Compte rendu

Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Examen de la note scientifique sur la météorologie de l’espace (Christine Arrighi, députée, rapporteure) 2

Examen des conclusions de l’audition publique sur les nouveaux polluants de l’eau (Christine Arrighi, députée, rapporteure) 8

 

 


Jeudi 9 novembre 2023

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 179

 

 

session ordinaire de 2023-2024

 

 

Présidence

de M. Pierre Henriet,
premier vice-président
 


Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 9 novembre 2023

Présidence de M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Examen de la note scientifique sur la météorologie de l’espace (Christine Arrighi, députée, rapporteure)

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. Chers collègues, je voudrais d’abord excuser notre président qui ne peut se joindre à nous ce matin. L’ordre du jour de notre réunion appelle l’examen d’une note scientifique sur la météorologie de l’espace et des conclusions de l’audition publique du mois de juin 2023 sur les micropolluants de l’eau. La tâche incombe doublement à Christine Arrighi, qui va nous présenter ces travaux.

Ces deux sujets, très différents, sont tout aussi importants l’un que l’autre. Leur instruction a nécessité un fort investissement et je remercie notre collègue pour son implication.

La question de la météorologie de l’espace peut paraître lointaine et ne présenter qu’un intérêt anecdotique. Il n’en est rien, comme nous l’ont montré les éruptions solaires intervenues voici quelques jours. Ces phénomènes, dont les rares et magnifiques images d’aurores boréales observées le week-end dernier nous ont offert l’un des plus beaux aspects, peuvent en effet avoir des conséquences importantes.

Je laisse sans plus tarder la parole à Christine Arrighi pour la présentation de cette note.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Monsieur le président, chers et chères collègues, lorsque j’ai découvert voici quelques mois que mon nom était proposé par l’OPECST pour travailler sur le thème de la météorologie de l’espace, j’avoue avoir été quelque peu interrogative puisque j’ignorais tout du sujet.

C’est en interrogeant des scientifiques, notamment au Centre national d’études spatiales (CNES) à Toulouse, que j’ai pu prendre conscience de l’immensité du sujet. Je tiens par conséquent à remercier en préambule l’ensemble des experts que nous avons auditionnés et qui nous ont éclairés sur les enjeux de cette discipline.

Ce n’est pas la première fois que l’Office consacre une note scientifique à l’espace. Nous nous sommes en effet déjà penchés sur le sujet des lanceurs spatiaux réutilisables, ainsi que sur celui des satellites et de leurs applications. Jean-Luc Fugit et Ludovic Haye engagent par ailleurs un travail sur le problème des débris spatiaux.

L’espace a définitivement cessé d’appartenir au domaine des sujets purement spéculatifs ; il en va de même pour la météorologie de l’espace. Il y a un millénaire, l’observation des taches solaires ne passionnait qu’une poignée d’astronomes chinois, prêts à mettre pour cela leur cornée en péril. Aujourd’hui, les esprits contemplatifs ne sont plus les seuls à s’intéresser à la physique solaire et à son éventuel impact sur l’environnement. Entre-temps, notre quotidien a en effet été envahi par des appareils dont le fonctionnement repose sur les communications satellitaires, tandis que les réseaux de transport et de distribution d’électricité se sont développés pour atteindre des dimensions inégalées. Peut-être réalisons-nous ainsi la prophétie de Descartes imaginant l’homme « se rendre comme maître et possesseur de la nature ». Il ignorait alors que ce désir de possession nous conduirait à détruire notre environnement, nous rendant de ce fait plus vulnérables.

Pendant longtemps, les aurores boréales ont été les seuls phénomènes relevant de la météorologie de l’espace à être perçus et enregistrés par les humains. Elles résultent d’éruptions solaires si violentes qu’elles dégagent dans l’espace interplanétaire des particules énergétiques qui pénètrent ensuite dans la magnétosphère, puis dans l’ionosphère terrestre, y induisant des orages magnétiques.

Avec la Révolution industrielle et les développements technologiques ultérieurs, ce phénomène a cessé d’être seulement une joie pour l’œil. Les conséquences néfastes de ces éruptions ont été perçues pour la première fois aux États-Unis en 1859. Cette année-là, à la fin de l’été, une éruption solaire de grande ampleur produisit de très nombreuses aurores polaires visibles jusque dans certaines régions tropicales, aux Caraïbes par exemple. Le réseau de télégraphes électriques fut lui aussi fortement perturbé. On rapporte même que des stations fonctionnant sur batteries auraient continué à fonctionner sans cette source d’alimentation.

On estime que les premières tentatives d’analyse de cet épisode qualifié d’« évènement de Carrington » marquèrent les balbutiements de la météorologie de l’espace en tant que discipline cherchant à comprendre l’influence du soleil sur l’environnement magnétique terrestre.

La France a traditionnellement l’honneur de jouer un rôle important dans le développement et les progrès de cette discipline désormais bien établie. Au niveau mondial, tous les météorologues de l’espace travaillent aujourd’hui à la compréhension de ces phénomènes, en s’appuyant sur la recherche fondamentale en physique solaire pour s’intéresser aux milieux allant du cœur solaire à la croûte terrestre, ainsi qu’à leurs interactions. Sur le plan humain, les progrès de la météorologie de l’espace reposent sur une coopération internationale approfondie entre les spécialistes de différents milieux.

Vous voyez à l’écran le croquis reproduit en page 2 de la note, qui montre l’impact que peut avoir un orage magnétique sur les activités humaines. Ces conséquences potentielles seront d’autant plus importantes à l’avenir que les technologies développées actuellement, en faisant le choix d’un abandon progressif du recours aux énergies fossiles, vont donner une place croissante à l’électricité. Le flux de particules de haute énergie lié à l’activité du soleil et de la magnétosphère peut par exemple accélérer le vieillissement de l’électronique embarquée dans les satellites, provoquer des erreurs informatiques ou réduire la puissance des panneaux solaires qui les alimentent en énergie. Des « bouffées » d’ondes radio émises par le soleil peuvent même perturber les radars de surveillance aérienne.

L’ère technologique fait donc naître le besoin d’une prise en compte de risques nouveaux. Aussi cherche-t-on aujourd’hui à développer une capacité de prévision de ces phénomènes. En quelques décennies, l’horizon de prévisibilité de la météorologie terrestre s’est étendu d’un jour tous les dix ans. Il faut souhaiter que la météorologie de l’espace connaisse une évolution similaire.

L’essor de la science météorologique s’est appuyé sur la compréhension des phénomènes physiques sous-jacents, les observations faites au sol et depuis l’espace, et les progrès de la modélisation. Lentement, mais sûrement, la météorologie de l’espace semble engagée sur la même voie.

