Compte rendu

Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Audition de l’Agence de la biomédecine sur les évolutions récentes des connaissances et des techniques dans les domaines relevant des lois de bioéthique.              2

 

 


Jeudi 18 janvier 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 183

 

 

session ordinaire de 2023-2024

 

 

Présidence

de M. Stéphane Piednoir,
président
 


Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 18 janvier 2024

Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de l’Agence de la biomédecine sur les évolutions récentes des connaissances et des techniques dans les domaines relevant des lois de bioéthique

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Avant de commencer nos travaux, je voudrais rendre hommage à un homme politique, l’un de mes prédécesseurs, qui nous a quittés il y a quelques jours. Il s’agit de Jean‑Marie Rausch, ancien sénateur de la Moselle, qui fut membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dès sa création, en 1983, et qui a été son président d’octobre 1986 à juillet 1988, date à laquelle il devient ministre du commerce extérieur, puis des postes et télécommunications, secteur dont il était un spécialiste reconnu, souvent en avance sur son temps. Il a eu cette parenthèse gouvernementale de quatre ans, mais il fut sénateur sans discontinuer de 1974 à 2001, soit pendant près d’un quart de siècle. Son mandat de maire de Metz fut encore plus long, puisqu’il a été maire de 1971 à 2008, c’est‑à‑dire 37 ans.

Il avait été l’auteur du deuxième rapport de l’Office, consacré aux conséquences de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl et à la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Comme vous vous en doutez, ce rapport avait eu un fort impact et, par son exhaustivité, son sérieux et sa hauteur de vue, avait donné dès l’origine une grande crédibilité à l’OPECST. La principale recommandation de ce rapport était la « création d’une agence nationale de la sécurité et de l’information nucléaire, indépendante des pouvoirs publics et des exploitants d’installations nucléaires », autrement dit la future ASN. Ce rapport a été publié en 1987, c’est‑à‑dire presque vingt ans avant la création effective de l’ASN. Cela nous montre à quel point l’Office a été précurseur et doit poursuivre sa mission d’évaluation et de contrôle de la sûreté et de la sécurité nucléaire, comme l’avaient très bien anticipé nos prédécesseurs, en particulier Jean‑Marie Rausch, dont je salue la mémoire aujourd’hui.

Je reviens à l’ordre du jour : l’audition de Mme Marine Jeantet, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. Madame la directrice générale, nous sommes très heureux de vous accueillir ce matin devant l’Office. Cela fait presque un an que vous êtes à la tête de l’Agence. Pour ceux de nos collègues qui ne vous connaissent pas, je précise que vous avez une formation de médecin de santé publique. Vous avez été en poste à la direction de la Sécurité sociale. Vous avez exercé des fonctions à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA). Vous avez ensuite été directrice des risques professionnels à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) puis déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, avant de rejoindre l’Agence de la biomédecine.

En prenant vos fonctions, le 1er février dernier, vous avez affiché plusieurs priorités : la mise en œuvre des nouvelles dispositions de la loi bioéthique de 2021 et la relance des activités de greffe et d’assistance médicale à la procréation (AMP). Nous souhaitons aujourd’hui vous entendre sur les activités de l’Agence mais aussi et surtout sur les évolutions récentes des connaissances et des techniques dans les domaines relevant des lois de bioéthique. C’est l’une des missions que la loi donne à l’Agence, en spécifiant que cette veille sur les lois de bioéthique doit être effectuée au profit du Gouvernement et du Parlement, à travers l’Office. L’Office, qui a lui aussi pour mission d’évaluer l’application des lois de bioéthique, est donc votre principal interlocuteur sur ces aspects scientifiques et techniques.

La dernière audition de l’Agence de la biomédecine remonte à mars 2018, lorsque deux de nos collègues préparaient le rapport de l’OPECST qui évaluait l’application de la précédente loi de bioéthique. Cela fait donc presque six ans que nous n’avons pas fait le point sur ces questions de greffe, de dons d’organes, d’AMP, de recherche ou de médecine génétique, autant de sujets que nous nous réjouissons d’aborder avec vous ce matin.

Je vous laisse donc la parole et nous ouvrirons ensuite le débat avec les parlementaires présents.

Mme Marine Jeantet, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. – Merci, monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés et sénateurs, je suis très honorée de pouvoir faire un état des lieux de notre action devant vous ce matin. Je vais d’abord commenter rapidement un diaporama qui présente l’avancement des trois plans ministériels dont nous avons la charge. Les graphiques qu’il contient permettront de rendre compte des dernières évolutions de manière plus explicite. Je répondrai ensuite au questionnaire que vous nous avez envoyé. Je vous enverrai de toute façon une réponse écrite dans la journée. Vous verrez qu’elle est assez détaillée. Je tâcherai donc d’aller à l’essentiel dans mon exposé oral, pour vous présenter les principaux points, car vous recevrez tous les détails et les chiffres, par écrit.

L’Agence de la biomédecine, que vous connaissez bien, est un établissement public qui relève du ministère de la santé, créé il y a bientôt vingt ans. L’Agence compte effectivement dans ses domaines d’activité tout ce qui relève de la greffe d’organes et de cellules souches hématopoïétiques, ainsi que de l’AMP et de la médecine génétique.

Sur ces différents champs, trois plans ont été annoncés en 2022 ; ils s’étendent jusqu’en 2026. Nous sommes donc aujourd’hui à mi‑parcours. C’est un moment opportun pour faire un état des lieux de leur avancement.

Je commencerai par les greffes d’organes et de tissus. La première diapositive est assez importante : elle montre l’évolution de la liste nationale d’attente de greffe. Plus de 20 000 personnes sont actuellement inscrites sur la liste. On compte plutôt 10 000 personnes potentiellement greffables, certaines étant en situation de contre-indication, par exemple du fait d’une infection, qui empêche d’être greffé. En face, le nombre de greffes effectuées chaque année se situe aux alentours de 5 000. Si l’on regarde l’évolution de cette liste, le constat est assez simple : il y a 23 nouvelles inscriptions par jour sur la liste d’attente de greffe, 2,3 personnes de cette liste décèdent tous les jours, faute de greffons disponibles, et environ 15 greffes sont effectuées quotidiennement. Ainsi, près de 6 personnes augmentent structurellement la liste d’attente de greffe d’organe chaque jour. Cela vous donne une idée de l’ampleur des besoins.

Si l’on considère seulement le nombre de greffes, on se situe dans les couloirs de croissance fixés par le plan. En revanche, il y a un vrai problème en matière de réponse aux besoins de santé publique. Il est important d’en avoir conscience, même si l’on parvient à réduire le nombre de décès sur la liste d’attente. Nous essayons à présent de promouvoir une logique préventive de parcours de soins, en considérant notamment les nouvelles technologies et nouvelles thérapies qui préviennent l’évolution vers l’insuffisance rénale chronique, pour éviter le besoin de greffe. Cela est essentiel, d’autant plus qu’il y a une grande hétérogénéité dans le prélèvement d’organes en France, en particulier en lien avec l’opposition au don.

Comme vous le savez, nous sommes tous présumés donneurs, mais il faut en avoir parlé à sa famille. En effet, on demande toujours l’accord des proches au moment de prélever, ce qui est la moindre des choses, compte tenu des situations dramatiques dans lesquelles cela intervient. C’est pour cette raison que toutes nos campagnes de sensibilisation mettent l’accent sur ce point. Les Français sont à 80 % favorables au don d’organes, mais ils n’en ont parlé que dans 50 % des cas à leur famille. Dès lors, dans un moment dramatique – et on ne sait jamais quand il va arriver –, les familles ne savent pas et, dans le doute, s’abstiennent. Le taux d’opposition augmente en ce moment, ce qui est très inquiétant : en 2023, le taux était de 36 %, alors qu’il se situait structurellement à 30 % pendant de nombreuses années. On ne connaît pas exactement les déterminants du taux d’opposition. On sait qu’il est tout de même assez corrélé à la colère sociale. On a observé en effet des pics d’inscription sur le registre de refus au moment du passe sanitaire ou de la réforme des retraites, avec, même si cela ne concerne qu’une faible partie, des explications par courrier, – les gens faisant cette démarche de leur vivant et en profitant pour exprimer leurs motivations. Il y a probablement aussi des facteurs religieux. C’est pour cette raison que nous allons travailler avec toutes les obédiences religieuses, car dans aucune des trois grandes religions monothéistes, il n’y a d’opposition au prélèvement d’organes mais il faut que cette information parvienne aux familles concernées.

À cette problématique du refus s’ajoute l’évolution du prélèvement dans les hôpitaux. Je ne vous cache pas que la situation actuelle, difficile, des hôpitaux a un impact. En effet, pour que des organes puissent être prélevés, il faut que les donneurs soient admis en réanimation. Or nous faisons face à des problèmes d’accès, en réanimation et au bloc. Dans certaines régions, comme en Auvergne-Rhône‑Alpes, la situation a été assez catastrophique cette année, avec de nombreux problèmes aux Hospices civils de Lyon, où les prélèvements ont beaucoup diminué. À l’inverse, l’Île‑de‑France s’est quelque peu réveillée. Nous sommes en effet allés stimuler l’AP‑HP, qui représente un potentiel de donneurs important. Les régions où le taux d’opposition est le plus élevé sont d’abord les DOM, sans surprise vu le climat social, l’Île‑de‑France, la région PACA et les Hauts‑de‑France, c’est‑à‑dire également des endroits en tension sociale.

Comme je vous le disais, l’activité de greffe est en train de redémarrer. On a bien progressé en 2023, avec une hausse de 2,5 % par rapport à 2022. On est dans les couloirs de croissance. On n’est toutefois pas encore complètement revenu à la moyenne d’avant covid, qui était plus élevée, mais qui avait déjà commencé à décroître avant le début de l’épidémie. En effet, le covid n’est pas le seul responsable de la chute ; il y a aussi des problèmes au sein des hôpitaux et dans la structuration des filières d’organisation des soins.

