Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité (n° 2015) (M. Nicolas Turquois, rapporteur)              2

– Audition de Mme Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail et emploi du Conseil économique, social et environnemental, et de M. Evanne Jeanne‑Rose, rapporteur de l’avis Les métiers de la cohésion sociale              2

– Information relative à la commission.......................16

– Présences en réunion.................................17

 

 

 


Mercredi
17 janvier 2024

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 33

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq,
présidente
 

 


  1 

La réunion commence à onze heures.

La commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité (n° 2015) (M. Nicolas Turquois, rapporteur).

 

La commission a accepté les amendements figurant dans le tableau ci-après (*) :

Auteur

Groupe

Place

17

M. TURQUOIS Nicolas

Dem

1er

18

Mme BERGANTZ Anne

Dem

1er

12

M. TURQUOIS Nicolas

Dem

1er

11

M. TURQUOIS Nicolas

Dem

Ap. 1er

19

M. VIRY Stéphane

LR

Ap. 1er

20

Mme BERETE Fanta

RE

Ap. 1er

(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.

 

*

*     *

La commission auditionne ensuite Mme Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail et emploi du Conseil économique, social et environnemental, et M. Evanne JeanneRose, rapporteur de l’avis Les métiers de la cohésion sociale.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je remercie le bureau de la commission d’avoir accepté d’ajouter à notre calendrier d’auditions le sujet des métiers du lien social, qui nous conduit aujourd’hui à recevoir des représentants du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui a adopté en juillet 2022 un avis concernant les métiers de la cohésion sociale. Nous aurons aussi prochainement l’occasion de recevoir Mathieu Klein, président du Haut Conseil du travail social, qui a publié un Livre blanc du travail social à la fin de l’année 2023.

Je tiens vraiment à remercier Mme Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail et emploi du Cese, ainsi que M. Evanne Jeanne-Rose, rapporteur, de s’être rendus disponibles pour partager leur diagnostic sur la situation de ces métiers et sur les solutions identifiées.

Mme Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail et emploi du Conseil économique, social et environnemental. Nous sommes ravis et honorés de pouvoir présenter les travaux du Cese, qui ont vocation à éclairer les travaux et les décisions des législateurs et du Gouvernement. Nous nous sommes attachés à ce sujet en raison de la situation sociale en France et à la suite d’un avis rendu à la demande du Gouvernement sur les métiers en tension et les difficultés de recrutement dans certains secteurs, notamment celui des métiers de la cohésion sociale.

Nous n’avons pas abordé le sujet sous l’angle de l’évaluation des politiques sociales ou des politiques publiques en la matière. Cependant, forts des orientations de la commission Travail et emploi pour la mandature 2021-2026, nous axons nos réflexions sur la centralité du travail et pas seulement de l’emploi. Nous sommes ainsi partis de la manière dont le travail était organisé dans ce secteur et de la façon dont les animateurs, les éducateurs, les assistantes sociales et les responsables des centres sociaux vivaient leur travail. Nous avons agi à travers une participation citoyenne, puisque nos travaux se sont appuyés sur une plateforme de consultation itérative impliquant 5 000 professionnels du secteur. Une cinquantaine d’entre eux sont venus participer à une journée délibérative et la commission s’est déplacée à trois reprises pour des visites sur le terrain. Le travail du rapporteur, à qui je cède à présent la parole, a été remarquable pour discerner les situations concrètes des travailleurs sociaux, mais également formuler des préconisations.

M. Evanne Jeanne-Rose, rapporteur de l’avis du Conseil économique social et environnemental sur les métiers de la cohésion sociale. Je vous remercie à mon tour pour votre invitation. Dans le cadre de cet avis, nous avons traité les conditions de travail et d’emploi d’environ 800 000 salariés en France qui s’occupent des enjeux de vulnérabilité sociale de millions d’individus.

Le premier constat tiré de la consultation des 5 000 professionnels dont nous avons recueilli la parole concerne une situation d’empêchement de réaliser leur travail, de mener à bien les missions qui leur sont confiées, faute de moyens. En 2022, selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), leurs conditions de travail ont continué à se dégrader et sont probablement les plus dures en comparaison de celles de leurs homologues européens. Les horaires sont atypiques et les contraintes psychiques et émotionnelles sont assez peu considérées dans le code du travail ou dans le champ du travail de façon générale, de même que les besoins de temps de travail collectifs dans les modes de tarification et de contractualisation de l’activité.

Les contraintes inhérentes au métier sont assez peu prises en compte dans le financement et le soutien. Ainsi, le problème principal que notre avis met en lumière concerne les enjeux de contractualisation, pour améliorer les conditions de travail. Il importe donc de questionner les politiques sociales telles qu’elles sont pratiquées aujourd’hui. Pour rappel, dans ce milieu très féminisé, les salaires sont relativement bas et les salariées qui travaillent pour la plupart en temps partiel sont rémunérées en dessous du Smic : des travailleuses pauvres s’occupent de personnes encore plus vulnérables.

La période post-covid a évidemment accéléré le sentiment de non-reconnaissance ou de moindre reconnaissance salariale, laquelle a plus bénéficié au secteur de la santé qu’au champ social stricto sensu. Ainsi, il a fallu attendre plus d’un an pour que le champ du social fasse l’objet d’une réflexion en termes de revalorisation salariale, pour conduire finalement à la prime de 183 euros nets mensuels dans le cadre du Ségur social, laquelle a en réalité contribué à exacerber les tensions au sein du secteur, entre celles et ceux qui étaient éligibles et celles et ceux qui n’y avaient pas droit.

