxi met du temps à arriver, c’est parce qu’il utilise la voie publique et que le trafic est congestionné. Là encore, la puissance publique pourrait décider de mettre en place des voies dédiées aux taxis, qui réduisent le nombre de véhicules privés en circulation, donc réduisent les émissions de gaz à effet de serre. Les taxis ne manquent pas de professionnels. Les plateformes se plaindront toujours d’un tel manque afin d’accroître leur rentabilité mais au détriment des chauffeurs mêmes qu’elles utilisent.

M. le président Benjamin Haddad. L’effet prétendu de la crise sanitaire sur l’offre de chauffeurs dans les grandes villes constitue-t-il donc selon vous un biais médiatique ?

M. Rachid Boudjema. Le nombre d’entreprises de taxis et d’autorisations de stationnement dont elles bénéficient reste constant, puisque la loi impose le remplacement de tout départ d’un chauffeur de taxi. Le nombre de taxis peut croître, non diminuer. La préfecture de police de Paris quantifie les besoins à cet égard et augmente régulièrement le nombre des autorisations de stationnement qu’elle délivre.

À l’inverse, personne n’est en mesure de nous dire avec précision combien de chauffeurs VTC circulent en France. On ne sait même pas identifier les personnes qui conduisent ces véhicules car des sous-locations de téléphone sont possibles avec les VTC, contrairement aux taxis, ce qui explique notamment les agressions qui ont eu lieu.

M. Christophe Jacopin. Un numerus clausus a été instauré en 1930, en raison de la paupérisation des chauffeurs de taxi qui avait résulté de la libéralisation complète du secteur. Les files de taxis en attente de clientèle pouvaient ainsi s’étendre avant 1930 de la gare d’Austerlitz à la place d’Italie. Ce numerus clausus est donc indispensable pour maintenir un juste revenu aux chauffeurs tout en tenant évidemment compte des besoins de la clientèle mais avec modération et sur la base d’indices objectifs. À cet égard, l’indice économique qui était utilisé jusque-là a été supprimé, car il était devenu « farfelu » et ne servait plus à rien. Un groupe de travail est prévu à ce sujet.

Même le Gouvernement et les autorités sont incapables de nous indiquer le nombre de chauffeurs VTC existant en France. C’est pourquoi seules les plateformes peuvent se plaindre d’une pénurie de chauffeurs. Pourtant, lorsque vous allez au restaurant, si les tables sont pleines, vous attendez votre tour : vous n’ouvrez pas un nouveau restaurant.

M. le président Benjamin Haddad. Avant l’arrivée des plateformes, Nicolas Sarkozy et le Gouvernement Fillon s’étaient déjà efforcés de déréglementer la profession du taxi pour multiplier le nombre de licences. Ce projet avait été abandonné début 2008 après une mobilisation de la profession. On parlait alors de pénurie : à l’époque du rapport Attali, certains articles de presse indiquaient que le nombre de taxis était de 3 pour 1 000 à Paris contre 9 pour 1 000 à Londres et 12 pour 1 000 à New-York. Une sous-représentation des taxis à Paris par rapport à d’autres grandes villes de tourisme était ainsi souvent évoquée dans les débats à l’époque. Était-il légitime selon vous, lorsque votre profession s’est mobilisée en 2008 contre l’ouverture de votre profession à la concurrence, de parler d’une offre de taxis inférieure à la demande ?

M. Karim Asnoun. Les villes alors comparées à Paris n’ont-elles pas elles aussi été confrontées à une libéralisation du taxi ? Londres n’a-t-elle pas été envahie par les mini-cabs ? New York n’a-t-elle pas été envahie par les VTC également ? Ces prétendus manques de taxis n’ont jamais été fondés sur des études sérieuses.

Lorsque des études sérieuses relativement sérieuses ont été réalisées, elles ont montré que les clients n’attendaient les taxis que quatre heures par jour. Vingt heures par jour, ce sont donc les chauffeurs de taxi qui attendent leurs clients.

Nous avions présenté en 2014 au député Thévenoud des études de géographes recommandant de se méfier des comparaisons entre des villes très différentes. Lorsqu’on parle de New-York, on évoque souvent Manhattan et non les quartiers périphériques. L’agglomération de Paris inclut l’Île-de-France qui réunit 11 millions d’habitants : elle ne peut pas être comparée avec celle de Madrid qui réunit 1 ou 2 millions d’habitants. Le maillage du réseau de transports publics à Paris est exceptionnel.

Nous ne voyons pas d’autre motif à cette libéralisation que la volonté de ces multinationales de s’accaparer un marché grâce notamment au financement d’investisseurs. En 2014, la presse présentait Uber comme une « startup », mais elle était en réalité soutenue par un fonds d’investissement saoudien et par Goldman Sachs : ces investisseurs visent des rentabilités de 10 à 20 %, et sont prêts à perdre des milliards dans un premier temps pour capter des marchés de manière extrêmement agressive.