Concernant les greffes rénales, qui constituent la majeure partie de nos greffes, environ 70 % sont issues de donneurs décédés, 16 % de donneurs vivants – elles réussissent mieux parce qu’elles sont programmées et ont un temps d’ischémie froide très faible – et 13 % de donneurs DDAC M3, c’est‑à‑dire les donneurs à cœur arrêté relevant de la catégorie III de la classification de Maastricht (le décès fait suite à une décision de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques en raison du pronostic). L’augmentation de la part de greffons issus de ces deux derniers types de prélèvement était l’un des objectifs du plan greffe. Votre questionnaire nous interrogeait sur l’échec du plan précédent. Aujourd’hui, nous agissons pour développer le prélèvement multi‑sources, notamment pour le don vivant au sujet duquel nous venons de publier de nouvelles recommandations. Un référent national a été nommé pour aller dans les centres hospitaliers qui sont très en deçà des objectifs, pour rencontrer les directions et les équipes, afin d’essayer de lever les freins.

On va également essayer d’avancer sur le don croisé. Comme vous le savez, la loi de bioéthique a autorisé un appariement croisé de paires de donneurs et receveurs, mais nous n’avons pas réussi à démarrer pour l’instant. Il faut en effet recevoir beaucoup de propositions en don croisé pour que ce dispositif fonctionne, d’où l’intérêt d’aller stimuler les équipes. Plus on aura d’équipes qui proposent des patients au don croisé, plus on pourra faire d’appariement de paires.

Un autre sujet important, auquel je suis très sensible au regard de mes précédentes fonctions, porte sur les inégalités d’accès à la greffe. La diapositive suivante illustre l’accès à la greffe depuis le début d’un traitement de dialyse, selon les régions. Il y a une différence importante entre l’ouest de la France et les outre‑mer, par exemple. Ces inégalités territoriales sont le reflet d’inégalités, à la fois d’incidence des pathologies – avec moins de prévention et plus de surpoids et de diabète dans certaines régions de France –, et aussi d’inégalités d’accès au soin et de pratiques médicales. C’est l’un des sujets sur lesquels l’Agence se penche, pour aller sensibiliser les professionnels, car certaines pratiques médicales sont comme une double peine pour certains patients.

S’agissant des grands axes du plan, je me concentrerai sur les réponses proposées par l’Agence. L’augmentation du nombre de prélèvements d’organes est un sujet important, le nombre de greffes dépendant du nombre de greffons disponibles. Nous voulions mettre en place des infirmières en pratique avancée (IPA) mais ce n’est pas encore validé par le ministère. C’est assez compliqué et finalement, ce n’est pas forcément une bonne idée. Nous avons suggéré des solutions alternatives d’incitation ou de valorisation financière du prélèvement pour les établissements, sur le modèle espagnol, qui a bien fonctionné. C’est en discussion, mais ce n’est pas facile à construire, notamment du fait du turnover actuel dans notre ministère de tutelle. Nous espérons reprendre la discussion avec la nouvelle équipe.

Nous menons également un travail sur les coordinations hospitalières, que nous accompagnons et que nous formons. Nous faisons également des audits. Grâce au financement du plan, nous révisons actuellement les forfaits des hôpitaux. Il est très important de reconnaître l’investissement des établissements en temps et en hommes. On crée des indicateurs de performance. Nous avons mis en place un comité de suivi qui associe toutes les parties prenantes : les professionnels, les associations de patients, l’Assurance maladie, les agences régionales de santé (ARS) et le ministère, ce qui est assez novateur dans le champ de la santé publique. Des réunions sont organisées deux fois par an avec tous ces acteurs, avec des réunions préparatoires où chacun peut exposer son point de vue. Ce n’est pas simple à gérer, il y a beaucoup de heurts et d’oppositions, mais cela permet de partager les difficultés, d’essayer de trouver des solutions et de faire remonter les idées locales. Nous avons complété ce comité avec un pilotage régional, en impliquant les ARS, qui disposent désormais de référents. Nombre de blocages constatés résultent en effet des problèmes d’organisation territoriale des soins. Sans les ARS, on ne peut pas avancer sur ces sujets.

La diapositive suivante reprend les objectifs quantifiés. On a défini des couloirs de croissance qui fixent des objectifs. Les trajectoires commencent modérément, en sortie de crise, avant de devenir plus ambitieuses. Pour l’instant, l’activité s’inscrit dans les couloirs de croissance. Si elle reste au même niveau l’année prochaine, elle en sortira. Il y a donc un vrai enjeu pour arriver à transformer l’essai en 2024, ce qui n’est pas simple, compte tenu de l’état des établissements hospitaliers, certains CHU ayant un tiers de leurs blocs et de leurs services de réanimation fermés.

Je vais à présent vous parler rapidement des cellules souches hématopoïétiques. La diapositive illustre l’activité de greffe de moelle osseuse, qui est en progression en France depuis quelques années. En vert figurent les donneurs non apparentés, c’est‑à‑dire les donneurs que l’on va chercher, à l’étranger ou sur un registre français. En bleu sont représentés les donneurs apparentés, c’est‑à‑dire les greffes intra‑familiales. On est à peu près à 2 000 greffes par an, avec une légère prédominance des donneurs non apparentés (55 %). Vous pouvez voir que la répartition par région est assez hétérogène. À nouveau, ce n’est pas qu’un sujet de prévalence des pathologies mais aussi un sujet d’accès aux soins.

Il faut rappeler qu’il y a plusieurs sources de cellules souches hématopoïétiques : on peut récupérer les cellules souches périphériques dans le sang par cytaphérèse, on peut effectuer un prélèvement de moelle sur l’os iliaque, ou on peut recourir aux greffons appelés « unités de sang placentaire ». Depuis plusieurs années, les greffes à base de cellules souches périphériques sont largement dominantes (80 %), ce qui se retrouve aussi au niveau mondial. On ne fait guère plus de prélèvements sur l’os iliaque : ils étaient douloureux et nécessitaient une hospitalisation du donneur.

La diapositive suivante illustre l’activité du registre sur lequel ont été inscrits environ 2 000 nouveaux patients en 2023. Nous inscrivons les personnes qui sont en attente de greffe de moelle et nous essayons de leur trouver le meilleur greffon compatible, que ce soit dans notre registre national ou à l’étranger puisque nous sommes interconnectés avec 75 registres. Par le passé, 6 % des personnes greffées en France recevaient un greffon issu d’un donneur national. Ce taux est passé à 10 %, et un objectif de 25 % a été fixé. Je ne suis pas sûre qu’on arrivera à 25 % dans deux ans et demi, mais il reste que nous sommes en progression. En revanche, point très intéressant, on a connu en 2023 une explosion de la demande pour des patients internationaux (+ 71 % de demandes). Ceci est dû à la qualité de notre registre, pour lequel on a fait le choix d’une diversification. Notre registre ne compte que 400 000 personnes, tandis que celui des Allemands en contient 9 millions, mais ce sont tous les mêmes phénotypes et les mêmes génotypes. De notre côté – c’est aussi l’histoire de la République française –, on a la chance d’avoir une population extrêmement variée et on joue sur cette diversité, ce qui fait qu’on a un registre de qualité, qui permet de répondre à des besoins internationaux. On a un objectif de masculinisation et de rajeunissement de notre registre. Les greffons sont de meilleure qualité quand vous prélevez des personnes jeunes, qui plus est des hommes. En effet, du fait des grossesses, la moelle des femmes s’immunise et est de moins bonne qualité. Aussi, à 70 %, les greffeurs privilégient plutôt les donneurs masculins. Il est possible de s’inscrire jusqu’à 36 ans, puis vous pouvez être prélevé jusqu’à 60 ans. On a encore une part importante de personnes âgées, mais on enregistre un rajeunissement significatif.

On observe par ailleurs des tensions hospitalières sur le sujet, avec un accès difficile à la cytaphérèse, pour pouvoir trier le sang, ce qui restreint l’activité. Il y a d’ailleurs une concurrence avec l’activité de CAR T‑cell, qui est un traitement basé sur la modification des cellules d’un patient afin de traiter son cancer. C’est une innovation extraordinaire, mais qui repose sur les mêmes ressources que les greffes de moelle. Comme ces ressources n’ont pas augmenté, certains patients sont traités au détriment des autres. On a également des besoins en pédiatrie et dans le parcours post‑greffe. On essaie de soutenir ces équipes, pour leur trouver des solutions et surtout attirer l’attention des directions hospitalières sur ces sujets un peu particuliers. Les personnes qui gèrent ces greffes sont en effet des techniciens très compétents, qui ne sont pas remplaçables facilement.

Comme vous le savez, la loi de bioéthique de 2021 a ouvert l’AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Elle a également permis l’autoconservation des gamètes à des fins non médicales et l’accès aux origines pour les enfants issus d’un don de gamètes. On est face à une véritable révolution. On a connu une explosion de la demande, qui n’avait pas tout‑à‑fait été anticipée au moment du vote de la loi. Sur ces nouveaux publics, on a eu plus de 30 000 demandes en deux ans et cette demande ne faiblit pas. La demande a été multipliée par huit par rapport au parcours AMP que nous connaissions précédemment, pour les couples hétérosexuels. Cette évolution a mis en très forte tension les centres. Les chiffres des demandes, des premières consultations et des premières tentatives, représentés sur la diapositive, sont tous corrélés et connaissent cette même augmentation massive. Pour ce qui est de l’âge, les femmes sont proches de l’âge limite de fertilité, avec 70 % qui se présentent après 35 ans, quand elles n’ont pas pu faire un enfant dans des conditions plus classiques. Il y a, parmi ces femmes non mariées, 7 % de femmes qui ont moins de 29 ans. On ne s’attendait pas à ce que des femmes seules aussi jeunes décident de recourir à l’AMP. En revanche, l’âge des couples de femmes est davantage distribué sur les âges classiques de procréation, comme les couples hétérosexuels.

