Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
–– Audition conjointe, ouverte à la presse, de M. Alex Berger, président de TOP (The originals productions) (producteur du Bureau des légendes), de M. Nathanaël Karmitz, président du directoire du groupe mk2 et de M. Pierre Bellanger, président du groupe Skyrock (propriétaire de SkyrockPLM), sur l’apport de la culture à l’esprit de défense.
–– Nomination d’un rapporteur sur la proposition de résolution n°2326 tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la politique française d’expérimentation nucléaire en Polynésie française.
Mercredi
27 mars 2024
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 51
session ordinaire de 2023-2024
Présidence
de M. Loïc Kervran,
Vice-président
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La séance est ouverte à neuf heures.
M. le président Loïc Kervran. Messieurs, chers invités, chers collègues, je voudrais tout d'abord vous demander de bien vouloir excuser le président Thomas Gassilloud, qui vient de partir en Ukraine avec une délégation conduite par la présidente de l'Assemblée nationale. C’est l'occasion bien sûr pour moi de rappeler notre soutien au peuple ukrainien face à l'agression de l’armée russe et notre volonté claire et ferme de faire en sorte que le régime russe ne gagne pas cette guerre.
Par ailleurs, avant de vous présenter nos invités, je vais proposer à vos suffrages la nomination d'un rapporteur pour la proposition de résolution n° 2326 qui a été déposée par le groupe GDR, tendant à la création d'une commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, à l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du centre d'expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation.
En accord avec le Groupe GDR, il est proposé à vos suffrages un rapporteur issu de la majorité, en la personne de Monsieur Didier Le Gac, qui revient dans notre commission et qui aura pour tâche principale d'examiner si les conditions requises pour la création de cette commission d'enquête sont réunies.
S'il n'y a pas d'opposition à cette nomination, il en est donc ainsi décidé. Je vous remercie.
Nous continuons maintenant notre ordre du jour pour revenir à notre cycle d'auditions consacré à la défense globale, avec comme thématique principale de cette première audition de la matinée l'apport de la culture et de la création à l'esprit de défense.
Je rappelle qu'une mission d'information de la commission est en cours, rapportée par nos collègues Christophe Blanchet et Martine Étienne, qui approfondira spécifiquement cette problématique en l'élargissant au rôle de l'éducation.
On entend souvent cette citation attribuée à Churchill, à qui l'on aurait demandé de couper les budgets culturels pour financer la guerre et qui aurait répondu : « Si ce n'est pour la culture, pourquoi nous battons-nous alors ? » Je ne garantis pas la véracité de cette citation, mais sa popularité dit quelque chose d'important, qui parle à chacun de nous.
On ne se bat pas pour rien, on se bat pour ce qui nous unit, pour les valeurs que l'on partage, pour la cohésion que permet une culture partagée, mais en retour, la création, l'art, la culture donnent du sens aux soldats qui guerroient, aux peuples qui résistent, à la nation qui se bat.
Alors que l'accroissement des menaces et le retour de la guerre en Europe exigent, de notre part, de renouer avec un esprit de défense largement partagé, il est important de se pencher sur la façon dont défense et culture se nourrissent l'une l'autre. L'objet de cette audition est d'essayer de mieux comprendre les liens qui se tissent entre ces deux univers.
Si nous avons choisi de recevoir des personnalités du monde culturel, extérieures au ministère des armées, j'attire l'attention des commissaires sur le fait que le ministère des armées est déjà, à lui seul, le deuxième acteur culturel de l'État, avec ses musées, son établissement de production audiovisuelle, son service historique, ses archives, mais aussi ses activités de publication, de production ou ses peintres aux armées.
Rappelons aussi qu'il existe une mission cinéma et industrie créative, dont le rôle est d'accompagner des scénaristes et réalisateurs dans des projets en lien avec le monde de la défense, et je cite enfin le prix de bande dessinée « Les galons de la BD », qui récompense chaque année à un album traitant du fait militaire, des conflits armés ou des enjeux de défense.
Pour évoquer ces enjeux, nous avons donc le plaisir de recevoir trois personnalités au parcours différent ce matin.
Alex Berger, vous êtes président de The Originals Productions (TOP), une société de production indépendante que vous avez créée avec Éric Rochant en 2008. Vous avez notamment produit la série à succès Le bureau des légendes, qui a été un énorme succès en France et dans le monde, qui a permis de faire connaître davantage au grand public les coulisses de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et ses agents. Vous y êtes d'ailleurs encore présent car, pour avoir passé pas mal de temps dans les couloirs de la DGSE, je me rappelle que sont affichées de nombreuses photos tirées du Bureau des légendes. Nous avons hâte de vous entendre sur les raisons que vous donnez à ce succès, et de manière plus générale sur le rôle de la fiction, de la production audiovisuelle dans la défense nationale.
Nous accueillons également M. Nathanaël Karmitz, dont le patronyme est associé à la défense de l'exception culturelle française. Depuis 2005, vous occupez les fonctions de président du directoire du groupe MK2, que vous codirigez avec votre frère Elisha. Vous nous direz la façon dont vous envisagez la contribution des industries créatives à un esprit de défense vivace.
Enfin, nous avons le plaisir d'accueillir M. Pierre Bellanger, président du groupe Skyrock. Depuis 2019, en partenariat avec le ministère des armées, le groupe Skyrock a lancé Skyrock PLM, soit Skyrock pour les militaires. Vous nous expliquerez comment a surgi l'idée de créer cette radio, les objectifs qu'elle poursuit, son audience et les formats qu'elle développe. Vous pourrez revenir notamment sur les vidéocapsules relayées chaque matin par Skyrock PLM, qui valorisent l'esprit de défense en moins de trois minutes.
Sans plus attendre, je cède la parole à nos invités et tout d'abord à M. Alex Berger.
M. Alex Berger, président de TOP (The Originals Productions). C'est un honneur pour un simple saltimbanque comme moi d'être présent ici face à vous ce matin. Et je vous remercie de m'accorder ces quelques minutes pour m'adonner à mon activité principale, c'est-à-dire raconter. Cette fierté est d’autant plus grande pour moi de m'exprimer aujourd'hui devant cette commission que je suis né aux États-Unis, ai émigré en France à l'âge de dix ans et ai choisi ce pays pour vivre, pour fonder ma famille et travailler. Je vous demande donc de faire preuve d'un peu d'indulgence, car je fais encore quelques fautes de français et de liaison.
Si j'ai grandi en France avec une mère française, j'ai néanmoins toujours gardé un grand intérêt pour mon pays natal et celui de mon père, les États-Unis, notamment pour sa capacité à rayonner dans le monde. Que ce soit par la culture cinématographique, audiovisuelle, musicale, les jeux électroniques, les nouvelles technologies, la communication et beaucoup d'autres domaines, cet esprit pionnier s'accompagne d'un écosystème incroyable et formidable.
Pourquoi, de Casablanca à Star Wars jusqu'à Top Gun ou ChatGPT, Tesla ou d'autres, ces produits entrent-ils dans notre culture populaire ? Pourquoi Netflix et Amazon Prime, ces plateformes américaines, sont-elles les plus utilisées en France ? La source de cette quasi-hégémonie culturelle et technologique se trouve dans leur manière de procéder. Les Américains inventent un nouveau produit ou un service et en même temps déploient, appliquent un processus pour les financer, les développer, les fabriquer, les médiatiser pour devenir, si possible, un standard mondial. Dès le départ, ils doivent convaincre toutes les parties concernées. C'est du storytelling.
Convaincre et donc raconter une histoire pour plein de publics différents. Leurs produits deviennent des histoires, puis des marques qu'ils gèrent du début jusqu'au dernier mètre et partout sur la planète en même temps. Rien n'est laissé au hasard.
En France, nous avons des talents extraordinaires. Nous sommes très forts pour inventer, pour créer, mais malheureusement moins pour poser le cadre d'un processus clair, transparent, pour créer un écosystème en soutien de notre exception culturelle et gérer les personnes et les idées du début jusqu'au dernier mètre.
Nous ne sommes pas très bons sur ce dernier mètre ! Je suis concepteur et producteur audiovisuel depuis plus de quarante ans. Mon métier est de raconter des histoires, de les fabriquer, de les vendre, de les faire rayonner, de faire en sorte qu'elles trouvent leur public et deviennent des marques à engagement émotionnel. Le Bureau des Légendes est une série de cinq saisons de dix épisodes, créée par Éric Rochant dans un ton, un style et un rythme assez singuliers, à la fois réalistes et plausibles.
Jamais le milieu du renseignement n'avait été raconté d'une telle manière, si éloigné des modèles anglo-saxons d'ordinaire tant fantasmés.
Éric Rochant extrait le romanesque d'une histoire, d'un environnement spécifique et tendu, de gens ordinaires qui font un métier extraordinaire pour sanctuariser notre patrie et notre démocratie. Il a réussi à conceptualiser ce qu'était une série avec une équation assez simple. Une série, c'est une idée, un cœur concept, un environnement et des personnages. Les personnages font une OPA sur l'environnement, le cœur concept et l'idée.
C'est la raison pour laquelle les gens s'approprient une série, les personnages. Ce qui est important pour nous, c'est l'envie de faire suivre des personnages, donc une histoire. Cette création d'endorphine, la raison pour laquelle j'ai plaisir à regarder, est quelque chose d'important et complexe. Il faut pouvoir retrouver ces personnages dans un cadre et retrouver cet engagement du public. C'est mon métier.
Nous avons été très inspirés par les Américains, non pas pour la création, mais pour implanter une nouvelle façon de faire.
Pour donner vie au Bureau des Légendes, nous avons dû inventer un processus inédit en France, challenger le système habituel, prendre des risques, revoir les rôles et responsabilités, inventer de nouveaux métiers, revoir le rythme de la production, financer autrement et surtout marketer autrement. Nous avons introduit en France le statut du showrunner, créateur et producteur artistique d'une série, mis l'écriture au centre, et organisé la récurrence annuelle afin que les spectateurs puissent, tous les ans, retrouver des personnages auxquels ils étaient attachés et ce, dans un environnement de plus en plus compétitif avec de plus en plus de choses à regarder et moins en moins de temps pour choisir.
Nous avons changé la manière de faire en France. Après avoir contacté la délégation à l’information et à la communication de la Défense (DICOD) et rencontré la DGSE, nous avons mis en place un protocole afin de travailler en toute intelligence, dans le respect du métier de chacun, et d’être crédibles dans la fiction que nous produisons. Le processus de collaboration avec la Défense était simple. En échange de l'utilisation du logo de la DGSE, cette dernière pouvait lire les scripts finalisés avant le tournage et nous indiquer ce qui était plausible ou non plausible. C'était notre protocole.
