Compte rendu

Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes

         Audition, ouverte à la presse, de Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.                              2

         Membres présents ou excusés............................   3

 

 

 


Mardi
7 novembre 2023

Séance de 17 h 15

Compte rendu n° 23

session ordinaire de 2023-2024

Présidence
de Mme Véronique Riotton,
Présidente


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La séance est ouverte à dix-sept heures dix-sept

 

Présidence de Mme Véronique Riotton, présidente

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

 

Ces débats ont fait l’objet d’un compte rendu écrit ; ils sont également accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

https://assnat.fr/HtnWNM

 

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Mme la présidente Véronique Riotton. Madame la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, merci d'avoir accepté le principe de cette audition, qui nous semblait tout indiquée pour inaugurer la deuxième phase de nos travaux de cette session après la période budgétaire.

Avant de vous laisser la parole pour que vous nous présentiez votre feuille de route et vos objectifs, j'ai deux questions à vous poser. La première a trait au projet de loi visant à sécuriser et régulariser l'espace numérique, dit SREN, que nous avons contribué à améliorer en remportant quelques belles victoires dans l’hémicycle. Nous avons en effet fait adopter des amendements qui contraignent les plateformes à retirer les contenus à caractère sexuel diffusés sans le consentement des personnes concernées ou qui représentent des scènes de torture ou de barbarie, et d’autres qui alourdissent les peines relatives au chantage à caractère sexuel ainsi qu’aux outrages sexistes en ligne. Quel sera le destin de ces dispositions au terme de la navette parlementaire ?

Ma deuxième question concerne la proposition de directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, présentée par la Commission européenne, à laquelle la France semble peu incline à intégrer le cas du viol : pourriez-vous clarifier la position de la France à cet égard ?

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. J'éprouve une véritable satisfaction à me présenter devant vous dans le cadre de cette audition, non seulement parce que j'ai siégé au sein de cette délégation pendant mon premier mandat de député et que je sais l’engagement qui nous rassemble, mais aussi parce que je crois au travail parlementaire et à la nécessité de vous rendre compte de l'action du Gouvernement.

La délégation aux droits des femmes joue un rôle crucial dans l'évaluation de nos politiques publiques et votre vigilance constante est indispensable pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes, que le Président de la République a érigée comme grande cause de ses deux quinquennats successifs.

Avec l’appui de l’Assemblée nationale, une action sans précédent a été engagée, notamment pour lutter contre les violences faites aux femmes. C'est à ce titre que la Première ministre Élisabeth Borne a présenté le 8 mars dernier, Journée internationale des droits des femmes, le plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 « Toutes et tous égaux ». Celui-ci se décline en 161 mesures, réparties en quatre axes prioritaires qui orientent l'action des ministères pour les prochaines années : la lutte contre les violences faites aux femmes, la santé des femmes, l'égalité professionnelle et économique, et la culture de l'égalité. Ce sont les principes de ma feuille de route et les priorités de mon action.

Le Grenelle contre les violences conjugales, qui a permis un débat public spécifique et entraîné une mobilisation massive, a débouché sur cinq lois qui contiennent de grandes avancées. Notre priorité a d’abord été de recueillir la parole des victimes. Cela s’est traduit par l’extension de la ligne téléphonique d’information et d'écoute 3919, ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, et la formation de plus de 150 000 policiers et gendarmes aux violences intrafamiliales et sexuelles, dont 100 % des élèves des écoles de police et de gendarmerie. Nous avons aussi développé les dispositifs de protection des femmes. Ainsi, nous avons considérablement augmenté notre capacité d'hébergement d'urgence, qui atteindra 11 000 places en 2024 contre 5 000 en 2017, tout en déployant 1 000 bracelets anti-rapprochement – dont une nouvelle génération arrive d’ailleurs dès la fin de l’année – et 5 000 téléphones grave danger, dont 75 % sont utilisés aujourd’hui, ce qui laisse une réserve. En 2021, 6 000 ordonnances de protection ont été délivrées, soit une hausse de plus de 90 % rendue possible par la forte baisse du délai de délivrance, que nous avons fait passer de quarante jours à six. Enfin, nous nous sommes attachés à mieux sanctionner et à mieux suivre les auteurs, avec l'ouverture de trente centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) qui assurent un accompagnement psychologique et social de ces individus, y compris de leurs addictions, pour lutter contre la récidive.

Il faut avoir l’humilité de reconnaître que ces résultats sont encore loin d'être réjouissants, et garder notre détermination à agir. Nous allons renforcer les dispositifs existants, avec des ordonnances de protection délivrées sous vingt-quatre heures et la création d'ici à la fin de l'année de pôles juridiques spécialisés qui permettront de rapprocher le civil et le pénal.

On sait aussi, par les associations, que les femmes victimes de violences conjugales font en moyenne sept allers-retours avant de quitter pour de bon leur conjoint. Nous avons donc élaboré un nouveau dispositif, le pack nouveau départ, qui doit faciliter le départ des victimes et la séparation définitive. Un référent unique sera désigné, qui coordonnera le parcours de la victime et sécurisera l'activation rapide et prioritaire de ses droits et aides. Cinq départements pilotes ont été sélectionnés : le Lot-et-Garonne, les Bouches-du-Rhône, la Côte-d'Or, La Réunion et le Val-d'Oise, lequel a même initié une phase de pré-expérimentation. Les résultats de ces expérimentations nous permettront d’identifier les enjeux spécifiques des territoires avant la généralisation de cet accompagnement fin 2025.

Vous avez créé par la loi du 28 février 2023 une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, que nous souhaitons appliquer dès le 1er décembre. Pour ce faire, le budget de mon ministère a été augmenté de 10 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

Nous réfléchissons également à un meilleur accompagnement des enfants, victimes collatérales des violences conjugales.

Lutter contre les violences faites aux femmes suppose aussi de combattre l'exploitation et la traite des êtres humains, dont les victimes sont en France majoritairement des femmes victimes d'exploitation sexuelle. C’est un combat à poursuivre car, si la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a envoyé un signal important, son application réelle et complète nécessite encore des efforts. Je défendrai notamment un troisième plan national de lutte contre la traite des êtres humains et, avec Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’enfance, une première stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel. Nous devons consolider la loi de 2016 dans tous ses aspects : les commissions départementales de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, la pénalisation des clients, l’utilisation de l’ensemble des moyens, notamment de l’aide financière à l’insertion sociale, facilitant les parcours de sortie de prostitution.