Les nouveaux publics, c’est‑à‑dire les couples de femmes et les femmes seules, représentent 80 % de la liste d’attente sur les parcours d’AMP, ce qui est très significatif. Les délais sont d’à peu près 16 mois, avec des variations significatives selon les centres, hors parcours à l’étranger. Je ne connais pas les délais pour celles qui vont à l’étranger, mais c’est un point important pour les femmes seules qui atteignent ces âges limites où tous les mois comptent. On sait en effet que la fertilité chute brutalement après 38 ans.

Si le nombre de donneuses d’ovocytes continue de progresser, on n’en a toujours pas assez et on reste en tension majeure. Les délais d’attente pour un don d’ovocytes sont de presque deux ans. Et encore, il y a une restriction d’inscription sur la liste d’attente, pour réguler le flux de demande, parce qu’on sait qu’on est en pénurie majeure.

L’autoconservation est une deuxième révolution. Là aussi, la demande explose, notamment en Île‑de‑France, et elle ne faiblit pas. Je pense que cela va devenir presque quelque chose de routinier pour les jeunes femmes de faire conserver leurs ovocytes à 30 ans, qu’elles les utilisent ou non à l’avenir. L’expérience des autres pays européens montre qu’environ 40 % d’entre elles les utilisent. Ce stock pourrait donc constituer une source de dons d’ovocytes pour faire face à la pénurie. Une fois qu’elles ne peuvent plus les utiliser, les jeunes femmes peuvent faire le choix de les détruire ou de les donner à des couples en attente de dons. Actuellement, la hausse de la demande d’autoconservation se traduit par une forte tension dans l’accès aux soins. L’autoconservation est réservée aux seuls centres publics mais il y a une forte demande pour qu’elle soit possible dans des centres privés, sachant qu’à l’étranger, ce sont des centres privés qui gèrent l’autoconservation.

C’est surtout en Île‑de‑France que les délais sont importants. On est à huit mois environ pour la France entière et à quatorze mois pour l’Île‑de‑France. C’est cependant un délai faussé. Les professionnels expliquent en effet que la grande majorité des jeunes femmes vont à l’étranger pour faire cette autoconservation, maintenant que cela est remboursé, car elles bénéficient de délais beaucoup plus courts en Espagne. S’agissant de l’âge, il s’agit majoritairement de femmes jeunes. L’autoconservation est autorisée à partir de 29 ans et elle est en grande majorité réalisée à 35 ans, quand les jeunes femmes se rendent compte qu’elles n’ont pas encore eu une grossesse dans un contexte classique. Elles se tournent alors vers l’autoconservation, pour gagner quelques mois de préservation de leur fertilité.

J’en viens à la génétique médicale, autre sujet qui est devant nous. Les professionnels font état d’un tsunami de demandes. Les typages génétiques, de plus en plus nombreux, sont utilisés dans de multiples circonstances et deviennent de routine. Ils permettent de savoir si vous allez bien répondre à une thérapeutique, si vous avez une prédisposition à une pathologie, etc., autant d’informations qui concernent aussi vos ascendants et vos descendants. Ces tests sont très intéressants pour limiter l’errance diagnostique : on arrive en effet à poser des diagnostics pour nombre de pathologies chroniques que l’on n’arrivait pas à diagnostiquer précédemment. Cependant, l’offre de soins n’est pas encore en mesure de faire face à cette demande qui n’a pas encore été pleinement documentée. Nous ne disposons pas de chiffres comme pour l’AMP – ce sera l’un de nos objectifs pour les prochaines années – mais on voit bien qu’il s’agit de l’un des sujets de demain.

Je pense que ce propos liminaire était important pour dresser le contexte. Je vous laisserai l’ensemble des éléments que je vous ai présentés et vous pourrez aussi retrouver les données dans nos rapports d’activité. Je vous propose maintenant de balayer votre questionnaire avec le directeur médical et scientifique de l’Agence, le professeur Michel Tsimaratos, qui m’accompagne aujourd’hui.

Votre première question portait sur l’état des lieux de l’application de la loi de bioéthique. On vous donnera tous les éléments. Aujourd’hui, tous les textes sont sortis. Le dernier, sur la génétique, a été publié au Journal officiel du 31 décembre 2023.

Vous nous avez demandé ensuite un état des lieux des différents plans d’action. Je vous ai répondu sur les principaux points clés, mais nous pourrons y revenir si vous avez des questions spécifiques. Nos comités de suivi, mis en place pour les trois plans, offrent un réel apport. C’est grâce à ces comités qu’on a pu suivre en temps réel l’augmentation de la demande d’AMP et adapter les financements et les moyens disponibles pour les établissements. Un effort colossal de plus de 16 millions d’euros supplémentaires a été consenti pour accompagner la montée en puissance des centres en deux ans. C’est le dialogue permanent avec les associations de patients et les professionnels qui a permis de répondre à ces demandes.

Vous nous avez posé une question sur notre cinquième rapport d’information au Parlement et au Gouvernement. Je propose de passer la parole à Michel Tsimaratos, qui va vous détailler les points saillants.

M. Michel Tsimaratos, directeur général adjoint de l’Agence de la biomédecine chargé de la politique médicale et scientifique. – Mesdames et Messieurs, le rapport d’information au Parlement et au Gouvernement (RIPG) vise à assurer une information permanente sur les progrès de la science et de la clinique. Dans ce document, qui est paru à la fin de l’année 2023, figure une analyse des points les plus marquants et de leurs conséquences en termes d’organisation des soins, de qualité de prise en charge, d’éthique et, plus globalement, de santé publique.

Concernant la greffe, le rapport aborde l’analyse des techniques les plus prometteuses comme la xénotransplantation, qui ouvre un certain nombre de perspectives. Le rapport oriente aussi quelque peu le regard sur le fait que les risques qui sont portés par ces techniques doivent être pris en compte, notamment le risque de transmission inter‑espèces d’un certain nombre de maladies et de virus, qui peuvent être intégrés au génome de l’animal utilisé comme source de ces organes. Il y a aussi l’idée que la greffe est une solution mais n’est pas une guérison. On analyse donc l’ensemble de ces techniques, à la lumière d’un parcours de maladie chronique, qui est une alternance entre la greffe et la lutte contre le rejet, d’une part, et le retour à une forme de substitution de l’organe, comme la dialyse, d’autre part. On peut aussi le faire pour un court laps de temps pour le cœur, le foie ou le poumon, mais on ne peut évidemment pas vivre avec un poumon artificiel ou un cœur artificiel très longtemps. On essaie donc de mettre en perspective toutes ces possibilités et toutes ces évolutions techniques, pour comprendre comment la greffe d’organes, marquée par la pénurie, peut bénéficier à un moment donné de techniques comme la xénotransplantation.

Il y a aussi d’autres techniques, dont vous avez peut‑être entendu parler, comme CRISPR, qui permet, dans certains cas, de transformer une partie du génome du greffon qui code le mécanisme qui va générer le rejet et ainsi diminuer le risque.

Le rapport aborde également la façon dont la technique peut aider à mieux apparier le donneur et le receveur. Vous savez qu’on a tous une carte d’identité biologique, qu’on appelle le HLA (Human Leukocyte Antigen), avec un allèle qui vient de notre père et un allèle qui vient de notre mère. Lorsqu’on fait une greffe, l’incompatibilité HLA entre le donneur et le receveur va être un élément de stimulation du rejet. Plus le HLA du donneur et celui du receveur sont compatibles, moins les phénomènes de rejet vont s’activer précocement et plus la greffe va durer longtemps. Ce n’est pas le seul déterminant, mais c’est l’un des déterminants. L’amélioration des techniques de dosage de ces HLA permet de proposer aux patients des greffons avec une très forte compatibilité. C’est l’une des raisons pour lesquelles, comme Marine Jeantet vous le disait tout à l’heure, beaucoup de receveurs de greffe de moelle reçoivent une moelle qui vient de l’étranger. On va en effet chercher la meilleure identité HLA dans le monde entier, dans les 70 registres connectés.

On a aussi proposé différentes façons d’optimiser l’allocation des greffons parce que nous sommes en situation de pénurie. Marine Jeantet vous a indiqué que trois personnes décédaient chaque jour sur la liste d’attente. Jusqu’à présent, on utilisait ce qu’on appelle les scores, manière de réfléchir à l’ensemble des déterminants, pour affecter le meilleur greffon à la meilleure personne, au bon moment. Par exemple, pour gérer l’attente d’une greffe cardiaque, on va probablement être tenté de faire passer en priorité les patients les plus gravement atteints. Néanmoins, ceux qui sont les plus gravement atteints le sont parfois en raison d’une maladie globale, qui peut diminuer les chances de succès dans le temps de ces greffes. Avant l’utilisation d’un score pour la greffe de cœur, on avait l’impression que les patients qui étaient les moins gravement atteints étaient ceux qui passaient en dernier. Cette prime à la gravité ne tenait pas compte de la perspective de vie qu’il pouvait y avoir, à la suite de la greffe. L’utilisation du score nous permet donc d’intégrer un risque de décès, indépendamment de la gravité de la maladie. Ceci permet d’avoir une gestion intelligente de la pénurie. Toutes les techniques d’intelligence artificielle nous aident évidemment, puisque les scores sont en fait une préfiguration de ce que permet de faire l’intelligence artificielle.

