Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Masseglia, ancien président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) (en visioconférence) 2
– Présences en réunion................................13
Jeudi
28 septembre 2023
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 16
session de 2022-2023
Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à dix heures.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Denis Masseglia, ancien président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) de 2009 à 2021. Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.
L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes :
– l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;
– l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;
– l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
Depuis de nombreuses années, vous évoluez au sein des plus hautes instances du sport français. Si cette commission d’enquête existe aujourd’hui, c’est parce qu’au sein de ces instances, des défaillances de toute sorte ont été mises à jour et perdurent.
Pourriez-vous nous dire quelles sont les défaillances dans le champ de notre commission d’enquête dont vous avez eu connaissance dans les différentes fonctions que vous avez exercées, et notamment en tant que président du CNOSF ? Comment en avez-vous eu connaissance et quelles suites y ont été données le cas échéant ?
En application du code du sport, le CNOSF est chargé de veiller au respect de l’éthique et de la déontologie du sport. Pouvez-vous nous indiquer précisément comment le CNOSF exerce cette mission ?
Le CNOSF a mis en place, sous la présidence de votre successeur, madame Brigitte Henriques, une commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Que pensez-vous de cette initiative et de l’action de cette commission ? Aviez-vous envisagé l’instauration d’une telle commission ? Comment ces sujets étaient-ils traités lorsque vous étiez président du CNOSF ? Ce traitement vous a-t-il semblé satisfaisant ?
Vous étiez président du CNOSF lorsque le mouvement MeToo a éclaté dans le monde du sport, sous l’effet notamment des révélations de Sarah Abitbol. Avez-vous pris des dispositions particulières pour répondre à ce mouvement de libération de la parole ?
En janvier 2020, vous aviez dressé le constat suivant : le sport français traverse « une crise grave, voire gravissime ». Vous aviez ajouté : « S’il n’y a pas une coopération étroite entre le pouvoir politique, la justice, l’intérieur et le monde associatif, on n’y arrivera pas. […] Il y a trois sujets : les victimes, les prédateurs à éliminer et la confiance à redresser, pour que les parents ne se détournent pas des clubs. » Les mesures nécessaires ont-elles été prises depuis lors ?
Dans un entretien au journal Le Monde daté de 2020, vous reveniez sur les propos de Noël Le Graët, alors président de la Fédération française de football (FFF). D’après ce dernier, « le phénomène raciste dans le sport, et dans le football en particulier, n’existe pas ou peu ». En réaction à ces déclarations, vous affirmiez : « Je dirais qu’il existe très, très, très, très peu. » Pourriez-vous revenir sur ce constat ?
Enfin, nous aimerions plus généralement connaître votre appréciation personnelle sur la gouvernance du sport et les évolutions qui vous paraîtraient souhaitables.
Je précise que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Denis Masseglia prête serment.)
M. Denis Masseglia, ancien président du Comité national olympique et sportif français. Durant mon mandat de président fédéral, entre 1989 et 2001, je n’ai connu presque aucune affaire ou difficulté de ce type. Les difficultés ont émergé à partir du mouvement MeToo. Nous avons tous été frappés de plein fouet par ces révélations, qui nous ont obligés à analyser la situation et à essayer de prendre rapidement des mesures. Je constate que la pression n’a cessé de s’intensifier entre 2018 et 2021.
Le plus préoccupant de mon point de vue est que toute crise traversée par un sport ou une institution rejaillit sur l’ensemble du monde sportif. Or, la priorité consiste, d’après moi, à ne pas détourner les enfants et les parents du cœur de l’activité sportive, à savoir le club. À titre personnel, je n’aurais jamais connu ce parcours sans mon club. Le club permet d’acquérir des valeurs de respect de soi, des autres et de la règle, de grandir et de devenir homme et citoyen.
Ces valeurs sont véhiculées non par le sport lui-même, mais par un club ayant un encadrement, une structure et des règles, ainsi qu’un apprentissage de la compétition. Il est essentiel de faire comprendre à tous que la pratique du sport en solitaire ne permettra jamais à un individu de se construire. Le contact avec les autres est nécessaire pour tisser des relations, trouver des repères et se forger des valeurs. Il faut donc impérativement conduire l’ensemble du dispositif sportif à être le plus exemplaire possible, pour éviter la généralisation à tous des comportements de quelques-uns.