Enfin, j'appelle votre attention sur le sujet des violences faites aux femmes dans l'industrie pornographique. De récents travaux en France ont levé le voile sur ce phénomène alarmant, comme le rapport d'information « Porno : l'enfer du décor » de la délégation aux droits des femmes du Sénat et le rapport « Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE). Nous ne pouvons pas rester sans agir. J’ai donc lancé un groupe de travail interministériel avec les ministères de l'intérieur, de la justice, du travail, de la culture et du numérique, pour aborder le sujet sous toutes ses dimensions. Nous travaillerons à des mesures pour le retrait des contenus qui intègrent des tortures et actes de barbarie. Quant aux avancées proposées dans le cadre du projet de loi SREN, madame la présidente, je souhaite que nous allions au bout d’une expertise avec des juristes spécialisés. Il faut aussi progresser sur le retrait des contenus à la demande des personnes concernées et sur le respect du droit du travail – qui n’a jamais accepté des actes de torture et de barbarie, même dans un tournage de film pornographique. Je sais l’attente forte de votre délégation sur ces sujets et je salue l’implication de ses membres.

En matière de santé des femmes, de belles victoires ont été obtenues ces dernières années. Nous devons désormais appliquer concrètement de nombreux engagements. Plusieurs dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l'année 2024 y participent : le remboursement des préservatifs féminins – après le succès de la même mesure pour les préservatifs masculins ; la prise en charge des protections périodiques réutilisables ; l'élargissement de la compétence des pharmaciens pour les cystites simples.

La constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) demeure la mesure la plus attendue. Les événements récents, en particulier aux États-Unis, nous rappellent la fragilité des droits des femmes : en dix-huit mois, quatorze États américains ont interdit l'IVG, et des femmes risquent désormais la prison pour avoir avorté. Étant donné les ambiguïtés des partis d'extrême droite de notre pays sur ce point, nous ne sommes pas à l'abri. Le Président de la République a donc annoncé vouloir que la liberté des femmes de recourir à l'IVG soit inscrite dans la Constitution, afin que rien n'entrave ou ne défasse ce droit, et ce de manière irréversible. Cela adresse aussi un message universel de solidarité à toutes les femmes qui voient cette liberté bafouée. Après un travail parlementaire consciencieux et transpartisan, il est temps de saisir l’occasion de ce moment historique de consensus. Le projet de loi constitutionnelle a été soumis au Conseil d'État et sera présenté au Conseil des ministres avant la fin de l'année, et nous irons au bout de la promesse formulée par le Président de la République.

En matière d’égalité professionnelle aussi, nous avons fait beaucoup de chemin depuis que nous sommes aux responsabilités. Mais, bien que les résultats confirment une trajectoire positive, le revenu moyen des femmes en France demeure inférieur de 24 % à celui des hommes dans le secteur privé en 2021 ; et, à poste comparable, l'écart de salaire en équivalent temps plein (ETP) est de 4,3 %. Si nous avons commencé à agir sur les écarts salariaux à poste égal, une des problématiques majeures reste le temps partiel subi. Pour l’éviter, il faut améliorer les modes la garde. L’aide à la garde d'enfants pour les familles monoparentales a déjà été étendue jusqu’à 12 ans au lieu de 6, et l'allocation de soutien familial a été augmentée de moitié, pour atteindre 185 euros par enfant et par mois. Nous allons aussi créer un service public de la petite enfance.

Comme l'a annoncé la Première ministre, le déploiement du plan « Toutes et tous égaux » s'accompagnera d'une refonte de l'index de l'égalité professionnelle. C'est l'objet de la concertation que nous mènerons durant les dix-huit prochains mois avec Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Le nouvel index devra être plus ambitieux, plus transparent, plus fiable, exempt des biais qui ont été repérés et mieux contrôlé – le tout dans le cadre de la transposition de la directive européenne sur la transparence salariale, qui nous permettra d’instaurer l’éga-conditionnalité en matière de commande publique, sujet que je vous sais cher.

Je suis fière de vous annoncer que nous avançons sur la question du budget intégrant le genre, sur lequel Sandrine Josso et Céline Calvez ont beaucoup travaillé – je les remercie pour leur rapport d'information sur le sujet. Une mission de collaboration va très bientôt être lancée – nous sommes allés très vite – avec le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) et l'Inspection générale des affaires sociales afin que cette mesure soit appliquée dès les PLF et PLFSS pour 2025.

Il faut aussi faire avancer la culture de l’égalité, ce qui passe par une éducation dès le plus jeune âge. Or le rapport « Éducation à la sexualité en milieu scolaire » de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, publié en septembre 2022, révèle que moins de 15 % des élèves bénéficient des trois séances d'éducation à la sexualité prévues pendant l'année scolaire. Le Conseil supérieur des programmes a été saisi le 23 juin pour élaborer un programme qui tiendra compte de l'expertise et des propositions des associations féministes et LGBT. Le personnel enseignant sera formé sur l’ensemble des thématiques que ce programme abordera. L’objectif est que les nouvelles générations de citoyens disposent de toutes les clés pour appréhender le monde avec respect et bienveillance. Nous avons conscience qu’il faudra rassurer les familles sur le contenu de ces séances. Nous y travaillons – la première étape sera la publication de ce programme. Jusqu’à présent, le dispositif a mal fonctionné parce qu’il était trop différemment appliqué selon les territoires, que les associations ne sont pas assez nombreuses pour répondre à la demande et que nous n’avions pas de contenu uniformisé.

Sur tous les sujets que je viens d’évoquer, notre ambition politique s'accompagne de moyens à la hauteur des enjeux : le budget alloué au programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes s'élève à 76 millions d’euros pour 2024, soit une hausse de 10 millions pour financer l'aide universelle d'urgence. Nous ne réussirons pas seuls : le travail transpartisan sur ces sujets demeure primordial. L'égalité femmes-hommes doit tous nous concerner, quelle que soit notre sensibilité politique, comme l’illustre la composition de cette délégation.

Enfin, j’ai mesuré à Genève, devant le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, à quel point la France suscite l'espoir des femmes à travers le monde pour faire avancer leur cause. Vous pouvez compter sur moi pour m’y attacher.

Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Quelques jours après l’annonce par le Président de la République de sa volonté d’introduire dans la Constitution le plus rapidement possible la liberté de recourir à l’avortement, vous nous présentez une feuille de route particulièrement claire et inspirante. Au nom du groupe Renaissance, j’ai trois questions à vous poser. Premièrement, quels enseignements tirez-vous du rapport « La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État » publié par la Cour des comptes en septembre dernier ? Deuxièmement, quelle sera concrètement l'action du Gouvernement en matière d'accès des femmes à la santé, en particulier d'accès à l'IVG ? Troisièmement, pouvez-vous nous préciser quand sera institué le groupe de travail visant à lutter contre les violences faites aux femmes dans l'industrie pornographique que vous avez annoncé il y a quelques semaines, quels seront sa composition et ses objectifs, et ce que vous espérez de ses travaux ?

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). La loi du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, dont j'ai eu l'honneur d'être le corapporteur, prévoit le versement d'une aide financière sous soixante-douze heures garantissant des droits essentiels et permettant à la victime d'échapper à son bourreau. Cette aide peut prendre la forme d’un don non remboursable ou d’un prêt sans intérêts. Si je me réjouis de la concrétisation de cette action spécifique, votée à l'unanimité à l'Assemblée et au Sénat, dans le PLF pour 2024, je demeure surpris par l'opacité du calcul ayant mené à un montant de 13 millions d'euros. Cela, en plus de l’absence de décret d’application, compromet la capacité de notre délégation à se prononcer sur ce montant. Dès l’examen du texte, j’avais insisté auprès de votre prédécesseur Isabelle Rome sur la nécessité de budgéter cette mesure de façon adéquate. Pouvez-vous justifier le montant retenu et en détailler l'utilisation ? Quelle évolution envisagez-vous dans les prochaines lois de finances ?

Je termine en saluant l'investissement de votre ministère dans mon département des Bouches-du-Rhône et en vous disant combien je regrette, madame la ministre déléguée, l’usage à dessein de certaines expressions qui ne témoignent pas du respect que l'on doit à chaque parlementaire.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). La convention sur la violence et le harcèlement de l'Organisation internationale du travail (OIT), adoptée le 21 juin 2019, dispose en son article 10 que tout membre de l'OIT doit prendre les mesures appropriées pour reconnaître les effets de la violence domestique et atténuer son impact dans le monde du travail. La France a opté pour une ratification sèche de ce texte, ignorant de fait la recommandation n° 206 qui l'accompagne, laquelle aurait appelé de nombreuses évolutions du cadre juridique français. Cette recommandation énumère des exemples de mesures : création d'un congé pour les victimes de violences domestiques, modalités de travail flexibles, protection temporaire des victimes contre un licenciement ou encore prise en considération de la violence domestique dans l'évaluation des risques sur le lieu de travail.

Avec Pascale Martin et Louis Boyard, qui travaille à une proposition de loi sur le sujet, nous nous sommes rendus en Espagne pour approfondir la question. Les avancées de ce pays en la matière sont connues, avec une loi-cadre de 2004, des mesures de protection intégrale des victimes et l’adoption en 2017 du pacte d'État sur les violences faites aux femmes, qui comprend 290 mesures interministérielles et est doté d’un budget annuel de 748 millions, soit 16 euros par habitant contre 5 en France. En outre, le ministère de l'égalité en Espagne recense les féminicides et active une cellule de crise sitôt que le seuil de cinq cas mensuels est dépassé.

Mais il n’y a pas qu’elle : l’Irlande vient d’instaurer un congé spécifique pour les salariés victimes de violences conjugales, comme l’ont fait les Philippines, la Nouvelle-Zélande, l’Australie. En France, quelques entreprises seulement ont pris des mesures isolées. Qu'attendez-vous pour mener une politique féministe globale et volontariste, à la hauteur des besoins mis en lumière par les associations et par la Cour des comptes ?

Mme Virginie Duby-Muller (LR). L'année n'est pas encore finie et déjà 107 femmes ont péri sous les coups de leurs compagnons ou ex-compagnons ; en 2022, elles étaient 118. En moyenne, près de 100 000 femmes sont chaque année victimes de viol ou tentative de viol et plus de 200 000 sont victimes de violences physiques. Malgré notre meilleure volonté, ces chiffres restent terribles, alors que le sujet n’a jamais été aussi présent dans le débat public, en particulier depuis le mouvement MeToo. Depuis plusieurs années, la société entière se mobilise pour dénoncer ces crimes. Rappelons à ce propos que 5 à 6 % des victimes d'abus en 2022 étaient des hommes.

Le plus problématique est que certaines femmes, en plus d'être victimes de violences physiques et verbales, se voient mises à la porte de leur logement par les forces de l'ordre, prétendument pour leur sécurité. En 2023, c’est encore aux victimes de dormir dans la rue tandis que les agresseurs demeurent impunis ! Ces femmes qui perdent tout en quelques minutes se retrouvent dans des foyers d'urgence, lorsqu’il y a une place. Mais ces endroits ne sont pas faits pour des femmes seules et vulnérables, et encore moins si elles sont accompagnées de leurs enfants. Dans un rapport de 2019 sur les homicides conjugaux, l'Inspection générale de la justice concluait que 82 % des mains courantes et procès-verbaux de renseignements judiciaires n'avaient pas donné lieu à des investigations et que 80 % des plaintes avaient été classées sans suite. Que pouvons-nous faire à ce propos, en lien avec la justice ?

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. Je répondrai d'abord à Mme la présidente à propos du projet de loi SREN, en saluant deux des avancées majeures que vous avez obtenues. La première est la disposition permettant à la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) de retirer les contenus présentant des actes de torture et de barbarie. Si Pharos est déjà en mesure d'agir ainsi pour les cas d’apologie du terrorisme et de pédocriminalité, l'élargissement de ces dispositions à la pornocriminalité suppose un examen minutieux, notamment parce qu’il présente un risque d’inconstitutionnalité. C’est pourquoi, je l’ai dit dans mon propos liminaire, la réflexion est encore en cours et sera étudiée par le groupe de travail que j’ai déjà évoqué. Nous devons avancer sur ce sujet, et une instance sera de toute façon nécessaire pour assurer le retrait des contenus. S’il est décidé que c’est Pharos, alors cette disposition devra être maintenue dans le projet de loi par la commission mixte paritaire, prochaine étape de la procédure législative. Sinon, nous trouverons un autre moyen.

