Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

  Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à protéger les Français des risques climatiques et financiers associés aux investissements dans les énergies fossiles (n° 2230) (Mme Cyrielle Chatelain, rapporteure)              2

  Audition de M. François Sauvadet, président de Départements de France  et M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué              2

  Examen de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France (n° 2321) (M. Alexandre Holroyd, rapporteur)              24

  Présences en réunion...........................59

 


Mercredi
3 avril 2024

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 059

session ordinaire de 2023-2024

 

 

Présidence de

Mme Véronique Louwagie,

Vice-Présidente

 


  1 

La commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à protéger les Français des risques climatiques et financiers associés aux investissements dans les énergies fossiles (n° 2230) (Mme Cyrielle Chatelain, rapporteure).

Le tableau ci-dessous récapitule le sens des avis émis par la commission.

 

N° Amdt

 

 

Place

 

 

Auteur

 

 

Groupe

 

 

Position de la commission

 

 12

 PREMIER

 Mme CHATELAIN Cyrielle

 Ecolo - NUPES

Accepté

 9

 PREMIER

 Mme MÉNARD Emmanuelle

 NI

Repoussé

 10

 PREMIER

 Mme MÉNARD Emmanuelle

 NI

Repoussé

 11

 PREMIER

 Mme MÉNARD Emmanuelle

 NI

Repoussé

 17

 PREMIER

 Mme CHATELAIN Cyrielle

 Ecolo - NUPES

Accepté

 3

 PREMIER

 Mme PETEX Christelle

 LR

Repoussé

 4

 PREMIER

 Mme PETEX Christelle

 LR

Accepté

 18

 ap 2

 Mme CHATELAIN Cyrielle

 Ecolo - NUPES

Accepté

*

*            *

Puis la commission entend M. François Sauvadet, président de l’Assemblée des départements de France (ADF) et M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous achevons notre cycle thématique sur les finances locales avec l’audition du Président des Départements de France François Sauvadet, qui est accompagné de son vice-président Jean-Léonce Dupont. Monsieur le Président, je vous cède la parole pour un propos introductif puis nous procéderons aux questions-réponses.

M. François Sauvadet, président de l’Assemblée des Départements de France. Nul n’est besoin pour moi d’expliquer que nous sommes dans un contexte difficile. Il a singulièrement évolué depuis l’année dernière. Notre pays se trouve dans une situation assez inédite – vous connaissez les chiffres mieux que moi – et nous attendons tous de connaître la méthode choisie par le Gouvernement pour prévenir une dégradation supplémentaire des finances publiques et permettre de respecter les engagements d’un déficit contenu à 3 % du PIB l’année prochaine.

Les départements de France font face à une situation que je n’ai jamais connue, que ce soit en qualité de parlementaire pendant vingt-quatre ans et comme président départemental depuis 2008. Nous avons déjà connu des crises, compte tenu notamment du caractère aléatoire des DMTO (droits de mutation à titre onéreux). C’est ainsi que la crise des subprimes en 20082009 avait provoqué une chute considérable des DMTO. Nous avions réussi à rééquilibrer nos ressources à travers les taxes sur le foncier bâti. Désormais, nous ne sommes plus en capacité de lever des impôts et nos ressources prennent la forme de dotations. Nous avons affaire à une crise de la ressource. L’an dernier, j’avais annoncé des prévisions que d’aucuns jugeaient alarmistes mais qui se sont avérées correctes : les droits de mutation ont baissé de l’ordre de 23 % dans les départements en moyenne en 2023. Les départements les plus urbanisés, qui tiraient donc davantage de ressources de ces droits, ont naturellement été les plus affectés. C’est notamment le cas pour certains départements franciliens.

Les droits de mutation représentent environ 30 % des ressources des départements. Nous avons donc subi une baisse de l’ordre de 23 à 28 % portant sur cette portion de nos ressources. Là où la crise est complètement inédite et nécessite à mon sens une attention particulière du Gouvernement, est que nous assistons simultanément à une explosion de nos dépenses sociales. Nous avions réussi à traverser les crises précédentes, dont celle du Covid, car nous disposions de ressources, mais aujourd’hui nous sommes confrontés à une difficulté majeure. La dégradation est tellement rapide que nous avons sollicité le Gouvernement pour abonder le Fonds de sauvegarde. Quatorze départements sont à ce jour dans l’incapacité de boucler leur budget et ce nombre va certainement augmenter mois après mois.

Nous ne pouvons pas nous contenter des chiffres de 2022. Nous devons surveiller l’évolution de la situation chaque mois. En effet, contrairement aux communes, qui perçoivent leurs ressources selon une fréquence annuelle, nos droits de mutation sont versés mensuellement.

L’explosion de la dépense sociale va tout d’abord de pair avec celle des phénomènes de précarité. Les classes moyennes sont progressivement gagnées par la précarité. Des jeunes ménages, qui doivent utiliser la voiture pour aller travailler, ne parviennent plus à subvenir à leurs besoins. Nous avons alors développé des dispositifs, et nous avons d’ailleurs été exhortés par l’État à déployer des plans pauvreté et diverses autres initiatives que je ne détaillerai pas.

La protection de l’enfance est une problématique cruciale. Les services de l’État en charge de la protection judiciaire de la jeunesse ou de la santé mentale sont assez largement défaillants. J’ai même vu récemment des jeunes auteurs de coups de couteau être placés dans nos établissements faute de place en Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans l’attente de leur procès.

Nous avons également eu l’occasion de nous entretenir avec M. Darmanin et avec le garde des Sceaux à propos des phénomènes migratoires. Là encore, nous faisons face à une situation inédite, avec un afflux de mineurs non accompagnés, notamment dans les Alpes-Maritimes mais pas seulement. Cette situation est là encore inédite. On compte quelque cinquante mille mineurs non accompagnés et le flux a pratiquement doublé en deux ans. Les départements ne sont pas capables de supporter seuls le coût des flux migratoires. Dans un petit département comme le mien, dont le budget s’élève à 570 millions d’euros, le coût des mineurs non accompagnés représente 10 millions d’euros. Les compensations de l’État sont de l’ordre d’un demi-million d’euros… Nous nous devons de protéger tout mineur non accompagné – ou quiconque se prétend mineur – dans l’attente de son évaluation. Nous sommes aussi obligés de maintenir, au sein de la protection de l’enfance, des jeunes ayant dépassé l’âge de dix-huit ans alors que nous sommes dans l’incapacité d’agir sur les missions locales. La protection de l’enfance est un problème majeur pour notre pays, et nous nous sentons bien seuls à en supporter le coût.

Le vieillissement de la population et le virage domiciliaire sont un autre enjeu important. Faute de mesures de compensation, nous subissons de plein fouet l’inflation au niveau des établissements qui hébergent les personnes âgées. Les prix ont tendance à exploser. La situation des Ehpad devient dramatique dans mon département. Un directeur d’établissement vient de m’appeler pour me prévenir qu’il n’était plus en capacité de payer les salaires. Toutes les mesures en faveur de l’aide à domicile, dont j’ai d’ailleurs participé à la décision avec M. Castex, considérant à l’époque que les tarifs horaires devaient être revalorisés, engendrent des coûts supplémentaires qui ne sont pas compensés.

Le dernier sujet fondamental est celui du RSA. L’annonce de son augmentation de 4,6 % dans le contexte budgétaire actuel représente un surcoût d’un demi-milliard d’euros pour les départements. Pour le seul département du Nord, cela représente un surcoût de 30 millions d’euros. Dans mon département, pour quelque dix mille bénéficiaires, cela représente deux millions d’euros. Le Gouvernement nous rappelle que le nombre d’allocataires a baissé, ce qui est vrai, mais nous n’en supportons pas moins les augmentations et nous sommes engagés dans une démarche active et responsable avec France Travail pour aider les personnes à retrouver un travail. Il faudra d’ailleurs que nous examinions les conditions de la généralisation de cette démarche.

Notre taux de reste à charge pour les AIS (allocations individuelles de solidarité) est de 53 %. Nos dotations n’ont pas été indexées sur l’inflation, il convient de le rappeler. Nous venons d’ailleurs de recevoir une notification samedi, la veille de Pâques. Que l’on soit croyant ou pas, on pouvait s’attendre à des promesses, mais le résultat est finalement décevant puisque nos dotations n’évoluent pas.

J’aimerais illustrer mon propos par quelques chiffres complémentaires. Nous avons également connu une explosion des dépenses à propos de la PCH (prestation de compensation du handicap). Au lancement du dispositif en 2008, le taux de reste à charge pour les départements était de 1 %. En 2022, il est passé à 68,6 % ! Pour l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), le taux de reste à charge atteint 60 %. Après d’âpres négociations avec le Gouvernement, nous avons obtenu une dotation complémentaire de 150 millions d’euros. La situation est très hétérogène pour ce qui concerne l’APA car le taux de couverture des besoins varie de 14 à 53 % selon le département. Le taux moyen est donc de 40 %. Les 150 millions d’euros que nous avons obtenus l’an dernier n’ont du reste pas encore été répartis puisque la clef de répartition correspond aux chiffres de 2023. Simultanément, l’État empochait 2,5 milliards d’euros par l’intermédiaire de la CNSA. Le taux de reste à charge pour le RSA est quant à lui passé de 11 % en 2009 à 45,6 %. Nous approcherons probablement les 50 % en 2024 compte tenu de la revalorisation.

Dans notre situation actuelle, je souhaite que l’État ne nous impose pas des dépenses supplémentaires. Plusieurs annonces successives nous inquiètent fortement. Le transfert de l’ASS (allocation de solidarité spécifique) a été annoncé par le Premier ministre lors de son discours de politique générale. 320 000 personnes en bénéficient, et les prestations atteignent deux milliards d’euros. Nous travaillerons sur le flux mais le flux se transformera ensuite en stock et je n’ai aucune information sur les mesures d’accompagnement des départements. Je laisse aux décideurs politiques le soin de débattre la pertinence d’un tel transfert ; pour ma part je m’inquiète des conséquences financières. Je ne sais pas du tout comment le concept de solidarité à la source sera décliné dans la mesure où il s’agira de remettre les bénéficiaires en activité. Une expertise sera nécessaire.

Face à cette pénurie de ressources, les départements vont devoir réduire certains postes budgétaires. J’ai commencé par les routes. Elles représentaient dix millions d’euros de dépenses de fonctionnement chaque année, ce sera beaucoup moins désormais. Le chef de l’État a présenté les départements comme les collectivités du social, ce qui est vrai dans une certaine mesure, mais pas seulement. Qui a déployé le très haut débit dans bon nombre de territoires ? Qui entretient les routes ? Qui participe à l’aménagement du territoire, à l’aide aux communes ? L’État nous implique dans de nombreux domaines. D’ailleurs, nous sommes plus souvent invités à la table des contributions qu’à celle des discussions… D’ailleurs, j’ai décidé d’une règle pour mon département : je ne paie pas si je ne suis pas invité aux discussions.