Pourquoi les taxis se seraient-ils retrouvés à devoir faire des semaines de soixante à soixante-dix heures si leur clientèle était si importante ? Cela montre qu’un problème se pose, dans le prix ou dans les coûts.

M. Rachid Boudjema. Monsieur le président, j’ai besoin de comprendre l’objet de votre question.

Même si l’on réussissait à prouver qu’une libéralisation était justifiée par une pénurie de taxis (ce qui paraît difficile avec une station de métro tous les 300 mètres et 20 000 taxis aujourd’hui à Paris contre 13 000 à New-York mais qui sont principalement concentrés à Manhattan), cela justifierait-il l’attitude d’Uber et l’écoute attentive accordée par les pouvoirs publics à cette plateforme ? La fin justifie-t-elle les moyens ? J’attends de la représentation nationale, et non d’un fonds étranger, qu’elle dicte la loi dans mon pays.

M. le président Benjamin Haddad. Ces débats reposant, à tort ou à raison, sur l’idée d’une pénurie de l’offre de taxis par rapport à la demande, ont précisément eu lieu au sein de la représentation nationale, au Gouvernement, parmi les économistes et les experts, avant l’existence même des plateformes. Certains économistes préconisaient par exemple à l’État de racheter les licences de taxi et d’en multiplier le nombre.

M. Rachid Boudjema. Je ne peux que souscrire au fait qu’un tel débat ait eu lieu ici. Ce que nous regrettons, ce sont les méthodes utilisées par cette plateforme et l’écoute qui lui a été accordée.

Plus aucune règle n’existe aujourd’hui pour s’installer comme chauffeur de VTC. Pourtant, des problèmes de pénurie sont encore invoqués. Ils ne sont donc pas liés à la réglementation des taxis.

La question qui nous anime aujourd’hui est plutôt de savoir si l’on souhaite dire à nos concitoyens et au monde que quiconque en a les moyens peut en France se faire entendre au détriment de la représentation nationale.

M. le président Benjamin Haddad. Les taxis ont-ils aujourd’hui accès aux plateformes de VTC ? Peuvent-ils être commandés sur Uber ?

M. Rachid Boudjema. Il s’agit d’une nouvelle manipulation ou d’un aveu d’échec de la part des plateformes qui reconnaîtraient ainsi la nécessité de véritables professionnels dans le métier du transport.

Quel serait l’intérêt pour les taxis, dont le tarif est réglementé et reste ainsi fixe tout au long de l’année, de rejoindre une plateforme comme Uber qui fait fluctuer ses prix en fonction de la météo, de la circulation ou du jour et de la nuit ?

M. Jean-Michel Rebours. Lorsqu’un manque de taxi était invoqué en 2014 ou 2016, nous avions proposé que les VTC puissent devenir des taxis. Nous n’avons pas obtenu de réponse. Le problème tenait-il donc vraiment à un manque ?

M. le président Benjamin Haddad. D’un point de vue technique, préconisiez-vous d’offrir des licences ou d’en ouvrir davantage ? Avant l’arrivée des plateformes, le débat portait notamment sur la possibilité d’accroître le numerus clausus en doublant par exemple le nombre de licences.

M. Jean-Michel Rebours. Nous ne parlions pas des plateformes mais des VTC auxquels nous proposions de devenir des taxis. Nous n’avons pas eu le temps d’étudier sous quelle forme cela aurait pu se faire car cette proposition a été écartée.

M. Ahmed Senbel. Lorsque les administrés et des pouvoirs publics ont demandé une augmentation du nombre de licences, nous l’avons entendu, même si le problème à Paris tenait en réalité, comme aujourd’hui, à la circulation. Nous avons ainsi fait passer le nombre des autorisations de stationner (ADS) de 14 000 à presque 18 000. Elles sont 20 000 aujourd’hui. Nous avons encore voté 300 licences supplémentaires en 2022 comme en 2023.

Mme Emmanuelle Cordier. Même si un manque de taxis avait existé, comment expliquer que l’accès à cette profession ait été durci ? Auparavant, nous devenions propriétaires de nos ADS après quinze années d’exploitation. En 2014, nous n’avons plus eu le droit d’exercer en tant que société mais seulement en notre nom propre avec une carte professionnelle, etc., tandis que le VTC était simultanément libéralisé. Pourquoi ne pas nous avoir libéralisé mais avoir libéralisé un marché parallèle ?

