Compte rendu

Commission d’enquête sur la structuration,
le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

 

– Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, et de M. Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation              2

 Présences en réunion..............................15


Jeudi
1er juin 2023

Séance de 9 heures 15

Compte rendu n° 4

session ordinaire de 2022-2023

Présidence de
M. Patrick Hetzel,
président

 


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La séance est ouverte à neuf heures vingt.

Présidence de M. Patrick Hetzel, président.

La commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements auditionne M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, et M. Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation.

 

M. le président Patrick Hetzel. Je remercie le préfet de police de Paris ainsi que le directeur de l’ordre public et de la circulation de leur disponibilité à si brève échéance pour éclairer les membres de la commission d’enquête.

Monsieur le préfet de police, nul mieux que vous ne sait quelles scènes de violences ont émaillé les manifestations et les rassemblements au cours des premières semaines du printemps. Même si diverses villes de France ont été touchées et si les campagnes ont aussi été concernées, c’est à Paris que les tensions ont été les plus manifestes. Nous avons pour tâche de comprendre qui sont les auteurs de ces violences, quels sont leurs moyens d’action, comment les autorités peuvent y répondre en conciliant les impératifs que sont le respect de l’État de droit, d’une part, et la protection des personnes et des biens, d’autre part.

Un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur. Toutes les questions qu’il contient ne pourront pas être évoquées aujourd’hui. Je vous invite par conséquent à communiquer ultérieurement vos éléments de réponse écrits ainsi que toute information que vous jugeriez utile de porter à la connaissance de la commission d’enquête.

Avant de vous faire prêter serment et de passer la parole au rapporteur, je vous poserai les deux premières questions de cette audition.

En premier lieu, si vous deviez mettre en rapport les événements du printemps et ceux, que vous avez bien connus dans vos précédentes fonctions ministérielles, du mouvement des gilets jaunes, diriez-vous que nous sommes dans une même échelle ou considérez-vous que la situation a changé ? L’État, selon vous, réagit-il de la même façon, s’est-il au contraire amélioré ou fait-il face à de nouvelles menaces auxquelles il convient de répondre différemment ?

Estimez-vous avoir besoin de nouveaux instruments juridiques pour accompagner les organisateurs de manifestations face aux fauteurs de troubles, qui déploient des stratégies de plus en plus sophistiquées pour ne pas être reconnus et pouvoir se livrer à des actions violentes en toute impunité ? La relation avec l’autorité judiciaire, le parquet en particulier, est-elle parfaitement adaptée à la gestion de ces événements ?

Monsieur le préfet de police, monsieur le directeur, avant de vous céder la parole, et en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais maintenant vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Laurent Nuñez et Jérôme Foucaud prêtent serment.)

M. Florent Boudié, rapporteur. Je vous remercie d’être présents. Il semble que deux périodes ont caractérisé les journées nationales de mobilisation contre la réforme des retraites : une première séquence où les manifestations se sont déroulées sans aucune violence, avec une maîtrise très forte que vous avez publiquement et à juste titre soulignée dans plusieurs médias, suivie par une seconde séquence beaucoup plus violente. La césure du 16 mars semble être confirmée par un certain nombre de nos interlocuteurs. D’autres éléments justifient-ils cette distinction très marquée entre ces deux périodes ?

Ma seconde question concerne les liens éventuels entre des groupements de fait et des structures associatives, financées par voie de subventions, voire des organisations partisanes. Avez-vous connaissance de telles relations ?

M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris. Observe-t-on une césure ? Oui et non. Les manifestations de contestation de la réforme des retraites ont débuté le 19 janvier. Treize manifestations syndicales se sont tenues, en incluant le 1er mai, qui a revêtu cette année une dimension d’opposition à la réforme et qui a réuni de nombreuses personnes. Elles sont toutes arrivées à leur terme sans aucun incident. La césure, qui existe réellement, n’engendre aucun impact sur le mouvement social. Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation, et moi-même travaillons en permanence avec les syndicats organisateurs pour préparer ces manifestations. Celles-ci se sont déroulées sans aucun incident à l’intérieur des cortèges syndicaux.

Les manifestations sont toujours constituées d’un carré de tête qui regroupe les secrétaires généraux, suivi des différents carrés qui rassemblent les représentants des différentes organisations. La plupart des manifestants se situent dans cette partie du défilé. Le précortège, positionné devant le carré des secrétaires généraux, réunit quelques milliers de personnes et, lui, suscite des problèmes. C’est en son sein que viennent s’insérer les black blocs et les groupes à risque. Le 16 mars ne constitue pas une césure de ce point de vue. Les organisations syndicales ont continué de manifester et nous avons été satisfaits de constater que le 1er mai s’était bien passé pour elles. Les manifestations sont toujours arrivées à leur terme ce qui, au vu de la configuration de certains précortèges, n’était pas gagné.

La césure du 16 mars porte sur deux points, que vous évoquez dans le questionnaire dont je vous communiquerai les réponses écrites préparées par mes équipes. À partir du 16 mars, on constate dans le précortège et dans le bloc des éléments radicaux une montée en puissance de la radicalisation. Ces individus deviennent manifestement beaucoup plus déterminés, mais ils ont toujours été présents. Dès les défilés des 16 et 18 octobre 2022, l’un syndical et l’autre organisé par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) ou La France insoumise (LFI), les black blocs étaient là. À compter du 16 mars, le niveau d’adversité s’intensifie. Mais des exactions ont tout de même été commises lors des précédents cortèges. Des individus dégradaient déjà des commerces et tentaient de s’en prendre aux forces de l’ordre, voire parfois aux syndicats, y compris avant le 16 mars.