Nos départements sont un moyen de faire bénéficier les territoires ruraux d’une partie de la richesse produite par les villes, à travers notamment les DMTO que nous redistribuons dans le cadre de la péréquation.

Je serais le plus heureux des hommes si la commission des Finances saluait la responsabilité de la gestion de la part des départements. Nous avons été responsables. Nous avons mis en place des mécanismes de péréquation entre nous lorsque les droits de mutation fonctionnaient correctement. Les montants ne sont pas anecdotiques – 1,9 milliard d’euros. Nous avons créé un Fonds de sauvegarde associé à la TVA. Nous n’avons pas récupéré la tonicité de la TVA afin d’alimenter un fonds de sauvegarde – qui est d’ailleurs épuisé aujourd’hui : l’État l’a abondé à hauteur de 50 millions d’euros environ et nous avons eu besoin de 100 millions d’euros pour aider les départements les plus en difficulté.

Je pense que les droits de mutation départementaux doivent être conservés. Ces droits sont issus de transactions immobilières. Nous sommes responsables des routes, du déploiement du très haut débit, nous accompagnons les communes dans la création de maisons médicales et de services à la personne, nous finançons les collèges. Tout cela participe aussi à l’immobilier et à l’aménagement du territoire. Il existe donc un lien à mes yeux entre l’aménagement du territoire et les DMTO. Je vois bien que l’État lorgne sur les DMTO depuis des années. J’ai formulé une demande simple au Gouvernement : arrêter de « charger la barque » de la dépense. Quand on n’a pas d’argent, on ne crée pas de dépenses supplémentaires. On veut faire croire aux Français que les problèmes seront réglés par le plein emploi alors que nous avons affaire à une crise des ressources et des dépenses (et de leur efficacité). Je pense que cette approche est erronée. Nous voulons bien contribuer aux efforts mais il est insupportable à mes yeux d’entendre que nous serions encore en bonne santé.

Je souhaite que le Gouvernement garantisse un taux minimum de 50 % de couverture des allocations individuelles de solidarité (RSA, APA, PCH, etc.). Nous partagerions l’effort. Nous réussirons à franchir le cap si nous bénéficions de cette couverture minimale, pour des allocations dont nous ne maîtrisons ni l’assiette, ni l’évolution, ni les modalités d’attribution, puisque le Gouvernement en décide seul et sans même nous en informer préalablement.

Je crois beaucoup à l’échelon départemental, qui se situe à proximité des citoyens, qui est efficace, qui est réactif. Que fait-on avec cet échelon dans un contexte où le monde rural se désespère ? Une vingtaine de départements ont décidé de différer le vote de leur budget dans l’attente d’indicateurs plus objectifs sur la dégradation de leur situation. Imaginez l’angoisse que cela a provoqué dans le monde rural, dont nous sommes devenus l’un des premiers partenaires. Des maires ont besoin que nous les accompagnions dans le développement de projets de service à a population. Nous sommes des partenaires importants dans le domaine de l’eau également. Nous possédons encore des laboratoires départementaux dans beaucoup de départements. Nous assurons la surveillance de la qualité des rivières et de l’eau.

Nous ne sommes pas seulement les collectivités du social, nous sommes celles des solidarités sociales comme territoriales.

Nous devons tous faire preuve de responsabilités mais l’idée selon laquelle les problèmes de la France seraient réglés en faisant les poches des départements alors que ces derniers sont déjà en grande difficulté est erronée. Le risque est que toute l’innovation sociale se retrouve stoppée. Nous nous contentons de verser les prestations, abandonnant tous les services périphériques nécessaires.

Si vous le permettez, Jean-Léonce Dupont souhaiterait également intervenir…

M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué de l’Assemblée des Départements de France. Le Président vient de décrire un véritable changement de paradigme. Ce dernier peut être résumé essentiellement en trois chiffres : les DMTO ont baissé de 3,9 milliards d’euros, les augmentations de dépenses décidées par le Gouvernement entraînent un accroissement de la charge de 2,5 milliards d’euros et la non-indexation des dotations sur l’inflation a entraîné une dérive de 1,4 milliard d’euros sur les deux dernières années. Ainsi, en deux ans, nos capacités budgétaires se sont amenuisées de près de huit milliards d’euros.

Beaucoup considèrent que retransférer certaines compétences au niveau de l’État apporterait une certaine égalité de traitement. Le Président Sauvadet a attiré l’attention sur la problématique de l’APA. Nous nous sommes retrouvés dans une situation où les aides représentent entre 14 et 53 % de la dépense selon le département. Comment peut-on considérer que le traitement serait égalitaire avec une gestion nationalisée ? Soyons extrêmement prudents quant à la capacité de l’État à gérer un certain nombre de compétences. François Sauvadet a rappelé ce qu’il en était pour la protection judiciaire et pour la santé mentale, où nous avons affaire à des insuffisances absolument chroniques. L’idée même que la gestion nationale entraînerait une égalité de traitement n’est pas confortée par les faits.

Comme le Président Sauvadet l’a rappelé, indépendamment du contexte budgétaire immédiat, nous faisons face également à deux risques potentiels considérables. Quand bien même les dépenses liées au versement de l’allocation de solidarité spécifique seraient prises en charge, la masse salariale des collectivités départementales liée à cette gestion ne sera jamais compensée. Or pour gérer 320 000 nouveaux bénéficiaires au niveau des départements, nous aurons besoin de recruter.

Quant à la solidarité à la source, nous ne disposons pas de statistiques précises. Nous ignorons le nombre de bénéficiaires potentiels qui n’ont pas adressé de demande. Nous pouvons seulement extrapoler des données disponibles pour le RSA. On estime qu’environ 34 % des bénéficiaires potentiels du RSA n’ont pas sollicité cette allocation. Selon l’hypothèse que ce taux serait valable pour les autres prestations, les dépenses nouvelles peuvent être estimées à 3,5 milliards d’euros. Ce montant s’ajouterait aux milliards d’euros que j’évoquais précédemment.

Nous avons observé, pour les allocations individuelles de solidarité, une érosion de la part des dépenses prises en charge par l’État au fil du temps. Il s’agit pour nous de dépenses non pilotables : nous n’avons aucun pouvoir pour fixer le montant des allocations ou les modalités d’attributions mais nous devons verser les prestations. La part des dépenses non pilotables prise en charge par l’État central a connu une baisse significative et particulièrement pour la PCH, où le taux de reste à charge après participation de l’État est passé de 1 % à 68,6 %. D’aucuns pourraient considérer que les départements ne seraient pas si bien gérés dans la mesure où ils ne seraient pas capables de faire face à leurs obligations. Mais face à une somme de contraintes sans solution pour les surmonter, des difficultés apparaissent fatalement. Interrogeons-nous donc sur la part prise en charge par l’État central des dépenses supportées par l’échelon local.

Nous appelons des mesures de court, moyen ou long terme. Nous aimerions tout d’abord vous remercier pour la réponse apportée au sujet des départements en difficulté. Avec les services centraux, nous avons en effet identifié quatorze départements en difficulté en 2023. Ce nombre pourrait monter à une quarantaine en 2024 et, si rien ne change, nous pourrions assister à des situations de « cessation de paiement » – par analogie avec des entreprises – fin 2025. Dans certains départements, l’épargne nette est devenue négative. Merci donc pour l’aide que vous avez votée, qui devra sans doute être renouvelée et très probablement amplifiée vu le contexte actuel.

Nous souhaiterions que soit mis en place un dispositif assimilable à l’article 40 de la constitution. Ce dernier interdit de proposer une dépense nouvelle sans être assuré de disposer d’une ressource correspondante. Nous souhaitons que ce principe soit étendu aux collectivités locales et notamment départementales. Dans la mesure où nous n’avons plus aucune capacité à lever des impôts pour couvrir des dépenses nouvelles, nous aurions besoin d’identifier les ressources mobilisables pour couvrir de nouvelles dépenses.

Nous aimerions aussi qu’une pause normative puisse être mise en place pour les trois années. Je vous rappelle que les normes peuvent être créées à l’initiative de l’État mais aussi à l’issue de travaux parlementaires. Nous aimerions donc que, dans votre grande sagesse, vous vous absteniez de créer de nouvelles normes créatrices de dépenses nouvelles.

Une partie des droits de mutation est fixe et une partie est variable. La part fixe représente environ 70 % de la moyenne historique et le montant global peut s’écarter de 30 % à la hausse comme à la baisse par rapport à cette moyenne. Face à la cyclicité de cette ressource, nous avons mis en place un fonds de solidarité interne. Nous sommes la seule strate territoriale à avoir créé un système de solidarité : les départements les mieux dotés soutiennent les plus en difficulté. Ce mécanisme de péréquation représente 1,9 milliard d’euros. Compte tenu du reflux des droits de mutation, nous avons connu quelques difficultés en 2023 et cela risque de fortement empirer en 2024.

Nous nous sommes battus pendant plusieurs années avec Bercy pour pouvoir conserver le contrôle de recettes exceptionnelles que nous sommes susceptibles de percevoir certaines années. Il n’est pas inadéquat de créer, dans la mesure du possible, un fonds de réserve interne qui permette de garantir les engagements en matière d’investissement même en cas de retournement. Ce dispositif amortisseur existe dans une quarantaine de départements.

Ces deux mécanismes nous permettent donc de gérer intelligemment cette ressource en dépit de son caractère cyclique. Je sais que certains de nos interlocuteurs n’apprécient guère le concept de fonds de réserve mais en réalité, ces instruments permettent de garantir la pérennité d’une grande partie de l’aide aux collectivités locales. Ce qui n’est pas neutre car l’échelon départemental est bien souvent le premier financeur de l’échelon communal et intercommunal. Si les aides que nous versons aux territoires s’effondrent, il en ira de même pour l’investissement public dans les territoires. Or nous représentons 70 % de l’investissement public national. Les enjeux sont donc fondamentaux.

Nous souhaitons donc que les DMTO nous restent acquis et que les dispositifs mis en place puissent être maintenus.

Nous pensons que nous ne pouvons pas éviter, à moyen ou long terme, une réflexion sur la réforme de la fiscalité locale. Beaucoup de nos présidents se posent la question suivante : quand plus aucun lien ne subsiste entre le citoyen et la fiscalité, il devient difficile de juger la qualité de gestion des collectivités mais surtout, les demandes des citoyens, dont il est logique qu’elles tendent à augmenter, deviennent totalement déconnectées de la capacité financière de la collectivité locale. Nous devons nous laisser un délai beaucoup plus long pour cette réflexion mais nous espérons pouvoir travailler sur le sujet. 

M. François Sauvadet. Certains départements subissent également le contrecoup des inondations mais nous pourrons peut-être y revenir à travers vos questions.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Merci pour ces propos introductifs. En écho avec les évolutions que vous prônez, une mission sur la décentralisation a été confiée à Éric Woerth par le Président de la République. L’objectif est de réfléchir à la clarification de l’organisation territoriale, la simplification et l’adaptation des normes, la consolidation des moyens à disposition des collectivités et la valorisation des fonctions électives. Avez-vous été auditionnés dans le cadre de cette mission ? Quelles seraient vos propositions, notamment à propos de la clarification de l’organisation territoriale et de l’exercice des compétences départementales ? Avez-vous fait état de votre vision sur l’évolution des recettes ? Appelez-vous d’autres mesures qu’une réforme de la fiscalité locale ? Que pensez-vous du potentiel retour des conseillers territoriaux ?

