Compte rendu
Commission d’enquête
sur la libéralisation
du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des journalistes spécialisés : M. Gilles Dansart, directeur de Mobilettre, Mme Camille Selosse, journaliste à Contexte, M. Frédéric de Kemmeter, Mediarail, et M. Vincent Doumayrou 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État 15
– Audition, ouverte à la presse, de M. Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau 25
– Présences en réunion................................37
Mercredi
20 septembre 2023
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 10
session de 2022-2023
Présidence de
M. David Valence,
Président de la commission
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La séance est ouverte à quinze heures.
La commission procède à la table ronde, ouverte à la presse, réunissant des journalistes spécialisés : M. Gilles Dansart, directeur de Mobilettre, Mme Camille Selosse, journaliste à Contexte, M. Frédéric de Kemmeter, Mediarail, et M. Vincent Doumayrou.
M. le président David Valence. Madame, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Vous avez consacré des articles ou des interventions dans les médias au sujet du fret ferroviaire, notamment en réaction à l’annonce du plan de discontinuité retenu par le Gouvernement le 23 mai dernier. Je pense par exemple aux propos de M. Gilles Dansart dans une émission de France Culture : d’après lui, la SNCF aurait « raté le coche » du fret ferroviaire. Il s’agit là d’une expression que vous utilisez fréquemment, dans différents contextes. Quoi qu’il en soit, je sais que vous avez tous des idées, et peut-être des propositions.
Vous avez vu se succéder des tentatives de relance de Fret SNCF ou, plus largement, des programmes nationaux de développement du fret ferroviaire. Ces initiatives ont eu des succès contrastés, pour des raisons que nous nous efforçons d’analyser au sein de cette commission d’enquête.
Cette commission a deux objets.
Le premier a trait à la compréhension du déclin de la part modale du fret ferroviaire en France depuis le milieu des années 1990, même si ce processus était engagé dès la fin des années 1970. Il s’agit de tenter d’expliquer ce phénomène, bien que les rapports de causalité soient à appréhender avec méfiance, de comprendre le contexte et d’examiner les réussites diverses de nos voisins en la matière.
Dans ce paysage, marqué par l’attrition de la part modale jusqu’au timide relèvement des dernières années, nous nous intéressons spécifiquement aux conséquences de l’ouverture à la concurrence à partir de 2005‑2006 sur l’ensemble du secteur et sur la part modale – les tonnages sont restés relativement stables, mais la part modale a régressé – ainsi que ses effets sur Fret SNCF, jusqu’au plan de discontinuité adopté par le Gouvernement pour protéger l’opérateur public d’une décision européenne potentiellement délétère. Sur ce point également, nous observons la situation dans les autres pays européens, en relevant par exemple que la procédure contre l’Allemagne se situe à un stade beaucoup plus précoce que celle engagée contre la France.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Gilles Dansart, Mme Camille Selosse, M. Frédéric de Kemmeter et M. Vincent Doumayrou prêtent serment.)
M. Vincent Doumayrou. Je commencerai par rappeler quelques généralités qui relèvent peut-être déjà de l’évidence pour vous.
Tout d’abord, le transport ferroviaire est mixte : il a vocation à transporter à la fois des passagers et des marchandises. Ce double usage peut poser des difficultés, puisque les convois ne circulent pas tous à la même vitesse, mais c’est une composante intrinsèque au transport ferroviaire. D’après l’Agence internationale de l’énergie, au niveau mondial, près de 60 % des trains-kilomètres sont passagers, tandis que 40 % sont dédiés au fret. Il existe donc une mixité – voire une parité – entre ces deux types de trafics.
Autre évidence, le transport ferroviaire est moins énergivore et moins émetteur de CO2 que le transport routier ou aérien. C’est un aspect fondamental pour la transition écologique dans le secteur des transports – les Allemands parlent de Verkehrswende. C’est pourquoi je défends fermement ce mode de transport. Dans mon ouvrage La Fracture ferroviaire, je déplore l’insuffisante attention portée au trafic « conventionnel » de la SNCF – fret, intercités, trains régionaux.
Le fret, qui a toujours été majoritaire sur les rails français, est aujourd’hui en déclin, même s’il me paraît important de nuancer cette opinion. En 1938, première année d’existence de la SNCF, 26 milliards de tonnes-kilomètres de fret et 22 milliards de voyageurs-kilomètres sont dénombrés. La part du transport de marchandises est donc légèrement majoritaire.
Cette situation perdure pendant les Trente Glorieuses, avec les trains lourds de minerai de fer et de charbon. Cependant, dans les années 1960, la SNCF transporte aussi des légumes et autres marchandises plus légères. À cette période, deux tiers du transport ferroviaire sont du fret, contre un tiers de trains de voyageurs. Ces derniers progressent également, mais à un rythme plus modéré. Quant aux trains rapides ou trains express, ils sont exploités avec une logique comparable à celle du fret, qui privilégie les trains rares et lourds.
Le pic de trafic est atteint en 1973, avec 74 milliards de tonnes-kilomètres. Néanmoins, le trafic moyen dans les années 1970 oscille plutôt entre 65 et 70 tonnes‑kilomètres. Une baisse s’amorce, mais elle est encore modérée.
Dans les années 2000, la décroissance reste limitée en valeur absolue, avec 55 milliards de tonnes-kilomètres. En revanche, l’évolution en valeur relative est bien plus marquée. Après être passée sous la barre des 50 % au début des années 1970, la part modale se situe entre 15 et 20 % en 1990, ce qui reste honorable. En 1988, le responsable de l’activité des marchandises à la SNCF, M. Alain Poinssot, plaide pour la fin de la politique « attrape-tout », en vue de rentabiliser le trafic. Cette politique « attrape-tout » était animée par une conception universaliste du service public, reposant sur l’obligation de transporter et d’exploiter.
En 1989 est fondée Fret SNCF : le terme « marchandise », considéré comme désuet, est remplacé par un anglicisme jugé plus moderne. Dès cette époque, l’attrition est amorcée, avec la fermeture de trois cents gares de fret et cinq gares de triage. Malgré tout, l’activité de fret parvient à se maintenir jusqu’en 2000.
Or, au moment même où la libéralisation est annoncée comme une opportunité pour dynamiser le fret ferroviaire, ce secteur s’effondre. Le paradoxe est saisissant. La situation est aggravée par la concurrence du transport routier. Le réseau autoroutier passe de 3 000 à 12 000 kilomètres entre 1980 et aujourd’hui.
Alors qu’il représente 55 milliards de tonnes-kilomètres en 2000, le fret tombe à 44 milliards de tonnes-kilomètres en 2006 : en l’espace de six ans, il connaît une décroissance comparable à celle enregistrée entre 1970 et 2000.
En 2003, le plan Véron prévoit un recentrage des dessertes sur quatre gares de triage : Sibelin, Woippy, Villeneuve-Saint-Georges et Gevrey. L’affaiblissement du fret ferroviaire est-il imputable à la libéralisation ? Sur ce point, les avis sont très partagés. Pour le trafic international européen, la libéralisation stricto sensu débute en 2003, sur un réseau dédié. En 2006, cette réglementation est étendue à l’ensemble du trafic français. La baisse commence donc avant la libéralisation au sens strict. Cependant, la SNCF se prépare à ce changement en se délestant de ses trafics rentables. La situation peut donc être appréciée différemment selon le point de vue adopté.
Le plan Véron acte une recapitalisation de la SNCF. Au même moment, quatre cents locomotives de fret sont commandées, mais les anciens modèles sont supprimés. Bien que le trafic diminue d’un tiers, le déficit perdure : il s’élève encore à 330 millions d’euros en 2008, contre 450 millions d’euros en 2003. Bref, les marchandises partent, mais les déficits restent.
Parmi les concurrents figurent en premier lieu des filiales de grands groupes de mobilité, dont Euro Cargo Rail (ECR), qui deviendra ensuite Deutsche Bahn Cargo, une filiale d’Eurotunnel et une filiale de la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB). À partir de 2010 apparaissent aussi des opérateurs ferroviaires de proximité, ainsi que Colas Rail, filiale d’un groupe de travaux publics. Ces sociétés parviennent à augmenter progressivement leur part de marché. Depuis trois ans, les opérateurs alternatifs à la SNCF ont dépassé la barre des 50 % de tonnes-kilomètres. Cependant, l’ouverture à la concurrence n’a pas permis de redresser le fret ferroviaire : après être tombé de 40 à 32 milliards de tonnes‑kilomètres entre le milieu des années 2000 et 2010, le trafic a atteint un plateau. En d’autres termes, les gains des opérateurs alternatifs se font au détriment de Fret SNCF : il s’agit davantage d’une substitution que d’une conquête de marché sur le transport routier. La part modale s’est stabilisée à 9 ou 10 %.
De mon point de vue, cette décroissance est un immense gâchis. Elle est aussi le reflet de la désindustrialisation de la France. Le plan Véron, qui ouvre la voie à une SNCF sans fret ferroviaire, fait écho à la fameuse déclaration de Serge Tchuruk : « Alcatel doit devenir une entreprise sans usines. »
En principe, l’activité ferroviaire se caractérise par des rendements croissants : les coûts fixes sont d’autant mieux amortis que le nombre de trains est élevé. Or la réduction des dessertes empêche de résorber les déficits. Le désintérêt envers les trains Intercités se manifeste dans le secteur du fret comme dans les trains de voyageurs. Cependant, contrairement aux trains de voyageurs, le fret n’a pas bénéficié de l’évolution technologique majeure qu’a été le TGV. Le nombre d’embranchements de petites gares, qui était d’environ dix mille au début des années 1970, avoisine le millier aujourd’hui.
Par ailleurs, les opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) ne sont pas suffisamment solides pour capter les trafics perdus par la SNCF. Par contraste, le plan de restructuration lancé par la Deutsche Bahn au début des années 2000 a moins ébranlé le marché ferroviaire national, grâce à une approche sans doute plus pragmatique : les flux ont pu être repris par quelques opérateurs. Le processus de restructuration en Allemagne a donc été moins violent qu’en France.
Je suis d’avis que la France a besoin « de pain et de roses », pour reprendre la célèbre expression : à côté du « pain », c’est-à-dire les 100 milliards d’euros nécessaires pour la filière, nous avons surtout besoin de « roses », c’est-à-dire d’une stratégie et d’une vision à long terme pour le transport ferroviaire. C’est bien ce qui manque à la France, et d’autres pays parviennent à faire mieux que nous. Je pense par exemple à l’Autriche : avec une densité de population comparable à celle de la France, elle a su développer beaucoup plus son fret ferroviaire.
M. Gilles Dansart. Je suis toujours très heureux de me prêter à l’exercice inverse à ma profession et de répondre à des questions plutôt que d’en poser.
S’il est impossible de réécrire l’histoire avec aussi peu de recul, je suis convaincu qu’avec l’âge, nous sommes en mesure de traquer les réécritures de l’histoire. Or, plusieurs témoignages au sein de cette commission montrent que cette menace est bien réelle.
Plusieurs raisons permettent de comprendre la situation actuelle du fret ferroviaire. Il faut distinguer les causes exogènes des causes endogènes. Les premières ont été rappelées en détail et ne font aucun doute : la capacité remarquable du transport routier à améliorer ses performances ; l’insuffisant effort de modernisation de la part des pouvoirs publics, malgré l’ampleur des dépenses accumulées ; la priorité donnée aux TGV sur les réseaux classiques, notamment au détriment du fret ; la croissance des trafics de voyageurs, qui a réduit le nombre de sillons disponibles pour le fret ; les réticences de la société française envers la circulation des trains de fret la nuit.
À ces causes exogènes s’ajoutent des causes endogènes, qui expliquent le paradoxe mis en évidence par Vincent Doumayrou : les efforts déployés n’ont pas permis d’enrayer la glissade du fret, en raison de l’insuffisante modernisation de l’outil industriel dans les années 1970. L’actionnaire public unique de la SNCF et la SNCF elle-même sont coresponsables de cette réalité. Le fait est, que depuis la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, la question ferroviaire a été appréhendée essentiellement à travers des chiffres, sans l’inscrire dans une logique industrielle globale et complète. Les compétences de la SNCF sont plutôt dirigées vers l’activité de transport de voyageurs, notamment sur le TGV. L’attention managériale se porte beaucoup plus sur d’autres types de trafic que sur le fret et sa qualité de service. Les méthodes managériales elles-mêmes ont sans doute manqué d’ajustements. En 2013, un ancien dirigeant de la SNCF haranguait ainsi les journalistes : « Cessez de faire de la réclame pour le fret ferroviaire ! Les marchandises ne votent pas. Laissons-les, comme les Chinois, emprunter la route. » Alors que les vertus du fret ferroviaire étaient déjà connues, un certain cynisme n’hésitait pas à les renier ouvertement.
La libéralisation a-t-elle précipité le déclin, ou est-ce le déclin qui a précédé la libéralisation ? En tout état de cause, il semble bien que l’insuffisante adaptation de l’appareil aux exigences contemporaines, ne serait-ce qu’au regard de la traçabilité par les chargeurs de la marchandise ou de la qualité de service, ait été antérieure à la libéralisation. Nous pouvons considérer que la libéralisation proposée par les autorités européennes était de nature à redynamiser un fret ferroviaire ayant échoué à relever les défis contemporains. Je serai donc extrêmement prudent quant à la responsabilité imputée à la libéralisation.
Enfin, comme l’a précisé Vincent Doumayrou, la décroissance du fret requiert une explication systémique, ce qui implique une responsabilité des acteurs publics et de la SNCF.
Mme Camille Selosse. Je travaille pour le média Contexte, dont la rédaction est basée pour partie à Paris et pour partie à Bruxelles. Dans le cas présent, cette information n’est pas anecdotique.
J’ai commencé à couvrir le secteur ferroviaire au cours de l’hiver 2014-2015. À ce titre, j’ai suivi divers événements et pris connaissance de plusieurs rapports. L’historique du déclin du fret ayant été tracé par mes collègues, je centrerai mon propos sur la période récente.