M. Macron a participé au rapport Attali, ce qui laisse soupçonner une préméditation.

M. le président Benjamin Haddad. Votre dernière question est au centre de mes interrogations précédentes. Une volonté d’augmenter le nombre de taxis préexistait à l’arrivée des plateformes de VTC, ce qui avait conduit les pouvoirs publics à augmenter le numerus clausus en 2007-2008. Je crois me rappeler que votre profession s’était alors mobilisée contre cette augmentation.

M. Karim Asnoun. Dans l’exercice de notre profession, nous sommes sans cesse confrontés à des pénuries, notamment dans les services publics, qui ferment les uns après les autres.

Nous avons évoqué tout à l’heure un problème très grave, qui nuit à l’image de la France à l’international, concernant la qualité de son accueil dans les aéroports et dans les gares. Il y a aujourd’hui une pénurie de policiers. Aéroports de Paris (ADP), groupe qui génère des milliards d’euros de bénéfices, ne souhaite cependant pas mettre en place des vigiles pour faire respecter la législation sur les taxis et les VTC, à la manière de celles prévues par la RATP et la SNCF pour veiller à la sécurité des passagers.

À ma connaissance, il n’existe pas de pénurie de chauffeurs de taxi, même s’il faut peut-être parfois attendre cinq minutes pour trouver un taxi. En revanche, certains chauffeurs de taxi ne parviennent pas à trouver un centre des impôts ouvert et doivent attendre deux semaines pour obtenir un rendez-vous.

En accord avec de nombreux autres syndicats européens de taxis, la CGT demande à l’Union européenne de créer une application publique de taxis, car être taxi nous donne des droits, comme celui de stationner sur la voie publique en attente de clientèle, mais aussi des devoirs, comme d’avoir des tarifs fixés par la puissance publique auxquels nous sommes attachés. Nous souhaitons donc que la puissance publique s’empare vraiment de ces questions de mobilité qui constituent en effet un vrai problème d’utilité publique plutôt que de laisser les plateformes nous « tondre la laine sur le dos ».

Des débats politiques ont en effet eu lieu entre deux écoles, la première qui considère qu’une réglementation stricte doit permettre aux chauffeurs de taxi de survivre – car devoir travailler soixante-dix heures par semaine revient à survivre plutôt qu’à vivre – la seconde qui considère qu’il faut tout libéraliser. Toutefois, ces débats justifient-ils l’impunité et les souplesses dont ont bénéficié Uber et d’autres plateformes ?

Lors des assises de la mobilité, en 2019, le Président Macron a annoncé une nouvelle loi d’orientation sur les mobilités et a mis en place des ateliers pour la préparer. Nous avons réussi avec la GESCOP à être invités à l’un de ces ateliers au ministère des Transports et nous avons découvert qu’il était présidé par un actionnaire de Heetch, plateforme qui venait d’être condamnée pour des pratiques déloyales de transport de personnes par des conducteurs qui n’étaient ni VTC ni taxis. Cette même personne communiquait alors dans la presse sur le fait qu’il ferait avancer les textes. S’agissait-il de légaliser le travail dissimulé en France ?

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Quel est le nom de cette personne ?

M. Karim Asnoun. Il s’agit de Yann Marteil. Heetch passe encore pour une « startup » mais elle est soutenue par la famille Mulliez, donc par de gros investisseurs qui cherchent à accaparer un marché où des règles ont été fixées afin que les chauffeurs puissent vivre de leur métier.

Avant les plateformes, le taxi constituait un véritable ascenseur social : il a permis à des millions de personnes, immigrées, au chômage, etc. de s’insérer dans la société. Pourquoi casser cet outil plutôt que de chercher à l’améliorer ?

Mme Emmanuelle Cordier. En 2008, nous avons contesté l’augmentation du nombre des autorisations de stationnement non en tant que telle mais parce que le Gouvernement souhaitait remettre en cause leur caractère patrimonial.

M. le président Benjamin Haddad. Pouvez-vous détailler ?

Mme Emmanuelle Cordier. Les autorisations de stationnement sur le domaine public étaient initialement attribuées par la mairie ou la préfecture de police (à Paris). Dans les années 1975, elles sont devenues cessibles : après un certain nombre d’années d’exploitation, il devenait possible de revendre ce fonds de commerce, ce qui en a d’ailleurs fait un gros marché. En 2014, il a été mis fin à ce droit s’agissant des licences nouvellement créées, ce qui était déjà envisagé en 2008.

De toute façon, rien ne justifiait que des numerus clausus nous soient appliqués, tandis qu’une libéralisation sans contrôle était mise en place parallèlement.