Dans le domaine de l’embryologie et la génétique, l’assistance médicale à la procréation bénéficie aussi de progrès. Par exemple, les techniques d’imagerie à très haute définition permettent à des systèmes guidés par intelligence artificielle de sélectionner le meilleur embryon à implanter. Comme vous le savez, en France, on n’implante plus qu’un ou parfois deux embryons, pour éviter les grossesses multiples, qui ont d’autres impacts sur la santé des femmes et des enfants. L’intelligence artificielle permet d’avancer dans ce domaine.

Le rapport aborde aussi les techniques de conservation ovocytaire ou l’obtention de cellules gamétiques à partir de cellules souches. Tous ces points de progrès sont illustrés dans le rapport, de manière à permettre l’information la plus complète possible et à jour des progrès de la recherche. On vous adressera le document qui présente ces différents points.

Pour la génétique, je reviens une minute sur l’errance diagnostique. À l’heure actuelle, notre système de santé est essentiellement mobilisé autour des maladies chroniques, qui s’expriment dans la deuxième partie de la vie. Nombre de ces maladies chroniques sont découvertes au stade d’une insuffisance terminale de l’organe. Parfois, si elles sont diagnostiquées un peu plus tôt dans la vie, la prise en charge de ces pathologies peut bénéficier d’avancées techniques. Ainsi, pour le retard mental, on est aujourd’hui en mesure d’utiliser les progrès en génétique pour diminuer l’errance diagnostique et caractériser la maladie sur le plan moléculaire. Quand on caractérise la maladie sur le plan moléculaire, que cela soit pour du retard mental ou pour une maladie chronique, on est en mesure d’identifier la cible sur laquelle on peut faire porter un certain nombre de progrès thérapeutiques. L’enzymothérapie, les CAR T‑cells ou les progrès de la pharmacopée permettent aujourd’hui, avec cette diminution de l’errance thérapeutique et la définition des cibles moléculaires, de préciser et de transformer la prise en charge de certaines maladies très handicapantes, par exemple la maladie de Fabry ou la maladie de Hunter. Aujourd’hui, les personnes atteintes par ces maladies peuvent suivre un chemin de vie normal, à l’aide, par exemple, d’une perfusion d’une enzyme tous les quinze jours ou tous les mois. Ces techniques permettent de transformer des personnes qui étaient jusqu’à présent une charge pour le système en des personnes actives, insérées dans la vie courante. Ce sont des points extrêmement importants, sur lesquels insiste le rapport.

Je n’oublie pas les cellules souches, et notamment les cellules souches reprogrammées, dont Marine Jeantet vous a parlé. Elle a évoqué la thérapie par cellules CAR T qui consiste à prélever les cellules cancéreuses d’une personne, identifier les épitopes – c’est‑à‑dire les antigènes spécifiques au cancer – et reconditionner les cellules immunitaires de cette personne pour combattre les cellules qui expriment l’épitope du cancer. On transforme alors des cellules en médicament. C’est extrêmement coûteux. Nous sommes très attachés à ce qu’on puisse se souvenir que la matière première est une matière vivante. Lorsque ces cellules-médicaments sont réinjectées aux patients, elles attaquent la tumeur et parviennent à guérir 80 % des cancers sur lesquels elles sont utilisées. Ceci ne se fait néanmoins pas sans mal, car cela crée une réaction inflammatoire extrêmement importante dans l’organisme, qui mobilise les lits des services d’oncologie, ce qui explique en partie la difficulté d’accès aux services de soins.

En matière de cellules souches, Marine Jeantet vous a parlé de la banque d’unités de sang plasmatique. On recueille le sang du cordon ombilical pour le stocker car celui‑ci contient des cellules souches. Dans notre banque globale de cellules souches en France, nous avons identifié un certain nombre d’individus qui ont ce qu’on appelle une triple homozygotie, c’est‑à‑dire que, pour un grand nombre de gènes HLA présents chez ces individus, l’allèle hérité du père et celui hérité de la mère sont identiques. Or, ces cellules sont des cellules souches que l’on pourrait transformer en n’importe quel effecteur. On a là de quoi imaginer – ce qui pourrait venir, puisqu’on porte un projet dans ce sens – un potentiel traitement de type CAR T‑cell, mais allogénique. S’il est impossible, chez un patient donné, de récupérer ses cellules pour les transformer en cellules tueuses de cancer, on pourrait prendre dans une banque de sang placentaire des cellules souches pluripotentes et les transformer en cellules tueuses pour ce patient. Cela n’existe pas pour l’instant. Ce n’est que de la recherche, mais le sujet apparaît dans notre rapport au Parlement et au Gouvernement.

Mme Marine Jeantet. – Nous avons le projet de construire une banque publique de cellules souches pluripotentes induites (IPS). Il n’y a actuellement aucune banque publique au monde, toutes sont privées. C’est l’un des projets que l’on voudrait proposer à notre nouveau ministre, en lien avec l’Établissement français du sang (EFS), car celui‑ci est dépositaire de nos unités de sang placentaire. C’est assez intéressant en termes de recherche et de potentiel, car on a la matière première. Ce serait en outre une manière de valoriser l’excellence de la recherche française.

Vous avez ensuite posé une question sur les activités de prélèvement et de greffe d’organe. Je pense que je vous ai déjà répondu sur le sujet. Vous aurez le détail dans la documentation.

Il y avait aussi une question sur les scores. Michel Tsimaratos vient d’en parler.

Une question porte sur les dons croisés. Pour l’instant, on est encore un peu au milieu du gué, car on n’a pas assez de propositions, mais on y travaille. C’est un peu le même problème qu’avec le don du vivant en termes de disponibilité hospitalière, avec la difficulté supplémentaire qui résulte de la nécessité de disposer simultanément de deux blocs. Cette contrainte logistique est aggravée par les tensions actuelles dans les unités de soins des hôpitaux. Néanmoins, elle n’est pas le problème principal, celui‑ci étant l’insuffisance des propositions pour faire des appariements.

Une question porte sur l’âge des donneurs. Cet âge augmente, on prélève de plus en plus tard, même jusqu’à plus de 80 ans. Vous pouvez mourir à 80 ans et avoir des reins en parfait état. Si des personnes de 70 ans ou de 65 ans ont besoin d’être greffées, cela est toujours préférable au traitement par dialyse. Néanmoins, l’impact n’est pas négligeable en termes de gestion. En effet, une personne âgée a plus de pathologies chroniques associées à des comorbidités. On a donc adapté toutes les recommandations à destination des préleveurs, pour qu’ils puissent qualifier les dons. Ainsi, avoir un cancer ne signifie pas que l’on n’est pas prélevable. Tout dépend du type de cancer dont il s’agit. Certains organes ne sont pas touchés par le cancer et sont sans risque de transmission.

À la question portant sur la baisse du nombre des personnes en mort encéphalique, qui étaient la principale source de donneurs, je vous ai indiqué qu’on a déployé le protocole Maastricht 3, qui progresse vraiment bien. C’est une bonne nouvelle, même si c’est également très mobilisateur de ressources.

Pour la question portant sur les greffes composites et les nouveaux types de greffes, je laisse la parole à mon collègue.

M. Michel Tsimaratos. – Je propose de ne pas revenir sur les xénogreffes, sauf si vous souhaitez des précisions. À l’heure actuelle, les xénogreffes ne peuvent pas être considérées comme la réponse à la pénurie d’organes, pour des raisons extrêmement simples. Ce n’est pas suffisamment fiable pour compenser le nombre d’organes qui manquent, soit près de trois ou quatre organes par jour. C’est en outre une technologie très chère, captive d’une entreprise américaine qui a développé ce modèle il y a vingt ans. Nous étions dans la course, mais on n’a pas embrayé. Il faudrait donc mener toute la recherche clinique et faire en sorte qu’elle aboutisse, en se fondant sur le business model d’une entreprise commerciale.

Nous disposons néanmoins d’autres éléments pour aller combler ce manque de greffons. Marine Jeantet vous a parlé de la diminution du besoin, en agissant sur la prévention et sur l’amont de la phase terminale de la maladie chronique. On a plusieurs projets en ce sens.

Il y a aussi le sujet des allogreffes composites, ce qu’on appelle les greffes de visage. Je ne sais pas si vous êtes familier de la différence entre greffe et transplantation. La greffe concerne en général du tissu, c’est‑à‑dire qu’il n’y a pas de suture de vaisseaux. La transplantation est la greffe d’un organe, dont on doit suturer les vaisseaux, pour alimenter en sang l’organe, et les parties spécifiques de l’organe : pour le foie, ce sont les canaux biliaires ; pour les reins, c’est l’uretère ; pour le cœur, c’est l’aorte ; pour les poumons, c’est la trachée. Dans les greffes composites, on greffe plusieurs organes et on doit organiser la greffe pour que l’ensemble de l’opération chirurgicale permette à cette composition d’organes de fonctionner. Pour la greffe de la face – quelques‑unes ont été faites –, on greffe des muscles, des nerfs, des vaisseaux, des canaux et des épithéliums. Ces greffes composites dépendent donc beaucoup de la qualification du receveur – comment va‑t‑on être certain que le receveur est en mesure de recevoir la greffe ? – et de la qualification du donneur. C’est un travail considérable que font les coordinateurs, en lien avec les professionnels.

Dans d’autres domaines, on pratique des greffes de tissus que l’on avait du mal à greffer jusqu’à présent, notamment pour des questions de conservation, par exemple sur la trachée ou les bronches. Aujourd’hui, face à des sténoses ou des nécroses d’un bout de trachée qui relie les voies aériennes supérieures aux poumons, on est en mesure de mettre non plus simplement une prothèse, mais du matériel humain prélevé chez une personne décédée. On pratique aussi les greffes d’utérus. L’absence congénitale d’utérus compromet évidemment la réalisation d’une grossesse. Néanmoins, lorsqu’on prélève l’utérus chez une personne qui a terminé son cycle de fertilité, c’est‑à‑dire après la ménopause, si on l’expose de nouveau à un environnement hormonal compatible, l’utérus va être en mesure d’accueillir un enfant. Ça a été fait à plusieurs reprises. C’est dans les pays nordiques que les médecins sont les plus avancés, mais nous avons en France un programme de recherche qui permet de mener à bien des grossesses et des naissances. Il s’agit de prendre l’utérus d’une personne, de le transplanter à une personne qui est encore en mesure d’avoir un enfant, puis de l’explanter à la fin du projet de grossesse.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Faut‑il nécessairement explanter ?