Vous avez fait état du retournement du marché immobilier. Je le constate moi-même en ma qualité de présidente de la commission des finances départementale dans l’Orne. Je surveille l’évolution des recettes et la tendance est à la baisse pour environ 25 %.

Vous avez évoqué le recours au fonds de sauvegarde pour quatorze départements. Je n’ai pas bien compris si les fonds avaient déjà été mobilisés ; pourriez-vous préciser ?

Que pensez-vous de la suppression potentielle de la limite de taux applicable aux DMTO, ce qui laisserait les départements le faire évoluer à leur libre appréciation ?

Je donne à présent la parole au rapporteur général.

M. le rapporteur général Jean-René Cazeneuve. Je partage les grandes lignes de votre constat. La situation financière des départements s’est incontestablement dégradée en 2023, ce qui s’illustre en particulier par la division par deux de leur épargne nette. Nous sommes revenus à une situation similaire à celle de 2017. En outre, vous disposez d’une très faible autonomie en matière fiscale, puisque vous avez atteint le taux plafond pour les DMTO que vous contrôlez.

Vous avez bénéficié d’un effet ciseau plutôt favorable en 2021 et 2022, compte tenu de la croissance très forte des DMTO et de la relative stabilité des dépenses sociales (grâce notamment au recul du chômage). Désormais l’effet ciseau s’est inversé, et certains départements sont particulièrement fragilisés. La situation de l’échelon communal est quant à elle très différente.

Nous avons affaire à une difficulté structurelle. Comment peut-on donc espérer s’affranchir de ces effets ciseaux spécifiques à l’échelon départemental ? Il ne serait pas sain de systématiquement solliciter l’aide de l’État dans la mesure où vous êtes censés disposer d’une autonomie en matière financière et administrative. Le statu quo n’est pas souhaitable et cette situation engendre une dégradation de la qualité du service public offert à nos concitoyens.

Quelle réforme structurelle suggéreriez-vous pour rétablir une meilleure adéquation entre vos recettes et vos dépenses ? En 2022, la Cour des comptes proposait de remplacer les DMTO par un impôt national partagé ; souscrivez-vous à cette idée ? Quelle est votre position sur la recentralisation du RSA ? Je sais que certains élus départementaux y sont favorables mais que d’autres y sont défavorables. Existe-t-il une position de Départements de France ? La recentralisation du RSA pourrait amortir l’augmentation des dépenses subies, sachant que dans les deux départements où le RSA est centralisé, les dépenses de fonctionnement n’ont pas augmenté.

Je partage votre constat pour 2023 et vos inquiétudes pour 2024 mais moins pour 2025 : si la croissance redémarre et si le taux de chômage diminue, nous assisterons à l’augmentation de certaines recettes et à la baisse de certaines dépenses. Nous retomberions alors dans un cercle vertueux.

Vous êtes la strate territoriale où les niveaux de solidarité et de péréquation sont les plus importants, et de très loin. Cela me semble tout à fait vertueux car en l’absence de ces dispositifs, en 2023, beaucoup de départements auraient commis une « sortie de route ». J’aimerais donc vous féliciter d’avoir mis en place ce système de péréquation et de solidarité, doté d’environ deux milliards d’euros. Nous avons voté, à votre demande, la mise en réserve des DMTO, qui a également porté ses fruits. Le Gouvernement a proposé – ce qui a été validé dans la loi de finances pour 2024 – une augmentation de la dotation du fonds de sauvegarde, à hauteur de 106 millions d’euros.

Certains départements s’en sortent mieux que d’autres, et certains sortent quelque peu de leurs domaines de compétences traditionnels.

Pensez-vous que ces mécanismes devraient être encore davantage développés ? Faudrait-il selon vous y inclure d’autres ressources ? Un système de « tunnel » avait été proposé à une époque…

M. François Sauvadet. Merci tout d’abord pour ce constat qui est tout à fait conforme à notre vécu. Nous devons être en accord sur les chiffres, et c’est pourquoi nous sommes en train de collecter des données à notre niveau. Nous faisons face à une augmentation rapide des dépenses. Lorsque nous accueillons des MNA, nous devons déployer des moyens financiers et recruter en dépit des difficultés actuelles. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre jusqu’en juin ou juillet 2024 que les données de 2023 soient consolidées au niveau national car nous avons affaire à des ressources et à des dépenses volatiles.

Il n’est pas sain, selon vous, que nous nous adressions systématiquement à l’État, mais en réalité, c’est l’État qui nous sollicite pour reprendre à notre compte des missions qui lui incombent. Ce n’est d’ailleurs pas le propre du Gouvernement actuel. Les gouvernements successifs ont chacun une part de responsabilité dans la dérive du taux de reste à charge des AIS. Nous ne nous tournons donc pas vers l’État, au contraire c’est lui qui en « rajoute une couche » avec l’ASS. J’ai fait part de mon inquiétude car aucune indication sur le financement de ces quelque deux milliards d’euros de dépenses supplémentaires ne nous a été communiquée.

J’ai apprécié la loi qui introduit le concept de « bien vieillir » mais avec quels moyens ? Nous ne pouvons pas nous affranchir d’une loi sur la dépendance et de l’implication des départements, qui sont les acteurs territoriaux de la mise en œuvre de politiques nationales.

Je considère en revanche qu’il est sain que des départements soient aussi des acteurs de proximité pour des politiques nationales afin qu’elles soient adaptées aux réalités territoriales. Nous ne traiterons pas la problématique de l’insertion de la même manière en Seine-Saint-Denis, à Paris ou dans la Creuse. J’attends donc que l’État assume ses responsabilités dans le cadre des missions qu’il nous a confiées.

Je ne suis pas favorable à la recentralisation du RSA – terme qui n’est d’ailleurs pas tout à fait exact. Nous devons en effet conserver la maîtrise de la prestation pour pouvoir nous assurer de la pertinence de l’accompagnement vers le retour à l’emploi. Vous avez d’ailleurs voté, à notre demande, la création de procédures permettant de suspendre les droits à l’allocation, non pas dans une démarche de fragilisation des personnes, mais pour s’assurer qu’elles viennent aux rendez-vous qui leur sont proposés. Je pense qu’une cohérence est de mise entre insertion et prestation. C’est la raison pour laquelle je m’interroge sur les conditions de mise en œuvre de la prestation à la source. Nous devons nous assurer que le droit à la prestation soit respecté, notamment pour les populations les plus fragiles, sans que la relation entre droits et devoirs, qui fait l’objet d’un relatif consensus, ne soit remise en cause. Nous devons bien entendu nous adapter aux situations de précarité.

Nous avons fait preuve de courage avec le fonds de péréquation mais nous arrivons au bout du système. La dégradation est telle que les bénéficiaires du fonds réclament encore plus de moyens pour leur survie, faute d’un geste de la part de l’État, mais les contributeurs sont eux-mêmes exposés à une chute de leurs ressources. C’est notamment le cas de Paris, dont la contribution a malgré tout dû augmenter. Je remercie d’ailleurs Paris d’avoir accepté de contribuer à hauteur de 30 millions d’euros supplémentaires par rapport à une dotation qui atteignait déjà 244 millions d’euros. Cet effort était nécessaire pour assurer le maintien du niveau de péréquation. Nous sommes arrivés aux limites du processus de péréquation horizontale.

Quant aux perspectives pour 2025, nous ignorons si les prévisions se réaliseront. La tendance actuelle me préoccupe fortement. Le virage domiciliaire sera coûteux. Si vous considérez que la situation s’améliorera en rendant la gestion des Ehpad à l’État, et si vous avez apprécié les déserts médicaux, vous adorerez les déserts médico-sociaux ! Comment l’aide à domicile serait-elle encore possible sans le lien avec les hôpitaux et Ehpad de proximité ? De telles propositions sont totalement déconnectées de la réalité.

Nous avons bien travaillé avec M. Woerth. Il a été invité à s’exprimer devant la délégation des collectivités. Il y a formulé des propositions tout à fait raisonnables permettant de créer des blocs de compétences qui soient cohérents et qui n’interdisent pas la participation d’autres niveaux de collectivités à l’effort de réalisation. C’est d’ailleurs ce que fait l’État systématiquement pour que nous contribuions à des grands projets d’infrastructures. Il nous incite à la vertu mais aussi au vice d’une certaine manière. Je ne sais pas qui a pondu l’idée d’avoir une vision périphérique au niveau national et une vision en silo au niveau régional, mais c’est certainement un technocrate avisé du point de vue des finances de l’État mais certainement pas au bénéfice de la collectivité et de l’efficacité des politiques publiques.

D’aucuns ont évoqué la création d’un fonds social de solidarité accompagné d’une structure évolutive, qui permettrait d’instaurer une forme de responsabilité partagée. Cela me paraît assez compliqué. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une tonicité de la ressource par rapport à celle de la dépense. Sinon, nous irons droit dans le mur. J’ignore quel serait le contour de cette dotation. Lorsque je vois la gestion de la cinquième branche, avec l’État qui capte 2,5 milliards d’euros à travers la CNSA pour ne nous en redistribuer que 150 millions d’euros, cela me semble pour le moins anormal.

Je souhaite, pour nous permettre de surmonter nos difficultés actuelles, que l’État s’engage à contribuer à au moins 50 % des allocations individuelles de solidarité sur l’ensemble des trois prestations que nous servons, et ce pour le prochain exercice budgétaire. À partir de là, nous assumerons notre part de responsabilité face aux autres incertitudes. Nous faisons déjà l’effort de supporter l’inflation car la DGF (dotation globale de fonctionnement) n’est pas indexée. On attendait de moi que je sois reconnaissant que ce montant ne baisse pas ! Si elle devait baisser, je rendrais les clefs de mon département et je demanderais à l’État d’en assurer la gestion !

Je pense à un autre sujet que nous n’avons pas encore abordé : celui de la protection civile. Je me suis entretenu avec le ministre Darmanin. L’idée que la TSCA sur les SDIS ne serait pas reversée ne me semble guère sérieuse. Cela représente huit millions d’euros à mon niveau alors que mon service d’incendie et de secours me coûte vingt-deux millions d’euros. La contribution des communes est plafonnée au niveau de l’inflation, ce qui fait que tous les efforts supplémentaires en matière de sécurité civile sont assumés à notre niveau. La montée des risques du fait du changement climatique pousse là encore le système vers l’explosion. Le Nord, le Pas-de-Calais, la Côte d’Or ou l’Yonne ont été victimes d’inondations par exemple.

M. Jean-Léonce Dupont. L’Association des départements de France n’est pas globalement favorable à un retour des conseillers territoriaux. Sans développer notre argumentaire, si cette idée devait être retenue, nous insistons sur le fait que nous pensons que durant la crise démocratique actuelle, la territorialisation des élus nous semble fondamentale.