M. Ahmed Senbel. Si Uber s’intéresse aux chauffeurs de taxi, c’est à nouveau pour prendre 20 à 30 % sur le tarif de leurs courses. Or, aujourd’hui, lorsqu’on commande un taxi réglementé sur l’application Uber, c’est un VTC qui arrive. Les dérives n’en finissent ainsi plus de se poursuivre. Nous avons fait constater cette tromperie pour le client afin de saisir le tribunal. Un consommateur qui commande un taxi le fait pour bénéficier d’un tarif réglementé et de conditions d’honorabilité garanties. À l’inverse, certains chauffeurs de VTC exercent avec des bracelets électroniques.

M. Rachid Boudjema. La représentation nationale devrait s’inquiéter de l’intérêt d’une telle application prédatrice pour le marché du taxi car les activités de taxi sont taxées en France. Si par extraordinaire certains taxis acceptaient de s’inscrire sur ces plateformes, leurs revenus pour ces plateformes seraient au contraire transférés dans des paradis fiscaux comme le fait actuellement Uber.

M. Ahmed Senbel quitte la séance à 11 heures 20.

M. Christophe Jacopin. Uber a une politique très agressive pour récupérer le marché et se trouver en monopole. Uber a d’abord promis « l’eldorado » à ses chauffeurs pour acquérir un monopole sur ce marché mais les promotions ont entraîné des courses à perte : par exemple du 16ème au 12ème arrondissements de Paris pour 2 euros. Dans cette situation, les chauffeurs devaient travailler vingt heures pour ne pas même toucher le SMIC. Ces données sont présentes dans différents rapports.

Autrefois, Uber passait des contrats avec ses chauffeurs sur cinq ans, avec les véhicules, etc., puis les traitaient comme des « esclaves ». À l’issue de ces contrats, de nombreux chauffeurs de VTC ont souhaité devenir taxis. Comme Uber a besoin d’un grand nombre de chauffeurs pour percevoir ses commissions, cette société a décidé d’attirer les taxis sur sa plateforme en les rémunérant à court terme pour rejoindre la plateforme, pour parrainer d’autres chauffeurs de taxis. Ainsi, les chauffeurs de taxi qui tombent dans ce piège vont d’abord gagner de l’argent mais on connaît la stratégie d’Uber : après avoir capté l’ensemble du marché, elle les traitera comme des esclaves à l’image des chauffeurs VTC.

En 2008, et jusqu’en 2019, la préfecture de police présentait chaque année dans une commission dédiée un « indice économique » servant à réguler l’offre par rapport à la demande pour s’adapter aux besoins des consommateurs, en tenant compte des nuitées d’hôtel des touristes, etc. : s’il était négatif, aucune licence n’était distribuée, s’il était positif, de nouvelles licences étaient accordées. Vous pouvez donc vous procurer ces chiffres. Or, en 2008, des autorisations de stationnement ont bien été distribuées. La pénurie ne constituait donc pas un véritable problème. C’est seulement à certaines heures de forte demande qu’il est plus difficile de trouver un taxi, comme l’a indiqué M. Asnoun. Le reste du temps, ce sont plutôt les chauffeurs qui attendent. Les manifestations de 2008 s’opposaient seulement à une volonté de créer davantage de licences que les besoins ne l’imposaient ce qui aurait conduit à paupériser les chauffeurs. Or, compte tenu des crédits en cours, il n’était possible de créer une situation de paupérisation des chauffeurs de taxis.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Un très grand nombre d’articles ont en effet été publiés dans la presse, non seulement pour faire état d’une pénurie de taxis mais encore pour « salir » l’image des taxis, cette pénurie étant souvent rapportée au « mauvais » taxi parisien. Or, Olivia Grégoire était précisément directrice adjointe d’iStrat au moment où ces articles étaient publiés sur plusieurs journaux en ligne tandis que la page Wikipédia était modifiée, chaque fois pour mettre en avant le fait que les taxis ne répondaient plus à l’offre ni à la qualité de service requises sur la base de données issues d’une société privée missionnée par Uber.

Vous nous avez indiqués que 20 000 taxis étaient présents à Paris aujourd’hui et 19 500 à l’époque. Pouvez-vous nous assurer de la fiabilité des informations dont vous disposez quant à vous concernant l’absence d’une réelle pénurie à l’époque ?

Vous nous avez dit qu’on connaissait le nombre de taxis mais pas celui de véhicules VTC et encore moins celui de chauffeurs car leur dénombrement est impossible dans le monde du VTC comme dans celui de la livraison en raison des possibilités de prêter les téléphones.

Avez-vous néanmoins pu communiquer avec la préfecture pour disposer d’une estimation du nombre de VTC à Paris ?