J’ajoute qu’il est extrêmement compliqué de distinguer les différentes formes de violence. Il est certain que les violences sur mineurs sont les plus répréhensibles de mon point de vue, puisque le club remplit une mission éducative avant tout. Il faut aussi comprendre les difficultés à agir. Il peut arriver que la fédération ne soit pas au courant de certains agissements. Lorsque les difficultés sont révélées, on demande à la fédération d’agir mais comme elle n’a pas été informée, elle a du mal à justifier ce qu’on peut qualifier d’inertie.
Il arrive aussi que des individus, pris sur le fait alors qu’ils commettaient des actions répréhensibles dans une pratique sportive ou un club, reprennent des fonctions dans un autre club ou sport sans avoir subi de condamnation. Le temps de la justice et le temps du monde associatif sont très différents l’un de l’autre. Il est essentiel de porter une vue d’ensemble sur la situation pour espérer résoudre les problèmes, sous peine de rester dans l’incantation.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je rappelle qu’en application du code du sport, le CNOSF veille au respect de l’éthique et de la déontologie du sport, définies par une charte établie par lui. Comment le CNOSF remplit-il précisément cette mission ? Par ailleurs, la charte qui doit être transposée par les fédérations datait de 2012 et n’a été rénovée qu’en 2022 : pourquoi ?
M. Denis Masseglia. Le CNOSF est en effet à l’initiative de la charte de déontologie, qui est transposable à toutes les fédérations. La rédaction d’une telle charte prend beaucoup de temps. Pour veiller au respect de l’éthique, les prérogatives du CNOSF sont limitées : tout au plus peut-il adresser des rappels fermes sur les principes éthiques et déontologiques. Il ne possède aucun pouvoir de sanction sur les contrevenants.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Monsieur Masseglia, vous êtes le « dirigeant type » du sport français. Vous avez été président de club, président de la Fédération française d’aviron, et vous avez dirigé le mouvement sportif en tant que président du CNOSF pendant 12 ans – l’équivalent de trois olympiades. À ce titre, quelles ont été vos actions en faveur de la bonne gouvernance des fédérations sportives ?
M. Denis Masseglia. Je suis passionné par ces questions de gouvernance. J’ai milité pour fixer une limitation d’âge à la présidence du CNOSF, et j’ai d’ailleurs été personnellement touché par cette mesure. C’est important de montrer l’exemple. Je considère qu’au-delà d’un certain âge, il faut savoir laisser sa place. Il y a notamment un enjeu d’image.
Au cours de mon deuxième mandat, aux alentours de 2013, j’ai tenu à ce que l’on présente des propositions pour mettre en place une nouvelle gouvernance des fédérations. À l’époque, David Lappartient, l’actuel président du CNOSF, avait été chargé de rédiger ces propositions. Je regrette que les fédérations n’aient pas pris conscience, à l’époque, qu’il aurait été préférable qu’elles renforcent elles-mêmes leurs règles statutaires au lieu d’y être contraintes par la loi. Au niveau international, les fédérations olympiques se sont dotées elles-mêmes de règles contraignantes sur la parité, la limitation du nombre de mandats etc. Il est évident que les fédérations auraient été beaucoup plus fortes et auraient gagné à créer les conditions du renouvellement de leurs règles statutaires plutôt que de se les voir imposer par la loi. Cet exemple est assez révélateur d’un modèle français qui attend tout de l’État et qui est assez peu imité à l’étranger.
En résumé, nous avons avancé des propositions qui n’ont pas été suivies par les fédérations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je comprends qu’en douze ans de mandat, vous n’avez par exemple pas engagé d’actions contre les violences sexuelles et sexistes. Que pensez-vous des affaires traversant les fédérations aujourd’hui : les malversations financières, les abus de confiance ou encore les situations financières dégradées ? Pour prendre un autre exemple, je rappellerai que des affaires ont éclaté durant votre présidence du CNOSF. À cette époque, les faits n’avaient pas forcément été signalés, mais certaines victimes soutiennent avoir alerté dès le départ leur fédération ou leur club. Je pense notamment aux témoignages de Sarah Abitbol ou de Catherine Moyon de Baecque. J’ajoute que Najat Vallaud-Belkacem avait suggéré de créer un observatoire sur les violences faites aux sportives, mais vous n’avez pas donné suite à cette proposition. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
M. Denis Masseglia. Je vous rappelle que Najat Vallaud-Belkacem n’a été ministre des sports que trois ou quatre mois. Il faut comprendre que le dialogue entre le ministère des sports et le Comité olympique nécessite du temps, surtout lorsqu’il est question de nouvelles actions.
