Compte rendu

Commission d’enquête
sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

– Table ronde sur la contamination des sols par les pesticides réunissant :

- M. Antonio Bispo, directeur de l’unité info&sols à l’Inrae

- M. Christian Mougin, directeur de recherche en écotoxicologie des sols à l’Inrae

- Mme Céline Pelosi, directeur de recherche en agroécologie et écotoxicologie des sols à l’Inrae 2

– Présences en réunion................................17



Jeudi 20 juillet 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 4

session de 2022-2023

Présidence de
M. Frédéric Descrozaille,
Président de la commission

 


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Jeudi 20 juillet 2023

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

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La commission entend lors de sa table ronde sur la contamination des sols par les pesticides :

 M. Antonio Bispo, directeur de l’unité info&sols à l’Inrae

 M. Christian Mougin, directeur de recherche en écotoxicologie des sols à l’Inrae

 Mme Céline Pelosi, directeur de recherche en agroécologie et écotoxicologie des sols à l’Inrae

M. le président Frédéric Descrozaille. Nous poursuivons les auditions de notre commission d’enquête sur les produits phytosanitaires. Je vous rappelle que nous sommes toujours dans une phase d’acculturation et de mise à niveau des connaissances. Nous avons abordé les sujets de manière assez générale pour l’instant mais aujourd’hui, nous allons commencer à entrer un peu plus dans le détail.  

Ce matin, nous allons parler de l’impact des produits phytosanitaires sur les sols. Nous adoptons une approche par milieu et aurons d’autres auditions qui aborderont la question de l’eau et de l’air. Nous accueillons aujourd’hui trois spécialistes de l’écotoxicologie des sols, chercheurs à l’Inrae. Je vous demande de faire preuve de suffisamment de pédagogie dans vos propos et de ne pas dépasser une trentaine de minutes pour votre présentation initiale, pour que nous puissions ensuite avoir un échange avec les membres de la commission.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Céline Pelosi, MM. Christian Mougin et Antonio Bispo prêtent serment).

M. Antonio Bispo, directeur de l’unité Info&Sols à l’INRAE. Je suis directeur d’une unité de recherche qui travaille sur les sols, à Orléans, et vais vous présenter l’état des connaissances sur la contamination des sols par les pesticides en France. Ces résultats ont été obtenus grâce au réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS), piloté par le groupement d’intérêt scientifique sur les sols (GIS Sol). Ce groupement réunit différents acteurs publics, dont les ministères de l’écologie et de l’agriculture, dans le but de financer des travaux et des analyses pour améliorer la connaissance des sols, dont le RMQS.

Le RMQS est un réseau maillé. La France est divisée en petits carrés de seize kilomètres sur seize. Au sein de chacun de ces carrés, un échantillon de sols est prélevé tous les quinze ans, qui est ensuite analysé pour connaître la qualité des sols en France. Tous les ans, nous prélevons ainsi 180 échantillons dans toute la France, lesquels sont ensuite analysés suivant différents paramètres. En parallèle, des enquêtes sont menées sur les sites de prélèvement des échantillons, afin de connaître les pratiques du gestionnaire, notamment en matière de fertilisants mais aussi de produits phytosanitaires.

En 2019, l’Anses nous a demandé si nous pouvions utiliser le réseau pour établir un état des lieux de la contamination des sols par les pesticides, avec un budget d’environ 300 à 400 000 euros. En deux ans, nous avons prélevé 47 sites et cherché 111 molécules actuellement utilisées. Nous avons principalement retenu des sites de parcelles cultivées, de prairies et de forêts. Les analyses ont été réalisées par un laboratoire universitaire à Bordeaux.

Les résultats ont permis d’identifier 67 substances sur les 111 qui étaient recherchées. On a trouvé au moins une de ces molécules dans 46 sites, c’est-à-dire dans 98% d’entre eux, même en agriculture biologique, en forêt et en prairie permanente. Le seul site où nous n’avons rien détecté est une prairie permanente de trente-cinq ans. Les molécules les plus détectées sont, par ordre décroissant, des fongicides, des herbicides puis des insecticides. On retrouve notamment le glyphosate et son produit dérivé, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA). On a trouvé jusqu’à 33 substances sur un même site. Les concentrations les plus importantes ont été détectées dans les zones cultivées, davantage que dans les prairies et forêts.

Nous avons identifié un risque potentiel sur un grand nombre de ces sites, notamment pour les organismes du sol ; mais mes collègues reviendront plus en détail sur ce point. Nous avons par ailleurs effectué des calculs de temps théorique, à partir des enregistrements des pratiques des agriculteurs et de notre base de données, pour déterminer le temps de dégradation théorique de ces molécules. On observe que l’on retrouve parfois dans les sols certaines molécules qui devraient, en théorie, déjà avoir été dégradées. Ceci pose la question des temps de rémanence dans l’environnement et dans les sols de ces différentes molécules, mais aussi du devenir et de la persistance de ces composés dans les sols par rapport aux études théoriques qui servent à l’homologation.

En conclusion, nous avons montré que le réseau de mesures pouvait être utilisé comme un réseau de surveillance pour les produits phytosanitaires. A priori, nous avons acquis le soutien du programme Écophyto pour poursuivre cette étude, cette fois sur l’ensemble des 180 échantillons prélevés annuellement, pour encore trois ans. L’objectif assigné est de mesurer en parallèle la concentration, l’exposition et l’impact sur la biodiversité pour tous ces échantillons.

Mme Céline Pelosi, directeur de recherche en agroécologie des sols à l’INRAE. Écotoxicologue des sols, je travaille depuis quinze ans sur l’effet des pesticides sur les vers de terre, dont vous connaissez, je pense, l’importance fondamentale. J’utilise aussi bien des approches de laboratoire que des approches au terrain, ce qui me permet d’étudier les effets au niveau des individus mais aussi des populations, des espèces de vers de terre jusqu’aux écosystèmes.

La littérature internationale scientifique s’accorde pour dire que la contamination par les pesticides est omniprésente et en mélange. À titre d’exemple, j’ai coordonné des projets avec une vingtaine de chercheurs de l’Inrae, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et d’instituts en chimie environnementale sur la zone atelier Plaine et Val de Sèvre, du côté de Niort. Nous nous sommes intéressés à la contamination par les pesticides des zones traitées et des éléments du paysage, traités ou non traités.