La première préconisation du Cese appelle à une revalorisation salariale, de façon assez nette, et à une évaluation non discriminée en termes de sexe de ces métiers. En effet, une partie de l’arsenal législatif ou du code du travail s’applique plutôt dans des métiers masculins et prend assez peu en compte des difficultés comme la charge mentale, les relations émotionnelles et la fatigue associée, mais aussi la prise en charge d’un tiers, c’est-à-dire la responsabilité vis-à-vis d’un tiers. Les professionnels aimeraient que ces dimensions soient reconnues, soit dans leur convention collective, soit dans les modes de contractualisation. Nous préconisons également une forme de programmation budgétaire semblable à celle qui est intervenue dans d’autres domaines, pour redonner plus de visibilité aux professionnels du secteur.

Ensuite, l’article 70 de la loi du 30 décembre 2017, modifiant l’article L. 314-6 du code de l’action sociale et des familles, prévoit l’inopposabilité des conventions collectives. Ainsi, toute évolution visant à donner les moyens de mieux rémunérer ou considérer les salariés et qui conduirait à des dépenses supplémentaires est rendue inopposable par la loi. Dès lors, le caractère non opposable des conventions collectives et accords négociés limite la marge de manœuvre des partenaires sociaux pour améliorer les conditions de travail des salariés dans le secteur. Nous proposons donc de revoir l’article 70 et les dispositions autorisant la non-opposabilité des conventions collectives.

Ensuite, les secteurs qui s’occupent des plus vulnérables ont connu une dérégulation des normes d’encadrement et des taux de présence. Il existe peu de ratios concernant le taux d’encadrement et il est difficile d’opposer à un financeur l’idée que la suppression des emplois rendra plus difficile la vie des personnes dont les professionnels ont la charge, voire conduira à de la maltraitance. De fait, les professionnels sont conscients de la maltraitance qu’ils diffusent malgré eux alors même que le premier enjeu de leur métier consiste à restaurer la dignité des individus dont ils ont la charge, engendrant in fine des découragements et des départs.

De façon plus générale, ce secteur ne dispose pas d’espaces de discussion formalisés pour échanger sur les besoins et enjeux économiques, les évolutions en termes de formation, de structuration de l’offre. Nous proposons donc la création d’une forme de conseil national de la filière qui puisse traiter de ces sujets et organiser la santé et le soin des plus vulnérables.

Enfin, je reviendrai sur la question des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (Cpom), dans la mesure où nous avons regardé les différents modes de contractualisation de l’action sociale et de l’animation en France. Selon nous, les Cpom ne parviennent pas à prendre en compte les remontées de terrain, ni à produire un diagnostic partagé. Il convient donc de se demander si le législateur peut faire évoluer les modes de contractualisation et d’organisation du Cpom. Nous pensons que plusieurs critères devraient être ajoutés, tels que l’évaluation des vulnérabilités sociales par les opérateurs et les besoins humains.

Il faudrait également des moyens pour pouvoir agir sans commande, c’est-à-dire sans une commande dirigée par l’acte ou par la demande expresse de traiter tel ou tel public. Les opérateurs, notamment les acteurs associatifs, retrouveraient ainsi une forme de liberté. Je rappelle que la liberté associative a largement contribué à construire le système de solidarité en France. Aujourd’hui, les acteurs sont contraints de se soumettre à une innovation et un changement permanents, ce qui les empêche d’investir des champs qu’ils ont repérés par eux‑mêmes. Ainsi, chaque projet ou Cpom devrait offrir une marge d’action à la liberté associative, sur laquelle elle devrait naturellement rendre des comptes.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je passe la parole aux orateurs des groupes.

Mme Christine Le Nabour (RE). Au nom du groupe Renaissance, je tiens à remercier à travers vous l’ensemble du Cese, qui nous permet de bénéficier du regard des forces vives de la nation. Son travail nous est toujours précieux, pour l’accomplissement de nos missions de législateurs.

La quasi-totalité des groupes politiques représentés dans cette salle aujourd’hui aspire à une société plus bienveillante et plus inclusive. À notre sens, il ne pourrait en être autrement, car il nous semble impossible de faire société sans considérer autrui, avec ses forces et ses faiblesses, comme un égal, mais surtout de le traiter comme tel en lui permettant de jouir de l’ensemble des droits auxquels il peut prétendre. Tel est l’esprit de notre République et nous réaffirmons notre détermination à lutter contre celles et ceux qui chercheraient à lui porter atteinte.

Hasard du calendrier, nous venons de nommer ce matin notre collègue Patrick Vignal rapporteur de la proposition de loi transpartisane visant à reconnaître les métiers de la médiation sociale. Celle-ci sera bientôt examinée par la commission, puis par l’ensemble de la représentation nationale. Celles et ceux qui exercent ces métiers sont des ingénieurs de la cohésion sociale. Il nous paraît indispensable, après tant d’années de revendications du secteur, de reconnaître leur engagement à sa juste valeur.

Monsieur le rapporteur, à la lecture de votre travail, il nous est impossible de ne pas penser à la proposition de loi « bien‑vieillir » du groupe Renaissance, qui sera prochainement examinée au Sénat. Si celle-ci concerne spécifiquement le grand âge, elle contient en substance la traduction d’une de vos recommandations principales : le déploiement d’une loi de programmation, laquelle permettra aux acteurs de bénéficier d’une visibilité accrue. Sur ce point, je tiens à saluer l’engagement pris par la ministre Aurore Bergé, dont je ne doute pas qu’il sera poursuivi par la nouvelle ministre en charge des solidarités. Monsieur le rapporteur, qu’attendez-vous exactement de ce futur texte qui devrait être examiné d’ici l’été ? Pensez‑vous qu’il soit plus opportun de transposer ce format pour chaque politique sociale plutôt que d’apporter une loi de programmation globale, dans un souci de lisibilité ?