Par ailleurs, je voudrais souligner que les fédérations n’ont pas été les seuls acteurs dans les affaires que vous évoquez. En ce qui concerne le cas de Sarah Abitbol, le principal coupable est Gilles Beyer, cadre technique d’État. Il serait un peu simple de résumer les responsabilités en disant : « la faute à la fédé ! »
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vous, quelle est la chaîne de responsabilités ayant conduit à cette affaire, ou à d’autres ? Plusieurs victimes auditionnées dans cette commission d’enquête ont déclaré qu’elles avaient signalé des faits pendant plusieurs années sans qu’aucune action soit mise en œuvre.
M. Denis Masseglia. Je ne suis pas en mesure de vous apporter des précisions sur la chaîne de responsabilités. Comme vous l’avez vous-même expliqué, nous n’avons pas eu d’éclairage complet sur ces situations pendant plusieurs années. Ce que je peux dire, c’est que ces affaires illustrent toute la complexité de notre modèle sportif. Celui-ci implique de nombreux acteurs, et il faut veiller à bien identifier le donneur d’ordres. Cette réalité est à l’origine de multiples difficultés.
Roxana Maracineanu, ministre des sports de l’époque, a souhaité que Didier Gailhaguet, le président de la fédération de patinage de l’époque, assume l’échec ou les difficultés relatives à ces affaires. Je ne défends pas particulièrement Didier Gailhaguet mais je veux seulement relever que ce dernier a quitté son poste avant d’intenter un procès contre le ministère des sports, dont il est sorti gagnant. Il faut accepter l’idée que la situation est compliquée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez précisé que Najat Vallaud-Belkacem n’avait été ministre des sports que quelques mois. Pour autant, la question des violences dans le monde sportif ne justifiait-elle pas, par son importance, de commencer à travailler à la mise en place d’un observatoire sur les violences, ou d’autres dispositifs de prévention ? Ce sujet ne méritait-il pas à tout le moins qu’on y travaille ?
M. Denis Masseglia. Je ne prétends pas le contraire, mais le fait est que ce travail nécessite de prendre des contacts avec tous les acteurs concernés. C’est à ce moment qu’ont débuté les prises de contact avec des associations telles que Colosse aux pieds d’argile. Encore une fois, il faut analyser la situation de manière pondérée. Il était impossible de trouver en quelques mois les solutions à un problème qui vous éclate en pleine figure mais dont vous n’avez jamais entendu parler jusqu’alors.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne vous cache pas que j’éprouve une certaine inquiétude en écoutant vos propos. Si vous-mêmes, en tant que président de fédération et président du CNOSF, n’êtes pas en mesure de traiter ce sujet jugé trop complexe, qui d’autre peut le faire ? Qui est habilité à créer des dispositifs pour protéger les victimes et faire cesser les malversations ? Ce rôle incombe-t-il aux fédérations, au ministère, au CNOSF ou encore à l’Agence nationale du sport (ANS) ?
M. Denis Masseglia. Je viens de dire que nous devons composer avec un système complexe. Sachez que j’ai connu 13 ministres en tant que président du CNOSF. La plupart d’entre eux vantaient le modèle français, prétendument envié du monde entier. J’ai systématiquement précisé que nul n’avait jamais imité ce système complexe.
Permettez-moi d’évoquer une anecdote éclairante sur ce point. J’ai assisté à la finale des championnats d’Europe de volley-ball, qui s’est déroulée dans l’arena de Rome qui est géré par le Comité olympique italien, qui gère également le stade de Rome et le Foro Italico (accueillant les tournois internationaux de tennis). Vous paraît-il concevable que le CNOSF administre le Stade de France, voire d’autres installations sportives ?