Sur les 180 échantillons de sol prélevés, 100 % étaient contaminés par au moins une molécule, avec une moyenne de neuf molécules par échantillon. Nous avons également prélevé des vers de terre et sur 155 individus, nous avons trouvé que 92 % étaient contaminés à hauteur de quatre molécules en moyenne. Nous avons aussi prélevé dans les poils des petits mammifères et trouvé que 100 % des échantillons étaient contaminés, avec en moyenne 32 molécules par individu – à noter que le spectre de recherche était plus large et couvrait 140 molécules, autorisées ou non.

Dans les matrices animales comme dans les sols, nous avons systématiquement trouvé trois molécules : de l’imidaclopride, du diflufenican et de l’époxiconazole, soit un insecticide néonicotinoïde, un herbicide et un fongicide. Les zones traitées contenaient plus de molécules et à des concentrations plus importantes que les zones non traitées. Mais nous avons quand même trouvé une forte occurrence de ces molécules et à des doses parfois assez élevées dans les céréales diverses, en agriculture biologique, dans les haies et dans les prairies permanentes. Cela est vraisemblablement dû au ruissellement, c’est-à-dire aux eaux qui vont emporter les pesticides à d’autres endroits lors de fortes pluies, et à la dérive de pulvérisation lors des applications.

Nous avons aussi mis en évidence que la présence de haies est fondamentale car elle limite la diffusion des pesticides vers d’autres compartiments, vers d’autres parcelles, vers d’autres milieux non-cibles. Plus les haies sont hautes et plus cette diffusion est limitée. Cela met en évidence l’importance de disposer de ces éléments semi-naturels dans le paysage, puisqu’ils servent à la fois de zone refuge à la biodiversité et aussi de limite à la diffusion, aux transferts horizontaux des pesticides.

Est-il grave d’avoir des pesticides dans tous les compartiments de l’environnement ? Est-ce gênant pour un ver de terre de vivre dans un sol où se trouvent neuf molécules ? Nous avons fait une analyse de risques sur la base des concentrations dans les sols, que nous avons comparées aux valeurs de référence utilisées dans les procédures d’homologation avant l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides. Nous avons constaté que dans un cas sur deux (46 %), il y avait un risque élevé pour la reproduction des vers de terre, ce qui signifie que ces concentrations aux doses résiduelles menacent la reproduction des vers de terre. Or, si les vers ne se reproduisent plus, il y en a moins, et ils ne peuvent plus assurer aussi bien leurs fonctions, qui sont absolument nécessaires pour la durabilité des agrosystèmes. Je rappelle qu’une étude a montré que la présence de vers de terre augmentait la production végétale de 30 %, que ce soit au niveau de la croissance racinaire ou aérienne.

En outre, les vers de terre sont aussi la proie de nombreux organismes dans les paysages agricoles. Une étude anglaise a montré que la diminution de 30 %, des communautés de vers de terre dans les sols en Angleterre était responsable du déclin, voire de la disparition de certaines espèces d’oiseaux. Dans notre zone d’étude, les proies ont 92 % de chances d’être contaminées par des pesticides, ce qui pose des soucis de bioamplification et de bioélargissement. Ces concepts décrivent le fait que dans les niveaux supérieurs des chaînes alimentaires, il va y avoir plus de molécules et à des concentrations plus fortes que dans les niveaux plus bas.

Par ailleurs, dans une expertise collective nationale, nous avons montré les effets négatifs sur d’autres communautés d’invertébrés terrestres, les pollinisateurs et les auxiliaires des cultures, réduisant d’autant les fonctions assurées par ces organismes, c’est-à-dire la pollinisation et le contrôle des ravageurs des cultures.

Comment expliquer ces effets négatifs observés sur la biodiversité alors que les molécules sont testées avant leur mise sur le marché ? Plusieurs raisons y concourent. Tout d’abord, comme monsieur Bispo l’a indiqué, il y a une persistance dans les écosystèmes qui est supérieure à celle qui a été mesurée dans les études de laboratoire et par modélisation, ainsi qu’une bioaccumulation des organismes vivants. À cet égard, nous avons aussi montré que le glyphosate était fortement bioaccumulé par les vers de terre.

De plus, par le passé, ont été mises sur le marché des molécules qui avaient été testées uniquement sur la mortalité des individus adultes, notamment les vers de terre. Or, l’exposition ponctuelle à une molécule ne va pas forcément – même très rarement – causer la mort d’un ver de terre adulte. En revanche, cela va très probablement l’empêcher de croître, de se reproduire et ce, potentiellement sur plusieurs générations, avec des effets transgénérationnels peut-être plus graves encore.

Plus grave encore, il faut savoir que les pesticides sont, avant leur AMM, testés sur une espèce de ver de terre qui n’est pas présente dans les sols naturels puisqu’il s’agit d’un ver de compost, quatre fois moins sensible que d’autres espèces de ver de terre que l’on trouve dans les parcelles agricoles.

En conclusion, il faut vraiment renforcer les efforts de recherche sur ces effets de doses répétées, effets chroniques qui affaiblissent considérablement les populations et les communautés, et ont un impact sur les fonctions remplies par ces organismes du sol.

M. Christian Mougin, directeur de recherche en agroécologie des sols à l’Inrae. Mon intervention a pour objet de vous parler des communautés microbiennes des sols. Elles sont constituées de deux types d’organismes : les organismes dits autotrophes, qui tirent leur énergie de la lumière et utilisent le dioxyde de carbone comme source d’énergie, comme les microalgues et cyanobactéries ; et les organismes dits hétérotrophes, qui se nourrissent de matière organique préexistante – bactéries, champignons et archébactéries. C’est plutôt cette dernière catégorie que nous étudions.

Ces micro-organismes, localisés dans les premiers centimètres du sol, se comptent en millions d’espèces, en milliards d’individus, et représentent la plus forte biomasse des sols, supérieure à celle des invertébrés. On dit que, dans une cuiller à café de sol, on a plus de microorganismes que d’êtres humains sur Terre. Ces micro-organismes assurent des fonctions clés dans les sols dont ils contribuent à la structuration, à la cohésion et à l’aération. Ils en limitent l’érosion. Ils décomposent et minéralisent la matière organique des sols – fonction fondamentale. Ils mettent en œuvre des cycles biogéochimiques, du carbone, de l’azote et du phosphore, ce qui facilite l’assimilation des nutriments par les plantes. Ce sont les principaux acteurs de la dégradation des pesticides et ils contribuent aussi à l’état sanitaire des cultures.

