Compte rendu

Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Réunion avec le conseil scientifique......................2

 

 


Jeudi 21 mars 2024

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 187

 

 

session ordinaire de 2023-2024

Présidence

de M. Stéphane Piednoir,
président
 

 


Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 21 mars 2024

Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office

La réunion est ouverte à 10 h 10.

Réunion avec le conseil scientifique

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Chers collègues parlementaires, députés et sénateurs, Mesdames et messieurs les membres du conseil scientifique, je vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie d’être présents ici ce matin. Je salue également les personnes qui participent en distanciel à notre réunion.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) est ravi de réunir ce matin son conseil scientifique. Ces dernières années, nous n’avons pas réussi à le réunir aussi souvent que nous l’aurions voulu. Les membres du précédent conseil scientifique ont été désignés peu avant la crise du covid. Nous avons ensuite dû faire face à plusieurs aléas, dont en premier lieu la crise sanitaire et ses restrictions. Les échéances des élections présidentielles et législatives puis du renouvellement sénatorial ont conduit à repousser plusieurs de nos rencontres. La responsabilité de la présidence de l’OPECST est synchronisée avec le renouvellement sénatorial, raison pour laquelle je vous accueille aujourd’hui.

Nous gardons néanmoins la mémoire des échanges fructueux tenus lors des dernières réunions du conseil scientifique, organisées le 10 septembre 2020 et le 17 février 2022.

Pour autant, nos liens ne vivent pas seulement des réunions plénières de l’Office avec son conseil scientifique. Je remercie ainsi tous les membres du conseil qui ont participé aux travaux de l’OPECST. Ils sont intervenus dans le cadre de nos études longues réalisées sur saisine de diverses instances parlementaires et qui donnent lieu à la rédaction de rapports, dans le cadre de nos auditions publiques sur des thèmes scientifiques d’actualité, ou encore dans l’élaboration de nos notes scientifiques courtes. Au cours des derniers mois, une quinzaine de membres du conseil scientifique ont apporté leurs expertises et leurs conseils à ces travaux. Leur aide s’inscrivait dans le champ des activités de l’Office pendant cette période, qui ne recouvraient pas toutes les disciplines représentées au sein du conseil. Cette aide a été précieuse et appréciée à juste titre par tous les membres de l’Office.

Il nous paraît essentiel de maintenir ces liens étroits et de confiance, dans nos rencontres physiques ou distancielles. Les experts scientifiques et les parlementaires de l’Office concourent ensemble au travail d’évaluation et d’orientation des choix politiques.

Ce matin, nous réunissons pour la première fois notre nouveau conseil scientifique désigné pour une période de trois ans, jusqu’au printemps 2026. Il comporte 17 anciens membres, qui ont bien voulu renouveler leurs mandats, et sept nouvelles personnalités. Il s’établit donc à 24 membres, soit l’effectif maximum défini par le règlement de l’Office. Ce conseil affiche une parité presque parfaite, avec treize hommes et onze femmes. Je vous remercie d’avoir accepté de nous accompagner.

Vous aurez l’occasion dans quelques instants de présenter l’objet et l’étendue de vos travaux, pour nous permettre de mieux vous connaître et de mieux comprendre vos activités.

Je rappelle que l’OPECST a été créé il y a un peu plus de 40 ans par la loi du 8 juillet 1983, à l’unanimité des deux chambres. Dès son origine, l’Office devait être accompagné par un conseil scientifique. Initialement, ce conseil était composé de quinze personnalités « choisies en raison de leurs compétences dans les domaines des sciences et de la technologie ». Finalement, ce nombre a paru progressivement insuffisant pour couvrir l’immensité des champs de la science. C’est pourquoi, depuis l’an 2000, le conseil scientifique comprend 24 membres.

Nous avons tenté à nouveau de couvrir un maximum de disciplines scientifiques, à travers le choix des membres du conseil que nous réunissons aujourd’hui. Nous avons veillé à ce que aussi bien les sciences exactes et expérimentales que les sciences humaines et sociales soient représentées. Nous avons également désigné des personnalités issues de la plupart de nos grands organismes de recherche et de nos académies, qui constituent pour nous des partenaires privilégiés.

L’Office est une instance parlementaire originale, qui fait partie des délégations parlementaires, instances qui n’ont pas de pouvoir législatif, contrairement aux commissions. Il a la particularité d’être bicaméral, comprenant 18 députés et 18 sénateurs. Sa présidence est alternée tous les trois ans entre les deux chambres. Cette alternance est synchronisée avec le renouvellement sénatorial. Je démarre ainsi depuis octobre 2023 une présidence de trois ans, prenant la suite de notre collègue député Pierre Henriet, devenu premier vice‑président. Nous avons succédé à un duo que vous avez sans doute bien connu et qui bénéficiait d’une grande notoriété, celui que formaient Cédric Villani et Gérard Longuet, qui représentaient respectivement l’Assemblée nationale et le Sénat.

Nos travaux sont de trois ordres. Nous réalisons des études longues sur saisine d’une commission permanente de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ou du Bureau de l’une des deux chambres. Ces études longues peuvent aussi être conduites sur saisine législative directe. Ensuite, plusieurs fois par an, nous organisons des auditions publiques sur des thématiques précises, pour entendre les différentes parties prenantes, dont les positions peuvent être parfois très opposées et donner lieu à des débats contradictoires. Enfin, à l’initiative de Cédric Villani, nous rédigeons des notes scientifiques courtes, en quatre pages auxquelles s’ajoutent notes et références, faisant le point sur des sujets à caractère scientifique ou technologique. Ces notes présentent la position de l’Office sur un thème scientifique à un instant donné.

Nos travaux visent avant tout à éclairer le débat parlementaire. Nous sommes au service des parlementaires. Nous informons nos collègues sur les sujets d’actualité ou sur les grands choix stratégiques à caractère scientifique ou technologique. Nous ne nous prononçons pas sur un plan politique. Nous présentons seulement les options qui se présentent et les conséquences des décisions qui pourront être prises en commission et par les assemblées.

Parmi nos récentes études longues, préparées par des auditions, déplacements et divers travaux des rapporteurs, qui s’étalent sur six à neuf mois, figurent plusieurs rapports relatifs à l’énergie, champ qui constituait un des fondements de la création de l’Office en 1983. Dans ce cadre, nous avons par exemple produit les rapports suivants : Les implications en matière de recherche et d’innovation technologique de l’objectif de sobriété énergétique, rapport que j’ai rédigé avec la députée Olga Givernet sur saisine de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale ; Les conséquences d’une éventuelle réorganisation de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection, rapport que j’ai réalisé avec le député Jean‑Luc Fugit sur saisine de la commission des affaires économiques du Sénat. Ce rapport a éclairé un débat clôturé cette semaine à l’Assemblée nationale, sur le projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire, qui prévoit notamment la fusion de l’ASN et de l’IRSN.

Parmi nos travaux récents figurent également les rapports suivants : L’apport des lois de programmation militaire à l’innovation, établi sur saisine de la commission de la défense de l’Assemblée nationale ; Pour une science ouverte réaliste, équilibrée et respectueuse de la liberté académique, produit sur saisine de la commission de la culture du Sénat ; L’impact de l’utilisation de la chlordécone aux Antilles françaises, rapporté par la sénatrice Catherine Procaccia. Presque systématiquement, nos rapports sont établis par un binôme comprenant un député et un sénateur.

Pour montrer la variété des sujets que nous abordons et leur caractère parfois polémique, voici quelques titres de nos dernières auditions publiques : La surveillance et les impacts des micropolluants de l’eau ; Le développement des réacteurs nucléaires innovants, secteur actuellement en ébullition ; La protection de la biodiversité marine en haute mer, audition publique la plus récente ; Les enjeux du projet de traité international sur l’élimination de la pollution plastique, sujet dont le député Philippe Bolo est un spécialiste ; Les innovations technologiques de l’éolien offshore ; Les enjeux du Conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne ; Les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité ; La rénovation énergétique des bâtiments.

Enfin, nous avons adopté et diffusé à ce jour 43 notes scientifiques, soit environ sept ou huit par an. Nos dernières notes étaient les suivantes : La météorologie de l’espace ; Comparer les modes de stockage de l’énergie, thématique qu’affectionnait Gérard Longuet ; Nouveaux produits du tabac ou à base de nicotine, lever l’écran de fumée ; Les avancées thérapeutiques en cancérologie ; Les avancées thérapeutiques dans la prise en charge des maladies neurodégénératives ; Le recyclage des plastiques ; La pollution lumineuse ; Face à l’explosion des données, prévenir la submersion ; L’alimentation ultratransformée.

Quatre études sont en cours. Ces travaux, pour la plupart assez avancés, devraient donner lieu à la publication de rapports dans les prochaines semaines, entre le printemps et cet été. Voici les thèmes de ces rapports : La décarbonation du secteur aéronautique, dont les rapporteurs sont le député Jean‑François Portarrieu et le sénateur Pierre Médevielle ; Les nouveaux enjeux de l’intelligence artificielle, corapporté par deux députés, Alexandre Sabatou et Huguette Tiegna, et deux sénateurs, Patrick Chaize et Corinne Narassiguin ; Les protéines et l’alimentation, corapporté par deux parlementaires aux compétences agronomes, Philippe Bolo et Arnaud Bazin ; L’évaluation du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), dont les rapporteurs sont le sénateur Bruno Sido et le député Hendrik Davi ; Les effets indésirables des vaccins contre la covid19, qui avait fait l’objet d’un rapport intermédiaire publié en 2022 et qui, à l’initiative de ses quatre rapporteurs, les députés Philippe Berta et Gérard Leseul et les sénatrices Sonia de La Provôté et Florence Lassarade, sera élargi à l’évolution des connaissances sur la covid‑19.

Deux notes scientifiques sont en cours de rédaction, sur l’encombrement de l’espace proche et les débris spatiaux par Jean‑Luc Fugit et Ludovic Haye, et sur les neurosciences dans l’éducation par Victor Habert‑Dassault et Ludovic Haye.

Nous confions la plupart de nos travaux à des binômes de députés et de sénateurs, et parfois à des doubles binômes. Ces binômes sont composés de parlementaires appartenant à des groupes politiques différents. Ces configurations sont généralement très fructueuses. Ces binômes s’appuient sur une équipe de fonctionnaires, qui comprend des conseillers scientifiques, affectés aux secrétariats de l’Office à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ces derniers nous apportent une aide précieuse et indispensable.

Dans le cadre de ces travaux, nous consultons des experts scientifiques, parfois en grand nombre. Parmi ces experts figurent au premier rang les membres du conseil scientifique, que nous sollicitons de manière privilégiée pour nos auditions. Votre aide nous est très précieuse.