Par ailleurs, à partir de cette date sont apparus, notamment le soir, des cortèges sauvages à côté des manifestations classiques déclarées par les organisations syndicales. Ceux-ci se sont développés sur l’ensemble du territoire national, et principalement à Paris. Des groupes d’individus sont ainsi partis en déambulation sauvage dans les rues de la capitale, sans aucune déclaration, en commettant de nombreuses dégradations. Nous étions alors dans la période de grève de la collecte des ordures ménagères et de nombreux cas de mise à feu de poubelles ont été recensés, générant des risques de propagation voire des propagations avérées vers des immeubles. Ces cortèges sauvages se sont dispersés dans les rues de la capitale en plusieurs endroits. Ils ont commis de nombreuses exactions.

C’est souvent lors de celles-ci que nous avons été obligés d’interpeller des groupes d’individus car ils commettaient des violences, avec le grief qui nous est opposé s’agissant du décalage entre le nombre de gardes à vue et le celui des poursuites. À titre personnel, je ne considère pas que ces cortèges sauvages, qui ne sont pas déclarés et qui visent uniquement à se livrer à des exactions, constituent des manifestations. Ils relèvent davantage de phénomènes de violence urbaine, qui imposent à nos effectifs une réactivité accrue pour intervenir rapidement et empêcher les déprédations de ces fauteurs de troubles. L’objectif de ces cortèges sauvages consistait véritablement à disperser les forces de l’ordre ; ils se disséminaient en plusieurs points de Paris, ce qui devenait compliqué à gérer pour nous.

En conclusion, la césure du 16 mars porte sur le niveau de radicalité des individus violents et sur une autre forme de manifestation, qui se développe en parallèle des défilés déclarés par les organisations syndicales et qui prend la forme de cortèges sauvages. Ceux-ci peuvent, pour certains, commencer par une manifestation syndicale déclarée, qui se termine à sa dispersion par un départ en cortège sauvage de tout ou partie de la manifestation initiale. Les syndicats organisateurs n’y participaient pas et ne sont pas en cause.

En matière d’échelle, le niveau de violence n’est pas égal à celui connu au moment des gilets jaunes, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, nous avons modifié notre doctrine de maintien de l’ordre. Mon prédécesseur, Didier Lallement, a en effet commencé la mise en œuvre du schéma national du maintien de l’ordre, dont la dernière version remonte à 2021, et dans le cadre duquel nous nous sommes fixé comme objectifs des effectifs mieux formés au maintien de l’ordre, plus réactifs et plus mobiles, et davantage de distance et de profondeur pour les forces de l’ordre. Par conséquent, nous intervenons plus rapidement sur les fauteurs de troubles.

Deuxièmement, à l’époque des gilets jaunes, il n’y avait pas de déclarant. Nous n’étions pas face aux organisations syndicales avec lesquelles nous travaillons pendant les manifestations. Nous savons, avec la direction de l’ordre public et de la circulation, faire arrêter un défilé syndical car le précortège suscite des problèmes, puis nous retirer après les avoir traités. Or, nombre des manifestations de gilets jaunes n’étaient pas déclarées et les individus, quoique moins nombreux, étaient beaucoup plus portés à l’action violente, qui relevait d’ailleurs presque d’un mode d’expression. Nous n’atteignons ainsi pas le même niveau de violence et les dégradations sont sensiblement moindres qu’à cette époque.

Ce qui a changé, c’est le schéma national du maintien de l’ordre. Nous mettons en place une stratégie depuis 2020, puis 2021, qui n’a pas changé avec le 16 mars. Nous intervenons davantage en conséquence de l’augmentation des violences. Le schéma national du maintien de l’ordre nous demande de donner beaucoup de distance. Lorsqu’un organisateur est déclaré, ce qui a été le cas pour les cortèges intersyndicaux, nous laissons les manifestants se réunir. Les policiers demeurent éloignés et ne sont généralement pas présents, sauf en tête de cortège. Nous leur demandons en revanche d’être très réactifs. Ainsi, dès que les exactions commencent, que ce soient des dégradations, des pillages ou des violences contre les forces de l’ordre, nous intervenons de manière mobile et réactive pour disperser les fauteurs de troubles et si possible les interpeller. Nous nous retirons ensuite le plus rapidement possible pour laisser le cortège se dérouler.

En somme, la stratégie a évolué vers plus d’équipement, de formation, de réactivité et de mobilité. Elle permet, lorsque nous sommes confrontés à des agitateurs, d’être plus efficaces et de ne pas subir les situations. J’ai repris l’application du schéma de maintien de l’ordre mis en place par mon prédécesseur, Didier Lallement. Il n’y a aucune raison que nous soyons présents lorsque nous sommes face à des organisateurs comme les organisations syndicales, qui disposent chacune d’un responsable de la sécurité. Nous sommes donc à distance et nous intervenons sur les groupes à risque.

Enfin, les difficultés que nous rencontrons se situent essentiellement dans le précortège situé devant la manifestation principale. Son importance varie. Il peut rassembler de deux à douze mille personnes. C’est à l’intérieur de ce précortège, qui regroupe une foule importante et pas seulement des éléments radicaux, que s’insèrent les éléments à risque et que se constitue le black bloc, généralement devant le carré des secrétaires généraux, pour compliquer nos modalités d’intervention. Se présente en effet le risque que du gaz lacrymogène se disperse sur le carré syndical, ce qui s’est malheureusement produit au moins deux fois. Le positionnement de ce bloc est toujours stratégique.