On sait que le labour et l’apport de pesticides sont des facteurs qui peuvent impacter négativement les communautés microbiennes. Lors de la dernière expertise collective de l’Inrae, nous nous sommes rendu compte que l’on avait peu progressé dans la connaissance de l’impact des pesticides sur les communautés microbiennes depuis 2005. Les études disponibles prennent peu en compte les substances actives les plus récentes, les produits de biocontrôle et les produits formulés, c’est-à-dire ceux qui sont commercialisés. La grande hétérogénéité des approches expérimentales et des méthodes de mesure d’impact peut introduire des résultats parfois contradictoires pour une même molécule. On observe également des grandes variabilités de sensibilité, ainsi que des descripteurs qui peuvent être impactés par l’exposition à d’autres types de contaminants ou à des changements globaux comme le changement climatique. De ce fait, on obtient des résultats complexes dont il est difficile de tirer de grandes conclusions. En outre, la faible réglementation des sols implique aussi un suivi assez limité. Cela va peut-être évoluer avec la future directive européenne sur la surveillance des sols.

Mon intervention traitera plus spécifiquement des organismes hétérotrophes. Lorsqu’est appliquée une dose d’herbicide qui correspond à la dose normale d’utilisation, celle qui est homologuée pour le pesticide, on n’observe pas d’effet significatif sur les communautés microbiennes. En revanche, les fongicides peuvent impacter les communautés microbiennes ; nous avons très peu d’informations sur l’impact des insecticides. D’une façon générale, nous disposons de peu d’études en conditions naturelles et nous savons qu’en laboratoire, tout est très simplifié, ce qui implique de manier les résultats avec précaution. Nous savons notamment que les produits formulés ont un impact plus important que les substances actives seules. Nous savons également que les différents contextes pédoclimatiques, le labour, la fertilisation organique, le couvert végétal ont parfois des impacts plus importants que certains herbicides.

Du fait de la richesse des communautés microbiennes, les microorganismes présentent une certaine redondance fonctionnelle, évoquée par Stéphane Pesce la semaine dernière. Ainsi, les fonctions principales de ces communautés ne sont pas significativement perturbées par un apport unique d’herbicide. Cependant, le cycle de l’azote est un cycle très sensible qu’il conviendrait de considérer pour les études ; il pourrait être un marqueur intéressant d’impact des pesticides sur les communautés microbiennes.

Nous avons établi un certain nombre de préconisations. Il faut vraiment essayer d’homogénéiser les approches expérimentales, les méthodes de mesure, et s’appuyer peut-être aussi sur la normalisation de méthodes. Pour les communautés microbiennes, il convient de travailler sur des méthodes un tant soit peu cadrées, qui permettent de comparer davantage les résultats. Nous pourrions utiliser d’autres outils d’écologie microbienne qui ne sont pas encore utilisés en écotoxicologie microbienne, notamment certaines approches employées en toxicologie humaine.

Nous devons travailler davantage sur des expérimentations au champ, dans des conditions réelles ; mieux prendre en compte les facteurs de changement globaux, les produits de transformation, les mélanges ; et associer les études d’impact aux études de dynamique, pour analyser le devenir des pesticides dans le temps. Il faudrait également prendre davantage en compte les fonctions écologiques et écosystémiques des sols, ce qui permettrait peut-être d’identifier des impacts ou des effets délétères sur le long terme.

Comme vous l’avez dit la semaine dernière, il faut multiplier les études au champ, tout en gardant à l’esprit que les résultats des tests chimiques ne rendent pas nécessairement compte de l’exposition réelle des organismes : il existe encore un verrou de recherche pour mieux identifier cette exposition. Il faudrait également pouvoir prendre en compte les transferts de résidus dans les réseaux trophiques, mais aussi le transfert de matériel biologique, de bactéries, voire de gènes de résistance des sols à différents organismes vivants supérieurs. La bioamplification devrait également être davantage étudiée.

Comme je vous l’ai dit, les micro-organismes sont les acteurs majeurs de la dégradation des pesticides. Dans les cas les plus favorables, ils les minéralisent, c’est-à-dire qu’ils les transforment en dioxyde de carbone. Ils peuvent aussi les co-métaboliser, c’est-à-dire les transformer en produits de transformation. Par un troisième mécanisme dit de synthèse, ces produits peuvent être bloqués dans le sol, notamment dans les argiles, ou fixés sur les matières organiques du sol. En fonction de l’évolution de ces sols, de ces matières organiques, ces résidus, qui peuvent être piégés pendant des dizaines d’années, peuvent ensuite relargués, ce qui explique peut-être leur persistance et le fait que des pesticides qui ont été interdits il y a des dizaines années réapparaissent subitement.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je vous remercie pour la clarté et la force de vos propos. Vous plaidez en réalité pour une approche par paysage et pas seulement par parcelle. Vous avez évoqué les dérives potentielles qui résultent de la pulvérisation et les phénomènes de ruissellement. Je suis étonné que vous n’ayez pas évoqué d’autres phénomènes liés au cycle de l’eau, en souterrain ou dans le cycle de pluviométrie, ni la question du fumier ou du transport des pailles à travers les fumées, qui pourraient expliquer notamment la contamination des prairies. Par ailleurs, on retrouve encore des vieilles molécules, comme l’atrazine, dans les sols. Arrivez-vous à analyser, sur le plan scientifique, les phénomènes d’accumulation, de combinaison, à travailler sur les cycles, pour définir quand on se trouve dans une situation de danger ou, au contraire, de tolérance ?

Par ailleurs, y a-t-il une hiérarchie des molécules, s’agissant de leur effet destructeur pour les communautés microbiennes ?

Au-delà des vers de terre et des communautés microbiennes, observez un transfert des pesticides par les nutriments du sol, qui impacterait la nourriture des plantes et, in fine, l’alimentation ?

Il y a un paradoxe dans l’agriculture de conservation. M. Meynard nous a dit qu’elle était plutôt plus exposée aux pesticides. Pour autant, elle est réputée être celle qui régénère le mieux les sols en évitant le labour. Que pouvez-vous nous dire de cette question qui va être un des grands débats, je pense, de notre commission d’enquête ?