M. Jean-Michel Rebours. Les questions liées aux taxis ne se limitent pas à Paris mais à l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, depuis que le T3P a été instauré, les préfectures ne sont plus du tout joignables. Il en va de même pour l’Observatoire ou pour le Conseil national. Il n’y a pas de pénurie dans la profession de taxi. En revanche, nous ne sommes pas aidés. Ainsi, lorsqu’un candidat réussit son examen de taxi, les délais sont de deux à trois mois pour obtenir une carte professionnelle et pouvoir travailler même lorsqu’une entreprise souhaite vous recruter. Cela crée alors bien un manque de chauffeurs de taxi au niveau de cette entreprise, ce qui n’est pas pris en compte malgré la « priorité à l’emploi » affichée par M. Macron.

M. Karim Asnoun. La CGT considère que les problèmes de qualité de service invoqués pour dénigrer les taxis sont un mythe. La référence du taxi dans le monde est Londres, où accéder aux « black cabs » suppose deux à trois années d’études et une connaissance fine du terrain qui permet de se passer de Waze ou Google Maps. La qualité de la prestation est très poussée, l’intégralité des véhicules répondant à des normes d’accueil des personnes à mobilité réduite (PMR), etc. Malgré cette qualité extrême, les « black cabs » ont eux aussi été confrontés à la libéralisation, avec des mini-cabs proposant des courses à des prix subventionnés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car la puissance publique a en Angleterre mis en place des moyens de contrôle des déclarations fiscales et du niveau des chauffeurs, de manière bien plus active qu’en France. Le nombre de mini-cabs est ainsi passé de 140 000 à 70 000.

Depuis la médiation Thévenoud, et même depuis 2008, nous dénonçons une absence de données scientifiques réelles sur la pénurie prétendue des taxis. Le rapport réalisé en 2008 par le préfet Chassigneux, qui avait été désigné par le Gouvernement Fillon pour rencontrer les taxis suite à leurs protestations, soulignait déjà que l’offre ne créerait pas la demande. Il y aura toujours des heures creuses et il y a surtout des problèmes de circulation dans les métropoles : multiplier le nombre des taxis n’y changera rien. Les besoins d’emploi sont beaucoup plus importants dans d’autres secteurs. Les taxis ne peuvent pas répondre à une problématique de transports publics, résoudre le problème de l’emploi, ou des lignes abandonnées par la SNCF dans certaines régions, etc. Leur contribution reste à la marge et ils doivent rester en nombre restreint pour réussir à vivre de leur métier.

M. Jean-Michel Rebours. Lors d’une réunion, le ministère des Transports nous a avoué qu’il était incapable de dénombrer les VTC existant à Paris ou sur l’ensemble de la France.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par « déréglementation » ?

Est-il toujours nécessaire d’avoir une licence pour exercer comme taxi ?

Vous avez dit que, depuis 2014, la licence n’était plus cessible, ce qui m’étonne, car tout bien est normalement cessible.

Enfin, j’ai toujours été choquée par le fait que les chauffeurs d’Uber n’aient pas besoin de licence pour exercer, au contraire des taxis qui doivent s’endetter sur plusieurs années pour avoir le droit d’exercer. Que vous a répondu le ministère à ce sujet ?

Mme Emmanuelle Cordier. La déréglementation de 2014 a précisément consisté en la création des VTC, avec la loi Novelli, qui a empêché les taxis de s’installer et de travailler avec la même souplesse et facilité qu’auparavant.

Nous sommes toujours obligés d’avoir une autorisation de stationnement (aussi appelée « licence »), liée à un véhicule, en plus de notre carte professionnelle. Ce sont les nouvelles autorisations de stationnement créées qui, depuis 2014, ne sont plus cessibles : elles ne peuvent plus être attribuées qu’à une unique personne physique, et non plus à une entreprise, par exemple. Les nouveaux taxis sont donc obligés de se mettre à leur compte et ne peuvent plus être salariés d’une entreprise, ce qui implique davantage de contraintes.

M. Jean-Michel Rebours. Plus précisément, il est possible, pour devenir taxi, de s’inscrire sur une liste d’attente pour obtenir de la préfecture une licence dite « gratuite ». Toutefois, depuis la loi Thévenoud en 2014, toutes les licences distribuées gratuitement ne sont plus cessibles. Elles pouvaient auparavant être revendues à titre onéreux. Les licences achetées avant 2014 peuvent toujours quant à elles être revendues sans problème.

M. Karim Asnoun. Dans les années 2015 à 2016, les licences s’achetaient à Paris à 240 000 euros. Après l’envahissement du marché par les plateformes, elles ont été dévalorisées en quelques mois à 120 000 euros seulement, ce qui a entraîné de véritables drames pour certains chauffeurs, dont les échéances de crédit couraient encore pour cinq à sept ans. De plus, l’activité était devenue très difficile du fait de la suroffre créée par le recours des plateformes à des véhicules LOTI, pour contourner la loi de 2014.