Le black bloc ne constitue pas une organisation politique. Il correspond à une façon de s’organiser durant une manifestation, c’est-à-dire de se vêtir de noir, de dissimuler son visage et de se regrouper en masse pour former un groupe compact de manière à rendre l’identification des personnes difficile. L’objectif consiste à former le groupe le plus important possible. Certains black blocs ont pu rassembler jusqu’à un millier de personnes. Le lien est avéré avec des organisations externes, avec la mouvance antifasciste et l’ultragauche, qui sont généralement à la manœuvre. Lorsque nous sommes informés, en renseignement, de la présence d’un certain nombre d’individus de cette mouvance au sein du black bloc, nous savons que la situation est vouée à être compliquée.

Cela ne signifie pas pour autant que le black bloc est intégralement constitué d’individus issus de la mouvance ultragauche antifasciste. D’autres personnes viennent s’agréger, font le choix d’un mode de contestation plus violent et participent aux exactions avec les militants aguerris et brutaux. Nous retrouvons parmi ceux-ci les ultra-jaunes radicalisés et parfois des étudiants qui ont décidé de se muer en black bloc l’espace d’une manifestation. Ils adoptent alors les mêmes codes, comportements et schémas de violence.

Le lien existe. Mais il n’est pas financier ou structurel. Il s’agit de militants qui aiment faire le coup de poing contre les forces de l’ordre dès qu’une manifestation a lieu, qui arrivent dans ces défilés sans chercher à défendre la cause qui les motivent, qui crient et portent des slogans anti-démocratie représentative, et dont l’objectif consiste à créer des troubles pour faire basculer le système. Toutefois, la part de membres de la mouvance antifasciste ultragauche au sein d’un black bloc est corrélée au niveau de radicalité de celui-ci. Au vu des manifestations affichant des participations très élevées, des précortèges très importants et des black blocs très solides – celui du 1er mai s’est par exemple éclaté en quatre groupes différents, ce que l’utilisation des drones a permis de distinguer –, je considère le nombre de dégradations finalement très faible par rapport à ce degré de radicalité.

Les interventions du côté des forces de l’ordre sont telles que nous recensons parfois de nombreux blessés. En effet, le niveau de violence du black bloc sort de l’ordinaire avec le recours à des armes par destination, notamment de cocktails Molotov. Lorsqu’il faut aller au contact du black bloc pour le disperser, les forces de l’ordre sont violemment prises à partie. Avant le 16 mars, nous intervenions pour ces dispersions et pouvions nous retirer pour laisser le précortège continuer sa route. C’est devenu difficile à compter du 16 mars, et c’est une autre césure : lorsque les forces de l’ordre se retirent désormais, elles sont encore prises à partie, ce qui complique leur déplacement et les conduit souvent à pousser le black bloc pour le faire avancer plus vite et éviter qu’il n’empêche les organisations syndicales de manifester.

J’insiste sur le fait que toutes les manifestations syndicales sont arrivées dans le calme et sans incident, contrairement à ce que l’on peut entendre. Dès lors que l’on se grime en noir pour casser des vitrines et que les forces de l’ordre interviennent pour mettre un terme à ces exactions, je considère l’action légitime et non dirigée contre des manifestants.

M. le président Patrick Hetzel. Les ministres de l’intérieur successifs ont fréquemment déclaré que les fauteurs de troubles étaient bien connus et identifiés de longue date. Pourquoi est-il si difficile de convertir cette certitude en condamnation pénale ? En effet, les interpellations se traduisent en jugements en petit nombre. Nous sommes dans un état de droit et il convient évidemment d’apporter des éléments qui attestent des faits. Y aurait-il des lacunes d’un point de vue légal ?

M. Laurent Nuñez. Les ministres de l’intérieur ont raison d’affirmer que les individus issus de la mouvance ultragauche antifasciste, qui représentent 200 à 300 personnes au sein d’un black bloc de 1 000 personnes, sont pour la plupart connus des services de renseignement. Il est toutefois impossible de les empêcher de participer à une manifestation car aucune infraction n’est commise auparavant. Nous organisons des contrôles préventifs pour identifier les porteurs d’armes par destination, mais ces personnes sont aguerries et ne viennent jamais équipées. Elles trouvent des armes en chemin. Nous pensons également qu’elles en positionnent dans le périmètre. Par conséquent, les équipes de Jérôme Foucaud accomplissent un travail de reconnaissance et du matériel est ainsi souvent repéré, dissimulé dans des sacs à dos, sous des voitures ou dans des chantiers.

Nous connaissons ces individus mais nous ne saurions les empêcher de manifester. Un retour à la proposition d’interdiction administrative de manifester fait débat. Celle-ci consisterait, dès lors qu’un individu est connu des services de renseignement pour avoir semé le trouble dans des cortèges, à lui interdire de manifester. Ce n’est cependant qu’une idée et non le droit en vigueur. Par conséquent, nous ne pouvons, du seul fait que ces individus sont connus ou font l’objet d’une fiche S, les interpeller.

S’agissant des suites pénales données aux interpellations auxquelles nous procédons pour des dégradations, les faibles condamnations pénales s’expliquent par les impératifs d’un état de droit. C’est de la qualité des procès-verbaux d’interpellation et de mise à disposition que dépendent les suites. Lors d’une manifestation compliquée, où les forces de l’ordre interviennent sur des individus dangereux, il est difficile de caractériser l’infraction, surtout lorsque nous interpellons au titre du groupement constitué en vue de commettre des violences. Le seul fait d’avoir participé à un groupe de personnes qui commet des violences ou des exactions suffit à caractériser le délit. Mais il est ensuite nécessaire de le démontrer.