La politique publique mise en œuvre au cours des dernières années en matière de fret repose sur deux piliers : d’une part, la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire prévue par la loi d’orientation des mobilités (LOM) en 2019, mais publiée en 2021 ; d’autre part, l’objectif de doublement de la part modale du fret d’ici à 2030, inscrit dans la loi Climat et résilience de 2021.
Dès octobre 2022, l’Association française du Rail (AFRA) pointait le caractère inatteignable de cet objectif et mettait en question les moyens mis en œuvre. Si la part du fret a augmenté en 2021 et en début d’année 2022, elle a diminué à partir du second semestre 2022, d’après les données de l’Autorité de régulation des transports. Le mouvement s’est donc inversé, en particulier à cause de la crise énergétique.
En 2023, un porte-parole de la coalition 4F auditionné au Sénat relevait des difficultés inédites au premier semestre, avec une baisse de 20 %, et dénonçait un « mur de silence ». Dans le même temps, il constatait qu’une partie des soixante-douze mesures de la stratégie nationale avaient permis d’amorcer une tendance positive.
Sans revenir sur les causes, qui ont déjà été largement abordées par mes confrères, je voudrais m’arrêter sur la question de l’état du réseau. De nouveaux fonds sont débloqués depuis quelques années. En février 2023, un plan pour le réseau ferroviaire a été annoncé, dont les modalités de financement et de mise en œuvre restent à définir.
Je crois également savoir qu’une mission conjointe sur les péages ferroviaires vient d’être lancée par le ministère des transports et par le ministère de l’économie. Cette mission se concentrera sur les péages pour le trafic de voyageurs, mais s’intéressera aussi aux péages dédiés au fret. Elle vise à dresser un état des lieux et à avancer des propositions compatibles avec les finances de SNCF Réseau.
M. le président David Valence. Il s’agit d’une mission très récente de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable et de l’inspection générale des finances.
Mme Camille Selosse. En effet. Elle doit rendre ses conclusions pour la fin de l’année 2023.
Je voudrais aussi mentionner deux rapports susceptibles d’alimenter vos réflexions. Je pense en premier lieu à un référé de la Cour des comptes de 2017 portant sur Fret SNCF pour la période 2008-2016. La Cour des comptes s’interrogeait déjà sur « la cohérence et l’efficacité de la politique menée par l’État » et jugeait « préoccupante » la situation de Fret SNCF.
En second lieu, un rapport sénatorial de MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel, publié cet été, revient sur la situation de la SNCF et consacre un long passage au fret. Ces rapporteurs spéciaux de la commission des finances ont pu accéder à divers documents et données chiffrées. Ils pointent à leur tour une contradiction entre ce que l’État défend et les objectifs inscrits dans le contrat de performance de SNCF Réseau – document stratégique signé quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle.
Pour terminer, je rappellerai que le fret ferroviaire fait l’objet de nombreuses procédures auprès de l’Autorité de régulation des transports. Je présume que son président par intérim, que vous auditionnerez la semaine prochaine, pourra vous apporter des précisions sur ce point.
M. Frédéric de Kemmeter. Merci de m’accueillir en tant que voisin du Nord. Ma vision est, bien entendu, plus européenne. Je vous proposerai quelques éléments de réflexion pour prendre un peu de recul sur la situation et comprendre les réussites d’autres pays européens.
Dans la plupart des États, le désendettement est une dimension essentielle du lancement de la libéralisation. Je veux parler du désendettement en général. Dans les années 1970 et 1980, les finances publiques étaient en grande difficulté, et c’est dans ce contexte qu’a émergé un courant de pensée visant à recadrer le rôle de l’État, notamment dans le secteur ferroviaire. Nous avons donc tenté d’identifier les activités pour lesquelles un retrait des subsides de l’État était envisageable, l’objectif étant que le chemin de fer puisse « voler de ses propres ailes ». Ce constat a été le point de départ du mouvement de libéralisation. Je rappelle que la plupart des États, y compris la France, ont approuvé cette orientation.
Les fournisseurs tels qu’Alstom ou Siemens pâtissaient des brusques changements de rythme liés aux commandes d’automotrices et n’étaient donc pas satisfaits de cette situation. L’ouverture des frontières leur a apporté un nouvel élan. Ils ont pu produire du matériel roulant standardisé à l’international, d’où une baisse des prix – qui demeure relative eu égard à la sophistication technique du matériel roulant.
Dans ce nouvel environnement, les moyens financiers utilisés par les industriels ne proviennent plus des États – à l’exception des fonds consacrés au réseau ferré. Il y a une vingtaine d’années, le métier de loueur de matériel ferroviaire n’existait pas encore. Aujourd’hui l’opérateur allemand Railpool possède un parc de quatre cents locomotives, ce qui est considérable.
La libéralisation permet aussi aux vingt-sept États membres de choisir un opérateur. La ville de Hambourg a ainsi décidé d’acquérir sa propre entreprise ferroviaire, Metrans Rail. Celle-ci fait circuler cent trains par jour, de sorte que la part modale à Hambourg s’élève à près de 30 %. Un tel succès aurait été inconcevable avec la Deutsche Bahn.
Il ne faut donc pas minimiser l’élan insufflé par la libéralisation, d’autant que certaines entreprises publiques, à l’instar de l’italien Mercitalia Rail, ont beaucoup profité de ce changement d’environnement. Cette société, connue autrefois sous le nom de FS Cargo, a connu un redressement spectaculaire. Elle a racheté une entreprise allemande et envoie des trains jusqu’à Hambourg.
J’observe que les textes européens, qui conviennent à de nombreux États membres, ne satisfont manifestement pas complètement la France. Pour certains, ces textes plutôt conçus pour l’Europe du Nord – c’est-à-dire de Bruxelles à Stockholm – causent des désagréments aux autres pays. J’ignore si cette appréciation est exacte, mais force est de constater que ces textes conviennent très clairement à une moitié des pays européens, dont la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. À l’évidence, la libéralisation a redonné du souffle au secteur ferroviaire dans ces pays. Il ne faudrait pas en conclure que la part modale y a progressé, mais le nombre de trains en circulation est tout à fait significatif.
En Belgique, il ne subsiste plus qu’un site industriel : le port d’Anvers, qui vient de fusionner avec le port de Zeebrugge. Il faut savoir que cette alliance a été décidée par les villes elles-mêmes et non par l’État.
Comment expliquer que la plupart des trains de marchandises circulant entre Anvers et l’Italie empruntent la rive droite du Rhin plutôt que la rive gauche ? Je ne connais pas la réponse à cette question, mais il est possible que certains pays soient plus accueillants que d’autres pour les nouveaux trafics.
La France passe pour cultiver la singularité, et je ne comprends pas pourquoi. C’est un pays de transit, mais aussi de destination, qui possède un excellent potentiel. Sans doute s’oppose-t-elle farouchement à la présence d’autres opérateurs que la SNCF. La Suisse elle-même, bien qu’elle ne soit pas membre de l’Union européenne, applique les traités européens. Alors que la société publique CFF Cargo est très déficitaire, sa filiale SBB International est en bonne santé. Il a été suggéré d’utiliser les bénéfices de SBB pour renflouer CFF Cargo, mais cette option a été rejetée.
Pour conclure, la libéralisation n’a pas altéré les fondamentaux du rail et la route demeure indispensable pour effectuer le parcours final. Les difficultés techniques sont quasiment résolues pour ce qui est du courant de traction : la presque totalité des locomotives est aujourd’hui produite par Siemens ou Alstom. En revanche, le traitement des problèmes de signalisation prend beaucoup de temps, sachant qu’il s’agit d’un secteur très capitalistique – une locomotive coûte entre 4 et 5 millions d’euros.
M. le président David Valence. Madame Selosse, vous avez insisté sur le nombre de procédures contentieuses ouvertes devant le régulateur français sur les activités ferroviaires et singulièrement sur le fret. Pourriez-vous détailler ce sujet ?
Nous sommes fréquemment revenus, tout au long des auditions, sur les contentieux ouverts en Roumanie et en Allemagne vis-à-vis d’opérateurs de fret publics. Comme je l’ai précisé ce matin, ces procédures obéissent à un autre calendrier que celui régissant les contentieux français. Quels sont les exemples d’interventions préconisées par la Commission européenne, voire les sanctions prononcées vis-à-vis d’opérateurs publics de fret ferroviaire pour insuffisante ouverture à la concurrence ou abus de position dominante. Pour rappel, le régulateur français a rendu tout récemment une décision à ce sujet à l’encontre de Fret SNCF.
Mme Camille Selosse. Un cas concret me semble bien résumer le sujet. Avant l’été 2023, l’Autorité de régulation des transports (ART) a condamné SNCF Réseau à une amende de 2 millions d’euros. Cette affaire remonte à 2013. À l’époque, plusieurs opérateurs de fret avaient saisi l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) en faisant valoir qu’ils n’étaient pas convenablement informés lorsque des sillons étaient annulés. Jugeant cette plainte fondée, le régulateur avait demandé à SNCF Réseau d’informer les opérateurs « de manière systématique, précise et intelligible » des raisons pour lesquelles un sillon ne pouvait pas leur être attribué.
En 2019, les opérateurs ont déposé plainte pour non-respect de cette décision. Malgré une procédure en manquement suivie d’une mise en demeure, SNCF Réseau n’applique toujours pas la décision de l’Autorité de régulation. En fin d’année 2022, celle-ci transmet donc le dossier à sa commission des sanctions.
M. le président David Valence. Je précise que cette commission est très peu saisie, pour des raisons de quorum. Cette saisine était la première.
Mme Camille Selosse. Estimant que SNCF Réseau ne se conforme toujours pas aux décisions prises par l’Autorité, la commission des sanctions condamne l’opérateur public. SNCF Réseau décide de ne pas faire appel. Depuis lors, le nombre de sillons non ou mal justifiés a diminué significativement, passant de 14,5 % à 7,08 % entre 2013 et 2022. Cet exemple montre la lenteur des procédures et de la mise en application des décisions des autorités.
M. Gilles Dansart. Il a fallu quelques années à SNCF Réseau pour appréhender le nouveau contexte. La France a attendu le dernier moment pour libéraliser le marché, en 2006. De ce fait, l’appareil industriel n’était pas encore prêt, de même que le gestionnaire des infrastructures. RFF puis SNCF Réseau ont eu besoin de plusieurs années pour s’adapter.
L’Autorité de régulation, souvent vertement critiquée par les exécutifs pour son indépendance, a joué un rôle important dans la consolidation d’un système transparent et équitable.
En ce qui concerne les aides d’État, je peux témoigner que depuis 2006, tant la SNCF que les structures de l’exécutif ont constamment fait preuve d’une mise à distance, voire d’un certain mépris, envers le risque de sanction de la Commission européenne. Les aides plus ou moins déguisées se sont accumulées, dans l’espoir de gagner du temps et de faire oublier le dossier. Ce discours m’a été tenu à plusieurs reprises et de manière extrêmement claire, lorsque j’ai été saisi de ces questions suite aux inquiétudes exprimées par les concurrents. C’est donc sciemment que la France s’est exposée au risque d’une sanction européenne. Les recapitalisations et versements d’aides au profit de la SNCF ont été opérés en connaissance de cause. D’ailleurs, l’État français a cherché à dissuader les concurrents ayant porté l’affaire devant les autorités européennes – avec succès, puisque la plupart d’entre eux ont décidé de retirer leur plainte.
Bref, la menace de sanction était encore tout à fait réelle il y a deux ans seulement. Il a fallu que l’ARAFER remette à Bruxelles un mémo éclairant, en 2015 ou 2016, pour que la Commission européenne décide d’approfondir la procédure contre la France. Mes souvenirs sur ce point sont très clairs : il y a bien une permanence de l’infraction depuis 2006. Comme souvent, nous sommes Français à Paris, Européens à Bruxelles, mais les connexions tendent à se désactiver dans le Thalys !
Aussi lourde soit-elle, la sanction prononcée à l’encontre de Fret SNCF n’a rien de surprenant si l’on considère l’attitude des pouvoirs publics depuis 2006.
M. Vincent Doumayrou. Sans être spécialiste, je peux apporter des précisions sur le contentieux similaire ouvert à l’encontre de DB Cargo, filiale de la Deutsche Bahn. Malgré la perte de trafic et le déficit enregistrés par DB Cargo, la Deutsche Bahn reste rentable. Sa filiale routière Schenker génère d’ailleurs la moitié de son chiffre d’affaires.
Pendant plusieurs années, la Commission européenne était opposée à l’intégration de la branche réseau au sein de la holding. Mais l’Allemagne a défendu farouchement ce montage, arguant de son efficacité. Malgré la présence de trois cents opérateurs, le système ferroviaire allemand reste relativement bien intégré.
M. Gilles Dansart. J’ajoute que la sanction infligée à l’Allemagne est plus faible que celle visant Fret SNCF, car les reproches adressés à la Deutsche Bahn sont moins importants que ceux concernant la France.
Il existe différents moyens pour défendre un monopole. S’il est question de la libéralisation du transport ferroviaire en France, et particulièrement du TER, la SNCF se défend manifestement avec des armes loyales. Elle a d’ailleurs remporté deux appels d’offres sur trois. Avant la libéralisation de 2006, nous n’avons pas envisagé la possibilité que Fret SNCF puisse se défendre dans un marché ouvert avec une réelle efficacité industrielle. Nous avons préféré recourir à diverses mesures telles que des recapitalisations, mais ces procédés n’étaient pas loyaux au regard des textes européens.
M. le président David Valence. Je peux témoigner que l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs a été préparée avec beaucoup de soin par le groupe public ferroviaire.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Monsieur Doumayrou, vous nous avez communiqué des données chiffrées sur l’évolution des tonnages de marchandises transportées. D’après vous, l’attrition du fret ferroviaire aurait débuté à la fin des années 1980, sachant que les années 1985-1990 marquent la fin de la libéralisation totale de la route. Y voyez-vous, a fortiori, une accélération définitive de la concurrence intermodale ?
Par ailleurs, vous affirmez qu’en six ans, le fret a connu un effondrement comparable à la baisse qu’il a subie durant les vingt-cinq années précédentes. Pourriez-vous développer cette affirmation ?