S’agissant du rapport « La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État » de la Cour des comptes, j'établis une distinction entre son contenu et le traitement médiatique dont il a été l'objet. Ce rapport reconnaît le volontarisme du Gouvernement dans ses combats contre les violences conjugales et les violences faites aux femmes, ainsi qu'en matière d'égalité professionnelle. Néanmoins, il souligne le manque de collaboration interministérielle sur ces sujets. C’est une critique récurrente, parce qu’il faut mobiliser ensemble et au bon moment différents secteurs du Gouvernement : travail, justice, intérieur, éducation… Mais cela demeure la grande cause du quinquennat, et la Première ministre y est particulièrement attentive. C’est pourquoi le comité interministériel qui devait se réunir tous les ans et ne l’a pas fait depuis le début du quinquennat se tiendra d’ici à la fin de l’année, je réitère cet engagement devant vous.

La Première ministre avait également pris l'engagement d’octroyer des moyens complémentaires, notamment des ETP pour le SDFE, en région et à Paris. Si la hausse ne répond peut-être pas à vos attentes, elle est pourtant suffisamment importante pour être soulignée.

À propos de l'IVG, je rappellerai qu'un important travail transpartisan a beaucoup fait évoluer les choses lors de la précédente législature. Ainsi, le délai légal de recours à l'IVG est passé de douze à quatorze semaines. Surtout, et c’est souvent oublié, les sages-femmes ont été autorisées à pratiquer l'IVG – le décret sera publié avant la fin de l’année. Cela facilitera largement l’accès à l'IVG sur l'ensemble du territoire, alors que certains départements manquent de praticiens disposés à pratiquer ce geste.

Plus généralement, nous avons réalisé plusieurs avancées en matière de santé des femmes, notamment avec la prise en charge de l'endométriose. Je considère que nous devons aller plus loin et traiter un certain nombre d’autres sujets : les règles incapacitantes, l'infertilité – qui croît, non seulement chez les femmes mais aussi chez les hommes – ou encore la ménopause et plus largement la santé des femmes seniors, sur laquelle Sophie Panonacle a beaucoup travaillé. C’est encore un sujet tabou, et négligé par notre société. Or il faut arriver à travailler sur la santé des femmes tout au long de la vie, comme s’y est engagé le Président de la République. Cela n’implique pas forcément des évolutions législatives : c’est un travail global de sensibilisation de la société et des professionnels de santé qui est nécessaire. Nous voulons organiser en début d'année prochaine un grand événement autour de ce thème.

S’agissant de la pornographie, j’ai été comme vous saisie par les rapports de la délégation aux droits des femmes du Sénat et du HCE. Le nombre de contenus aux scènes particulièrement violentes hébergés sur les quatre principales plateformes pornographiques en France est effrayant ; certaines relèvent de la torture et de la barbarie. Nous devons faire en sorte que ces contenus deviennent inaccessibles. D’aucuns, et c’est d’ailleurs la position du Haut Conseil, souhaitent interdire la pornographie en France. Il me semble que c’est viser un peu trop haut. La priorité est d’être intraitable lorsque des violences sont exercées ou lorsque la dignité humaine est atteinte, ce qui se produit dans un nombre croissant de vidéos. Non seulement c’est inacceptable, mais cela entraîne une sorte d'accoutumance chez les spectateurs, qui ont tendance à reproduire ces scènes dans leur intimité. Le groupe de travail interministériel que j’ai évoqué a tenu une préréunion il y a quelques jours et entame ses travaux. Il dispose de six mois pour aboutir à des mesures permettant le retrait effectif de ces contenus. En attendant, je réunis les associations qui aident les victimes cette semaine et je consulterai plus largement les acteurs du terrain dans les semaines à venir. Nous irons au bout de ce travail.

L'aide universelle d'urgence, qui est issue d’un travail parlementaire, sera allouée dans un délai de trois à cinq jours aux femmes qui ont besoin de quitter leur domicile le plus rapidement possible. Elle pourra être combinée aux dispositions du pack nouveau départ sitôt la généralisation de ce dernier à l'ensemble du territoire accompli, d'ici à la fin de l'année 2025. Son montant pourra aller de 240 à 1 330 euros, sous forme d’aide non remboursable ou de prêt. Les crédits qui y ont été affectés s’élèvent à 10 millions, ce qui est ambitieux pour une nouvelle mesure – c’est le signe que nous voulons que cela fonctionne. Mais ils ne sont qu’indicatifs : c’est une logique de guichet qui a été retenue, ce qui signifie que si un montant supérieur est nécessaire, il sera financé. D’ailleurs, 1,5 million d’euros ont déjà été déployés pour financer la mesure dès le 1er décembre, car il n’est pas question d’attendre le 1er janvier 2024.

Il n’y a donc pas d’inquiétude à avoir sur le montant consacré à cette aide, monsieur Taché de la Pagerie. Quant à vos derniers mots, je suppose qu’ils font référence au fait que je considère le Rassemblement national, issu du Front national, comme un parti d'extrême droite. Je le dis très librement, et si cela vous heurte, c'est que vous en convenez.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Vous n’honorez pas notre délégation en tentant ainsi de faire d'un mensonge une vérité ! Vous ne me laissez pas d'autre choix que de quitter cette réunion.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. C'est pourtant la réalité. Bonne soirée.

Madame Leboucher, vous avez déploré le retard de la France sur l'Espagne, et il est vrai que nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation que nous connaissons. Je rappelle simplement que l'Espagne agit depuis vingt ans et qu'il lui a fallu attendre sept longues années pour observer une baisse significative des féminicides. Nous nous sommes attelés au sujet en 2017, nous avons organisé le Grenelle des violences conjugales en 2019 et la loi qui en est issue, que j'ai défendue à l’époque avec M. Gouffier Valente, date du 30 juillet 2020. Nous allons au plus vite, mais il y a un temps incompressible avant de sentir les premiers effets des dispositifs. Les tentatives d'homicide au sein du couple connaissent une baisse significative, grâce, je l’espère, à la sensibilisation de la population et surtout au travail de nos forces de l'ordre. Le nombre de féminicides, lui, semble en voie de stabilisation. J’ai l’espoir que les choses s’améliorent. Sans vouloir faire de bataille de chiffres, les 107 cas évoqués par Mme Duby-Muller correspondent au décompte effectué par le collectif #NousToutes, qui prend en compte l’ensemble des meurtres de femmes. Pour ce qui est des féminicides, je vous confirme qu’il y en a eu 88 depuis le début de l’année, ce qui reste évidemment bien trop mais laisse encore espérer une inversion pour 2023.