Ainsi, un pas important a été effectué en 1995 avec la mission SoHo, menée conjointement par l’Agence spatiale européenne (ESA) et la Nasa, le satellite lancé dans ce cadre étant dédié à l’étude de la structure interne du soleil, de la couronne et du vent solaires.

La mission Solar Orbiter met désormais à disposition des scientifiques un satellite placé en rotation synchrone autour du soleil. Développé avec une participation de la Nasa et lancé en 2020, cet orbiteur de l’Agence spatiale européenne vise à étudier les processus à l’origine du vent solaire, du champ magnétique héliosphérique, des particules solaires énergétiques, des perturbations interplanétaires transitoires et du champ magnétique du soleil. Vous imaginez la difficulté de l’entreprise et l’ampleur des connaissances scientifiques nécessaires pour parvenir à décrypter l’ensemble de ces phénomènes.

Enfin, la mission Parker Solar Probe de la Nasa a, pour la première fois, recueilli en décembre 2021 des particules de la haute atmosphère du soleil. Elle a plus largement pour but de retracer les flux énergétiques et d’étudier les modalités du réchauffement de la couronne solaire, pour mieux comprendre les causes de l’accélération du vent solaire.

Les efforts concernent également l’amélioration des connaissances sur l’environnement terrestre proche et la modélisation. Les chercheurs réfléchissent déjà à des balises qui seraient placées dans l’espace pour mesurer le système en de multiples points, fournissant des données capables de contraindre les modèles actuels. Ils s’inspirent des modèles scientifiques de la météorologie terrestre pour construire des plans de déploiement de constellations de satellites qui permettront de fournir des données en temps réel, dans plusieurs points de l’espace, afin d’affiner les modèles.

Dans le cadre d’un programme de l’ESA, le projet RB-FAN (Radiation Belt Forecast and Nowcast) vise à fournir en temps quasi réel (nowcast) et à un horizon de trois jours (forecast) l’état des ceintures de radiation terrestres.

Dans un domaine marqué par une forte coopération internationale, la France doit garder son rang. Elle est impliquée de manière significative dans toutes ces grandes missions. Les acteurs français s’organisent pour prendre part à la construction d’une offre de services de météorologie de l’espace. Le site internet Sievert permet ainsi déjà à l’aviation civile et au grand public d’évaluer la dose de rayonnement reçue lors d’un vol. Des démonstrateurs de services de météorologie de l’espace ont également été mis en place.

Les prévisions ont une utilité évidente pour les gestionnaires de satellites civils, les communications et les réseaux terrestres, mais l’analyse des perturbations de la météorologie de l’espace a aussi une portée militaire. Si des satellites se trouvent exposés à des particules ionisantes susceptibles de les détériorer ou si les communications hertziennes sont perturbées, les données recueillies doivent permettre de déterminer si la perturbation est imputable à un événement solaire ou à une agression telle qu’un brouillage, un éblouissement, une irradiation induite, etc.

Sur un plan opérationnel, l’Organisation française pour la recherche applicative en météorologie de l’espace (OFRAME) entend répondre de manière efficace et structurée aux sollicitations du monde académique, aux organismes publics et aux industriels. Elle est très impliquée dans l’organisation de réunions-clés, dont la European Space Weather Week, qui se tiendra à Toulouse la semaine du 20 novembre 2023.

Les travaux de l’Office y seront à l’honneur, puisque j’ai été conviée à prononcer une brève allocution lors de la matinée inaugurale de ce colloque. Si nous nous intéressons ici aux sujets scientifiques, les attentes du monde scientifique à notre endroit ne sont pas moins grandes. Devant ce parterre d’ingénieurs et de chercheurs du monde entier, je compte, sur la base du tableau que je viens de brosser, présenter notre vision de cette problématique, ainsi que les enjeux en présence et les actions que nous estimons souhaitables de développer tant au niveau national que dans le cadre européen et international.

Si, au cours de l’échange qui va suivre, vous souhaitez formuler des recommandations ou des vœux, je serai très heureuse de les recueillir et de les transmettre directement dans dix jours à qui de droit.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. Merci, chère collègue, pour cette présentation. La discussion est ouverte.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l’Office. Le terme « irradiation » a été employé. Quels sont les outils utilisés pour définir le degré de dangerosité de ces phénomènes d’un point de vue médical ? L’impact est-il plus important près des pôles ou sous nos latitudes ?

Est-il possible de prévoir les prochains orages solaires ? Faut-il, lors de ces orages, prendre des précautions particulières ?

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Les radiations varient selon l’endroit où l’on se trouve sur Terre : elles sont ainsi plus importantes en Grande-Bretagne ou vers les pôles qu’en France ou au niveau de l’Équateur. Il est toutefois indiqué dans la note que les risques pour la santé sont globalement extrêmement faibles pour les populations.

Une surveillance médicale particulière est effectuée régulièrement chez les personnels de navigation aérienne notamment, qui sont davantage exposés à ces phénomènes. Il s’agit de vérifier que les radiations auxquelles ils sont soumis ne sont pas supérieures à ce que le corps humain peut supporter.

En termes de prévision, l’approche est semblable à celle de la météorologie terrestre. Les observations ont permis de déterminer que les orages solaires répondaient à des cycles de 11 ans. Nous sommes actuellement dans la phase ascendante d’un cycle, si bien que nous pourrions subir dans un avenir assez proche une éruption solaire forte, peut-être même semblable à celle ressentie en 1859, avec un impact accru sur nos activités du fait de notre dépendance croissante à l’énergie électrique. Il faut savoir que ces phénomènes ne sont pas erratiques et sont soumis à des conjonctions physiques que les scientifiques étudient avec une attention d’autant plus importante que notre vulnérabilité dans ce domaine va croissant en raison de nos usages.

Dans le registre militaire, certains scientifiques auditionnés nous ont expliqué que l’on pourrait imaginer demain des simulations d’une éruption solaire, alors même que les perturbations seraient d’origine humaine. Il s’agit de possibilités qui ne relèvent plus de la science-fiction, mais qu’il convient de prendre en compte. Il est donc primordial de développer nos connaissances sur le sujet et d’apporter pour ce faire un soutien à la recherche et au monde scientifique.

M. Daniel Salmon, sénateur. Il me semble que la lumière du soleil met 8 minutes à nous parvenir. En va-t-il de même pour les perturbations radiatives ?