Ensuite, je n’ai pas tout à fait saisi ce que vous disiez sur le cycle de l’azote. Quelles sont les conséquences ? Par ailleurs, peut-on parler concernant les communautés microbiennes des sols d’un effet d’exposome, comme pour l’homme ? Enfin, la science des sols a, pendant un temps, été « en panne ». La France est-elle désormais au rendez-vous ? Et que pensez-vous du fait que nous ayons exclu les sols agricoles de la prochaine directive européenne de restauration des sols ?  

Mme Céline Pelosi. Les eaux souterraines et les apports organiques sont en effet à l’origine du transfert d’un grand nombre de contaminants. Oui, certaines molécules sont plus nocives que d’autres. Par exemple, l’imidaclopride et l’époxiconazole ont des effets négatifs avérés sur les pollinisateurs, sur les vers de terre, à des doses assez faibles.

L’agriculture de conservation a évolué et aujourd’hui, si les agriculteurs ont toujours recours aux intrants chimiques, ils en limitent bien plus l’usage qu’hier. Le travail du sol est le facteur prépondérant de la diminution des vers de terre dans les sols dans le temps court. Néanmoins, quand on s’arrête de labourer, on retrouve très rapidement des communautés florissantes, ce qui n’est pas le cas avec les pesticides, dont les effets sont beaucoup plus sournois et rémanents.

M. Antonio Bispo. Nous n’avons pas recherché les plus anciennes molécules dans notre étude car nous disposions déjà des éléments sur leur niveau de fond. Mais nous pourrions le faire, car nous conservons à Orléans des échantillons qui ont été prélevés dans les années 2000 et qui nous permettent de « remonter le temps ».

Je vous ai indiqué que nous allions redoser des molécules sur les trois années à venir et nous nous demandons lesquelles il faut retenir. Faut-il choisir les plus toxiques, les plus fréquemment détectées ? Les plus anciennes, puisqu’on les retrouve encore et que l’on sait qu’elles passent dans l’alimentation ? On retrouve des lots contaminés par le lindane ; je pense qu’il y aurait un intérêt à redoser ces molécules pour comparer avec les concentrations des lots plus anciens.

M. Christian Mougin. J’ai peu d’éléments sur les fumiers mais j’ai participé à une étude sur les boues de stations d’épuration issues de milieux urbains : nous y retrouvions des résidus de pesticides. Certains pesticides ont aussi des usages biocides, ce qui peut contribuer à l’explication, mais on peut effectivement considérer que des produits résiduels organiques apportent au sol des résidus de contaminants, notamment de pesticides.

Les plantes métabolisent les pesticides, mais de façon différente. Dans cette même étude, on a trouvé dans des radis des produits de transformation relativement toxiques. Il y a donc bien des transferts dans les réseaux trophiques, de résidus chimiques mais aussi de matériel biologique. On retrouve par exemple les mêmes gènes de résistance à des fongicides dans le sol, dans des bulbes de tulipes et dans les poumons de certains patients immunodéprimés. Mais les mécanismes scientifiques derrière ces phénomènes sont mal connus.

Je vous ai indiqué que les micro-organismes dégradaient la matière organique, et qu’il existait une très grande redondance fonctionnelle qui empêchait de dégager les effets nets de l’exposition des micro-organismes aux pesticides. Mais si l’on prend le cycle de l’azote, les communautés sont beaucoup plus réduites. Nous nous sommes rendu compte que les communautés microbiennes responsables du cycle de l’azote dans les sols pouvaient être impactées par les pesticides et ainsi, qu’elles pouvaient être des indicateurs intéressants à prendre en compte pour des études de risques.

On parle beaucoup de l’exposome. Le transfert du concept d’exposome en écotoxicologie en est encore à ses balbutiements, principalement en écotoxicologie humaine. Mais cela semble très intéressant en effet. Enfin, nous n’avons plus de formation spécifiquement dédiée à la science du sol, alors que nous avions avant un diplôme d’études approfondies (DE) de sciences du sol, ce qui fait que nous n’avons plus de vrais pédologues. Aujourd’hui, la science du sol semble un peu diluée dans les enseignements autour des sciences de l’environnement. Cependant, nous avons encore de très grands spécialistes.

M. Antonio Bispo. L’Inrae participe à plusieurs programmes européens et anime notamment le programme EJP Soil, un gros programme européen à 80 millions d’euros. En matière de sols agricoles, nous disposons encore de grands spécialistes. Mais ils sont très spécialisés, et nous n’avons effectivement plus de pédologues capables de décrire un sol avec une vision globale. Il s’agissait souvent d’agronomes de formation, qui pouvaient conseiller, en fonction de la nature du sol, les cultures et la gestion les plus adéquates à mettre en place. Cela manque aujourd’hui et, la pédologie ayant été reconnue comme une discipline rare, des discussions sont en cours avec le ministère de la recherche pour déterminer si l’on peut relancer ce type de formations. Mais le temps de mettre en place la formation et de former des personnes, nous ne disposerons pas de nouveaux pédologues avant six ans. Sur les autres aspects, je pense néanmoins que la science du sol demeure encore assez performante en France.

M. le président Frédéric Descrozaille. J’ai particulièrement apprécié vos réponses synthétiques. L’accent qui vient d’être mis sur la question de la formation autour du sol me semble particulièrement intéressant.

Mme Nicole Le Peih (RE). Pouvez-vous revenir sur la distinction entre les vers de terre et les vers de compost, moins sensibles aux pesticides ? En tant qu’agricultrice, j’ai suivi une formation à la lombriculture, mais j’ai l’impression que ce type de formations a disparu. Peut-être serait-il utile de favoriser à nouveau cette compréhension du travail du sol.

Les boues des stations d’épuration sont épandues sur les terres agricoles en vertu de conventions. Mais aujourd’hui, des coopératives ou des entreprises agroalimentaires nous refusent nos petits pois ou nos haricots, précisément parce qu’on y retrouve certaines molécules. Sait-on évaluer le danger ? Où en est la recherche sur ces boues de stations d’épuration ?

Madame Mélanie Thomin (SOC). Je souhaite revenir sur le rôle du ruissellement et des eaux de pluie. Pourquoi, dans vos études, retrouve-t-on autant de traces de pesticides dans les sols non traités ? Quel est l’impact du réchauffement climatique dans les phénomènes observés, en particulier à travers les épisodes de sécheresse ? Ont-ils un effet sur la retenue et la libération de pesticides dans les sols ?