Mme Angélique Ranc (RN). Je vous remercie d’avoir mené ce travail, dont l’objectif vise à revaloriser en urgence les métiers de la cohésion sociale. Nous avons tous conscience de cette nécessité, tant la pénurie du secteur reste importante et les conditions dégradées. Ces professions pourtant absolument essentielles, voire indispensables, ne sont pas reconnues à leur juste valeur. Ces personnes, elles-mêmes inquiètes du manque de sens de leur travail, constituent pourtant des piliers de la solidarité, du développement de la vie sociale et citoyenne française. Si elles-mêmes n’y croient plus, que pouvons-nous espérer pour la suite ?

Vos conclusions générales sont approuvées par le groupe Rassemblement National, qui partage la volonté d’augmenter bien davantage les salaires et de revaloriser les minima sociaux. Nos députés partagent également l’idée selon laquelle une campagne de communication et de recrutement doit être mise en place pour préparer les diplômes d’État, notamment en alternance, et promouvoir les formations continues. Enfin, pour retrouver du sens au travail, il faut également avoir la possibilité de dialoguer et d’alerter, en cas de besoin, sur les conditions de travail et sur les dégradations des conditions de traitement. Cependant, si cet avis se fonde sur des auditions et le recueil d’informations de la part des professionnels concernés, il semble manquer de déplacements sur le terrain. Nous n’en dénombrons que trois, dans les trois grandes métropoles. Il aurait été intéressant de diversifier ces déplacements, notamment dans le monde rural.

Quels sujets ont fait l’objet d’une remontée particulièrement plus récurrente de la part des professionnels lors des auditions ? Ensuite, vos travaux datent d’il y a un an et demi. Quelles sont selon vous les priorités aujourd’hui ?

Mme Isabelle Valentin (LR). Nous vous remercions pour votre travail. Ce secteur est effectivement en souffrance et il est urgent d’avancer dans le traitement de cette question. Si un rapport du 25 janvier 2021 du Haut Conseil du travail social a montré les difficultés conjoncturelles engendrées par la pandémie, le Cese a souhaité s’intéresser aux causes profondes du malaise qui traverse ce champ professionnel.

Dans son avis de 2022, le Cese a appelé à revaloriser en urgence les métiers de la cohésion sociale. Aujourd’hui, le malaise de ces personnels est grandissant sur l’ensemble de nos territoires. Ils ne cessent d’exprimer leur inquiétude profonde sur le sens de leur engagement au service des Français, ainsi que sur leurs conditions de rémunération et d’emploi. Nous les recevons régulièrement dans nos permanences sans avoir de vraies réponses à leur apporter et nous lançons depuis 2020 des alertes à ce sujet.

Leur rôle est majeur, il s’accroît en raison du virage domiciliaire. Le Cese avait à l’époque préconisé trois grands actes : répondre en urgence à la pénurie, au malaise du secteur, en rendant les métiers plus attractifs, par le financement d’une hausse globale des salaires et une meilleure communication ; redonner la priorité au sens du travail par de meilleures conditions de travail ; anticiper l’évolution des activités et renforcer la formation continue.

Pourriez-vous nous fournir un point d’étape sur ces mesures concrètement mise en œuvre ? À cet égard, les disparités entre territoires sont très grandes. Comment comptez-vous y remédier ? Selon vous, ne serait-il pas important de revaloriser le parcours de formation de ces professionnels ? En effet, les métiers de l’action sociale ne sont pas toujours très bien identifiés dans les formations universitaires et ils ne mettent pas suffisamment l’accent sur la prévention des difficultés inhérentes aux missions des intervenants sociaux.

Mme Anne Bergantz (Dem). La force de notre République réside dans notre cohésion sociale. Nous vivons en communauté et chacun doit y prendre sa part. Certains d’entre nous s’engagent tout spécialement pour renforcer le vivre ensemble. Je pense bien sûr aux professionnels de l’intervention sociale engagés au quotidien, avec discrétion, auprès de nos concitoyens concernés par le grand âge, le handicap, la pauvreté, l’isolement ou la détresse sociale. Au Parlement, nous réfléchissons et légiférons pour maintenir notre cohésion sociale. Mais nous parlons peu des professionnels qui mettent en œuvre nos politiques.

À la lecture de votre rapport, il apparaît qu’un certain nombre de questions sont tranchées, donnant lieu à des fractures profondes dans ces métiers, concernant les bases d’une identité commune à une famille de métiers relevant du travail social. Vous indiquez ainsi que « cette identité n’est pas suffisamment prise en compte comme point de départ d’évolutions structurantes, ni de mise en cohérence des conditions de formation ou de certification ». Pourriez-vous revenir sur ce point ?

Enfin, notre commission examinera prochainement une proposition de loi transpartisane visant à reconnaître les métiers de la médiation sociale. Quelle préconisation de votre rapport vous semble être la plus à même de soutenir les métiers de la cohésion sociale à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi ?

M. Élie Califer (SOC). Au nom du groupe socialiste, je vous remercie pour votre travail. J’ai lu votre avis sur les métiers de la cohésion sociale avec une attention particulière. Il invite les politiques à mieux accompagner et valoriser les professions de l’action sociale et éducative, afin de lutter contre le manque d’attractivité de ces métiers. Ce travail était nécessaire, tant le malaise est grand chez ces professionnels qui contribuent à la solidarité et au développement de la vie sociale et sont indispensables à notre pays. Je souhaite que le Gouvernement se saisisse de vos préconisations, particulièrement la préconisation n°19.