Nous savions très bien que la DGSE ne pouvait nous donner aucune information, donc nous n’avons pas posé de questions. Nous leur demandions simplement si c’était plausible ou pas. Si ce n'était pas plausible, nous allions inventer quelque chose d'autre.
Une fois que le sérieux de notre démarche a été prouvé, une fois que le succès des premières saisons a été atteint, nous avons contribué, avec le ministère de la défense, à une mission cinéma. Jean-Yves Le Drian, à l'époque, nous avait dit qu'il n'y avait pas de soft power, que tout était hard power.
Le ministère des armées et l'État n'ont pas les mêmes objectifs que nous, les producteurs. Notre mission première à nous, c'est d'intéresser et de divertir. Que ce soit avec Le Bureau des Légendes ou pour tout autre projet, la liberté dont nous jouissons pour créer est essentielle et fondamentale. La coopération encadrée avec un service qui ne peut rien nous dire n'a jamais nui à notre liberté artistique ; elle nous a aidé au contraire à comprendre la réalité de leur quotidien et de leurs engagements.
Cette liberté a permis d'avoir comme personnage principal, notre héros, un traître au sein d'un service, un traître qui, par amour, va chercher pendant beaucoup d'heures sa rédemption. Nous avons appris plus tard que Le Bureau des Légendes, avec son succès inégalé sur Canal+, a permis une très forte augmentation du recrutement qualifié à la DGSE et dans d'autres services de renseignement. Ce n'était pas notre but, davantage celui de la DGSE. Pour notre part, nous voulions vraiment faire la meilleure série possible dans un domaine complexe.
Nos personnages – Marina, Marie-Jeanne, Malotru, Duflot, Jonas, Sisteron – inspirent encore des jeunes gens à s'engager et montrent au monde entier l'importance et les complexités du renseignement pour protéger la France. Leurs engagements font écho à l'engagement émotionnel de millions de spectateurs du monde entier pour notre histoire.
Chez The Originals, notre vision pour les séries était simple : faire aussi bien que les Anglo-Saxons. Nous avons tout en France - les auteurs, les scénaristes, les comédiens, les réalisateurs, les techniciens, les diffuseurs, les distributeurs, les financiers - mais il nous a fallu faire preuve de pédagogie pour expliquer notre nouvelle façon de faire, en interne comme en externe.
En plus de devoir vendre une série d'espionnage, une histoire d'amour et de géopolitique via la focale d'un service de renseignement dans une France à l’époque en guerre contre l'État islamique, nous avons dû réinventer la façon d’aborder ce service de renseignement. C'était complexe, risqué, mais j'avais cette forte ambition avec Éric Rochant pour ce changement.
Nous sommes restés un peu isolés, concentrés dans nos studios de la Cité du cinéma à Saint-Denis, plongés dans notre monde du Bureau des Légendes, alimentés par beaucoup de recherches, beaucoup de gens extrêmement éclairés qui ont pu nous raconter des détails.
En France, on n'aime pas beaucoup le changement. J'avoue que c'était une lutte au quotidien, mais comme l'a dit Maxime Saada, président du groupe Canal+ qui me qualifiait de son producteur le plus compliqué, à la fin, ce qui compte, ce sont les résultats. Nous avons toujours livré et les résultats ont largement dépassé nos prévisions.
Champion de France pour la fiction de l'export dans 120 pays, nous comptons plus de gens qui regardent le Bureau des Légendes à l'étranger qu'en France, malgré les plus de 60 millions de vues sur la plateforme de Canal+. C'est évidemment quelque chose d'important. Le jour où le directeur de la CIA m'a reçu dans son bureau pour m'avouer que Le Bureau des Légendes était sa série préférée et que c'était quelque chose d'important à montrer à ses agents, j’ai vécu un moment absolument incroyable.
Le fait que le New York Times classe Le Bureau des Légendes dans son top 3 des meilleures séries de la décennie m'a fait prendre une encore plus grosse tête. Aujourd'hui, cette marque, cette histoire, cette série continuent de vivre avec le remake, forcément par les Américains de la Paramount, qui commence en juin, produit par George Clooney, entre autres, et la suite française que nous sommes en train d'écrire pendant que je vous parle.
Parmi les plus beaux moments pour moi, c'est lorsque notre comédien Jules Sagot a indiqué que, grâce à cette série, il avait compris ce qu’était le patriotisme face à 300 agents de la DGSE qui ont fait une standing ovation, ou lorsqu'un jeune homme a décidé de passer le concours de la DGSE après avoir vu la première saison. Il est actuellement en poste à la DGSE et il est venu me remercier, tout comme des dizaines et des dizaines d'agents qui m'ont remercié pour avoir facilité l'explication de leur vie et de leur métier à des gens qui leur étaient proches. C'est le meilleur des compliments que l’on puisse recevoir.
Je tiens à remercier M. Le Drian, en tant que Ministre des Affaires Étrangères et de l'Europe, et M. Gaëtan Bruel, qui ont mis la série à disposition des ambassades, des alliances et des instituts français. Nous sommes allés partager Le Bureau des Légendes, expliquer la géopolitique de la France aux quatre coins du globe. Soft ou hard power, je pense que c'est juste du power.
Je remercie Bernard Bajolet, directeur de la DGSE, pour sa confiance initiale, puis Bernard Émié et aujourd'hui Nicolas Lerner de continuer à nous considérer. Il y a beaucoup d'histoires à raconter et nous savons à chaque fois que ce n'est jamais simple.
Cette série a fait jurisprudence. Le Bureau des Légendes a montré que lorsque nous, Français, inventons un contenu spécifique dans un standard international, dans un milieu précis, en l'occurrence militaire, quand on applique le processus adapté et l'accompagnons de bout en bout, alors la France, sa politique, son écosystème de défense et de sécurité peuvent rayonner par le support d'une histoire, d'une fiction, car les êtres humains aiment les histoires.
Le Bureau des Légendes a fait jurisprudence sur la nécessité d'évoluer dans un cadre clair, transparent, telle que la mission cinéma. Ces premiers efforts sont aujourd'hui à concrétiser, car il y a d'autant de besoins que de projets et de producteurs.
Le Ministère des Armées et sa mission cinéma doivent accompagner les producteurs sur leur phase à risque de recherche et de développement, plus en amont, avec plus d'accessibilité, afin de permettre la création des histoires de demain face aux menaces d'aujourd'hui.
Le Ministère des Armées doit coopérer plus étroitement avec les diffuseurs pour promouvoir l'écosystème de la défense nationale par le biais de partenariats, comme celui qui a été mis en place par Atout France avec Netflix pour le tourisme.
Un cadre, un système, des prises de risques, des moyens, des histoires pour raconter des environnements et des contextes complexes sont plus qu'essentiels aujourd'hui dans un contexte géopolitique qui l'est tout autant.
N'oubliez pas le dernier mètre, cette connexion essentielle entre la nation et sa défense, car il est fondamental que ces histoires puissent aider à recruter, à éduquer, à entretenir, à élever et à étendre nos socles de la souveraineté et de la résilience de la France.
M. le président Loïc Kervran. Je vous remercie, Monsieur Berger, pour cette intervention inspirante. Vous nous avez bien décrit la spécificité et l’inventivité de la création française, mais aussi la reprise de certains standards dans le reste du processus américain pour arriver à ce succès. Nous avons bien entendu cette mission première qui est la vôtre d'intéresser et de divertir, mais avec cet impact derrière, que vous avez magnifiquement illustré à travers ces exemples sur ceux qui rejoignent la DGSE ou les proches de ceux qui travaillent dans le renseignement qui ont mieux compris. C'est bien là tout l'intérêt, je crois, des auditions d'aujourd'hui.
Je laisse sans plus tarder la parole à M. Nathanaël Karmitz.
M. Nathanaël Karmitz, président du directoire du groupe MK2. Je suis beaucoup moins préparé que mon camarade, mais je voudrais déjà vous dire de quoi je vais parler. Il peut sembler surprenant à ceux qui nous connaissent ou ceux qui fréquentent nos salles de cinéma à Paris de nous voir ici, au regard de notre histoire politique ou de notre positionnement.
Nous assurons une activité d'exportateurs et de marchands de films. Il faut savoir que cette activité est très importante en France, puisque nous sommes, après les Américains, la deuxième plateforme de circulation des films au monde. Il s’agit évidemment de l'export des films français – nous sommes un producteur important du monde occidental - mais aussi des films du monde entier. À ce titre, nous avons l’occasion de voir à travers le monde la vivacité de la présence culturelle française et surtout de voir comment les pays concurrents, amis ou pas, se comportent sur l'ensemble de ces marchés.
Beaucoup n'envisagent pas la culture comme le seul sujet de raconteurs d'histoires et d’entertainment. C'est une action politique de soft power importante, planifiée, prise en compte et pensée –généralement à long terme- par des politiques et exécutée par des industries. Le meilleur exemple actuel, si l’on veut éviter de parler des Américains, est celui de la Corée. La culture coréenne, de la musique à ses séries et à son cinéma, est aujourd'hui à peu près partout dans nos vies.
Nous pourrions estimer que c'est un grand hasard du talent des Sud-Coréens. Il n'en est rien. C'est planifié à dix ans. C'est une politique industrielle construite autour de quatre groupes qui est partagée par l'ensemble de la chaîne de production, de diffusion, et qui a des traductions dans la loi. Nous pouvons dire que Parasite n'est lié qu'au talent de Bong Joon Ho mais aussi que l’imposition de quotas dans les salles de cinéma en Corée il y a près de quinze ans a donné lieu à une génération entière de cinéastes coréens dont les films ont inondé les festivals internationaux. Quinze ans plus tard, parce que ce sont des métiers lents, émergent de grands talents qui arrivent à conquérir le monde.
Les accords OMC ont freiné ces quotas pour laisser la place au cinéma américain dans les salles. Aujourd'hui, la conséquence est que l’on voit beaucoup moins de cinéma coréen, on voit beaucoup plus de séries, mais beaucoup moins de cinéma, et que le cinéma en tant que tel en Corée est aujourd'hui l’un des secteurs qui peine le plus dans la reprise post-Covid, puisqu'il n'y a plus de films nationaux pour alimenter ce marché.
Nous voyons donc bien un rapport entre des objectifs politiques et la fabrication de la culture, sans intervention directe. Je ne parle pas de propagande, je précise qu'il y a un moment où une politique et une ambition – les Américains le démontrent depuis cent ans – se rejoignent sur ces sujets culturels. Le sujet de la culture s’invite dans les négociations.