Lors de notre précédente réunion, vous nous avez fait part de votre sentiment d’être insuffisamment associés aux travaux de l’OPECST. En conséquence, avec Pierre Henriet, nous avons décidé au début de cette mandature de réunir le conseil scientifique chaque année au printemps pour entretenir des liens plus étroits. De plus, nous allons bientôt vous faire parvenir régulièrement une lettre d’information qui vous fournira une vision complète et actualisée de nos travaux, récemment achevés ou en cours. Nous y ferons notamment figurer tous nos travaux en phase de démarrage. Vous pourrez alors proposer d’être entendus dans le cadre de ces travaux.

Je vous propose de procéder aujourd’hui à un tour de table, pour mieux nous connaître. Le conseil scientifique compte en effet, comme je l’ai dit précédemment, plusieurs nouveaux membres dont l’un d’entre eux, Étienne Klein, a toutefois déjà été membre, entre 2013 et 2016. Chacun pourra ainsi présenter ses travaux et ses préoccupations relatives à l’actualité et aux choix scientifiques et technologiques qui sont devant nous. Vous pourrez aussi formuler tous les propos que vous jugerez utiles.

Je conclus en disant que nous avons célébré les quarante ans de l’OPECST en juillet 2023. À cette occasion, certains d’entre vous ont participé aux différentes manifestations que nous avons organisées : l’exposition de grande qualité intitulée Quarante ans de science au Parlement et les deux demi‑journées de débats à l’Assemblée nationale et au Sénat. Lors de ces débats, les présidents des deux chambres, Yaël Braun‑Pivet et Gérard Larcher, ont renouvelé de manière très appuyée leur soutien à l’Office, insistant sur l’intérêt de ses travaux pour l’ensemble des parlementaires, afin qu’ils puissent mieux s’approprier les sujets scientifiques et technologiques.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. – Je salue les collègues présents, ainsi que les membres du conseil scientifique. Aujourd’hui, plus encore qu’au temps de la création de l’Office en 1983, il importe de mettre en lumière nos travaux. Nous devons enrichir et renforcer la passerelle qui relie les décisions politiques et les faits scientifiques et technologiques. Malgré l’existence d’intentions politiques progressistes, le niveau de formation scientifique et technique des parlementaires est actuellement plutôt en baisse.

Nous devons donc renforcer nos liens avec le monde scientifique. Dans cette optique et en lien avec les Académies des sciences et de médecine, nous avons lancé lors du quarantième anniversaire de l’Office la constitution de trinômes rassemblant chacun un académicien, un parlementaire et un jeune chercheur. Je me permets aujourd’hui d’inviter les membres du conseil scientifique à rejoindre ces trinômes.

Des formules similaires ont déjà existé dans le passé. Les membres des trinômes noueront entre eux des relations privilégiées. Les scientifiques et les parlementaires pourront respectivement mieux connaître le fonctionnement du Parlement et des laboratoires de recherche.

Certains trinômes sont déjà constitués. Dans le contexte du renouvellement sénatorial, quelques nouveaux sénateurs de l’OPECST pourraient souhaiter entrer dans ces trinômes. Les membres du conseil scientifique pourraient également les rejoindre.

Je suis très désireux que nous instaurions l’organisation de réunions au moins annuelles du conseil scientifique et remercie Stéphane Piednoir de l’avoir rappelé.

L’Office cherche à anticiper les évolutions scientifiques et technologiques à venir, ainsi que les évolutions législatives qui pourraient les appuyer. Avec vous, nous pourrons opérer ce travail de prospective ou d’anticipation sur les sujets qu’il semble important de traiter. Nous sommes demandeurs de vos éclairages et de vos orientations.

Dans nos travaux, nous sommes parfois amenés à débattre de sujets d’actualité, comme récemment, à l’occasion des réflexions qui touchaient à la réorganisation de la sûreté nucléaire. Mais la grande qualité de nos études est liée à notre démarche d’anticipation. Il nous faut conserver une longueur d’avance pour éclairer de la manière la plus pertinente possible nos collègues parlementaires non membres de l’Office, dont certains consultent régulièrement nos travaux et les utilisent lors des débats.

Lors du quarantième anniversaire de l’OPECST, nous avons pu faire connaître l’Office à de nombreux parlementaires qui ne le connaissaient pas ou peu. Nous comptons donc sur vous pour continuer à renforcer le lien entre les acteurs scientifiques et politiques. Merci à tous pour votre présence aujourd’hui.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – À l’occasion de ce tour de table, je vous invite à nous faire part des préoccupations scientifiques et technologiques qui vous tiennent à cœur et qui pourraient faire l’objet d’études et d’auditions de l’Office.

Mme Christine Clerici, professeure des universités et praticienne hospitalière spécialisée en physiologie et en explorations fonctionnelles, ancienne présidente de l’université Paris Diderot. – Je vous remercie de m’avoir proposé de continuer à être membre du conseil scientifique de l’OPECST. J’espère que je pourrai contribuer activement à sa réflexion.

Je suis professeure des universités et praticienne hospitalière. Durant plusieurs années, j’ai exercé dans le domaine de la pneumologie et plus spécialement en physiologie. Ma thèse portait sur un sujet de pneumologie assez pointu, à savoir la résorption de l’œdème pulmonaire dans des circonstances pathologiques.

À partir de 2013, j’ai été présidente de l’université Paris Diderot. Dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA), j’ai participé à la création de l’université Paris Cité, regroupant Paris Diderot et Paris Descartes.

Actuellement, mon expertise porte surtout sur la réorganisation du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elle se situe donc loin des préoccupations purement scientifiques. Mon expertise renvoie notamment à la mise en œuvre de la loi sur la programmation de la recherche. Je m’intéresse aux rapports entre les organismes, les universités et les écoles de France.

Ainsi, j’espère pouvoir apporter ma contribution à cette instance dans le champ académique, un domaine en pleine évolution. Je n’apporterai pas spécialement une expertise scientifique ou technique.

M. Thierry Dauxois, directeur de recherche au CNRS, directeur de CNRS Physique (exInstitut de physique du CNRS). – Je suis spécialisé en physique statistique et en physique non linéaire. Mes recherches portent notamment sur le comportement des ondes océaniques. J’ai beaucoup travaillé sur le chaos et les tsunamis. Je m’intéresse aussi à des sujets plus ordonnés.

J’ai accepté votre très intéressante proposition de rejoindre ce conseil scientifique, parce que la physique et les sciences sont très importantes. La physique est une discipline centrale.

Pourtant, j’ai l’impression que dans le monde politique, culturel et médiatique, la physique ne se situe plus au niveau qu’elle mérite. Il importe donc de faire redécouvrir cette science extrêmement importante, notamment à l’heure où des réponses sont attendues face aux enjeux climatiques et énergétiques. Nous devons apporter des éléments pour aider à la prise des décisions politiques qui s’imposent.

Nous devons attirer les jeunes générations vers la physique et en particulier les jeunes filles. Très peu de femmes s’engagent dans cette science. Il est très important pour les laboratoires de recherche et pour la société dans son ensemble que la communauté scientifique renforce cette attractivité.

Aussi, nous devons répondre aux enjeux cruciaux de la sobriété énergétique, à la fois dans la société, mais aussi dans le monde de la recherche. Nous pouvons trouver des moyens de mener une recherche scientifique plus sobre, dans un contexte où les ressources naturelles sont en diminution. Ces enjeux soulèvent de vraies questions, qu’il convient d’approfondir.

M. Jean-Luc Imler, enseignant-chercheur, directeur de l’unité de recherche Modèles insectes d’immunité innée (M3I), directeur de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS, professeur à l’université de Strasbourg. – Je suis professeur des universités en biologie cellulaire. Je dirige une unité de recherche du CNRS qui comprend une équipe labellisée Inserm. Je suis agronome de formation, mais je travaille plutôt dans le domaine biomédical. Mon champ d’expertise est assez particulier. En effet, mon unité de recherche étudie l’immunité des insectes. Ce champ est fondamental pour la biodiversité, car l’ordre des insectes comprend 70 % des espèces animales. Parmi ces insectes figurent des ravageurs et des vecteurs de maladies infectieuses, d’où l’intérêt de la participation de l’Inserm dans mon unité de recherche. Je suis heureux de pouvoir continuer à apporter un regard sur ces thématiques au sein du conseil scientifique.

Le maintien d’une science fondamentale très forte me tient à cœur. Nous devons faire preuve d’anticipation et programmer une politique ayant cet objectif. De bonnes surprises peuvent apparaître dans des domaines de recherche qui peuvent être jugés comme non pertinents car ne servant pas, en apparence, des buts immédiats. Nous devons conserver notre capacité à travailler dans ces champs.

L’Office pourrait s’intéresser aussi aux contraintes administratives qui pèsent sur les chercheurs. De nombreuses remontées sont apparues ces derniers temps sur ce sujet et il convient de prendre conscience de la prégnance de ces contraintes. Elles pèsent notamment sur l’attractivité de la recherche pour les jeunes chercheurs, dont l’importance vient d’être soulignée par Thierry Dauxois. Ces contraintes sont visibles et sont vécues par nos doctorants, voire par nos stagiaires de master. Elles influent sur leur décision de s’engager dans des carrières scientifiques. Elles représentent aussi un frein au retour des jeunes chercheurs français partis à l’étranger. Si des programmes tels que Chaires de professeurs juniors (CPJ) sont lancés pour favoriser l’attractivité des carrières scientifiques, les contraintes administratives peuvent vraiment faire figure d’épouvantails.

Dans le paysage mouvant de la recherche, en pleine évolution, la question de la relation entre les organismes revêt toute son importance, notamment au regard de la taille de notre pays et de l’existence de thématiques qui chevauchent plusieurs champs. Par exemple, l’immunité des moustiques renvoie à la fois à la recherche fondamentale et à la santé humaine. CNRS Biologie doit collaborer étroitement avec l’Inserm sur ce type de sujets, où la rivalité n’a absolument pas de sens.

M. Frédérick Bordry, membre honoraire et conseiller du directeur général du CERN, directeur du développement technologique de Gauss Fusion. – De formation, je suis ingénieur en conversion d’énergie. J’ai étudié dix ans à Toulouse dans une école d’ingénieurs, où j’ai obtenu un doctorat d’ingénieur. J’ai ensuite obtenu un doctorat d’État.