Il est question par ailleurs de cycles de 11 ans. Or le dernier épisode de fortes perturbations remonte apparemment à 1859. A-t-on évalué la fréquence avec laquelle des phénomènes d’une particulière intensité pouvaient se produire ? On parle souvent, en matière d’inondations, de crues centennales. Dans le domaine des orages solaires, sait-on si le risque est plutôt décennal, centennal ou pluriséculaire ? Il est important de disposer de telles informations afin de mieux mesurer le risque pour nos sociétés hypertechnologiques.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Il faut une durée de 17 heures pour que les effets d’une éruption solaire soient ressentis sur Terre. Cela varie évidemment selon l’endroit où l’on se situe sur la planète. La géologie joue également un rôle, certaines roches, tel le quartz, ayant un pouvoir d’attraction magnétique supérieur à d’autres. Ainsi, la Grande-Bretagne ou la Bretagne sont plus sensibles que d’autres territoires.

L’événement de Carrington est la première éruption solaire dont on ait observé les conséquences sur l’activité humaine. Mais il s’en est assurément produit une multitude d’autres au cours des millions d’années qui ont précédé, dont certaines sans doute beaucoup plus spectaculaires que celle-ci. Depuis 1859, d’autres éruptions solaires importantes ont eu lieu, mais celle-ci reste dans les mémoires comme la base des mesures effectuées dans ce domaine. Aujourd’hui, l’attention portée à ces phénomènes et à une meilleure connaissance des facteurs qui les régissent est à la hauteur de la vulnérabilité croissante de nos sociétés aux aléas électriques. Les enjeux aussi bien civils que militaires sont importants.

Les progrès accomplis en météorologie terrestre sont considérables en termes de prévision des phénomènes, donc d’alerte et de sécurisation. Cela est essentiel dans le contexte de dérèglement climatique que nous connaissons, avec la survenue d’événements susceptibles d’avoir des conséquences catastrophiques sur l’activité humaine. La météorologie de l’espace doit être appréhendée de la même façon. Il est pour ce faire indispensable d’accroître les connaissances scientifiques disponibles.

M. Arnaud Bazin, sénateur. La note propose de très utiles rappels sur les fluctuations et les effets des flux de particules et d’ondes provenant du soleil. Elle retrace également les moyens de mesure actuellement déployés, ainsi que les avancées attendues dans le but d’améliorer et affiner les prévisions. Existe-t-il en météorologie de l’espace l’équivalent des plans de sauvegarde, qui se déclencheraient automatiquement pour prévenir les effets les plus indésirables de ces phénomènes solaires, en maintenant par exemple les aéronefs au sol, en mettant en œuvre des précautions particulières visant à protéger un certain nombre d’automatismes militaires ou le réseau électrique, etc. ? Dans l’affirmative, ces systèmes fonctionnent-ils en silos, chacun disposant de ses propres procédures, ou existe-t-il une vision plus large, au niveau du territoire national, de mesures permettant de prévenir les conséquences de ces éruptions solaires dans la vie quotidienne du pays ?

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Il ressort des auditions que la règle dans le domaine est plutôt celle d’une coopération internationale, notamment entre l’ESA et la Nasa. Ces questions extrêmement complexes nécessitent en effet, pour y apporter des réponses pertinentes, de mettre toutes les intelligences en synergie. S’y ajoute le fait que figurent parmi les conséquences majeures de ces phénomènes leurs effets sur les satellites, lesquels sont souvent le fruit de projets internationaux.

La prévision est évidemment un élément central. C’est à ce titre que des missions partagées ont été lancées, avec des satellites d’observation permettant de mieux mesurer pour mieux comprendre et mieux prévoir. Seule la compréhension des éruptions, des vents solaires et des autres phénomènes qui s’y rattachent nous permettra ensuite d’effectuer des prévisions, très utiles dans le domaine de l’aviation, mais aussi pour dans ceux du numérique, des réseaux, des télécommunications. L’enjeu est majeur. Imaginons qu’une énorme éruption solaire mette à mal tous ces systèmes, ne serait-ce que pendant quelques minutes : les conséquences sur nos activités seraient considérables. Pour l’instant, toutefois, nous ne disposons pas des moyens nous permettant d’effectuer des prévisions au-delà de la connaissance de l’existence de cycles de 11 ans et du fait que nous nous situons actuellement en phase ascendante d’un cycle. Nous sommes encore très loin des connaissances développées en météorologie terrestre.

Mme Martine Berthet, sénatrice. Apparemment, le pic du cycle solaire actuel devrait se situer en 2025. Les scientifiques font-ils un lien entre ce phénomène et les épisodes de sécheresse rencontrés sur Terre ? Existe-t-il une interaction entre ces deux sphères ?

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Les scientifiques auxquels j’ai posé la question m’ont expliqué qu’aucun rapport n’avait été établi entre les deux phénomènes. Les humains les observent depuis des milliers d’années, mais les connaissances et les analyses qui en découlent sont assez récentes. Pour l’heure, la réponse des scientifiques est celle-ci.

Mme Huguette Tiegna, députée. Les satellites sont les éléments les plus exposés aux rayonnements solaires. Les scientifiques ont-ils réussi à quantifier les impacts et les éventuels dégâts causés sur les satellites par les radiations ?

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Les impacts possibles semblent être une usure des composants, donc à terme une incapacité des satellites à remplir leurs fonctions. Je n’ai toutefois pas recueilli durant les auditions d’informations faisant état de travaux ayant montré et quantifié précisément les conséquences d’une éruption solaire sur les satellites. Les scientifiques qui travaillent sur ces questions souhaiteraient pouvoir modéliser ces phénomènes, à la manière de ce qui est fait en météorologie terrestre.

M. Philippe Berta, député. Dispose-t-on de données d’interface de ces phénomènes avec la santé humaine, animale ou environnementale ?

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Nous n’avons pas réellement abordé cette question. Les scientifiques que nous avons auditionnés ont insisté, au regard de notre sujétion de plus en plus importante à l’énergie électrique, sur le besoin, l’envie et la nécessité de mieux appréhender ces phénomènes et d’en comprendre les mécanismes, les causes et les conséquences. Cette science n’en est encore qu’à ses débuts, notamment en matière de prévision. Les outils de modélisation qui découleront des travaux en cours pourront être utilisés dans divers domaines. La santé ne semble toutefois pas constituer un sujet prioritaire, mis à part pour ce qui concerne le cas particulier des personnels navigants des compagnies aériennes, davantage soumis à ces phénomènes que le reste de la population. Les scientifiques sont essentiellement tournés, me semble-t-il, vers la prévision des conséquences de ces phénomènes solaires sur l’activité humaine.