Dans votre première préconisation, vous invitez les institutions publiques ou privées à revaloriser le salaire des métiers de la cohésion sociale, afin de contenir la pénurie et le malaise de ces professionnels. Qu’en est-il de la contractualisation ? Comment pouvons-nous nous assurer de manière pérenne de la valorisation salariale que vous suggérez ? Ensuite, le paragraphe neuf de la première partie du rapport évoque avec justesse la reconnaissance de la pénibilité et de la sinistralité des métiers de la cohésion sociale. Sur ce sujet, pouvez-vous me préciser vos préconisations ? Enfin, ne craignez-vous pas que la politique de prime perdure, au détriment de la revalorisation des salaires ?

M. François Gernigon (HOR). Je salue votre avis sur les métiers de la cohésion sociale. Ce document riche et éclairant représente un témoignage crucial de la réalité complexe que vivent les professionnels de la médiation sociale dans notre pays. Vous avez mis en lumière des problématiques essentielles telles que la précarité et l’exclusion de l’emploi, l’isolement et les défis de la fracture numérique, soulignant leur impact profond sur le lien social au sein de notre communauté.

Dans une société en constante évolution, où les crises économiques et sociales récentes ont exacerbé les besoins de solidarité, votre travail rappelle l’importance vitale de ces professionnels. Ils constituent une des clés de voûte de notre cohésion sociale, agissant inlassablement pour maintenir le lien entre l’individu et la société, souvent dans des conditions difficiles. Votre rapport met également en exergue la nécessité d’une reconnaissance officielle et d’une valorisation accrue des métiers de la médiation sociale.

Ce point rejoint les préoccupations soulevées dans le rapport de la mission confiée à Patrick Vignal, « Remettre de l’humain dans les territoires ». Les propositions qui y sont formulées soulignent l’urgence de structurer, financer et former de manière adéquate ces professionnels qui se consacrent à notre cohésion sociale. La proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par notre collègue Patrick Vignal vise à établir un cadre légal clair pour la médiation sociale et sera bientôt étudiée.

En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de soutenir cette initiative, reconnaissant ainsi officiellement l’importance cruciale de ces métiers pour notre société. J’y vois personnellement un grand intérêt pour le maintien du lien social des seniors, notamment en zone rurale, qui peut constituer une population à risque, tant la désocialisation peut parfois se faire sentir. Dans cet esprit, pensez-vous que les équipes de médiation sociale à l’échelle communale devraient être encouragées partout et pour tous les types de publics, notamment compte tenu du vieillissement de la population ? Un autre échelon, comme le département, serait-il plus adapté ?

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Je vous remercie pour la présentation de cet avis et d’avoir particulièrement souligné la situation des travailleurs pauvres, qui sont en réalité des travailleuses, pour leur grande majorité. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de le souligner quand nous avons évoqué l’impact que pourrait avoir la réforme des retraites sur ces travailleuses pauvres. Dans notre pays, un tiers des familles monoparentales, qui sont en grande partie des femmes, vivent sous le seuil de pauvreté. Un grand nombre d’entre elles sont à temps partiel et travaillent effectivement dans les métiers de la cohésion sociale et, plus largement, les métiers du soin.

Lors de nos visites de terrain, nous avons pu constater que la revalorisation financière non généralisée à tous les métiers suscite des tensions et met très concrètement en difficulté les équipes, au quotidien. Mais au-delà de l’aspect financier, il faut également revaloriser la place qu’occupent ces métiers dans notre société. Votre avis mentionne ainsi une campagne de communication à ce sujet. L’enjeu du recrutement concerne également la jeunesse à travers notamment les possibilités d’alternance, qui sont fondamentales pour pouvoir construire des métiers de demain.

Par ailleurs, la question des moyens est évidemment essentielle. Vous évoquez notamment la question du taux d’encadrement pour les professionnels de la petite enfance. Pour ma part, je souligne que les travailleurs sociaux qui effectuent des maraudes étaient en grève en décembre 2023, pour la première fois. De fait, il est impossible de tout attendre des métiers de la cohésion sociale sans leur donner les moyens d’exercer leur action.

Puisque le Gouvernement refuse de grandes mesures de revalorisation, si nous devions faire qu’un seul petit pas en premier, quel serait-il ?

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Je vous remercie à mon tour pour ce rapport instructif, dont les préconisations ont été validées par l’ensemble des organisations syndicales représentatives du monde du travail.

Je souhaite vous entendre sur trois sujets particuliers qui me semblent constitutifs de l’organisation de ce secteur. Que pouvez-vous nous dire de la nécessaire évolution des outils d’évaluation des métiers qui demeurent trop axés sur les critères de rentabilité et peinent à rendre compte correctement de la qualité du travail des professionnels ?

Ensuite, ce secteur s’est dégradé très rapidement. Y voyez-vous un lien avec les choix stratégiques opérés et avalisés par les pouvoirs publics au niveau national et local, qui consistent à regrouper des structures et associations pour créer des hyper structures, ce qui modifie naturellement l’organisation du travail ?

Enfin, il faudra bien revoir le financement de ces structures, puisque les appels à projet conditionnent en partie l’organisation du travail, non pas en fonction des besoins réels des populations, mais en fonction de choix politiques parfois intéressants, mais qui sont pensés ailleurs que dans les métiers concernés.