Monsieur Mougin, vous avez évoqué le rôle de la communauté microbienne. Dans quelle mesure un sol riche permet-il la retenue des pesticides ? Vous avez évoqué tout à l’heure le rôle essentiel des haies, qui jouent un rôle de barrière, et je m’interroge également sur le rôle des talus ou des arbres pour la retenue des pesticides. Madame Pelosi, vous avez parlé tout à l’heure du cas d’une prairie permanente. Dans un monde idéal, combien de temps faudrait-il pour qu’une parcelle soit totalement lavée des pesticides ? Est-ce imaginable ?

Enfin, avez-vous de la visibilité sur le financement à long terme des programmes et études dont vous nous avez parlé ?

Mme Céline Pelosi. On a longtemps considéré le ver de terre comme un bio-indicateur sur l’état du système. Mais il faut vraiment le considérer comme un acteur majeur des sols, qu’ils passent leur temps à travailler. Il faut donc réapprendre à piloter l’activité des vers de terre, en adaptant nos pratiques.

S’agissant des vers de compost, une méta-analyse que j’avais menée en 2013 m’a conduite à conclure qu’ils étaient quatre fois moins sensibles que les vers de terre. Nous avons comparé la dose qu’il faut pour tuer un ver de compost à la dose qu’il faut pour tuer un ver présent dans les champs. Nous avons montré que, sauf pour une seule espèce de vers, il faut plus de pesticides pour tuer le ver de compost que pour tuer les vers présents dans les champs – en moyenne quatre fois plus. Et nous avons identifié une espèce de ver qui pourrait être choisie pour les tests avant la mise sur le marché des pesticides, qui est à la fois beaucoup plus représentative des sols cultivés et beaucoup plus sensible que le ver de compost.

Enfin, j’ai insisté sur le ruissellement et la dérive de pulvérisation car ce sont apparemment les facteurs majeurs de la contamination des éléments adjacents aux parcelles traitées.

M. Christian Mougin. Les boues de stations d’épuration sont le reflet de l’activité humaine sur le bassin de collecte des eaux usées. On y retrouve un grand nombre de contaminants chimiques. Je crois que la règlementation impose seulement la mesure de quelques polluants dans ces boues, au maximum une quinzaine, plutôt des composés persistants. Mais les choses ont peut-être évolué ces dernières années. Des études conduites en Suisse avaient aussi montré que l’on retrouvait dans les boues de station d’épuration des résidus pesticides. Ces produits peuvent effectivement être transférés dans les végétaux, notamment dans l’alimentation animale. J’ai ainsi participé à une expertise pour une collectivité locale confrontée à des problèmes d’intoxication de bovins ; je me suis rendu compte à cette occasion que l’alimentation animale faisait l’objet d’une réglementation minimaliste, imposant l’analyse de seulement quelques contaminants, toujours à peu près les mêmes.

En effet, dans les sols riches en matière organique, les sols limoneux, l’activité microbienne est importante et ces sols ont tendance à retenir les pesticides. À l’inverse, des sols sableux retiennent peu les polluants ; ils permettent une infiltration en profondeur et ainsi une contamination plus facile des nappes souterraines.

Je vous ai indiqué qu’il y avait plusieurs mécanismes à l’œuvre pour les résidus liés. Parmi eux figure le piégeage physique dans les feuillets d’argile. Par des mécanismes de dessiccation et de réhumectation qui vont faire gonfler ces argiles, on peut voir survenir des relargages de composés qui étaient stockés dans ces feuillets ou entre ces feuillets. Le changement climatique peut ainsi avoir un impact sur le relargage de certains contaminants, pas uniquement des pesticides. Nous évitons de faire nos expériences en été parce que la chaleur et la sécheresse limitent beaucoup l’activité des micro-organismes et des vers de terre.

La majorité des financements s’étendent sur des périodes de deux à quatre ans. Or, les expérimentations sur le long terme couvrent des périodes de dix à vingt ans. Vous voyez donc que la situation peut être assez compliquée ; la pérennité des financements est loin d’être assurée. On a pourtant besoin d’expérimenter sur le long terme sur ces sujets.

M. Antonio Bispo. Madame Thomin, vous nous avez interrogés sur la durée de rémanence, et sur le temps qu’il faudrait pour récupérer un sol lavé de tout pesticide. Cela dépend beaucoup du type de sol, des molécules – certaines sont très longues à dégrader. Dans le cas de la chlordécone aux Antilles, on annonce une durée de dégradation de plusieurs centaines d’années. D’autres molécules sont reconnues comme étant beaucoup plus facilement dégradables, bien qu’on les retrouve parfois malgré tout.

L’un des sites que nous avons analysés, une forêt, est situé en bas d’une vallée et pourrait récupérer tous les ruissellements des plateaux autour : dérive et eaux de percolation. Les transferts dans le paysage peuvent par conséquent être assez importants. Sur les 47 sites que nous avons dosés, nous devons étudier leur environnement. On retrouve par exemple des pesticides en agriculture bio, en raison de phénomènes d’érosion ou de dérive qui peuvent contaminer le sol en produits phytosanitaires.

Les réglementations sur les boues d’épuration visent seulement certains éléments : des traces métalliques, du cadmium, du plomb, du mercure par exemple. Elles ciblent aussi quelques polluants organiques persistants, mais il en manque beaucoup. Il y a effectivement un cocktail de polluants dans ces boues – résidus de pesticides, médicaments – et l’on ne sait pas vraiment évaluer le devenir de ces molécules dans les sols et les transferts vers les plantes.

S’agissant des financements, le réseau de mesure de la qualité des sols dont je vous ai parlé est financé depuis les années 2000 par période de cinq ans. Ainsi, tous les cinq ans se pose la question du financement avec le ministère de l’agriculture et le ministère de l’écologie, l’Ademe et l’Office français de la biodiversité (OFB). Le premier RMQS a coûté dix millions d’euros sur un peu plus de dix ans ; cela correspond aux prélèvements et aux analyses agronomiques au sens large. Si l’on veut analyser les produits phytosanitaires et l’impact sur la biodiversité, le prix du réseau double, soit deux millions d’euros par an. Le programme Écophyto va nous financer pendant trois années supplémentaires.

Ce montant peut sembler important mais, ramené à la surface agricole ou même à la surface de la France, cela ne représente que 30 centimes à l’hectare. Jusqu’à présent, les acteurs publics ont toujours trouvé les moyens de financer ce réseau. Nous espérons pouvoir mener à bien quatre campagnes pour effectuer des comparaisons sur l’évolution de la qualité des sols. Certains réseaux de surveillance sont financés et pérennes, notamment pour les pesticides dans l’eau, parce qu’il y a une réglementation. Ce n’est pas le cas pour les sols.