Mme Marine Jeantet. – Si vous ne le faites pas, la bénéficiaire doit conserver un traitement immunosuppresseur. Il y a une balance bénéfice-risque à prendre en compte. Une fois que vous avez eu des grossesses, vous n’avez normalement pas besoin de l’utérus pour vivre.

M. Michel Tsimaratos. – Mettre en place de tels programmes génère un certain nombre de tensions en termes d’éthique et de politique de santé. C’est la raison pour laquelle ce ne sont pas encore des soins courants.

Dans un autre domaine, certaines entreprises françaises proposent des prothèses de cœur artificiel, qui permettent de vivre plusieurs jours et d’attendre une greffe cardiaque.

Mme Marine Jeantet. – La question suivante portait sur l’intelligence artificielle. Nous en avons déjà un peu parlé. L’intelligence artificielle nous aide pour les répartitions d’organes. Michel Tsimaratos parlait aussi de la sélection du meilleur embryon. Elle intervient également pour les diagnostics anténataux. Les analyses des séquençages sont faites grâce à l’intelligence artificielle, de même que l’appréciation de la compatibilité HLA pour les greffes de cellules souches. On utilise donc déjà l’intelligence artificielle en routine, pour structurer des données très complexes qu’il faut analyser très vite pour faire le meilleur choix pour le patient.

La question suivante porte sur l’AMP et les délais d’attente. J’en ai parlé.

La question d’après concerne la baisse de qualité du sperme et l’augmentation de l’âge des femmes avec le risque de tension qui pourrait en découler sur la natalité. C’est un sujet, mais la question est d’abord sociétale. La baisse de la natalité n’est pas seulement liée à l’infertilité. Les jeunes femmes n’ont pas forcément de projets de grossesse à tout prix dans leur parcours de vie, certaines ne veulent pas d’enfants. Elles les mènent aussi de plus en plus tard, parce qu’elles veulent avoir une vie professionnelle. Il y a un tournant chez les jeunes générations. Le système de soins est capable de gérer ces évolutions mais la réponse à la baisse de la natalité n’est pas, à mon avis, à chercher du côté de l’infertilité.

La question suivante a trait au développement des neurosciences. Le Parlement nous a confié une nouvelle mission d’information sur ce sujet. L’Agence a publié deux lettres, l’une sur les liens des neurosciences avec l’intelligence artificielle et l’autre sur le développement des neurotechnologies. Ce sont des travaux de prospective. La prochaine lettre portera sur les organoïdes et les interfaces homme-machine, des sujets très intéressants. Il y a un enjeu sur la question de la limite à fixer concernant l’interface et l’ingérence dans le cerveau humain. Il faut que ce soit toujours l’homme qui garde le contrôle de ce qui se passe et pas la machine. La science-fiction devient clairement une réalité sur un certain nombre de sujets.

M. Michel Tsimaratos. – S’agissant de l’information sur les neurosciences, nous nous sommes inscrits dans une démarche de production de connaissances stratégiques. On a intitulé ces lettres : lettres de veille stratégique en santé. Nous sommes en effet à un moment où il va falloir prendre des décisions. Un seul état au monde a inséré un neurodroit dans ses textes législatifs et réglementaires. Si l’on vous injectait demain quelque chose dans le cerveau pour guérir une maladie, et si ce quelque chose était connecté, à qui appartiendraient les données ? Si l’on vous aidait demain à vous endormir par des mécanismes qui recueillent l’activité cérébrale, à qui appartiendraient les données ? À l’entreprise qui a fabriqué la puce ? À vous ? Au système ? Les impacts sont considérables.

La première lettre de veille porte sur les neurotechnologies, c’est‑à‑dire sur la façon dont on peut envisager l’homme augmenté. Aujourd’hui, il y a des guerres partout, les armées sont toutes à la pointe de la recherche sur le soldat augmenté. C’est l’armée qui est le principal acteur de la recherche dans ce domaine. Notre but consiste d’abord à dire qu’il est important de ne pas prendre de retard dans ce domaine.

La deuxième lettre traite de la rencontre des neurosciences avec l’intelligence artificielle, c’est‑à‑dire sur la façon dont l’optimisation d’un processus récurrent peut agir sur son impact. On parlait tout à l’heure des données et du neurodroit, mais on peut aussi aller un peu plus loin, sur la façon dont on pourrait automatiser certaines prises de décision. On peut à nouveau penser au domaine militaire, mais cela peut aussi exister dans le monde civil. On n’est pas si loin des premiers logiciels qui optimiseront l’accès aux blocs en fonction de paramètres fondés sur un algorithme d’intelligence artificielle.

Notre démarche d’information du Parlement et du Gouvernement dans ces domaines‑là s’inscrit donc dans une réflexion stratégique, pour éclairer la décision et pour vous permettre d’anticiper ce qui va se passer dans cinq ans ou dans dix ans.

Mme Marine Jeantet. – L’avant‑dernière question porte sur la recherche sur les embryons. Nous considérons que les ajustements de la dernière loi de bioéthique sont plutôt positifs. Depuis que la loi a été promulguée, l’Agence a instruit treize déclarations de recherche sur les cellules souches embryonnaires et sept déclarations de conservation. Cela fonctionne plutôt bien. Les délais d’instruction ont été extrêmement réduits par ces nouvelles procédures, car on a toujours pu les analyser avec l’expertise interne de l’Agence, sans avoir recours à des experts extérieurs. Je pense que c’est un bon équilibre, qui a permis de donner un peu de fluidité à certaines demandes, qui sont étudiées plus rapidement, tout en respectant l’encadrement. Cela permet des recherches plus rapides.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Et sur le délai de conservation qui est inscrit dans la loi ?

Mme Marine Jeantet. – Il nous convient, pour l’instant. En revanche, nous voudrions attirer votre attention sur un point. Le Conseil d’orientation de l’Agence a rendu en octobre dernier un avis sur les modèles embryonnaires. Nous attirons votre attention sur cet avis qui considère que ces modèles ne sont pas des embryons, mais ne sont pas non plus des cellules pluripotentes ; la réglementation sur les IPS serait un peu trop souple pour ces modèles et celle de la recherche sur l’embryon serait un peu trop dure. Il faudrait peut‑être qu’une révision permette un encadrement spécifique pour ces types de modèles qui se développent à grande vitesse. Nos délais de révision législative de cinq à six ans ne sont pas forcément compatibles avec cette dynamique. Il serait intéressant de pouvoir agir spécifiquement sur ce volet, sans procéder forcément à une révision de toute la loi. Il faudrait qu’on puisse être plus souples sur nos modalités d’ajustement du cadre législatif, sur un aspect en particulier, pour s’adapter à l’évolution de la science qui va parfois très vite, sans avoir toute la lourdeur d’une révision complète du cadre général.

La dernière question, et non la moindre, porte sur les tests génétiques. Là aussi, la demande explose, avec les tests génétiques disponibles sur Internet, qui sont interdits en France. Nous sommes vraiment très méfiants sur ces tests, qui ont beaucoup d’effets pervers, en particulier l’absence d’encadrement pour l’annonce de leurs résultats. Comme je vous le disais, on trouve énormément de choses sur l’exome, par exemple des prédispositions à des cancers, et le résultat vous est envoyé par la poste, sans aucune précaution. Les impacts sur le reste de la famille ne sont pas du tout organisés non plus. Parfois, on n’est même pas sûr de la qualité de certaines analyses.

Un film grand public, dont on vous donnera le lien, va d’ailleurs bientôt sortir sur ce sujet. Il traitera de l’impact que ces tests peuvent avoir et de la méconnaissance de ces conséquences. Il y a un enjeu d’information du public qui va bien au‑delà de ce que l’on fait actuellement pour parler des risques de ces tests, d’autant plus que se pose aussi le sujet de la conservation des données. En effet, une fois que vous avez envoyé votre échantillon biologique, il est stocké dans des banques de données. S’il part aux États‑Unis, la FDA peut être capable de vous reconnaître, vous et vos proches, sur le plan génétique, sans que vous ayez donné votre accord. Il y a donc un risque à la fois médical, éthique et de protection des libertés, sur lequel il faut vraiment insister. Pour l’instant, le public ne voit que le côté amusant, pour découvrir ses origines, mais il ignore que ces données peuvent générer des conséquences terribles, si jamais on découvre une pathologie sans que ce soit organisé et sans parcours de soins, mais aussi du fait de l’éventuelle utilisation à des fins d’identification.