M. Daniel Salmon, sénateur. Certaines activités humaines conduisent à modifier la composition de l’atmosphère en ozone ou gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone ou le méthane. Cela a-t-il une influence sur les perturbations terrestres liées aux éruptions solaires ? Nous savons en effet que l’atmosphère joue un rôle de filtre pour les rayonnements du soleil.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Je l’ignore, car nous n’avons pas abordé cette question.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l’Office. Je suggère de mentionner dans l’introduction de la note l’existence du cycle de 11 ans, afin d’attirer l’attention de nos collègues et des lecteurs sur ce point.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. Chers collègues, je vous propose, après prise en compte de cette suggestion, d’adopter la note scientifique, afin qu’elle puisse être publiée sur le site de l’Office.

L’Office adopte à l’unanimité la note scientifique « La météorologie de l’espace » et en autorise la publication.

 

Examen des conclusions de l’audition publique sur les nouveaux polluants de l’eau (Christine Arrighi, députée, rapporteure)

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. Nous en venons au second point de l’ordre du jour de cette séance, consacré à l’examen des conclusions de l’audition publique du 8 juin 2023 sur la surveillance et les impacts des micropolluants de l’eau.

Je rappelle que cette audition avait été organisée par Christine Arrighi et notre ancienne collègue Angèle Préville, très investie sur ces questions. Le mandat de cette dernière ayant pris fin, il revient à Christine Arrighi de nous en présenter seule les conclusions.

Le deuxième élément de contexte tient au fait que cette audition faisait suite à une saisine de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, qui souhaitait obtenir une évaluation scientifique des micropolluants de l’eau ainsi qu’une analyse de leurs impacts sur la santé humaine et les écosystèmes. Si nous validons ces conclusions, le document sera transmis à la commission dès la fin de cette réunion, ainsi qu’à la commission équivalente de l’Assemblée nationale.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Je souhaite exprimer mon profond regret de ne pas être aux côtés d’Angèle Préville pour vous présenter les conclusions de cette audition. Nous connaissons tous en effet sa grande implication sur ces sujets et son attachement sincère aux questions écologiques et environnementales.

La thématique des micropolluants de l’eau est particulièrement d’actualité. Un très grand nombre d’articles de presse lui ont été consacrés récemment. Par ailleurs, au sein de l’Assemblée nationale, le groupe écologiste, par l’intermédiaire du député de Gironde Nicolas Thierry, a engagé une action sur ce sujet : 14 députés, dont je faisais partie, se sont ainsi vus prélever une mèche de cheveux, dont l’analyse devait permettre de détecter la présence éventuelle de PFAS. Il apparaît que les membres de ce panel, dont les lieux de résidence et les âges sont différents, sont tous contaminés, dont certains à des degrés extrêmement importants qui tiennent probablement à leurs lieux de résidence actuels ou passés. En effet, parmi les sujets les plus contaminés figurent des personnes résidant dans les vallées chimiques du Rhône, mais aussi d’autres habitant dans des zones en principe protégées des PFAS, mais ayant passé leur enfance dans des endroits extrêmement pollués chimiquement. Cette analyse va se poursuivre par un tour de France des PFAS, afin de réaliser des tests similaires sur des habitants de nos circonscriptions et de les sensibiliser à cette question grave, qui concerne l’eau.

L’Office s’était intéressé en début d’année 2022 à la gestion quantitative de l’eau, dans le cadre d’une audition publique organisée avec la délégation sénatoriale à la prospective. Mais les pressions exercées sur l’eau sont également d’ordre qualitatif, en raison du très grand nombre de substances chimiques introduites dans l’environnement par les activités humaines. Les récents rapports de l’Office sur la pollution plastique ou l’impact de la chlordécone aux Antilles en témoignent parfaitement.

Le perfectionnement des techniques d’analyse chimique permet aujourd’hui de détecter des substances qualifiées de « micropolluants », présentes à de très faibles concentrations, mais susceptibles d’engendrer des effets néfastes sur les organismes vivants. En raison de la menace que ces composés représentent pour la santé et l’environnement, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a saisi l’Office pour lui demander d’étudier les enjeux associés à ces micropolluants.

Dans ce contexte, j’ai organisé avec ma collègue sénatrice Angèle Préville une audition publique consacrée à ce type de pollution et articulée autour de deux tables rondes : la première portait sur la surveillance mise en place à l’échelle nationale, la seconde sur les conséquences sur l’environnement et la santé humaine.

Les micropolluants de l’eau sont essentiellement d’origine anthropique. Ils concernent de très nombreuses substances et proviennent de produits variés tels que cosmétiques, médicaments, pesticides, utilisés dans divers secteurs d’activité (agricole, industriel, médical, domestique, etc.).

Une fraction de ces produits chimiques, dont la production a fortement augmenté au cours de la seconde moitié du XXe siècle et continue de croître, est rejetée dans les différents compartiments de l’environnement et converge vers les milieux aquatiques. La pollution résulte à la fois de rejets directs provenant de sources ponctuelles et identifiées, comme les installations industrielles et les stations de traitement des eaux usées, mais aussi de sources plus diffuses, comme le ruissellement et l’infiltration des eaux pluviales en milieu urbain et agricole. La typologie des micropolluants trouvés varie en fonction de ces sources. Alors que les rejets agricoles sont principalement constitués de résidus de produits phytosanitaires, les eaux usées domestiques contiennent majoritairement des résidus de médicaments.

Cette problématique est devenue mondiale : plusieurs études ont montré l’existence de micropolluants sur l’ensemble de la planète, y compris dans les endroits les plus reculés. On estime ainsi que la « cinquième limite planétaire », qui correspond à la quantité d’entités chimiques introduites dans l’environnement, est aujourd’hui dépassée, avec des conséquences écologiques considérables.

La surveillance des micropolluants est essentielle pour prévenir les conséquences néfastes qu’ils peuvent emporter. Ce fut l’objet de la première table ronde.

Nous disposons aujourd’hui de méthodes et d’instruments analytiques permettant de détecter et de quantifier des présences toujours plus faibles de polluants.

Pour autant, la surveillance des micropolluants continue à se heurter à plusieurs difficultés pratiques. La première repose sur le nombre de substances susceptibles d’être présentes dans l’environnement. En effet seule une fraction d’entre elles peut être suivie de manière routinière. Un travail de priorisation est donc nécessaire afin d’identifier les principales molécules à rechercher et quantifier. La surveillance des produits de dégradation des substances mises sur le marché pose également des difficultés car elle présuppose de connaître la structure chimique de ces molécules ; or cette dernière n’est pas toujours publique. Elle nécessite également de disposer de molécules étalons qui sont insuffisamment disponibles ou à des coûts prohibitifs. Enfin, le développement de méthodologies d’analyse adaptées, nécessaire pour certaines molécules particulièrement difficiles à détecter du fait de caractéristiques physico-chimiques spécifiques, représente une autre difficulté.