Je vous donne un autre exemple très actuel, celui de Taïwan. Taicca, l'institut culturel taïwanais, se montre extrêmement actif à travers le monde. Nous venons de signer des accords avec le CNC français, très volontaires sur l'ensemble des industries immersives, qui rejoignent leurs problématiques industrielles. À chaque fois, le soft power et le hard power se mêlent dans une politique de programmation de ce soft power.
Vous l'avez dit, en France, nous sommes très dotés. La défense et l'armée sont un grand acteur culturel. Nous sommes l'exception culturelle. De nombreux contenus vivent. Les films consacrés à l'armée rencontrent de vrais succès, à l’instar du film Le chant du loup, plébiscité en France et dans le monde. À chaque fois, ce sont des grands succès économiques, publics, qui marquent les imaginaires pendant longtemps, qui créent des effets sur le recrutement et qui créent des effets à l'étranger.
L'autre impact correspond à une grande régression de cette culture française et de la présence de cette culture française à l'étranger. Généralement, on la rapproche du champ de la francophonie plutôt que du champ culturel. Un pays était l’un des premiers territoires d'export pour la France : le Brésil ou l'Amérique du Sud dans son sens large. Nous y trouvons une génération des plus de 50 ans qui parle français et est admirative de la culture française, une génération des moins de 50 ans qui ne sait plus parler français et qui ne connait pas le cinéma français. Par ailleurs, dans le champ culturel, nous nous cachons souvent derrière nos chiffres dans lesquels ont été inclus les films de Luc Besson, par exemple, en ce qui concerne l'export de cinéma français au cours des vingt dernières années, en considérant que tout va bien sans voir cette petite et lente dégringolade des parts de marché du cinéma français à l'international.
Ces sujets se prêtent au débat, mais le débat n’a toujours pas eu lieu. Dans ce contexte, nos débats favorisent toujours la culture pour tous ou la proximité culturelle, mais nous pensons assez peu à cette culture française qui rayonne dans le monde et qui nous est enviée partout.
De nombreuses initiatives ont déjà été lancées, mais nous sentons quand même, parce que c'est aussi une belle tradition française, un beau cloisonnement entre chacune des institutions.
Depuis vingt-cinq ans que j’exerce ce métier, je n'ai jamais eu de rapport avec les bureaux supposés s'occuper de la culture pour la défense, si ce n’est avec quelques députés ou responsables politiques. Ce n'est pas grave en soi, mais si nous voulons conquérir l'esprit des créateurs, il faut casser un peu ces cloisons et se promouvoir à l'intérieur de ces univers.
La culture, et le cinéma en particulier, suscite toujours des questions d'argent, mais pas seulement. Nous pourrions envisager de simples décloisonnements et de simples appels à projets, par exemple une dotation d'une avance sur recettes du CNC dédiée aux projets militaires ou de défense globale, comme il peut y en avoir pour le film de genre. Une telle démarche pourrait même rapporter de l'argent en cas de succès. Il existe de nombreuses solutions qui impliquent ce décloisonnement, cet appel aux créateurs et cette idée que ces choses peuvent être simples.
Encore une fois, mille idées peuvent être véhiculées. Si nous voulons de grands succès populaires, nous pouvons par exemple nous appuyer sur un élément de l’armée que le monde entier nous envie, la Légion étrangère, qui permet de raconter d'autres valeurs que celles dédiées à nos sous-marins ou notre hard power de pur jus. Notre histoire militaire est très peu connue et très peu partagée. Nous arrivons à nous faire voler Napoléon par Ridley Scott et nous pouvons donc essayer de revenir à deux ou trois sujets. Il s’agit vraiment de cette approche globale pour savoir ce que nous attendons de cette culture.
Encore une fois, juste en ouvrant les portes des uns aux autres, à mon avis, tout cela peut changer assez rapidement de nature.
M. le président Loïc Kervran. J’espère que cette audition et le cycle que nous conduisons sur cette idée de défense globale, au sens du général de Gaulle, contribuent aussi au décloisonnement. Il est vrai que notre commission de la défense s’est longtemps beaucoup intéressée aux capacitaires, aux matériels des armées, aux hommes et femmes des armées. Nous essayons, dans ce cycle, d'aller plus loin, de regarder les questions d'éducation, de culture, mais aussi d'agriculture, d'économie, etc. Comme vous l'avez très bien dit, il y a une action politique derrière tout cela.
Je cède la parole désormais à M. Pierre Bellanger.
M. Pierre Bellanger, président du groupe Skyrock. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, c'est un plaisir et un honneur, bien sûr, de se retrouver devant vous pour vous parler de Skyrock PLM.
J’introduis mon propos par quelques mots sur Skyrock. Skyrock, ce sont 3 454 000 auditeurs chaque jour, 38 % de 13-24 ans, 49 % de 25-49 ans et 52 % d'hommes et 48 % de femmes. Skyrock est la première radio de France des 13-24 ans et des 13-34 ans. C'est la première radio privée des 13-64 ans urbains, c’est-à-dire les habitants de Paris et des villes de plus de 100 000 habitants. C’est enfin la première radio musicale des agglos de plus de 20 000 habitants en France. Skyrock est une formidable radio générationnelle et multigénérationnelle. Nous avons 23,6 millions d'abonnés sur les réseaux sociaux, soit plus d’un million de personnes au quotidien, avec 110 millions de vidéos vues par mois.
Nous sommes une radio de culture urbaine. Nous avons décidé, à l'initiative du directeur général des programmes de Skyrock, Laurent Bouneau, de devenir une radio rap en 1996. Le rock ne nous excitait plus et le rap représentait une explosion culturelle absolument gigantesque. Aujourd'hui, le rap est la musique préférée des moins de 50 ans. Il me semble intéressant, pour notre culture à tous, d'évoquer le top album annuel de 2023. Le premier vendeur de disques en France s'appelle Wererenoi, suivi d’Hamza, de Ninho, de Tiakola, de SDM, de Jul, des Enfoirés, de Florent Pagny, de Djadja & Dinaz et enfin de Gazo, à la dixième position.
Sur les 200 premiers albums vendus en France, 110 se consacrent au rap francophone, soit 60 %. Cette culture n'est pas une marginale, c’est la culture de tous, de nos enfants, de toute la nouvelle génération.
Skyrock est issu du mouvement des radios libres de la fin des années 1970. L’entreprise est à la fois militante dans sa nature, républicaine, et en même temps une grande radio privée. Nous sommes, depuis nos origines, présents sur des sujets de société, en considérant que nous pouvons peser. Je cite par exemple « Bouge ton vote », qui incite chacun à aller voter à chaque élection. En 2021, nous avons lancé le Vaxibus, un bus de vaccination et de dédicace à l'antenne, qui a parcouru le pays, en partenariat avec le ministère de la santé..
Nous nous adressons à la nouvelle génération. La nouvelle génération actuelle n'est pas désorientée, elle est multi-orientée, c'est-à-dire que sur les réseaux sociaux, des voix adverses, qui échappent au filtrage algorithmique, ne cessent de proposer des alternatives à la réalité et des engagements dangereux.
Pourquoi Skyrock est-il entré dans ce combat ? Je vais reprendre ce que j'ai expliqué à l'antenne en juillet 2019 aux auditeurs de Skyrock.
Skyrock PLM, Skyrock pour les militaires, part de l'idée que nous aimons le rap, que nous aimons notre radio libre avec Difool tous les soirs. On est libre d'écouter la musique qui nous plaît, on est libre de nous exprimer et cette liberté est garantie par la loi. Mais qui garantit, en dernier ressort et en dernier rempart, notre République et donc cette liberté ? C'est l'armée et chacun de ses soldats, marins et aviateurs, quel que soient leur rang ou leur grade. Quand j'expliquais cela, nous recevrons des milliers de messages témoignant de cette compréhension et de ce goût de l'engagement. C’est de cette manière que nous avons fondé une radio pour les militaires et pour tous.
L'apathie et l'absence d'engagement ou d'implication de la nouvelle génération sont un leurre. Il faut aller chercher dans les cœurs, souvent sous le radar, dans des initiatives personnelles, des associations, là où se manifeste un formidable goût du collectif et de l'entraide. Tous ceux attirés par l'action et l'aventure ne manquent pas de choix sur les réseaux. Pourquoi, dans ce cas, ne pas donner la parole à nos héros ? Pourquoi ne pas montrer ces trajectoires d'excellence, de courage et de solidarité qui fondent les parcours militaires ?
J'ai la chance d'intervenir régulièrement au CHEM, au Centre des hautes études militaires, de faire des conférences au ministère des armées au sujets des réseaux, de l'Internet ainsi que sur la souveraineté numérique. Je défends cette prise de conscience sur la souveraineté numérique depuis trente ans. Il faut savoir que nos activités radiophoniques ne sont qu'une partie de nos activités. Nous sommes connus dans le monde entier pour notre messagerie sécurisée Skred, première messagerie mondiale d'origine européenne, avec 17 millions de comptes installés dans le monde, un nouveau compte toutes les vingt secondes. Grâce à mes publications sur la souveraineté numérique, j'ai eu l'occasion de rencontrer le monde militaire, à l'initiative à l'époque du général Bruno Maurice.
Les militaires, que je ne connaissais pas, m'ont fasciné, m'ont enchanté, m'ont stimulé par leur ouverture d'esprit, leur intelligence et leur lucidité créative. J’ai eu l’idée de les rapprocher à ma manière de la nouvelle génération qui est la nôtre, celle de nos enfants, nouvelle génération si extraordinaire, pour leur faire partager tout à la fois la musique urbaine et l’esprit de défense. Un grand militaire me disait : « Vos auditeurs sont nos soldats et nos soldats sont vos auditeurs ».
Voilà donc que la musique urbaine devient la bande-son de l'écosystème militaire et, plus largement encore, le témoin vivant du lien armée-nation.
Il était incroyable pour l'armée de se retrouver avec Skyrock. Skyrock est un Velcro à préjugés. Tous les préjugés s’agrippent à nous. Mais n’est-ce pas le cas également de l'armée ? Nous avons donc bien fait de nous rencontrer. Je veux ici remercier l'amiral Bernard Rogel, l'amiral Pierre Vandier, l'amiral Jean Casabianca, le général François Lecointre, le général Grégoire de Saint-Quentin et, bien entendu, Martin Briens et la ministre Florence Parly, parce que sans eux, cette radio n'existerait pas. Ils ont eu le courage de réfléchir, de permettre et d’aider en se posant des questions hors du champ traditionnel : « Que pouvons-nous faire avec cette radio rap ? Ne pouvons-nous pas créer un hybride absolument extraordinaire ? »
Nous avons tissé le lien entre le public et les exploits quotidiens de notre armée dans le monde, de Besançon en Jordanie, de la Roumanie aux Pays baltes, de l'Australie à la Terre Adélie, en passant par la mission Sentinelle, par la cyberdéfense qui déjoue des milliers d'attaques quotidiennes, jusqu'à la technologie de pointe de nos satellites d'observation.