En 2016, la CGT avait proposé avec d’autres syndicats de créer un fonds de garantie de la valeur de cette licence. Malheureusement, il nous a été proposé en retour que les victimes abondent le fonds, ce qui n’était évidemment pas acceptable. Toute cette situation était issue d’un contournement du cadre législatif par une entreprise qui était pourtant louée par un ministre, puis un Président, et invitée à l’Élysée, etc., tandis que les chauffeurs n’obtenaient pas de réponse à leurs courriers. Ils étaient simplement soumis aux « aléas du marché ».

M. Jean-Michel Rebours. Rendre les autorisations de stationnement non cessibles a aussi empêché les entreprises de taxis de s’agrandir.

M. Frédéric Zgainski (Dem). La commission Attali visait surtout à augmenter la croissance en France. Quelle est l’évolution du chiffre d’affaires de votre secteur, pour votre métier et vos concurrents, entre 2009 et 2022 ?

M. Senbel a parlé d’une perte subie par le secteur suite à ses évolutions : savez-vous la chiffrer ?

Les avantages concurrentiels dont vous disposez en tant que taxis sont-ils suffisants pour maintenir votre activité face à celle des VTC ? Dans le cas contraire, de quels avantages concurrentiels auriez-vous besoin en complément ?

Certaines sociétés de taxis se sont numérisées après l’arrivée sur le marché de sociétés comme Uber. Reconnaissez-vous du moins un apport de ces sociétés en matière de numérique et de marketing pour votre profession ?

Madame Cordier, vous avez dit qu’Uber s’était implantée là où des failles existaient en Europe. Or, Uber ne s’est pas implantée en Irlande où le marché est habituellement plus libéral que dans le reste de l’Europe : considérez-vous qu’une « surrèglementation » de votre profession en France a permis à Uber de s’y implanter tandis qu’elle n’a pas pu le faire en Irlande ?

M. Christophe Jacopin. Il est presque impossible d’indiquer l’évolution du chiffre d’affaires du secteur des taxis car il est constitué d’indépendants, dont le chiffre d’affaires est très variable, selon sa durée de travail, le nombre de ses courses, etc.

Uber et les entreprises similaires disposent de spécialistes juridiques qui leur permettent d’exploiter les failles législatives de chaque pays à leur profit, ce qu’Uber a fait dans certains pays européens, comme la France. La réglementation du transport varie cependant fortement d’un pays européen à l’autre. Au Danemark, par exemple, il est impossible de charger les clients dans la rue : il faut passer par un système de dispatching qui définit les prix. En Autriche, il est possible d’être à la fois taxi et VTC. Aux Pays-Bas, le client peut négocier le prix ou s’en remettre au taximètre. C’est pourquoi il semble impossible d’envisager une harmonisation européenne qui protégerait les taxis. Dans certains pays, la législation oblige les plateformes à ne travailler qu’avec du taxi et interdit les VTC. Uber ne s’y est alors pas implantée.

Ces questions doivent être gérées nationalement, voire localement, car même les villes ont des législations différentes dans certains pays.

M. Karim Asnoun. Le ministère des finances dispose de statistiques relatives aux chiffres d’affaires des taxis. Lors de nos discussions en 2016 avec le député Grandguillaume qui était alors accompagné de Thierry Val, inspecteur général des finances, nous avions ainsi eu accès à un certain nombre de statistiques.

D’un point de vue technologique, l’arrivée d’Uber n’a pas tout bouleversé. En 2014, le taxi le plus utilisé en France était la Mercedes Classe E et le deuxième la Toyota Prius, déjà en raison de préoccupations écologiques. La géolocalisation et le repérage par GPS étaient déjà utilisés par les plateformes de taxis depuis la fin des années 1980.

Au-delà de la technologie, la principale force d’Uber, selon la CGT, est le lobbying. Aux États-Unis, elle a recruté l’ancien conseiller de Barack Obama, David Plouffe ; à la Commission européenne, elle a recruté Neelie Kroes. C’est ce qui lui a permis selon nous de s’implanter si facilement. Son autre avantage est d’être une marque internationale. C’est pourquoi nous revendiquons la création d’une application de taxis européenne.

L’Irlande a connu une libéralisation « sauvage » et catastrophique bien avant le rapport Attali. Toutefois, Uber est bien implantée en Irlande aujourd’hui. Dans certains pays, comme l’Allemagne, en l’absence de création d’un statut de VTC par une loi Novelli, Uber a dû travailler avec les taxis dans certains Länder.

M. Rachid Boudjema. L’Irlande a dû racheter les autorisations de stationnement des taxis pour déréglementer leur secteur. Les comparaisons entre les pays sont donc difficiles.

Les taxis ne demandent pas d’avantage concurrentiel pour conserver leurs marges mais seulement le respect de la loi : c’est toujours en ce sens seulement qu’ils se sont mobilisés. Les VTC ne pourraient alors pas se trouver sur la voie publique en attente de clientèle sans avoir fait l’objet d’une réservation préalable, ce qui mettrait fin à nos débats.