M. Michel Tsimaratos. – Le problème est aussi géopolitique. Quand vous envoyez votre demande par la poste, on vous envoie une réponse génétique, sous la forme d’une carte, qui annonce que vous êtes à 10 % originaire du bassin méditerranéen, à 5 % d’un autre endroit, etc. Imaginons que l’entreprise constitue un recueil global de l’ensemble de ces données. Elle en déduit une carte avec des impacts potentiels considérables, par exemple pour l’industrie pharmaceutique. On sait déjà qu’il y a 50 % de consanguinité dans la péninsule arabique. On peut déjà dire quelles maladies s’exprimeront dans les trente prochaines années. Ceci veut dire qu’on peut aussi dimensionner une réponse industrielle (médicaments, services de soins, etc.) à ce qui va se passer. On sait qu’aux États‑Unis, il se trouve 38 % de pré‑obèses à l’âge de vingt ans. Sanofi, par exemple, est capable d’organiser sa production d’antidiabétiques et de médicaments contre l’obésité. Si à cela on ajoute les gènes de susceptibilité de développer une insuffisance rénale chronique, qui va être accélérée par le diabète, on arrive à une transformation de la base de connaissances qui va permettre à certaines entreprises, ou parfois à certaines visées politiques peut‑être plus globales, de s’appuyer sur quelque chose qui a été généré par notre envie de faire un cadeau amusant, par exemple pour confirmer une ascendance grecque ou arménienne. En réalité, ce n’est pas si simple que ça et cela entraine un risque global pour la société. C’est ce qu’on essaie de mettre en avant dans notre communication, sans jeter un vent de panique. Vous verrez en effet dans la bande‑annonce et dans le film, si vous allez le voir, que tout cela est abordé par le biais sociétal et la question « Est‑ce que je viens vraiment de là où je pense venir ? »

Notre position, depuis que l’on traite de ce sujet, est de générer de la connaissance à haute valeur ajoutée, c’est‑à‑dire de privilégier la connaissance à la notoriété. Il ne s’agit pas de faire beaucoup de vues sur les réseaux avec des petites phrases. Cela donne certes beaucoup de visibilité, mais il est plus difficile de produire du contenu de haute valeur ajoutée sur lequel on peut appuyer une réflexion, pour aboutir à une stratégie. Quand on ne s’appuie que sur la recherche de notoriété, on sait bien quelles difficultés peuvent apparaître. Nous avons organisé toute notre communication scientifique et institutionnelle sur ce principe, avec une information complète du grand public par le biais des réseaux, et une information spécifique du Parlement et du Gouvernement, des professionnels et des associations, à travers un spectre de publications visant à toucher tout le monde. Il existe aujourd’hui un potentiel de visibilité grâce aux réseaux sociaux d’une force inimaginable quand on la compare à ce qui se faisait précédemment.

Mme Marine Jeantet. – Nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Merci à vous pour cet exposé très complet, en réponse notamment au questionnaire assez développé que nous vous avions envoyé.

Je rappelle que la loi de bioéthique d’août 2021 doit faire l’objet d’une révision dans un délai de sept ans, mais aussi d’une évaluation par l’OPECST dans un délai de quatre ans. Nous pouvons ne pas copier l’administration et ne pas attendre le dernier moment pour nous saisir de cette opportunité. Je me tourne donc vers mes collègues pour qu’ils commencent à se projeter sur une future évaluation de la loi bioéthique de 2021, en attendant l’éventuelle nouvelle loi à venir. Chers collègues, avez‑vous des questions complémentaires ?

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. – Merci beaucoup pour votre présentation très complète. Je souhaite évoquer deux sujets très différents. Je travaille actuellement sur un rapport, avec plusieurs collègues, sur les nouveaux enjeux de l’intelligence artificielle. Comment appréhendez‑vous l’utilisation la plus utile de l’intelligence artificielle ? Nous savons en effet qu’elle est extrêmement efficace dans certains domaines et moins dans d’autres, souvent parce que la masse de données qui permet à l’intelligence artificielle de se développer n’est pas suffisante pour qu’on puisse s’en servir de manière fiable, notamment pour les diagnostics, qui ne sont alors pas suffisamment précis. Comment amasser les données suffisantes, mais dans un cadre éthique, puisque des questions de confidentialité des données se posent aussi ? Je sais que la Cnil y travaille. Je ne sais pas si vous collaborez avec elle. Comment appréhendez‑vous ce dilemme, qui fait qu’on a absolument besoin d’avoir une grande masse de données pour avoir des intelligences artificielles aussi efficaces que possible, sachant que cela peut poser d’autres problèmes en termes de confidentialité des données ou d’utilisation malveillante ?

Sur un tout autre sujet qui n’a rien à voir avec l’intelligence artificielle, vous avez beaucoup parlé de l’AMP. Y a‑t‑il des demandes pour introduire ce qui se fait à l’étranger, notamment les techniques approuvées en Grande‑Bretagne depuis 2016, sur les FIV à trois gamètes, où l’on remplace l’ADN mitochondrial issu de l’ovocyte, pour répondre à des diagnostics génétiques problématiques ? Je ne sais pas du tout si ce sujet bioéthique est sur la table en France. Néanmoins, comme cette technique est légale à l’étranger, j’imagine qu’il va arriver dans le paysage à un moment donné.

M. Michel Tsimaratos. – Vous pointez les aspects les plus prégnants de l’intelligence artificielle. Nous ne sommes pas le seul opérateur sur ces aspects‑là. Le plan France Génomique vise à organiser l’ensemble des données qui vont être produites. Nous émettons une alerte sur le fait qu’il ne s’agit plus simplement de données pour faire un diagnostic. Il s’agit de données qui auront un impact exponentiel. Je prendrai un exemple simple. L’analyse de l’exome, c’est‑à‑dire des parties codantes de l’ADN, peut être faite pour trouver une mutation, par exemple si l’on suspecte une mutation de la mucoviscidose chez le donneur de spermatozoïdes et chez la donneuse d’ovocytes, afin d’être certain qu’il n’y a pas de risque de développement de la maladie. Si l’on analyse l’intégralité de l’exome, on va avoir tout le patrimoine génétique du donneur et tout le patrimoine génétique de la donneuse. On pourrait alors découvrir d’autres éléments. Aujourd’hui, on ne les connaît pas, mais on pourrait découvrir par exemple la présence du gène de susceptibilité à l’Alzheimer. Si l’on détecte ce gène chez une personne de trente ans, plusieurs questions et plusieurs tensions éthiques vont se manifester. Doit‑on lui en parler, alors qu’il n’existe actuellement que peu d’actions pour y faire face ? Doit‑on mettre en place une politique de prévention ? Doit‑on stimuler la recherche pour aboutir à une politique de prévention ? L’ensemble de ces données va donc générer des problèmes, auxquels on n’a pas encore pensé.

Notre travail consiste à alerter et être en mesure d’identifier ces problèmes, non pas pour y apporter une réponse, mais pour stimuler la réflexion en vue d’apporter une réponse. L’intelligence artificielle nous aidera, dans le sens où elle est capable d’automatiser un certain nombre de processus, notamment d’analyse. Je reprends l’exemple du gène de la maladie d’Alzheimer – on est dans la fiction : l’intelligence artificielle pourrait indiquer qu’il n’y a pas chez l’individu concerné de gène de l’Alzheimer, mais que ceux qui ont le gène de l’hypertension artérielle, du diabète ou de l’amylose ont une probabilité plus forte d’exprimer la maladie. On peut donc utiliser des méthodes de calcul d’intelligence artificielle pour accélérer ce que la réflexion humaine des scientifiques faisait. Ceci fait partie des aspects vertueux de l’intelligence artificielle. Un aspect peut‑être un peu moins vertueux est le calcul de risque et son utilisation par les assureurs, qui pourraient indiquer qu’ils refusent d’assurer ceux qui cumulent l’ensemble de ces allèles, ou en leur proposant une prime d’assurance qui les décourage.

S’agissant de la PMA, on est bien au courant de toutes les pratiques à l’étranger. La « FIV à trois gamètes » existe sur le plan de la recherche en France. Il n’y a pas de difficulté à imaginer que cette technique passe un jour dans la pratique courante. Aujourd’hui, ceci est réservé à certaines pathologies très particulières, lorsque l’on sait qu’on a besoin d’un ADN mitochondrial un petit peu différent. De la même façon, la recherche sait différencier une cellule ovocytaire en gamète mâle. On n’est pas très loin d’imaginer que l’amélioration de ces techniques permettra un jour de proposer la création d’un embryon à partir de deux ovocytes, mais ce n’est pas aujourd’hui une pratique courante, car elle soulève d’autres enjeux que le seul enjeu scientifique. On est donc en mesure de répondre point par point, par exemple, avec ces FIV avec trois personnes, mais ce sont des réponses absolument spécifiques. Lorsqu’elles ne peuvent pas être faites sur notre territoire, on peut s’expatrier pour les faire. Mais la principale raison de l’expatriation pour des questions de fertilité ne concerne pas ces questions. Il s’agit d’abord du délai d’attente, par exemple pour une femme de 39 ans qui, si elle a deux ans d’attente pour voir son projet mené à bien, aura vu son taux d’efficacité des techniques d’assistance s’effondrer de 15 % à moins de 5 %. Dans ces conditions, pour aller plus vite, il vaut mieux aller en Belgique ou en Espagne, d’autant que la procédure est prise en charge.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, sénatrice. – Merci pour vos propos ô combien passionnants. Je voudrais rebondir sur les sujets de fertilité. Le Président de la République a dit qu’il allait justement y consacrer un budget, même si je partage votre analyse. La baisse de la natalité ne s’explique évidemment pas par un problème de fertilité, mais par des raisons sociétales.

Je voudrais vous poser une question presque personnelle, en tant que représentants de l’Agence de la biomédecine. Selon vous, est‑ce que le modèle français devrait ressembler au modèle espagnol, qui est le plus cité dans les problèmes de fertilité ? Pensez‑vous que c’est un modèle qui fonctionne, au regard du nombre de Françaises qui y ont recours ? Au‑delà de la simplification administrative et des délais plus courts, il autorise aussi beaucoup de techniques qui sont encore interdites en France. Est‑ce un modèle auquel on devrait essayer de ressembler ? Ou bien va‑t‑il beaucoup trop loin en termes de permissivité et dès lors, serait‑il préférable que l’Espagne ne reste qu’un partenaire – l’assurance maladie prenant en charge, sous certaines conditions, une PMA faite en Espagne – et que nous restions dans notre modèle français, sans trop évoluer ? J’aimerais connaître votre position.