Nous sommes dans un système dans lequel il est compliqué d’accepter l’idée de faire confiance aux acteurs du monde du sport.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je comprends de vos propos que le mouvement sportif, en raison de son organisation trop complexe, ne peut pas entreprendre d’actions concrètes dans ce domaine. Nous ne savons pas vraiment qui prend les décisions. Considérez-vous que le ministère des sports et l’État ne jouent pas leur rôle de contrôle ?
M. Denis Masseglia. Je n’ai pas tenu précisément ces propos. J’ai affirmé que tous les acteurs se servent d’une certaine complexité. Pour revenir à l’affaire Sarah Abitbol, le principal accusé se nomme Gilles Beyer. C’est un cadre technique d’État mis à disposition de la fédération. Nous avons assisté à une partie de ping-pong dans l’établissement de la responsabilité. Son employeur est en réalité le ministère des sports, même s’il travaille au quotidien pour la fédération. Dans ces conditions, qui est son véritable patron : la structure qui le rémunère, ou bien celle qui lui donne des directives ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dès l’instant où un président de fédération ou de club est averti de faits très graves, ne pensez-vous pas qu’il lui incombe de se saisir de l’article 40 et de signaler les faits à la justice, ou à la police, au ministère et à l’État ? Je vous repose la question : qui fait quoi ?
M. Denis Masseglia. Vous avez tout à fait raison sur le fait qu’il appartient au président de fédération ou de club, ou à d’autres acteurs, de déclencher l’article 40 lorsqu’ils ont connaissance de ce type d’agissements. Mais il serait intéressant aussi de connaître le nombre de déclenchements de l’article 40 par des présidents de fédération ou de club qui n’ont débouché sur rien. J’ai reçu plusieurs témoignages en ce sens, qui montrent que le monde sportif est un peu démuni.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Au cours des auditions de victimes tenues dans cette commission d’enquête, il nous a été rapporté qu’au sein de la délégation française, un seul psychologue était présent pour accompagner les sportifs de haut niveau durant la dernière édition des Jeux olympiques. Parfois, cet accompagnement s’effectuait à titre privé, à la demande des athlètes. Cela vous paraît-il normal ? Comment s’exprimer et signaler des gestes inappropriés dans ces conditions ?
M. Denis Masseglia. Vous faites sans doute allusion à la dernière délégation aux Jeux olympiques de Tokyo. Je suis personnellement intervenu pour nommer une psychologue supplémentaire, à la demande des athlètes et de Teddy Riner en particulier. Ce problème s’explique par le nombre limité d’accréditations aux Jeux olympiques, qui nous oblige à opérer un choix entre les entraîneurs et les autres personnalités exerçant un rôle important.
Il faut savoir que les athlètes peuvent être marqués par diverses choses. Vous avez vous-même été frappée par l’insuffisance de telle ou telle fédération. En retour, je voudrais vous faire part d’un événement qui m’a beaucoup marqué. Daniel Jérent, champion olympique d’escrime en 2016, a été victime d’un accident de la route en novembre 2020. Il a reçu une transfusion, mais le sang du donneur contenait une substance interdite. Il a donc été testé positif. En juin 2021, deux mois avant les Jeux olympiques, j’ai appelé l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), stupéfait de constater que nous n’avions pas reçu de décision à propos de cet athlète. Huit mois n’ont donc pas suffi pour réunir les éléments permettant d’établir la culpabilité ou l’innocence de Daniel Jérent. Après les Jeux olympiques, il lui a été indiqué qu’il ne subirait pas de sanction s’il acceptait de reconnaître sa culpabilité. Il a refusé cette demande, et a été formellement innocenté quelques mois plus tard. Cet incident, entièrement indépendant de la fédération, a ruiné la carrière de l’athlète. Il faut donc se garder de tout raccourci hâtif. Toutes les affaires sont compliquées.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Soyez rassuré, nous ne faisons pas de raccourci. Depuis plusieurs mois, nous auditionnons de nombreuses personnes du mouvement sportif, dont de nombreuses victimes malheureusement.
Vous avez déclaré que de nombreux présidents de fédération ont recours à l’article 40, mais que ces procédures restent sans suite. Avez-vous déjà déclenché cet article et, le cas échéant, sur quel sujet ?