Les variations spatiales et temporelles des concentrations en micropolluants constituent également un obstacle. Des stratégies d’échantillonnage, c’est-à-dire la définition de modalités de collecte de données adaptées, sont donc nécessaires afin d’obtenir des résultats à la fois fiables et représentatifs des éventuelles pollutions.

En raison de ces écueils pratiques, l’intégration de nouveaux polluants dans les programmes de surveillance et de contrôle peut exiger de la part des laboratoires agréés une période de montée en compétences, nécessaire pour s’approprier pleinement les techniques d’analyse et obtenir des résultats fiables. Cela explique notamment pourquoi l’ajout des PFAS aux analyses sanitaires de l’eau de consommation ne sera rendu obligatoire qu’à partir de 2026.

Le dispositif de surveillance qui est en place repose sur deux piliers : le suivi des milieux aquatiques naturels et celui des eaux destinées à la consommation humaine. Pour les milieux aquatiques, la directive-cadre sur l’eau impose à l’ensemble des États membres la mise en œuvre de programmes de surveillance de l’ensemble des masses d’eau, superficielles et souterraines, et fixe des obligations de résultat. En 2019, 43,1 % des masses d’eau superficielles françaises étaient identifiées comme en bon état écologique (ce qui signifie en creux que 56,9 % ne l’étaient pas) et 44,7 % en bon état chimique (contre 55,3 % en mauvais état). 70,7 % des masses d’eau souterraines étaient par ailleurs reconnues comme étant en bon état chimique, ce qui fait que près de 30 % ne l’étaient pas.

À l’heure actuelle, la quasi-totalité des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux prévoient que l’objectif de « bon état » ne sera pas atteint pour la totalité des masses d’eau en 2027.

Le suivi de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine est encadré par la directive « eau potable » et repose d’une part sur la surveillance par les personnes responsables de la production et de la distribution d’eau, d’autre part sur un contrôle sanitaire exercé par les Agences régionales de santé.

En 2021, 82,6 % de la population française étaient alimentés par de l’eau respectant en permanence les limites de qualité réglementaires pour les pesticides. Pour la quasi-totalité de la population alimentée par une eau non conforme, les dépassements se sont avérés limités en concentration et dans le temps, ne nécessitant pas de restrictions de l’usage de l’eau du robinet.

La Direction générale de la santé s’emploie également à rechercher de nouvelles pollutions, en confiant au laboratoire d’hydrologie de l’Anses la réalisation de campagnes nationales exploratoires de recherche de « micropolluants émergents » dans les eaux brutes et distribuées. Les résultats obtenus permettent de faire évoluer les contrôles sanitaires. Dans le cadre du système d’information sur l’eau, un effort est effectué pour mettre à disposition des citoyens l’ensemble des résultats des analyses, par l’intermédiaire de diverses plateformes.

L’eau étant à la fois une ressource pour l’être humain et un milieu de vie pour une multitude d’espèces, sa contamination est susceptible d’entraîner des conséquences tant pour la santé humaine que pour l’environnement.

La seconde table ronde, consacrée à cette thématique, a mis en exergue le fait que l’évaluation de ces impacts sanitaires et environnementaux se heurtait à un état des connaissances très parcellaire. Bien qu’essentielles pour évaluer les risques associés aux micropolluants, les données toxicologiques font souvent défaut. Ainsi, le règlement européen sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction des substances chimiques (REACH) prévoit que les analyses de toxicité ne concernent que les substances produites ou importées en quantité supérieure à une tonne par an, excluant de fait un nombre élevé de composés.

Ces données sont par ailleurs souvent incomplètes car les systèmes d’évaluation ne peuvent prendre en compte la totalité des impacts éventuels. Ainsi, j’ai été particulièrement surprise d’apprendre lors de l’audition que les « effets cocktail » résultant de l’exposition à des mélanges chimiques, tout comme les conséquences des expositions chroniques, n’étaient que rarement pris en considération.

Enfin, même lorsque les données existent, leur non mise à disposition par les industriels ou les très grandes difficultés rencontrées par les scientifiques pour y avoir accès limitent souvent les possibilités d’évaluation des risques environnementaux et sanitaires liés aux différentes substances.

Face à ces difficultés, les méthodes de biosurveillance, qui quantifient les effets sur le vivant à différents niveaux d’organisation biologique et tiennent compte de l’ensemble des contaminants présents et de leurs éventuelles interactions, offrent une perspective intéressante, pour ne pas dire impérieuse, en tant qu’outils complémentaires à l’analyse chimique.

Selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les systèmes écosystémiques (IPBES), la pollution est le quatrième facteur de déclin de la biodiversité. Le dérèglement climatique pourrait aggraver la situation et rendre les espèces encore plus vulnérables aux pollutions chimiques, en raison de facteurs de stress liés aux changements de température, de salinité, etc.

Les micropolluants, par définition faiblement concentrés, n’engendrent généralement pas de mortalité massive de la faune et de la flore, mais génèrent de nombreux effets sublétaux de natures très diverses, susceptibles d’avoir des conséquences importantes au niveau populationnel. À titre d’exemple, la féminisation des poissons mâles engendrée par certains perturbateurs endocriniens impacte la reproduction et peut entraîner le déclin de communautés. Signalons également le cas des PFAS et des microplastiques. Je rappelle qu’un excellent rapport, dont Angèle Préville était co-rapporteure, a été produit par l’Office sur ce dernier sujet.

Si tous les impacts associés à ces polluants sont encore mal connus, plusieurs études font état d’effets particulièrement nocifs. En raison de la multitude de substances concernées et de la variété des mécanismes susceptibles d’être impliqués, le niveau d’incidence global des micropolluants sur la biodiversité n’est à ce jour pas clairement établi. Des études complémentaires, dotées de moyens suffisants, sont donc nécessaires pour mieux évaluer et ainsi mieux prévenir l’ensemble de ces effets.

Parallèlement, les micropolluants de l’eau sont susceptibles d’engendrer diverses conséquences en termes de santé humaine. L’alimentation, incluant l’eau de boisson, constitue généralement la principale voie d’exposition à ces éléments. En raison de l’accumulation de certaines de ces substances tout au long de la chaîne alimentaire, les humains peuvent être exposés à des doses relativement élevées et subir des impacts variés. Un nombre croissant d’études épidémiologiques montre par exemple une association entre l’exposition environnementale aux perturbateurs endocriniens et diverses pathologies chez l’humain.

Par ailleurs, les effets des micropolluants sur la biodiversité peuvent avoir des conséquences indirectes sur la santé humaine. Ainsi, les résidus d’antibiotiques rejetés dans l’environnement créent une pression de sélection sur les populations bactériennes et entraînent l’apparition de souches résistantes, faisant peser une importante menace sur la santé mondiale.