Monsieur Dansart, vous avez été témoin, en 2013 encore, du cynisme de responsables ferroviaires exhortant à « laisser les marchandises aller sur la route ». Pis : selon vous, entre 2007 et 2019, les responsables de la SNCF et les responsables politiques ont sciemment « mis à distance », « méprisé » les risques auxquels la France pouvait être confrontée au titre des entreprises de recapitalisation ou d’aides au fret ferroviaire. Pourriez-vous, pour l’ensemble de la période concernée, nous apporter des précisions sur les échanges ou les affirmations vous permettant une telle assertion ?
Madame Selosse, dans vos investigations de terrain, que vous disent les opérateurs et les chargeurs, au-delà des communiqués de presse, sur la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui Fret SNCF ?
Monsieur de Kemmeter, j’ai bien entendu votre sentiment sur vos amis français. « Les textes européens ne conviennent jamais à la France », dites-vous en substance. Vous affirmez également qu’il existe des pays européens plus accueillants que la France pour les trains. Vous prenez l’exemple de la ville de Hambourg, qui serait parvenue à porter à 30 % la part du fret ferroviaire grâce à l’acquisition d’une entreprise ferroviaire.
Or, depuis 2014, les grands ports français disposent de la faculté de gestion des voies ferrées sur le domaine portuaire. Un ancien ministre a évoqué devant nous le port de La Rochelle. À l’exception de Dunkerque, qui est un cas singulier, comment expliquer que des ports tels que Le Havre ou Marseille, qui possèdent cette faculté de choix, présentent des taux de fret ferroviaire attristants, de l’ordre de 5 à 10 % ?
M. le président David Valence. Je précise que notre pouvoir d’investigation vis‑à‑vis de l’ensemble des personnes auditionnées va de pair avec la garantie d’un autre droit fondamental pour les journalistes, celui de la protection des sources.
M. Gilles Dansart. La question de la protection des sources est essentielle et il n’est pas question de trahir la confiance d’interlocuteurs qui contribuent « off the record » à éclairer certains pans de l’histoire. Ayant la chance de travailler dans le secteur depuis 1999, j’ai construit des relations particulières qui me permettent d’établir la véracité de certaines informations – parfois avec beaucoup de recul.
Récemment, lorsque la SNCF a décidé de produire elle-même son électricité photovoltaïque, plusieurs interlocuteurs m’ont rappelé que la Société hydro-électrique du midi (SHEM) avait été vendue par la SNCF pour acheter des locomotives de fret. Cet exemple montre bien que le passé est important pour la compréhension de certains mécanismes.
Pour en revenir à la question de M. le rapporteur, j’ai déjà écrit ce que je déclare aujourd’hui. Je ne révèle donc pas d’information nouvelle. Si vous le souhaitez, je pourrai vous fournir des articles plus conséquents sur les mécanismes du fret ferroviaire. Si la question vise à savoir dans quels cénacles ces attitudes ont pu se manifester, je répondrai que ces comportements sont pour partie liés à la nature et à l’impact de la décision politique dans notre pays. Pour ce qui est du fret ferroviaire, le schéma est le suivant : identification du risque social – grèves et autres manifestations –, identification du risque médiatique consécutif pour la puissance exécutive, influence de la SNCF pour que les aides de l’État la dispensent d’un aggiornamento interne sur la situation du fret. Quand de tels dossiers arrivent dans un cabinet ministériel, à Matignon ou encore à l’Élysée, ils se traduisent rapidement par des injonctions politiques balayant toutes les réserves des services administratifs et juridiques sur le risque encouru.
Une anecdote publique illustre bien cette réalité. Dans une interview, à Aytré, Mme Ségolène Royal m’avait expliqué que la région Poitou-Charentes allait commander des TER Alstom. J’avais alors exprimé mon étonnement, en rappelant qu’il existe des procédures d’appels d’offres publics. Elle m’avait répondu : « Oui, c’est vrai. On respectera les formes. » Ces propos, tenus durant une interview, ont été retranscrits tels quels.
Cet exemple montre bien que l’injonction publique prend souvent le dessus sur les règles, même si ces dernières sont signalées par des services. Ce mécanisme d’évaluation du risque politico-socio-médiatique tend à l’emporter sur toute autre considération et peut amener la puissance publique à enfreindre des règles élémentaires.
M. Vincent Doumayrou. La fin des années 1980 est marquée par un vent de libéralisme, avec l’Acte unique européen de 1986 et la libéralisation du transport aérien et routier. La France a également développé son réseau autoroutier pour tenter de rattraper le retard pris sur l’Italie et l’Allemagne. Cette époque fut aussi celle de la tertiarisation de l’économie française et du modèle de « l’entreprise sans usines ».
Il existe une forte interaction entre le mode de production, la structure de l’habitat et des lieux de production, et les moyens de transport. Il va de soi qu’après la chute du mur de Berlin, le transport ferroviaire s’est effondré dans les ex-pays de l’Est. Cependant, la Russie reste l’un des plus gros transporteurs ferroviaires au monde.
Le développement d’unités de production plus légères, l’étalement de l’habitat, l’amélioration du maillage du réseau autoroutier et la libéralisation des transports sont tout à fait concomitants.
J’en viens, monsieur le rapporteur, à votre question sur l’effondrement du fret. La France est un pays de tradition centraliste et étatique, à la différence de l’Allemagne. Dans ce pays, lorsque l’opérateur public se désengage, il existe des opérateurs ferroviaires privés à même de capter le trafic perdu. C’est un héritage historique. La France, au contraire, du fait de sa tradition étatique, ne possède pas le même tissu de petites et moyennes entreprises (PME) que l’Allemagne. Quand l’État se retire, le secteur privé peine à reprendre l’activité. Dans le cas d’espèce, c’est manifestement ce qui s’est produit.
M. Gilles Dansart. Alors que le fret subissait un recul de 55 à 40 milliards de tonnes-kilomètres entre 2000 et 2006, les projections optimistes se multipliaient. M. Jean‑Claude Gayssot, ministre de l’équipement, des transports et du logement, annonçait sa volonté d’atteindre 100 milliards de tonnes-kilomètres. L’engagement réaffirmé par la puissance politique était donc entièrement décorrélé de la réalité. Malgré les slogans politiques et les dépenses publiques, le groupe SNCF n’était pas mis en situation d’entreprendre sa modernisation. De fait, il n’y avait pas de prise de conscience, au sein de la SNCF, des moyens humains, technologiques, financiers et organisationnels à mettre en œuvre. Je me souviens d’échanges avec le président Gallois : désespéré de la situation, il n’était pas vraiment décisionnaire et n’a donc pas pu enclencher les transformations nécessaires.
Je me demande si, finalement, ce ne sont pas la profusion d’objectifs et les éléments de langage publics qui ont empêché la prise de conscience managériale et stratégique de la priorité à donner au fret ferroviaire.
M. Frédéric de Kemmeter. J’espère ne pas avoir été trop dur, monsieur le rapporteur. Pourquoi l’Europe du Nord est-elle si décentralisée et la France si centralisée ? Ces réalités sont le fruit de l’histoire et ne peuvent pas être modifiées.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, tous les ports d’Europe du Nord appartiennent aux villes. C’est le cas de Rotterdam, d’Anvers ou de Hambourg. Ces villes choisissent elles-mêmes leurs opérateurs. Les chiffres sont éloquents : 173 trains par jour circulent à Anvers, sous la houlette de 11 opérateurs. Il s’agit d’un choix lié à la conviction que les services – publics ou non – peuvent être exploités par d’autres opérateurs, sans avoir besoin d’injonctions du sommet. Il me semble que ce phénomène a été décrit par Gilles Dansart et Vincent Doumayrou. C’est une particularité propre à la France, inconnue aux Pays-Bas ou en Scandinavie.
M. le président David Valence. Madame Selosse, quels sont les avis des chargeurs sur le risque de contentieux avéré avec l’ouverture de l’enquête approfondie en janvier, et depuis l’annonce du plan en mai ?
Mme Camille Selosse. Ma réponse ne trahira aucun secret, d’autant que certains acteurs du secteur n’hésitent pas à dire publiquement ce qu’ils pensent. La concurrence avec le transport routier constitue une thématique récurrente des échanges. La question de l’écotaxe, par exemple, est évoquée très fréquemment.
Depuis quelques années, le secteur du fret connaît des hauts et des bas. J’ai pu percevoir, lors de la création de l’Alliance 4F, un certain élan d’enthousiasme et d’optimisme qui est rapidement retombé. Les acteurs ont le sentiment d’être perpétuellement en crise : crise sanitaire, guerre en Ukraine, crises sociales, etc. Tantôt le contexte d’urgence climatique semble jouer en leur faveur, tantôt le fret ferroviaire cesse d’être au cœur des préoccupations.
Plus généralement, je constate que le temps politique est parfois en décalage avec les attentes. Il peut s’écouler plusieurs années entre l’annonce d’une stratégie, son financement et sa mise en œuvre. Le fait n’est pas propre au secteur ferroviaire mais les acteurs déplorent ces écarts de temporalité.
M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES). Madame Selosse, vous avez affirmé que la baisse d’activité était tangible au second semestre 2022 et au début de l’année 2023. Ce point n’avait pas encore été mis en avant. Les personnes auditionnées auparavant ont fait état du faible redressement opéré, sans parler de ce retournement de situation. Pouvez-vous nous communiquer des chiffres sur cette évolution ?
Monsieur Dansart, vous nous avez expliqué l’ouverture du contentieux auprès de la Commission européenne. Nous savons que des concurrents ont porté plainte. Vous avez aussi évoqué le rôle de l’ARAFER : que faut-il comprendre par là ?
Enfin, je rappelle que le plan de discontinuité est à l’origine de cette commission d’enquête. Pensez-vous que ce plan est équilibré, et quels sont, d’après vous, les risques de report modal immédiat s’agissant des vingt-trois flux concernés ?
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Je souhaiterais aborder le modèle économique de Railcoop, qui est un cas d’école en matière de libéralisation du transport ferroviaire. Société créée par des citoyens en 2019 afin de compenser le déficit de l’offre ferroviaire proposée par l’État, elle compte 14 000 sociétaires. Sur son site internet, Railcoop écrit : « La libéralisation du rail serait une opportunité pour développer de nouveaux services sur tous les territoires. »
Railcoop est parvenue à lever près de 8 millions d’euros dépendant essentiellement de capitaux privés, dont 10 % issus de collectivités territoriales. En 2022, le fret est la seule source de revenus propres de cette coopérative, et permet de dégager 120 000 euros, tandis que sa masse salariale est évaluée à 680 000 euros. En avril 2023, la coopérative a dû se résoudre à abandonner sa ligne de fret de marchandises entre Capdenac-Gare, en Aveyron, et Saint-Jory, en Haute-Garonne. Ce cas est une démonstration de la nécessité de la puissance publique dans la planification des transports ferroviaires face à la concurrence. Quel est votre avis, en tant que journalistes spécialisés, sur l’échec de Railcoop ?
Mme Camille Selosse. Les chiffres de l’année 2022 sont tirés d’un rapport public de l’ART publié en juillet dernier. L’Autorité de régulation remplit aussi un rôle d’observateur du marché et produit à ce titre de nombreux chiffres et graphiques. Dans son rapport de juillet dernier, l’ART écrit : « Après une reprise marquée en 2021, l’activité fret se contracte à nouveau en 2022 de 1 % (en tonnes-kilomètres), sous le niveau observé de 2017. En dépit d’une hausse au premier semestre, le transport ferroviaire de marchandises a chuté en fin d’année, dans un contexte de hausse des prix de l’énergie : 88 % des trains-kilomètres en décembre 2022 par rapport à décembre 2021. » Le graphique fait apparaître une baisse très nette à partir de juillet 2022.
Pour l’année 2023, le chiffre que je vous ai communiqué m’a été transmis par M. Raphaël Doutrebente, président de 4F. Ce dernier évoque une baisse de 19,6 % pour le transport conventionnel et de 25,3 % pour le combiné.
M. Gilles Dansart. Cette baisse est largement due au conflit sur les retraites, qui a bloqué de nombreux trains.
J’en viens à votre question, monsieur le député, sur le rôle de l’ARAFER dans l’épisode évoqué. Au moment où une énième aide de l’État à Fret SNCF était étudiée, le président de l’ARAFER, M. Pierre Cardo, a averti le Gouvernement que cette intervention serait très certainement incompatible avec le droit européen. En l’absence de réponse du Gouvernement, il a rédigé un mémo sur cette aide puis l’a adressé à la Commission européenne. C’est cette saisine qui a justifié la décision de Bruxelles, puisque les concurrents avaient pour leur part retiré leurs plaintes, « sous de fortes pressions » pour reprendre leurs déclarations.
M. le président David Valence. Je me permets de vous interrompre pour insister sur l’importance de vos explications. C’est la première fois que se trouve ici retracé le mécanisme exact ayant abouti à l’enquête approfondie, sur la base d’un document transmis par le régulateur français indépendant.
M. Gilles Dansart. Tout à fait.
S’agissant des vingt-trois lignes, je ne peux pas dresser de pronostics. J’entends toutefois les opérateurs alternatifs, qui s’empressent d’étudier le modèle économique de chacun des contrats. Ils considèrent qu’une partie d’entre eux ont été pris à perte par Fret SNCF et seraient donc difficiles à reprendre dans ces conditions. En revanche, ils seraient prêts à exploiter d’autres contrats opérés jusqu’alors par Fret SNCF. Enfin, les contrats restants pourraient être repris pour être sous-traités, comme le permettent les dispositions européennes. Je ne pense pas que ces contrats entraîneront des pertes, car certains sont excellents. Les dossiers sont en cours d’analyse chez les opérateurs.
Le problème de Railcoop est sa sous-capitalisation par rapport aux investissements ferroviaires nécessaires, notamment en matériel roulant. Le règlement européen REACH interdit en effet à la SNCF de louer ou revendre son matériel roulant en raison de la présence d’amiante, alors qu’elle-même peut continuer à le faire rouler. De ce fait, Railcoop peine à trouver du matériel. Puisqu’elle n’est pas en capacité d’acquérir des équipements neufs, elle n’a pas d’autre choix que de rénover du matériel existant – une tâche à la fois longue et coûteuse.