Mme Marine Jeantet. – La principale différence entre le modèle français et le modèle espagnol est que l’organisation espagnole repose surtout sur des centres privés, organisés de manière très efficace mais avec un coût non négligeable pour les patientes. C’est la principale différence, avant même de parler des techniques et des aspects médicaux.

Il y a plusieurs sujets à évoquer. D’abord celui de l’autoconservation des gamètes à des fins non médicales, des ovocytes pour les jeunes femmes, car ce sont surtout les jeunes femmes qui ont recours à cette autoconservation. En France, le Parlement a choisi de réserver cette pratique aux établissements publics. La question peut être débattue, car cette pratique ne s’inscrit pas dans une démarche de don. On peut donc questionner cette réserve faite aux seuls services publics, sachant qu’en Espagne, on rembourse l’action des centres privés. De plus, environ 50 % de l’offre de soins d’AMP en France se trouve dans le privé. On peut donc se demander, comme c’est à des fins personnelles et comme ces jeunes femmes pourraient avoir recours à une AMP classique avec un compagnon par la suite dans le privé, pourquoi les empêcher de les autoconserver dans le privé ? Tout dépendra des décisions qui seront prises par nos tutelles et par le Parlement, car il faut passer par la loi pour modifier cette règle. Je pense néanmoins que cela va quand même dans le sens de l’histoire d’ouvrir cette possibilité en France.

Pour tout ce qui relève du don, en revanche, je pense qu’il faut rester très prudent. Les dérives peuvent arriver assez facilement. Le cadre français est relativement sécurisant. L’important est plutôt de susciter plus de dons. C’est ce à quoi l’Agence s’emploie, car on va bientôt arriver en pénurie de gamètes. On est déjà en tension sur les ovocytes. Comme je l’ai dit, il existe une possibilité : si des jeunes femmes autoconservent leurs ovocytes mais n’y ont finalement pas recours, parce qu’elles ont une grossesse autrement, elles pourraient en faire don à des personnes qui sont en attente. Il y a peut‑être une sensibilisation à faire sur ce point. Ceci pourrait réduire drastiquement les délais, mais pas avant quelques années, car les jeunes femmes qui viennent de conserver leurs ovocytes ont encore le temps de les utiliser. Quoi qu’il en soit, je pense que cela représente une source potentielle d’ovocytes.

S’agissant des spermatozoïdes, nous n’avons pas connu de baisse du nombre de donneurs, malgré l’ouverture de l’accès aux origines. Elle n’est pas un frein, en tout cas on ne le constate pas actuellement. Pour autant, le nombre de donneurs ne suffit pas pour faire face à la demande. On a mutualisé l’ancien stock, car on a jusqu’à mars 2025 pour utiliser le stock anonyme qui existait. Face à la tension actuelle, empêcher l’utilisation de ce stock aurait été délicat. C’est également une question de respect des donneurs. En outre, on n’a pas eu le temps de constituer un nouveau stock suffisant pour faire face à toutes les demandes. Néanmoins, même avec cette mutualisation en cours d’organisation entre les centres pour optimiser l’utilisation du stock ancien, on sait qu’il n’y aura pas assez de dons.

Soit on parvient à augmenter le nombre de donneurs, soit on va avoir des sujets d’importation. Tous les pays européens sont soumis à la directive européenne du don anonyme et gratuit, mais des indemnisations sont versées en Espagne, d’où il résulte un nombre de dons plus élevé. Le modèle espagnol est également différent sur ce point. Pour l’instant, nous faisons des campagnes d’information. Nous venons d’en lancer une nouvelle, qui est un peu atypique, sur la logique « Faites des parents », en expliquant bien que donner ses gamètes ne signifie pas qu’on devient parent. Même l’accès aux origines ne donne pas un droit de parentalité, mais ça permet à des personnes de réaliser leur souhait. L’Agence a lancé plusieurs campagnes sur les réseaux sociaux pour chercher des hommes jeunes, également issus de la diversité. Nous rencontrons en effet toujours un problème à ce niveau, comme pour les cellules souches hématopoïétiques (CSH). Il faut que l’on cherche des hommes jeunes issus de la diversité. Les post‑tests semblent assez encourageants, mais il n’est pas sûr que cela suffise.

La question qui va se poser sera donc surtout de savoir jusqu’où on peut aller en matière d’importation à partir de banques de sperme qui existent en Europe, ce qui est aussi une des solutions. Il faudra prendre le temps d’y réfléchir, sachant qu’il n’est pas interdit d’importer du sperme, en France. Quand vous avez eu un parcours d’AMP à l’étranger avec un donneur et que vous voulez un deuxième enfant, par AMP en France, vous pouvez le faire avec le même donneur. Ce n’est donc pas interdit, mais cela reste pour l’instant du cas par cas. Si on arrivait à un fonctionnement plus massif, ce serait autre chose.

M. Michel Tsimaratos. – Le gradient entre la France et l’Espagne n’est pas scientifique. Les compétences sont les mêmes. Beaucoup de ceux qui travaillent dans les centres espagnols ont été formés en France. La différence est d’ordre idéologique. Comme très souvent, l’Espagne s’appuie sur une réflexion pragmatique, en se demandant ce qui marche. En France, la réflexion vise d’abord à conserver la dimension service public. On a très clairement sous‑estimé l’impact sociétal de l’élargissement du public admissible à l’AMP et notamment la demande. On ne pensait pas qu’il y aurait huit fois plus de demande, ce qui montre une inadéquation de la réponse, telle qu’elle a été apportée jusqu’à aujourd’hui, alors que les compétences du public et du privé en France sont les mêmes. En France, c’est la gestion qui est publique ou privée, mais le financeur est le même et la qualité est comparable. C’est donc vraiment une différence de conception, au départ, à laquelle on peut apporter une réponse, sur la base de tout ce que l’on vient de dire.

M. David Ros, sénateur, vice-président de l’Office. – Merci pour cette présentation didactique et dynamique et merci pour le support. En effet, comme avec tous les bons cours, il est bien utile d’y réfléchir à tête reposée, quand les personnes ne sont plus là et pour que la greffe prenne, si j’ose dire. Je souhaite poser deux questions ponctuelles, ainsi qu’une question plus générique. Mes questions sont des questions de béotien. Je ne sais pas si les réponses figureront dans les documents, mais je serais intéressé de connaître la répartition de la tendance en termes de greffe. En tant que béotien, on pense souvent aux reins, mais j’imagine que cela a beaucoup évolué.

La deuxième question est un peu liée à la première. Vous avez évoqué les difficultés rencontrées, notamment avec les salles ou blocs opératoires et de réanimation. Existe‑t‑il une cartographie de cette disponibilité et y a‑t‑il des lieux qui sont plus propices à faire certains types d’opérations ? Sur l’ensemble du territoire national, l’offre de proximité est‑elle identique ou est‑il nécessaire de se déplacer, en fonction de la pathologie et du besoin ?

Je terminerai par ma question générique. Le président et moi avons la chance d’appartenir à la même commission du Sénat, qui travaille notamment sur les questions de la recherche et de la simplification de la recherche. Dans tout ce que vous décrivez, vous êtes un peu à la croisée des chemins, entre les avancées technologiques et scientifiques et les attentes ou besoins sociétaux et donc législatifs. Quand vous évoquez les différents thèmes – ce qui était passionnant –, vous vous situez souvent entre les programmes de recherche et les soins courants. Avez‑vous un rôle d’évaluateur de ceux qui travaillent sur les programmes de recherche ? J’ai l’impression que ce n’est pas le cas, mais serait‑ce intéressant qu’il y ait une évolution en ce sens, sachant que ces sujets seront de plus en plus prégnants ?

Mme Marine Jeantet. – Les greffes rénales continuent de représenter la majorité des greffes (60 %). Je rappelle en effet que la prévalence de l’insuffisance rénale chronique augmente, du fait du diabète et du surpoids. Les besoins sont donc croissants.

En revanche, une grande partie des greffes pulmonaires, qui représentaient une petite partie du total des greffes, se sont arrêtées, grâce à de nouveaux traitements de la mucoviscidose, ce qui est remarquable. Ces greffes ont connu une chute massive. Il en a été de même avec les traitements de l’hépatite C qui ont permis d’arrêter les transplantations hépatiques. Parfois, des chocs de thérapeutique font que le recours à la greffe n’est plus nécessaire. Ce n’est toutefois pas le cas pour le rein, pour lequel on est plutôt dans une évolution croissante.

Vous nous interrogez sur la répartition des moyens de prélèvement et de greffe sur le territoire. C’est plutôt bien organisé. En premier lieu, c’est une activité de CHU mais les prélèvements peuvent aussi avoir lieu dans les hôpitaux de proximité. Même si les autorisations sont désormais données par régions, nous rendons un avis conforme sur toutes les demandes d’autorisation. Les autorisations vont d’ailleurs bientôt être renouvelées, car les schémas régionaux ont été annoncés par les ARS. On a relu tous les programmes régionaux et tous les projets régionaux de santé. On a donné notre avis, parce qu’on voulait vérifier que tous nos plans et nos objectifs étaient bien repris. Il n’y a pas d’iniquité territoriale. Le sujet porte plutôt sur les tensions en matière de personnel dans certains hôpitaux. C’est toutefois variable et cela peut diminuer rapidement. C’est pour cela qu’on a mis en place des indicateurs de qualité par équipes et des systèmes d’alerte. L’Agence dispose de services régionaux qui sont très proches de toutes les équipes. On les rencontre souvent pour savoir comment les appuyer ou pour sensibiliser les directions sur les différents sujets. Je laisse Michel Tsimaratos répondre sur la partie relative à l’évaluation de la recherche.