En conséquence, une meilleure prise en compte de l’exposome et l’adoption d’une approche « Une seule santé » (One Health) sont essentielles pour saisir pleinement l’ensemble des risques sanitaires liés aux micropolluants.

En conclusion, il faut retenir que les micropolluants regroupent un grand nombre de substances provenant de l’ensemble des activités humaines et sont présents dans une part importante des milieux aquatiques.

Au cours des dernières années, les progrès techniques réalisés et les campagnes de surveillance mises en place ont permis de lever le voile sur cette pollution, jusqu’alors invisible. Cependant, le nombre de molécules potentiellement dangereuses excède largement les capacités d’analyse actuelles. Si prétendre à l’exhaustivité ne paraît ni souhaitable ni envisageable, la lutte contre ce type de pollution ne peut passer que par une meilleure caractérisation et quantification des substances concernées. Ainsi, le développement des capacités d’analyse et le perfectionnement des méthodes utilisées paraissent prioritaires. À ce titre, les méthodes innovantes de biosurveillance permettant notamment d’appréhender les effets mélanges doivent être mobilisées.

Du fait de données toxicologiques insuffisantes et faiblement disponibles, de mécanismes nombreux et d’interactions complexes, les connaissances relatives aux impacts de cette pollution, que ce soit sur l’environnement ou la santé humaine, souffrent d’importantes lacunes. Il conviendra donc de poursuivre les recherches, afin de prioriser efficacement les substances pertinentes à suivre et ainsi protéger au mieux les humains, la faune et la flore.

Pour lutter contre cette pollution, la réduction des émissions à la source, plus économique, plus facile à mettre en œuvre et plus efficace que les solutions de traitement, doit être privilégiée. La sensibilisation et l’accompagnement de l’ensemble des usagers de produits chimiques, particuliers comme professionnels, semblent absolument nécessaires pour changer les comportements et aller vers des pratiques et des usages plus sobres et écologiques.

Cette orientation, déjà mise en avant par le Plan national micropolluants 2016-2021, est au cœur du quatrième Plan national santé-environnement (PNSE) présenté par le Gouvernement en 2021. On peut toutefois regretter que malgré cette volonté et en dépit des objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement en 2008-2009 et les plans Écophyto successifs, l’indice d’utilisation des produits phytopharmaceutiques agricoles ait augmenté de près de 8 % entre 2009 et 2021.

Les actions de réduction à la source pouvant nécessiter de nombreuses années avant de produire leurs effets, l’utilisation de solutions de traitement doit également être considérée dans les cas où des sources ponctuelles de pollution sont identifiées.

J’en viens à présent aux recommandations que je vous propose de formuler dans ce rapport :

-          Créer, à l’image du GIEC et de l’IPBES, une plateforme scientifique internationale sur la thématique des pollutions chimiques, afin d’encourager une action concertée à l’échelle mondiale ;

-          Poursuivre, amplifier et affiner la surveillance des micropolluants de l’eau, intensifier la recherche et le recours aux outils de détection innovants, issus notamment des méthodes biologiques ;

-          Mieux encadrer l’autorisation des substances chimiques, par exemple en renforçant les exigences de fourniture de données, dans le but de prévenir les risques liés aux micropolluants et d’inciter les producteurs à l’écoconception ;

-          Sensibiliser et accompagner les usagers de produits chimiques, du grand public aux communautés professionnelles, vers des pratiques et des usages plus écologiques, afin d’aboutir à une gestion raisonnée de ces produits, dans une démarche de réduction des émissions à la source ;

-          Lorsque les sources ponctuelles de pollution sont identifiées et en complément des solutions de réduction des émissions à la source, mettre en place des techniques de traitement adaptées aux micropolluants pour limiter leur transfert ;

-          Demander au Gouvernement que le prochain Plan national micropolluants soit rapidement établi et suffisamment ambitieux pour faire face au défi de l’accroissement des pollutions ;

-          Décider que l’Office effectuera un suivi régulier de cette thématique majeure pour la santé et l’environnement.

Je vous remercie de votre attention.

M. Philippe Berta, député. Je crois que les premières alertes relatives à la pollution de l’eau remontent à la fin des années 1980, à l’occasion de deux événements particulièrement marquants. Le premier était l’extinction des populations d’alligators dans les lacs nord-américains due au fait que les sujets étaient devenus hermaphrodites, donc stériles, en raison de concentrations anormales de produits chimiques. Le deuxième était la disparition partielle des populations d’ours blancs, due à leur importante consommation de glace, cette dernière concentrant les micropolluants.

J’ai trouvé votre rapport remarquablement optimiste. Je le serais beaucoup moins. J’ai en effet le sentiment que la prochaine conséquence de ces pollutions, qui constitue peut-être une bonne nouvelle pour la planète en termes d’effet sur la biodiversité, sera la disparition de l’espèce humaine elle-même. Je suis avec attention les chiffres de la fertilité et divers rapports ont par exemple montré que les hommes perdaient 50 % de spermatozoïdes par décennie. La situation devient extrêmement critique. Or l’origine de ce phénomène est à chercher dans l’exposition aux diverses pollutions, que ce soit dans l’eau, l’air, l’alimentation, etc. La difficulté tient à l’évaluation de ces éléments et des effets cocktail liés aux différentes molécules en présence. Ceci est d’une complexité extraordinaire. Cette question devrait selon moi être la priorité majeure en matière de santé publique. Je suis toujours abasourdi, moi qui m’intéresse de longue date à ces sujets, par l’évolution des chiffres de la fertilité. Or cela n’émeut personne. L’accent est mis davantage sur la cancérologie ou l’infectiologie, alors que le vrai péril à moyen terme me semble être là. Dans les années 1990, j’ai fait faire à l’un de mes étudiants qui travaillait sur l’embryogénèse une expérience consistant à verser de l’eau du robinet de Montpellier sur des embryons de poulets : il avait observé assez rapidement l’existence de malformations sexuelles. Le message de santé publique me semble actuellement très léger face à la réalité du danger encouru.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l’Office. Lors de l’épisode de covid, les scientifiques se sont organisés pour mettre au point très rapidement et à moindres frais le réseau Obépine, qui a permis de détecter dans les eaux usées la présence de virus excrété dans les selles des malades. Ne serait-il pas intéressant, en s’inspirant de ce modèle, de proposer un système ciblant quelques molécules qu’il serait possible de détecter quantitativement, afin d’analyser l’évolution de la pollution sur une période assez brève de quatre ou cinq ans et d’être en capacité de réagir ?