Vous avez entièrement raison, madame Leboucher, la prise en compte des violences sexistes et sexuelles dans le travail reste un des derniers volets sur lesquels nous n’avons pas encore assez travaillé. C’est apparu clairement lors du bilan des quatre ans du Grenelle, en septembre – un bilan qui ne sera pas définitif tant que les violences conjugales n’auront pas pris une tout autre tendance. Je suis prête à écouter toutes les bonnes idées, d’où qu’elles viennent, et à travailler avec tous ceux qui le souhaitent pour faire en sorte que l’employeur puisse s’investir sur le sujet des violences conjugales en plus des violences sexuelles dans l’entreprise.

Concernant le logement, dès ma prise de fonction en juillet dernier, j'ai demandé une étude sur le fonctionnement des CPCA, leur efficacité et les pistes d’amélioration. Ils permettent non seulement de traiter les auteurs de violences, mais aussi de faire en sorte que ce soient les victimes qui puissent demeurer chez elles. Toutefois, trop de femmes sont encore obligées de quitter leur domicile pour leur sécurité. J'ai déjà souligné l'augmentation significative du nombre de places en hébergement d'urgence que nous avons réalisée, qui atteindra 11 000 en 2024, mais il faut également prendre en considération, vous avez raison, la qualité de ces hébergements. Certains ne sont pas à la hauteur. Nous avons commencé à y travailler avec le ministère du logement et je suis déterminée à progresser, y compris par un travail sur le terrain. Nous œuvrons aussi à attribuer davantage de logements sociaux aux femmes victimes de violences conjugales – nous sommes passés de 8 000 logements sociaux attribués sur de tels critères en 2017 à 11 500 aujourd'hui.

Mme Sandrine Josso (Dem). Madame la ministre déléguée, votre feuille de route a l’entier soutien de notre groupe.

En 2021, notre collègue Élodie Jacquier-Laforge avait défendu une proposition de loi visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal et nous sommes nombreux à nous mobiliser sur ce sujet. En 2022, la direction générale des collectivités locales a montré que les plus hautes fonctions de la vie politique locale demeurent l'apanage des hommes : les femmes représentent 11,8 % des présidents de conseils communautaires, 20 % des présidents de conseils départementaux, 20,1 % des maires et 31,6 % des présidents de régions. Par ailleurs leur part au sein de l'Assemblée nationale est passée de 39 % en 2017 à 37 % en 2022. Les mesures prises depuis 2017 pour l'égalité et les annonces faites ne suffisent pas. Quelle est la position du Gouvernement en la matière et quelles pistes d'amélioration envisagez-vous ?

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Madame la ministre, votre prédécesseur, Isabelle Rome, était très attachée à l’application effective de la loi du 4 juillet 2001 qui a instauré trois cours d'éducation à la vie affective et sexuelle par an, de l'école au lycée. L’application de ces dispositions demeure très hétérogène et insatisfaisante. L'ancien ministre de l'éducation, Pap Ndiaye, avait saisi le Conseil supérieur des programmes, dont je suis membre, pour l’élaboration d'un programme d'éducation à la sexualité et ses conclusions devraient être rendues dans les prochains mois. Hier, une dizaine d'associations féministes ont présenté un livre blanc pour la mise en place d'une véritable éducation à la sexualité, au-delà d'un simple programme. Que pensez-vous de leurs propositions et comment envisagez-vous de rendre effective l'éducation à la sexualité ?

Par ailleurs, nous avons déposé conjointement avec le groupe Écologiste, après de nombreuses auditions, une proposition de loi visant à instaurer un congé menstruel pour les femmes qui souffrent de menstruations incapacitantes. Nous sommes persuadés qu'un consensus pourrait être trouvé pour une telle mesure. Quelle est votre position à ce sujet ?

Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Le premier axe du plan « Toutes et tous égaux » présenté en début d’année s’attache à la lutte contre les violences faites aux femmes. Il prévoit de doter chaque département d'une structure médico-sociale de prise en charge globale des femmes victimes de tous types de violences, adossé à un centre hospitalier et qui pourra assurer le recueil des plaintes. Je soutiens cette initiative. Dans ma circonscription, l'association Women Safe & Children fait fonctionner une antenne à Évian-les-Bains. Je salue l'engagement de ses bénévoles vis-à-vis des femmes, mais aussi des enfants victimes de violences, ce qui est assez rare pour être signalé. Pensez-vous envisageable, pour atteindre l'objectif du plan, de vous appuyer sur de telles structures et de les financer de manière pérenne ? Notre rapporteure sur le PLF Julie Delpech a évoqué la semaine dernière les difficultés que rencontrent ces associations pour répondre aux différents appels à projets. Plus que jamais, elles ont besoin du soutien de l’État.

Pour conclure, je salue la constitution d’un groupe de travail spécifique sur la santé des femmes, qui ne devra pas négliger la question de la santé mentale. À ce titre, je me tiens à votre disposition, avec Pascale Martin, pour vous présenter le rapport d'information que nous avons rendu en juin sur ce sujet.

Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES). Les ministres se succèdent, mais l'égalité salariale n'est toujours pas atteinte en France : depuis hier à onze heures vingt-cinq et jusqu’à la fin de l’année, les femmes travailleront gratuitement. Les chiffres baissent trop lentement depuis trop d’années pour parler de progrès, et nous sommes au dernier rang de l’Europe en la matière. J’ai trois propositions à vous soumettre. La première concerne les nombreuses aides aux entreprises que vous accordez chaque année : pourquoi persistez-vous à refuser de les conditionner à des critères d’égalité salariale ? La seconde est la revalorisation des métiers à forte prépondérance féminine, comme ceux du soin. À ce titre, le service public de la petite enfance pourrait être un puissant vecteur d’égalité. Enfin, pourquoi ne pas instaurer un véritable congé parentalité à égalité pour les deux parents, non transférable et rémunéré à 100 %, comme certains pays d’Europe le font déjà ?

Enfin, je pose la question à tous les membres du Gouvernement : où en est la formation des personnels de police, de justice et de santé à la lutte contre violences sexistes et sexuelles et à la prise en charge des victimes ? Vous avez annoncé des chiffres en progression pour les forces de police, mais quel pourcentage cela représente-t-il, et qu'envisagez-vous pour augmenter cette proportion dans les trois secteurs que j’ai évoqués ?