J’ai rejoint le CERN, initialement pour deux ou trois ans, j’y ai finalement travaillé durant 35 ans. J’ai notamment été responsable d’une grande partie du développement du Large Hadron Collider (LHC). J’ai achevé ma carrière au CERN en tant que directeur des accélérateurs et de la technologie. À ce poste, je supervisais l’exploitation du complexe d’accélérateurs et le développement des technologies nécessaires pour les futurs accélérateurs, qu’ils soient utilisés par le CERN ou par d’autres structures. Dans ce cadre, j’ai participé à la mise en relation de l’industrie et de la recherche. Je cherchais des moyens d’impliquer précocement l’industrie dans le développement des outils nécessaires à la recherche fondamentale. Puis, rattrapé par mon âge, je suis devenu membre honoraire du CERN et conseiller auprès de sa directrice générale Fabiola Gianotti, avec qui j’avais travaillé durant de nombreuses années.

Je mène aussi différentes actions, en mobilisant mon expérience. Je conseille une startup spécialisée dans la transmutation des déchets nucléaires. Je suis également responsable de la technologie dans une entreprise qui cherche à accélérer le développement de la fusion nucléaire. En effet, j’étais responsable durant dix ans de la collaboration entre le CERN et ITER, qui partagent un grand nombre de technologies (aimants supraconducteurs, cryogénie, conversion d’énergie, chambre à vide, etc.).

Je suis convaincu qu’il est possible d’accélérer la commercialisation de la fusion nucléaire. À Toulouse, à l’occasion du point d’étape du plan France 2030, le président Emmanuel Macron a donné une priorité à la fusion nucléaire, sans négliger pour autant la fission et le chantier des EPR. Je m’en réjouis. La France a un rôle particulier à jouer en cette matière. Elle peut mobiliser ses industriels comme Thales et Air Liquide, mais aussi le CEA.

Je m’intéresse également aux applications médicales des accélérateurs de particules. J’ai fourni des conseils dans le cadre d’un projet d’hadronthérapie flash porté par le CERN, l’hôpital de Lausanne et l’entreprise française Theryq (groupe Alcen). Il s’agissait d’exposer des patients à de fortes radiations de trente à quarante grays durant quelques centaines de millisecondes.

J’ai aussi été nommé conseiller auprès de l’industrie brésilienne par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette mission renvoie à la constitution du lien entre la recherche et l’industrie, auquel je suis très sensible.

Enfin, j’ai lancé l’organisation du workshop Énergie pour une science durable dans les infrastructures de recherche (ESSRI). Ce workshop se tient tous les deux ans. Il réunit les grands laboratoires de recherche européens et mondiaux. Ces laboratoires cherchent des moyens de se grouper pour gérer l’énergie. Ils identifient les possibles transferts de technologies à opérer vers la société. La prochaine édition de l’ESSRI se tiendra à Madrid en septembre 2024.

Mme Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS, Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). – Je suis très heureuse de pouvoir participer à nouveau aux réflexions de l’Office. Biologiste de formation, je suis directrice de recherche au CNRS en sciences politiques. Je m’intéresse aux relations entre la science et les décisions publiques et je travaille plus particulièrement sur le traitement politique des incertitudes scientifiques et de l’aléa biologique. L’actualité fournit beaucoup de matière à mon domaine de recherche.

Trois thèmes de mon champ d’expertise sont susceptibles d’intéresser l’Office, renvoyant chacun à la mise en œuvre des politiques publiques.

Je note au préalable que nous assistons depuis une quinzaine d’années à une dédifférenciation progressive des domaines de l’action publique. En effet, nous observons une convergence entre la santé et l’environnement, entre la culture et l’écologie, ou encore entre la sécurité intérieure et la défense. Cette dilution s’explique par les grands défis systémiques auxquels nous sommes confrontés (changement climatique, cybermenace, terrorisme, etc.). Elle traduit aussi le souci d’une meilleure compréhension des rapports reliant l’homme et l’environnement. Néanmoins, cette recomposition des logiques de l’action publique est susceptible d’affecter la confiance entre les gouvernants et les gouvernés, voire d’éprouver la résilience de nos institutions républicaines.

Tout d’abord, nous pourrions nous intéresser à la gouvernance du monde vivant, où convergent les mondes de la santé humaine et des environnements. De nombreuses initiatives One Health ont été lancées. Faisant écho aux transitions agro‑écologiques, cette convergence souhaitée et souhaitable nous fait sortir d’une conception curative basée sur l’éradication systématique des agents pathogènes. Elle nous dirige vers une appréciation statistique des équilibres du monde vivant, au cas par cas, contexte par contexte. Par exemple, nous cherchons à passer d’une logique qui consiste à recourir systématiquement aux antibiotiques et aux produits phytosanitaires, à une logique de prévention et de résilience des populations humaines et des systèmes agricoles. La logique d’éradication, qui a prévalu tout au long du XXe siècle et jusqu’à maintenant, était quelque peu simplificatrice sur le plan scientifique, tout en ayant le mérite de la clarté politique.

Aujourd’hui, nous faisons face à un grand défi de nature politique, résultant de notre capacité croissante à mesurer la complexité de nos écosystèmes. Avec le développement d’indicateurs précis relatifs à la pollution ou à la biodiversité, la population deviendra plus exigeante en matière de prévention. La sensibilité individuelle à l’aléa biologique se renforce, tandis que la défiance vis‑à‑vis du politique continue d’exister. Nous risquons donc de rencontrer un nombre croissant de controverses et de mises en cause des responsabilités publiques.

Aussi, le défi de l’intégration de la complexité du vivant et des écosystèmes dans les politiques publiques suppose de tenir compte des spécificités territoriales et de miser sur l’intelligence coopérative des acteurs locaux. De cette façon, notre modèle républicain d’un ordre public sanitaire fondé sur l’application uniforme de normes nationales ne sera plus tenable. Nous nous dirigeons donc vers un système administratif différencié et peut‑être aussi vers une multiplication de polices administratives spéciales.

Par ailleurs, nous pourrions nous intéresser à la convergence des enjeux écologiques et des politiques culturelles. En la matière, différentes questions peuvent se poser. Quelles sont les conséquences précises de la pression, insistante mais tout à fait stimulante, qui nous pousse à intégrer les outils de l’intelligence artificielle dans la vie des institutions culturelles et dans les équipements culturels ? Comment concilier l’amélioration du bilan carbone de ces institutions avec l’utilisation des outils numériques dans le spectacle vivant et dans la diffusion des produits culturels ? Le bilan carbone de ces activités est élevé. Il repose sur des équipements peu adaptés à la transition écologique. En effet, les équipements culturels ont été façonnés dans une logique des XIXe et XXe siècles, qui ne prend pas toujours en compte la problématique énergétique. De plus, la généralisation de l’intelligence artificielle dans le champ culturel renforcera‑t‑elle les inégalités structurelles d’accès à la culture ?

Enfin, un troisième thème d’intérêt nous renvoie à la cacophonie informationnelle de nos sociétés numériques. Certes, l’Office a récemment publié une note consacrée à la dérégulation du marché de l’information. Néanmoins, cette note évalue surtout les effets de cette dérégulation au niveau de la réception et de la cognition individuelles. Elle présente beaucoup moins les conséquences de cette dérégulation au niveau des institutions et de la résilience institutionnelle. Il serait intéressant d’aborder ce point, car nous assistons aujourd’hui à un affaiblissement presque mécanique de la crédibilité sociale des connaissances scientifiques certifiées. Dans les institutions scientifiques, cette perte de crédibilité se traduit par un découplage de plus en plus net entre l’autorité scientifique et l’autorité sociale. Inversement, les discours qui mettent en doute le consensus scientifique disposent désormais d’une autorité sociale et leur polarisation s’accroît dans notre monde où les échelles de vérité sont troublées.

Comment définir la mission culturelle des institutions scientifiques dans une société où le défi ne se situe plus tant au niveau de l’accès à l’information qu’au niveau de la capacité à la trier ? Les chercheurs en sociologie politique sont très préoccupés par le devenir des études d’opinion à l’heure où les deepfakes se généralisent. L’opinion publique devient de plus en plus labile et influencée. Elle s’inscrit toujours plus dans une forme de démocratie de l’entre‑soi. Comment les analystes des opinions publiques pourront‑ils finalement gérer le big data et produire des études d’opinion fiables ?

M. Patrick Netter, professeur émérite des universités, pharmacologue, membre de l’Académie nationale de médecine. – Monsieur le président, monsieur le premier vice‑président, je vous remercie tout d’abord pour votre confiance, j’y suis extrêmement sensible.

Je suis professeur des universités et praticien hospitalier (PU‑PH) émérite. Dans le passé, j’ai été doyen de la faculté de médecine de Nancy. Puis, j’ai été durant plusieurs années directeur de l’Institut des sciences biologiques du CNRS. J’ai ensuite été conseiller pour l’Europe auprès du président du CNRS. Dans ce cadre, je me suis chargé plus particulièrement des questions relatives au Conseil européen de la recherche (ERC). La recherche française à l’international pourrait intéresser l’Office.

Membre de l’Académie nationale de médecine, je suis ravi que mon académie soit représentée dans ce conseil scientifique. Je préside la commission Formation, recherche et innovation de cette académie. Cette commission associe des médecins, des pharmaciens et des vétérinaires, dans un travail interdisciplinaire. Elle a produit de nombreux rapports, que je tiens à la disposition de l’OPECST. Le dernier de ces rapports, que nous pourrons vous présenter, portait sur l’innovation en santé.

Nous nous intéressons beaucoup aux retombées de la recherche dans le champ de l’innovation. Nous préparons d’ailleurs plusieurs rapports sur l’organisation de la recherche, thème évoqué par Christine Clerici. Dans ce cadre, nous avons tenu hier une réunion sur l’intérêt du système du score Sigaps, où les hôpitaux sont récompensés pour leurs activités de recherche avec l’attribution de crédits.

La recherche en santé s’inscrit dans un contexte évolutif, tant sur le plan réglementaire que sur le plan des institutions. Nous relevons notamment la création récente d’une agence de programmes pour la recherche en santé. Il serait intéressant de réfléchir au renforcement de l’interface qui relie la recherche fondamentale et la recherche clinique. Cette interface alimente l’innovation.

Par ailleurs, je suis conseiller expert à la Cour des comptes. Je me réjouis de constater que le conseil scientifique constitue un lieu d’interdisciplinarité. En effet, la médecine et la biologie-santé ont besoin des autres disciplines. Elles peuvent se nourrir des évolutions de l’informatique (intelligence artificielle, etc.) ou de la chimie pour progresser. Ce sont des sujets que nous pourrons évoquer avec vous.

Enfin, vous pouvez compter sur les membres de l’Académie de médecine comme sur ceux de l’Académie des sciences, prêts à s’impliquer fortement dans les trinômes unissant chercheurs et parlementaires. Nous pensons que l’interaction entre le Parlement, les académies et les chercheurs nous permettra de mieux nous connaître.