M. Denis Masseglia. Je n’ai jamais eu l’occasion de le faire. En revanche, j’ai récemment déposé une plainte contre X auprès du parquet national financier à propos de la gestion du CNOSF. J’ai pris mes responsabilités, en fonction du contexte.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’en conclus que pendant toute la période où vous avez été président de fédération ou président du CNOSF, vous n’avez jamais eu connaissance de faits justifiant le recours à l’article 40.
M. Denis Masseglia. En effet mais c’est que je n’ai jamais été véritablement sollicité par quiconque pour déclencher cet article. On peut me reprocher de ne pas avoir créé l’observatoire demandé par Najat Valaud-Belkacem. À l’époque, tout relevait de la relation entre les fédérations et le ministère des sports. Aujourd’hui, on demande au CNOSF d’avoir une action un peu plus élaborée en matière déontologie ou d’éthique, mais à l’époque, la réalité était très différente. Je répète que je n’ai jamais été sollicité officiellement par quiconque.
J’ai eu à cœur de traiter tous les sujets dont j’ai été saisi. Je n’ai jamais abandonné quiconque lorsqu’il sollicitait une aide.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous été informé officieusement de certains faits, y compris lorsque vous étiez président de la fédération d’aviron, qui auraient pu entraîner le déclenchement de l’article 40 ?
M. Denis Masseglia. Je dois avouer que lorsque j’étais président de la fédération, j’ignorais l’existence de l’article 40. À cette époque, j’ai effectivement dû instruire le cas d’une athlète qui prétendait avoir été dopée à son insu. Mais cette affaire, qui a été traitée en justice, ne relève pas de votre commission d’enquête.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En résumé, vous n’avez jamais connu d’affaire nécessitant un signalement en 25 ans de présidence de la fédération puis du CNOSF.
M. Denis Masseglia. Je n’ai jamais recouru à l’article 40 à titre personnel.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est pas exactement le sens de ma question. Avez-vous été informé, au cours de ces 25 ans, de faits susceptibles de justifier un recours à l’article 40 ?
M. Denis Masseglia. La réponse est négative. Si j’avais eu le sentiment qu’une action aurait pu permettre de sauver un athlète, une fédération ou toute autre personne, j’aurais utilisé l’article 40. Cela ne m’a pas empêché d’intervenir dans différentes situations, en tant qu’intermédiaire, pour tenter de pacifier des relations. Mais ces actions étaient indépendantes de l’article 40.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Plusieurs personnes auditionnées ont mentionné le rôle des conciliateurs entre les victimes et les auteurs, dans certaines fédérations. J’aimerais savoir sur quels dossiers vous êtes intervenu en tant que conciliateur, sans recourir à l’article 40, au sein de la fédération ou du CNOSF.
M. Denis Masseglia. Il s’agit essentiellement de dossiers de sélections, notamment olympiques, dans lesquels il s’agit de rapprocher les points de vue. Le dernier en date concerne la sélection d’une jeune athlète de skateboard, Madeleine Larcheron. Dans ce cadre, je suis intervenu pour faciliter le dialogue entre les parents et la fédération, qui ne souhaitait pas que ces derniers accompagnent leur fille aux Jeux olympiques de Tokyo. Cette athlète étant âgée de 14 ans, il ne fallait évidemment pas la laisser seule, et j’ai obtenu qu’elle puisse être accompagnée par ses parents.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Au cours des auditions précédentes, nous avons souvent entendu dénoncer l’omerta généralisée qui régnerait dans chaque discipline sportive : « On peut dire que tout le monde sait, mais personne ne dit rien. » Qu’en pensez-vous ?
M. Denis Masseglia. Je ne partage pas ce sentiment. Il me paraît dangereux de généraliser une situation qui ne touche que quelques personnes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Notre propos n’est pas de généraliser. Je me contente de vous rapporter les propos entendus lors des auditions et de vous demander votre avis.
M. Denis Masseglia. J’ignore qui a tenu ces propos. Il est vrai qu’il existe une omerta dans certaines fédérations ou pratiques sportives. C’est une réalité indéniable, mais elle ne concerne pas la majorité des fédérations. Là où elle existe, il faut la faire cesser. Le plus grand danger à l’avenir réside dans l’éloignement du sport organisé et fédéré. La pratique du sport en solitaire ne permettra jamais d’inculquer à un individu des repères et des valeurs. La fréquentation d’un club est indispensable pour les acquérir. Les discours généralisant les dérives relevées dans certains clubs risquent de causer de sérieux dégâts à la société, et beaucoup de tort aux millions de bénévoles dont le seul objectif est de faire grandir des jeunes et de les préparer à leur avenir.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous confirmez-vous ne jamais avoir constaté d’omerta durant votre présidence au CNOSF ?