M. Laurent Panifous (LIOT). Je vous remercie à mon tour pour votre travail.

Ma première interrogation concerne la nécessité de revaloriser les salaires et de répondre au déficit d’attractivité de ces métiers. Notre groupe ne cesse de demander le règlement de la question des « oubliés » du Ségur, qu’un rapport gouvernemental évalue à 12 000 personnes aujourd’hui. Depuis votre avis rendu en juillet 2022, avez-vous observé des améliorations ? Des filières sont-elles plus en difficulté que d’autres ? Une priorité sur la question des rémunérations est-elle identifiée ?

Ensuite, l’avis du Cese souligne que la conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social de 2022 n’a pas su répondre à l’ensemble des attentes. Elle a laissé à l’écart de nombreux professionnels et s’est concentrée sur des questions de rémunération, de formation, de qualité de vie et de conditions de travail. Quelles sont les priorités à mettre en œuvre au-delà de ces questions ?

Sur le point spécifique des accompagnements d’enfants en situation de handicap, nous constatons que la création d’un vrai statut professionnel n’a pas encore abouti. Les CDD et les temps partiels sont encore la règle et les niveaux de rémunération demeurent en deçà du seuil de pauvreté. Certains proposent d’intégrer les accompagnants d’élèves en situation de handicap aux fonctionnaires de l’éducation nationale. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, la « loi Taquet » sur la protection des enfants devait améliorer la situation des assistants familiaux accueillant des enfants au titre de l’aide sociale à l’enfance. Malheureusement, les premiers enseignements de cette loi semblent inquiétants. Certains estiment ainsi qu’elle a même dégradé l’attractivité de ces métiers, suscitant de nombreuses démissions. Disposez-vous de retours à ce sujet ? Comment cette dégradation peut-elle s’expliquer ? Quelles sont les pistes d’amélioration ?

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je cède à présent la parole aux autres collègues pour plusieurs questions complémentaires.

Mme Annie Vidal (RE). Les métiers de la cohésion sociale jouent un rôle essentiel dans notre société et contribuent au maintien des liens de solidarité et au développement de la vie sociale et citoyenne du pays. Dans votre rapport, vous indiquez que deux personnes sur trois vivent au moins avec une forme de vulnérabilité et que chaque personne reçoit au moins une fois dans sa vie le soutien de ces professionnels. Votre rapport aborde avec acuité les multiples défis et difficultés auxquels ces professionnels sont confrontés.

Il est raisonnable de penser que, face à l’évolution démographique, les besoins de la population auxquels ces métiers répondent ne cesseront de croître, tandis que ces mêmes métiers font face à un défaut d’attractivité majeur. Parmi les pistes d’amélioration à court terme et à long terme que vous proposez, plusieurs ont retenu mon attention et viennent en écho avec la proposition de loi visant à bâtir la société du bien‑vieillir, portée par notre majorité. Lutte contre les maltraitances, prise en compte des temps de travail, renforcement des espaces de concertation, simplification des modes de financement, loi de programmation pluriannuelle, enjeux de la certification : nombre de préconisations de votre rapport trouvent une réponse dans cette proposition de loi. Cependant, la question de l’attractivité de ces métiers demeure très prégnante. Quelles sont vos préconisations pour donner envie de s’engager dans ces métiers dont nous avons tant besoin ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je vous remercie pour ce travail et j’ai bien noté l’attention que vous accordez à la nécessité d’une meilleure reconnaissance salariale du travail fourni par les travailleurs et travailleuses sociaux. Peut-être pourriez-vous évoquer également plus longuement la question du temps partiel, qui peut aussi poser problème ?

Comme Mme Garin l’indiquait précédemment, la question de la perte du sens est décisive dans ces métiers, chez ces professionnels. Dès lors, il est véritablement nécessaire d’agir sur le sujet des moyens et des leviers disponibles et mobilisables. De quelle manière l’organisation du travail social évolue et comment l’État lui-même et les collectivités peuvent mieux y prendre leur part ? Comment faire en sorte que l’État lui-même ne se dédouane pas et prenne toute sa part dans l’action sociale ?

Mme Caroline Janvier (RE). Votre travail vient à point nommé, puisque nous sommes nombreux à être sollicités et alertés par les travailleurs sociaux et les directeurs de ces structures, qui peinent à recruter. Je souhaite pour ma part revenir sur vos sixième et douzième préconisations, qui lancent une alerte sur la perte de sens et la place prise par les démarches d’évaluation, de contrôle et de qualité. Pour avoir participé à leur mise en œuvre dans le secteur, je discerne bien la manière qui consiste à préempter des ressources budgétaires et humaines au service d’outils de reporting et de mesures certes indispensables, mais qui éloignent également de la vocation originelle de ces travailleurs sociaux.

Je vous rejoins ainsi sur la nécessité d’une évaluation qualitative, et peut-être moins inspirée des outils employés dans d’autres secteurs, notamment le secteur sanitaire. Je fais ainsi partie de ceux qui regrettent la fusion de la Haute Autorité de santé et de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

En revanche, je suis peut-être moins en adéquation avec votre quatorzième préconisation, dans laquelle vous proposez de transformer le mode et le support de contractualisation. Je note que dans les quatre objets que vous vous citez, trois concernent l’organisation du travail. Il me semble que la question de la qualité de l’accompagnement des usagers et le respect de leurs droits doivent évidemment demeurer au centre du contrat qui lie le financeur à l’opérateur.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Vous avez évoqué notamment le ciblage des personnes concernées, à savoir les femmes, qui travaillent le plus souvent à temps partiel, touchent de faibles salaires et subissent la désaffection de ces métiers. Au moment où les besoins des personnes à domicile augmentent, les ressources diminuent, par manque d’attractivité. Vous avez mentionné différentes possibilités en la matière, qui doivent notamment passer par l’information, la présentation de ces métiers sous des formes positives et une formation de qualifications pour mieux reconnaître les activités menées par ces professionnels auprès de personnes vulnérables. À ce titre, une expérimentation est actuellement menée dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec des personnes issues de l’immigration qui sont préparées à ces métiers de la cohésion sociale.