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. Concernant l'égalité dans la vie politique, de nombreuses choses ont été accomplies au cours des vingt-cinq dernières années. D'abord, des listes strictement paritaires ont été instaurées pour les élections départementales, régionales, sénatoriales et européennes, puis pour les communes de plus de 1 000 habitants. Cette étape importante a permis de féminiser les exécutifs locaux. En 2019, nous avions réussi, avec Sacha Houlié, à convaincre les députés d’étendre les listes paritaires aux communes de plus de 500 habitants, mais la commission mixte paritaire n’avait pas retenu cette disposition. Nous devons convaincre les sénateurs de son intérêt.

Je reste persuadée que quand on cherche des femmes, on les trouve. Les partis politiques qui jouent le jeu l’illustrent bien : les élections de 2017 ont permis une augmentation significative de la part des femmes à l'Assemblée nationale, parce que la volonté politique était d’investir des candidates dans des circonscriptions gagnables. Or on constate, avec le léger recul de 2022, que ce n'est pas définitivement acquis : certains partis préfèrent encore payer des amendes plutôt que de respecter le principe de parité. C’est effroyable. Je suis donc d’avis d’augmenter considérablement le montant de ces amendes.

Au niveau communal également, il y a encore bien trop peu de mairesses. Il faut poursuivre l’action dans ce domaine, mais surtout effectuer un important travail au niveau des intercommunalités, qui prennent de plus en plus de poids politique dans les territoires. La proposition de loi visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal d’Élodie Jacquier-Laforge, votée à l'Assemblée nationale et qui attend d’être examinée au Sénat, serait un bon vecteur pour avancer dans ces domaines – y introduire l’augmentation du montant des amendes dont je parlais serait une excellente chose.

Pour ce qui est des cours d’éducation à la vie affective et sexuelle, le Conseil supérieur des programmes doit donner ses conclusions en décembre. Nous sommes déterminés à faire respecter la loi, ce qui n’est le cas pour l’instant que pour 15 % des élèves sur l'ensemble du territoire. L’éducation à la vie affective et sexuelle est indispensable pour faire de nos jeunes des adultes bienveillants et responsables, surtout dans un contexte de contenus pornographiques de plus en plus violents. Nous y travaillons beaucoup, notamment avec Gabriel Attal, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Nous le faisons étape par étape, car ces cours font régulièrement l'objet d'attaques de groupes conservateurs et réactionnaires, qui laissent entendre des choses abominables sur ce qu’ils pourraient véhiculer et qui pourraient finir par détruire ce que nous sommes en train de réaliser – je voudrais éviter d’en arriver à une situation semblable à ce que l’on observe en Belgique.

Un lien doit être fait avec les cours d'empathie qui sont déjà expérimentés : ils font partie de la lutte contre le harcèlement scolaire, mais développer la capacité à respecter l’autre et à exprimer ses propres émotions ne peut être que bénéfique de manière globale. En revanche, je pense que mélanger les deux serait néfaste. J’ai donc proposé de laisser passer la généralisation des cours d’empathie, en septembre 2024, et d’attendre 2025 pour lancer l’effort sur l’éducation à la vie affective et sexuelle.

J'ai longuement échangé avec Sébastien Peytavie à propos du congé menstruel. En préalable, le terme de « congé » me gêne : je redoute qu'il conduise à une stigmatisation des femmes et augmente encore leurs difficultés professionnelles, notamment à l'embauche. Je suis davantage favorable au terme « arrêt ». Pour le reste, il me semble que la question des règles incapacitantes doit être intégrée à celle plus générale de la santé des femmes. Je suis ouverte au dialogue sur ce sujet. Je pense que les entreprises, comme les administrations d’ailleurs, ont un rôle à jouer dans la facilitation du quotidien des femmes, qu’elles assument encore trop peu. Je n’en connais pas beaucoup par exemple qui aient adapté leurs sanitaires à cette contrainte qui arrive tous les mois pour les femmes ! Il faut lever le tabou pour en faire un sujet banal.

La santé mentale des femmes aussi fait évidemment partie des sujets sur lesquels nous devons travailler. Le rapport de Mmes Violland et Martin sur la question est très riche, mais aussi très large, et il s'agit désormais de déterminer lesquelles de ses recommandations peuvent être transcrites dans une politique publique.

Je suis très attachée au dispositif des maisons des femmes, qui permettent une prise en compte globale et pluridisciplinaire essentielle à la reconstruction des femmes victimes de violences. La Première ministre a pris des engagements forts dans ce domaine, en annonçant une maison des femmes par département à terme et le doublement déjà, d’ici à 2025, des structures existantes. Les moyens qui y sont consacrés par les agences régionales de santé étaient déjà de 2,5 millions en 2023, et ils seront portés à 6 millions en 2024. Nous prêterons une attention particulière à la répartition de ces maisons dans le territoire. Une soixantaine de ces structures sont déjà en place à ce jour. Elles vont nous permettre de recevoir les plaintes des femmes sur place – comme nous le faisons déjà dans certains hôpitaux et bientôt par visioconférence, ce qui est utile pour pouvoir répondre à tous les besoins – et aussi de mener un accompagnement en matière de mutilations sexuelles.

S’agissant de la formation des forces de l’ordre, 150 000 policiers et gendarmes ont été formés sur un total de 250 000, sachant que certains n’ont aucun contact avec le public. La totalité des élèves en école de police ou de gendarmerie l’ont été. C’est très bien, mais il faudra tout de même réfléchir aux modalités de leur formation continue, car on ne se forme pas qu'une seule fois dans sa vie : un rappel des mécanismes de recueil de la parole et de leur intérêt demeurera nécessaire.

Vous m’avez interrogée sur les aides aux entreprises et sur la revalorisation des métiers du soin. Comme je l’ai dit, à poste égal, l’écart de salaire entre hommes et femmes est de 4,3 %. L'index de l'égalité professionnelle a eu un effet direct sur la réduction de cet écart – de nombreuses femmes se sont vues proposer soudainement une augmentation pour améliorer les chiffres de l’entreprise ! Ce à quoi il faut vraiment s’attaquer, c’est les temps partiels subis, qui expliquent les très mauvais chiffres de l’écart de revenu moyen – 24 % : c’est énorme. C'est pour cela que nous avons revalorisé l’aide à la garde d'enfants pour les familles monoparentales et que nous l’avons étendue jusqu’à 12 ans au lieu de 6. Surtout, le service public de la petite enfance, à la création duquel nous travaillons avec Aurore Bergé, ministre des solidarités et des familles, sera essentiel pour faciliter l'embauche et la prise de responsabilités des femmes dans les entreprises – il n’est qu’à voir combien la naissance du premier enfant affecte les salaires des femmes. Rien n’avancera sans progrès concernant les modes de garde.