En revanche, pour les auteurs de jets de projectiles qui sont interpellés à ce titre, des suites judiciaires sont généralement données, soit sur le moment, soit parce que nous travaillons ensuite dans des enquêtes judiciaires qui permettent de retrouver ces personnes qui agressent les forces de l’ordre. C’est dans ce cadre que nous avons interpellé la personne qui avait jeté un pavé sur l’un de nos effectifs, lequel s’était effondré et avait perdu connaissance. Elle avait été condamnée. Dans ce cadre, une interdiction judiciaire de manifester ou de paraître à Paris peut être prononcée en tant que peine complémentaire.

Mme Patricia Lemoine (RE). Lors de nos précédentes auditions, il nous a été demandé d’avoir un cadre administratif adapté permettant de trouver les moyens d’entrave et de frapper les individus identifiés potentiellement à haut risque, car ils ont déjà commis des exactions, d’une forme d’interdiction de paraître. Le législateur a peut-être un rôle à jouer. Que faudrait-il pour permettre cette interdiction de paraître et limiter le risque ?

M. Laurent Nuñez. Le sujet est constitutionnel. Cette mesure avait été prévue dans le cadre d’une proposition de loi. Il s’agissait de l’interdiction administrative de manifester, prononcée par l’autorité préfectorale au vu du comportement en manifestation d’individus connus, voire condamnés, pour avoir causé des troubles à l’ordre public. Cette mesure a été jugée inconstitutionnelle car disproportionnée. Il est nécessaire de protéger les biens et nos concitoyens, mais aussi de garantir la liberté de manifester, fondamentale en droit français.

Je comprends que le ministre de l’intérieur a annoncé, avec le garde des sceaux, qu’une réflexion serait éventuellement lancée pour retravailler cette proposition afin qu’elle s’accorde à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Sans doute peut-on exiger une motivation accrue de la part des préfets pour justifier de ce qui constitue un trouble à l’ordre public, une proportionnalité garantie et un recours effectif devant le juge.

La possibilité d’interdire de manifester à des personnes, dès lors que l’on est certain qu’il s’agit de fauteurs de troubles, constituerait une mesure utile. Mais j’ai conscience que cela viendrait percuter la liberté de manifester à laquelle nous sommes très attachés, dans la police nationale comme à la préfecture de police de Paris. Jérôme Foucaud et moi-même sommes fiers que les treize manifestations intersyndicales soient allées à leur terme sans incident. Ce n’était pas gagné au vu, parfois, des troubles dans le précortège. Si nous n’intervenons pas, la manifestation ne se produit pas. Contrairement à ce que l’on entend souvent dire, la liberté de manifester, pour nous, l’emporte sur le tout.

M. Florent Boudié, rapporteur. Nous souhaiterions connaître le nombre de blessés parmi les forces de l’ordre dans le périmètre de la préfecture de police de Paris.

Un certain nombre de commentaires politiques et médiatiques consistent à donner le sentiment que des manifestants auraient subi des violences. D’après vos propos, ce phénomène n’existe pas. Les images de personnes disant avoir été frappées s’inscrivent-elles donc bien dans le cadre du précortège, où les interventions sont une réplique proportionnée à des actes violents émanant d’individus déterminés, voire radicalisés après le 16 mars ?

M. Laurent Nuñez. Dans le précortège se trouvent également des personnes qui souhaitent manifester paisiblement. Lorsque je dis qu’aucun incident et qu’aucune intervention ne se sont produits, je fais référence aux cinq sixièmes, voire aux six septièmes de l’ensemble du cortège, qui se situent derrière le carré des secrétaires généraux, ce pour quoi nous avons une déclaration.

M. Florent Boudié, rapporteur. Vous faites face à un précortège de deux à douze mille personnes, qui comprend un groupe d’individus radicalisés pouvant compter jusqu’à mille personnes. Parmi ces dernières se trouve un bloc formé et aguerri de deux à trois cents personnes. La difficulté du traitement des éléments radicalisés réside donc dans le fait que ceux-ci se mélangent aux autres dans le précortège. Confirmez-vous ces propos ? Existe-t-il des modalités d’information qui pourraient permettre de séparer les manifestants de bonne volonté, de sorte qu’ils puissent ne pas participer à la manifestation dans une zone qui, par définition, posera problème ?

M. Laurent Nuñez. Depuis le 16 mars, 21 manifestations déclarées ou spontanées, manifestations intersyndicales comprises, ont été recensées. Nous avons eu connaissance de 142 blessés parmi les manifestants et de 697 blessés chez les fonctionnaires de police ou les militaires des escadrons de gendarmerie mobile. 1 680 personnes ont été interpellées pour 1 675 gardes à vue, pour lesquelles il a été donné 484 suites judiciaires. Le taux de réponse pénale s’établit donc à 31 % et recouvre à la fois les déférés, les convocations par officier de police judiciaire, les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité et les convocations devant le délégué du procureur.