Il existe de très nombreuses stations d’épuration sur l’ensemble du territoire. Je viens de Gironde, où il n’est pas rare que les viticulteurs disposent de leurs propres stations de traitement, si bien que l’on ne trouve plus d’effluents viticoles dans la Garonne. Ne faut-il pas envisager de mettre les moyens nécessaires pour filtrer ces produits au niveau des stations d’épuration de nos communes ? L’eau du robinet vient en partie à Paris d’un traitement des eaux usées : il faut avoir conscience, ce faisant, que nous buvons des molécules issues notamment de traitements médicamenteux.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Je ne trouve pas ce rapport particulièrement optimiste. Je suis, pour ma part, catastrophée par la situation dans laquelle nous nous trouvons. Plus encore que l’anticipation, la question de la sensibilisation me paraît essentielle. Nous ne sommes pas là, comme avec le sujet précédent sur la météorologie de l’espace, dans le domaine de la science-fiction, mais bien dans celui de la dystopie. Lorsque j’ai relu le rapport que je vous présente, il m’a évoqué le livre de Margaret Atwood intitulé Le dernier homme, qui anticipait la question de la baisse de la fertilité et de l’extinction de l’humanité. Nous devons aujourd’hui être à ce degré d’inquiétude. Les chiffres relatifs à la pollution des eaux, y compris souterraines, sont très alarmants, puisque 30 % des nappes phréatiques sont contaminées. Cela est extrêmement préoccupant. La sécheresse et la pollution de l’eau se conjuguent pour créer des situations particulièrement délicates. Ainsi, certains territoires manquent d’eau et le peu de ressource disponible est polluée. Plus le niveau de sécheresse est élevé, plus les polluants sont concentrés. Nous sommes là au cœur de la vie humaine sur Terre. Lorsque l’on recherche une vie extraterrestre, on cherche toujours les endroits susceptibles d’abriter des molécules d’eau.

La situation est extrêmement grave et il me semble que notre rôle, en temps que parlementaires, est de sensibiliser nos collègues et nos concitoyens à cet enjeu majeur pour l’avenir de l’humanité.

Comment procéder pour mieux contrôler ? Je vous invite à vous référer à la page 10 du projet de conclusions, où il est fait mention d’un « nombre démesuré de composés à surveiller » et où il est indiqué qu’ « une première difficulté repose sur la quantité de substances susceptibles d’être présentes dans l’environnement, qui s’accroît chaque année avec la mise sur le marché de nouvelles molécules, alors que plus de 110 000 substances chimiques sont commercialisées sur le marché communautaire ». Certains scientifiques que nous avons auditionnés ont même fait état de 300 000 substances chimiques, dont certaines prises isolément peuvent paraître inoffensives au regard des protocoles de validation prévus, mais constituer un risque par le jeu des combinaisons et des interactions avec d’autres molécules, avec des conséquences potentielles extrêmement graves. Les scientifiques nous ont alertés sur cette question, que l’on méconnaît largement actuellement. Certaines substances sont surveillées, avec des protocoles complexes, donc très coûteux, tandis que d’autres ne le sont pas. L’effet cocktail de ces molécules n’est en outre que très peu évalué.

Je pense qu’une prise de conscience générale et internationale est indispensable sur cette question cruciale de la ressource en eau qui est, avec celle de la qualité de l’air, essentielle à la survie de l’humanité.

Nous savons enfin que certains de ces micropolluants ont une durée de vie extrêmement longue. Ainsi, des molécules interdites depuis des années subsistent dans l’environnement et se concentrent notamment dans les glaces, dont la fonte libère les substances polluantes qu’elle avait emprisonnées auparavant.

M. Arnaud Bazin, sénateur. Ce rapport illustre parfaitement l’importance d’une approche « Une seule santé », avec les interactions entre les milieux, la santé animale et la santé humaine.

Je souhaiterais revenir sur la notion d’antibiorésistance, qui apparaît comme une menace de relativement court terme et de grande importance pesant sur la santé humaine. Ce phénomène, s’il a un lien avec les micropolluants de l’eau, est surtout lié à l’usage abusif d’antibiotiques dans l’élevage. Ainsi, ce n’est certainement pas un hasard si la carte des antibiorésistances à l’échelle mondiale recoupe très précisément celle de la densité des élevages, notamment en Chine. Il me semble donc nécessaire, sans le nier, de relativiser l’impact des micropolluants sur ce phénomène.

Vous recommandez dans le rapport la création d’une plateforme scientifique internationale sur le sujet. Cette proposition me paraît tout à fait pertinente. Le dossier est en effet extrêmement complexe et la notion de toxicologie telle que nous la concevions voici quelques années ne s’applique pas en la matière. Il ne s’agit pas en effet de toxicité aiguë ou chronique, mais de toxicité tout au long de la vie, avec un très grand nombre de molécules. Cela relève donc plutôt d’études épidémiologiques, avec toutes les limites liées au nombre de composés à considérer. Cette plateforme, qui pourrait notamment réunir toutes les données épidémiologiques ainsi recueillies, serait précieuse et mériterait de se voir allouer des moyens considérables. J’entends par là qu’il ne devrait pas s’agir uniquement d’une plateforme de dépôt de connaissances, mais d’un lieu administré, géré, permettant des échanges et des débats entre les apporteurs de connaissances. Ce point me semble devoir être développé en priorité.

Mme Martine Berthet, sénatrice. Ne faudrait-il pas, dans un contexte d’augmentation de l’utilisation des eaux usées recyclées, ajouter une recommandation sur le sujet, invitant à prendre des précautions particulières ?

M. Philippe Berta, député. Je souscris à cette proposition. Les stations d’épuration posent en effet problème. Il a été question à leur propos de présence d’antibiotiques ; il me semble important de mentionner également la présence de résidus de contraceptifs féminins, qui passent au travers des filtres et causent beaucoup de souci. Il y a vraiment un effort majeur à accomplir sur l’efficacité des systèmes de filtration, afin de pouvoir garantir qu’aucun produit nocif ne ressorte des stations.

M. Daniel Salmon, sénateur. Ce rapport est d’autant plus important que nous venons de dépasser la limite planétaire liée à la chimie. Il s’agit d’une pollution diffuse, qui soulève des problèmes scientifiques quant à la recherche de ses effets. Il n’est notamment plus possible d’étudier de groupe témoin permettant de savoir ce que serait la situation sans ces polluants, puisque ces derniers sont désormais partout et que cette pollution généralisée impacte l’ensemble du vivant sur la planète.

J’avais moi aussi noté l’aspect problématique de cette question pour la reproduction humaine. Cet aspect est très peu évoqué. On préfère parler des poissons dans les lacs canadiens, en oubliant les impacts de ces substances sur la fertilité, les organes sexuels et des évolutions notables observées dans l’espèce humaine. Ceci me semble devoir être mis en avant. Nous savons en effet que la possibilité qu’un sujet impulse des politiques publiques est d’autant plus forte que la question touche directement l’humain. 