Nous avons bénéficié d’une grande qualité d’écoute dans le cadre de la mission Woerth. Vous pouvez être fiers de ces travaux parlementaires. Naturellement, être écouté ne signifie pas forcément être entendu. Quoi qu’il en soit, nous considérons avoir été écoutés sur un certain nombre de sujets, notamment à propos d’une idée que nous soutenons depuis plusieurs années : les départements sont assez efficaces dans la gestion opérationnelle, et nous sommes la strate d’efficacité des réseaux. Cela pourrait être l’une des conclusions de cette mission.

Par ailleurs, nous nous interrogions à propos de la compétence Gemapi exercée par certaines intercommunalités. Je viens d’un département côtier, et vous connaissez la problématique du trait de côte. Vous imaginez comment une intercommunalité de quinze mille habitants serait capable de mettre en place une politique d’investissement coordonnée et conséquente. C’est objectivement impossible. Un niveau de péréquation plus important doit donc être envisagé.

Monsieur le rapporteur général, je ne l’ai pas dit explicitement, mais lorsque j’évoquais les perspectives pour 2025, je sous-entendais « toutes choses égales par ailleurs ». Je ne suis pas capable de prédire si le marché immobilier se retournera au second semestre 2024 avec une décélération des prix et une baisse des taux d’intérêts, ou si cela se produira plutôt en 2025. De même, j’ignore si les dispositions en matière de chômage permettront à certains demandeurs d’emploi de sortir du dispositif plus tôt et d’augmenter le nombre de bénéficiaires du RSA. Mon propos visait à montrer les difficultés qui se présenteraient si rien ne changeait.

Vous pourrez par ailleurs constater que lorsque nous avons bénéficié du rebond exceptionnel des droits de mutation en 2021 et 2022, nous nous sommes désendettés. Grâce à l’inflation, les recettes de TVA de l’État ont considérablement augmenté et pourtant, il a continué à s’endetter.

Nous avions une toute petite marge de progression pour les droits de mutation mais actuellement, un seul département n’a pas atteint le plafond. Nous n’avons donc plus de marge. Une source de souplesse à court terme pourrait consister à autoriser des fluctuations encadrées. Naturellement, cela se traduirait par un léger alourdissement de la fiscalité, ce qui n’est pas sans poser d’autres problématiques.

S’agissant du financement des AIS, notre objectif à court terme est d’obtenir que l’État prenne en charge leur financement à hauteur de 50 %. Dans le cadre des discussions que nous avons eues, et notamment avec Éric Woerth, la création d’une dotation de solidarité a été envisagée. Ce dispositif peut être intéressant. Vous avez bien compris que nous avons affaire à des dépenses non pilotables : nous ne décidons pas de leur montant ni du nombre de bénéficiaires. Ces dépenses représentent les deux-tiers de nos budgets de fonctionnement. Elles évoluent tous les ans. Le contrat de confiance que nous appelons prévoirait une participation de l’État à hauteur de 50 % et éventuellement 60 % ensuite, mais surtout une actualisation de cette dotation chaque année (au lieu d’une renégociation à la hausse ou à la baisse au bout de cinq ou dix ans). Je rappelle que nous avons vécu une baisse assez violente de la DGF sous le quinquennat Hollande. Les dotations annuelles peuvent donc susciter des craintes parmi nous, à moins qu’elles ne fassent l’objet de réajustements annuels en fonction de la réalité des dépenses. Dans ce cas, nous sommes prêts à examiner la question très sérieusement.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Merci pour ces réponses très précises. Je donne à présent la parole aux orateurs des groupes parlementaires.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Je salue les défenseurs inlassables de l’action locale que vous êtes. Vous avez ici des parlementaires qui ont bien conscience de la difficulté que connaissent les départements dans une situation de finances locales qui est globalement moins dégradée que ce qu’elle n’est pour les départements. Pour le département du Val-de-Marne, 80 millions d’euros manquent pour les seuls DMTO. Le Gouvernement et la majorité ont néanmoins agi avec le doublement du fonds de sauvegarde, le renforcement de la CNSA et l’accompagnement en faveur des MNA.

Ma première question porte sur Mayotte : que pensez-vous de la suppression du droit du sol à Mayotte, sachant que les dépenses d’AIS y augmentent de plus de 30 % ? Est-ce que vous souscrivez à cette idée ?

Vous avez également évoqué la suppression de l’ASS pour les nouveaux entrants. Quelle compensation peut-on envisager mais aussi quel gain peut-on espérer de cette réforme en matière de lutte contre la fraude ?

J’ai une autre question sur la mise en œuvre de la territorialisation de la compensation de la CVAE en 2023. Comment jugez-vous cette réforme ? Souscrivez-vous à l’objectif de suppression de cet impôt à travers cette territorialisation ?

Vous avez évoqué la péréquation horizontale mais il existe également une péréquation francilienne ; a-t-elle vocation à être renforcée ? J’ai entendu ce que vous disiez à propos de Paris. Force est néanmoins de constater que la chute des DMTO n’est pas la même dans les départements franciliens.

Pensez-vous par ailleurs que la métropole du Grand Paris apporte une plus-value par rapport aux départements et aux établissements publics territoriaux ? Cette idée mérite-t-elle d’être diffusée dans le débat public ?

M. Frédéric Cabrolier (RN). Côté dépenses, avec 60 % des dépenses sociales qui sont financées par les départements, l’augmentation récente du RSA et l’inflation ont un impact important sur vos dépenses. Côté recettes, plus de la moitié des recettes des départements sont désormais liées à l’activité économique. Il n’y a plus de pouvoir de taux et d’impôts directs pour les départements.

D’après vos dires, quatorze départements sont en difficulté lourde cette année et ne parviennent pas à équilibrer leur budget, et l’année prochaine vous avez noté qu’une quarantaine de départements seront concernés, soit pas loin de la moitié. L’actualité touche désormais à l’effort demandé aux collectivités et notamment aux départements, au titre de la réduction du déficit et du redressement des finances publiques, alors que l’État a annoncé vouloir transférer les ASS pour les personnes en fin de droit au chômage vers les départements. Se posera alors la question de la compensation du transfert de cette nouvelle charge de France Travail vers les départements que cette réforme pourrait occasionner.

Deuxième inquiétude : la baisse des droits de mutation à titre onéreux du fait de la crise du marché immobilier. À fin 2023, les DMTO accusent une baisse de 23 % soit 3,8 milliards d’euros de moins qu’en 2022, avec un recul plus important dans les départements peuplés et urbanisés et notamment en région parisienne. La baisse de recettes pour 2024 devrait avoisiner les deux milliards d’euros.

Autre inquiétude : l’explosion du coût de la prise en charge des MNA, estimée à deux milliards d’euros en 2023 et en constante augmentation, ce qui vous a conduits à déclarer dans un communiqué le 19 octobre 2023 que la plupart des structures d’accueil sont saturées, et que vous demandiez à revoir la loi Taquet de 2022 afin de pouvoir accueillir en hôtel des MNA de plus de seize ans.

Vous avez répondu à beaucoup de questions sur les MNA. Face à ce tableau sombre, pouvez-vous être plus précis sur la grande réforme fiscale au bénéfice des départements que vous préconisez ?

Concernant les conseillers territoriaux, vous craignez de voir se régionaliser le conseiller départemental alors que le but du conseiller territorial est plutôt de départementaliser le conseiller régional…

Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES). Mon groupe est comme vous très inquiet de la situation financière des départements. On parle beaucoup du déficit de l’État dernièrement mais les départements sont évidemment en difficulté et la Cour des comptes estime le besoin de financement des collectivités territoriales à deux milliards et demi d’euros en 2023 et presque trois milliards en 2024. Rien d’étonnant à cela car comme pour les comptes de l’État, l’état des comptes des départements était prévisible car ils sont victimes de la même politique économique, à savoir la suppression des impôts. Depuis les dernières réformes fiscales, et en particulier la suppression de la CVAE, les départements se retrouvent donc très dépendants des droits de mutation à titre onéreux, autrement dit du marché de l’immobilier en pleine crise actuellement. Cela représente donc une baisse très conséquente des recettes fiscales en 2023.

Par ailleurs, la dotation globale de fonctionnement des départements est stable, autour de huit milliards d’euros, mais le niveau de l’inflation n’est pas du tout pris en compte. Au-delà de l’indexation de la DGF sur l’inflation que nous avions proposée avec mon groupe, nous proposons aussi que l’État prenne au moins à sa charge le déficit 2023 et 2024 des collectivités dès lors qu’on considère qu’il en est responsable puisqu’il a diminué les ressources fiscales des départements. Je voudrais votre avis sur cette proposition.

J’en viens à mon deuxième sujet de préoccupation, qui est évidemment la protection de l’enfance. Je suis très inquiète quand j’entends l’Assemblée des Départements de France remettre en cause l’application de la loi, à savoir la prise en charge en charge des jeunes majeurs et l’interdiction des placements hôteliers, qui ne concerne pas que les MNA mais aussi les autres enfants nationaux de la protection de l’enfance. Nous avons été percutés par un drame notamment dans mon département, avec le suicide de Lily. Je suis inquiète aussi car faire des enfants étrangers les responsables de la saturation des lieux d’accueil et de l’effondrement de la protection de l’enfance est plutôt mensonger et même dangereux. Certains départements annoncent ne plus prendre en charge ces enfants et je voudrais connaître votre position à ce sujet. Il s’agit clairement d’une discrimination sur des critères de nationalité et c’est en contradiction totale avec la Convention internationale des droits de l’enfant.

Vous nous dites que depuis deux ans vous faites face à de nombreuses arrivées de MNA, mais la protection de l’enfance va très mal depuis de nombreuses années. J’aimerais donc connaître votre avis à propos de ces départements qui se mettent hors-la-loi et surtout vos propositions pour avoir une protection de l’enfance respectueuse de la loi mais aussi à la hauteur des besoins de tous les enfants quelle que soit leur nationalité.

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). J’aimerais vous féliciter, Monsieur le Président, pour le courrier d’alerte que vous avez adressé au ministre chargé des comptes publics. Vous dénoncez très bien aujourd’hui la baisse conséquente de l’autonomie financière des départements. Au fil des réformes, la fiscalité nationale prélevée sur nos compatriotes départementaux est transférée sans que les départements ne maîtrisent l’assiette ou le taux. La fin de l’autonomie financière est le vrai sujet de fond.

Certes, les départements sont des structures bien gérées à ce jour et ils assurent l’ensemble de leurs compétences avec beaucoup de sérieux et de rigueur budgétaire. Le président du département du Jura dit toujours que le département est l’acteur essentiel d’un territoire. En matière de proximité avec la population, nous sommes là du premier cri jusqu’au dernier souffle. Les compétences départementales accompagnent les citoyens tout au long de leur vie. Concernant les mises en réserves – le département du Jura y a eu recours – j’aimerais savoir s’il s’agit d’une pratique répandue et quel niveau ces mises en réserve peuvent atteindre.