Railcoop a fait le choix de s’orienter d’abord vers le fret, notamment pour obtenir ses certificats d’exploitation et de sécurité. Mais l’exploitation d’une seule ligne n’est pas suffisante pour amortir les coûts fixes. Railcoop s’est donc efforcée de développer un modèle original d’open access subventionné : l’opérateur privé assume des risques, mais attend en retour des garanties bancaires des collectivités locales ou de l’État sur ses investissements. L’État n’a pas souhaité s’engager dans ce modèle, et si l’Occitanie soutient Railcoop, la Nouvelle Aquitaine est réticente à garantir des emprunts sur le long terme. Il faudra donc compter sur un investisseur prêt à accompagner Railcoop dans ce cap difficile, de manière à rénover les rames puis à envisager la mise en exploitation d’ici un an et demi.
M. le président David Valence. Le département du Lot, le département de l’Allier et la région Grand Est détiennent en effet une partie du capital de Railcoop.
M. Gilles Dansart. Railcoop a sollicité les collectivités pour l’ouverture d’un certain nombre de lignes dans toute la France. Elle reste néanmoins lourdement handicapée par l’insuffisance de ses moyens capitalistiques et par son incapacité à disposer de matériel en location à bas prix.
M. Vincent Doumayrou. Dans le modèle de Railcoop, il est difficile de rentabiliser les coûts fixes compte tenu du très faible nombre d’unités. Manifestement, cette entreprise n’est pas parvenue à trouver le point d’équilibre financier.
Dans la concurrence en accès ouvert, un opérateur comme Trenitalia fait circuler des trains sur l’axe Paris-Lyon-Milan, déjà emprunté par les TGV de la SNCF. Cette concurrence risque d’accroître la polarisation des circulations sur les lignes les plus fréquentées.
Pour sa part, Railcoop envisage de développer une ligne transversale Bordeaux-Lyon passant par le Massif central – un axe entièrement délaissé par la SNCF. Je reste sceptique quant au potentiel transportable sur ce parcours, d’autant que les fréquences annoncées sont faibles.
M. Gilles Dansart. La stratégie de Railcoop est celle d’un alpiniste qui envisage l’ascension de l’Everest avant d’avoir gravi le Mont-Blanc. L’axe Bordeaux-Lyon présente de multiples difficultés techniques, notamment des retournements, et un nombre limité de voyageurs.
M. Vincent Doumayrou. Alexandra de Bézieux avait remarqué que la très faible part modale du train (2 %) dans certaines régions offrait un excellent potentiel de progression pour le transport de voyageurs. Mais la faible présence du train dans ces régions constitue aussi un obstacle, puisque la population a perdu l’habitude de ce mode de transport.
M. Frédéric de Kemmeter. Il va de soi que le modèle coopératif est incompatible avec le chemin de fer, qui est beaucoup trop capitalistique. Un caisson de train neuf coûte près de 1 million d’euros.
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La commission procède à l’audition de M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État.
M. le président David Valence. Nous accueillons M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État.
Depuis sa transformation en société anonyme, la SNCF est entrée dans le portefeuille de l’Agence des participations de l’État (APE), ce qui vous confère, monsieur le commissaire, un rôle et un pouvoir importants dans le pilotage des évolutions du groupe. Nous souhaitons donc recueillir votre témoignage sur la façon dont vous exercez ce rôle et ce pouvoir, sur votre vision de la stratégie adoptée pour le groupe, sur la procédure engagée par la Commission européenne en janvier 2023 à l’encontre de Fret SNCF, et enfin sur le plan de discontinuité élaboré par le Gouvernement pour tenter d’y répondre.
Nous serons également amenés à vous poser des questions sur le contrat de performance de SNCF Réseau, puisque ce sujet a été abordé à de nombreuses reprises dans cette commission d’enquête, et sur ses effets pour le fret ferroviaire. Je crois savoir que le fret n’est pas au cœur de ce document, mais nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet. Nous aborderons également la dette et la structure juridique de la SNCF.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Alexis Zajdenweber prête serment).
M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État. Cette audition me donne l’occasion de présenter le rôle de l’État actionnaire, dont l’objectif est de s’inscrire dans la politique publique de soutien au fret ferroviaire et de se focaliser sur la situation de Fret SNCF à la suite de l’ouverture par la Commission européenne, en janvier 2023, d’une procédure pour aide d’État illégale présumée.
L’Agence des participations de l’État remplit les missions de l’État actionnaire, sous l’autorité du ministre en charge de l’économie. L’État actionnaire met en œuvre les priorités stratégiques du Gouvernement, dans le double respect des politiques sectorielles – en l’occurrence, celles des transports – et de la défense des intérêts patrimoniaux de la nation. Il accompagne également les entreprises dont les portefeuilles sont stratégiques, à l’instar de la SNCF, dans leurs missions d’intérêt général.
Le groupe public SNCF est détenu à 100 % par l’État et fait partie des plus grandes entreprises du portefeuille de notre agence. À ce titre, l’Agence des participations de l’État a été associée, aux côtés du ministère des transports, aux discussions conduites par les autorités françaises avec la Commission européenne, sous la coordination du secrétaire général pour les affaires européennes.
Par ailleurs, depuis novembre 2022, je siège en tant qu’administrateur représentant l’État au conseil d’administration du groupe SNCF. J’y porte la position de l’État actionnaire auprès de l’entreprise.
Dans mon propos, j’aborderai les quatre points suivants : la priorité accordée par l’État au fret ferroviaire, qui est déclinée par l’APE dans sa politique d’actionnaire ; la procédure ouverte par la Commission européenne, qui a conduit l’État et la SNCF à envisager un projet de transformation viable pour l’activité de fret ferroviaire de la SNCF ; les grands principes du projet dit « de discontinuité », retenu comme la meilleure solution – malgré maintes difficultés – pour maintenir une activité pérenne de fret ferroviaire au sein du groupe SNCF ; les prochaines étapes pour l’accompagnement par l’État actionnaire du groupe SNCF dans cette transformation.
La décarbonation et la nécessité d’affronter le changement climatique occupent une place croissante dans les missions de l’Agence, sur l’ensemble de son portefeuille. À cet égard, le fret ferroviaire constitue un levier déterminant pour la décarbonation du transport de marchandises.
Le secteur des transports représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France, et plus d’un tiers de ces émissions est produit par le transport terrestre de marchandises. Le fret ferroviaire, pour sa part, est très faiblement émetteur de CO2, et c’est pourquoi l’Agence entend encourager ce mode de transport.
Le Gouvernement et le Parlement se sont donné pour objectif de doubler la part modale du fret ferroviaire à l’horizon 2030, pour atteindre 18 % de marchandises transportées sur le rail. Cet objectif, inscrit dans la loi Climat et résilience de 2021, est crucial pour mener à bien notre transition énergétique.
En s’appuyant sur le diagnostic posé par le ministère des transports dans la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, l’action menée par l’État depuis plusieurs années vise à contrecarrer le recul de la part modale du fret ferroviaire en France. Les aides au fonctionnement ont été revues à la hausse à l’occasion du plan de relance lié à la crise du covid-19, et continueront d’augmenter pour atteindre 330 millions d’euros par an sur la période 2025-2030. Tel est l’engagement pris par le Gouvernement. En plus de ce soutien au fonctionnement, un programme d’investissement spécifique pour le fret d’un montant de 4 milliards d’euros a été annoncé par le ministre des transports. Il s’étalera entre 2023 et 2032.
Cette action volontariste montre déjà de premiers résultats concrets. La part modale du fret ferroviaire est repartie à la hausse, et elle a atteint en 2021 son plus haut niveau depuis 2017, à 10,7 %. Nous considérons qu’il s’agit d’un tournant et d’un signe encourageant confirmant la pertinence de l’action de l’État en la matière.
La politique de soutien au fret ferroviaire s’inscrit dans une stratégie plus large de développement du transport ferroviaire français, que nous déclinons évidemment en tant qu’actionnaire. La grande réforme intitulée « Pour un nouveau pacte ferroviaire » a été votée en 2018 et mise en œuvre en 2020. Elle a conduit l’État à soutenir activement le transport ferroviaire, avec la reprise de 35 milliards d’euros de dette de SNCF Réseau, qui a permis l’augmentation substantielle des investissements dans le réseau ferré national.
À l’occasion de cette réforme, les anciens EPIC ont été transformés en sociétés. Selon notre analyse, cette évolution a permis au groupe SNCF de gagner en agilité, de renforcer son intégration, de trouver des leviers facilitant le pilotage stratégique et financier, et in fine de produire des résultats.
Outre cette reprise de dette et cette transformation, l’État a apporté au secteur ferroviaire un soutien massif de 4,7 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance – principalement via une augmentation de capital du groupe SNCF mise en œuvre par l’APE à hauteur de 4 milliards d’euros environ.
En février 2023, la Première ministre a également annoncé, à l’occasion du plan d’avenir pour les transports, des investissements très significatifs pour la régénération et la modernisation du réseau ferroviaire à l’horizon 2040.
Tous ces éléments constituent un soutien massif de l’État. Ils combinent les efforts de l’actionnaire et ceux de la SNCF et de l’ensemble de ses personnels. Ces derniers ont été fructueux, puisque le groupe SNCF est parvenu à redresser sa trajectoire financière et à atteindre dès 2022 les objectifs fixés par la réforme.
L’équilibre économique qu’a trouvé la SNCF s’accompagne d’un niveau élevé d’investissements : ces derniers n’ont pas été sacrifiés pour atteindre l’équilibre financier. Quelque 10 milliards d’euros d’investissements ont été mobilisés en 2022. Dans le même temps, l’activité a progressé pour dépasser le niveau antérieur à la crise sanitaire. Elle répond à la demande de train et à l’intérêt de nos concitoyens pour ce mode de transport.
J’en viens au dossier ouvert par la Commission européenne. Les premières discussions informelles avec Bruxelles ont commencé en réalité dès le début de l’année 2017. Elles se sont principalement déroulées entre les autorités françaises et la Commission, avec, le cas échéant, la SNCF.
Je tiens à souligner que les aides visées par la procédure concernent la période 2007‑2019. Ce ne sont ni la réforme ferroviaire ni la filialisation de Fret SNCF à partir du 1er janvier 2020 qui ont déclenché la procédure et conduit la Commission européenne à se pencher sur ces aides.
Au cours de ces échanges, l’État a défendu le comportement d’« investisseur avisé » de la SNCF, qui s’est positionnée en actionnaire de long terme pour développer son activité de fret ferroviaire. Toutefois, cette longue phase d’échanges n’a pas permis d’éviter l’ouverture d’une procédure, ni de convaincre la Commission européenne qu’il n’y a pas eu d’aides d’État illégales dans cette affaire.
Le 18 janvier 2023, une enquête a donc été ouverte par la Commission. C’est parce que nous estimions que cette procédure constituait un risque pour Fret SNCF que nous avons dû collectivement trouver une solution alternative. Les autorités françaises, avec l’appui du groupe SNCF, ont mené cet exercice complexe. La solution que nous avons trouvée est certes difficile, mais peut être considérée comme la meilleure possible au regard des contraintes en jeu.
Cette solution, qualifiée de discontinuité, de Fret SNCF, consiste à poursuivre l’activité des trains mutualisés, mais sous la houlette d’une nouvelle entreprise, qui restera contrôlée par le groupe SNCF.
L’enquête formelle ouverte par la Commission européenne pour aides d’État illégales présumées constitue selon nous un risque existentiel pour la SNCF. Nous partageons évidemment l’analyse de risques présentée par le ministre des transports. Nous estimons qu’en cas de décision négative constatant que les mesures visées sont incompatibles avec le droit encadrant les aides d’État, la Commission pourrait ordonner la récupération de ces aides auprès de Fret SNCF. Compte tenu de l’ampleur des montants en jeu – plus de 5 milliards d’euros –, ces opérations conduiraient à une liquidation judiciaire brutale et à la disparition de l’activité de Fret SNCF.
Il est de notre responsabilité d’actionnaire d’assurer la pérennité de l’activité de fret ferroviaire de la SNCF et de préserver les 5 000 emplois concernés. Cette vision, qui est celle de l’ensemble des pouvoirs publics, est partagée par la Première ministre, par le ministre des transports et par le ministre de l’économie. Nous ne pouvions prendre le risque de voir disparaître cette activité.
Nous avons besoin d’un acteur de fret ferroviaire de premier plan pour accompagner la relance du fret ferroviaire et la décarbonation. La SNCF dispose d’un savoir-faire précieux dans le transport de marchandises par le rail et il me semble impératif que le groupe reste diversifié et actif dans le secteur du fret.
En tant qu’État actionnaire, nous partageons avec le ministère des transports certaines lignes rouges ayant guidé les échanges avec la Commission européenne, et que nous jugeons respectées : assurer la viabilité des entreprises qui succéderont à Fret SNCF ; préserver le caractère public de l’activité ; éviter le report modal et le retour vers la route ; écarter tout licenciement.
La solution de discontinuité présentée à la Commission européenne devrait nous permettre d’éviter une décision négative de récupération d’aides, tout en respectant les impératifs fixés. Je voudrais en rappeler les principales mesures.
D’une part, Fret SNCF devra abandonner son activité de trains dédiés, mais une nouvelle entreprise ferroviaire publique opérant dans le secteur des trains mutualisés lui succédera et restera au sein du groupe SNCF. La spécificité du modèle de Fret SNCF est donc préservée. Je précise qu’une activité de trains dédiés est plus simple à opérer qu’une activité de trains mutualisés. Elle est moins exposée à la concurrence avec la route. L’abandon de ces flux se présentait donc comme la solution induisant le moins de risques de report modal vers la route.
D’autre part, Fret SNCF devra céder une partie de ses actifs pour faciliter la reprise des activités de trains dédiés par d’autres opérateurs ferroviaires. Une nouvelle entreprise chargée de la maintenance sera également créée. Elle sera, elle aussi, rattachée au groupe SNCF. Enfin, la SNCF procédera à une ouverture du capital des nouvelles entreprises concernées. Cette opération ne consiste pas en une privatisation, puisque le ou les partenaires qui entreront au capital pourront être publics et resteront minoritaires.