M. Denis Masseglia. Je vous le confirme.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous affirmez donc n’avoir eu connaissance d’aucune situation d’homophobie, de harcèlement ni d’agression au cours des 25 ans passés en tant que président du CNOSF ou de fédération. Depuis l’ouverture de la cellule Signal-sports, près de 1 000 signalements ont été enregistrés en deux ans. Pouvez-vous nous confirmer que vous n’avez eu connaissance d’aucun fait, en 25 ans, susceptible de donner lieu à un signalement à cette cellule ?
Par ailleurs, vous venez de déclarer qu’il existe une omerta dans certaines fédérations. Cela signifie que des agissements graves y sont commis sans être signalés. Pouvez-vous nous dire à quelles fédérations vous faites référence ? Devons-nous comprendre que certains faits sont connus, mais non signalés ?
M. Denis Masseglia. Dès l’instant où il existe une suspicion d’omerta ou de difficulté, la personne qui envisage de dénoncer les faits doit détenir un nombre suffisant d’éléments pour ne pas risquer d’être attaquée en retour. En ce qui me concerne, j’ai eu connaissance de violences – pas seulement sexuelles – subies par les athlètes, mais uniquement au cours des dernières années. Je tiens à remettre en perspective mes 25 ans en tant que président de fédération et du CNOSF : il ne faut pas oublier que la succession d’affaires que vous évoquez date de quatre ou cinq ans seulement. J’ajoute que durant cette période, le CNOSF était aussi chargé d’un dossier de candidature aux Jeux olympiques, d’une réforme de la gouvernance des sports et d’autres projets. Les journées ne durent que 24 heures, et j’ai pourtant une certaine puissance de travail.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De nombreux sportifs ont effectivement estimé qu’on semblait prêt à sacrifier à peu près tout pour ces Jeux olympiques, y compris le sort des victimes de violences sexuelles très graves dans certains clubs. Mais cette candidature ne vous exonérait pas de vos responsabilités en tant que président du CNOSF ou de fédération : vous étiez tenu de signaler les faits portés à votre connaissance. Je m’efforce de comprendre pour quelles raisons ces signalements n’ont pas été effectués. Craigniez-vous des attaques pour diffamation, par manque d’éléments probants, ou considériez-vous que le mouvement sportif et les Jeux olympiques devaient être protégés envers et contre tout ?
M. Denis Masseglia. Je n’ai eu aucune de ces deux réactions. Je répète que je n’ai jamais été saisi à titre personnel de faits de violence. Mes propos précédents étaient relatifs à des engagements sur certaines sollicitations. Je tiens à préciser que je ne minimise en aucune façon les difficultés engendrées par les différentes formes de violence sur la vie des athlètes, et que la candidature aux Jeux olympiques ne justifie évidemment pas de passer sous silence ces agissements. Ces violences sont contraires aux valeurs du sport.
Je voudrais aussi rappeler que si la France a été choisie pour accueillir les Jeux olympiques en 2024, c’est parce que le CNOSF s’est engagé en 2011 à remporter l’organisation de ces jeux. Toutefois, cette démarche n’était pas motivée simplement par la volonté de démontrer notre capacité d’organisation d’un événement qui va toucher des millions de téléspectateurs. Il s’agissait avant tout de faire de la France une grande nation sportive. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce qu’on entend par « grande nation sportive » et nous ne sommes pas tous d’accord sur ce point.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Face à une affaire de violence sexuelle, de discrimination, de racisme ou de corruption financière, il n’est pas nécessaire que le dirigeant d’un organe tel qu’une fédération ou le CNOSF soit saisi pour agir. Il suffit qu’il soit témoin des faits, ou même informé ou alerté par des tiers, pour déposer un signalement. Si la situation s’est présentée, vous auriez dû intervenir.