Le fonds de péréquation a été très utile. Certains départements, comme le Jura, sont à la fois contributeurs et bénéficiaires. Les méthodes de calcul me paraissent assez complexes. Vous avez cité l’exemple des MNA dans les Alpes-Maritimes mais leurs recettes de DMTO sont sans commune mesure avec les nôtres.

Vous souhaitez que le taux de couverture des AIS soit garanti à 50 %. Quel serait le coût pour l’État par rapport à une couverture de 40 % ?

Mme Perrine Goulet (DEM). Ce matin, vous êtes amenés à faire un exercice difficile puisque vous représentez des départements qui sont divers, et divers aussi dans leur gestion. La libre administration de vos collectivités permet que certains privilégient leurs compétences obligatoires et d’autres plutôt les compétences partagées. D’ailleurs certains ont déjà été épinglés par la Cour des comptes. Des départements décident également de créer des dotations pour contourner des lois, comme récemment pour contourner la loi immigration. J’entends qu’il y a des besoins mais j’aimerais aussi connaître votre avis sur ces compétences partagées, qui pour moi sont à éclaircir, notamment pour ce qui est du respect de la loi.

J’entends également vos propositions sur les allocations. Je suis rapporteure du budget « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui porte une partie des reprises du RSA de certains départements. Or on voit que peu de départements ont saisi cette proposition de l’État. J’aimerais savoir si vous pensez que c’est une solution puisque vous indiquiez tout à l’heure que pour certaines allocations de solidarité, il faudrait que l’État remette la main à la poche.

Enfin, sans surprise, je souhaite évoquer la protection de l’enfance. Avec une augmentation de 21 % des mises sous protection en dix ans, on voit bien l’importance du sujet. Les MNA, certes, sont en nombre important, mais nous revenons au niveau de juste avant le Covid en 2019. Ce n’est pas véritablement une explosion. Tout le problème est que les départements n’appuient pas de la même manière sur cette politique. Nous avons un soutien qui varie du simple au triple en fonction des enfants et pour moi, cela constitue véritablement une difficulté dans notre pays. Les enfants n’ont pas tous les mêmes chances selon les départements. J’aimerais essayer de comprendre avec vous comment on pourrait inverser cette spirale avec l’augmentation du nombre de protections, et surtout, comment nous pourrions arriver à opérer un basculement des dépenses vers la prévention. Ce serait pour moi un élément essentiel pour mettre fin à l’augmentation constante des dépenses. Vous avez d’ailleurs établi une contractualisation entre l’État et les départements dans le cadre du contrat départemental de protection de l’enfance. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Enfin, le groupe Démocrate est attaché aux finances publiques. Nous restons bien entendu à vos côtés à la recherche d’une meilleure efficacité des dépenses, comme nous allons le demander également à l’État.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). Je n’ai aucun problème à dire que la situation financière des départements est plus problématique que celle des autres collectivités locales. C’est une évidence et c’est essentiellement dû à l’effet ciseau que vous avez très bien expliqué, avec la hausse des AIS et la baisse des DMTO, qui représentent 30 % de vos ressources. Lorsque celles-ci s’écroulent, les effets sont rapidement visibles.

Avez-vous évalué le coût de votre proposition de taux de couverture à 50 % pour les trois AIS principales ?

Je suis élue du Puy-de-Dôme, et nous avons donc connu le drame évoqué par ma collègue Mme Maximi. Nous devons absolument nous interroger à propos de l’égalité des chances de ces enfants. Je rejoins Perrine Goulet : il n’est pas concevable que les enfants soient pris en charge d’une certaine façon dans le Puy-de-Dôme et d’une autre dans un département voisin. J’ajoute que dans notre département, nous faisons face à un manque de places. J’aimerais savoir si Départements de France a évalué les besoins en places, aussi bien pour les nourrissons que pour les enfants ou les mineurs de plus de seize ans. Les budgets peuvent être insuffisants mais certains départements peuvent avoir suffisamment de places, et inversement d’autres départements peuvent manquer de places pour la protection de l’enfance.

La problématique qui se pose pour la protection de l’enfance concerne aussi les autres catégories de personnes vulnérables, et je pense bien évidemment aux personnes vieillissantes dépendantes. J’aimerais savoir si là encore, vous avez recensé les besoins, que ce soit en maison intermédiaire, en Ehpad ou à domicile, compte tenu de la transition démographique et du mur démographique qui se dresse devant nous.

M. François Jolivet (HOR). Ma première question concerne les décisions qui pourraient vous amener à faire des économies à compétences constantes pour être efficaces. Quelles règles génèrent des dépenses supplémentaires qui ne sont pas très utiles puisque vous êtes la structure de proximité, et que vous souhaiteriez voir disparaître ?

Ma deuxième question concerne les finances des départements. Est-il judicieux d’avoir une ressource qui représente 30 % de ces recettes – les DMTO – alors qu’elles sont assises sur une activité économique et contingentées par des décisions qui certes concernent parfois l’État mais aussi parfois d’autres acteurs internationaux. Est-ce que selon vous nous avons affaire à une recette certaine ? Ne faudrait-il pas la modifier ?

Par ailleurs, avez-vous un retour sur l’expérimentation du RSA ? Vous ne vous êtes pas exprimés sur le sujet.

Si des compétences départementales devaient être recentralisées, quelles seraient-elles à vos yeux ?

Mme Christine Arrighi (ÉCO – NUPES). Dans une déclaration publique, Patrick Martin, le Président du Medef, affirmait que face au déficit public (5,5 % du PIB, soit 154 milliards d’euros), il fallait chercher des économies sur les dépenses de fonctionnement des fonctions publiques, et certains au Gouvernement regardent avec insistance vers les collectivités. Alors existe-t-il de votre point de vue des marges de manœuvre dans la fonction publique territoriale en général et en particulier dans la fonction publique des départements ?

Ma deuxième question concerne également le budget puisque les collectivités ont l’obligation d’avoir des budgets équilibrés. Vous avez formulé la proposition de créer un dispositif similaire à l’article 40 pour les départements mais je n’en ai pas bien saisi l’objectif. Bien souvent vos dépenses tiennent à un transfert de charges non compensé. Lorsque le Président de la République annonce une hausse du RSA, c’est vous qui la financez puisque 50 % de ce revenu de solidarité est financé par les départements. L’exemple est également valable pour l’augmentation du point d’indice et on voit bien que dès que l’on bouge le curseur du volet social, ce sont les départements qui sont directement impactés. D’où ma question : avez-vous des pistes de solutions qui permettraient une gestion mieux coordonnée du financement nécessaire des besoins sociaux entre l’État et les départements ? Peut-être votre réponse est-elle ce dispositif de type « article 40 » que vous avez évoqué.

Face à la baisse des DMTO, il apparaît que l’épargne brute des départements (la différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement) a chuté de 45,7 % au 31 décembre 2023 par rapport à 2022, avec bien évidemment une certaine hétérogénéité de situations dont vous avez fait état. Pourriez-vous nous faire un état de la situation à ce jour ? Avez-vous de nouveaux éléments ? Il semblerait que la chute observée sur le marché immobilier soit encore plus importante et que les besoins exprimés par les départements les plus en difficulté se soient encore accrus.

Quelle est votre opinion sur la réforme de la CVAE compte tenu de la baisse de la croissance ?

M. Nicolas Sansu (GDR – NUPES). Merci pour vos exposés, qui ont bien montré les difficultés des départements sous l’effet ciseau entre les ressources volatiles de DMTO et les AIS qui augmentent. J’ai trois questions et une remarque.

Tout d’abord, les réformes sur le chômage et le recul de l’âge de départ à la retraite vont avoir une conséquence sur les allocations versées par les départements. Quelles seront les conséquences financières pour les départements ? Les avez-vous évaluées ?

Vous plaidez pour la création d’un fonds de solidarité pour les départements. Nous avions porté une proposition d’indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation, ce qui aurait représenté à peu près 400 millions d’euros supplémentaires pour les départements en 2023. Ne pensez-vous pas que cette indexation s’impose aujourd’hui ? D’ailleurs, nous aurons peut-être l’occasion de terminer l’examen de ce texte lors de la journée réservée au groupe GDR le 30 mai prochain.

Le 9 avril prochain, Bercy annonce vouloir discuter avec les représentants des collectivités locales d’une nouvelle contribution au redressement des finances publiques. Quel sera votre état d’esprit si cette convocation se confirmait ?

J’ai entendu votre principale demande d’une couverture à 50 % des AIS par l’État. Je me souviens, alors que j’étais vice-président du département du Cher entre 2004 et 2011, que la PCH commençait à se mettre en place, que l’APA montait en charge et que le RSA était moins important. Notre demande au sein de l’Assemblée des Départements de France n’était pas une couverture de 50 % mais de 100 %.

M. Charles de Courson (LIOT), Au fond, si les départements sont en crise, c’est parce que le Gouvernement actuel a achevé la suppression de leur autonomie fiscale – cette suppression avait commencé bien avant. Cela a transformé les départements en opérateurs de l’État dans des domaines croissants. Qui fixe le montant du RSA ? Ce ne sont pas les départements. Ce ne sont même pas eux qui le paient mais la CAF et les MSA, et les départements les remboursent. On ne peut guère parler de responsabilités… Les SDIS ont été évoqués mais qui définit les normes et les obligations croissantes ? Le ministère de l’Intérieur. Qui fixe l’APA et la grille Aggir ?

Si nous voulons rétablir le lien entre le citoyen électeur et le citoyen contribuable au niveau des départements, une solution cohérente avec les compétences des départements serait de doter ces derniers d’une CSG départementale, avec une modulation possible et un fonds de péréquation entre les départements. Ce dispositif viendrait se substituer à la part de TVA qui vous est donnée. Vous ne disposez d’aucune autonomie fiscale à ce sujet. Nous pourrions également supprimer la DGF et réduire le taux national de ce montant. Que pensez-vous de cette idée ?

Ne faudrait-il pas nationaliser le RSA ? C’est déjà le cas pour cinq départements. Les départements conserveraient les compétences en matière d’insertion.

L’accueil des MNA relève d’une politique nationale. Si les MNA étaient confiés à l’État, nous échapperions à ce débat sur l’âge réel de ceux qui se prétendent mineurs. Dans mon département, sur 250 MNA, 50 ont fait l’objet d’un test osseux, et parmi ceux-ci, il s’est avéré que la moitié avait plus de dix-huit ans. On estime donc que nous avons affaire à environ 75 % de majeurs…

Mme la présidente Véronique Louwagie. Nous en avons terminé avec les orateurs de groupe. Dans l’immédiat, deux orateurs supplémentaires se sont inscrits. J’invite les autres qui souhaiteraient prendre la parole à se manifester. Je passerai la parole à chacun pour une intervention d’une minute.