Le 5 juillet, la proposition de loi européenne sur la surveillance des sols a été mise sur la table. Si elle est effectivement votée, à terme, elle permettra peut-être la mise en place d’un dispositif qui sécurisera la surveillance des sols en France.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 1er octobre 2019 dit « arrêt Blaise » énonçait l’insuffisance des tests de toxicité effectués dans le cadre de la procédure d’approbation des molécules. À vous écouter, j’ai le sentiment que vous apportez déjà une réponse à ce sujet. Je présume que le réseau national de surveillance de la qualité des sols qui est mis en place permet d’avancer ou, du moins, permettra d’avancer. Actuellement, les autorisations de mise sur le marché se fondent sur des tests en laboratoire à partir d’une molécule. Mais vos constats permettent justement de mettre en lumière l’effet cocktail sur le terrain. Vos travaux sont-ils pris en compte par l’Anses et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ? Je n’en ai pas l’impression.

Enfin, je travaille sur la politique agricole commune et je constate qu’il est difficile d’attribuer les aides en fonction de l’évolution des pratiques, laquelle se fait nécessairement sur le long terme. On a donc plutôt tendance à se fonder sur les pratiques adoptées par les agriculteurs. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

M. Jean-Luc Fugit (RE). Je ne reviendrai pas sur la question de l’agriculture de conservation des sols, dont j’estime que le développement devrait être plus important. En tant que chimiste, je suis naturellement attentif à vos propos sur la puissance croissante des méthodes de chimie analytique, notamment la question des teneurs totales quantifiées en biodisponibilité. À ce titre, je voudrais souligner que l’abaissement des limites de détection nous conduit à disposer d’informations nouvelles. Si, par le passé, nous ne donnions pas ces informations, ce n’est pas que nous les cachions, c’est que nous n’étions pas capables de les avoir. Je pense qu’un effort de clarification est nécessaire à ce sujet, qui nous permettrait d’éviter certaines polémiques.

La mesure des pesticides dans l’air ne fait l’objet d’aucune réglementation. Je me prononce pour ma part en faveur d’une systématisation de la mesure des pesticides dans l’air, que je porterai dans une proposition de loi cet automne.

Vous avez évoqué les différentes méthodes et expérimentations. Est-il nécessaire selon vous de hiérarchiser ces méthodes ? Faut-il à l’inverse tout faire, parmi les méthodes que vous préconisez ? Par ailleurs, êtes-vous en lien avec les chambres d’agriculture sur ces sujets ? Enfin, savez-vous si des travaux identiques aux vôtres sont conduits dans d’autres pays majeurs en matière d’agriculture, comme les Pays-Bas, la Belgique ou les États-Unis. ? Pourrait-on s’inspirer de certaines de leurs démarches pour avoir une meilleure connaissance de l’impact de ces molécules dans toute sa complexité ?

Mme Céline Pelosi. Bien sûr, nous partageons nos connaissances avec les autorités en vue d’adapter la règlementation. Mais les démarches en matière de normalisation prennent toujours beaucoup de temps. S’agissant par exemple des tests sur les vers de terre, que nous évoquions tout à l’heure, il nous a fallu quinze ans pour obtenir une modification de la norme. Donc en effet, la recherche avance, et les capacités analytiques évoluent : nous savons de plus en plus de choses parce que nous sommes capables de nous saisir de sujets que nous ne pouvions pas mesurer auparavant.

Les procédures d’homologation se déroulent en plusieurs étapes. Des tests sont d’abord réalisés en laboratoire, par exemple sur la reproduction et la mortalité de ver de compost (Eisenia fetida). Si des effets sont perçus, il faut ensuite effectuer des essais au champ, alors que la procédure d’homologation pourrait s’arrêter là. Finalement, la plupart du temps, on ne retrouve pas au champ les effets négatifs que l’on a vus en laboratoire, pour les raisons que l’on expliquait tout à l’heure. Les effets se manifestent ainsi de manière plus sournoise et à long terme qu’en laboratoire, ou la molécule tue le ver. On arrive ainsi à pratiquer un très grand nombre de tests tout en autorisant des molécules qui ont en réalité une certaine dangerosité.  

Par ailleurs, nous sommes bien en lien avec les chambres d’agriculture, notamment sur la question des apports de matière organique, pour essayer de voir comment on peut revitaliser et refertiliser les sols, tout en ayant en tête leur contamination potentielle par les pesticides, par le cuivre, par les microplastiques, etc. Nous essayons d’avoir une approche la plus intégrative possible.

M. Antonio Bispo. Finalement, les tests d’homologation sont peut-être insuffisants notamment parce qu’ils sont réalisés sur le court terme. Il faudrait donc, pour compenser, mettre en place une surveillance sur le long terme pour faire remonter les effets négatifs des molécules autorisées, comme pour les médicaments. De fait, l’Anses a un département de phytopharmacovigilance mais il faudrait, pour qu’il soit pleinement effectif, mettre en place un réseau de surveillance sur le long terme des concentrations et des effets dans notre environnement des produits mis sur le marché.

Il y a évidemment un lien entre la contamination des sols et la contamination de l’air. Les produits peuvent passer de l’air au sol via les dépôts atmosphériques, du fait des dérives de pulvérisation. Ils peuvent aussi être réémis dans l’air depuis les sols, en fonction des conditions atmosphériques. Dans nos expériences sur les sols, nous avons été conduits à doser le lindane et d’autres organochlorés car l’Anses les retrouvait dans l’air et se demandait pourquoi il en était ainsi, puisqu’ils sont interdits.

Nous travaillons effectivement avec les chambres d’agriculture. Ce sont notamment elles qui prélèvent les échantillons du réseau de mesure de la qualité des sols. Quand on a parlé de pesticides, elles étaient assez inquiètes et craignaient que les agriculteurs n’acceptent pas les prélèvements. En réalité, c’est le contraire qui s’est produit : les agriculteurs étaient très curieux de savoir ce que nous avions trouvé sur dans leurs parcelles. Nous leur avons évidemment communiqué nos résultats.  