Parmi vos recommandations figurent l’évaluation du temps passé pour le service aux personnes et le financement des organismes de statuts très différents qu’il est difficile d’harmoniser. L’évaluation du travail effectué sur le terrain permettant d’accéder à des aides plus pérennes doit enfin être réalisée.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Je vous remercie pour la présentation de ce très bon avis qui suscite une grande adhésion au sein de notre commission. Le travail social et les treize diplômes qui y sont associés représentent une condition de l’exercice de la citoyenneté dans notre pays, puisque deux tiers de nos compatriotes connaissent une situation de vulnérabilité, qu’il s’agisse de problèmes de santé, de mal-logement, d’isolement ou de pauvreté. Votre avis souligne que si les besoins de la population augmentent, les établissements peinent simultanément à recruter et les professionnels peinent à trouver le sens de leur activité.

Le groupe La France insoumise partage totalement vos préconisations en matière de hausse des salaires, d’extension de la prime Ségur, de renforcement des capacités d’alerte des professionnels ou encore de fixation d’un niveau d’encadrement. Une interrogation subsiste sur les modalités de financement. Vous appelez à les repenser, notamment au travers de l’utilité sociale. Disposez-vous d’exemples d’institutions qui opéreraient avec ce type d’indicateurs sur notre territoire ou à l’étranger, et dont il serait possible de s’inspirer pour concrétiser l’orientation que vous suggérez et qui me paraît effectivement de bon sens, puisqu’elle vise à intervenir selon les besoins des personnes et des établissements concernés ?

Mme Servane Hugues (RE). Il y a plus d’un an et demi, le Cese rendait un rapport sur les métiers de la cohésion sociale, avant que le Haut Conseil du travail social ne remette au Gouvernement en novembre 2023 son Livre blanc du travail social. Ces deux documents convergent tant par leurs constats que par leurs recommandations : difficultés de recrutement, en particulier chez les jeunes ; nécessité de lancer une campagne de communication ; évolution de la gouvernance des métiers ; coconstruction par les professionnels.

La méthode Buurtzorg, originaire des Pays-Bas, propose un modèle de simplification des procédures et de la communication pour permettre aux soignants de se concentrer sur la prise en charge du patient. Il s’agit de mettre en place un système d’échange de connaissances, de suivi des patients et de planification des soins, avec une dimension d’horizontalité dans la relation entre les professionnels. Selon vous, cette méthode représente‑t‑elle une voie de simplification et d’amélioration de la qualité du travail des métiers du soin dont la France pourrait s’inspirer ?

M. Arthur Delaporte (SOC). Je vous remercie pour cet avis, qui a le mérite de poser un certain nombre de diagnostics, lesquels semblent partagés par les collègues de la commission. Nous sommes quotidiennement sollicités par des personnes qui travaillent dans les métiers de la cohésion sociale et qui nous font part de leur désarroi et de la pression exercée par les pouvoirs publics qui les mettent en tension sans pour autant financer suffisamment la qualité du service, mais également par les acteurs de terrain eux-mêmes.

Cette pression rejaillit et vous mettez en évidence, dans votre première préconisation, les enjeux des risques psychosociaux et de la prévention de la pénibilité. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière de prévenir la pénibilité dans ces métiers ? Que préconisez-vous concrètement ? Quels sont les types d’indicateurs qu’il faudrait mettre en place ? Cette pénibilité est-elle uniquement liée aux formes d’organisation du travail ou faut-il aussi prendre en compte la pénibilité physique ? Si tel est le cas, comment y parvenir ? Enfin, j’espère que le gouvernement entendra vos préconisations, ainsi que celles produites par le rapport Klein.

Mme Josiane Corneloup (LR). Dans son avis adopté en juillet 2022, le Cese a appelé à revaloriser en urgence les métiers de la cohésion sociale. Je reçois à ma permanence, comme certainement nombre de mes collègues, des personnels qui témoignent effectivement de leur profonde inquiétude vis-à-vis de l’avenir et qui aspirent à une plus grande reconnaissance, une revalorisation de leurs rémunérations et l’amélioration de l’attractivité de leurs métiers.

Ils évoquent également le besoin d’une plus grande autonomie et d’une plus grande confiance et souhaitent pouvoir mener des expérimentations, qui pourraient être ensuite évaluées. En effet, ils déplorent la rigidité qui entrave l’exercice de leur métier et souhaitent bénéficier de formations face au défi du vieillissement de nos sociétés.

Vous avez formulé dans le rapport un certain nombre de préconisations. Quelles sont, selon vous, les priorités concernant les actions à mettre en œuvre ?