Une fois la discontinuité définitivement engagée, la Commission européenne pourra constater que l’entité Fret SNCF, bénéficiaire des aides illégales présumées, n’existe plus sous sa forme initiale. Par conséquent, les entreprises qui succéderaient à Fret SNCF ne seraient pas enjointes de rembourser les aides perçues.
S’agissant des étapes à venir, l’État actionnaire accompagnera bien évidemment la mise en œuvre du schéma de discontinuité, tout en veillant à ses intérêts stratégiques et patrimoniaux. Je porterai une attention particulière à l’opération d’ouverture du capital, qui est un moment clé de la réorganisation à venir. Nous soutiendrons le groupe SNCF dans la recherche de partenaires minoritaires, en veillant à ce qu’ils soient alignés avec les objectifs stratégiques du groupe et avec les priorités du Gouvernement, en particulier la volonté d’augmenter la part modale du fret ferroviaire. Enfin, je serai attentif à la soutenabilité des nouvelles sociétés créées. C’est une condition essentielle à la conduite de cette transformation, pour le groupe, pour l’État, mais aussi pour la Commission européenne.
Fret SNCF a déployé des efforts conséquents au cours des dernières années, qui ont déjà permis de redresser l’entreprise, avec l’aide de l’État. Nous nous inscrirons dans la continuité de cette dynamique.
Le développement du fret ferroviaire, en particulier au sein du groupe public SNCF, reste notre priorité. Nous accompagnerons cette transformation cruciale pour la pérennité de cette activité au sein de la SNCF.
M. le président David Valence. Je voudrais revenir sur le statut juridique et la transformation opérée par la loi pour un nouveau pacte ferroviaire d’un ensemble d’EPIC à un ensemble de sociétés anonymes entièrement publiques et non cotées. En quoi cette transformation a-t-elle modifié le rôle de l’APE dans le pilotage effectif de la SNCF et dans le dialogue avec cette entreprise publique ?
D’après certains collègues, cette transformation aurait exposé la SNCF à un risque accru de contentieux européen – même si aucune des personnes auditionnées ici, à l’exception peut-être des organisations syndicales entendues hier, n’a apporté d’éléments concrets à l’appui de cette thèse.
Vous indiquez que les premières discussions auxquelles vous avez été associé avec la Commission européenne datent de début 2017, ce qui suggère qu’un travail continu aurait été mené sur ce dossier entre 2013 et 2023. Pouvez-vous étayer cette notion de travail continu en nous faisant part du nombre et de la fréquence de réunions et des échanges tenus dans ce cadre ?
Dans notre audition précédente, des journalistes spécialistes des transports ont avancé l’idée que la poursuite de l’enquête approfondie ouverte le 18 janvier 2023 tenait à un document transmis par l’Autorité de régulation des transports à la Commission européenne dans le cadre de la procédure engagée en 2016 – et ce, alors même que les concurrents avaient retiré leurs plaintes suite à des pressions du groupe ferroviaire ou d’autres acteurs. À votre connaissance, cette information est-elle avérée ?
Enfin, si le Gouvernement français avait choisi d’attendre la fin des dix-huit mois de procédure, s’exposant à une décision analogue à celle prononcée contre l’opérateur de fret roumain, ou si le plan de discontinuité était jugé insuffisant par la Commission européenne, à qui le montant de 5,3 milliards d’euros devrait-il être remboursé ?
M. Alexis Zajdenweber. Le nouveau pacte ferroviaire et la réforme mise en œuvre en 2020 ont effectivement conduit au changement du statut juridique des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) qui constituaient un groupe ferroviaire unifié, doté de grandes filiales. L’Agence des participations de l’État était déjà en charge du suivi des EPIC. Son périmètre d’action est défini par un décret pris en application d’une ordonnance. Nous pouvons être amenés à suivre des entités qui n’ont pas la forme d’une société, à l’instar de la RATP. L’APE est membre des instances de gouvernance. Elle n’est pas astreinte à suivre exclusivement des sociétés par actions, quand bien même elle représente l’État actionnaire.
Ceci étant dit, il est vrai que la réforme a introduit un changement dans la structure de la gouvernance. Nous étions présents au conseil d’administration, mais cet organe ainsi que la structure générale du groupe ont évolué. Notre présence dans les instances de gouvernance des différentes entités filiales a également été modifiée. Cette structure traduisait une volonté de donner à la tête du groupe un rôle de pilotage et une capacité de maîtrise. C’est ce qui justifiait notre présence au conseil d’administration de SNCF SA.
De notre point de vue, il est clair que ce changement de forme sociale et cette réorganisation n’ont pas joué de rôle dans l’appréciation par la Commission européenne de la réalité des aides. L’examen de ce dossier est antérieur à la réorganisation du groupe, de même que l’essentiel des aides ou des flux financiers visés. Pour nous, le risque d’une décision négative de la Commission existe dès lors qu’elle se penche sur le dossier. Même si son appréciation peut varier au gré des circonstances, ce risque était bien présent dès le début. La réforme de 2018 n’a pas eu d’impact sur cette appréciation.
S’agissant de la fréquence et de l’intensité des échanges avec la Commission européenne, je précise que j’ai pris mes fonctions il y a un an. Je n’ai donc pas connaissance de tout le travail réalisé au cours de la période précédente. Je pense toutefois que les échanges avec la Commission ont été denses. Comme toujours, ces discussions peuvent s’intensifier ou ralentir en fonction des circonstances, à commencer par la crise du covid-19. Les contacts sont aussi adaptés au rythme des demandes formulées par la Commission : il faut parfois rassembler de nombreux éléments pour être en mesure d’y répondre. De plus, les autorités françaises ont communiqué à la Commission un grand nombre de notes exprimant leur position, près d’une vingtaine au total. Encore une fois, la fréquence et l’intensité des échanges fluctuent en fonction de l’avancée des discussions, de la nature des sujets évoqués ou encore des informations à collecter pour étayer la position d’investisseur avisé de l’État français.
Enfin, vous m’avez demandé à qui seraient remboursées les aides illégales, si d’aventure la Commission décidait de nous soumettre à cette obligation. C’est une question compliquée, dont je ne connais pas la réponse, et je ne voudrais pas hasarder des conjectures. L’État a justement fait le choix de ne pas se retrouver dans cette position. Il est certain que ces sommes devraient être remboursées par Fret SNCF, qui serait dans l’incapacité de s’en acquitter et devrait donc être liquidée.
La responsabilité de l’exécution des décisions de remboursement pèse sur l’État. La logique voudrait que cette somme soit remboursée à la SNCF, mais rien ne garantit qu’in fine, la Commission n’exige le versement de ce montant à l’État lui-même, actionnaire à 100 % de l’opérateur. Au demeurant, il s’agit d’un scénario hypothétique que nous tenons à écarter et qui n’altère pas le fond de l’affaire : en tout état de cause, Fret SNCF se trouverait dans l’incapacité de rembourser ces aides, ce qui aboutirait à sa liquidation judiciaire.
M. le président David Valence. Je conçois qu’il soit difficile de répondre à cette question. Il est vrai qu’elle est moins prégnante dans une stratégie de discontinuité visant à réduire le risque à un niveau sinon inexistant, du moins résiduel. Néanmoins, la question du bénéficiaire du remboursement est tout à fait significative pour l’évaluation de l’opportunité du plan de discontinuité. Le risque ne serait pas moindre si le remboursement était opéré au profit du groupe ferroviaire : dans tous les cas, ces sommes ne pourraient revenir à Fret SNCF, pour les mêmes raisons que celles à l’origine de sa condamnation.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Vous avez évoqué des échanges continus, entre 2017 et 2023, entre l’État actionnaire et la Commission européenne. Ces rencontres ont‑elles donné lieu à des restitutions régulières et officialisées susceptibles d’être communiquées à cette commission d’enquête ?
Le ministre Jean-Baptiste Djebbari a fait état de sa position politique à l’égard de l’option de discontinuité qui lui avait été présentée. À votre connaissance, quand précisément l’hypothèse d’un plan de discontinuité ouvrant droit à un possible abandon de l’enquête a‑t‑elle été évoquée par nos interlocuteurs de la Commission européenne ?
Vous avez déclaré que vous exerciez un rôle central dans l’accompagnement de la nouvelle société créée à l’issue du plan de discontinuité. Avez-vous eu connaissance d’une quelconque étude d’impact démontrant la viabilité économique et sociale de cette future société ? Nous avons entendu ce matin un témoignage d’expert faisant état d’une baisse de productivité de dix points pour cette nouvelle société, dès sa naissance, et considérant comme « injouable » sa viabilité économique.
En outre, d’après une personne que nous venons d’entendre, l’État actionnaire aurait « sciemment » mis à distance, entre 2007 et 2019, les risques encourus avec la recapitalisation de Fret SNCF.
M. le président David Valence. La question porte sur la prise au sérieux du risque de contentieux. Une personne auditionnée a effectivement jugé que ce risque a été minimisé.
M. Alexis Zajdenweber. Permettez-moi d’abord, monsieur le président, de répondre à l’une de vos questions qui portait sur la mention, lors de l’audition précédente, de la transmission par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) d’une décision à la Commission européenne. Je n’ai pas connaissance de cette information et je ne peux donc pas me prononcer sur son exactitude.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Il s’agit tout de même d’un élément majeur. La décision de la Commission européenne publiée le 14 avril 2023 indique ainsi : « Le 22 avril 2015, le régulateur ferroviaire français ARAF a adopté une décision dans laquelle il soulève un risque potentiel de subvention croisée au sein de la Société nationale des chemins de fer français, au profit de sa branche de fret ferroviaire SNCF. » Je présume que cette notification essentielle nous sera communiquée.
M. Alexis Zajdenweber. Je n’ai pas déclaré que les échanges s’étaient déroulés au niveau de l’État actionnaire. Les contacts informels entre la Commission européenne et les autorités françaises ne passent pas nécessairement par nos services. Ils sont coordonnés par le secrétaire général aux affaires européennes et donnent lieu à des notifications rédigées par les autorités françaises. Votre commission d’enquête pourra d’ailleurs consulter ces éléments. En tout état de cause, les discussions avec la Commission européenne ne sont pas nécessairement conduites par l’APE. Nous y sommes associés, au même titre que les ministères et, dans certains cas, la SNCF elle aussi.
En ce qui concerne le plan de discontinuité, je peux témoigner que dès l’instant où l’ouverture d’une enquête par la Commission européenne a été notifiée, au début de l’année 2023, une réflexion a été engagée pour trouver une solution, et le choix s’est finalement porté sur un plan de discontinuité. C’est à ce moment-là, dirais-je, que la phase active des réflexions a débuté. Eu égard à la situation de Fret SNCF et aux potentiels griefs, il est possible que ce sujet ait été évoqué à d’autres moments. Mais c’est après l’ouverture de l’enquête formelle de la Commission européenne, et en réponse à cette action, que le travail a été amorcé.
S’agissant de l’accompagnement des nouvelles sociétés, l’essentiel de l’information dont nous disposons nous est communiqué en tant que membre du conseil d’administration. Les plans d’affaires des filiales, qui ont été présentés au conseil d’administration du groupe SNCF, montrent la viabilité de ces activités – sous réserve qu’un certain nombre de conditions soient remplies, dont l’existence des aides mentionnées précédemment. J’ignore si ces plans d’affaires peuvent être qualifiés d’études d’impact. Il n’en reste pas moins qu’ils ont été présentés et expliqués au conseil d’administration de la SNCF, pour permettre au groupe de s’assurer de la viabilité des nouvelles entités.
Je ne me prononcerai pas sur l’expertise à laquelle vous avez fait référence, car je n’en ai pas connaissance. Comme je l’ai précisé, la gouvernance du groupe SNCF est pleinement convaincue de la viabilité des futures sociétés. Ce point vous a d’ailleurs été confirmé en audition par certains dirigeants du groupe.
Je ne pense pas que le risque de sanction de la Commission européenne ait été minimisé dans la période allant de 2017 à 2019, à partir du moment où les autorités européennes manifestent un intérêt pour ce dossier et entament des échanges avec l’État français. Ce risque a été perçu comme réel, même si les autorités françaises ont plaidé l’absence d’aides d’État illégales, faisant valoir que la SNCF soutenait l’activité de Fret SNCF comme l’aurait fait un actionnaire ou un investisseur avisé. Dès l’instant où les échanges avec la Commission européenne ont débuté, l’existence d’un risque était identifiée.
Pour ce qui est de la période antérieure à ces discussions, je préfère rester prudent et ne pas me prononcer.
M. le président David Valence. En résumé, c’est le résultat négatif persistant de Fret SNCF qui amène le groupe SNCF à compenser ses déficits, mais qui incite justement la Commission européenne à considérer que ce comportement n’est pas conforme à celui d’un investisseur avisé. Le fait est que ce déficit a perduré sur une longue période et qu’il a été compensé sur une longue période. La situation économique de Fret SNCF est donc le point de départ de la décision de la Commission européenne.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Comment appréciez-vous ce passage de la décision de la Commission : « La disparition du statut d’EPIC est notamment motivée, selon le rapporteur de la loi de 2018 à l’Assemblée nationale, par le souci de faire disparaître le risque juridique lié à ce statut au regard des règles d’aide européennes » ? Il est ici question d’un argument avancé par le ministre Jean-Baptiste Djebbari en 2018 : la disparition de l’EPIC serait due non pas à une loi, mais bien à une décision potentielle de la Commission européenne. Comment appréciez-vous ces déclarations au regard du calendrier ?
M. Alexis Zajdenweber. N’ayant pas assisté aux débats sur cette loi, j’ignore quels étaient les propos du rapporteur et l’intention du législateur. Je ne suis pas non plus en mesure de saisir l’allusion à laquelle vous avez fait référence, mais je ne suis pas certain qu’elle concerne la question des aides.
Le statut d’EPIC est sujet à débat depuis longtemps, car il est considéré par certains comme une forme d’aide d’État structurelle. À la différence d’une société à responsabilité limitée contrôlée par des actionnaires, l’EPIC est un établissement public – ce qui, d’une certaine manière, l’empêche de faire faillite.