L'armée française est partout présente, composée de talents, source de dévouements, d’un accomplissement incroyable au service de la mission et donc au service de tous. Tout cela nous élève. Nous sommes tous, et la nouvelle génération en particulier, à la recherche d’un plus grand que nous à vivre ensemble. L'armée le propose et il fallait montrer ce chemin.
Les auditeurs de Skyrock PLM écoutent les infos Mili le matin de 6 heures à 9 heures, toutes les trente minutes avec M’rik et Antoine, tandis que nous faisons le soir des dédicaces avec Léa de 18 à 21 heures, qui montrent la vie des unités et contribue au soutien moral. L’émission de Léa, c’est plus de 4 500 dédicaces par an, soit de militaires entre eux, soit de familles ou de civils qui expriment leur soutien. Nous sommes également partenaires de l'événement « Avec nos blessés ». Nous nous mobilisons pour le don du sang tandis que des reportages font vivre à l'antenne tout ce qui est important dans l'univers des armées et qui peut être partagé avec le public.
Skyrock PLM est unique. Vous n'avez aucune initiative dans le monde qui y ressemble. C'est une radio civile, l’une des premières radios privées nationales qui, en partenariat avec le ministère des armées, réalise depuis cinq ans une première mondiale et rencontre un formidable succès.
La radio n'est actuellement disponible que sur les mobiles. C'est donc une radio IP. Nous avons tous un mobile, ce qui signifie qu'elle est audible sur tous les mobiles dans le monde entier. La radio a généré 1 270 000 sessions d'écoute, tous supports confondus, en février 2024. En 2023, Skyrock PLM a permis plus de 15 millions de sessions d'écoute et près de 900 000 heures d'écoute de ses programmes.
Skyrock PLM, en 2023, se classe généralement parmi les 40 premières radios du classement des 500 premières radios numériques les plus écoutées en France. Cela correspond chaque mois à 75 000 heures d'écoute cumulées. Pour une radio thématique, c'est absolument magnifique. Notre sondage auprès du public a révélé que les moins de 18 ans constituaient 28 % de l'audience ; les 18-34 ans, 41 % ; les 34 ans et plus, 31 %. L’audience se partage entre un auditoire masculin à 59 % et féminin à 41 %.
Au sein de notre public 11 % des auditeurs sont en relation, familialement ou professionnellement, avec le système militaire ; 41 % sont intéressés par l'univers de la défense et 48 % par le programme musical.
Proposer une radio implique un financement lourd. Nous avons eu la chance de faire un partenariat, avant même que la station soit lancée, avec Uneo, la mutuelle des forces armées, qui nous a accompagnés dès le départ. Uneo a été suivie par la Banque française mutualiste et la Carac, la principale caisse de prévoyance. Nous avons été rejoints par la caisse militaire de sécurité sociale (CMSS) récemment.
Les ministres des armées, chacun des chefs d'état-major, le directeur général de la gendarmerie nationale s'expriment et ont donné de longs entretiens à Skyrock PLM, réalisant des performances exceptionnelles. Le chef d'état-major des armées, le général Thierry Burkhard nous a accordé un entretien vidéo de 45 minutes. La vidéo a généré 205 000 vues. Celle du chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill a suscité 102 000 vues sur YouTube et 60 000 sur TikTok. C'est l’un des meilleurs scores. Je peux également citer le général Marc Conruyt, le DRH de l'armée de terre, ou le général Louis-Mathieu Gaspari en charge de la réserve militaire. Ce sont aussi bien sûr nos stars, Thomas Gassilloud et Patricia Mirallès, qui sont également intervenus sur notre antenne. C'est aussi la présentation de chacun des métiers, à l’instar des électriciens. Je me souviens de l’amiral Jean Casabianca qui m’avait fait l’éloge des électriciens de sous-marins. Les cuisiniers, les ingénieurs, les forces spéciales se sont exprimés à l'antenne.
Depuis deux ans, nous produisons « La Capsule », une séquence vidéo de deux minutes, réalisée avec l'Emacom, qui résume l'actualité militaire de la veille. Elle fidélise quelques milliers de vues tous les jours, en progression constante. Il s’agit du journal quotidien des armées en vidéo, accessible à tous sur les réseaux.
L’alliance inattendue entre une des radios les plus innovantes de la bande FM et l'administration militaire dans sa créativité, est une formidable réussite. Nous devons ici remercier la Dicod, qui réalise avec nous un travail extraordinaire, les Sirpa et l'Emacom avec lequel nous développons une relation organique, notamment sur les images.
Notre radio Skyrock PLM est désormais considérée comme un atout pour la francophonie et l'image de la France en Afrique. L'État-major lui-même a proposé l'implantation de Skyrock PLM dans nos bases en Afrique de l'Ouest ou à Djibouti.
L'armée recrute 26 000 personnes par an. C'est un ascenseur social, un intégrateur égalitaire qui veille à sa diversité et à sa mixité. Nous sommes au cœur de ce processus de recrutement. L'équipe de Skyrock s'est engagée tout entière dans cette aventure singulière. Au moment où nous avons une guerre en Ukraine, nous nous sommes tous rendu compte que la cohésion de la population avec son armée représentait l’une des clés de la résilience, de la résistance, du combat et de la force. C'est un travail de longue haleine, qui ne se décide pas la veille pour le lendemain.
Nous contribuons très fortement à ce travail positif par l’écho donné à la réserve nationale. Tout cela, c’est la confiance dans la nouvelle génération, la confiance que nous a accordée l'armée, une confiance réciproque qui nous donne à tous une extraordinaire force.
Je vous remercie.
M. le président Loïc Kervran. Je suis sûr que vos 23 millions d'abonnés sur les réseaux ont fait quelques jaloux ici !
Je veux vous remercier pour ce vibrant hommage aux hommes et aux femmes du ministère des armées qui garantissent in fine notre liberté. J'ai trouvé votre intervention très émouvante, avec cette volonté de montrer le chemin du plus grand que nous.
Je passe la parole aux orateurs de groupes.
M. Benoît Bordat (RE). L'apport de la culture à l'esprit de défense revêt une importance particulière dans le contexte actuel où la diffusion des valeurs et des enjeux de défense nécessite des approches innovantes et adaptées à notre société contemporaine et aussi, vous l'avez dit, à la nouvelle génération. Ainsi, les émissions de radio, films contribuent à leur manière à la résilience de la nation.
Je ne reviendrai pas sur ce que vous avez évoqué sur la série télévisée emblématique Le Bureau des Légendes, mais rappeler quelques chiffres. En 2017, soit deux ans après la première saison, 1 100 personnes se sont inscrites au concours d'attaché à la DGSE, un bond de 60 % par rapport à 2016. Comme quoi, une série peut vraiment susciter des évocations. Je parle également de la radio Skyrock qui s'est hissée au top avec près de 1,5 million de sessions d'écoute active par mois, montrant ainsi le vaste potentiel que peut avoir la radiophonie dans le renforcement et le soutien moral aux troupes militaires.
Le ministre de la défense avait annoncé la création d'une mission cinéma. Depuis 2019, elle poursuit l'objectif de générer les conditions d'un dialogue ouvert et constructif avec les professionnels du cinéma, de l'audiovisuel, des jeux vidéo et de la bande dessinée. La culture revêt une dimension stratégique en tant qu'outil de soft power. Je pense à la Chine, grande puissance militaire, qui a massivement investi dans le cinéma pour promouvoir son influence, avec par exemple la sortie en 2021 d'un film célébrant le centième anniversaire du parti communiste chinois. Face à ce qu'on pourrait appeler une vraie compétition, la France doit renforcer ses propres initiatives culturelles.
Qu'attendez-vous de nous en conséquence en termes de soutien et d'accompagnement ? J'aurais aimé que l’on puisse détailler les travaux à poursuivre. En tant que parlementaires, que pouvons-nous faire pour vous aider, au-delà de contribuer à un film sur le Parlement et la commission de la défense ?
M. Alex Berger. Je vais encore regarder vers l'ouest pour vous expliquer que le département de la défense américain a mis en place, il y a plus de cent ans, des équipes gigantesques au service d'Hollywood. Comment peut-on étendre un message ? Répondre à votre question, c’est revenir à la meilleure manière d'expliquer, d'aller très en amont.
Aujourd'hui, ce rapprochement entre la nation et la défense existe. Il a besoin d'être renforcé. Les idées émises par Nathanaël au sujet du CNC, c'est-à-dire que les histoires racontées prennent du temps et demandent des moyens. C’est un risque, mais un risque mesuré, avec un retour sur investissement qui est dans la nature même de ce que nous faisons.
Lorsque le département américain de la défense met à disposition un porte-avions et des avions, les moyens apparaissent gigantesques, presque disproportionnés, mais intégrés dans le storytelling de ce que sont les budgets militaires. Tout doit être intégré dans le rayonnement décidé par le département d'État et le Congrès, etc.
En France, nous avons cette liberté de faire. L’idée, pour nous, est de savoir comment remonter un petit peu plus dans la chaîne de valeur, comment commencer à expliquer des choses qui ne sont pas simples. Expliquer la géopolitique de la France à travers un service de renseignement s’avère difficile. Néanmoins, si on a une bonne histoire et de bons personnages, on trouve un angle. Faire cela nécessite de mener la réflexion beaucoup plus en amont, notamment chez les militaires. Il s’agit aussi d'apprendre ce qu’est la communication, à l’inverse de ce que connaît le monde militaire depuis des décennies, c'est-à-dire on ne parle pas. La grande muette ! Il va falloir changer un peu les choses.
J'en profite, puisque je parle avec des gens qui ne parlent pas. Je leur dis qu’ils n’auraient jamais donné leur accord si nous étions venus les voir en expliquant que Malotru est un traître et qu’il est malgré tout notre héros. Il s’avère donc nécessaire de s'acculturer et de se rapprocher d'une certaine manière.
Législativement, je ne sais pas comment cela se traduit, mais ce qui me semble important, c'est d'obliger un monde à parler à un autre monde, d'utiliser le monde de la culture et le monde des médias un peu plus automatiquement et d’amplifier ce que nous voulons faire.