M. Marc Sciamanna, professeur à CentraleSupélec, titulaire de la chaire Photonique, directeur du laboratoire Matériaux optiques, photoniques et systèmes (LMOPS), professeur associé à Georgia Institute of Technology (États-Unis). – Je vous remercie pour votre confiance, qui se traduit par mon renouvellement dans ce conseil scientifique. Je suis professeur à CentraleSupélec, une école installée à Paris-Saclay, à Metz et à Rennes. Je suis basé physiquement sur le campus de Metz de mon école.

Je suis physicien spécialiste en photonique et en sciences et technologies de la lumière. Je m’intéresse aussi au chaos. Ce conseil scientifique compte donc deux spécialistes du chaos. Ce domaine pourra toujours vous être utile.

Jean-Marie Rausch, maire de Metz décédé cette année, a présidé l’OPECST lors de sa création. J’ai toujours eu avec lui et avec les élus municipaux de Metz un regard très favorable sur les travaux de l’OPECST. Je suis convaincu du rôle essentiel du conseil scientifique de l’Office. Ce conseil doit constituer un élément central du dialogue entre les scientifiques et les parlementaires. Après de nombreuses années passées à votre contact, je me suis laissé convaincre par l’intérêt d’un engagement politique local, en devenant adjoint au maire et vice‑président de Metz Métropole délégué à l’enseignement supérieur. Naturellement, je ne participe pas au conseil scientifique en tant qu’élu local. Pour autant, dans son intervention, Virginie Tournay nous invitait à miser sur l’intelligence coopérative des acteurs locaux. Nous devrions sans doute mener une réflexion sur la mobilisation d’une intelligence collective, dans une logique claire de décentralisation voulue aujourd’hui par l’État, pour la définition d’une stratégie nationale et territoriale de l’enseignement supérieur.

J’ai eu l’occasion d’émettre officiellement des alertes auprès de Cédric Villani sur les risques liés à la comitologie. De nombreux conseils ou commissions existent parallèlement au conseil scientifique de l’OPECST. Or j’ai toujours considéré que nos champs de compétences et notre répartition territoriale suffisaient à fournir la quasi‑intégralité des expertises utiles. Je constate avec beaucoup de réserve la création du Conseil présidentiel de la science, du Haut Conseil pour le climat (le climat ne concerne d’ailleurs pas uniquement les climatologues) et de la Commission de l’intelligence artificielle, qui a remis la semaine dernière un rapport au Président de la République, contenant 25 recommandations. Notre engagement auprès de vous est sincère et complet. Nous vous proposons aussi une pleine disponibilité. Il serait regrettable que des contradictions apparaissent à l’échelle d’autres commissions ; le cas échéant, elles devraient être portées à la connaissance du conseil scientifique.

La photonique est un domaine que vous connaissez certainement. Cette science est déjà entrée dans notre quotidien. Elle est apparue avec le laser, pratiquement à l’époque de l’invention du transistor (1948). Depuis le 14 février 2024, je soutiens la création d’un institut pluridisciplinaire de photonique localisé dans le Grand Est et au Luxembourg, qui collaborera prochainement avec l’Allemagne et la Belgique.

En France, la photonique est associée à 72 000 emplois directs. En cinq ans, le nombre d’emplois de cette filière a progressé de 7 %. D’après le cabinet Tematys, missionné par l’État, il s’agit du secteur industriel français qui affiche la plus forte progression. Il est estimé que ce secteur a besoin de recruter 8 000 personnes par an, alors que sa filière de formation ne peut délivrer qu’un peu moins de 1 000 diplômes chaque année. Nous devrons donc délivrer huit fois plus de diplômes à échéance de moins de dix ans. Parmi les métiers concernés figurent notamment des métiers de techniciens, mais aussi quatre métiers d’ingénieurs. C’est pourquoi nous avons créé notre institut pluridisciplinaire de photonique dans une école d’ingénieurs, en lien avec des universités.

À ce sujet, je voudrais évoquer un rapport de l’OPECST de 2003 réalisé par le sénateur Claude Saunier intitulé L’évolution du secteur des semiconducteurs et ses liens avec les micro et nanotechnologies. Je cite quelques‑unes de ses conclusions :

« Si la France ne met pas à niveau sa politique de soutien et si elle n’adapte pas ses modes d’intervention aux filières de haute technologie, elle ne participera pas réellement à la nouvelle révolution industrielle qui se prépare. »

« L’insuffisance de nos moyens nationaux conduit à un transfert de notre intelligence au profit des concurrents. Les dotations en équipement des laboratoires de la recherche fondamentale doivent donc être mises à niveau pour correspondre à la hausse des coûts expérimentaux. »

Ce rapport mentionne aussi l’importance des formations.

L’électronique et la photonique sont au cœur des enjeux de notre souveraineté industrielle. La décarbonation de l’industrie, la société de l’information, l’intelligence artificielle, la santé ou encore les énergies renouvelables dépendent du développement de l’architecture des systèmes d’information, du calcul numérique et donc de l’électronique et de la photonique. Or la mention de la photonique a presque totalement disparu de nos discours politiques, mais aussi de certaines disciplines de nos formations. Si CentraleSupélec se positionne pour le maintien d’une spécialisation d’ingénieur en électronique et en photonique, il n’en est pas de même dans toutes les écoles. Ainsi, il serait intéressant de produire une note scientifique, ou d’actualiser le rapport de 2003, pour faire le point sur les enjeux de la filière de la photonique.

Le rapport de 2003 évoquait la loi de Moore (Gordon Moore a décrit la manière dont les composants électroniques évolueraient). Les révolutions technologiques de la spintronique, de l’électronique et du quantique définiront les métiers de demain. Si nous ne nous y préparons pas, les pays concurrents, essentiellement asiatiques, prendront le pas.

Pour revenir à mon alerte sur la comitologie, sauf erreur de ma part, je constate que les mots « matériau », « matériel », « semi‑conducteur », ou encore « architecture » sont absents des 25 recommandations de la Commission de l’intelligence artificielle publiées la semaine dernière. De plus, cette commission constate un problème d’attractivité dans les filières de formation de l’intelligence artificielle. Elle précise que le renforcement de cette attractivité passe par l’expérimentation et par l’investissement dans les plateformes et l’architecture de calcul. Néanmoins, nous ne parviendrons pas à renforcer cette attractivité sans opérer un investissement lourd dans les laboratoires et les centres de recherche d’électronique et de photonique. Nous devrions donc opérer une articulation fine entre les conclusions du conseil scientifique et celles des autres commissions. Par exemple, je pense que nous n’avons pas d’intérêt à lancer un plan de l’intelligence artificielle, dans la mesure où le leader des logiciels aux architectures matérielles reste l’américain Nvidia.

Enfin, je pense qu’il est important de passer de la théorie à l’action pour susciter les vocations scientifiques. Ainsi, j’ai créé un institut et une chaire pour parler au public, aux jeunes et au monde socio‑économique. Nous n’avons pas beaucoup de moyens pour le faire. Le budget de la culture scientifique, technique et industrielle est un peu le parent pauvre des budgets classiques de la recherche. Il est même en diminution après les récents arbitrages gouvernementaux.

Je découvre, comme beaucoup d’entre vous, que le 17 novembre 2023, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministre délégué chargé de l’industrie ont sollicité une mission sur la reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société. L’Office aura intérêt à se pencher sur les recommandations de cette mission. Il serait inimaginable qu’il ne le fasse pas avant leur publication, prévue pour ce printemps. En effet, il est notoire que le doctorat représente un moment crucial où se créent des vocations de carrières scientifiques. Le doctorat est une clé de voûte dans le parcours des jeunes scientifiques.

De plus, je rejoins les propos de Thierry Dauxois, qui souhaite renforcer l’attractivité des carrières scientifiques auprès des femmes. Il faut pouvoir agir dans les collèges et les lycées, là où les vocations et les carrières se décident.

Enfin, je serais naturellement ravi d’intégrer un trinôme, avec un parlementaire qui témoignerait d’un intérêt sur les sujets que j’ai évoqués.

M. Daniel Andler, mathématicien et philosophe, professeur émérite à Sorbonne université, membre de l’Académie des sciences morales et politiques. – Il y a encore une semaine, je ne savais pas que j’étais membre du conseil scientifique de l’Office. Je suis donc tout à fait nouveau et pas du tout préparé à énoncer un beau discours comme l’ont fait mes honorés confrères.

Je suis censé être « mathématicien et philosophe ». Cette mention qui figure sur ma page Wikipédia me gêne beaucoup, car je ne mène plus de recherche en mathématiques. Pour autant, lorsque nous sommes formés aux mathématiques, nous demeurons mathématiciens.

Ma fonction de mathématicien m’aide à nouer facilement un dialogue avec mes collègues des sciences exactes. J’ai effectué la moitié de ma carrière dans des facultés de sciences. J’ai donc acquis une certaine culture et je peux aborder les problèmes et les rapports sociaux d’une façon particulière. À présent que j’ai rejoint les sciences humaines, je peux aisément parler aux scientifiques des deux bords, qui peinent parfois à s’entendre.

Je suis devenu philosophe des sciences dans les années 1970, lorsque nous nous sommes demandé si les machines pouvaient penser. Mon thème de prédilection était celui de l’intelligence de synthèse, déjà dénommée intelligence artificielle. J’ai ensuite assez rapidement élargi mon champ d’investigation aux sciences cognitives. Ainsi, je suis philosophe des sciences, sur le terrain des sciences cognitives. Des confrères philosophes des sciences s’intéressent à d’autres sciences comme la géologie, la chimie, ou encore la physique quantique.

Je suis professeur émérite à Sorbonne université. Ma carrière s’est déroulée environ pour moitié dans des facultés de sciences et pour moitié dans des facultés de lettres.

Depuis sept ou huit ans, je suis membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Au sein de cette académie, je coordonne depuis bientôt cinq ans une enquête au nom peut‑être un peu prétentieux de Technologies émergentes et sagesse collective (TESaCo).

Cette enquête rejoint certainement les préoccupations des membres de l’OPESCT. Nous cherchons à savoir comment la société peut instituer une gouvernance sage des nouvelles technologies et notamment du numérique et des biotechnologies. Nous n’avons pas eu le temps d’aborder de manière vraiment sérieuse d’autres champs comme celui des nanotechnologies.

Le titre un peu pompeux de notre enquête comprend le mot « collective », car les nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, ainsi que les services cognitives – notamment dans leurs orientations sociales – offrent de nouveaux outils qui permettent une conjugaison systématique de nos intelligences et de nos sagesses individuelles. Ces sciences et ces technologies nous ont très tôt conduits à faciliter la conjonction de nos intentions et de nos connaissances, toujours partielles et partiales.