Cette question, débattue depuis longtemps entre les autorités françaises et la Commission européenne, me paraît étrangère au sujet instruit par cette commission d’enquête. L’attention se porte ici sur les aides jugées illégales par la Commission européenne et sur le soutien de l’EPIC SNCF à son activité de fret, et non sur la compatibilité entre le statut d’EPIC et le droit communautaire. Encore une fois, j’émets une simple hypothèse crédible, puisque je ne connais pas les intentions du rapporteur ni celles de la commission.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Je vous remercie de cette réponse : vous affirmez clairement qu’un EPIC ne peut pas faire faillite.
M. Alexis Zajdenweber. Je comprends l’idée du rapporteur, mais il ne faudrait pas en conclure qu’une activité comme celle de Fret SNCF est immune du droit encadrant les aides d’État, bien au contraire. La réforme ferroviaire et le changement de statut n’ont entraîné aucun changement quant au risque ou à la nature des possibles procédures engagées par la Commission européenne, ni quant aux conséquences de ces poursuites sur l’activité de Fret SNCF. C’était bien le sens de ma réponse, et j’espère ne pas avoir été mal compris.
M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES). Connaissez-vous un autre EPIC visé par une procédure analogue de la Commission européenne ?
Au sein d’un groupe intégré, la consolidation des différentes activités – fret, transport de voyageurs, location de wagons ou de locomotives, etc. – permet d’éviter le déficit. Un groupe intégré peut-il tout de même faire l’objet d’une procédure de la Commission européenne ?
Vous affirmez que la réforme de 2018 n’est pas la cause du contentieux et n’a pas modifié l’appréciation de la Commission européenne. Comment expliquez-vous que l’évolution substantielle de la structure du groupe SNCF n’ait pas été assortie d’une purge du contentieux ? N’y a-t-il pas là une faillite du législateur et de l’exécutif ?
Le président Jean-Pierre Farandou nous a informés d’un durcissement, à l’automne 2022, dans les relations entre la Commission européenne et les représentants de la France. Avez-vous également ressenti ce durcissement dans les différentes réunions auxquelles vous avez pu participer ? Si oui, comment l’expliquez-vous ?
Vous avez souligné que les deux sociétés vouées à remplacer Fret SNCF seraient publiques, mais ouvertes à d’autres partenaires, qui pourraient être publics. Nous pensons ici au modèle du groupe Caisse des dépôts. Néanmoins, une part du capital des futures sociétés pourrait être détenue par des actionnaires privés. Des chargeurs tels que Bouygues ou Eiffage seraient-ils susceptibles de devenir actionnaires de ces entités ?
Enfin, vous avez déclaré que le remboursement éventuel des 5,3 milliards d’euros – une somme qu’il conviendrait d’ailleurs de vérifier – serait effectué par Fret SNCF au profit du groupe SNCF, ou de l’État directement. Ne pensez-vous pas qu’un dispositif de prêt miroir serait envisageable dans le cas présent, et pourrait constituer une solution alternative au plan de discontinuité ?
M. Alexis Zajdenweber. Je vous confirme que d’autres EPIC, par exemple l’Institut français du pétrole, ont déjà fait l’objet de procédures de ce type. Le statut d’EPIC n’est pas une protection contre le droit des aides d’État. D’ailleurs, Fret SNCF avait elle-même subi une première décision relative aux aides d’État en 2005. Quoi qu’il en soit, le changement de statut ne modifie en rien l’appréciation ou les dispositions du droit communautaire applicable. J’ajoute que l’approche de la Commission européenne ne se limite pas forcément aux bornes d’un périmètre social ou même d’un groupe intégré. Elle peut s’intéresser à une activité particulière, ce qui est le cas en l’espèce avec Fret SNCF.
Pour répondre à votre question sur la purge du contentieux, dès lors que le statut de la société n’a pas d’impact, la réforme en elle-même ne pouvait pas aboutir à une purge du contentieux. Elle ne pouvait être considérée comme une solution de discontinuité comparable au plan dont il est question aujourd’hui.
J’ai effectivement entendu M. Jean-Pierre Farandou parler d’un durcissement dans les relations avec la Commission européenne, mais ce ressenti du groupe SNCF n’est pas partagé par les autorités françaises. La décision d’ouvrir une enquête formelle n’a pas été ressentie ainsi, à l’époque, par les services de l’État. Pour autant, il est parfaitement compréhensible que le groupe SNCF ait vécu différemment la situation.
Les deux sociétés qui succéderont à Fret SNCF seront contrôlées par le groupe SNCF. De ce point de vue, elles resteront publiques. En pratique, les actionnaires minoritaires pourront être des acteurs publics ou privés. À ce stade, je ne peux me prononcer sur l’identité des potentiels actionnaires des futures sociétés. En tout état de cause, l’État actionnaire s’assurera de l’engagement de ces actionnaires, quels qu’ils soient, dans la stratégie du groupe et de leur alignement avec les objectifs du Gouvernement.
Quant au dispositif de prêt miroir, je n’ai pas eu l’occasion de l’étudier et ne peux donc en apprécier la pertinence. Mais soyez certain que s’il a été décidé d’opter pour une procédure de discontinuité, c’est bien parce qu’il n’existe pas d’échappatoire facile ou de mécanisme juridique qui permettrait de se soustraire au contentieux.
J’ignore quelle serait la part de l’aide à rembourser, et au profit de qui, mais il ne fait aucun doute que Fret SNCF n’a pas les moyens de s’acquitter de cette somme. C’est le cœur du problème.
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La commission procède à l’audition de M. Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau.
M. le président David Valence. Monsieur le président-directeur général, nous avons entendu plusieurs de vos prédécesseurs, notamment Luc Lallemand, Jacques Rapoport et Patrick Jeantet. Ces trois auditions nous ont convaincus du caractère central de l’état du réseau, de la qualité des sillons, de la bonne volonté du gestionnaire d’infrastructure et de sa mobilisation sur les enjeux du fret, dans la capacité à développer la part modale du fret ferroviaire en France.
C’est donc tout naturellement que nous vous interrogerons sur l’effet que vous avez ressenti, ou su traduire en interne, de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire sur votre politique de construction et de mise à disposition des sillons. Plus largement, nous souhaitons connaître votre position sur la prise en compte de la nécessité de décarboner le transport de marchandises, et par conséquent d’actionner le report modal.
Vous connaissez très bien SNCF Réseau pour y avoir occupé des fonctions à des époques très différentes. Les contrats de performance et le degré de priorité accordé au fret ayant beaucoup évolué au fil du temps, cette mise en perspective historique sera pour nous d’un grand intérêt.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Matthieu Chabanel prête serment.)
M. Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau. Je vous remercie de me donner l’occasion d’exposer devant vous la politique de SNCF Réseau en matière de développement du fret ferroviaire.
Je voudrais d’abord partager avec vous trois convictions. Premièrement, le fret ferroviaire constitue aujourd’hui une modalité pertinente pour le transport de marchandises. Il répond aux enjeux de la société et de la planète. La crise sanitaire a été le révélateur de cette capacité du fret et a permis de déclencher un renouveau : au printemps 2020, des trains de fret ont continué à rouler grâce aux entreprises ferroviaires de fret, mais aussi grâce aux cheminots de SNCF Réseau qui tenaient les postes d’aiguillage et assuraient la maintenance du réseau pendant cette période délicate.
Il me paraît important de souligner que même dans un monde où les autres modes de transport seraient décarbonés, le fret ferroviaire conserverait sa pertinence. Comme l’a affirmé le président Gallois devant votre commission, le fret ferroviaire a l’avantage de la sobriété énergétique. C’est un principe physique : le roulement d’une roue sur un rail consomme beaucoup moins que celui d’un pneu sur l’asphalte. J’ajoute que même dans un monde décarboné, la ressource énergétique – notamment électrique – sera rare. La possibilité de transporter une tonne de marchandises avec quatre à six fois moins d’énergie que par d’autres moyens de transport est un avantage durable du fret ferroviaire. Il est donc tout à fait pertinent d’envisager des investissements qui seront toujours utiles dans quarante ou cinquante ans. En outre, le fret ferroviaire a une empreinte territoriale plus restreinte que les autres modes, ce qui présente un intérêt pour la perméabilité des sols et la préservation de la biodiversité. Enfin, le fret ferroviaire assure un très bon niveau de sécurité et de sûreté pour le transport de certaines marchandises, en particulier les matières dangereuses. C’est un autre gage de sa pertinence durable.
Deuxièmement, je voudrais m’arrêter sur l’intérêt du fret ferroviaire pour SNCF Réseau. Il ne s’agit pas d’un intérêt direct de nature financière, car les péages perçus par SNCF Réseau sur le fret ferroviaire sont indexés sur le coût marginal des circulations. C’est le péage minimal imposé par la réglementation européenne et validé par l’Autorité de régulation des transports. Par conséquent, une circulation supplémentaire sur le réseau ne fait que couvrir ces coûts et ne permet pas d’amortir les coûts fixes.
À cet égard, je tiens à signaler l’effort important conduit par l’État au cours des dernières années : si les péages correspondent au coût marginal, le péage réellement payé par les entreprises de fret ferroviaire ne correspond qu’à un tiers de ce montant. Le reste est pris en charge par l’État. En 2022, sur 260 millions d’euros de péages, les entreprises ferroviaires n’en ont payé que 60 millions. La différence a été couverte par l’État. Pour les entreprises ferroviaires, le péage s’élève ainsi à près de 1 euro du train-kilomètre, contre 1,30 euro pour la moyenne européenne, d’après les données de l’Association européenne des régulateurs ferroviaires. Les péages réellement payés par les entreprises de fret ferroviaire en France sont donc légèrement inférieurs à la moyenne européenne.
Si le fret ferroviaire ne présente pas un intérêt direct pour les comptes de SNCF Réseau, il présente tout de même un intérêt majeur pour cette société : en tant que gestionnaires d’un actif qui est propriété de la communauté nationale, il nous appartient d’en maximiser l’utilisation. Nous savons que le réseau ferroviaire français est utilisé de manière disparate. Mais plus il y a de trains en circulation, plus le réseau est utile ; et plus le réseau est utile, plus nous serons en capacité de convaincre les acteurs publics d’investir dans le réseau ferroviaire. SNCF Réseau a donc intérêt à mettre en circulation le plus grand nombre de trains sur le réseau, en vue de maximiser l’utilité du patrimoine confié à sa gestion.
Troisièmement, le premier défi auquel est confronté le fret ferroviaire est un défi de méthode. Après la crise sanitaire, nous avons assisté à un renouveau important dans la méthode adoptée par l’ensemble des acteurs. Je pense en particulier à la création de l’Alliance 4F, qui réunit tous les acteurs du fret ferroviaire et s’est rapidement imposée comme un acteur important pour les pouvoirs publics, mais aussi pour SNCF Réseau. Elle a montré que les acteurs savaient travailler ensemble et se fixer des priorités. Cette méthode ouverte et partenariale ne peut être limitée aux acteurs du fret : il faut y associer l’ensemble des acteurs territoriaux, notamment les chargeurs, ainsi que tous les utilisateurs du réseau. En effet, il peut y avoir concurrence d’usage, dans différents cas, entre le trafic de voyageurs et le trafic de fret.
Le premier défi de SNCF Réseau consiste peut-être à trouver la bonne méthode pour convaincre l’ensemble des acteurs de la nécessité de développer le fret ferroviaire. À cet effet, nous organisons cette année des forums régionaux consacrés au fret ferroviaire. Nous avons déjà mis en œuvre cette démarche dans les régions Grand Est, Nouvelle-Aquitaine et Hauts-de-France.
Je voudrais également insister sur trois facteurs de réussite. Le fret ferroviaire représente aujourd’hui 14 % des circulations sur le réseau. Ce taux a baissé significativement dans les années 2000, avant de se stabiliser à 60 millions de trains-kilomètres par an. Il est à noter que la reprise des volumes ne s’est pas opérée à travers une augmentation des circulations, mais par une meilleure utilisation des trains en circulation. Avec un nombre équivalent de kilomètres parcourus par des trains, nous avons transporté plus de marchandises au cours des dernières années. Pour ce faire, nous avons fait circuler des trains plus lourds ou plus longs. Il existe donc des leviers d’optimisation.
Le premier enjeu tient aux investissements dans le réseau le plus circulé. Cette conviction est portée par de nombreux rapports, qu’ils soient commandés par SNCF Réseau ou qu’ils émanent du Conseil d’orientation des infrastructures ou de l’Autorité de régulation des transports. Elle a aussi été partagée par le Gouvernement en début d’année, avec l’annonce d’un effort accru à l’horizon 2027 de 1 milliard d’euros pour la régénération du réseau et de 500 millions d’euros pour sa modernisation chaque année. Le réseau le plus circulé est aussi celui qui est emprunté massivement par les trains de fret. Il s’ensuit que les efforts de régénération du réseau profiteront à tous les utilisateurs, notamment aux entreprises de fret ferroviaire.
Viennent ensuite les investissements spécifiques au fret ferroviaire : le triage, les voies de service, les lignes capillaires de fret. J’ai pu constater avec le plan de relance – qui a été confirmé dans la durée par les annonces récentes du ministre des transports –, une croissance significative de ces investissements et leur traduction en réalisations très concrètes sur les voies de service et les triages. Aucun investissement n’avait été effectué à Miramas ou à Woippy depuis plusieurs décennies. L’investissement sera certainement l’un des enjeux clés de la réussite en matière de fret ferroviaire.
Le deuxième enjeu clé et facteur de succès repose sur les sillons. Une amélioration notable peut être constatée sur les dix dernières années. En 2013, 70 % des sillons étaient alloués ferme en septembre. En d’autres termes, 70 % des sillons commandés l’année d’avant étaient confirmés en septembre pour l’année 2013. Nous venons de finaliser les résultats pour l’année 2024 : ce sont désormais 88,8 % des sillons qui ont été confirmés aux entreprises de fret. En l’espace de dix ans, cet indicateur a progressé de près de vingt points.