M. Michel Tsimaratos. – Aujourd’hui, le spectre des transplantations s’élargit. En nombre, les plus importantes sont les greffes de tissus (cornée, vaisseaux, poudre d’os, etc.). Il existe ensuite une nouvelle modalité de transplantation : les transplantations d’îlots de Langerhans. On prélève un pancréas, on le broie et on le traite, puis on injecte des cellules pancréatiques dans le foie de patients diabétiques. Celui‑ci fabrique alors de l’insuline. On en a fait 80 à 90 l’année dernière. C’est un changement complet de paradigme par rapport aux injections régulières d’insuline. Cela est réservé à des patients très sélectionnés, ce qui requiert un important travail.

M. David Ros, sénateur, vice-président de l’Office. – Vous dites « on ». Quel est le rôle de l’Agence ?

M. Michel Tsimaratos. – L’Agence assure un contrôle direct et met en lien les receveurs et les donneurs. Quand nous savons qu’il y a eu un prélèvement de pancréas à Toulouse et que nous avons sur la liste un receveur à Lille, on transporte le greffon jusqu’à Lille. De plus, cela fait vingt ans que l’on soutient cette activité de recherche, qui a été caractérisée comme des soins courants, c’est‑à‑dire remboursés par la Sécurité sociale, depuis deux ans. C’est un continuum, ce qui fait le lien avec votre question sur la recherche. L’Agence ne contrôle pas la recherche, mais y contribue. Elle distribue un peu plus de 1 million d’euros dans des appels d’offres recherche thématiques (greffe, cellules, procréation, génétique, etc.). On tient un registre des maladies rénales chroniques à partir duquel on fait un appel d’offres recherche pour les équipes, pour progresser dans la compréhension de l’évolution de ces maladies. On participe grandement à cette activité d’évaluation.

M. David Ros, sénateur, vice-président de l’Office. – Ce n’est pas vous qui prenez la décision ?

M. Michel Tsimaratos. – On éclaire l’avis, mais c’est le ministère qui rend l’avis.

Mme Marine Jeantet. – Il existe un comité pour les greffes exceptionnelles, dont on fait partie. C’est nous qui rapportons, mais la décision incombe au ministère. Ces décisions restent des décisions administratives, que l’on éclaire.

M. Michel Tsimaratos. – On fait aussi de la recherche. On publie environ 80 papiers scientifiques par an. Il s’agit de recherche sur les données que l’on héberge. En les articulant avec le système national des données de santé (SNDS), qui regroupe les données de santé en vie réelle, on est capable de procéder à des modélisations. On a par exemple sorti des publications sur l’impact de la pauvreté sur l’accès aux soins ou sur la prévention. Si l’on devait voir évoluer les missions de l’Agence de la biomédecine, nous serions ravis de pouvoir devenir un acteur de la recherche et de pouvoir héberger des étudiants en tant que laboratoire, pour exploiter ces données, qui alimentent notre connaissance de tout l’écosystème.

Mme Marine Jeantet. – L’Agence est une mine d’or du point de vue des données. Je l’ai découvert depuis un an. On a énormément de bases de données qui sont de très bonne qualité. Le registre rein est à lui seul un outil unique au monde. On dispose d’un suivi exhaustif de toutes les personnes dialysées en France. C’est une base de données que le monde entier nous envie. Des études extrêmement intéressantes sont réalisées grâce à ces données, mais on pourrait encore exploiter mieux son potentiel, si nous disposions d’une capacité d’accueil et de recherche. Nous menons déjà de nombreux partenariats avec des équipes. Ces données sont notamment mises à disposition dans le cadre du Health Data Hub, mais je pense qu’on peut encore gagner là‑dessus, si on facilite les choses.

M. Daniel Salmon, sénateur. – Merci pour votre exposé vraiment passionnant et parfois vertigineux, surtout lorsque l’on touche à l’intelligence artificielle.

Ma question porte sur la double rupture, celle du secret et de l’anonymat pour les dons de gamètes. Vous avez dit qu’il n’y avait pas eu d’impact sur la quantité de dons. En revanche, y a‑t‑il eu des études sociologiques sur l’impact, aussi bien sur le donneur que le receveur, de cette rupture du secret et de l’anonymat ?

Mme Marine Jeantet. – Ce sont les enfants nés du don qui pourront demander la levée de l’anonymat. Les conceptions réalisées dans le cadre de la nouvelle loi viennent tout juste de débuter, les enfants qui en sont issus ne l’ont donc pas encore demandée. En revanche, on a mis en place une commission, la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD), qui permet de mener une recherche pour les enfants déjà nés, sous l’ancien régime. Il y a eu à peu près 300 demandes, ce qui n’est pas énorme puisque ce sont – je crois – 50 000 enfants qui sont nés d’un don. On a retrouvé les donneurs dans environ la moitié des cas et environ un tiers ont accepté de donner leur accord. Le processus commence tout juste. On n’a pas encore une masse suffisante de personnes concernées pour faire une étude. Nous avons reçu la présidente de la CAPADD pour en débattre. On voit déjà qu’en termes de quantité, c’est assez faible et tant mieux. Je pense que cela apportera des réponses, mais il n’est pas sûr que cela aura des impacts particulièrement forts. Pour l’instant, il y a un petit décalage dans le temps.

M. Michel Tsimaratos. – C’est moins une rupture de l’anonymat qu’une possibilité pour les enfants nés d’un don d’accéder à leurs origines.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. – Ma première remarque porte justement sur cette interrogation. Vous évoquiez tout à l’heure l’exemple de la greffe d’utérus mère-fille, qui remettait forcément en cause le principe d’anonymat…

Mme Marine Jeantet. – Il n’y a pas d’anonymat sur le don du vivant. En intrafamilial ou maintenant avec les amis proches, si vous êtes compatibles, il n’y a par définition pas d’anonymat. Ce n’est pas le premier cas. C’est déjà prévu par la loi pour le don du vivant.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. – J’ai aussi une question d’anticipation. Vous évoquiez tout à l’heure les évolutions concernant les cellules souches embryonnaires, et notamment les avancées des recherches qui pourraient être faites à l’avenir. Ne pourrait‑on pas penser dès maintenant à une conservation de cellules souches embryonnaires, pour chaque individu, tout au long de sa vie, qui lui permettrait d’en bénéficier, peut‑être 80 ans après sa naissance ?

M. Michel Tsimaratos. – Une réponse de ce type existe déjà dans beaucoup de pays, sous une forme commerciale, qui revient à prendre un peu du sang de cordon du bébé et à le garder pour pouvoir le récupérer, s’il souffre un jour d’une leucémie. Les principales difficultés sont la qualité et les conditions de conservation. On a assisté aux premières faillites de ces banques, qui ont éteint les congélateurs et ont tout perdu. À ce jour, ce n’est pas la meilleure façon de répondre au besoin de santé publique. Le risque d’avoir besoin de ses propres cellules, à un moment donné dans sa vie, est infime par rapport à ce que cela va nécessiter en termes organisationnels, de coût, de santé publique, etc. Il n’est pas dit que ce ne sera pas fait à l’avenir, mais il n’est pas dit non plus qu’on ne sera pas en mesure d’avoir une banque de cellules souches permettant à chacun de bénéficier d’un accès à ces thérapeutiques. Aujourd’hui, le banking personnel revient quelque peu à jouer sur la corde sensible des jeunes parents qui ont les moyens de financer cette pratique, sans que cela réponde vraiment à un besoin de santé publique.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Les perspectives thérapeutiques sont formidables. On ne sait pas jusqu’où on ira. Je prendrai l’exemple de la cancérologie, où l’on fonde de plus en plus la protection des vies sur la prévention, avec les problèmes connus de manque de spécialistes – mais ce n’est pas à l’ordre du jour. L’établissement de ces pré‑diagnostics et de profils génétiques risque de poser problème et de nous amener, en tant que législateurs, à intervenir, comme on l’a fait avec le droit à l’oubli. On a vu que les Gafam arrivaient à établir des profils thérapeutiques à partir du croisement de plusieurs données. Je pense qu’il faudra qu’on se penche à nouveau sur ce problème d’éthique, par rapport aux compagnies d’assurance, qui auront accès d’une façon ou d’une autre à ces profils. À mon sens, cela posera un réel problème.

Mme Marine Jeantet. – Bien sûr. Il faut considérer les compagnies d’assurance dans le domaine civil, mais les mêmes questions se posent dans celui de la sécurité. Certains pourraient souligner que tel ou tel profil de personne est à « risque de délinquance », ce qui pourrait conduire au fichage de la population, avec des risques de dérive en termes de liberté individuelle susceptibles d’avoir des effets très graves, d’où l’intérêt de clarifier qui conserve nos données. Cela rejoint ce que je vous disais sur les tests génétiques. Quand les personnes envoient leurs données à l’étranger, elles ne se rendent pas compte de ce que cela peut générer, contre elles et contre leurs familles dans un contexte malveillant. La situation géopolitique actuelle nous montre bien que cela peut vite déraper. Il faut donc faire preuve d’une très grande prudence sur ces sujets, y compris au niveau européen. Les données dépassent en effet nos frontières. Il faut d’abord mener une réflexion au niveau français, puis l’exporter pour que ce soit aussi appliqué ailleurs.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. – Je vous remercie pour ces explications et pour la qualité de nos échanges.

 

La réunion est close à 11 h 10.

 

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

Réunion du jeudi 18 janvier 2024 à 9 h 30

Députés

Présents. - M. Jean-Luc Fugit, M. Pierre Henriet

Excusés. - Mme Christine Arrighi, M. Philippe Bolo, M. Maxime Laisney, Mme Huguette Tiegna

Sénateurs

Présents. - Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Pierre Médevielle, Mme Corinne Narassiguin, M. Stéphane Piednoir, M. David Ros, M. Daniel Salmon

Excusés. - M. Arnaud Bazin, Mme Martine Berthet, M. Patrick Chaize, M. André Guiol, M. Ludovic Haye, Mme Sonia de la Provôté, Mme Florence Lassarade

 

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