M. le président Loïc Kervran. Monsieur Karmitz, peut-être voulez-vous compléter. Vous avez déjà évoqué l’avance sur recettes dans votre propos liminaire.
M. Nathanaël Karmitz. Il existe deux axes. Je ne sais pas non plus comment cela peut se traduire d'un point de vue législatif. Déjà, il faut faire de la politique, se donner des objectifs et savoir de quoi on veut parler, puisque c'est aussi souvent ce qui manque dans ces sujets culturels ou stratégiques. On a du mal à exprimer une politique ou un objectif à long terme. Quand je vous dis que la Corée pense à dix ans, elle mobilise l'ensemble de son industrie, de ses ambassades et de ses représentants à travers le monde. Aujourd'hui, notre concurrence est celle de gens qui planifient longtemps à l'avance, selon une stratégie qui suscite un accord commun.
Mon premier point consiste donc à insister sur la nécessité de tout planifier. Il ne s’agit pas d'ordonner, mais c'est de planifier et d'avoir des objectifs. Il nous faut aussi savoir de quoi nous parlons : soft power, culture, cinéma. Quand nous parlons de culture, nous mélangeons les séries, le cinéma, les jeux vidéo, la bande dessinée, la musique, mas ce ne sont pas les mêmes objectifs. J'ai un fils de dix ans et lorsque nous évoquons ensemble les attentats terroristes déjoués, je suis très content que la série existe, parce qu’elle montre que nos services secrets sont efficaces. Je suis rassuré. Lorsque je regarde Le chant du loup, je comprends que notre marine est tout aussi efficace.
En second lieu, en France, le sujet des moyens est rapidement abordé, mais on peut trouver des idées simples. Une avance sur recettes peut être vue comme un fonds d’investissement. Par rapport à nos camarades américains, un peu nous aide déjà à faire beaucoup. Nous arrivons à maximiser, à transformer un euro en beaucoup d'euros ayant un impact durable. Il s’agit donc d’investir intelligemment un peu d’argent. À titre d’exemple, un bureau du CNC pourrait se consacrer au soutien annuel de quatre ou cinq projets, selon une ligne claire. Les projets ne seront pas très bons au début, meilleurs ensuite et excellents dans une dizaine d’années, avec peut-être une Palme d’or en guise récompense.
M. Pierre Bellanger. La communication des armées, telle que nous la vivons, est avant tout verticale, de l'armée vers le public. Nous sommes une partie horizontale. La communication militaire est très bien faite. Nous constatons son efficacité, nous voyons le retour de nos internautes et du public. La France n'a aucune leçon à recevoir en matière de communication de son armée. C'est magnifiquement fait.
Peut-elle être amplifiée ? Certainement, mais les fondamentaux sont très forts.
Le point important qu'il faut évoquer, c'est que nos générations ici présente dans cette salle ont vécu en paix. Un adolescent aujourd’hui âgé de 17 ans a pour sa part passé 12 % de sa vie avec la guerre en Ukraine. Si je prends un âge de raison à partir de 7 ans, ce sont 24 % de sa vie soumis chaque jour aux informations relatives au conflit ukrainien. La nouvelle génération est ainsi différente de la nôtre. C'est une génération qui grandit avec le conflit, sur les réseaux sociaux, dans son environnement et dans son questionnement. Par ailleurs nous avons grandi aussi avec des couloirs de nage médiatiques consensuels, les opinions extrêmes, il fallait vraiment les chercher. Aujourd’hui, ce sont les opinions extrêmes étaient difficilement accessibles. Aujourd’hui sur les réseaux, c’est l’inverse, la raison est en queue de classement.
Skyrock PLM est le canal depuis des années de l'esprit de défense, du lien armée-nation. Cet engagement prend soudain une réalité proche et immédiate avec les conflits actuels. Nous devons vivre avec cet état d'esprit et nous adresser à un public qui grandit dans cette conflictualité. La communication doit prendre en compte cet aspect. L'armée procède à un recrutement permanent et ce recrutement va probablement intégrer cette conflictualité.
Que pouvons-nous faire de mieux ? Je vous donne deux exemples pour Skyrock PLM. D’abord, l’état-major a exprimé son souhait de faire émettre notre radio dans ses bases africaines. J’en profite pour dire un mot sur l'armée française, qui est une armée d'un légalisme extraordinaire. Nous pensions émettre à partir de la base de Gao à l'époque. Lors de nos discussions, un militaire nous a demandé si la question des droits de la SACEM était réglée. Cette question montre que l’armée française est impeccable dans son respect du droit. Les valeurs qu'elle défend sont les nôtres. Vous retrouvez cette cohésion sur l'antenne.
La démarche n’a finalement pas abouti en Afrique, pour de nombreuses raisons. Nous avons été candidats à une fréquence DAB (Digital Audio Broadcasting) nationale, mise à disposition par l’Arcom, mais ne l’avons pas obtenue. Nous estimons que nous aurions pu l’avoir et nous avons intenté un recours auprès du Conseil d’État.
Je cite quand même un projet positif. Il se trouve que l'armée française est présente dans toutes les parties du monde. C'est l'armée pour laquelle le soleil ne se couche jamais. Eh bien, nous avons comme objectif, lorsque le soleil se couche à Paris, d'avoir un studio à Papeete susceptible de prendre le relais. Il fera toujours jour sur Skyrock PLM. Ce projet concerne Papeete, mais aussi Nouméa. Notre objectif est de créer d’une radio véritablement mondiale, diffusée sur le réseau, en nous appuyant sur différents points d’émission autour de la planète.
Au final, la communication peut être aidée, amplifiée, maximisée, mais les fondamentaux sont tellement positifs qu'il ne faut que peu de nouvelles ressources pour aller beaucoup plus loin.
Mme Gisèle Lelouis (RN). Avec le Groupe Rassemblement national, nous sommes très heureux de vous auditionner aujourd'hui sur l'apport de la culture à l'esprit de défense. Je vous remercie pour les éléments apportés à notre connaissance.
En tant que députée de Marseille, je peux témoigner que ma ville, la plus ancienne de France, version méditerranéenne, profite de riches cultures et d’une histoire éclatante. Rappelons d'ailleurs que la Marseillaise est même devenue notre hymne national. Les productions culturelles sur Marseille sont fréquentes, mais beaucoup plus rares sont celles qui retracent notre histoire millénaire, et encore moins qui concernent l'esprit de défense.
La semaine dernière, j'avais appuyé auprès de cette commission l'intérêt de ce soft power français qu'est la culture sur les thématiques de la défense, car au-delà de l'éveil qui produit des vocations, les productions culturelles participent à la cohésion nationale, notamment lorsqu'elles retracent l'histoire. Elles suscitent le patriotisme et la fierté de notre identité, nécessaires à l'esprit de défense. L'enjeu face aux fractures françaises n'est pas que militaire, mais aussi civil et politique.
À ce titre, le succès de la série Le Bureau des Légendes, Monsieur Berger, est un modèle, comme le sont aussi Le chant du loup ou Cœur noir. Pensez-vous d'ailleurs à une nouvelle production alliant thématiques de défense et de mémoire, valorisant le courage français ?
Comme je l'ai évoqué, l'apport de la culture permet aussi de résorber les fractures de notre pays, ce qui ne peut que servir l'esprit de défense. Nos concurrents l'ont bien compris, comme nous pouvons le voir dans les films La ligne de feu ou La brigade des 800, qui sensibilisent, héroïsent et unissent. De notre côté, les succès français au box-office ayant fait le plus d'entrées sont d'ailleurs ceux alliant humour, proximité et fierté française. Comment, Monsieur Karmitz, voyez-vous cette french touch en l'incluant à l'esprit de défense ?
Enfin, si les Français lisent ou regardent, ils écoutent aussi. En plus de vos contributions passées, Monsieur Bellanger, vous avez lancé Skyrock PLM, la radio qui parle aux militaires. Selon vous, que devrait faire le pouvoir politique pour généraliser cette bonne idée ?
M. Alex Berger. Le Bureau des Légendes continue. Comme je l’ai expliqué dans mon propos liminaire, nous sommes en train d'écrire la suite française qui s'appelle Le Bureau Afrique, car il paraîtrait qu'il se passe des choses entre la défense et la France en Afrique. C'est un sujet complexe, que nous abordons avec beaucoup de sérieux, toujours dans le cadre d'une suite au Bureau des Légendes. Nous travaillons également sur une série dédiée au cyber. Nous œuvrons avec beaucoup d'acteurs dans le domaine militaire, mais pas seulement. Cette série s'appelle La Cybérie. Nous avons commencé le développement d'une série qui s'appelle Agents libres, qui porte sur le début des services secrets modernes en 1942 à Londres. C'est la création du bureau central de renseignement et d’action (BCRA).
En parallèle, nous éditons des livres. Un ouvrage est d’ailleurs sorti la semaine dernière, Dames de guerre, de Laurent Guillaume, sur la présence du BCRA en 1948 en Indochine et l'histoire de deux femmes qui vont se rencontrer à cette époque compliquée. Ce sont des sujets romanesques, mais le fond est toujours le même. Il y a des sujets importants et il faut trouver cet angle pour rendre cela intéressant. Parler de choses en costume ou d'époque, même si la thématique est plutôt contemporaine, s’avère toujours compliqué lorsque nous voulons vendre les droits à des diffuseurs. La production coûte plus cher. Nous tenterons de faire en sorte qu’ils ne puissent pas nous dire non.
M. Nathanaël Karmitz. Je peux vous parler des films qui marchent à l'étranger, qui ne ressemblent plus aux films d’avant. Nos grandes comédies françaises trouvaient un écho, notamment en Europe, ce qui n’est plus le cas du tout. Les films français qui rencontrent le succès aujourd’hui sont Anatomie d'une chute, c’est-à-dire l'audace française et l'ouverture de la France au monde. Ce sont des sujets qui ne copient pas les Américains ou qui ne travaillent pas sur un imaginaire disparu d'une France qui n'existe pas. Le public étranger attend de voir la modernité française, l’audace et l’esprit prototypique de notre pays. Anatomie d'une chute est un parfait exemple, que l’on soit d'accord ou pas avec sa réalisatrice. C'est un film audacieux, féministe. Justine Triet est l’une des rares réalisatrices françaises qui a le droit de sortir son film en Chine, où le marché se veut très protectionniste. Elle fait le tour des réseaux sociaux chinois en tenant un discours féministe et engagé.
Le soft power, ce sont ces petites touches d’ouverture, d’humanisme et d’universalité française, qui nous sont enviées et demandées par une partie du monde.