M. Fabien di Filippo (LR). Vous avez évoqué l’inflation de la dépense sociale. Elle ne peut nécessiter effectivement que des choix courageux car il devient impossible de boucler les financements à quelque niveau que ce soit, y compris à travers des prélèvements supplémentaires au niveau de l’État. Le 1er avril, une hausse de 4,6 % du RSA a été annoncée. Est-ce que vous confirmez le montant global que cela représente au niveau national ? Est-ce de l’ordre de 600 ou de 700 millions d’euros ? C’est l’équivalent des économies annoncées sur le budget de l’Éducation nationale.

Une prime de Noël est également proposée aux allocataires du RSA – une prime de Noël pour des personnes en inactivité. Est-ce que cela favorise le retour au travail ? Permettezmoi d’en douter. Confirmez-vous le coût pour les finances publiques ? Est-il plutôt de l’ordre de 400 ou de 500 millions d’euros ?

Enfin, nous voyons des parents avoir des enfants placés mais qui continuent de toucher les allocations familiales… Des centaines, parfois des milliers d’euros par mois ! Ne pourrions-nous pas utiliser ces sommes pour renforcer directement l’aide sociale à l’enfance ?

M. Michel Castellani (LIOT). Un processus en cours vise à doter la Corse d’un statut d’autonomie au sein de la République française. Elle deviendra capable d’adopter ses propres lois et règlements sous le contrôle du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel et dans les domaines concédés. Cette perspective a soulevé de véritables tempêtes dans une partie de la classe politique, sur le thème de l’affaiblissement de la France, d’aucuns parlant même de haute trahison. Êtes-vous favorables à une redéfinition des compétences entre l’État central et certains territoires qui le demanderaient à travers un vote majoritaire – ce qui est le cas en Corse ? Quelle est votre opinion en particulier à propos de l’autonomie fiscale des territoires ? Ou bien est-ce que la situation actuelle, avec des compétences fortement centralisées, vous agrée-t-elle ?

M. David Guiraud (LFI-NUPES). Nous partageons nombre de vos constats et de vos inquiétudes. Nous sommes conscients du coût élevé du RSA. Dans ma circonscription à Roubaix, dix mille personnes touchent le RSA. Nous allons droit dans le mur. Le département a fixé un objectif de 75 % de retour à l’emploi alors que nos conseillers gèrent des portefeuilles de cent allocataires ou plus avec quatre rendez-vous à assurer pour ceux qui sont éloignés de l’emploi. Chaque conseiller ne pourra pas assumer quatre cents rendez-vous mensuels. C’est impossible. Nous devons donc mener une réflexion à propos des objectifs que nous pouvons nous fixer.

Quant aux DMTO, pour que les ménages achètent, il faudrait que les coûts des prêts bancaires baissent. Les taux sont supérieurs à 6 % pour les emprunts de plus de vingt ans, ce qui les rend totalement inaccessibles. Avez-vous des propositions à ce sujet ?

Que pensez-vous de la proposition récente d’instaurer une taxe sur le Livret A ? Je ne suis pas sûr que cela aide les Français à devenir propriétaires.

M. Emmanuel Mandon (DEM). Votre présentation nous rappelle que les départements sont bien en première ligne, notamment pour le traitement des difficultés sociales ou encore le développement rural. J’aimerais vous interroger sur la collaboration entre les différents échelons territoriaux. Le binôme de fait Département-Région a été voulu pour assurer un maillage efficace du territoire national. Cela rend possible les solidarités de proximité. Quel regard portez-vous sur l’évolution des collaborations entre ces deux niveaux de collectivités depuis la fusion des grandes régions en 2015 ? Est-ce que cela a permis de les développer ? Comment créer de véritables synergies locales ? Faut-il généraliser la contractualisation ? Au delà des réflexions anciennes sur le conseiller territorial, l’enjeu principal est celui de la qualité des services rendus pour nos concitoyens. C’est une question d’efficacité de la dépense publique.

M. Sébastien Rome (LFI-NUPES). Je suis assez étonné que le Gouvernement, qui n’arrive pas à prévoir à trois mois son budget, puisse, par la voix du rapporteur général, nous dire ce qui va se passer en 2025… Pour abaisser le nombre de bénéficiaires des minima sociaux, un projet baptisé « territoires zéro chômeurs longue durée » a été lancé. Certains départements ne viennent pas autour de la table. Quelle est votre position sur la généralisation de ces projets économiques de retour vers l’emploi qui sont expérimentés ? Celui mis en place sur mon territoire fonctionne très bien.

Les départements du groupe Droite Centre et Indépendants, qui rassemblent 70 départements, ont déclaré que le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales n’était plus respecté. Ils vous demandent d’engager tous les moyens, notamment judiciaires, pour garantir ce droit. Allez-vous vous joindre à cette initiative ? La soutenez-vous ?

Mme Géraldine Grangier (RN). Le Territoire de Belfort accueillait 90 MNA en 2023 pour 61 places. En septembre, une motion a été votée consistant à limiter l’accueil des MNA faute de moyens, remettant en cause la loi Taquet de 2022 qui consiste à continuer d’accueillir des MNA qui sont majeurs jusqu’à 21 ans. Que pensez-vous de cette décision ?

M. François Sauvadet. Merci pour toutes ces questions qui montrent l’importance des départements dans les enjeux de société, notamment pour ce qui concerne la protection de l’enfance.

S’agissant de la situation francilienne, il est vrai qu’un double mécanisme de solidarité a été mis en place. À l’exception de la Seine-Saint-Denis, les départements franciliens ont été invités à participer à l’effort de solidarité que nous avions mis en place, et s’est ajouté à cela un mécanisme de péréquation au sein de l’Île-de-France, qui fait l’objet aujourd’hui d’une interrogation car les départements qui étaient considérés comme les mieux dotés en termes de DMTO sont aussi les plus affectés aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je pense que nous avons atteint les limites de la péréquation horizontale. Je suis très attaché à la structure départementale, y compris en milieu urbain, car elle permet d’adapter les politiques entre les secteurs. Les problématiques sont différentes dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis.

Je souhaite que nous arrêtions de vouloir faire jouer à la compensation des AIS un rôle de péréquation. Vous avez pu voir le débat qui a eu lieu à propos des 150 millions d’euros de contribution que nous avons obtenus l’an dernier dans le cadre du PLFSS en provenance de la CNSA, afin de parvenir à un niveau de couverture supérieur à 40 % pour l’APA. Dans certains départements, le taux d’aide de l’État n’est que de 14 % alors que dans certains autres, ce taux est de 53 %. Nous sommes donc les héritiers d’une situation hétérogène. Il n’était pas acceptable à nos yeux d’écarter Paris et les Hauts-de-Seine de cette péréquation alors que leur taux de couverture des AIS était la plus basse. Nous attendons de l’État qu’il assure le financement des prestations. Il est vrai que par le passé, dans mon département, le taux de couverture était de 100 %. J’espère que le rapporteur général notera un signe de bonne volonté de notre part : nous ne réclamons qu’un taux de couverture garanti de 50 %. J’appelle les parlementaires à entendre cette demande forte de notre part. Sinon, nous risquons de faire face à d’importantes problématiques de prise en charge de nos aînés. Pour atteindre les objectifs du « bien vieillir » dans les départements, nous devons bénéficier de cette solidarité nationale.

Concernant France Travail, nous avons coproduit la loi avec le Gouvernement. Je remercie le Parlement d’avoir respecté l’équilibre auquel nous sommes parvenus. Je sais que la notion de retour à l’activité a fait l’objet de débats, avec la distinction entre activités et emploi dans un premier temps pour les personnes très éloignées de l’emploi. Nous avons dû consacrer des moyens supplémentaires à la collaboration avec France Travail. Pour deux mille personnes suivies, j’ai dû recruter une quinzaine d’agents complémentaires. Nous avons concentré nos efforts sur l’essentiel, sachant que nous avons dix mille bénéficiaires dans mon département. Nous avons obtenu pratiquement 30 % de retour à l’emploi.

Ce dispositif est-il généralisable ? J’ai demandé au Gouvernement d’envisager une généralisation progressive. Il faudra des moyens, et pas seulement au niveau du département. 30 % des bénéficiaires du RSA relèvent aujourd’hui de France Travail et de Pôle Emploi. De quels moyens Pôle Emploi et France Travail disposeront-ils pour assurer l’accompagnement des personnes relevant de leur engagement ? C’est là que nous voyons la limite de l’exercice. L’idée selon laquelle la baisse du nombre de bénéficiaires permettrait de dégager du temps pour de l’accompagnement renforcé est vouée à l’échec. D’ailleurs le nombre de bénéficiaires tend à stagner voire à légèrement augmenter et les effets de la loi sur la sortie des dispositifs de chômage vont se manifester. Privés de l’ASS, les chômeurs en fin de droit se tourneront vers le RSA. Je pense que nous risquons de voir le nombre de bénéficiaires du RSA augmenter, raison pour laquelle j’ai demandé que cet indicateur soit surveillé.

Quant à la recentralisation du dispositif, j’ai une autre idée. Pourquoi les CAF distribuent-elles le RSA ? Après tout, pourquoi ne pas aller au bout de la logique de décentralisation ? Je ne crois pas, par principe, qu’il existe une différence entre une recentralisation et la distanciation entre le droit et le devoir. C’est tout à fait mortifère. Nous l’avons testé à différentes époques. Droits et devoirs doivent être intimement liés en vertu du principe de responsabilité.

J’ai vu le Président du Medef et d’autres acteurs du monde économique manifester des inquiétudes à propos de la conjoncture internationale et de ses conséquences pour la croissance en France. Nous devrons avoir le courage d’assumer nos priorités en temps de crise.

Je pense que l’État doit assurer la solidarité du versement de la prestation mais que les départements doivent avoir les moyens de la mettre en œuvre et d’associer les droits et les devoirs, l’objectif étant que les allocataires retrouvent leur dignité par le retour à l’emploi ou à l’activité.

Pour ce qui est du redressement des finances publiques, je compte sur le rapporteur général et le Président de la commission des Finances pour porter notre message : nous souhaitons, tous échelons territoriaux confondus, participer aux discussions mais à condition que l’ordre du jour nous soit communiqué à l’avance. Je n’avais pas cette information jusqu’à aujourd’hui. Nous aimerions pouvoir débattre sur la base de chiffres déjà établis. Le message de Départements de France est simple : n’en jetez plus, la coupe est pleine ! Nous n’en pouvons plus ! Je pense que nous avons fait des efforts, y compris dans notre demande de taux de couverture à 50 % au lieu de 100 %. Je pense qu’il n’existe plus de marge de manœuvre, à moins que nous assumions collectivement la remise en cause de l’aide aux communes et de l’accompagnement des territoires, alors même que le Gouvernement nous demande de participer à l’effort de France Ruralités. Je suis prêt à entendre, de la part du Gouvernement, qu’il ne nous donne plus les moyens d’exercer certaines missions, mais à condition qu’il soit prêt à l’assumer pleinement. La victime sera le monde rural, qui est très inquiet de la dégradation de nos finances publiques.