Il me semble également important de mettre l’accent sur le lien possible avec l’obésité. L’obésité est multifactorielle. On l’associe souvent à une mauvaise alimentation, mais il existe des cas plus complexes. Je pense qu’il faut absolument augmenter les capacités d’analyse, afin de pouvoir approfondir ces problématiques.

Le 17 octobre 2023, la Commission européenne a abandonné, sans s’en expliquer, la révision du règlement REACH, pourtant essentielle. Je pense que ceci pourrait faire l’objet d’une recommandation. L’Europe est à la pointe en matière de lutte contre les polluants chimiques et je pense que le moment est mal choisi pour faire machine arrière. Les pollutions chimiques étant diffuses, il est important de s’appuyer sur un principe de précaution : si l’on continue à mettre en permanence sur le marché de nouvelles molécules, le risque est de ne pas disposer des capacités suffisantes pour effectuer des analyses molécule par molécule et de ne se concentrer que sur certaines d’entre elles, en oubliant les interactions et les effets cocktail.

Mme Huguette Tiegna, députée. Je pense qu’il manque dans les recommandations la référence à des solutions technologiques permettant d’éliminer un certain nombre de molécules diffusées dans la nature. Les recommandations préconisent des façons de mieux faire, de mieux organiser, de mieux encadrer ; mais certains scientifiques ont-ils, au cours des auditions, proposé des solutions technologiques permettant de remédier à la situation en filtrant par exemple les résidus d’antibiotiques ?

Concernant le programme REACH, l’enjeu majeur aujourd’hui est d’aller vers des substituts aux produits toxiques. Je connais plus particulièrement le domaine de l’aviation, dans lequel l’État a alloué, dans le cadre de France Relance, des financements à des entreprises qui effectuent des recherches pour trouver des substituts à des composés servant à peindre certains éléments des avions.

M. Arnaud Bazin, sénateur. Pensez-vous que la nanofiltration des eaux prélevées dans les rivières, notamment en Île-de-France, avant distribution sous forme d’eau potable, permettrait de faire disparaître totalement ou partiellement les substances évoquées ?

En tant qu’ancien président de syndicat d’assainissement, je ne vais pas me montrer très rassurant en vous disant que l’on ne filtre absolument rien dans les stations d’épuration : on abat de la pollution azotée et phosphorée, avant de renvoyer tout le reste dans le milieu. En revanche, il nous était demandé d’effectuer régulièrement des analyses sur des listes de micropolluants fixées par arrêté préfectoral. Il s’agissait alors uniquement de disposer d’une connaissance des substances présentes en entrée et en sortie de circuit, rien de plus. Aujourd’hui, on renvoie ainsi dans le milieu les œstrogènes tels qu’ils arrivent dans les stations d’épuration. Aucun filtrage n’est effectué.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. Qu’en est-il du Plan national micropolluants actuel ? Dispose-t-on d’éléments d’évaluation permettant à l’Office d’être moteur dans la définition du prochain plan, en prenant notamment en compte les aspects de traitement ?

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. Merci pour vos propositions et ces échanges comme toujours très riches.

J’ai bien noté vos observations relatives aux recommandations et vais effectuer les modifications suggérées. Je vais ainsi compléter la proposition sur la création d’une plateforme scientifique en y ajoutant une mention sur la nécessité de doter cette structure des moyens financiers suffisants. Des éléments relatifs à l’encadrement et la réglementation seront intégrés dans la troisième recommandation. Je vais également signaler dans la proposition n° 5 l’attention particulière à porter aux eaux usées recyclées.

Il est exact par ailleurs que l’on ne sait pas aujourd’hui éliminer totalement ces substances. Par conséquent, le meilleur moyen pour éviter toute pollution serait de ne plus les produire. Or la chimie est partout présente dans nos environnements quotidiens, avec des enjeux économiques considérables.

Cela met également en question certaines de nos pratiques, notamment agricoles : plus les élevages sont concentrés, plus les animaux sont vulnérables aux maladies et plus il est nécessaire d’employer des antibiotiques. Il s’agit là d’un cycle pervers.

La nanofiltration existe, mais ne permet pas d’éliminer la totalité des substances chimiques présentes dans les eaux. Il faut savoir par ailleurs qu’à partir du moment où les scientifiques démontrent la dangerosité d’une molécule, les grandes entreprises de la chimie modifient à la marge la composition du produit incriminé et le remettent sur le marché comme s’il s’agissait d’un nouveau produit. Faire retirer ce dernier du marché suppose à chaque fois de la part des associations un long parcours juridique. Il s’agit du combat de David contre Goliath.

J’ajoute qu’il existe de très nombreux endroits, en France comme ailleurs dans le monde, où il n’existe pas de station d’épuration, ce qui conduit au rejet direct dans la nature de lessive, d’œstrogènes, de résidus de médicaments et autres. En outre, la loi sur l’eau, déjà très ancienne, qui s’applique en principe pour le contrôle des fosses septiques individuelles, n’est pas mise en œuvre correctement.

Le précédent Plan national micropolluants couvrait la période 2016-2021. Nous sommes en 2023 : il y a donc véritablement urgence à ce que le Gouvernement élabore un nouveau Plan.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. S’il n’y a plus de questions, je vous propose, chers collègues, de valider les conclusions de l’audition publique sur les micropolluants de l’eau, qui nous ont été présentées par Christine Arrighi, moyennant l’intégration dans le texte des quelques propositions suggérées lors de nos échanges.

Je vous propose par ailleurs, concernant le Plan national sur les micropolluants, que nous puissions collectivement, en tant que membres de l’Office, alerter le Gouvernement sur le sujet, afin de disposer d’un cadre et d’éléments permettant ensuite à l’OPECST d’évaluer cette politique publique.

L’Office adopte à l’unanimité les conclusions de l’audition publique du 8 juin 2023 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l’audition et de ces conclusions.

 

La réunion est close à 11 h 00.

 

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

Réunion du jeudi 9 novembre 2023 à 9 h 30

Députés

Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Philippe Berta, M. Pierre Henriet, Mme Huguette Tiegna

Excusés. - Mme Maud Bregeon, M. Jean-Philippe Tanguy

Sénateurs

Présents. - M. Arnaud Bazin, Mme Martine Berthet, Mme Florence Lassarade, M. Daniel Salmon

Excusés. - Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Patrick Chaize, M. André Guiol, M. Stéphane Piednoir, M. David Ros, M. Bruno Sido

 

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