M. Pierre Bellanger. Skyrock PLM est disponible sur les appareils mobiles. Le poste de radio, aujourd’hui, est le mobile. Pour Skyrock PLM, c’est d’ailleurs la cocarde tricolore du logo de la station que l’on voit à l’ouverture de l’application.
Avoir désormais un poste de radio intelligent permet de faire beaucoup de choses. Notre objectif est de devenir une plateforme de recrutement pour tous les métiers de l’armée. La gendarmerie nationale nous parlé de la diversité de ses métiers de biologiste, de plongeur sous-marin et tant d’autres. On entre, on se forme et on ressort avec un métier, un esprit, une culture, des diplômes. Nous voulons amplifier ces possibilités ouvertes à la nouvelle génération. L’idée est de faire évoluer l’application en y intégrant une plateforme de recrutement, où chacun peut se présenter en vidéo et échanger.
Une telle démarche implique une mobilisation, puisque nous ne ferons rien sans l’écosystème militaire. Investir dans le recrutement ou dans la communication s’avère aussi important que d’investir dans les matériels.
M. Christophe Bex (LFI-NUPES). L’apport de la culture à l’esprit de la défense constitue un sujet assez difficile. La France est riche d’une belle histoire et les Français se montrent passionnés par l’histoire. Un sondage récent a montré que 93 % des Françaises et des Français se disent passionnés par l’histoire. Comment l’expliquer ? Je ne le sais pas. Peut-être est-ce dû à un déficit de notre système éducatif, où l’histoire est devenue le parent pauvre avec deux heures de cours par semaine. Plus tard, les gens se tournent vers d’autres vecteurs que celui de l’éducation nationale. Les livres sont très nombreux, ainsi que les bandes dessinées ou les jeux vidéo.
J’estime que les créateurs de cinéma font preuve d’une certaine frilosité. Comme l’a indiqué l’un de nos intervenants, Napoléon nous a été volé par un réalisateur britannique, ce qui est un comble. Comment expliquez-vous ce manque d’audace de la création artistique ? Les créateurs pourraient s’emparer de cette riche matière historique, que n’ont pas les Américains. En France, nous avons un terreau que nourrissent les créateurs et les histoires. Le Bureau des Légendes est un bel exemple, notamment grâce à son casting et à son histoire. Les évènements relatés dans la série ont été vérifiés par le ministère de la défense.
Quels sont l’apport et l’atout de notre exception culturelle dans la création artistique et cinématographique ? Il nous faut éviter de tomber dans une propagande, que de nombreux pays ont utilisée ou utilisent encore. La frontière est ténue entre une œuvre utile pour la défense et un film de propagande grossière.
M. Alex Berger. Cette frontière est simple. Laissez la liberté au créateur de raconter son histoire à travers une œuvre de fiction. Cette liberté, c'est la liberté fondamentale dans laquelle on vit et elle est formidable. Chez The Originals, nous ne faisons pas de la propagande, nous racontons des histoires. Nous ne sommes pas en Chine, mais en France. Je pense que ce n'est vraiment pas un sujet aujourd'hui. Nous avons cette liberté de parole, la liberté d'expression, nous en jouissons, grâce à tout ce qui a été évoqué par mes camarades.
Je vous remercie pour vos compliments sur Le Bureau des Légendes, qui a été fait indépendamment de tout. C'est l'idée originale d'Éric Rochant, c'est une histoire qu'il avait envie de raconter dans un domaine qui était essentiellement fantasmé. Nous aimons bien aborder ces environnements fantasmés, qui permettent de raconter des histoires et de faire en sorte que les gens s'y attachent.
Je pense que nous sommes toujours indépendants et cette indépendance va continuer. Nous avons besoin de pouvoir aborder des domaines. Je parlais du cyber, sur lequel nous travaillons. Le sujet se veut complexe. Rien n’est plus ennuyeux que de montrer un écran avec du code. Il faut inclure des personnages. La façon de raconter permet aux gens d'adhérer, de comprendre et de vivre pleinement, pas forcément un message, mais en tout cas le cœur du concept autour duquel on peut tourner tout au long des épisodes d’une série.
Nous gardons bien cette indépendance, qui est, je le pense, vraiment propre à la France.
M. Nathanaël Karmitz. Je pense que nous sommes l’un des pays qui traite le plus de son histoire. Nous le faisons nous-mêmes dans nos productions et les pays étrangers également. Nous accueillons de nombreux tournages de films étrangers, qui portent justement sur notre histoire.
C'est aussi un sujet général pour la culture. Par exemple, pendant des années, on a expliqué que les jeunes n’allaient plus au cinéma. Selon les rapports du ministère de la culture, les jeunes forment la catégorie du public qui s’y rend le plus. Aujourd’hui, ils fréquentent moins les salles en raison d’un problème de pouvoir d’achat. Souvent, on n’identifie pas le bon problème, par manque d’analyse de la réalité de la consommation.
Je rejoins mon camarade, en disant que les mécanismes français de notre démocratie assurent cet ensemble de libertés, notamment la liberté de nos auteurs, même s’ils sont dépendants de donneurs d’ordres, au regard du coût de production des films. L'important est d'arriver à créer aussi son équilibre, ses pouvoirs et ses contre-pouvoirs à l'intérieur de ces donneurs d'ordre.
En France, nous trouvons ces deux équilibres. D’un côté, l’incitation et, de l’autre côté, le marché, c’est-à-dire le public, souvent absent des débats consacrés à la culture. Cet équilibre justifie notre exception culturelle. Les faits montrent que des films français ont remporté des prix dans les grands festivals internationaux depuis trois ans, des films réalisés par des femmes. Anatomie d'une chute est l’un des plus grands succès internationaux et français dans le monde depuis très longtemps, et notamment aux États-Unis.
Ces exemples-là se multiplient, sont récurrents, avec des propositions qui parfois n'ont pas le même écho en France, mais qui sont des grands succès mondiaux que le monde entier nous envie.
M. Alex Berger. J’ajoute un dernier mot. L'histoire coûte très cher. La frilosité des diffuseurs et des distributeurs aujourd'hui, notamment sur ces sujets, s’explique par exemple par le coût des costumes. Les plateformes américaines, comme Netflix, Apple ou Amazon, disposent de moyens financiers. Il faut leur imposer plus d'obligations en France et nous en bénéficierons tous.
M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je veux vous dire à tous les trois à quel point vous êtes inspirants et puissants. On dit tout le temps que la jeunesse a perdu la quête de sens. Je constate le contraire. Monsieur Bellanger, il est tout à fait plaisant d'entendre vos propos. Je crois que vos engagements dans vos secteurs respectifs autour de cet esprit de défense à faire partager font chaud au cœur. Je tenais vraiment à vous le dire.
Je vous pose trois petites questions pratiques par rapport à vos expériences. Créer des œuvres de fiction, que ce soit des séries ou des films, dans le secteur de la défense, suppose une connaissance de l'écosystème. Un réalisateur comme Pierre Schoendoerffer, de la 317e section au Crabe-tambour, a façonné des générations de militaires. C'était aussi une époque où tout le monde faisait son service militaire et connaissait donc l’écosystème.
Comment pallier cette disparition et trouver les talents qui seront les grands réalisateurs de ce type de thématiques demain ? Quelle est votre réflexion sur ce sujet ?
Nous avons eu de grands succès récemment, notamment Le chant du loup et Le Bureau des Légendes. L'un est en format grand écran, l’autre en format série. À votre avis, quel format est le plus efficace ? De quelle manière les deux écosystèmes peuvent-ils se compléter ? Si le ministère de la défense a des choix à faire, vers quel format doit-il se diriger ?
Dans de nombreux de secteurs liés à la défense, nous constatons des difficultés de financement. Je caricature : « la défense, c'est mal, financer des entreprises qui nous permettent de nous défendre, ce n'est pas bien ». Avez-vous été, dans vos différentes activités, confrontés à de pareilles réticences dans le milieu du cinéma ?
M. Pierre Bellanger. Vous avez salué la nouvelle génération, qui mérite notre confiance. Oui, nous avons rencontré des difficultés puisque certains annonceurs publicitaires ont considéré que l’armée était un sujet clivant dont ils devaient se tenir à l’écart. Aux États-Unis, il existe des annonceurs patriotes, qui soutiennent des initiatives impliquant le monde militaire. La nation n’est pas clivante. La nation, c'est nous. Et nous ne sommes pas clivants. Cette difficulté doit être levée.
Les mentalités âgées sont aussi souvent un frein. Elles viennent d'un autre siècle où l'antimilitarisme était une manière d'être, une affirmation dans la tendance. C'est fini, cela n'existe plus au sein de la nouvelle génération. On trouve parfois des réflexes et des réticences chez des interlocuteurs seniors, qui n’existent plus chez les plus jeunes. Lorsque nous avons appris que la fréquence DAB nationale ne nous était pas attribué, Nous avons bien senti cette distance vis-à-vis de l’armée. Nous ne sommes pas des militaires, mais nous avons vu que ce monde militaire, si exceptionnel souffrait d'un certain ostracisme. Allons en avant, ce que fait la jeune génération, l'engagement est une idée qui nous rassemble.
Oui, il y a des réticences, mais elles sont franchies. Je vous remercie tous pour cette audition, qui nous permet d'exprimer cette volonté positive qui nous représente tous.
M. Nathanaël Karmitz. Vous posez la question du choix entre la série ou le film de cinéma. D’un côté, aller au cinéma suppose de sortir de chez soi et d’acheter un ticket. De l’autre, on consomme les images sur son téléviseur.
Évidemment, la télévision a un impact, en termes d'audience française ou mondiale, beaucoup plus important. Le cinéma attire moins de monde, mais les films restent plus longtemps dans la mémoire.
Nous faisons face à cette double nécessité. Il faut être très fort sur les écrans de télévision. Les programmes ont muté depuis l’arrivée de Netflix, d’Amazon et d’Apple, avec la capacité de toucher un large public. Une petite nuance mérite d’être signalée. Lorsqu’on évoque le très grand succès de Lupin, par exemple, il faut préciser que le succès de HPI est équivalent en termes d’audience. HPI dépend pourtant du vieux système, avec des chaînes équivalentes à TFI dans tous les pays. Le fait est que nous sommes parfois un peu trop obnubilés par ces plateformes. L’autre système continue de bien fonctionner, même si on tendance à lui imposer certaines obligations pour adopter le même niveau de compétition que celui des plateformes.
D’un côté, on marque les imaginaires de manière durable. De l’autre côté, on touche de manière immédiate des millions de gens. Les deux formats fonctionnent ensemble, et pas l'un contre l'autre.