M. Denis Masseglia. Je suis d’accord avec vous, mais lorsque j’ai été informé de certaines affaires, elles étaient déjà devenues publiques. Je pense notamment au cas de Sarah Abitbol ou de Catherine Moyon de Baecque. Je n’avais pas été saisi directement de ces problèmes.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous étiez à la tête du CNOSF, les présidents de fédération alors bénévoles ont pu être rémunérés. Selon quelle logique, d’après vous, un bénévole peut-il être rémunéré pour un mandat d’élu fédéral ? Cette décision vise-t-elle à limiter les abus liés au remboursement de frais ? Pourriez-vous nous expliquer comment vos frais étaient remboursés en tant que président de fédération puis du CNOSF ?
M. Denis Masseglia. Je souhaiterais commencer par rectifier un point. La possibilité de rémunérer les dirigeants de fédération a été obtenue sous la présidence d’Henri Sérandour, avec ma participation, avant 2009.
La logique à laquelle je souscris à titre personnel est la suivante : un dirigeant de fédération ne doit pas perdre d’argent du fait de ses fonctions, mais ne pas en gagner pour autant. À titre personnel, j’ai toujours exercé mes mandats de manière bénévole, jusqu’en 2009, date de mon élection à la présidence du CNOSF. J’avais décidé que je demanderais à être indemnisé de la perte financière subie si j’étais élu, et que dans le cas contraire, je ferais valoir mes droits à la retraite, quitte à perdre la moitié de mon salaire. Une fois élu, j’ai demandé une indemnité d’environ 3 000 euros par mois correspondant à l’euro près à mon salaire de professeur en classe préparatoire aux grandes écoles. Pour mon troisième mandat, je n’étais plus en âge d’exercer une activité professionnelle. J’ai donc demandé à être entièrement bénévole.
Vous ne pouvez savoir combien j’ai été affecté par l’article du Monde m’accusant d’avoir cherché à dissimuler des frais de mission au CNOSF. J’habitais alors dans un studio appartenant au CNOSF, je faisais mes courses à Franprix et je n’ai jamais pris un seul repas sur le compte du CNOSF. Quant à mes frais de déplacement, je prenais essentiellement l’avion. Je reconnais que ce mode de transport n’est pas idéal dans le contexte actuel, mais il me permettait de gagner du temps. Je suis blessé quand on me parle de ce sujet. Le fait est que je me suis appauvri financièrement en étant dirigeant du CNOSF, mais enrichi intellectuellement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous faites référence à l’article du Monde qui faisait état de 30 000 euros de frais de mission.
M. Denis Masseglia. J’ai tenu à ne pas bénéficier de frais de mission au CNOSF et à payer moi-même les dépenses qui auraient pu être considérées comme telles. Je ne voulais pas être le président du CNOSF ayant les notes de frais les plus élevées.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il a manifestement été proposé de diviser le montant de ces frais en deux parties, la première étant facturée sur une société vous appartenant et la seconde partie au CNOSF. La modification a posteriori de la ligne de facturation est-elle une pratique courante de remboursement de frais ?
M. Denis Masseglia. Le remboursement de frais nécessite une lettre de mission clairement définie. Ce document n’a jamais été établi, ce qui pouvait entraîner des difficultés de justification de certains frais. Ma seule préoccupation a été de limiter autant que possible les montants à me rembourser par le CNOSF. Il ne faudrait pas déformer mes propos.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne déforme pas vos propos, je me réfère simplement à des informations écrites. Jugez-vous correct, sur le plan éthique, d’engager 30 000 euros de frais et de les facturer a posteriori pour partie sur une société, pour partie sur le CNOSF ? Dans mon souvenir, les avocats avaient estimé que ce montage financier n’était pas autorisé.
M. Denis Masseglia. Non ce n’est pas ce qu’ils ont répondu puisqu’en tant que président honoraire, je n’étais pas soumis aux mêmes obligations qu’un membre du conseil d’administration ou toute autre partie prenante. Vous en faites une question d’éthique ce qui est encore plus blessant pour moi.