Or nous sommes convaincus que la gouvernance de la technologie ne peut pas se cristalliser dans une seule pensée, autour d’une sorte de sage idéal, qui nous expliquerait par exemple comment utiliser l’intelligence artificielle dans l’éducation, la santé, ou encore dans la justice. Si nous parvenions asymptotiquement à cette sagesse, elle ne pourrait être qu’une affaire sociale. Aucune instance, pas même l’OPECST, ne pourrait décréter une manière unique de gouverner les nouvelles technologies ou encore les sciences du numérique.

Je souhaite que les sciences cognitives, encore peu représentées pour l’instant, puissent se développer. L’OPECST pourrait s’y intéresser. Certes, la France doit défendre son rang en matière d’intelligence artificielle, une science que je respecte et dont j’attends beaucoup. J’y ai d’ailleurs consacré un livre de 400 pages. Pour autant, l’attention et les ressources consacrées à l’intelligence artificielle paraissent disproportionnées. Nous gagnerions à nous doter de technologies de l’intelligence artificielle assises sur les sciences cognitives. Nous construirions ainsi une forme de spécificité.

En effet, les outils de l’intelligence artificielle sont comme des prothèses. Plus la prothèse est complexe, plus il faut avoir de connaissances précises sur l’organe sur lequel elle est branchée. En l’occurrence, l’organe relié à l’intelligence artificielle est la cognition humaine, aussi bien individuelle que collective.

Ainsi, je serais heureux de participer à un groupe de travail consacré au développement des sciences cognitives. Ce groupe de travail s’intéresserait notamment au rapprochement des sciences cognitives avec les sciences politiques, les sciences juridiques, ou les sciences économiques. Nous pourrions développer les travaux existants des sciences sociales computationnelles, sciences sociales qui s’appuient sur des technologies numériques.

Nous avons abordé aujourd’hui, à plusieurs reprises, la « culture scientifique ». Je préfère employer l’expression « littératie scientifique », même s’il s’agit d’un néologisme. En effet, la « culture scientifique » renvoie à des personnes adeptes d’une lecture scrupuleuse et mensuelle de la revue Pour la science, au fait des derniers débats sur les multivers. Je pense qu’il est beaucoup plus important que le grand public ait une idée des attentes que nous pouvons avoir vis‑à‑vis de la science. La démarche scientifique peut être familière pour chacun. En particulier, il faut savoir que les théories scientifiques ne sont pas des théories comme les autres. Or ce message simple a étrangement beaucoup de mal à être véhiculé en France.

Mme Virginie Courtier-Orgogozo, biologiste, directrice de recherche au CNRS, responsable de l’équipe Génétique et évolution à l’Institut Jacques Monod. – Je suis directrice de recherche au CNRS et je dirige une équipe d’une dizaine de personnes à l’Institut Jacques Monod situé à Paris. Mon équipe s’intéresse à la physiologie des organismes et à l’évolution des espèces. Nous tentons de comprendre les mécanismes qui ont conduit à la diversité du vivant. Les mouches drosophiles constituent notre modèle d’étude. Nous adoptons une approche que nous voulons holistique, partant de la molécule et de la génétique et allant jusqu’à l’environnement. Nous essayons de comprendre comment les organismes se sont adaptés à leur environnement.

Par ailleurs, avec d’autres collègues, nous menons un travail de réflexion sur différents sujets mêlant la biologie et la société.

Initialement, je me suis intéressée au forçage génétique (gene drive). Cette nouvelle biotechnologie, en cours de développement dans les laboratoires, n’est pas encore appliquée. Elle peut notamment permettre d’éradiquer les moustiques porteurs du paludisme.

Lors de la pandémie du covid, j’ai créé avec d’autres scientifiques le site internet Adiós Corona, pour fournir des conseils au grand public sur la conduite à adopter face au covid, ou encore sur la manière de porter un masque. Nous essayions de le former à la culture scientifique et au raisonnement scientifique, en présentant les données disponibles et nos degrés d’incertitude.

J’ai aussi travaillé sur la très sensible question de l’origine du covid. Nous nous sommes demandé si la pandémie pouvait résulter d’un accident de laboratoire.

Je suis membre du comité d’éthique du CNRS (COMETS), présidé par Christine Noiville, également membre du conseil scientifique de l’OPECST. Ce comité a publié différents rapports, tous accessibles en ligne. Un des derniers avis de ce comité s’intitule Intégrer les enjeux environnementaux à la conduite de la recherche – une responsabilité éthique. J’ai personnellement participé à la rédaction de l’avis n° 2023‑44 du COMETS intitulé Entre liberté et responsabilité : l’engagement public des chercheurs et des chercheuses. Actuellement, le COMETS s’intéresse aux recherches dangereuses à forts impacts potentiels. Figurent parmi ces recherches celles de la géo‑ingénierie, les expériences de gain‑de‑fonction réalisées sur les virus hautement pathogènes, ou encore le forçage génétique.

Il serait intéressant de traiter le sujet des new breeding techniques (NBT), nouveaux OGM. En Europe, de nombreuses réflexions sont conduites sur cette technologie. Pour autant, la France peut sans doute porter une position particulière sur ce sujet. Nos chercheurs du champ de l’écologie ou de la biologie moléculaire n’ont pas toujours des avis convergents sur les NBT. De plus, la société française a un positionnement particulier sur la recherche et la consommation de ces nouveaux OGM.

Enfin, je serais ravie d’intégrer un trinôme. Il est important de renforcer les liens entre les scientifiques et les parlementaires. Les scientifiques souhaitent participer aux actions de la société. Nous souhaitons aussi insuffler la culture et le raisonnement scientifiques à d’autres métiers.

M. Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences, professeur à l’École centrale, directeur de recherche au CEA. – Je suis très heureux de revenir au conseil scientifique de l’Office, où j’ai siégé de 2013 à 2016. Je suis directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Je suis membre de l’Académie des technologies. J’ai travaillé un temps sur la séparation isotopique par laser, puis dans le domaine des accélérateurs de particules. J’ai ensuite créé le laboratoire de recherche sur les sciences de la matière (LARSIM), un laboratoire un peu spécial où collaborent des physiciens et des philosophes des sciences. Ces derniers travaillent sur les implications des découvertes des physiciens.

En mai 2023, j’ai organisé avec mes deux collègues Hervé Bercegol et Gilles Ramstein un colloque à l’École de physique des Houches, intitulé Approche scientifique des enjeux sociétaux. En convoquant des députés et des membres de cabinets ministériels, nous avons essayé de comprendre comment se prennent les décisions politiques lorsqu’elles ont une composante scientifique. Nous avons compris que cette question ouvrait un chantier.

Le sujet évoqué par Virginie Tournay me préoccupe. En tant que vecteur de la vulgarisation scientifique depuis plus de trente ans, je constate une dérégulation inquiétante de la parole publique, au niveau politique, ou au niveau des réseaux sociaux. Nous faisons dire tout et son contraire à la science. Ainsi, l’Académie des technologies a créé une commission pour comprendre les mécanismes de diffusion des fake news, à la fois du point de vue technique et en mobilisant les sciences cognitives. Nous constatons que les fausses informations ont beaucoup plus de succès que les vraies. Je ne vois pas très bien comment une démocratie authentique peut survivre dans un tel régime.

Mme Claudie Haigneré, ex-conseillère spéciale du directeur général de l’Agence spatiale européenne, membre de l’Académie des technologies. – Comme Daniel Andler qui reste mathématicien, je suis une ancienne astronaute et je le demeure. Je sais que le sujet spatial intéresse nombre d’entre vous. Ce domaine est en pleine effervescence et en évolution.

Il serait intéressant d’approfondir la réflexion qui porte sur la diplomatie scientifique, à partir de l’angle du spatial, mais aussi à travers d’autres prismes qui relèvent des champs de compétences du conseil scientifique. Il existe des résolutions européennes sur la régulation spatiale. La France et l’Europe affichent un niveau d’ambition élevé dans la négociation de standards relatifs à l’espace.

Je suis heureuse d’apprendre que le CNRS mène une réflexion éthique sur la géo‑ingénierie. En tant que membre du comité éthique de l’Académie des technologies, cette préoccupation me semble vraiment essentielle. Les questions relatives à la géo‑ingénierie sont encore trop peu présentes dans nos radars politiques et sociétaux, alors même que cette science peut se révéler particulièrement impactante.

Par ailleurs, je rejoins les propos tenus sur la littératie scientifique, ou encore sur l’attractivité des carrières scientifiques. Je reste très impliquée dans la promotion des métiers scientifiques.

Enfin, en tant que réserviste citoyenne auprès de l’Armée de l’air et de l’espace, je pense qu’il est vraiment important de se saisir du sujet de la guerre cognitive. Vous avez déjà abordé différentes facettes de cette question dans un autre cadre au sein du Parlement.

M. Didier Roux, physico-chimiste spécialiste de la matière condensée, délégué à l’information scientifique et à la communication de l’Académie des sciences, membre de l’Académie des technologies. – Je suis physico-chimiste spécialisé dans la physique statistique de la matière condensée. Je suis membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies.

Je m’intéresse à de nombreux domaines et en particulier aux startup, en ayant moi‑même créé dans les années 1990. Étant bordelais, je préside le technopôle Unitec, qui accompagne actuellement environ 150 startup par an. Je m’intéresse donc vivement aux liens entre les sciences, les technologies et l’industrie. J’ai d’ailleurs été directeur de la recherche et de l’innovation du groupe Saint‑Gobain durant douze ans.

Je m’intéresse beaucoup à l’éducation, notamment en tant que président de l’association La main à la pâte, qui promeut les sciences et les technologies à l’école primaire et au collège. Au lycée, il est déjà trop tard pour agir. En effet, beaucoup de différenciations négatives se sont alors déjà opérées, notamment dans l’opposition des filles et des garçons vis‑à‑vis des sciences.

Je m’intéresse également aux liens entre sciences et territoires. Ainsi, je préside le conseil scientifique du très intéressant projet « La Rochelle territoire zéro carbone 2040 », inscrit dans l’action Territoires d’innovation du troisième programme d’investissements d’avenir (PIA 3). Ce projet met en jeu d’un côté le réalisme des élus locaux et des citoyens du territoire, de l’autre côté une politique et des choix technologiques qui mènent vers une décarbonation.

Je pense que nous ne devons pas nous limiter à une réunion par an. Il existe effectivement une certaine frustration parmi les membres du conseil scientifique, comme l’a évoqué en introduction le président de l’OPECST. Il me semble que le conseil scientifique devrait être systématiquement impliqué dans le processus de parution des rapports ou des notes de l’Office, pourquoi pas sous la forme de brèves réunions en distanciel donnant lieu à des débats. Le conseil scientifique apporterait ainsi un regard interdisciplinaire. Ces réunions pourraient se situer lors de la phase de finalisation des rapports, avant leur publication.