S’agissant des manifestations, la majorité des personnes qui constituent le précortège sont des individus qui font le choix de se mettre devant, qui ne sont pas avec les organisations syndicales et qui peuvent représenter jusqu’à 15 000 personnes. Nous intervenons toujours dans ce précortège pendant la manifestation car y sont positionnés des groupes violents qui commettent des exactions. Lorsque les forces de l’ordre agissent pour disperser ou interpeller des membres du black bloc, des individus qui n’en font pas partie peuvent se trouver sur les lieux. Il s’agit généralement des images qui sont diffusées et qui nous valent d’être accusés de violences policières, de nous en prendre à la manifestation et d’empêcher des citoyens de manifester en paix. Or, nous n’intervenons pas pour empêcher les personnes de manifester, mais lorsque des violences, des exactions et des dégradations sont commises. L’ordre républicain commande d’y mettre un terme. Je suis garant de la liberté de manifester, mais j’endosse également l’obligation constitutionnelle de garantir la sécurité de nos concitoyens. Par conséquent, nous intervenons et nous ciblons prioritairement les black blocs. Les images qui nous valent nos accusations relèvent toujours de telles occasions. Nous regardons, avec le directeur de l’ordre public et de la circulation, toutes les images des interventions. Lorsque des gestes disproportionnés sont constatés, ce qui se produit très rarement, nous ouvrons systématiquement des enquêtes administratives.

Comment informer les personnes de bonne foi dans le précortège que nous nous apprêtons à recourir à la force proportionnée pour mettre un terme à des exactions ? Votre question est au cœur du schéma national du maintien de l’ordre et de nos préoccupations. Nous rencontrons effectivement des difficultés s’agissant de l’information qu’il convient de fournir. Nous procédons souvent par des sommations, mais un degré plus élevé d’audibilité est nécessaire. Je communique beaucoup avec les organisations syndicales dans la préparation des manifestations, et également avec des parlementaires – y compris de l’opposition. Récemment, certains députés insoumis ont attiré mon attention sur le fait que l’on n’a pas toujours conscience et connaissance des manœuvres engagées lorsque l’on se situe dans le précortège. Il s’agit de l’un de nos points d’amélioration. Nous avons déjà accompli beaucoup ; ainsi, nous avons parfois des panneaux à messages variables et nous sommes dotés de nombreux autres moyens de communication, mais il faut que nous soyons plus clairs et explicites lorsque nous menons une action, notamment pour la dispersion. Nous avons sans doute des progrès à accomplir. Nous échangions hier avec Jérôme Foucaud sur la possibilité d’acquérir des panneaux qui fournissent des informations précises sur les actions entreprises. Il faudrait pour ce faire trouver des modèles suffisamment solides. Pour autant, cela n’excuse pas les personnes qui cassent des vitrines, entre autres.

Le ministre de l’intérieur l’a dit, de même que Dominique Simonnot du Contrôle général des lieux de privation des libertés : nous avons aussi des marges de progression dans la rédaction de nos procès-verbaux d’interpellation et de mise à disposition, de manière à réduire l’écart entre le nombre des gardes à vue et celui des suites judiciaires. C’est nécessaire pour arrêter le bruit selon lequel nous interpellerions des individus pour empêcher leur présence lors des manifestations. Nous essayons de contenir les troubles à l’ordre public et notre préoccupation s’arrête là. Nous devons toutefois améliorer la contextualisation de l’intervention, c’est-à-dire des violences que nous avons constatées et qui justifient l’arrestation.

M. Michaël Taverne (RN). Monsieur le préfet, vous avez établi une distinction entre ces manifestations et le mouvement des gilets jaunes – ultra-violent, anarchique, considéré comme une guérilla urbaine, où l’on a vu intervenir des effectifs qui n’étaient pas préparés ni formés au maintien de l’ordre. Aujourd’hui, le maintien de l’ordre et sa technique sont effectivement maîtrisés au niveau de la préfecture de police de Paris, notamment avec le schéma national du maintien de l’ordre.

A-t-on toutefois pris conscience que les forces mobiles sont beaucoup plus spécialisées dans le maintien de l’ordre ? En cas de constitution d’un black bloc au sein des précortèges, il faut en effet informer les manifestants de celle-ci et de l’intervention des forces de l’ordre. L’intervention exige un certain niveau de technicité. Avez-vous changé de stratégie ? Privilégierez-vous les forces mobiles, compagnies républicaines de sécurité ou escadrons de gendarmerie mobile, au détriment des compagnies parisiennes ? Sans critiquer les effectifs de la préfecture de police de Paris, les forces mobiles sont effectivement préparées à intervenir beaucoup plus rapidement et avec des techniques différentes sur les black blocs. Les compagnies parisiennes sont-elles préparées à mieux intervenir, raison pour laquelle vous les envoyez en priorité, ou avez-vous changé de doctrine en privilégiant les forces mobiles ?

M. Laurent Nuñez. Un changement s’est effectivement produit, qui ne nous conduit toutefois pas à privilégier une force par rapport aux autres. Ce qui a changé dans la manière dont nous concevons les services d’ordre au cours des mois écoulés, c’est une meilleure utilisation des compagnies républicaines de sécurité et des gendarmes mobiles aux côtés des compagnies d’intervention de la préfecture de police, qui présentent l’avantage de connaître la capitale et d’être également formées au maintien de l’ordre. Nous faisons désormais participer tout le monde ; nous constituons des groupes d’intervention qui regroupent l’ensemble des forces, qui sont très éloignés pendant la manifestation, qui n’interviennent que sur les casseurs et qui doivent être très réactifs.

De plus, nous travaillons dorénavant avec la hiérarchie des compagnies républicaines de sécurité et des escadrons de gendarmerie mobile dans la préparation des manifestations. Je souhaite associer tout le monde, tous les spécialistes du maintien de l’ordre. Il m’importe donc de savoir ce qu’ils pensent en matière de stratégie, de la manière dont nous pourrons ou non percuter le black bloc en cas d’incident selon le parcours de la manifestation. Il s’est effectivement produit un changement dans la mesure où nous les associons mieux, mais je ne saurais aller jusqu’à dire que nous les privilégions. Nous utilisons toutes les forces à notre disposition en fonction de leurs caractéristiques propres.