Cela n’empêche pas les conflits d’usage avec les trains de voyageurs, d’une part, et avec les travaux, d’autre part. Il existe des règles visant à préserver les sillons de fret, y compris de jour et sur les plages horaires denses. Pour ce qui est des travaux, l’objectif consiste bien à préserver le maximum de trafic. À titre d’exemple, nous réalisons actuellement des travaux de grande ampleur entre Dijon et Paris. Nous avons choisi de les exécuter de jour, entre neuf heures trente et dix-sept heures trente, ce qui perturbe fortement le trafic de TER et de TGV. Nous sommes conscients des conséquences de ces travaux pour les clients. Toutefois, ce choix a permis de préserver la ligne pendant la nuit, et de sauver plus de deux mille trains de fret sur la période concernée. SNCF Réseau s’attache donc à faire les choix les plus équilibrés possible entre les trains de fret et les trains de voyageurs.
Le troisième et dernier facteur de réussite tient à la qualité des circulations. Toute entreprise ferroviaire disposant d’un sillon tient en effet à ce que les trains soient aussi ponctuels que possible. Pour les trains de fret, la ponctualité à trente minutes s’élève aujourd’hui à 84,8 %, tandis que la ponctualité à cinq minutes est de 68 %. SNCF Réseau est à l’origine d’environ 20 % des causes de non-ponctualité.
Nous conduisons des travaux avec les entreprises de fret pour améliorer la qualité des circulations en travaillant sur le départ à l’heure. Ce principe semble évident, mais il est difficile à respecter pour les opérateurs de fret, qui doivent réceptionner les marchandises pour faire partir les trains. Nous travaillons sur cinquante trains long parcours.
En parallèle, nous menons des actions sur la continuité du suivi des circulations, car l’attention aux circulations régionales ne doit pas faire perdre de vue l’arrivée de trains traversant la France d’un bout à l’autre.
M. le président David Valence. Ma première question portera sur la saturation du réseau. Nous avons tous en tête les goulets d’étranglement et les nœuds ferroviaires les plus compliqués pour lesquels des projets de contournement sont en cours. Le niveau de saturation est-il élevé ? Serait-il possible de faire circuler davantage de trains sur des fractions significatives du réseau, en évitant les grandes agglomérations ? Nous avons besoin de cette objectivation, car nous avons entendu des discours divergents sur ce sujet, y compris de certains de vos prédécesseurs. Je conçois que la réponse ne soit pas simple.
Par ailleurs, vous avez évoqué la question du capillaire fret, c’est-à-dire des lignes dédiées au fret. Nous savons qu’une partie des 930 millions d’euros annoncés par l’État dans les contrats de plan État-région (CPER) et déclinés dans différentes lettres de mission incluent des travaux de modernisation de triage, mais aussi des actions sur le capillaire fret. Quel est, selon vous, l’avenir du capillaire fret ? En effet, il se pourrait qu’une partie du linéaire de voirie dédié ne soit pas conservée. Surtout, comment évaluez-vous la mobilisation des chargeurs et des collectivités territoriales sur ce sujet ? Je précise que j’ai été vice-président d’une région qui a investi de manière conséquente dans le capillaire fret, hors compétence obligatoire. Dans les accords que nous signions, nous avions l’habitude d’associer le chargeur à hauteur d’un tiers des financements, notamment pour la prise en charge de la maintenance de la voie rénovée ou ouverte. Un autre tiers des financements était assuré par l’État, le dernier tiers incombant à la région. Dans certains cas, les intercommunalités étaient associées aux financements. Comment évaluez-vous l’avenir du capillaire fret et la mobilisation des collectivités territoriales et des chargeurs pour le maintien du réseau ?
M. Matthieu Chabanel. La saturation réelle du réseau constitue effectivement une question très complexe. Le réseau francilien est sans doute le plus circulé d’Europe. En réalité, le réseau connaît des situations très disparates, et il est très peu maillé par rapport au réseau allemand. Historiquement, le réseau ferroviaire français a été construit en étoile autour de Paris par des compagnies ferroviaires indépendantes les unes des autres. Nous avons donc peu de lignes transversales et de contournement des grandes agglomérations.
Il est difficile d’apporter une réponse univoque à votre question. Il subsiste tout de même de la capacité, y compris sur des axes majeurs pour le fret. Je demande souvent aux entreprises de fret de commencer par faire circuler davantage de trains sur des axes très circulés. Il est plus facile d’ajouter un train sur ces trajets que d’atteindre un emplacement compliqué au cœur d’une métropole déployant en même temps un projet de service express régional métropolitain. Faire circuler un train supplémentaire dans la vallée du Rhône, en cadence avec les autres trains, est beaucoup plus simple.
Il existe toutefois des nœuds compliqués. C’est le cas en particulier de Lyon, où les trains de fret sont contraints de traverser la gare de La Part-Dieu. C’est une difficulté majeure au regard de la saturation du réseau. Le sillon lorrain, entre Metz et Luxembourg, présente aussi des enjeux de saturation. A contrario, l’artère nord-est dispose d’une réserve de capacité qui permettrait de faire passer plus de trains de fret. La réponse doit être élaborée train par train, en fonction du type de trafic. L’enjeu consiste à inscrire le plus en amont possible une réservation de sillons pour la capacité du fret, dans des plans à dix ou quinze ans.
Le capillaire fret est un enjeu important, puisque le fret ferroviaire sert beaucoup au trafic céréalier et au trafic de carrière. Dans ce cas, le point d’origine est souvent implanté au bout d’un capillaire fret. Il faut savoir que 30 % du fret ferroviaire est à l’origine ou à destination d’un capillaire fret.
Les crédits ont augmenté considérablement. Entre 2015 et 2020, près d’une trentaine de millions d’euros étaient investis dans le capillaire fret. Depuis lors, les engagements ont plus que doublé. Les contrats de plan État-région devraient confirmer cette dynamique.
Le financement moyen, en 2021-2022, se répartit de la manière suivante : 45 % par l’État, 55 % par les collectivités et 5 % par les chargeurs. Mais la méthode mise en œuvre dépend de la structure du financement, de la modalité d’exploitation ou encore de la durée de vie souhaitée du capillaire. SNCF Réseau a ouvert des possibilités de modalités d’exploitation alternatives en réponse à la demande des chargeurs.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Je voudrais aborder la question de l’avenir de l’opérateur public qui sera missionné sur un type de trafic dit « mutualisé ». La viabilité économique du nouvel opérateur suscite des inquiétudes, notamment en raison de l’état du réseau. Vraisemblablement, cet opérateur ne sera pas forcément prioritaire pour les investissements sur les réseaux au bénéfice des autoroutes ferroviaires ou des trains longs et lourds.
De nombreuses mesures financières sont prévues pour les voies de service, la création et la modernisation d’installations terminales embranchées (ITE), l’accompagnement de la modernisation des cours de marchandises, ou encore les installations de tri. Nous avons entendu parler d’investissements importants dans les quatre centres de triage par gravité, mais qu’en est-il des gares de triage à plat ?
Quel a été le niveau d’engagement en 2021-2022, plus particulièrement pour les installations en lien avec le trafic mutualisé ? Quels choix devrez-vous prendre en matière d’infrastructures de réseau pour tenir compte de l’arrivée du nouvel opérateur ?
De mémoire, l’Alliance 4F a estimé entre 10 et 13 milliards d’euros – tous partenaires confondus – les investissements nécessaires pour le fret ferroviaire à l’horizon 2032. Or les financements cumulés de l’État devraient atteindre 4 milliards d’euros à cette échéance. Cet effort vous paraît-il à la hauteur ?
M. Matthieu Chabanel. Le nouvel opérateur qui succédera à Fret SNCF bénéficiera d’abord de l’effort de régénération sur l’ensemble du réseau, car c’est ce travail qui permettra de préserver la pertinence du fret ferroviaire par rapport aux autres modes de transport. Sans cet effort de régénération, notre réseau s’appauvrira et deviendra moins performant.
Le premier enjeu pour le futur opérateur, ce sont bien les triages à la gravité, qui bénéficient d’investissements. Miramas, Woippy, Sibelin et Le Bourget sont le cœur de l’outil industriel du futur opérateur. De ce point de vue, les investissements au profit des triages sont une excellente nouvelle pour le futur opérateur.
Quant aux triages à plat, ils émargent, dans les plans d’investissements, à la ligne « voies de service », car rien ne distingue un triage à plat d’une voie de service. Je signale que Fret SNCF a prévu des investissements importants en 2023 et 2024 sur le triage à plat d’Hourcade, au sud de Bordeaux. Ce triage, très fortement utilisé par Fret SNCF, bénéficiera de 14 millions d’euros d’investissements et contribuera à l’efficacité du nouvel opérateur.
SNCF Réseau est tenue à l’impartialité la plus stricte dans ses choix d’investissement et dans sa manière de traiter les opérateurs. Le travail de priorisation des investissements en cours avec l’Alliance 4F participe bien de cette logique consistant à ne pas induire de concurrence entre les opérateurs, mais à favoriser le développement de l’ensemble du fret ferroviaire. L’objectif est de mettre à la disposition de l’ensemble des opérateurs ferroviaires un réseau répondant à leurs besoins. C’est pourquoi la hiérarchisation des investissements en cours avec 4F me paraît importante. Une partie de ces investissements serviront des marchés qui ne sont plus ceux de l’opérateur historique : plateformes de transport combiné, augmentation de gabarit, trains plus lourds et plus longs, etc. Nous veillerons à ce que ces investissements soient parfaitement équilibrés.
Le chiffrage initial établi par 4F comportait, au-delà des investissements dans le patrimoine, des projets nouveaux qui ne sont plus comptés dans les 4 milliards d’euros. Je pense notamment aux contournements fret ou encore aux accès à la ligne Lyon-Turin. Or le coût de ces travaux est estimé à plusieurs milliards d’euros, ce qui porte aisément le montant total des besoins à 10 milliards d’euros.
Le programme défini aujourd’hui vise les besoins opérationnels immédiats des opérateurs. Les opérations sur les voies de service, le développement des plateformes de transport combiné ou la rénovation des triages, à une échéance de trois ou quatre ans, sont autant de mesures qui permettront de maintenir la dynamique de renouveau du fret ferroviaire constatée après la crise sanitaire. Avant même d’imaginer de grands projets, il fallait impérativement se doter d’un plan d’investissements tel que celui conçu par l’État et mis en œuvre avec le soutien des collectivités territoriales. Car je ne doute pas que les CPER seront signés : plusieurs collectivités portent un grand intérêt à ce développement. Les équipes de SNCF Réseau déploieront également tous leurs efforts pour la réalisation de ces programmes.
En résumé, je pense que les investissements mobilisés pour le réseau ferré sont tout à fait pertinents.
M. le président David Valence. En ma qualité de président du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), j’aimerais expliciter vos propos. En réalité, les 4 milliards d’euros sont consacrés à la régénération et la modernisation de l’existant. Ce montant est très proche des estimations établies par 4F et le COI pour la même finalité. Et, pour une fois, les investissements dans la régénération et la modernisation de l’existant ont été annoncés avant les projets nouveaux ou exceptionnels par leur ampleur.
M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Monsieur le président-directeur général, je ne pouvais pas manquer cette audition puisque vous êtes mon patron : je travaille à SNCF Réseau. J’aurai quatre questions à vous soumettre.
Vous avez fait état d’un taux de ponctualité à trente minutes de 84 % pour les trains de fret. C’est une performance raisonnable pour le fret. Vous estimez que, sur les 16 % de trains non ponctuels, 20 % des perturbations relèvent de la responsabilité de SNCF Réseau. Mais connaissez-vous le pourcentage des retards imputables aux opérateurs privés ? En tant que cheminot, je sais que les entreprises de fret privé ont leurs propres agents de manœuvre.
Je souhaite aussi évoquer la question des installations terminales embranchées (ITE). De mémoire, leur nombre est évalué à 2 800 d’après les dernières données disponibles. Pouvez-vous nous fournir un état des lieux précis de ces embranchements, à savoir le nombre d’installations en fonctionnement, hors d’usage ou à rénover ? Existe-t-il un plan de remise en état de ces 2 800 embranchements ? Il est souvent question de relancer le fret de proximité, pour les entreprises qui n’ont besoin que d’un ou deux wagons ? Quels éléments chiffrés pouvez-vous nous communiquer sur ce point ?
Nous entendons souvent déclarer que les trains de fret ne circulent pas la nuit en raison des travaux de régénération. Je me félicite d’apprendre par vous que des travaux ont été effectués en journée pour permettre le passage des trains de fret la nuit. C’est une bonne nouvelle. Pouvez-vous nous indiquer la part du recours à la sous-traitance dans les travaux pilotés par SNCF Réseau ?
L’état du réseau et les besoins de régénération et de remise à niveau sont fréquemment mis en avant. Le fait est que certains triages et voies de service sont en très mauvais état. Une partie des voies de service ont certes fait l’objet de travaux de rénovation par SNCF Réseau, mais nombre d’entre elles ont dû être fermées par manque de moyens. Au regard de l’objectif consistant à doubler la part modale de 9 à 18 %, le réseau – en particulier les voies de service et les triages – est-il en capacité d’absorber ce trafic supplémentaire ?
M. le président David Valence. SNCF Réseau se voit souvent reprocher la méconnaissance de son patrimoine, notamment en matière d’ITE. Permettez-moi ici de vous livrer une expérience personnelle. J’ai assisté, dans ma région, à la réouverture de la ligne ferroviaire reliant Épinal à Saint-Dié-des-Vosges. Celle-ci avait bénéficié de crédits publics exceptionnels à la suite d’un engagement du Président de la République. Peu avant le lancement des travaux, l’utilité potentielle de cette ligne pour le fret a été évoquée. Je me souviens avoir alors posé des questions sur les ITE aménagées le long de cette voie, mais les représentants de SNCF Réseau n’avaient pas su me répondre précisément. Jusqu’à une date récente, la réhabilitation des ITE était peut-être jugée farfelue par les entreprises. Il semblerait qu’un nombre croissant de sociétés s’intéressent désormais à cette possibilité.