Enfin, j’abonde dans le sens de Marc Sciamanna, qui alertait sur la multitude de conseils scientifiques. En effet, je suis membre ou président de quelques instances scientifiques qui peuvent avoir, pour certaines, un côté quelque peu chaotique. Pour autant, nous pourrions articuler positivement nos travaux avec ceux d’autres instances. Nous pourrions notamment collaborer avec le tout nouveau Conseil présidentiel de la science, qui se constitue et qui se trouve encore en phase expérimentale. Des confrères et consœurs scientifiques y participent.

Mme Hélène Olivier-Bourbigou, responsable de programme et coordinatrice de la recherche fondamentale à l’Institut français du pétrole énergies nouvelles (IFPEN). – Je suis très heureuse de faire de nouveau partie de ce conseil scientifique. Je vous remercie pour la confiance que vous m’accordez. Je me réjouis aussi d’apporter à l’Office mes compétences et mon expertise. Je suis chimiste de formation et travaille depuis 1985 à l’Institut français du pétrole énergies nouvelles (IFPEN), successeur de l’Institut français du pétrole (IFP). Je travaille dans le champ de la catalyse.

J’ai développé des catalyseurs et des procédés de transformation de la matière, qui se rapportaient initialement aux hydrocarbures et qui couvrent aujourd’hui tous types de matières (biomasse, dioxyde de carbone, produits recyclés, déchets, etc.). Nous créons des procédés plus durables dans le domaine de l’énergie et de la chimie, en particulier pour les grands composés chimiques intermédiaires de la carbochimie et de la pétrochimie d’aujourd’hui.

Si mon domaine d’expertise intéresse des parlementaires, je serais ravie d’intégrer un trinôme. D’ailleurs, comme l’indiquait à l’instant Didier Roux, je regrette un peu de ne pas avoir été davantage sollicitée durant mon premier mandat.

L’IFPEN est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), acteur majeur de la recherche dans le domaine de l’énergie, de l’environnement et de la mobilité. Je coordonne l’ensemble de la recherche fondamentale de l’IFPEN, pour soutenir les technologies bas‑carbone, dans un effort visant à concilier les questions relatives à l’énergie et au climat. Cette conciliation n’est pas facile et aujourd’hui, je suis préoccupée par l’objectif de neutralité carbone fixé pour 2050. L’atteinte de cet objectif nécessite des efforts considérables et pose de nombreuses questions. La marche est haute et l’ambition est très forte. Cet objectif renvoie‑t‑il à une illusion ou à une réalité ?

L’objectif de neutralité carbone nous pose une première question d’ordre temporel. Alors que nous parlons d’urgence climatique, aurons‑nous le temps d’être au rendez‑vous sur le plan du développement des nouvelles technologies, de leur appropriation par la société et de leur déploiement industriel ?

De plus, à quel prix atteindrons‑nous cet objectif de neutralité carbone ? Cette question renvoie au paramètre économique du déploiement industriel, à l’investissement important à consentir et à la prise de risque associée.

Enfin, où en sommes‑nous dans l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone ? Nous devons mener une réflexion collective en vue d’identifier la part du développement technologique encore nécessaire pour atteindre cet objectif. Quelles sont les sciences qui fourniraient les apports les plus significatifs devant ce défi ? Cette réflexion prospective doit s’appuyer sur des données scientifiques, qui nous informent sur le degré de maturité des technologies et sur leurs trajectoires.

Pour atteindre la neutralité carbone, nous devons actionner les leviers des économies d’énergie, de la décarbonation des technologies existantes et du déploiement de nouvelles technologies. La France a réalisé d’importants efforts, notamment dans le domaine de la pile à hydrogène ou du Carbon Capture, Utilisation and Storage (CCUS), technologie de captage et de stockage du dioxyde de carbone.

Le champ de la bioénergie paraît aussi important et les académies scientifiques s’y intéressent. Nous estimons que 45 % de la réduction des émissions nécessaire à l’atteinte de la neutralité carbone peuvent être obtenus grâce aux bioénergies. Cependant, le développement des technologies de la biomasse, à cheval entre l’agriculture et l’énergie, nous questionne sur la disponibilité des terres agricoles et sur la priorisation des usages. Ce sujet mériterait d’être étudié par l’Office.

Nous pouvons trouver des moyens de faciliter les transferts des technologies en cours de maturation vers les secteurs industriels qui en ont besoin et favoriser ainsi l’atteinte de la neutralité carbone.

Je m’interroge par ailleurs sur la place des lowtech dans la transition écologique. Je préfère d’ailleurs le terme de « sobriété technique » à celui de « lowtech ». En effet, je ne souhaite pas mettre en opposition la lowtech avec la hightech, qui se complètent. La sobriété technique permet de déployer des solutions simples d’accès dans un temps très rapide. Elle peut représenter un levier pour la transition que nous devons mener urgemment. La sobriété technique pose aussi des questions sur notre rapport à la technique et à la technologie. L’Office pourrait réfléchir sur ce sujet. Parmi ces technologies, peut figurer le moteur à hydrogène des poids lourds, substitutif du moteur diesel. Les avantages de ce moteur, déjà existant, sont à mesurer.

La précédente mandature de l’Office s’est intéressée à la relation entre les technologies et la société. Préparer l’appropriation sociale des enjeux technologiques dans une approche pédagogique peut faciliter le déploiement des nouvelles technologies de l’énergie. Ces enjeux sont complexes à comprendre, mêlant des dimensions géopolitiques, humaines et environnementales. Il existe aussi beaucoup d’incertitudes. Ainsi, nous devrons sans doute réfléchir à l’instauration d’une métrique de décarbonation, comme celle de l’analyse de cycle de vie (ACV). Nous pourrions en faire un outil d’aide à la décision fondé sur une forme d’objectivité technologique.

Je suis membre de l’Académie des technologies et depuis peu de l’Académie des sciences. Dans ces académies, nous nous sommes beaucoup posé ces questions. Néanmoins, aucune option complètement positive ne semble émerger pour atteindre la neutralité carbone. Au regard des nombreux rapports publiés, et avec l’éclairage apporté par notre réflexion collective menée au sein de l’Office et des académies, nous devrons choisir la trajectoire qui semble la plus robuste et la plus résiliente.

Nous nous dirigeons aujourd’hui vers une recherche exploratoire. Nos organismes nationaux de recherche deviennent des agences de programme. Des changements s’opèrent donc dans l’approche et dans l’organisation de la recherche. Nous ne connaissons pas encore tous les éléments de la réforme annoncée du paysage de la recherche française. Cette réforme apporte des espoirs, mais suscite aussi des questions, en particulier sur la définition des thématiques prioritaires et la coordination d’ensemble. L’Office pourrait s’emparer de ce sujet.

Enfin, je me tiens prête pour être sollicitée dans un trinôme, si mon domaine d’expertise vous intéresse.

M. Béchir Jarraya, chercheur à NeuroSpin CEA Saclay, neurochirurgien à l’hôpital Foch de Suresnes et professeur à l’université Paris-Saclay. – Je suis PU‑PH neurochirurgien à l’hôpital Foch. Je soigne des patients souffrant de la maladie de Parkinson, notamment avec des implantations d’électrodes cérébrales. Je mène une recherche clinique sur la paraplégie à l’hôpital Raymond‑Poincaré (Garches). Je suis également enseignant à l’université Versailles Saint‑Quentin, établissement membre fondateur de Paris‑Saclay, et je dirige une équipe de recherche labellisée Inserm du centre de recherche NeuroSpin hébergé par le CEA Saclay.

Au sein de NeuroSpin nous nous intéressons à l’imagerie cérébrale et au décodage du fonctionnement cérébral normal. Nous nous appuyons sur des outils d’imagerie de plus en plus performants. Notre dernier appareil IRM au champ magnétique nominal de 11,7 teslas fera l’objet d’une présentation internationale début avril. Cet appareil IRM dévoile des images inédites du cerveau humain. Il a été construit dans le cadre du magnifique projet franco‑allemand Iseult, auquel participent notamment le CEA‑IRFU et le CERN.

Les neurotechnologies ont occupé une place centrale dans mon parcours. Je m’intéresse beaucoup aux transferts opérés en allers‑retours entre les laboratoires scientifiques, la recherche fondamentale et les patients. Dans le futur, nous traiterons des centaines de millions de patients souffrant de handicaps neurologiques. Nous vivons une merveilleuse période de l’histoire où les avancées scientifiques bouleversent la neurologie. Lorsque j’étais étudiant, j’entendais que la neurologie ne pouvait pas aider les patients atteints de lésions cérébrales. Aujourd’hui, nous parvenons à des réalisations qui paraissaient inimaginables il y a 25 ans.

Je me suis intéressé aux neurotechnologies durant ma thèse scientifique réalisée au CEA. Ma thèse était consacrée au développement d’une thérapie génique pour la maladie de Parkinson. Je rappelle que le CEA ne se limite pas aux champs de l’énergie nucléaire et de la défense.

Plus tard, à mon retour d’un séjour postdoctoral réalisé à l’université de Harvard (Boston), alors que le centre NeuroSpin se créait, j’ai bénéficié du programme Inserm Avenir. Ce programme français très intéressant permet à des jeunes chercheurs de constituer leurs propres laboratoires. Ces derniers reçoivent une dotation financière et jouissent d’une liberté.

Mon laboratoire a pu ensuite être pérennisé et je m’intéresse aujourd’hui à la compréhension des mécanismes du cerveau et à leurs interactions avec les neurotechnologies. Par exemple, nous cherchons à savoir comment une électrode peut avoir un effet sur des zones du cerveau plus larges que sa zone d’implantation, en nous aidant des techniques d’imagerie. Les outils du numérique et de l’intelligence artificielle nous aident à identifier les régions du cerveau qu’il faut stimuler pour modifier des réseaux de neurones responsables de la mémoire, de la marche ou encore de la conscience, fonction cognitive suprême renvoyant à notre capacité à percevoir le monde.

Avec mes collègues de l’hôpital Raymond‑Poincaré, nous tentons de développer des technologies d’implants en contact avec la moelle épinière, pour soigner des patients paraplégiques.

Je suis heureux de continuer à participer aux travaux de l’OPECST. En 2022, nous avions participé à l’élaboration d’une note de Patrick Hetzel sur les neurotechnologies. Certains de mes collègues me signalaient alors que l’OPECST rédigeait de très bons rapports, qui finissaient toutefois rangés dans des tiroirs. Pour autant, en 2023, sans doute inspiré par cette note, l’Inserm a lancé l’appel à projets NeuroTechnologies. Dans ce programme d’impulsion, l’Inserm a fédéré une quinzaine d’équipes françaises autour de la neurotechnologie. Si ce programme n’est associé qu’à une enveloppe de 1,5 million d’euros à répartir entre quinze laboratoires, il permet toutefois de tisser des liens entre ces laboratoires et d’initier une dynamique.