L’on ne saurait dire que les compagnies républicaines de sécurité et les escadrons de gendarmerie mobile étaient des forces spécialisées dans le maintien de l’ordre. Cela n’est pas toujours vrai. En matière de mobilité, ils ont accompli de nombreux progrès et se sont fondés sur la façon dont les compagnies d’intervention de la préfecture de police fonctionnaient. Tout le monde converge dans la même direction. Nous appliquons le schéma de maintien de l’ordre et nous souhaitons avoir davantage de mobilité et de capacités.

M. Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation. Dans ce type de manifestations, qui restent classiques contrairement aux mouvements plus confus des gilets jaunes, le précortège emprunte l’itinéraire prévu. Nous avons choisi de modifier notre façon de faire, lorsque le préfet de police donne le feu vert pour intervenir, afin d’utiliser la mobilité, le dynamisme et la puissance.

Il est très difficile d’agir sur un black bloc de 1 000 personnes, que ce soit pour une compagnie républicaine de sécurité, un escadron de gendarmerie mobile ou une compagnie de la direction de l’ordre public et de la circulation. Par conséquent, nous avons constitué des modules avec deux forces qui travaillent ensemble : deux escadrons, deux compagnies républicaines de sécurité ou deux compagnies parisiennes.

Lorsque nous intervenons, nous faisons en outre procéder plusieurs modules. Dès que nous avons résolu le problème, nous nous retirons le plus vite possible afin de ne pas constituer un point de fixation. Ce serait fournir au black bloc l’occasion de bloquer la manifestation. Cette manœuvre est complexe car le black bloc tente de nous attaquer. L’autre difficulté réside dans le fait que nous n’avons aucun interlocuteur au sein du précortège. Nos seuls interlocuteurs se situent avec le cortège syndical et nous sommes en discussion constante avec les organisateurs de la manifestation.

S’agissant de la formation des compagnies d’intervention de la direction de l’ordre public et de la circulation, il avait été constaté vers la fin du mouvement des gilets jaunes, aussi bien par les gendarmes et les compagnies républicaines de sécurité que par nous-mêmes, que la fréquence élevée des manifestations avait perturbé l’entraînement des forces. Depuis la mise en place du schéma national du maintien de l’ordre et les instructions ministérielles que nous avons reçues, une compagnie d’intervention effectue une journée d’entraînement tous les lundis de sorte à maintenir le niveau de technicité nécessaire.

M. Michaël Taverne (RN). La préfecture de police nourrit-elle le projet d’harmoniser les techniques des compagnies républicaines de sécurité et celles des compagnies d’intervention parisiennes ?

M. Jérôme Foucaud. On constate une évolution générale des pratiques des différentes forces spécialisées dans le maintien de l’ordre. Nous sommes obligés de travailler sur le dynamisme, la mobilité et la rapidité, sachant que la transformation du paysage urbain perturbe notre déplacement et nous oblige à nous adapter. Je pense que toutes les forces convergent vers cette évolution. C’est une tendance engagée il y a déjà un moment.

Le maintien de l’ordre implique ce dynamisme et cette mobilité, qui sont d’ailleurs à notre avantage lors de nos interventions. Lorsque nous sommes en profondeur, comme nous le faisons depuis le mois de janvier, il est nécessaire que les forces soient prêtes à opérer rapidement, ce qui suppose une technicité et des entraînements particuliers. Par conséquent, les gendarmes et les compagnies républicaines de sécurité choisissent les unités qu’ils mettent à notre disposition pour constituer les modules susmentionnés.

M. Laurent Nuñez. Nous convergeons tous dans la même direction. Cette convergence passe également par des formations et des exercices communs. Le ministre de l’intérieur a annoncé la création d’un centre de formation propre à la préfecture de police, où nous accueillerons d’autres composantes pour nous rompre à la difficulté du milieu urbain.

Le schéma national du maintien de l’ordre est axé sur la mise à distance et la désescalade. Nous donnons de la distance. Nous ne nous rendons pas visibles. Nous n’intervenons qu’en cas d’exaction. Puis nous nous retirons. Par conséquent, nous demandons aux forces de l’ordre d’être très loin et d’agir très vite. Dès que je donne le feu vert pour intervenir, le temps d’exécution se situe entre trente secondes et une minute. Nous avons connu une seule fois une intervention de trois minutes en raison de problèmes de radio.

Mme Sandra Marsaud (RE). Vous affirmez que, si vous n’interveniez pas, les manifestations ne se dérouleraient pas. Vous déclarez par ailleurs qu’il est difficile pour vous d’intervenir car les black blocs se positionnent devant le carré des secrétaires généraux. Existe-t-il une distance habituelle séparant le précortège du cortège officiel ? Le précortège ralentit-il la manifestation officielle ? Des risques avérés ne se présentent-ils pas pour le cortège officiel ? Comment faites-vous le lien avec celui-ci ?

M. Laurent Nuñez. Les manifestations ne se dérouleraient pas si nous n’intervenions pas car le précortège contrôle ce qui se passe dans el cortège. Si le black bloc souhaite arrêter le défilé, il peut le faire. Quelquefois, il le fait. Nous ne saurions tolérer que les groupes radicaux donnent le la aux organisations syndicales. De plus, ils commettent des exactions, qu’ils continueraient en se concentrant sur un lieu où se trouvent des commerces si nous n’intervenions pas. La manifestation ne se déroulerait donc pas. Nous agissons pour faire cesser les déprédations et disperser le black bloc de sorte que le cortège puisse continuer de progresser.