Bien entendu, pour maintenir le montant du fonds de péréquation à 1,9 milliard d’euros, si les DMTO restent bas, il faudra appliquer un taux de prélèvement plus élevé. Cela posera problème. Je n’assumerai plus des propositions visant à augmenter ce taux. Paris a accepté un nouvel effort de 30 millions d’euros mais arrivera un moment où ce ne sera plus possible. Quant au fonds de sauvegarde, qui était doté d’une cinquantaine de millions d’euros et auquel l’État a accepté d’abonder à hauteur de 50 millions d’euros supplémentaires à notre demande – je remercie au passage le Parlement d’avoir soutenu cette requête – les caisses sont vides.

La situation des départements en difficulté s’améliorera-t-elle d’ici au prochain exercice budgétaire ? Assurément non ! Nous devrons tenir compte de cette réalité : le fonds de sauvegarde était unique et n’était mobilisable qu’une seule fois. Je demande au groupe Renaissance d’être vigilant, ainsi que tous ceux qui voudront bien sauvegarder les départements les plus en difficulté.

Pour ce qui est des MNA, un cri d’alerte a été lancé par quelques Présidents de département. Nous nous sommes réunis pour déterminer une position commune. Nous voulons continuer à mettre en œuvre des actions de solidarité à l’égard des mineurs, d’où qu’ils viennent. Dès lors qu’ils se trouvent sur le territoire français, ils doivent être protégés. J’ai entendu le cri d’alarme des Alpes-Maritimes et j’aimerais saluer l’esprit de responsabilité qui a prévalu. Ce département frontalier a été confronté à l’afflux de centaines de jeunes qu’il a fallu accueillir et protéger, dans l’attente qu’ils ne soient ensuite répartis sur le reste du territoire national. Charles de Courson a touché le fond du problème. Sans démagogie aucune, le problème est le suivant : dès lors qu’un individu se prétend mineur – et dans certains cas, il s’est avéré par la suite que la personne était bien plus âgée, jusqu’à parfois trente ans – il doit être protégé. Je vous invite d’ailleurs, Madame la députée, à venir à la rencontre des agents de mon département qui effectuent ce travail au quotidien. Nous avons une équipe de professionnels qui évalue l’âge des prétendus mineurs à l’aide de diverses méthodes (dont les tests osseux), et qui est également capable de déterminer leur provenance et les conditions dans lesquelles ils ont émigré. Nous avons souvent affaire à des personnes dont les documents d’identité ont été détruits ou qui prétendent ne pas en avoir. Nous pouvons, sur réquisition du Parquet, procéder à des tests osseux.

Nous ne pouvons pas continuer à fonctionner avec ce système. Au nom de Départements de France, sachant que nous avons affaire à un problème européen – car un « mini-Calais » est en formation à la frontière italienne avec ceux qui ne sont pas reconnus mineurs – il faut que l’État prenne en charge le délai d’évaluation. Je tiens à saluer la qualité du dialogue que nous avons eue avec Gérald Darmanin et avec le garde des Sceaux.

J’ai effectué un recensement très précis – nous pourrons vous transmettre les résultats complets de notre enquête – et il s’avère que 65 à 70 % des prétendus mineurs sont en réalité majeurs. Et l’enquête pour identifier les majeurs peut parfois durer six mois. Les associations qui mènent un travail de sensibilisation méritent d’être saluées. Elles engagent aussi des recours – qui sont d’ailleurs excessifs à mes yeux dans certaines situations. Le système se retrouve actuellement embolisé. Dans mon département, une quinzaine de jeunes sont actuellement hébergés à l’hôtel – c’était cette solution ou la rue. Je fais confiance à mes services pour ne pas en choisir qui ressemblent à des enfants. D’ailleurs, à côté d’eux, j’ai plutôt l’air fluet… Je n’avais pas d’autre possibilité, même pas dans le cadre de réquisitions. Je me suis trouvé dans une situation où je ne pouvais pas appliquer la loi. Nous devons faire preuve de responsabilité. Il n’est pas de sujet plus lancinant que celui de l’enfance pour ceux qui assument cette mission.

Nous avons affaire à un problème de société : la violence juvénile. La donne s’inverse : des parents nous appellent à l’aide pour que nous les protégions de leurs propres enfants – nous avons souvent affaire à des femmes seules.

Nous avons également affaire à un problème de santé mentale. Le système de santé préventive est défaillant, en particulier dans les collèges. Dans mon département, tous les enfants sont vus avant l’âge de six ans par la PMI. Mais qui les suit après six ans et jusqu’à la sortie du collège ? Combien compte-t-on de médecins scolaires ? Les troubles du comportement nous sont signalés lorsque la situation s’est déjà dégradée. Nous avons affaire à un problème de santé psychique, psychologique et psychiatrique et nous n’avons aucune réponse. Vingt départements sont actuellement privés de pédopsychiatres !

Nous avons investi mais nous rencontrons des difficultés pour recruter dans ces métiers de la vie. Si la responsabilité nationale pouvait témoigner sa reconnaissance à tous ceux qui assument ces missions particulièrement difficiles jour et nuit et tout au long de l’année… Je suis témoin de beaucoup de désespérance parmi les personnes que je côtoie. Des chambres toutes neuves sont dévastées dans des accès de violence, de la part de jeunes qui sont en grande fracture. Que devons-nous faire de ces jeunes ? Sont-ils suffisamment accompagnés sur le plan sanitaire ?

Le système de protection judiciaire de la jeunesse est également défaillant. Qui décide du placement des jeunes ? Dans la majeure partie des cas, nous avons affaire à des placements judiciaires. Où est la PJJ ? Dans mon département se trouve un centre éducatif fermé qui accueille des délinquants « multi-réitérants » en attente de leur procès. On m’a expliqué que dans la mesure où ils n’avaient pas encore été condamnés, on ne pouvait pas les qualifier de récidivistes. Ces jeunes, qui ont commis des actes délictuels voire criminels, sont laissés à notre charge dans l’attente de leur procès. Un centre éducatif de mon département a dû être fermé faute d’avoir pu recruter. Nous devons travailler sur l’accueil dans la périphérie de la famille (les grands-parents ; les cousins, etc.). Ce n’est pas une pratique habituelle des juges et je suis tenu d’appliquer des décisions de justice. Les juges, au nom de l’indépendance de la magistrature, n’engagent pas un dialogue suffisamment construit avec nos travailleurs sociaux, au point que je multiplie les appels sur des décisions de juges pour enfants faute d’avoir pu dialoguer. Lorsque je les invite à un dialogue beaucoup plus construit, ils viennent s’ils veulent bien…

Nous avons aussi affaire à des problématiques de prostitution de la part de lycéennes dans la rue, à des problématiques de violence, comme dans la rue. Les problèmes sont simplement exacerbés.

Merci à vous les députés d’avoir mis sur ce sujet de société sur la place publique. Il me semble que nous devons commencer par reconnaître le travail de tous ceux qui accompagnent ces jeunes en souffrance. Et parfois nous avons de belles réussites, et j’aimerais qu’elles soient mises en valeur.

Un dernier mot sur la Corse : nous avons dans notre pays un problème au niveau de la relation avec le fait insulaire. Je regrette d’ailleurs que les députés ne puissent plus se rendre dans les territoires ultramarins. Mon seul regret à propos de la Corse est que c’est le seul territoire qui n’ait pas adhéré à l’Assemblée des Départements de France. Même la province sud de la Nouvelle-Calédonie a adhéré. J’aurais tellement de plaisir à accueillir Gilles Simeoni.

Un accord a été conclu entre l’Assemblée de Corse et le Gouvernement afin de reconnaître une singularité insulaire corse. Pour moi qui suis un grand décentralisateur, je pense qu’il n’est pas nécessaire de chercher des désaccords lorsque les parties sont d’accord entre elles. Voilà ce que j’ai à dire sur la Corse, que je connais bien par ailleurs.

M. Jean-Léonce Dupont. Une question a été posée sur la suppression du droit du sol à Mayotte. Il ne nous appartient pas de trancher. Nous avons affaire à un territoire assez exceptionnel, et il n’est donc pas forcément choquant d’envisager quelques mesures exceptionnelles.

Concernant la territorialisation de la CVAE, elle ne concerne pas l’échelon départemental, contrairement au bloc local.

Quant à la péréquation francilienne, il a été précisé que Paris avait fait un effort, notamment à travers la péréquation nationale, mais il convient de souligner qu’elle dispose d’un levier particulier par rapport aux autres collectivités départementales : elle est à la fois ville et département. Et il ne vous aura pas échappé que les impôts locaux à Paris ont augmenté. Cela avait été annoncé avant l’effort sur la péréquation, de sorte que ce dernier n’est pas la cause des hausses fiscales, mais l’existence de ce levier méritait d’être soulignée.

Quarante départements ont pu mettre un milliard d’euros en réserve, ce qui permettra de compenser la baisse des recettes issues des droits de mutation, et de continuer à accompagner les collectivités locales.

La Ministre a évalué à 1,4 milliard d’euros le coût du dispositif que nous réclamons afin de garantir la couverture par l’État des AIS à hauteur de 50 %.

La question de M. Jolivet sur les dépenses que nous souhaitons voir disparaître est très difficile. Nous souhaitons avant tout voir disparaître les dépenses nouvelles !

Quant à la question sur la création d’un dispositif équivalent à l’article 40, comprenez bien que dans la mesure où nous sommes privés du levier fiscal, pour que nous puissions faire face à une dépense supplémentaire, il faut que l’on nous explique comment elle est couverte. Le dispositif type article 40 nous permettrait de refuser de prendre en charge de nouvelles dépenses qui ne seraient pas couvertes.

L’idée de créer une CSG départementale avancée par Charles de Courson mérite d’être creusée. La CSG fait partie des pistes probables de solution à moyen/long terme. Je précise par ailleurs, puisqu’une partie de la TVA nous a été transmise, que cette ressource est également cyclique, et qu’elle peut d’ailleurs évoluer indépendamment des DMTO. Les budgets départementaux et communaux ont fait l’objet d’une régularisation à la baisse des parts de TVA qui leur étaient attribuées. L’idée d’une CSG départementale est intéressante, et il conviendrait aussi de réfléchir s’il s’agirait là du transfert d’une partie de la CSG perçue à l’échelon national ou d’une territorialisation partielle de la CSG.

Je pense que la contractualisation entre les collectivités devrait être possible mais pas obligatoire. Je pense que l’envie de travailler ensemble est plus vertueuse que des cadres généraux qui s’imposeraient à des participants qui ne seraient éventuellement pas volontaires.