M. Evanne Jeanne-Rose. En préambule du rapport, nous avons cité la définition du travail social retenue par le décret du 6 mai 2017 : il « vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d’émancipation, d’accès à l’autonomie, de protection et de participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir le changement social, le développement social et la cohésion de la société. »

La cohésion n’est qu’un des buts de ces métiers, les deux autres portent sur le développement et le changement social. Mais ces aspects – la possibilité d’être des « vigies » sociales, de pointer des situations indignes des droits fondamentaux et nécessitant d’y remédier – ont été retirés aux professionnels de ces métiers, occasionnant des souffrances. À l’occasion des échanges intervenus lors de mes quatre-vingts déplacements sur le terrain, ce retrait de la compétence de vigie sociale est revenu de manière récurrente. La décentralisation des politiques d’action sociale s’est également accompagnée par le retrait des espaces de concertation locaux. La polyvalence de ce secteur était un élément incontournable pour répondre aux besoins, être en contact, assurer la présence dans tous les territoires, ruraux ou urbains. Aujourd’hui, cette profession se sent complètement mise à mal puisque la notion de « généralistes » de l’action sociale a disparu au profit des « spécialistes » de l’acte.

Dans ces métiers, il importe d’avoir du temps et d’offrir une présence, le temps de réfléchir et le temps d’être avec autrui. Lors des consultations que nous avons menées auprès des personnes accompagnées ou de leurs proches aidants, ces derniers déploraient que les professionnels fassent de moins en moins preuve d’empathie. De leur côté, les professionnels répondent qu’ils ont de moins en moins de temps d’écouter les personnes dont ils s’occupent. Je pense que ceci est relativement cohérent ; il s’agit des deux faces d’une même pièce.

C’est la raison pour laquelle nos préconisations se centrent sur l’organisation du temps de travail et sur le fait de redonner au moins à l’employeur, si ce n’est au collectif de travail, la possibilité de penser l’organisation du travail. Aujourd’hui, les modes de contractualisation sont tels que les tutelles financières sont les premiers employeurs ; elles imposent des cadences et des façons de travailler. Une professionnelle interrogée nous disait qu’avant, son travail consistait à écouter la personne et à créer du lien de confiance pour ensuite lui permettre de résoudre ses problèmes, mais qu’aujourd’hui son travail consiste à faire rentrer cette personne « dans les cases » dans lesquelles on lui a demandé d’agir. Désormais, il est donc nécessaire de redonner de la liberté d’initiative et d’autonomie aux professionnels, grâce à un travail réglementaire et législatif.

Ensuite, nombre d’entre vous ont mentionné le sens du travail. Pour ma part, je suis marqué par une définition de la Dares, qui parle d’éthique, de sentiment d’utilité sociale et de la capacité à se développer d’un point de vue professionnel. Afin d’offrir une meilleure reconnaissance de ces métiers, il convient de faire évoluer les nomenclatures qui organisent à la fois les services de santé-prévention et les obligations des employeurs.

La notion de développement professionnel doit également être prise en compte. Aujourd’hui, l’accès à la formation continue n’est plus possible par des dispositions législatives. Le secteur était traditionnellement structuré avec d’un côté, les certifications et, de l’autre côté, des formations non certifiantes, mais nécessaires pour l’action. Malheureusement, ces dernières sont quasiment impossibles à financer par les fonds de la formation professionnelle, puisque les formations certifiantes sont privilégiées. La commission n’est pas parvenue à trouver un accord dans ce domaine, mais le chantier demeure ouvert, dès les plus bas niveaux de diplômes.

Le sentiment d’utilité sociale constitue un autre point essentiel, qui n’est pas suffisamment valorisé par les évaluations actuelles, lesquelles se fondent sur des aspects quantitatifs au détriment des aspects qualitatifs. Pour prendre un exemple très pratique, l’apprentissage de la propreté chez de très jeunes enfants constitue un processus long, dont les effets sont majeurs pour le développement d’un enfant. Mais une assistante qui travaille en périscolaire ou en crèche ne sera pas évaluée sur cet aspect. On ne lui demandera pas si les enfants sont devenus propres, mais combien d’enfants se sont rendus à la crèche, le temps passé avec chacun d’entre eux, le nombre de repas pris. La focalisation sur des critères quantitatifs conduit en réalité à rendre invisible le travail qualitatif des professionnels sur le terrain, à la fois aux yeux du législateur, mais aussi des tutelles. Dans le domaine de l’évaluation et de l’utilité sociale, des expérimentations sont menées par différents acteurs, dont la Fédération des centres sociaux ou l’Agence d’ingénierie et de services pour entreprendre autrement.

En matière de contractualisation, une de nos préconisations porte sur l’évolution des conseils de vie sociale et le renforcement des espaces de dialogue et de concertation. Par ailleurs, vous avez également évoqué la taille des structures. Un grand nombre croissent malgré elles, contraintes par des enjeux de contractualisation. Encore une fois, la façon dont l’action sociale est contractualisée entraîne de facto la mutualisation des services, laquelle génère à son tour des tensions verticales et horizontales entre les établissements et le siège, mais également entre établissements. De fait, des outils de gestion en provenance d’autres secteurs sont appliqués dans ce secteur, qui est à ce point singulier que l’on peut se demander s’il existe véritablement un management adapté aux métiers de la cohésion sociale. Dès lors, il est indispensable de se demander s’il est vraiment possible d’emprunter les outils de façon indiscriminée.

S’agissant de l’organisation du travail, notre rapport prend le parti d’aborder le sujet sous l’angle des professionnels et des moyens. Par ailleurs, comme certains d’entre vous l’ont souligné, il est également nécessaire de travailler sur la communication du champ social, mais de manière pertinente. Communiquer sur des diplômes ou des titres professionnels au moment précis où la question du soin disparaît des médias culturels ne sera pas suffisant. De la même manière, cette communication doit être réaliste sur les réalités du quotidien des métiers, notamment auprès des personnes âgées, à une époque où les populations sont de moins en moins socialisées. En résumé, bien au-delà des diplômes, cette communication doit porter sur les enjeux du soin et de la présence. En outre, aujourd’hui, il n’existe pas de discours politique clair sur la question de la prise de soin des autres.