Dans la nouvelle mandature de l’OPECST, je souhaite continuer à m’intéresser aux neurotechnologies et notamment à la stimulation du cerveau opérée de manière non invasive. En effet, les électrodes implantées sont tout de même associées à des risques cérébraux non négligeables (hémorragies, infections, etc.). Les ultrasons focalisés et d’autres techniques se développent et la France est très en avance dans ce domaine, notamment grâce aux travaux de l’ESPCI, de NeuroSpin, de l’Inserm et du CNRS. Il est possible d’encourager cette filière et les startup qui s’y créent.

Par ailleurs, je m’intéresse à la perception sociétale des neurotechnologies. En particulier, je suis toujours amusé par les tweets d’Elon Musk publiés sur le premier implant de Neuralink. D’une part, les implants de Neuralink ne constituent pas une nouveauté, des implants similaires ayant déjà été posés il y a vingt ans. D’autre part, la moitié des personnes qui ont reçu cette information sont persuadées que la personne implantée n’était pas malade, qu’elle pourra interagir avec des smartphones et des tablettes, et qu’elle bénéficiera d’une augmentation cognitive. Or cela est faux. Aucun neurochirurgien ne se permettrait de faire prendre le risque d’une hémorragie ou d’une infection à un patient sain. Elon Musk entretient sciemment ce doute. Il serait intéressant de mener une action de communication vis‑à‑vis du grand public à ce sujet. Cette idée effraye certaines personnes, qui peuvent craindre un futur transhumaniste où tout le monde serait implanté. Ce futur est évidemment impossible.

Enfin, l’attractivité des laboratoires américains pour les meilleurs post‑doctorants et thésards de la planète est frappante. Dans le centre de recherche de Harvard où j’ai séjourné, les trois quarts des étudiants étaient de talentueux étrangers qui travaillaient jour et nuit, extrêmement heureux de travailler dans des laboratoires prestigieux. Ces derniers participaient considérablement à la production scientifique et in fine à la production économique via des dépôts de brevets.

Néanmoins, en France, nos chercheurs non ressortissants de l’Union européenne sont impactés par certaines lois, notamment par la récente loi sur l’immigration. Ils subissent de plus en plus une certaine lourdeur administrative, voire une forme de suspicion. Par exemple, mon dernier post‑doctorant chinois a été traité de manière franchement scandaleuse lorsqu’il a dû renouveler son titre de séjour à la préfecture. Il s’agit pourtant d’un thésard de haut rang mondial. Par chance, ce jeune chercheur n’était pas susceptible. Il a fini son post‑doctorat et a publié un article de grande qualité. Aujourd’hui, il est rentré en Chine, où il dirige un très grand centre de recherche et nous sommes très heureux de maintenir un lien avec lui. S’il avait un brin de susceptibilité, il aurait pu mettre un terme à son post‑doctorat et étudier dans un autre pays. Il n’est malheureusement pas seul à avoir été traité de cette façon.

Nous devons donc prendre soin de nos chercheurs internationaux. Des chercheurs iraniens, surveillés très étroitement, n’ont pas eu accès à des comptes informatiques durant des mois, alors même que Harvard accueille de nombreux Iraniens, brillants et très recherchés. Nous pourrions perdre en attractivité, alors qu’il est notoire que la recherche est beaucoup portée par les chercheurs internationaux. Pourtant, la France dispose d’une forte capacité d’attractivité, grâce à ses laboratoires d’excellence. Des chercheurs internationaux qui se sentent en confiance en France participent en retour à notre soft power sur le long terme. Ils peuvent notamment nous envoyer leurs étudiants.

Mme Christelle Roy, docteur en physique nucléaire, directrice de recherche au CNRS, directrice de CNRS Nucléaire et particules. – Je suis directrice de recherche au CNRS et directrice de CNRS Nucléaire et particules (ex‑Institut national de physique nucléaire et de physique des particules). J’occupe cette seconde fonction depuis le 1er février 2024.

J’ai obtenu un doctorat en physique nucléaire, plus précisément en physique des hautes énergies. J’ai mené des recherches autour de grands collisionneurs de particules, en Allemagne, aux États‑Unis et, depuis les années 2000, au CERN.

J’ai dirigé un laboratoire qui regroupait des physiciens, des écologues, des éthologues et des chimistes. Ce laboratoire était une sorte de mouton à cinq pattes. J’ai été vice‑présidente à la stratégie de l’université de Strasbourg entre 2007 et 2021. J’ai porté un projet relatif à la fermeture de la centrale de Fessenheim, pour comprendre son impact sur son socio‑écosystème, dans les volets de l’environnement, de l’économie et de la transition écologique.

Puis, je suis revenue au CNRS pour piloter sa direction de l’Europe et de l’international. Cette direction travaille sur l’élaboration de stratégies européennes qui implique d’autres acteurs de la recherche française que le CNRS. Elle s’intéresse aussi aux coopérations internationales, notamment avec les pays africains, là aussi dans une approche d’intérêt national.

J’ai été membre du conseil scientifique de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de 2015 à 2021 et intégré le conseil scientifique de Naval Group en 2022.

Je suis très enthousiaste à l’idée de faire partie du conseil scientifique de l’OPECST. Pour reprendre le credo du CNRS, l’Office travaille au service de la science et pour le bénéfice de la société. Je pense que les membres du conseil scientifique vont dans ce sens et je m’en réjouis.

Je pense que la soutenabilité de la recherche passe par son attractivité vis‑à‑vis des jeunes et des moins jeunes, ou encore vis‑à‑vis des femmes. Le renforcement de cette attractivité représente un enjeu national.

De plus, la recherche amont sur le nucléaire est cruciale. Il est urgent de nous en saisir tant aujourd’hui que demain, dans une logique de temps long, pour rester pertinents en matière de nucléaire. Cependant, il serait difficile, voire impossible, de le faire sans porter un effort massif sur le volet de la recherche. Cette recherche peut porter sur les nouveaux réacteurs, les métiers du nucléaire ou le rapport entre nucléaire et société. Elle peut aussi porter sur les déchets nucléaires, qui renvoient à l’aval du cycle.

Claudie Haigneré a évoqué la question de la diplomatie scientifique. J’ai pu constater que nous ne menons plus la recherche comme il y a quatre ou cinq ans. La place de la recherche en France et en Europe est réellement perturbée par les nouveaux paradigmes de la recherche. Le contexte actuel est très compliqué, y compris en France, car la recherche évolue dans un monde ultra-concurrentiel. Souvent, nous agissons seulement en réaction face à cette compétition, sans l’animer.

Quel avenir assurer à la recherche scientifique européenne au CERN ? La maxime « quand plus rien ne va entre les États, il reste la science » ne s’applique plus aujourd’hui. Les conflits s’accélèrent et sont de plus en plus soudains et imprévus. La recherche est souvent entravée et nous sommes relativement démunis face à ce constat.

Nous disposons pourtant d’organismes de coopération, comme celui du CERN et bien d’autres. Comment soutenir la recherche en France dans une dynamique nationale et européenne, à l’heure où d’autres grands acteurs de la recherche tels que la Chine proposent des projets concurrents ultra-compétitifs ? Comment la France pourra‑t‑elle être une force motrice en matière de recherche et porter la recherche européenne ? L’exemple du CERN est criant. Le CERN n’est plus uniquement un lieu de belle science, il est aussi devenu un objet géopolitique.

Finalement, la science est devenue un enjeu de géopolitique dans bien des domaines, comme l’informatique quantique ou l’intelligence artificielle. Comment ce nouveau paradigme doit‑il éclairer les discussions politiques, dans le sens d’une préservation de la science française et européenne ?

Mme Marie Gaille, philosophe, directrice de recherche au CNRS-SPHere-Université Paris 1, directrice de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS. – Je suis directrice de recherche au CNRS, spécialisée en philosophie de la médecine. Je me situe à l’interface entre les enjeux éthiques de décisions sur la vie (fin de vie, début de vie, diagnostic prénatal) et l’état des savoirs médicaux mobilisés dans ces décisions. Au fil du temps, j’ai développé un intérêt pour des questions de prise en charge de pathologies au long court, incurables dans un état du savoir donné. Je m’intéresse aussi à la relation entre la santé, les pathologies et l’environnement.

Ces trois champs mettent en jeu l’intersection entre un état des connaissances, un état des technologies et des biotechnologies mobilisées pour le soin, et des enjeux éthiques. J’ai suivi une ligne de travail axée sur le « vivre avec les technologies » et sur le « faire avec les technologies », sans m’intéresser à l’opposition « pour ou contre les technologies ».

Je dirige depuis bientôt trois ans CNRS Sciences humaines et sociales. Je suis une collègue de Christelle Roy et de Thierry Dauxois.

Je m’accorde tout à fait avec les propos tenus aujourd’hui sur les enjeux de la structuration de la recherche, de l’internationalisation de la recherche et de l’évolution du monde de la recherche et de ses pratiques.

L’Office pourrait s’intéresser aux questions du traitement automatique de la langue (TAL). Cette question renvoie à des questions politiques de souveraineté, mais aussi à des problématiques scientifiques particulièrement intéressantes, situées à l’interface entre les sciences humaines et sociales et les sciences de l’informatique. Ce sujet renvoie à des enjeux du champ de l’éducation, du politique et du multilinguisme.

L’Office pourrait aussi s’intéresser à la science des mobilités. Ce sujet renvoie à des préoccupations politiques et à des enjeux scientifiques et technologiques. Il s’agit notamment de s’interroger sur la manière d’organiser une réflexion, dans le champ des sciences des territoires, sur les mobilités. Les mobilités se rapportent aux déplacements humains tels que les grands mouvements migratoires. Elles englobent aussi les mobilités pendulaires, la circulation des marchandises et les flux de circulation de l’information véhiculée notamment par des câbles sous‑marins. La géographie et les sciences des territoires, croisées avec les sciences de l’informatique, permettent de réfléchir à l’organisation des mobilités et des circulations dans l’espace national et international.

L’Office pourrait aussi se saisir de la question de l’éducation et de la réorganisation des mondes professionnels. Il s’agit d’un sujet majeur qui rejoint mes domaines d’intérêt du soin et de la santé. Ce sujet renvoie notamment aux interfaces humains-machines. Cette question se rapporte à des réorganisations individuelles, mais aussi collectives et organisationnelles de la transmission du savoir, des soins et du travail.