Quant aux métiers du soin et de l’éducation, qui sont particulièrement féminisés, ils ont été significativement revalorisés – c’est l’État qui est l’employeur. Il faut continuer sans relâche, mais je ne peux pas laisser penser que rien n’a été fait. Il en va de même pour le congé parental, sur lequel Aurore Bergé et aussi la Première ministre se sont engagées. Ce n’est pas si simple – il y avait déjà eu une tentative en 2014 qui n’a guère porté ses fruits – mais cela fait bien partie de nos intentions pour rééquilibrer la charge dans les ménages.

Mme Soumya Bourouaha (GDR-NUPES). La précarité des femmes prend des proportions considérables dans le contexte actuel : plus de 80 % des familles monoparentales sont sous la responsabilité des mères et 40 % d'entre elles vivent sous le seuil de pauvreté, soit deux fois plus que les familles monoparentales sous la responsabilité des pères. Le taux d'emploi des femmes âgées de 20 à 64 ans est de 60,1 %, soit 15 points de moins que pour les hommes. Même si elles travaillent, les femmes perçoivent des salaires inférieurs à leurs homologues masculins ; elles sont d'ailleurs plus susceptibles d'occuper des emplois précaires – temps partiel, contrats à durée déterminée, missions d'intérim. Tout cela crée une situation de vulnérabilité économique. L'inflation actuelle les affecte tout particulièrement, au point de les obliger à recourir à l'aide alimentaire ou même à des moyens dangereux, tels que la prostitution, pour subvenir à leurs besoins essentiels.

Cette situation alarmante réclame une solution urgente. La déconjugalisation de l'allocation de soutien familial, laquelle cesse d'être versée en cas de mariage, pacte civil de solidarité ou concubinage, est une piste à explorer. De manière plus générale, quelles mesures envisagez-vous pour lutter contre la précarité des femmes ?

Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Julie Delpech (RE). En tant que rapporteure pour avis sur la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, et plus spécifiquement sur le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes, je salue les efforts budgétaires consacrés à la lutte contre les inégalités qui ont été entrepris par vos prédécesseurs et que vous avez su amplifier. Les hausses de crédits sont sans précédent, de 22 % entre 2023 et 2024 et de 155 % depuis l’élection du Président de la République, permettant la mise en place de dispositifs essentiels au service de toutes et tous. Au cours des auditions que j’ai menées, j'ai été alertée sur les effectifs du SDFE. Pour qu’il puisse bien remplir sa mission essentielle, la Cour des comptes et le Haut Conseil à l’égalité préconisent une hausse significative de ses ETP, dans l'administration centrale mais surtout au niveau déconcentré. Comment comptez-vous renforcer les moyens du SDFE ?

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Vous avez rappelé les efforts du Gouvernement dans la construction de places d'hébergement d'urgence supplémentaires, mais elles demeurent insuffisantes. Le nombre de femmes à qui le 115 ne propose aucune solution explose. Depuis le début de l’été, plusieurs préfectures ont émis des consignes destinées aux associations gestionnaires du 115 : les femmes enceintes de moins de sept mois ou mères d’un bébé de plus de trois mois ne sont plus considérées comme prioritaires… En Seine-Saint-Denis, certaines mères restent plus d'un mois à la maternité Delafontaine après avoir accouché, par manque de places d'hébergement d'urgence – sinon, c’est la rue. Dix lits sont ainsi occupés sans raison médicale.

La situation n'est pas meilleure concernant les femmes victimes de violences conjugales. Un nombre croissant d’entre elles sont laissées sans solution d’hébergement. Ce sont autant de femmes en danger et nous ne parviendrons pas à réduire le nombre de féminicides tant qu'une solution ne sera pas trouvée. Mais le PLF pour 2024 ne prévoit pas de nouvelles places et nous savons que les amendements que les groupes de la NUPES ont fait adopter pour en créer risquent d’être balayés après le recours au 49.3.

À la rue, madame la ministre déléguée, ces bébés sont en danger de mort, ces femmes risquent des violences graves. Étant donné l’urgence, je vous demande de faire tout votre possible pour que le Gouvernement amende lui-même le PLF et permette la création de 2 000 places supplémentaires d'hébergement pour les femmes.

M. Jean Terlier (RE). Beaucoup de choses ont été faites en matière de lutte contre les violences intrafamiliales lors de la précédente législature. Émilie Chandler et Dominique Vérien ont publié un rapport « Plan rouge vif - Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales » dont les recommandations devaient concilier l’exigence de spécialisation des acteurs de justice avec la nécessaire agilité des organisations liées à la diversité des ressorts judiciaires. Ce travail très complet s’attache aux violences subies par tous les membres de la cellule familiale, au premier rang desquels les enfants. Certaines de ses recommandations ont été reprises dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice. Quelles autres suites envisagez-vous de donner à ce rapport ? De manière plus générale, quelles actions le ministère prévoit-il de mener quant aux violences intrafamiliales ?

Mme Sophie Panonacle (RE). Pour garantir la qualité du climat scolaire, il est impératif de prévenir toutes les violences, notamment sexuelles ou sexistes, ainsi que toutes les formes de harcèlement et de discrimination à l'école. Combattre les violences, c’est d’abord les identifier. Comme chaque année donc, la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, le 9 novembre, sera l’occasion de mobiliser l'ensemble de la communauté éducative et de ses partenaires en ce sens. Cette année, l’ensemble des élèves à partir du CE2 pourront remplir une grille d’auto-évaluation non nominative.

La prise de conscience collective qui a lieu sur le sujet doit permettre de développer un accompagnement. Ce dernier ne peut être assuré par les enseignants, desquels on exige déjà beaucoup. Comment encourager la présence d'intervenants associatifs dans les écoles ? Par ailleurs, une nouvelle campagne est-elle prévue pour le numéro d’appel 3018 dédié aux signalements ? Il vous revient de travailler avec le ministre Gabriel Attal sur ce sujet.