Mais l’attractivité ne se décrète pas par la communication, le bouche à oreille est également essentiel. Or il est évident qu’aujourd’hui, les travailleuses et les travailleurs souffrent sur le terrain. Ces professionnels souffrent de ne pas pouvoir déployer leur savoir‑faire. Ils en souffrent également dans leur vie personnelle. Tant que ce problème ne sera pas réglé, l’attractivité demeurera faible.

Ensuite, vous êtes également revenu sur la question de la médiation sociale. Il existe certes treize diplômes et certifications professionnels, mais de nombreux professionnels sont également arrivés dans ces métiers par le champ universitaire. En résumé, la formation doit être élargie au-delà des certifications profitables, pour prendre en compte les professionnels sur le terrain. Cet élément pourrait peut-être constituer un enjeu de votre activité législative, notamment votre proposition de loi sur le bien‑vieillir. Il importe ainsi d’harmoniser les compétences, pour envisager les titres universitaires et les titres professionnels avec la même exigence.

Enfin, je me dois d’évoquer la question de la fracture numérique, la digitalisation du travail social. Ces métiers ont l’habitude de rendre compte de ce qu’ils font par l’oralité, en collectif, ou par l’écrit, de la main des professionnels eux-mêmes. Malheureusement, la digitalisation se construit par des formulaires de plus en plus préconçus et se traduit par ces fameuses cases à remplir. Ici aussi, la question de l’autonomie est cruciale.

Ensuite, la digitalisation a entraîné ces professionnels, non plus à accompagner les personnes à reprendre la main sur leurs droits et les prestations, mais plutôt à pallier le manque de techniciens des prestations sociales. Ce faisant, ils sont fréquemment confrontés à des phénomènes de violence de la part de publics éprouvant eux-mêmes un sentiment de relégation. Au cours de notre saisine, nous nous sommes rendu compte que dans le champ du travail social, des personnes meurent ou sont agressées. Malheureusement, il n’existe pas de parole publique sur le sujet, ou trop peu.

Cette parole publique est pourtant nécessaire pour reconnaître à la fois l’engagement des professionnels et la violence dont ils peuvent faire l’objet, et tout particulièrement les femmes. De fait, la violence dirigée à l’encontre des femmes est bien plus communément admise : souvent, ces femmes se retrouvent dans des situations plus vulnérables, car il s’agit de travailleuses isolées. Il faut prendre soin de ces femmes qui nous permettent en fait de maintenir les liens sociaux.

En conclusion, je vous souhaite de mener de bons travaux et demeure à votre disposition pour poursuivre ces échanges de façon plus précise, sur différents éléments.

Mme Sophie Thiéry. Je rappelle que ce rapport a été voté à l’unanimité au sein du Cese, qui réunit différents représentants de la société civile. Il traite en son cœur de la question du travail. J’ajoute à ce sujet que j’ai eu la chance de piloter récemment les Assises du travail, qui ont rendu au ministre le rapport « Reconsidérer le travail ». Le sens du travail consiste ainsi à permettre à chacun de pouvoir bien effectuer son travail et d’être reconnu à ce titre. Une directrice de centre social nous a également indiqué que son travail est absorbé par des procédures financières et administratives en très forte augmentation, notamment pour rechercher des financements et qu’elle ne peut se consacrer comme elle le souhaiterait et le devrait à l’encadrement et l’accompagnement. De la même manière, les éducateurs expriment leur ras-le-bol vis-à-vis de la « paperasse » qu’ils doivent remplir.

Ensuite, si les risques psychosociaux sont aujourd’hui plus mentionnés, la pénibilité physique est également éprouvée souvent par ces professionnels, victimes d’une organisation du travail et de cadences déraisonnables, au détriment des publics qu’ils sont censés aider. Par exemple, les personnes chargées de la restauration, mais qui participent en réalité aux soins quotidiens n’ont pas bénéficié de la prime de 183 euros et la cohésion des équipes s’en trouve bien souvent affectée.

Ces exemples montrent bien que les modalités de financement entraînent en réalité des répercussions très directes dans la vie des salariés, des bénéficiaires, des résidents et des personnes vulnérables. Dès lors, l’évaluation doit d’abord associer les travailleurs et leur permettre de témoigner de ce qu’ils vivent : l’amendement de l’évaluation est indispensable pour pouvoir sauver ce secteur, qui est indispensable à la vie de la nation.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je vous remercie pour la qualité de vos travaux et le temps que vous avez consacré à les partager et nourrir la réflexion des parlementaires. Nous avons déjà commencé à nous en saisir et nous continuerons à le faire.

 

La réunion s’achève à douze heures vingt.


Information relative à la commission

 

La commission a désigné M. Patrick Vignal, rapporteur de la proposition de loi visant à reconnaître les métiers de la médiation sociale (n° 1208).

 


Présences en réunion

Présents.  M. Éric Alauzet, Mme Farida Amrani, M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, M. Élie Califer, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, M. Arthur Delaporte, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, M. Philippe Frei, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, M. Jérôme Guedj, Mme Servane Hugues, Mme Monique Iborra, Mme Caroline Janvier, M. Philippe Juvin, Mme Christine Le Nabour, M. Laurent Leclercq, Mme Katiana Levavasseur, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, M. Freddy Sertin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Patrick Vignal, M. Alexandre Vincendet

Excusés.  Mme Clémentine Autain, Mme Caroline Fiat, Mme Justine Gruet, Mme Sandrine Josso, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Olivier Serva, M. Stéphane Viry