M. Alex Berger. Je suis d’accord, ce n’est pas un choix. Le format n'est qu'un format, c'est un genre narratif. Une bonne histoire reste une bonne histoire, qu’elle soit racontée en cinquante heures ou en deux heures. Je pense que ce n'est pas un choix à faire, mais surtout des idées à projeter.
Comment faire en sorte que le complexe industriel et militaire soit plus cohérent ? Nous parlons bien de cohérence, que vous devez organiser. Je rencontre l'ensemble des acteurs d’un secteur, que ce soit le cyber, l'intelligence artificielle ou le renseignement. Il faut mener ce travail de recherche et de développement pour chaque œuvre, même s’il est long et compliqué.
Le point important, ce sont la cohérence et l’envie. Les acteurs d’un secteur comprennent-ils l'importance d'une histoire que l'on a envie de raconter avec un bruit de fond qui est le bruit de fond patriotique. Nous défendons notre démocratie, notre vie, notre style de vie, et c'est très important.
Il faut donc continuer à proposer des histoires qui aspirent un peu à ce qu'est cette idée de la France. Ensuite, le public décide.
Mme Josy Poueyto (Dem). Je vous remercie vraiment pour ces échanges passionnants. Je n’aurais jamais cru que cette séquence serait de cette nature. J’attends la suite du Bureau des Légendes et je ne sais pas si la prochaine série, Le Bureau Afrique, fera appel aux mêmes acteurs.
M. Alex Berger. Le Bureau des Légendes ne peut ni infirmer ni confirmer !
Mme Josy Poueyto (MODEM et indépendants) (Dem). Nous le découvrions avec passion.
La progression de l'individualisme, la montée des communautarismes ou encore l'indifférence au bouleversement du monde nous imposent de nous interroger sur la cohésion nationale et en particulier sur la perception des enjeux de défense. Chacun, à son niveau, a un rôle à jouer. Les nouveaux héros sont en première ligne, pour le meilleur et pour le pire, il faut bien le dire. En France, Le Bureau des Légendes est un bel exemple de réussite. Au fil des saisons, les équipes de la série n'avaient certainement pas en tête de tourner la campagne de communication de nos espions.
Mais dans les faits, dans cette approche réaliste des situations, Malotru et ses compères sont devenus, bien malgré eux, je le crois, des recruteurs très efficaces. La DGSE nous l'avait d'ailleurs confirmé lorsqu’ils sont venus s'exprimer en audition et ils n'avaient jamais connu effectivement une telle promotion. C'est incontestablement devenu un fait culturel, mais vous savez, c'est un peu comme les plus belles soirées entre amis, souvent elles n'étaient pas prévues.
Alors, comment évaluer ou qualifier l'apport d'une culture commune à l'esprit de défense dans la mesure où il serait davantage subi que choisi ? Pas facile. En vérité, la culture collective et l'esprit de défense sont deux éléments qui s'alimentent mutuellement depuis que la guerre existe. Il faut toujours se méfier du risque d'instrumentalisation dans cette relation.
Avec mes valeurs démocrates, je ne veux pas d'un monde dans lequel le politique interviendrait, même indirectement, dans le champ culturel, pour orienter l'opinion. Je suis tout aussi attentive à ce que l'industrie culturelle et de divertissement reste à sa place. En effet, à l'heure où la confrontation informationnelle est installée, à l'heure où nos démocraties sont bousculées sur ce plan, je m'interroge plutôt sur les frontières qui doivent certainement interpeller aussi les entreprises comme les vôtres.
Je pense aux frontières sur le front des libertés de création et d'expression face au populisme, au risque de manipulation et de pression. À cet égard, l'éthique des professionnels sera-t-elle toujours suffisante pour faire barrage aux abus de toute nature ?
Il y a aussi les frontières de forme, avec la question de l'avenir des supports de diffusion que nous disent aujourd'hui les pistes d'innovation sur lesquelles vous devez certainement déjà travailler.
Enfin, dans quelles mesures l'esprit de défense est-il compatible avec les entreprises culturelles ou de divertissement qui sont naturellement contraintes par des objectifs économiques ?
M. Nathanaël Karmitz. S’agissant de la liberté de création, l'État et la politique interviennent déjà. Ils interviennent à travers leurs financeurs, leurs nominations ou bien d’autres aspects. Vouloir aussi une indépendance absolue me semble illusoire. Au contraire, il vaut mieux préférer discuter vraiment des sujets. Les débats doivent nous permettre de savoir ce que nous voulons, de préciser nos objectifs.
Par exemple, nous pourrions lancer un grand débat sur la nature d'industrie culturelle que nous attendons. Je regroupe les termes « industrie » et « culture », c’est un gros mot, mais il semble important d’en débattre. Nous devons trouver des terrains communs et des terrains d'entente et faire nation sur ces sujets.
Nous pouvons tout à fait y parvenir. Notre pays est formidable, mais les corporatismes rendent parfois impossibles ces débats.
À chaque fois que nous sommes entrés en contact avec des militaires, nous avons écouté des histoires passionnantes, auxquelles nous n’avions pas forcément accès. Les points de contact avec le personnel des armées restent difficiles. Créer des résidences d'artistes, pendant deux ou trois jours, permettrait de rapprocher militaires et créateurs. Lorsque nous sommes invités dans l’univers de la défense, dans des casernes ou sur des bateaux, l’expérience se révèle formidable. Elle nous inspire et permet de faire passer des messages.
Ces sujets politiques et géopolitiques méritent d’être débattus.
M. Alex Berger. Les États-Unis sont le pays le plus régulé au monde, après la Chine. Les syndicats et les guildes jouent un rôle important. La récente grève des auteurs a bloqué toutes les productions. La raison de la grève était liée à la mise à jour des règles, des définitions et du cadre dans lesquels chacun allait évoluer. Les auteurs, les scénaristes, les réalisateurs, les comédiens, les diffuseurs sont signataires. La mise à jour intervient tous les trois ans parce que la technologie, l'univers et la culture changent.
J'appelle de mes vœux, depuis mon rapport rédigé en 2018 pour le CNC, la mise en place d’un cadre régulièrement mis à jour et prévoyant que chaque intervenant soit signataire. Le souhait est de se montrer transparent, comme c’est le cas aux États-Unis, réputé être le marché le plus compétitif au monde. Chacun jour avec les mêmes règles et, au final, le meilleur gagne. Nous avons besoin d’un cadre similaire en France, qui impose les mêmes règles à l’ensemble des acteurs et qui s’adapte aux régulations naturelles du marché. Aujourd’hui, ce cadre est erratique et fonctionne grâce aux rustines.
Les États-Unis ne perdent pas de temps. Ils ont fixé des règles et chacun les suit, ce qui n’empêche pas de nourrir des ambitions commerciales dans le monde entier. Nous pouvons faire la même chose. Il nous faut juste nous protéger, protéger les actifs, les talents selon un cadre homogène, transparent et efficace.
M. le président Loïc Kervran. Nous en avons terminé avec les orateurs de groupe, et nous passons aux quatre questions individuelles.
Mme Corinne Vignon (RE). Je vous remercie pour vos propos liminaires qui étaient particulièrement intéressants. Nous sommes ravis de vous avoir entendus.
L 'exemple du Bureau des Légendes montre que la création cinématographique et audiovisuelle est un facteur de rayonnement efficace pour faire connaître les métiers de la défense.
À l'image du premier volet de Top Gun, sorti en 1986, où le recrutement dans l'armée de l'air américaine avait bondi de 500 % cette année-là, le deuxième opus, quarante ans plus tard, a lui aussi boosté l'intérêt des métiers de l'armée de l'air en France avec une augmentation moyenne dans les centres d'information et de recrutement de 100 % par rapport à la même période en 2021. Les productions américaines développent aussi le culte du héros, peut-être extrêmement vendeur.
En France, les jeunes générations consomment les séries sur les plateformes, mais délaissent les canaux de diffusion traditionnels en s'informant en priorité sur YouTube ou en écoutant des podcasts diffusés sur les réseaux. En matière de défense, je pense notamment au podcast Le collimateur sur Spotify ou à la chaîne YouTube de Pascal Boniface, qui fait des milliers de vues et traite de géopolitique et d'influence.
Face à ces milliers de contenus, dont certains peuvent être des véhicules de désinformation, de fake news ou de complotisme, quelles sont les règles essentielles et vos besoins pour rendre totalement crédibles et au plus proche de la réalité les fictions traitant de défense ?
M. Frank Giletti (RN). Je vous remercie pour cette rencontre. Ce sont deux mondes, deux univers qui se rencontrent, deux mondes distants, différents. Je salue cette possibilité offerte par la commission de la défense d'apprendre à se connaître.
La culture est un vecteur fondamental pour diffuser l'esprit de défense parmi la jeunesse, en particulier à l'heure du numérique, et nous ne devons pas minimiser son impact.
En tant que Varois, j'ai la chance d'être élu dans le premier département militaire de France, pour ne pas dire le plus beau, n'est-ce pas, et ma circonscription est limitrophe de Toulon où la culture marine imprègne naturellement ses habitants.
Néanmoins, la vocation militaire conserve une part de mystère, de rêve et d'aventure que le cinéma est parfaitement capable de retranscrire. Je crois pertinemment à l'effet de Top Gun, mais je pense aussi également à des films comme Force spéciale ou Le Chant du Loup pour rester fidèle à la marine, où l'on voit étonnamment Mathieu Kassovitz rentrer dans l'uniforme d'Alfost, commandant un CNLE.
Parvenez-vous, à votre niveau, à mesurer l'impact de ces productions sur le recrutement et la fidélisation qui représentent aujourd'hui un enjeu majeur pour nos armées ? Il ne fait aucun doute que ce genre de films participe activement au réarmement moral dont ont besoin nos forces armées - en tout cas, j'en suis convaincu - et il serait pertinent aussi de se demander si le nombre de ces réalisations cinématographiques est suffisant. Votre avis sur ces questions m'intéresse.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Je vous remercie, Messieurs, d'être devant nous aujourd'hui. C'est déjà un premier pas vers les décloisonnements chers à Monsieur Karmitz, mais vous avez parfaitement raison. Nous vivons tous trop souvent en silos sans regarder ce que font les uns les autres. Arrêter cette attitude nous permettrait d’être plus efficaces.
Je vous remercie de mettre en lumière aussi ceux qui sont souvent dans l'ombre. Le Bureau des Légendes nous a permis de prendre conscience que des gens travaillent dans des domaines invisibles et qu’ils méritent aussi notre considération.