M. Christophe Jacopin. Je tiens à préciser qu’Uber est implantée en Irlande mais n’y travaille qu’avec des taxis. Il y est donc obligatoire de passer par l’application Uber pour commander des taxis.

M. Frédéric Zgainski (Dem). Il n’y a donc pas eu de développement spécifique des VTC en Irlande.

M. Christophe Jacopin. Cela tient en effet aux spécificités de la législation irlandaise sur ces questions.

M. le président Benjamin Haddad. Le rapport Thévenoud souhaitait un développement du recours aux terminaux de paiement électroniques (TPE). Dans votre profession : a-t-il eu lieu ?

Mme Emmanuelle Cordier. Il est désormais obligatoire pour les taxis de disposer d’un TPE.

M. le président Benjamin Haddad. Cette obligation des TPE date en effet de la loi Thévenoud en 2014. Disposez-vous de statistiques sur le nombre de TPE qui étaient présents dans les taxis avant cette loi et l’arrivée des VTC ?

Mme Emmanuelle Cordier. La location de TPE était très chère avant la loi Thévenoud mais presque tous les taxis en avaient déjà un dans les métropoles car ils travaillaient déjà pour des centrales.

M. Christophe Jacopin. Les commissions sur les TPE étaient très chères auparavant, elles sont moindres aujourd’hui.

Mme Emmanuelle Cordier. Nous avons tous été obligés d’évoluer en matière d’usages numériques. Il y a vingt ans, tout le monde n’avait pas un téléphone sur soi ni un GPS dans sa voiture. L’arrivée des plateformes numériques nous a peut-être obligés à aller plus vite mais nous avions déjà bien conscience de la nécessité d’adhérer à ce type d’outils.

M. Christophe Jacopin. Comme l’a rappelé M. Asnoun, la centrale de réservations disposait déjà dans les années 1980 de la géolocalisation des véhicules. Auparavant, nous communiquions avec les opérateurs par un système de CB, dit « la gâchette », car les clients proposés revenaient au premier taxi qui répondait.

Uber a prétendu avoir inventé les plateformes numériques de mise en relation mais c’était un pur effet de communication.

M. Karim Asnoun. Ce n’est pas Uber mais le développement du smartphone qui a permis une grande partie des évolutions technologiques depuis les années 2005 et 2010.

M. le président Benjamin Haddad. Il a notamment permis le développement des TPE.

M. Karim Asnoun. Oui et il a facilité le dispatch. La plupart des chauffeurs disposent aujourd’hui d’un TPE connecté à leur smartphone, ce qui coûte 70 euros, soit le prix de la location mensuelle auparavant. Nous sommes pour la plupart des indépendants mais tous les taxis qui travaillaient pour une centrale étaient déjà équipés d’un TPE avant la loi Thévenoud. Cela représentait plus de 50 % des véhicules circulant dans les agglomérations à l’époque.

M. Christophe Jacopin. Des applications ont commencé à être utilisées dans le taxi dès 2006. Certaines, qui étaient destinées aux iPhone, n’ont même pas fonctionné parce qu’elles étaient trop avant-gardistes.

M. Jean-Michel Rebours. Dans les agglomérations, le pourcentage d’utilisation des TPE était déjà bien supérieur à 50 % avant la loi Thévenoud mais il était bien moindre en dehors. Même aujourd’hui, en milieu rural, les taxis disposent d’un TPE, puisque c’est obligatoire, mais ils ne l’utilisent pas, simplement parce que les clients n’en font pas la demande.

Par ailleurs, nous demandons un code APE différent pour les taxis et les VTC car ces derniers, ayant la possibilité de se faire appeler « transport par taxi », se font appeler « taxis » dans les Pages jaunes. Nous nous sommes même adressés à la direction des Pages Jaunes à ce sujet mais elle nous a répondu ne rien pouvoir faire contre cela. Nous demandons au moins la création d’une sous-classe depuis de nombreuses années, mais nous n’obtenons pas de réponse.

M. Christophe Jacopin. Créer une telle sous-classe du code APE, en distinguant les chauffeurs de taxi des chauffeurs de VTC faciliterait aussi l’accès aux prêts bancaires des chauffeurs de taxis car les VTC n’ont parfois pas même de bilan de résultat à présenter aux banques ce qui fausse les données dont elles disposent concernant ce code APE.

M. Jean-Michel Rebours. Même les assurances sont de plus en plus réticentes à assurer les chauffeurs de taxi pour les mêmes raisons.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. En mars 2020, la Cour de cassation avait requalifié en contrat de travail la relation des chauffeurs Uber à la plateforme américaine, pour dénoncer le fait que la plateforme s’exonérait de ses cotisations sociales, alors que la relation des chauffeurs à la plateforme est bien de subordination. Uber aurait été poursuivie par 2 479 chauffeurs de taxis devant le tribunal de commerce de Paris, peut être avez-vous été concernés par ces contentieux ?