Mme Delphine Lingemann (Dem). La place des femmes dans les sciences est un sujet plus léger, mais qui a un impact sur leurs carrières et sur l’égalité salariale. Comme enseignante dans une école d'ingénieurs, je constate à chaque rentrée une féminisation des effectifs, mais qui demeure insuffisante. Cela commence au collège. Pourquoi les filles se détournent-elles des filières scientifiques ? Il s’agit principalement d’une question d’éducation : il faut des références et des modèles – pensons à Marie Curie qui a inspiré sa fille Irène. Il s’agit aussi d’une question d’orientation scolaire, et des campagnes ont été menées pour faire tomber les stéréotypes et faire découvrir la multiplicité des métiers de l’industrie. Une nouvelle fois, ces actions doivent être menées à l’interface entre plusieurs ministères : éducation nationale, enseignement supérieur et recherche, industrie, en plus du vôtre. Quelles actions interministérielles envisagez-vous pour favoriser la présence des femmes dans les filières scientifiques et techniques ?

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. Pour faire reculer la précarité des femmes, qui est effectivement grave, nous agissons sur l’accès à l’emploi. Il faut faire en sorte que les femmes ne soient pas empêchées de rejoindre des métiers mieux payés et qu’elles puissent avoir des temps pleins au lieu de temps partiels subis. Je rappelle que nous avons revalorisé de façon significative l’aide à la garde d’enfants pour les familles monoparentales et que nous l’avons étendue jusqu’aux 12 ans de l’enfant – pensait-on qu’un enfant de 6 ans et 1 jour pouvait se garder tout seul ? Bref je connais la situation, je sais qu’il y a encore beaucoup à faire, mais nous avançons. Je sais que des travaux parlementaires existent et que le sujet est sensible pour un certain nombre d’entre vous, notamment s’agissant des familles monoparentales, souvent les plus fragiles, et je suis ouverte à toutes les propositions.

Madame Delpech, en tant que rapporteure pour avis de la délégation sur le PLF, vous connaissez la règle de départ : tous les ministères devaient subir une baisse de leurs moyens de 5 % pour 2024. Ce n’est pas le cas du mien. Au contraire, ses crédits passent de 65,4 à 76 millions, pour accompagner le déploiement de l'aide universelle d'urgence et financer l'embauche de 10 ETP. En effet, mon administration et le SDFE sont de plus en plus sollicités, et le pack nouveau départ et l’aide universelle d’urgence seront déployés au début de l’année. Ce début de renforcement des effectifs nous donnera un peu d’air, au niveau tant national que local. Il faudra également des ETP dédiés à la mise en place du budget genré pour 2025.

Pour ce qui est des places d’hébergement, vous savez qu’un travail est en cours sur l’évaluation de leur qualité. Je sais que la situation est désolante et que des enfants dorment à la rue dans notre pays, mais je rappelle aussi que nous avons accompli des avancées significatives en matière de logement depuis le début du premier quinquennat. S’agissant plus particulièrement des femmes victimes de violences, nous nous sommes engagés à créer 1 000 places d'hébergement d'urgence chaque année. C’est beaucoup. Nous n’en sommes pas aux 2 000 que vous demandez, à l'instar des associations, mais je rappelle qu’il n’y a jamais eu de hausse d'une telle ampleur.

Je suis très attentive aux actions que mène le ministère de l'éducation nationale pour la prévention du harcèlement scolaire et de toutes les formes de discrimination, en particulier le racisme, l’antisémitisme et la LGBTphobie. L’école ne peut pas tout, même si elle est indispensable dans la sensibilisation de nos élèves. Les cours d’empathie seront très importants. Quant aux associations, leur rôle perdure évidemment – je le dis parce qu’elles ont eu des craintes. Leurs principaux représentants ont été reçus vendredi dernier au ministère de l’éducation nationale : mon cabinet et celui de Gabriel Attal leur ont montré toute la confiance que nous avons en elles pour nous aider à constituer le programme des cours de vie affective et sexuelle et pour intervenir dans les établissements, car elles demeurent souvent les plus qualifiées pour cela.

Il y a en effet un travail de fond à mener, de façon urgente, pour que les femmes s’engagent dans les métiers scientifiques, dans les métiers du numérique ou plus largement dans les mathématiques. La situation est particulièrement mauvaise dans notre pays, et les filles décrochent très vite. Le ministère de l'éducation nationale est conscient du travail à mener, qui devra s’étendre aux universités. On trouve aussi de bonnes propositions dans le rapport « La femme invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme » publié ce matin par le HCE, qui insiste par exemple sur la question de la représentation des femmes dans les contenus hébergés par les principales plateformes numériques. Ces dernières s'engagent d'ailleurs à analyser leurs contenus de ce point de vue. Le sujet des quotas devra être mis sur la table : nous en reparlerons. En attendant, la Première ministre s’est engagée en faveur de l'accompagnement de 10 000 jeunes filles vers les métiers technologiques, dans le cadre du programme « Tech pour toutes ». C’est important, même si ce n’est pas suffisant sachant que ce sont les métiers les plus précaires, ceux qui sont exercés par des femmes, que l’intelligence artificielle détruira en priorité. Je pense qu’il est envisageable d’aller encore plus loin, et je suis ouverte à vos suggestions.

Enfin, l’excellent rapport « plan rouge vif » d’Émilie Chandler et Dominique Vérien présente des recommandations très précieuses, que nous nous efforcerons de réaliser. La proposition d’ordonnances de protection délivrées dans un délai de vingt-quatre heures par exemple est issue de ce rapport ; une proposition de loi sera déposée avant la fin de l'année pour la concrétiser. Cela peut aller très vite. Quant à la recommandation 26 sur la possibilité de délivrer un téléphone grave danger à la victime à la fin de la peine de l'auteur des violences intrafamiliales, elle est déjà applicable : s’il faut le répéter plus clairement dans une autre loi, nous le ferons, mais le juge a déjà la possibilité de le faire.

Quoi qu’il en soit, j’étudie ce rapport avec beaucoup d’attention et je sais que le ministère de la justice fait de même. Nous reviendrons vous présenter les mesures que nous aurons retenues, y compris je l’espère certaines susceptibles de faire avancer la situation des enfants victimes de violences intrafamiliales.

Mme la présidente Véronique Riotton. La délégation vous remercie, madame la ministre déléguée.

 

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L’audition s’achève à dix-neuf heures huit.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Soumya Bourouaha, Mme Julie Delpech, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Sandrine Josso, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Élise Leboucher, Mme Pascale Martin, Mme Sophie Panonacle, Mme Véronique Riotton, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, Mme Anne-Cécile Violland, Mme Delphine Lingemann.

 

Excusée - Mme Agnès Carel.