Vous travaillez tous pour le lien armée-nation, mais nous devons peut-être passer à une autre échelle. Comment faire en sorte que le citoyen se rende compte qu'il est en fait un élément participatif de la défense et de la sécurité nationale ?
Vous avez évoqué particulièrement le cyber. Nous nous montrons tous un peu légers dans l’utilisation de nos outils, de nos portables. La guerre en Ukraine nous montre que le cyber est devenu un espace conflictuel, mais aussi un espace dans lequel le citoyen a son rôle à jouer. J’aimerais savoir comment vous vous positionnez par rapport à cela. J'ai bien entendu vos propos sur la Cybérie. Chez Skyrock, vous vous occupez de ces questions. Existe-t-il des liens entre les cultures européennes ou entre États membres ? Nous avons aussi ce sujet de défense européenne.
Mme Anne Genetet (RE). Je suis députée d'une circonscription qui est à l'étranger, et j’habite à l’étranger depuis plus de vingt ans, avec un passage par les États-Unis et maintenant en Asie, dans des environnements culturels assez différents. Ce matin, j'ai été absolument fascinée par vos propos. Vous êtes des passeurs d'histoire, des troubadours des temps modernes. Vous venez nous raconter des histoires, et nous en avons vraiment besoin, tout en les insérant dans un environnement réaliste.
Vous incarnez, ce qui me frappe le plus, cette liberté de création qu'on a en France, que je chéris terriblement. Je mesure à quel point elle est importante, moi étant depuis si longtemps dans des pays où la liberté de création est très différente, y compris aux États-Unis, où je trouve personnellement qu'elle est assez normée. C 'est peut-être ce qui nous différencie par rapport à eux.
Je voulais vous poser les deux questions suivantes, puisque vous nous racontez des histoires et vous proposez d'élargir peut-être le champ. Je suis en contact avec nos ambassades, avec nos consulats très régulièrement. Nous y avons là des acteurs français, au sens de la vie quotidienne, assez exceptionnels. Dans un rapport que j'ai remis au Premier ministre en 2018, j'avais suggéré que l’on fasse un bureau des légendes – j'avais repris le titre de votre série – consacré à nos diplomates et à nos consuls, parce que là aussi, nous sommes sur une grande muette, avec des talents, mais qui ne parlent pas, qui ne se font pas connaître et qui, aujourd'hui, subissent leur grand silence. Je pense notamment à ce qui se passe en Afrique. Cela n'y est certainement pas étranger.
À vous, Monsieur Bellanger, j'aurais voulu poser une question. Ne serait-il pas envisageable une Skyrock PLS, non pas que je vous pense en difficulté quelconque, mais au sens de la sécurité civile ? Nous comptons 250 000 acteurs pompiers volontaires, plus de 550 000 acteurs de la sécurité civile qui sont aussi des héros du quotidien, qui ont suivi des parcours exceptionnels et qui témoignent aussi d'un engagement. Avez-vous nourri le projet d’une Skyrock PLS ?
M. Pierre Bellanger. S’agissant du cyber, nous observons que la puissance informatique des citoyens est supérieure à la puissance informatique de l'État. Un téléphone Android ou Apple profite d’une puissance informatique équivalente à celle des ordinateurs des années 1990. La puissance informatique répartie sur le territoire entre les citoyens est phénoménale. Dans les cas d'attentats, d'agressions, de conflits, de cyberattaques, il est tout à fait possible de mobiliser cette puissance dispersée, de telle manière à apporter un soutien en un endroit, un transfert de capacité de calcul en un autre, etc.
Nous avons donc proposé, c'est juste une piste de réflexion, de créer en effet une cyberdéfense civile qui se manifesterait et qui intégrerait cette politique de réserve, cette politique d'implication. Skyrock est à l'initiative d'alerte-enlèvement en France dans cet esprit d'implication.
Dans la logique de l’application Anti-Covid, lançons une application, dans les mobiles de défense civile, qui permette de relier chacun à cette situation, ce qui nous permettrait également d'être dans les téléphones mobiles, qui sont, comme vous le savez, une extension de puissance étrangère.
Il existe cette possibilité aujourd'hui de créer un « Tous anti-Covid » de la défense civile dans chaque terminal mobile et d'avoir une capacité de mobilisation de ces ressources informatiques, le cas échéant.
Pour répondre à votre question sur Skyrock PLS, nous proposons déjà à l'antenne des interventions de pompiers et de représentants de la sécurité civile. Comme vous le dites, ce sont les héros du quotidien. Skyrock PLM s’intéresse à ces héros. Lorsqu’un électricien de marine explique son travail dans un sous-marin confronté à une panne, son histoire est extraordinaire. Je me rappelle d'un grand militaire qui me disait : « Ce soir, je vais m'ennuyer, j’assiste à un dîner avec des civils, ils n'ont rien à raconter ». Nous proposons ces histoires extraordinaires sur notre antenne, qui incluent bien entendu la défense civile et les pompiers.
M. Nathanaël Karmitz. Je ne pense pas que le recrutement soit le sujet. Le sujet est que les créateurs et les créations sont des échos du temps, ce ne sont pas des services commandés justement, ce n'est pas de la propagande. Cette série est venue aussi à un temps particulier. Nous faisions face à la résurgence de la menace terroriste. Aujourd’hui, nous parlons d'autre chose. Nous avons vécu en temps de paix, nous nous pensions protégés par le nucléaire et nous passons à autre chose. C’est l’écho du temps et c’est la raison pour laquelle nous avons besoin de ces histoires. Je vous ai parlé de mon fils et de la capacité à le rassurer. Je rejoins l’idée qu’une génération entière ne vit que dans l’angoisse d'attentats et de guerres. Je serais ravi de montrer à mon fils des films ou des séries qui ne soient pas que des sujets américains, qui lui dévoilent la puissance de la France, l'idée que nous sommes armés pour notre sécurité et sa sécurité, sans forcément être dogmatiques ou politiques.
Il y a besoin de débats, il y a besoin de moyens, il y a besoin de ces perméabilités pour avoir accès à ces histoires et les stimuler, mais nous ne sommes que les échos du temps. L'enjeu dépasse largement l'idée d’une campagne de recrutement. Le recrutement n'est que la conséquence d'un imaginaire et d'une politique générale. Encore une fois, le sujet de savoir exactement de quoi nous parlons et de savoir le mesurer. Le recrutement est un bon indicateur, mais ce n’est pas suffisant pour mener pour mener une politique globale de défense autour des sujets de la culture.
M. Alex Berger. Vous avez posé une question sur les règles essentielles, sur la crédibilité. C'est du travail, c'est de la recherche. Nous ne sommes pas allés rencontrer des espions pour leur demander de tout nous raconter. Pour Le Bureau des Légendes, nous n’avons pas vu d’agents sortis de la DGSE. Vous êtes sorti, vous avez une acrimonie, il y a quelque chose. Nous avons donc consulté des universitaires, des gens qualifiés en géopolitique, en politique. Pour chaque épisode, nous avons accumulé, en moyenne, 10 000 pages de documents. Les auteurs ont réalisé un travail important pour s’imprégner et comprendre le sujet.
S’agissant de l’impact sur le recrutement, nous n’en avions aucune idée jusqu’à la saison 3. Par contre, le fait de diffuser à la DGSE les deux premiers épisodes de chaque saison, avec trois cents agents rassemblés Boulevard-Mortier, nous a fait comprendre la nature changeante des gens dans la salle. Il s’agissait de personnes plus jeunes, différentes, parfois avec des piercings.
Le recrutement n’était pas notre but. Nous voulions proposer une histoire et raconter de manière réaliste la géopolitique de la France à travers un service de renseignement et notamment un service de clandestins. C'était compliqué, mais c'était ça notre objectif et ce sera toujours notre objectif, consistant à raconter des histoires pour le plus grand nombre.
L’inclusivité du citoyen me touche. Nous avons mis à la disposition de l’ANSSI Le Bureau des Légendes, nous avons réalisé des spots pour expliquer l'hygiène numérique en France, qui est un vrai problème. Nous avons passé énormément de temps à expliquer la même chose au campus cyber et aux institutions différentes et variées. Je consacre beaucoup de temps à faire du conseil justement sur ce dernier mètre, à faire adhérer des citoyens à des choses importantes. À l’échelle de l’Europe, nous sommes très contents que la BND allemande utilise Le Bureau des Légendes pour former ses agents.
Le Bureau des Légendes a été mis à disposition de l'État et non le contraire.
Enfin, sur la diplomatie, j’ai lu 35 projets du Quai d’Orsay. J’en lis toutes les semaines. Ces sujets nous intéressent, mais, pour nous, les plus importants sont la France, notre quotidien, notre vie, le travail d’un bénévole contre les feux de forêt, etc. Nous voulons apprécier notre petit village qu’est la France et le préserver.
Nous préparons une série pour Apple, qui s’appelle La Maison, tournée en langue française. Elle porte sur deux familles rivales dans le monde du luxe. Comme pour Le Bureau des Légendes, nous nous intéressons à l’environnement. La série sera diffusée dans autant de pays que Le Bureau des Légendes.
Cette idée de raccrocher la nation à des histoires correspond à notre quotidien. C’est le reflet de ce que nous vivons. Il nous faut rendre grâce à cette liberté.
M. le président Loïc Kervran. Je crois qu'en notre nom à tous, je peux remercier nos invités. Nous avons partagé une très belle audition et avons vu que la stratégie n'est pas que militaire, mais peut être aussi culturelle. Je retiens aussi que le raisonnable est souvent lointain dans les classements. À travers votre travail, vos productions et vos créations, on fait appel à la raison, mais aussi à l'émotion. Nous avons pu entretenir aujourd'hui un peu ce bruit de fond patriotique qui nous tient tous à cœur.
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La séance est levée à onze heures.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Mounir Belhamiti, M. Denis Bernaert, M. Christophe Bex, M. Benoît Bordat, M. Hubert Brigand, M. Vincent Bru, Mme Caroline Colombier, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, Mme Gisèle Lelouis, Mme Patricia Lemoine, Mme Pascale Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Josy Poueyto, Mme Nathalie Serre, M. Philippe Sorez, M. Bruno Studer, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Jean-Félix Acquaviva, M. Julien Bayou, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Martine Etienne, M. Thomas Gassilloud, Mme Claire Guichard, M. Benjamin Haddad, M. Laurent Jacobelli, Mme Murielle Lepvraud, Mme Jacqueline Maquet, M. Olivier Marleix, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), M. Frédéric Mathieu, Mme Lysiane Métayer, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Aurélien Saintoul, M. Mikaele Seo, M. Michaël Taverne
Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Jean-Michel Jacques