Sous ma présidence, le CNOSF a fait l’objet d’enquêtes de la Cour des comptes. À l’époque, j’avais pris l’habitude de me déplacer dans une voiture avec chauffeur, comme le faisait mon prédécesseur. Après le décès du chauffeur, j’ai pris la décision de ne pas renouveler ce contrat. Je conduisais donc mon véhicule ou je prenais des taxis. Mes frais de transport ont augmenté de près de 10 000 euros. Dans le même temps, une économie d’environ 45 000 euros a été réalisée en supprimant le poste de chauffeur. La Cour des comptes m’a répondu qu’il n’existait pas de lien entre ces deux lignes budgétaires. Cet épisode m’a traumatisé, et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu limiter autant que possible mes frais de mission. Je préférais donc travailler et donner des conférences pour pouvoir me déplacer et être hébergé sans que cela n’entraîne aucun coût pour le CNOSF. De mon point de vue, je n’ai commis aucun manquement à l’éthique. Les faits étaient entièrement transparents.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous revenir sur la crise de gouvernance traversée par le CNOSF et sur les tensions qui vous ont opposé à Brigitte Henriques ?
M. Denis Masseglia. J’ai écrit aux présidents de fédération pour leur expliquer ma décision de déposer plainte contre X. Il y a 7 à 8 chefs d’accusation qui ont fait que je n’avais pour seule solution que de porter plainte auprès du parquet national financier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez soutenu la candidature de Mme Henriques pour vous succéder à la tête du CNOSF. En quoi, selon vous, incarnait-elle les valeurs du mouvement sportif alors qu’elle était issue de la FFF – une fédération bien connue pour ses scandales, notamment financiers et en matière de violences sexuelles et sexistes ? Quelles raisons ont motivé votre choix ?
M. Denis Masseglia. En tant que président en exercice, il était légitime que je me préoccupe de ma succession. À l’époque, le candidat naturel était Michel Vion, président de la Fédération française de ski. Il m’a prévenu en décembre 2020 qu’il ne serait finalement pas candidat. Plusieurs collègues m’ayant recommandé de choisir une candidate, le nom de Brigitte Henriques, vice-présidente, a été évoqué. Elle s’occupait du football féminin qui n’a pas la même image que le football masculin. Après m’être renseigné auprès de différents contacts à la Fédération Française de football, j’ai soutenu sa candidature. Par la suite, j’ai déclaré m’être trompé et avoir été trompé dans ce choix. Plusieurs événements ont rendu le départ de la nouvelle présidente inéluctable. Je regrette d’avoir dû déposer une plainte, la seule de ma vie, contre X sur la gestion du CNOSF.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous avez soutenu la candidature de Brigitte Henriques, saviez-vous qu’elle était visée pour des faits de harcèlement ?
M. Denis Masseglia. Je l’ignorais. J’ai découvert l’affaire Jacky Fortepaule a posteriori, en prenant connaissance du dossier complet qui m’avait été envoyé. Avec les attendus du jugement et les propos qui avaient été tenus, il y avait de quoi être assez horrifié. J’ai moi-même appelé l’une des victimes, qui m’a confié être prête à s’exprimer. Elle m’a parlé et j’ai vu dans quelles difficultés elle était. J’ai écrit au trésorier et à la secrétaire générale du CNOSF, soutiens de Brigitte Henriques, pour les informer de l’affaire.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En dehors de vos échanges avec l’une des victimes, avez-vous déposé un signalement à ce moment ?
M. Denis Masseglia. Je ne l’ai pas fait, puisque le procès avait déjà eu lieu. Je me suis appuyé sur les attendus du jugement en première instance et en appel du dossier Jacky Fortepaule. Brigitte Henriques avait déclaré, lors de son témoignage, qu’elle n’avait pas connaissance des faits, mais ces affirmations ne m’ont pas semblé logiques. Or au moins entre la première instance et le jugement en appel, elle avait forcément été informée de certains faits figurant dans le jugement. Une autre personne a indiqué qu’il aurait mieux valu qu’elle reconnaisse qu’elle était au courant. J’espère m’être bien fait comprendre.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je crains que non. Pensez-vous nous avoir tout dit au cours de cette audition ?
M. Denis Masseglia. Oui.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous pouvez nous recontacter si vous souhaitez nous transmettre des informations complémentaires. Je vous remercie.
La séance s’achève à onze heures.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, M. Roger Chudeau, Mme Sophie Mette, M. Julien Odoul, Mme Sabrina Sebaihi
Excusée. – Mme Claudia Rouaux