Le black bloc ne se positionne pas toujours directement devant le carré des secrétaires généraux, mais il n’est jamais très loin de manière à compliquer notre intervention. Il ne se forme jamais à plus de deux ou trois cents mètres du carré de tête, car sinon nous pourrions l’isoler et le disperser facilement. Dans deux ou trois cas, des black blocs, lorsque nous sommes intervenus, ont reflué dans le cortège. Cela s’est produit lors de la première manifestation. Dans un cas, des éléments du black bloc ont même pénétré dans le carré de tête, ce qui nous a obligés à y intervenir pour aller les récupérer. En dehors de ces micro-tensions, nous n’avons pas connu d’incident de ce type.

Enfin, nous sommes toujours en communication avec les organisations syndicales, comme avec tous les organisateurs. Le chef d’état-major à la direction de l’ordre public et de la circulation leur explique ce qu’il se passe dans le précortège et la manœuvre que nous engageons. Il leur demande de s’arrêter en raison de la présence d’un groupe à risque que nous souhaiterions traiter avant que le cortège ne reparte. Les organisateurs eux-mêmes peuvent nous demander un certain nombre d’éléments, et nous pouvons également leur en réclamer. Lorsque des manifestations sont le fait de partis d’opposition, je suis en contact direct avec des députés. Le lien avec l’organisateur est important dans la bonne tenue d’une manifestation.

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). J’ai cru entendre que vous considériez que les compagnies républicaines de sécurité et les escadrons de gendarmerie mobile ne sont pas spécialisés dans le maintien de l’ordre. Ai-je mal compris ?

Je souhaiterais connaître le nombre de places de garde à vue dont dispose la préfecture de police de Paris dans la capitale, le roulement moyen hors manifestations et la marge qu’il vous reste lorsque des manifestations se déroulent.

Enfin, j’aimerais connaître la répartition entre les effectifs des forces de l’ordre blessés des suites d’une agression directe et les effectifs blessés du fait d’un accident survenu dans les manœuvres opérées durant les interventions.

M. Laurent Nuñez. Les compagnies républicaines de sécurité et les escadrons de gendarmerie mobile sont des forces spécialisées dans le maintien de l’ordre, mais ce ne sont pas les seules. Or, on entend souvent dire qu’il faut prioritairement et exclusivement recourir à elles pour le maintien de l’ordre. Ce sont des unités spécialisées, raison pour laquelle nous les utilisons de manière complémentaire à nos effectifs dans le maintien de l’ordre à Paris. Lors d’un mouvement comme celui des gilets jaunes, où des manifestations se sont produites partout, y compris dans des petites villes de province, des effectifs n’appartenant pas aux compagnies d’intervention de la préfecture de police, aux compagnies républicaines de sécurité et aux escadrons de gendarmerie mobile ont eu des manœuvres de maintien de l’ordre à mener. La formation des effectifs au maintien de l’ordre est importante pour nous.

Je vous fournirai la capacité de garde à vue précise ultérieurement. Elle est élevée en région parisienne car certains centres affichent une forte capacité de traitement. Nous faisons aussi traiter dans les commissariats et nous utilisons également des commissariats de petite couronne. Nous sommes transparents lorsque l’on nous demande où sont telle ou telle personne.

Je vous fournirai de même ultérieurement la répartition des blessés entre policiers et gendarmes, et selon le type de blessure. Quelques dizaines de personnes ont été conduites en milieu hospitalier pour des blessures sérieuses. Les blessures par accident sont très peu nombreuses. Nous recensons parfois des blessés légers (contusions, coups, acouphènes).

M. Jérôme Foucaud. Je ne vois pas quoi entendre par blessure par accident. Faites-vous référence à une personne qui se tordrait la cheville en courant ?

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Au vu du niveau d’emploi, de la fréquence d’emploi et de l’intensité d’emploi, la question de l’accidentologie se pose forcément. Par exemple, un gendarme a été victime le 1er mai d’un tir de grenade d’un de ses collègues, lequel a raté son lancer. Ce dernier et les personnes autour du blessé principal ont également été gravement blessés. Quelles sont les blessures que l’on relie à une agression directe et celles que l’on relie au contexte d’emploi, qui fait que plus l’on intervient de manière intense et fréquente, plus la probabilité de se faire mal est élevée ?

M. Jérôme Foucaud. Nous avons mené une étude sur les blessures subies par les compagnies d’intervention de la direction de l’ordre public et de la circulation depuis le début du mouvement. Les trois catégories qui arrivent en tête sont les suivantes : les blessures à la tête causées par des jets de projectiles malgré le casque, avec le constat d’une certaine vulnérabilité des visières ; les blessures aux genoux malgré les protections dont les effectifs sont dotés ; et les blessures auditives liées au bruit. Les déflagrations n’émanent pas forcément des grenades des forces de l’ordre, mais également du matériel détonant des black blocs. Les accidents ne représentent pas une part significative des blessures constatées.

M. Laurent Nuñez. Nous compléterons nos réponses sur les blessés et les capacités de garde à vue par écrit.

M. le président Patrick Hetzel. Plus tôt, vous disiez que les black blocs correspondent à une manière de s’organiser durant les manifestations. S’agit-il uniquement de cela, sans organisation sous-jacente ? S’agit-il d’une organisation spontanée, d’une action individuelle qui débouche sur une action collective, ou peut-il y avoir en amont des formes organisationnelles incitatrices ?

En outre, votre intervention a mis en exergue la problématique de montée de la tension au moment de la dispersion de la manifestation. Vous faites alors face à des cortèges sauvages, qui ne constituent plus des manifestations mais relèvent de la violence urbaine. Quels sont les moyens pour empêcher efficacement les fauteurs de troubles de commettre les exactions ?