Aussi, l’Office pourrait réfléchir aux impacts de l’intelligence artificielle dans les domaines du patrimoine et de la création. Un travail peut être mené dans l’interface entre la science, les technologies et les décisions politiques.

Enfin, Étienne Klein a évoqué les travaux de l’École de physique des Houches. La construction de la décision publique fondée sur la science est d’autant plus intéressante dans un contexte d’incertitudes ou d’émergence de problèmes publics. La gestion des problèmes émergents peut être éclairée par des sciences en cours de constitution. Ce sujet intéressant est à labourer en continu.

M. Robert Barouki, professeur des universités et praticien hospitalier de biochimie à l’université de Paris, directeur de l’unité Inserm Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs, chef de service en biochimie métabolomique et protéomique à l’hôpital Necker enfants malades. – Je suis professeur à l’université Paris Cité et praticien hospitalier. Je dirige une unité de l’Inserm qui s’intéresse à la santé et à l’environnement. Depuis quelques jours, je dirige l’Institut thématique Santé publique de l’Inserm, qui coordonne l’activité des unités de l’Institut située dans le champ de la santé publique.

Je m’intéresse notamment à l’impact de l’environnement chimique sur la santé, mais aussi depuis quelques années au champ élargi de l’exposome, c’est‑à‑dire l’ensemble des expositions physiques, biologiques ou encore psychosociales.

Dans ce cadre, j’ai été auditionné à différentes reprises par des députés et des sénateurs sur différents sujets, comme les impacts sanitaires des pesticides, du chlordécone, ou encore des composés perfluorés actuellement sur le devant de la scène.

Je fais partie du conseil scientifique de l’Agence européenne pour l’environnement. J’ai été membre du conseil scientifique de l’ancêtre de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Je préside le conseil scientifique de l’IRSN, où j’apporte une vision plus large de l’exposome.

D’ailleurs, j’ai été surpris de ne pas avoir été entendu dans le cadre de l’analyse par l’OPECST de la fusion de l’IRSN et de l’ASN. J’aurais insisté sur la préservation de la recherche menée actuellement à l’IRSN, notamment dans le domaine de la radioprotection. Je suis attaché au fait qu’une autorité indépendante ait en son sein une activité de recherche partenariale internationale. L’IRSN mène une activité de recherche européenne.

L’Institut thématique Santé publique de l’Inserm s’intéresse évidemment à la prévention. L’Office pourrait se saisir de ce sujet. La prévention ne se limite pas à la communication de quelques messages. Une prévention de précision est désormais possible, faisant appel à des technologies de capteurs, mais aussi à l’intelligence artificielle. La prévention renvoie aussi à l’épidémiologie, à la psychologie, à l’étude des impacts futurs du changement climatique, ou encore aux sciences humaines et sociales. L’Institut thématique Santé publique de l’Inserm accueille d’ailleurs plusieurs laboratoires de sciences humaines et sociales. Marie Gaille connaît très bien ce champ.

Je pense que le champ de la prévention, pourtant multidisciplinaire, demeure un parent pauvre de la recherche. Un tout petit budget lui est accordé par rapport au budget général de la santé. Or, d’une part, il vaut naturellement mieux ne pas tomber malade, d’autre part, la prévention est associée à un fort intérêt économique de long terme.

Comme d’autres membres du conseil scientifique de l’Office, je m’inquiète des impacts des changements environnementaux qui s’opèrent, tels que le changement climatique, la perte de la biodiversité, la pollution. Nous avons largement dépassé les limites planétaires dans différents domaines. Il est fondamental que l’OPECST sensibilise le Parlement sur ce sujet. Nous ne pouvons pas perdre de temps et nous ne pouvons pas reculer.

J’insiste aussi sur l’importance de la dimension européenne de la recherche et sur un certain nombre de décisions prises dans ce domaine. La place de la France dans la recherche européenne doit augmenter. Il s’agit d’un de mes sujets de préoccupation, en plus d’autres sujets cités par mes confrères sur lesquels je ne reviendrai pas.

Mme Sophie Ugolini, directrice de recherche à l’Inserm, directrice au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML). – Je vous remercie d’avoir renouvelé ma participation au conseil scientifique de l’OPECST. Comme plusieurs autres collègues, je souhaite participer plus activement aux discussions de l’Office ayant trait à l’anticipation des évolutions scientifiques et technologiques.

Je suis immunologiste et directrice de recherche à l’Inserm. Je dirige une équipe au CIML. Notre laboratoire s’intéresse aux interactions entre le système nerveux et le système immunitaire. En particulier, nous avons montré que le système nerveux intervient dans la régulation des pathologies inflammatoires et la réponse immunitaire, notamment antivirale.

J’ai été membre du conseil scientifique de l’Inserm entre 2012 et 2017. J’ai initié récemment la création d’une startup fondée sur le développement de molécules anti‑inflammatoires pour le traitement de pathologies inflammatoires et auto‑immunes.

De nombreux sujets très intéressants ont été évoqués aujourd’hui. Pour ne pas allonger la réunion, je ne m’étendrai pas beaucoup.

Comme beaucoup d’intervenants, je suis préoccupée par l’attractivité des métiers de la recherche. Nous devons réellement anticiper l’évolution de notre tissu de recherche. Les phénomènes actuels ayant un lien avec cette attractivité auront des répercussions dans dix ans. Je constate une désaffection croissante et inquiétante des jeunes générations pour nos métiers. Nous devons prendre la mesure de cette évolution. Nous devons valoriser les métiers de la recherche, diminuer les charges administratives actuellement croissantes mais aussi diminuer la charge liée aux missions d’évaluation. Les évaluations de la recherche sont nombreuses et parfois peu pertinentes.

Il faut aussi souligner un manque de soutien aux laboratoires structurel et récurrent. Ce soutien est pourtant primordial pour favoriser les découvertes sur le temps long. Il passe par une consolidation des équipes avec le recrutement de personnels en CDI pour permettre la préservation des expertises.

Ce soutien passe également par un renforcement des financements. Mon laboratoire a eu la chance de bénéficier de financements européens importants de l’ERC. Il a aussi récemment bénéficié d’un financement Impulscience attribué par la fondation Bettencourt Schueller, un financement très conséquent réparti sur cinq ans qui permet de porter des projets réellement ambitieux. Cependant, ces financements sont malheureusement trop peu nombreux. Les chercheurs consacrent beaucoup de temps à la recherche d’argent. Ils ont peu de moyens pour développer des projets ambitieux. Il convient donc de favoriser les dispositifs de financement de la recherche, et de limiter la déperdition des énergies et des expertises à laquelle nous assistons.

Je souhaite aussi mettre l’accent sur l’importance du soutien à la recherche fondamentale, évoquée par d’autres intervenants. La crise du covid nous a montré que cette recherche était essentielle pour nous permettre de réagir en cas d’apparition de nouveaux virus ou d’autres enjeux de santé inattendus.

Nous devons favoriser et optimiser le transfert des découvertes fondamentales vers les applications, notamment dans le domaine de la santé. Or je peux témoigner que les chercheurs doivent déployer énormément d’énergie pour amener de nouvelles molécules dans le champ clinique. Trouver les financements nécessaires relève en effet du parcours du combattant. Surtout, les chercheurs sont très peu accompagnés dans leurs démarches. L’aide qui leur est apportée par l’Inserm, le CNRS et les universités s’avère très limitée. Nous devrions donc professionnaliser cet accompagnement et fournir un vrai soutien aux chercheurs amenés à entrer dans le monde économique, dont ils ne maîtrisent pas du tout les codes. Cet accompagnement permettrait de valoriser économiquement les efforts de la recherche fondamentale.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Je vous remercie pour toutes vos interventions et pour votre présence nombreuse. Devant le nombre important de champs à explorer que vous évoquez, il nous vient une forme de vertige. Chaque champ cité mériterait la rédaction d’un rapport ou d’une note, ou encore l’organisation d’une audition publique. Nous nous en saisirons. Après cette réunion, nous établirons un compte rendu synthétique. Le bureau et les membres de l’Office identifieront des pistes de travaux pour les mois et les années à venir. Vous évoquez en effet des champs qui demandent une investigation à mener sur le temps long.

Notre newsletter, document d’information, est en bonne phase d’avancement et devrait être prête d’ici à quelques semaines. Nous vous préviendrons par ce biais des travaux qui seront engagés ou qui sont en cours. Vous pourrez ainsi tout à fait légitimement nous solliciter et nous faire part de votre positionnement sur les sujets traités. J’ignorais d’ailleurs que Robert Barouki faisait partie du conseil scientifique de l’IRSN et que vous étiez très investi sur ce sujet.

Je note que notre rapport sur la réorganisation de la sûreté nucléaire n’a pas fini sur une étagère. En effet, il a servi de pré‑étude d’impact au Gouvernement, en amont du dépôt du projet de loi sur la fusion de l’ASN et de l’IRSN, et a alimenté utilement le débat parlementaire.

Nous avons bien relevé vos différentes propositions de services, dans le cadre de la constitution de nos trinômes. Elles serviront pour une nouvelle vague de jumelages. Nous organiserons le mercredi 15 mai une journée parlementaire où nous convierons les académiciens et chercheurs actuellement parties prenantes aux trinômes. Les parlementaires se rendront également prochainement dans les laboratoires des chercheurs de leurs trinômes.

J’excuse les membres du conseil scientifique qui n’ont pas pu se joindre à nous. Nous aurons l’occasion de les entendre ultérieurement.

Les membres du conseil scientifique sont de fait souvent consultés. Robert Barouki est d’ailleurs sollicité sur de nombreux sujets, même s’il ne l’a pas été lors des débats relatifs à la fusion de l’ASN et de l’IRSN. Je dispose d’une liste des membres du conseil scientifique qui ont été consultés dans le cadre des récents travaux de l’Office.

Enfin, nous espérons organiser prochainement une audition publique sur le vol habité, où nous pourrions entendre Claudie Haigneré, notre référente en la matière. Cette audition renvoie à un sujet d’actualité. Il ne s’agit pas pour nous de faire un buzz, ce sujet intéresse la communauté scientifique et la communauté politique.

Je vous remercie vivement pour votre disponibilité et pour vos interventions éclairantes. Nous aurons certainement l’occasion de faire appel à vous prochainement.

 

 

La réunion est close à 12 h 10.

 

 

 

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

Réunion du jeudi 21 mars 2024 à 10 heures

Députés

Présents. - M. Philippe Bolo, M. Jean-Luc Fugit, Mme Olga Givernet, M. Pierre Henriet

Excusé. - M. Maxime Laisney

Sénateurs

Présents. - M. Arnaud Bazin, Mme Martine Berthet, Mme Florence Lassarade, M. Stéphane Piednoir, M. David Ros

Excusés. - Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. André Guiol, M. Bruno Sido

 

 

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