En tout état de cause, je ne peux qu’abonder dans le sens de mon collègue Thomas Portes pour ce qui est de la méconnaissance de son patrimoine par SNCF Réseau. Quelle est votre position sur ce sujet aujourd’hui ? Menez-vous une démarche de valorisation commerciale auprès des entreprises pour les encourager à envisager le fret ?
M. Matthieu Chabanel. Les autres entreprises ferroviaires sont à l’origine d’environ 15 % de la non-ponctualité, alors que 20 à 25 % de ces retards relèvent de la responsabilité de SNCF Réseau. Cependant, je ne suis pas en mesure de vous préciser la répartition de cette non-ponctualité par type de train.
Pour ce qui est des travaux, je rappelle que la SNCF a toujours fait appel à des entreprises extérieures. Le syndicat des entreprises de travaux de voies ferroviaires a d’ailleurs été créé dix ans avant la SNCF, en 1928. Les moyens de travaux lourds ont toujours appartenu à des entreprises de travaux. Il n’y a donc pas eu de changement fondamental sur ce plan, même s’il est vrai que les missions confiées à ces entreprises de travaux ont évolué. Aujourd’hui, sur 100 euros d’investissement, 80 euros correspondent à des achats de matières premières et de prestations d’ingénierie et de travaux. Les 20 euros restants couvrent la masse salariale des cheminots. En revanche, pour la maintenance courante du réseau, la proportion s’inverse : 75 % de masse salariale de cheminots et 25 % de travaux externalisés. Notre politique consiste à confier les travaux lourds à des entreprises externes, tout en gardant la maîtrise de ces opérations, notamment pour la restitution des voies le matin, et à assurer en interne la majorité des interventions de maintenance courante.
S’agissant des voies de service fermées au cours du temps, des limitations de tonnage et de la capacité à accompagner le relèvement de la part modale, il convient d’identifier les zones dans lesquelles s’opérera cette progression. Notre patrimoine est issu de l’histoire de l’industrialisation de notre pays et du secteur ferroviaire. Nous possédons donc de nombreuses voies de service dans certaines zones, notamment dans la région Grand Est. Il reste à savoir dans quels secteurs nous aurons réellement besoin de voies de service, en fonction du niveau de trafic.
M. le président David Valence. Je rappelle que la région Grand Est est l’une des rares présentant déjà une part modale proche de l’objectif.
M. Matthieu Chabanel. Pour autant, nous n’aurons sans doute pas les mêmes besoins, en termes de localisation des voies de service, qu’à l’époque de leur construction – principalement dans les années 1950, dans un contexte de reconstruction et de développement de la sidérurgie. Il ne sera donc pas nécessairement opportun de rouvrir les voies de service fermées. Nous aurons peut-être à créer des plateformes de transport combiné sur des emplacements dépourvus de voies de service, en fonction des flux logistiques et des besoins de part modale. Ce sont des évolutions qu’il nous faut anticiper et accompagner.
Nous vous communiquerons les données dont nous disposons concernant les ITE. Nous savons qu’il existe aujourd’hui 889 ITE actives sur le réseau. Nous avons une estimation du nombre d’ITE non actives, mais notre connaissance du patrimoine n’est pas exhaustive. Lorsqu’il est question de renouveler des voies peu circulées, ou circulées uniquement par des trafics régionaux, il convient de s’interroger sur les choix d’investissement : un train léger n’a pas les mêmes besoins en traverses, rails et ballast qu’un train de fret. Les coûts de régénération varient donc selon la nature des projets, portés par l’État et les collectivités régionales à hauteur de 91,5 %.
Nous menons toutefois une politique commerciale sur les ITE ayant un potentiel de développement du trafic à court terme. Nous nous attachons d’abord à conforter celles qui sont déjà utilisées, ce qui implique des travaux.
Dans le même temps, nous accordons une plus grande attention qu’autrefois aux politiques d’urbanisme. Lorsqu’une collectivité renégocie un plan local d’urbanisme (PLU) ou un schéma directeur et prévoit une zone d’activité économique, nous lui signalons qu’il serait possible d’envisager son branchement au réseau. Nous devons redoubler d’attention et de proactivité sur ce sujet, qui est un défi majeur des années à venir.
M. Nicolas Ray (LR). Quel est votre sentiment sur les aides jugées illégales par la Commission européenne ? Aviez-vous un doute sur leur légalité, à l’époque où elles ont été perçues, ou avez-vous été surpris par ce contentieux ?
Par ailleurs, comment pensez-vous que l’opérateur public pourra « digérer » le plan de discontinuité et ses impacts sur la réorganisation des activités, les cessions et le personnel ?
Sur le plan de 100 milliards d’euros d’ici à 2040 annoncé par la Première ministre, quelle sera la contribution de SNCF Réseau ? Quelle capacité aura-t-elle pour exécuter ces crédits ? Plus largement, comment envisagez-vous la répartition de l’activité entre les différents acteurs du transport et les collectivités ?
Enfin, j’aimerais recueillir votre avis sur le tarif des péages : considérez-vous qu’ils sont fixés au bon niveau, notamment par rapport au trafic voyageurs ? Faut-il faire évoluer ces tarifs pour garantir un financement adéquat du réseau ?
M. Vincent Thiébaut (HOR). Je suis d’avis que l’avenir du fret, à moyen et long terme, repose sur une vision logistique. En tant que responsable des infrastructures de réseau, avez-vous déjà identifié des emplacements prioritaires en termes de logistique et d’industrialisation ? À côté de l’Alliance 4F, il est essentiel d’associer à cette démarche l’ensemble des acteurs économiques et les collectivités territoriales. La vocation première du fret est d’offrir un service répondant à un besoin.
Concernant les branchements ITE, je voudrais à mon tour faire part de mon expérience personnelle. Je suis député d’Alsace. Dans ma circonscription, deux pôles logistiques possèdent des entrepôts situés à moins de 100 mètres d’une ligne ferroviaire, sur laquelle circulent des trains de marchandises. J’ai été très surpris d’apprendre que ces entreprises ne sont pas connectées au réseau, sans doute pour des raisons de coûts. Ne serait-il pas opportun de recenser ces points logistiques essentiels, qui pour l’instant sont exclusivement desservis par des camions ? Avez-vous dressé une carte des emplacements à prioriser pour une connexion au réseau ou une modernisation d’ITE ?
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. J’habite au sud de Rouen. J’ai vu se construire la ligne Serqueux-Gisors. J’ai appris que des objectifs avaient été définis quant au nombre de trains en partance du Havre et de Rouen à l’horizon 2030. Combien de trains circulent aujourd’hui sur la ligne Serqueux-Gisors, et quels travaux sont nécessaires, notamment sur les ports du Havre et de Rouen, pour atteindre les objectifs en 2030 ? Quelles actions faudrait-il pour développer davantage l’activité ? De nombreuses grosses entreprises implantées sur la plateforme de Rouen n’ont pas d’embranchement au réseau. Au Havre, malgré la présence de multiples ITE sur la plateforme pétrolière et chimique, deux grosses entreprises seulement disposent d’un embranchement avec le réseau. Peut-on envisager d’aller au-delà des objectifs fixés pour 2030 sur l’axe Seine Paris-Le Havre ?
M. Matthieu Chabanel. En tant que président de SNCF Réseau, je n’ai participé à aucune réunion sur l’avenir de Fret SNCF. Je ne possède donc aucune information précise sur le contentieux. Je sais seulement que la solution envisagée prévoit des transferts de flux de la SNCF vers d’autres opérateurs, qui sont pour l’instant inconnus. Pour notre part, nous devons nous assurer de la disponibilité des sillons en vue de leur transfert à l’opérateur – sachant que dans certains cas, ces sillons ne sont pas réservés par Fret SNCF, mais par l’opérateur de transport combiné. En revanche, je ne peux vous apporter aucune précision ou opinion éclairée sur la situation juridique de l’entreprise.
S’agissant du plan à 100 milliards d’euros, SNCF Réseau travaille à se mettre en capacité de l’exécuter. Ce plan comporte plusieurs objets : les contrats de plan État-région, élaborés en association avec SNCF Réseau, plusieurs autres grands projets, et enfin la montée en charge des investissements de régénération et de modernisation du réseau. En fin d’année, nous devrions avoir une vision claire du déroulement du contenu de ces différents objets et de la montée en charge.
J’en viens aux tarifs des péages. Pour le fret, ils sont calés sur le minimum légal européen. L’État en prend à sa charge les deux tiers et les entreprises ferroviaires supportent le tiers restant. Le péage moyen se monte à 1 euro du train-kilomètre, quand la moyenne européenne est de 1,30 euro du train-kilomètre. À mon sens, le prix du péage n’est donc pas une difficulté pour les entreprises ferroviaires.
Une autre question, beaucoup plus large, porte sur le niveau des péages en France et les choix de politiques publiques entre les péages et les subventions. Ce point donne lieu à des débats entre l’État et les collectivités régionales.
Sur l’avenir du fret et sur les enjeux relatifs au suivi de l’industrialisation et de la logistique, je suis entièrement d’accord avec le principe de partir du besoin. Nous avons trop souvent tendance à construire des infrastructures avant de nous interroger sur les services qu’elles peuvent rendre.
Il est certain que SNCF Réseau et les autres grands gestionnaires d’infrastructures, à commencer par les ports, doivent travailler en étroite concertation. Avec Haropa Port, nous nous attachons à identifier les flux et nous réfléchissons aux moyens de les capter sur le réseau ferroviaire. Ainsi, en lien avec Haropa Port et avec le soutien des collectivités régionales Normandie et Centre-Val de Loire, nous avons implanté une plateforme de transport combiné à Orléans. Haropa Port avait en effet repéré la présence de flux intéressants à amener au Havre. C’est ce type de démarche que nous devons accompagner, en nous appuyant sur les informations transmises par les acteurs générateurs de flux. En tant que gestionnaires d’infrastructures, nous ne sommes pas les mieux placés pour connaître les besoins en flux logistiques. En revanche, il nous appartient d’intervenir en soutien des logisticiens, des émetteurs de flux et des ports pour les aider à bien construire le projet et à en optimiser le financement.
Cette approche nécessite de travailler avec les acteurs de la logistique, comme le prévoit la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire. C’est pourquoi nous conduisons des réflexions avec France Logistique. Ces échanges sont indispensables pour accompagner le transfert de la logistique routière vers le fer, d’une part, et la réindustrialisation, d’autre part.
La ligne Serqueux-Gisors est un très beau projet ferroviaire, qui répond pour partie au besoin de travaux. La réouverture de cette ligne puis son électrification permettent de doubler les itinéraires entre la Normandie et la région parisienne, si bien qu’en cas de travaux nocturnes sur l’axe Paris-Rouen-Le Havre, les trains de fret peuvent emprunter la ligne Serqueux-Gisors. Ainsi, le réseau a gagné en robustesse et en efficacité. Toutefois, il faudra d’autres leviers d’attractivité pour faire parvenir des conteneurs jusqu’au Havre, à commencer par le développement du port.
D’ailleurs, un chantier est en cours entre Serqueux et Amiens, sur une ligne parcourue à la fois par des TER et par des trains de fret. Le renouvellement du réseau existant est un chantier de plusieurs dizaines de millions d’euros, conduit sous financement de SNCF Réseau. Ces travaux viendront pérenniser une autre possibilité pour le fret ferroviaire à destination du Havre. Sans le fret, des travaux d’une telle ampleur n’auraient pas été envisageables.
J’ajoute que nous travaillons aussi avec Voies navigables de France. Les gestionnaires d’infrastructures portuaires, ferroviaires et fluviales doivent se concerter pour favoriser le développement du trafic sur cet axe.
M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Vous avez mentionné 889 ITE actives, et vous avez précisé disposer d’une estimation du nombre d’ITE non actives : pouvez-vous nous faire part de ce chiffre ?
Je conçois qu’il ne soit pas opportun de rénover certaines voies de service ou d’aménager des embranchements sur certains emplacements tant que les besoins semblent insuffisants. Mais les entreprises elles-mêmes sont réticentes à s’installer sur des sites privés d’embranchement. D’une certaine manière, l’offre entraîne la demande.
Vous avez également signalé que des travaux étaient effectués en journée pour permettre le passage des trains de fret la nuit. Étudiez-vous la possibilité de généraliser cette solution sur l’ensemble du réseau ?
M. Matthieu Chabanel. Je précise que les travaux en journée ne sont pas exceptionnels. Nous prévoyons un chantier important de rénovation de voies entre Paris et Orléans en 2025-2026. Or, le tronçon Étampes-Orléans est essentiel pour le fret. Si les travaux s’effectuaient la nuit, le fret en provenance d’Allemagne et d’Espagne ne pourrait plus circuler. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’exécuter ces travaux en journée, entre 9 heures 30 et 17 heures 30. Il en sera de même pour les travaux de rénovation de voies réalisés dans la vallée de la Maurienne ces prochaines années.
Pour autant, il n’est pas envisagé de basculer l’intégralité des travaux en journée puisque nous devons répondre aux demandes en TER, Intercités et TGV. Nous nous efforçons d’avoir une approche équilibrée.
Je ne suis pas en mesure de vous communiquer le chiffre exact du nombre d’ITE non actives, mais il est certainement supérieur à 2 000. Cela signifie que le fret ferroviaire disposait d’un maillage bien plus dense jusque dans les années 1950 et 1960. Avec le développement du transport routier, l’usage de ces ITE ne répondait plus aux attentes.
Pour ce qui est de l’offre et de la demande, je suis convaincu que la politique d’offre est adaptée pour la création d’un parc logistique réunissant plusieurs entreprises. En revanche, l’histoire a montré que des projets très ambitieux ont finalement peu servi. Or nous sommes redevables de l’allocation des crédits publics. Chaque euro qui nous est attribué doit être investi à bon escient.
La séance s’achève à dix-neuf heures quinze.
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Présents. – Mme Sophie Blanc, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Sylvie Ferrer, M. Pascal Lecamp, M. Thomas Portes, M. Nicolas Ray, M. Nicolas Sansu, M. Vincent Thiébaut, M. David Valence, M. Hubert Wulfranc