Quel est votre avis concernant les articles parus récemment sur le fait que la juge en charge du dossier, Mme Nathalie Dostert, aurait peut-être côtoyé les avocats d’Uber au cours de sa carrière et ainsi été en situation de conflit d’intérêts ?

M. Gérôme Lassalle. Nous avions déjà dénoncé ce problème en 2019 au président du tribunal du commerce de Paris. Cette juge, qui n’était pas une professionnelle de la magistrature, avait en effet des activités chez EDF, où son cabinet d’avocats était le même que celui d’Uber. L’avocat d’Uber venait donc plaider en face d’un autre de ses clients. Cette juge ne s’était cependant pas déjugée. Cette affaire est toutefois ressortie il y a quelques semaines car la même juge arbitrait encore un conflit similaire, dans lequel mon association est requérante, malgré les dénonciations déjà effectuées quelques années auparavant. Ces faits très graves interrogent sur les niveaux jusqu’auxquels Uber a réussi à placer ses réseaux d’influence.

M. Christophe Jacopin. En septembre 2021, Mme Élisabeth Borne a été auditionnée par le Sénat sur l’ubérisation de la société. Mon organisation syndicale a alors été très surprise de voir le Gouvernement annoncer qu’il préférait miser sur le dialogue social, en protégeant donc les plateformes, plutôt que de légiférer contre l’ubérisation qui permet de contourner les obligations sociales, fiscales, etc. Il est donc stupéfiant de voir à quel point Uber est impliqué dans les plus hautes strates de l’État.

Le 26 janvier 2022, la ministre de la transition écologique et solidaire avait même fait voter une loi sur les modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes, ce qui permettait d’éviter la présomption de salariat et les requalifications salariales, dès lors qu’une représentation spécifique avait été prévue, avec l’accord des syndicats de VTC.

Mme Emmanuelle Cordier. Nous avons l’impression qu’il est plus facile de faire voter une loi que d’en faire appliquer une existante. Cela permet d’éviter de froisser certaines personnes. Toutefois, personne ne se soucie de froisser les taxis et leurs familles alors qu’ils essayent de travailler dignement.

M. le président Benjamin Haddad. Avez-vous constaté des exemples de chauffeurs de taxi qui auraient choisi de se tourner vers le VTC ou de se placer en complément de revenu sur la plateforme Uber ? Quel intérêt pourraient-ils y trouver selon vous ?

M. Rachid Boudjema. Nous constatons plutôt le mouvement inverse. La plateforme Uber a communiqué de manière trompeuse sur la possibilité de choisir un taxi ou un VTC sur sa plateforme. À notre connaissance, il n’existe pas de chauffeur de taxi suffisamment fou pour s’inscrire sur la plateforme Uber. Cela reviendrait à donner 30 % de son chiffre d’affaires à une plateforme, ce qui n’aurait pas de sens. En revanche, des chauffeurs de VTC (qu’on appelle des « repentis ») rejoignent le taxi. Lorsqu’on les interroge sur leurs motivations, ils expliquent qu’ils ont découvert le métier du transport de personnes comme VTC mais qu’ils espèrent maintenant pouvoir gagner leur vie dans ce secteur dans un cadre réglementé.

M. Karim Asnoun. La seule manière pour les chauffeurs VTC à temps plein de s’affranchir des plateformes est de devenir taxis. Ce sont aujourd’hui eux qui achètent les licences des chauffeurs qui partent à la retraite.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. N’hésitez pas à porter des éléments complémentaires à la connaissance de la commission parlementaire, si vous estimez avoir à le faire. Nous nous réservons pour notre part la possibilité de vous poser des questions supplémentaires en fonction de l’évolution de nos auditions.

Vos suggestions d’auditions seront également les bienvenues même si nos idées sont déjà nombreuses à cet égard.

M. le président Benjamin Haddad. Merci pour votre disponibilité et l’ensemble des informations que vous nous avez transmises.

 

La séance s’achève à 12 heures 11.

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Membres présents ou excusés

 

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 9 heures

Présents. – M. Benjamin Haddad, M. Andy Kerbrat, Mme Lisette Pollet, M. Alexandre Portier, Mme Béatrice Roullaud, Mme Danielle Simonnet, M. Frédéric Zgainski.

Excusés. – Mme Aurore Bergé, Mme Anne Genetet, M. Alexis Izard, Mme Amélia Lakrafi, M. Olivier Marleix, Mme Valérie Rabault, M. Charles Sitzenstuhl.