M. Laurent Nuñez. Il existe un semblant d’organisation dans le black bloc. Celui-ci correspond davantage à une posture en manifestation, c’est-à-dire à une organisation en groupe pour commettre des violences. Il s’est produit une manifestation où nous n’avons pas eu à nous montrer du tout. Par conséquent, le black bloc, une fois arrivé au lieu de dispersion, a reflué vers le cortège syndical dans l’objectif d’en découdre avec les forces de l’ordre, ce qui nous a conduits à intervenir. Les black blocs cherchent l’affrontement avec les forces de l’ordre et, lorsqu’ils n’y parviennent pas, s’organisent pour le trouver.

Sur certains sites de la mouvance ultra, des appels à rassemblement le jour des manifestations intersyndicales sont diffusés. Il existe donc bien un semblant d’organisation dans le black bloc, qui est même très structuré au niveau de la mouvance, avec des personnes très habiles. Au moment de la dispersion, il est très rare qu’elles restent au contact de manière à éviter l’interpellation. D’autres personnes viennent par ailleurs s’agréger au black bloc car elles décident de manifester de manière violente.

Le moment de la dispersion est effectivement difficile pour nous. Pour les organisations syndicales, elle s’effectue de manière fluide sur la base d’itinéraires convenus au préalable. En revanche, certains des éléments à risque du précortège ne se dispersent pas immédiatement. Ils attendent les forces de l’ordre, lorsqu’ils n’attendent pas les syndicats, ce qui s’est produit à une ou deux reprises. Les dispersions les plus compliquées que nous ayons connues se sont produites fin mars sur la place de l’Opéra et le 1er mai, où de nombreuses personnes sont restées avec l’ambition d’en découdre. Nous améliorerons notre dispositif d’information et de communication pour permettre que quittent les lieux ceux qui se trouvent pris entre ces éléments. Notre stratégie consiste à accélérer la dispersion.

M. Romain Daubié (Dem). Pendant les manifestations des gilets jaunes, un agrégat de personnes s’adonnant à de la délinquance opportuniste a pu être constaté au milieu des manifestants. Avez-vous observé ce même phénomène durant les manifestations qui intéressent notre commission d’enquête, ou l’organisation et l’extrême violence des black blocs ont-elles empêché ce type d’opportunisme ?

M. Laurent Nuñez. Ce phénomène de délinquance opportuniste a été constaté de manière marginale au sein du mouvement récent, plutôt en fin de manifestation, sur les lieux de dispersion. C’était lors de la manifestation entre République et Nation, puis lors de la dispersion de la manifestation du 1er mai, où nous avons dû intervenir sur des tentatives de pillage de commerces qui laissaient davantage penser à des comportements délictueux qu’à des profils politiques radicalisés.

M. Romain Daubié (Dem). Comment expliquez-vous ces différences ? Sont-elles dues à la violence inhérente des black blocs et à leur propre organisation ?

M. Laurent Nuñez. Elles sont dues à d’autres facteurs. Les individus qui essaient de commettre des actes malhonnêtes lors de grands rassemblements, comme le soir du 14 juillet ou aux abords des manifestations sportives, sont des délinquants d’opportunité. En investigation, nous sommes généralement efficaces pour identifier ces individus grâce à la vidéo et à la connaissance de la population dont les services de police disposent. Lors d’une manifestation qui se terminait place d’Italie, la brigade de répression de l’action violente motorisée a interpellé dans le métro des individus qui avaient pillé un magasin. Ce phénomène n’est pas lié à la contestation politique ou aux black blocs. Il demeure marginal. Sur l’ensemble des manifestations, je ne peux penser qu’à deux cas où nous avons pu identifier des profils de délinquants et non de fauteurs de troubles à caractère contestataire.

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Quelques années plus tôt, nous constations des mouvements d’agression des black blocs envers le service d’ordre des organisations syndicales. J’ai l’impression que ce phénomène a été inexistant ou du moins résiduel sur la période considérée, en tout cas au sein de la capitale. En avez-vous constaté des occurrences ?

M. Laurent Nuñez. Oui, nous en avons observé sur certains cortèges. Les syndicats disposent de services de sécurité qui encadrent le carré de tête et repoussent ces mouvements, mais le phénomène n’a pas disparu.

M. Jérôme Foucaud. Une fois, lorsque la tête de cortège syndical est arrivée en haut de l’avenue des Gobelins, nous avons demandé aux organisateurs syndicaux s’ils souhaitaient que nous intervenions, ce qu’ils ont refusé. Des bagarres se sont produites. Mais ils ont géré la situation. Une autre fois, l’organisateur syndical nous a sollicités à l’arrivée place de la Nation. Nous avons agi devant la tête de cortège syndical pour disperser les individus qui agressaient celle-ci.

M. le président Patrick Hetzel. Je vous remercie d’avoir répondu aux questions de la commission d’enquête. Nous resterons naturellement en contact au cours des prochaines semaines et nous reviendrons vers vous si des précisions s’avèrent nécessaires.

*

La réunion se termine à dix heures cinquante.


Présences en réunion

 

Présents.  M. Florent Boudié, M. Romain Daubié, Mme Marina Ferrari, Mme Félicie Gérard, M. Patrick Hetzel, Mme Patricia Lemoine, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Sandra Marsaud, M. Frédéric Mathieu, M. Ludovic Mendes, M. Michaël Taverne, M. Alexandre Vincendet

Excusés.  Mme Aurore Bergé, Mme Emeline K/Bidi, M. Julien Odoul