S’agissant des autres pays, tous sont en train de prendre le chemin de la surveillance. Il existe d’ailleurs un réseau de surveillance européen. L’Union européenne a produit, ce mois-ci, un rapport fondé sur le prélèvement d’environ 3 500 échantillons dans tous les pays européens. Dans 75 % d’entre eux, des traces de pesticides ont été retrouvées. 117 molécules étaient recherchées, dont certaines ne sont plus autorisées, comme l’atrazine, le diuron, le lindane, mais aussi le Roundup par exemple. Leurs résultats rejoignent nos conclusions et nous allons essayer d’obtenir les résultats des mesures effectuées en France, pour pouvoir comparer avec nos 47 sites.

M. Christian Mougin. J’imagine que vous avez prévu d’auditionner l’Anses. Le dispositif de phytopharmacovigilance, qui est unique en Europe, est vraiment un outil très intéressant. Il faudrait renforcer la petite équipe qui s’en charge, car ce dispositif permet d’avoir des signalements et d’étudier des effets non intentionnels après l’autorisation, dans les conditions normales d’utilisation.

Il est fréquent que des groupes de travail de l’EFSA mobilisent certains de nos collègues, par exemple sur les nouveaux bio-indicateurs à mettre en œuvre. On observe que les tractations sont nombreuses à cette échelle, ce qui fait que les textes adoptés peuvent être assez édulcorés par rapport aux propositions initiales.

Par ailleurs, je pense que l’on pourrait aussi utiliser davantage les outils à disposition en France, notamment les réseaux. Je pense par exemple aux zones ateliers ou aux grandes infrastructures de recherche qui figurent sur la feuille de route du ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur. Nous essayons de nous appuyer sur ces infrastructures qui ont vocation à être pérennes, mais elles sont parfois plutôt dédiées aux expérimentations qu’au suivi au long cours et connaissent également des problèmes de financement sur le long terme.

Les valeurs réglementaires sont souvent liées à nos capacités de détection. Par exemple, la directive 94-14 fixait à 0,1 microgramme par litre les teneurs pour une molécule dans l’eau parce qu’à l’époque, elle constituait la limite de détection des équipements. Il se trouve que nos capacités de détection sont cent fois, voire mille fois plus puissantes aujourd’hui, ce qui fait que nous sommes capables de trouver, je pense, à peu près tout, n’importe où. Mais que faisons-nous de ces valeurs qui ne nous disent pas grand-chose de la toxicité des molécules ? C’est une vraie question. Il faut relever que ces méthodes qui sont de plus en plus performantes sont aussi de plus en plus coûteuses. On se posait auparavant moins de questions sur le glyphosate parce qu’on ne savait pas le doser dans les sols, ce que nous savons faire désormais.

Nous devons essayer de travailler de façon complémentaire. Il ne faut pas supprimer les études de laboratoire qui, en dépit des conditions simplifiées dans lesquelles elles ont lieu, permettent de comprendre les processus. Mais par ailleurs, il fait développer les études sur le terrain. Nous devons notamment progresser sur la connaissance de l’impact des pesticides – notamment – sur la préservation des grandes fonctions écologiques. C’est une question qui me semble prioritaire. Il faudrait également parvenir à travailler sur un vrai itinéraire cultural, intégrant les successions et les mélanges de matières actives, plutôt que de tester un produit isolé en application unique.

M. Antonio Bispo. Je souhaite fournir un complément d’information concernant les méthodes. Dans l’étude dont j’ai parlé, les 47 échantillons de sol ont été testés au moyen de quatre méthodes différentes pour détecter la présence éventuelle des 111 molécules. Le processus et complexe, et il a fallu développer des méthodes qui n’existaient pas pour les sols. Au total, le coût de revient était d’environ mille euros par échantillon testé.

Les méthodes non ciblées permettent d’avoir une vue d’ensemble, une sorte d’empreinte des molécules présentes. Mais si l’on veut ensuite connaître les concentrations, il faut utiliser d’autres méthodes ; c’est nécessaire pour savoir s’il existe ou non des risques pour les organismes. Pour la prochaine campagne, nous allons chercher à combiner ces deux approches. Ainsi, les évolutions technologiques permettent aujourd’hui d’abaisser les limites de détection à quelques nanogrammes, mais c’est un travail technique, qui exige du personnel hautement qualifié et qui est donc assez coûteux.

Mme Laurence Heydel Grillère (RE). De nombreuses molécules sont utilisées à l’échelle de la planète, bien au-delà des pesticides. Est-il possible de différencier les impacts des unes et des autres, par exemple pour distinguer les métaux lourds des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ou des médicaments ?

Ensuite, des travaux similaires aux vôtres sont-ils conduits dans les autres pays d’Europe ? Vous avez déjà répondu à cette question en partie, mais d’autres pistes sont-elles explorées, y compris en dehors de l’Europe ? On sait qu’une bonne partie de notre alimentation est d’origine extra‑européenne.

Je souhaite également revenir sur cette norme de 0,1 microgramme que vous avez évoquée et qui a effectivement été mise en place en fonction d’un seuil de détection. À l’époque, le raisonnement des États-Unis était plutôt centré sur les molécules. Avez-vous une opinion à ce sujet ? Est-il pertinent de maintenir de tels seuils ? Ne faudrait-il pas évoluer vers autre chose ?

Par ailleurs, on tire très souvent des conclusions sur le glyphosate en tant que substance active mais pas sur les produits commercialisés. Or les formulations changent selon que l’on se trouve en France, en Europe ou dans d’autres pays du monde. En tant que parlementaire, j’estime que nous devrions avoir une vision claire de ces nuances pour éviter certains raccourcis. C’est pourquoi nous avons besoin que les scientifiques nous fournissent des données précises.  

Madame Anne-Laure Babault (Dem). Je vous remercie pour vos présentations et les informations très enrichissantes que vous nous avez transmises. Tout d’abord, je voudrais évoquer l’étude des sols : étudiez-vous les terres en agriculture biologique, les terres en agriculture raisonnée, les terres en agriculture conventionnelle ? Vous avez en partie répondu à cette question, mais je souhaite notamment revenir sur l’impact du cuivre sur les terres en agriculture biologique.

Vous avez dit qu’aujourd’hui, on n’étudiait pas l’impact des pesticides sur les milieux aquatiques. J’ai un territoire conchylicole dans ma circonscription, j’aimerais que vous m’en disiez plus à ce sujet.

Par ailleurs, nous avons parlé pollution de l’air, pollution de l’eau, pollution du sol, mais il me semblerait important d’avoir une vision globale sur l’ensemble de ces milieux. Parfois, on ne fait que déplacer le problème au lieu de le résoudre. Cette vision globale me semble aussi indispensable pour bien mesurer les effets cocktails. Nous avons évoqué les boues d’épuration, les résidus de médicament, mais il y a aussi les microplastiques, sur lesquels nous ne savons rien, ou presque. Pouvez-vous nous en dire un mot ? Enfin, pouvez-vous nous faire part de vos besoins en termes de financement, afin que nous puissions porter ce sujet au plus haut niveau ?

M. Christian Mougin. Il est certain que nombre de nos outils biologiques répondent de la même façon. Cela nécessite donc de progresser dans l’identification de réponses spécifiques. Les approches de toxicologie prédictive utilisées en toxicologie humaine, notamment ce qu’on appelle les AOP (adverse outcome pathways), permettraient peut-être d’identifier des réponses spécifiques au moyen de bases de données recensant les effets connus de tel ou tel polluant. Ces approches émergent de plus en plus en écotoxicologie terrestre.

J’ai également parlé des technologies omiques, qui visent à détecter des empreintes aux niveaux moléculaire et cellulaire afin d’identifier ce qui résulte de l’exposition à un produit précis. Il s’agit d’une technologie émergente en écotoxicologie microbienne. On revient toujours à la question des moyens disponibles : si l’on veut développer ces nouvelles approches, il faut aussi mettre en place des nouveaux laboratoires et des nouvelles équipes.

Enfin, sur la question des formulations, il y a un véritable verrou pour nous autres scientifiques : nous n’avons pas accès à la composition de ces formulations qui relève du secret industriel. Enfin, pouvez-vous expliciter votre question sur le seuil de 0,1 microgramme par litre ?

Madame Laurence Heydel-Grillère. Je voulais mettre en perspective le choix fait par les États-Unis à l’époque d’adopter un raisonnement par molécule, sans mettre en avant un seuil global comme nous l’avons fait. Le seuil de détection est un chiffre qui n’a pas vraiment de valeur scientifique ; il faudrait sans doute l’abaisser pour certaines molécules. Faut-il continuer à travailler avec ces seuils ou faut-il aller vers un autre système ?

M. Christian Mougin. Il est exact que les États-Unis avaient à l’époque une réglementation plus fondée sur des valeurs toxicologiques. La valeur établie avec une limite de détection est plus simple à utiliser pour des décideurs. Il serait en effet plus pertinent d’avoir des valeurs fondées sur la toxicologie mais cela poserait des problèmes d’utilisation. Nous devons conduire une réflexion à ce sujet.

Nous travaillons par ailleurs dans le cadre d’un gros programme européen lancé l’an dernier, Le Parc – partenariat pour l’évaluation des risques liés aux substances chimiques. Ce programme, piloté par l’Anses et doté d’un très gros budget, embarque la majorité des États membres. Il vise à progresser sur les procédures d’évaluation des risques, sur le développement de tests de méthodologie. À ma connaissance, il traite peu des pesticides pour le moment, sauf ceux qui seraient des perturbateurs endocriniens. Néanmoins, il existe bien une volonté communautaire d’avancer sur ces questions, de faire évoluer la réglementation.

Dans le domaine des microplastiques, une expertise scientifique collective pilotée par le CNRS et l’Inrae est en cours. Du même type que celle sur les pesticides, elle est structurée autour d’un comité d’experts international et elle publiera ses résultats en 2024.

M. Antonio Bispo. Je complète la réponse sur l’étude des différents types de sols en agriculture biologique. Je vous ai expliqué que le réseau de mesures de la qualité des sols était un réseau maillé de 16 kilomètres sur 16. La parcelle au centre de chaque carré peut être en agriculture biologique. Mais nous ne stratifions pas notre échantillonnage en fonction du type d’agriculture : le réseau comporte à la fois des parcelles en conservation des sols, des parcelles en bio ou d’autres types d’agriculture. En revanche, il y a une dimension aléatoire :  je ne suis pas certain que le pourcentage d’agriculteurs bio dans le réseau reflète exactement la proportion réelle sur le territoire.

Madame Anne-Laure Babault. J’en conclus que vous ne faites pas de distinction entre les résultats obtenus sur un territoire, qu’il s’agisse d’une terre en agriculture biologique ou d’une terre en agriculture conventionnelle. Ai-je bien compris ?

M. Antonio Bispo. Nous pouvons effectuer cette distinction. Il y avait, je crois, trois ou quatre agriculteurs biologiques dans les sites qui ont été mesurés par l’expertise. Nous avons aussi dosé les microplastiques dans nos échantillons. Mais les méthodes de travail ne sont pas encore stabilisées pour ces analyses dans le sol, alors qu’elles sont fréquemment conduites dans l’eau – je pense notamment aux campagnes Tara Océans. De fait, nous avons retrouvé des microplastiques dans de nombreux sols agricoles et aussi dans des sols de prairie. Cela pourrait provenir de l’enrubannage du foin dans les prairies. Nous voulions continuer à les doser mais les laboratoires ne sont actuellement pas prêts à traiter 180 échantillons par an : les méthodes d’extraction et d’analyse sont assez compliquées, en particulier le comptage qui se fait soit à l’œil, soit à l’aide de microscopes infrarouges.

Le réseau actuel fonctionne avec un financement situé entre 1 et 1,5 million d’euros par an. Mais si l’on veut doser les produits phytosanitaires, analyser la biodiversité des sols et, à terme, doser les microplastiques, le budget nécessaire serait d’environ 3 millions d’euros. Il faudrait ajouter encore 500 000 euros pour l’outre-mer.

Mme Céline Pelosi. Il me semble nécessaire de renforcer le processus d’autorisation de mise sur le marché qui est, à l’heure actuelle, franchement défaillant. Il faut également renforcer les dispositifs de mesure a posteriori, une fois que les molécules sont mises sur le marché, pour bénéficier d’un vrai réseau de mesure et de suivi.

M. le président Frédéric Descrozaille. Nous vous remercions à nouveau pour la qualité de vos interventions et pour l’aide que vous nous apportez.

 

 La séance s’achève à dix heures quarante-cinq. 

 

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents.  Mme Anne-Laure Babault, M. André Chassaigne, M. Frédéric Descrozaille, M. Jean-Luc Fugit, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Mathilde Hignet, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier, Mme Mélanie Thomin