Quant aux territoires « zéro chômeur », au risque de heurter le député auteur de la question, j’y porte un regard extrêmement sévère. Tout d’abord, l’objectif « zéro chômeur » est plus une appellation marketing qu’une réalité possible. Il existera toujours des chômeurs de longue durée sur ces territoires. Par ailleurs, le montage a été effectué de telle manière que le recours au champ concurrentiel est impossible. En d’autres termes, les personnes accueillies dans le dispositif sont susceptibles d’y rester à vie. En d’autres termes, la collectivité départementale, qui n’a pourtant pas de compétences en matière d’emploi, accepte de financer à vie une politique de l’emploi. Or notre domaine est l’insertion, c’est-à-dire le retour à l’emploi. J’ai comparé tous les dispositifs d’insertion et dans mon département, celui-ci est le moins efficace et le plus onéreux. La finalité me semble intéressante mais concrètement, nous nous engageons dans des champs de dépenses absolument pérennes et probablement moins efficaces que d’autres dispositifs. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

À propos de la décision du Territoire de Belfort, vous pouvez nous demander de remettre en cause une loi républicaine mais pas de nous affranchir de son application. La difficulté est que nous nous retrouvons confrontés à l’arrivée de quarante nouveaux jeunes chaque week-end, que nos équipes ne sont pas en capacité de les traiter et qu’en tant que Présidents de la collectivité, nous sommes pénalement responsables d’eux. J’ai demandé au Préfet s’il pouvait réquisitionner des biens mais il m’a répondu que c’était difficilement envisageable car les délais de procédure n’étaient pas compatibles avec la nécessité de prendre en charge immédiatement les nouveaux arrivants. Nos services se retrouvent épuisés à essayer de traiter ce flux ininterrompu. À peine trouvons-nous une solution que de nouveaux problèmes se posent, et en plus la solution trouvée n’est pas pérenne…

Mme la présidente Véronique Louwagie. Merci pour votre intervention. Nous tiendrons bien compte des éléments que vous nous avez présentés.

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Puis la commission examine la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France (n° 2321) (M. Alexandre Holroyd, rapporteur).

Mme Véronique Louwagie, présidente. Mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France, qui est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique à compter du 9 avril.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Madame la présidente, chers collègues, je suis très heureux de vous présenter cette proposition de loi.

Si notre pays, grâce aux efforts entrepris depuis 2017, est aujourd’hui la destination privilégiée en Europe pour de nombreux investisseurs internationaux et établissements financiers, nous ne pouvons pas nier l’écart croissant, en matière de financement des entreprises, entre l’économie européenne et l’économie américaine. Trois chiffres permettent d’illustrer, bien que d’une façon imparfaite, ce constat.

Il y a dix ans, la première banque européenne et la première banque américaine avaient peu ou prou la même valeur. Aujourd’hui, la première banque américaine a une valeur plus ou moins équivalente à celle des dix premières banques européennes cumulées. Par ailleurs, la capitalisation d’une seule entreprise américaine, Microsoft, est supérieure à celle de l’intégralité du CAC40. Je vous laisse réfléchir à ce que cela veut dire en matière d’investissement, de recherche et de croissance. Le dernier exemple est que 60 % des financements ont lieu par le biais des marchés aux États-Unis, contre 17 % en Europe, où le système bancaire assure la majorité du financement des entreprises.

Les besoins de nos entreprises et de nos économies pour réussir la transition écologique, maîtriser la transformation numérique ou encore faire face à la question du grand âge sont absolument colossaux. L’épargne des Français et des Européens, qui se présente sous une myriade de formes, l’est également. Il convient de tout faire pour faciliter le financement de ces besoins très importants par cette épargne très abondante. Le lien, le point de contact entre l’épargne et les besoins de financement, ce sont les acteurs financiers.

Depuis 2017, la stratégie menée de façon volontariste par la majorité a considérablement renforcé l’attractivité de la place financière de Paris, qui se trouve désormais au premier rang en Europe. Cette stratégie s’est appuyée sur des avantages comparatifs, dont la qualité des superviseurs nationaux, la qualité de vie offerte à Paris, le régime fiscal et le droit du travail. La plupart des banques d’investissement étrangères implantées à Paris ont plus que doublé leurs effectifs depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Plus généralement, l’amélioration de la compétitivité de la place s’est traduite par la création de 7 000 emplois entre 2017 et 2022 dans la seule industrie financière, à quoi s’ajoutent des créations d’emplois indirectes et d’importantes recettes fiscales supplémentaires.

Pour renforcer notre économie, française comme européenne, en cohérence avec la volonté du Gouvernement de créer une véritable union des marchés des capitaux au niveau européen, cette proposition de loi tente d’apporter des réponses concrètes, très ciblées, à un nombre limité de questions bien précises. Elle résulte de très nombreux échanges avec les acteurs de la place, des juristes, des chercheurs, des économistes, les services de l’État et des auteurs de rapports parlementaires ou non parlementaires, qui ont formulé de nombreuses recommandations. Il en résulte un ensemble de mesures qui visent à faciliter le financement de nos entreprises et à renforcer l’attractivité de notre droit.

Le titre Ier de la proposition de loi comporte ainsi cinq articles visant à renforcer les capacités de financement des entreprises depuis la France. Ses articles 1er à 3 prévoient des mesures nécessaires en droit des sociétés pour faciliter les levées de fonds dans le cadre d’introductions en bourse ou d’augmentations de capital, tandis que les articles 4 et 5, qui portent sur quelques dispositions très précises du code monétaire et financier, lèveront des entraves à l’activité de notre industrie financière sans réduire en rien la protection de l’épargnant.

L’article 1er a pour objet d’autoriser les sociétés à s’introduire en bourse en se dotant d’actions à droits de vote multiples. Le but est de permettre à des actionnaires ou à des fondateurs qui jouent un rôle particulier dans les entreprises à forte croissance d’en conserver le contrôle et donc de maîtriser la trajectoire de développement. L’introduction de droits de vote multiples sera une simple possibilité offerte aux entreprises souhaitant être cotées, nullement une obligation. Les investisseurs seront libres de répondre ou non à une offre dont ils connaîtront les termes. Offrir cette faculté aux entreprises se justifie doublement, d’une part pour éviter que des entrepreneurs actifs en France se trouvent dissuadés de poursuivre le développement de leur société par la perspective d’en perdre le contrôle, d’autre part pour éviter qu’ils aillent poursuivre ailleurs leur développement, de très nombreuses places de cotation offrant déjà cette possibilité.

L’article 2 permettra aux fonds communs de placement à risques (FCPR) de prendre des participations dans des sociétés dont la capitalisation boursière est comprise entre 150 et 500 millions d’euros. Ils pourront ainsi accompagner plus longtemps certaines entreprises à forte croissance dans lesquelles ils investissent juste avant leur cotation.

L’article 3 vise à faciliter les augmentations de capital sans droit préférentiel de souscription, plus propices à des levées de fonds rapides et moins complexes. Cet article vise donc à éviter, lui aussi, que de nombreuses entreprises choisissent une autre place que Paris pour leur cotation – les droits américain et néerlandais par exemple ne posent aucune limite aux augmentations de capital sans droit de souscription.

L’article 4 permet à des sociétés de gestion de transmettre des informations aux superviseurs d’États non-membres de l’Espace économique européen, comme les établissements bancaires peuvent déjà le faire. Soyons clairs : depuis 2009, les gestionnaires d’actifs européens ont perdu des parts de marché alors que les gestionnaires d’actifs américains en ont gagné. La loi du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite loi de blocage, est un texte essentiel que la proposition de loi ne remet nullement en question, mais une dizaine de sociétés de gestion françaises ont déjà vu leur enregistrement refusé par le superviseur américain pour des raisons infondées qui sont liées à cette loi. C’est ainsi la moitié du marché mondial de gestion d’actifs qui leur est fermé, alors que les informations demandées par le régulateur américain sont, pour la plupart, publiques.

L’article 5 modifie une règle concernant la communication promotionnelle des prestataires de service d’investissement français en vue d’opérations sur un marché d’un pays tiers à l’Espace économique européen. Il recentre simplement la règle, même si c’est un peu complexe, pour cibler les opérations qui ne sont pas couvertes par le droit européen. J’insiste sur le fait que les règles européennes de commercialisation demeureront applicables. Pas plus qu’aujourd’hui, il ne sera possible de commercialiser n’importe quoi auprès de n’importe qui dans n’importe quelles conditions. En revanche, l’univers d’investissement susceptible d’être proposé par nos gérants d’actifs s’en trouvera élargi, et ainsi les perspectives d’investissement pour nos épargnants.

Le titre II de la proposition de loi peut objectivement paraître un peu obscur, mais il me tient beaucoup à cœur. Il aura, s’il est adopté, un effet très concret et très rapide au niveau national. Il permettra par exemple de fluidifier et d’accélérer le dispositif d’aval de l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), ce qui permettra aux agriculteurs céréaliers d’être payés plus rapidement. Il aura aussi une véritable incidence à l’international si la France et son droit parviennent à assumer un rôle prépondérant en matière de dématérialisation des procédures de commerce international. Cela facilitera le développement de nos entreprises à l’étranger et donc les débouchés à l’exportation, sans parler de l’influence de notre dispositif juridique sur l’essor de la dématérialisation dans d’autres pays, notamment chez nos partenaires en Europe et en Afrique.

En clair, ce titre II, qui comprend quatre articles, vise à définir la notion de titre transférable en regroupant divers documents ou instruments aujourd’hui appréhendés de façon éparse par notre droit, puis à reconnaître leur forme électronique et à garantir l’équivalence fonctionnelle et la convertibilité entre les titres imprimés ou dématérialisés. Ces dispositions nouvelles s’inspirent d’un modèle élaboré par la commission des Nations unies pour le droit commercial international et efficacement adapté par un rapport commandé par le Gouvernement. Nous serions l’un des premiers pays dotés d’un tel texte, et même le premier de tradition juridique romano-germanique. Par ailleurs, si le Royaume-Uni a déjà traduit dans son droit les travaux de la commission des Nations unies que je citais, cette adaptation trop rapide ne lui permet pas de concrétiser le dispositif, contrairement à celui que nous prévoyons. Je remercie Mme Béatrice Collot et M. Philippe Henry pour l’excellent rapport qu’ils ont remis au Gouvernement en juin dernier sur ce sujet. Je souligne que la numérisation permettrait une économie de 36 documents et 240 copies en moyenne par transaction, pour un gain de 3,8 milliards d’euros en France d’ici à 2030.

J’en viens au titre III, qui regroupe trois articles.

L’article 10 facilitera la consultation par voie électronique des associés et le vote par correspondance des actionnaires, ainsi que la tenue dématérialisée des réunions des conseils d’administration, des comités de surveillance et des différentes assemblées, en prévoyant que ces dernières seront retransmises en direct et en différé.

L’article 11 prévoit que la cour d’appel de Paris est seule compétente en matière d’arbitrage international en France. Cette centralisation est une mesure de bon sens, partant du fait que cette cour d’appel joue déjà plus ou moins ce rôle : parmi les 487 affaires d’arbitrage international traitées par les cours d’appel de 2019 à 2022, 404 l’ont été par celle de Paris.

L’article 12 actualise, en l’étendant, la liste des preneurs de risques ayant exercé dans un établissement de crédit ou une société de financement pour lesquels l’indemnité de licenciement est calculée sans prendre en compte la partie de la rémunération variable qui aurait été réduite ou restituée du fait d’une sanction.

Enfin, le titre IV de la proposition de loi comporte les dispositions nécessaires à son application à l’outre-mer et le calendrier de son entrée en vigueur.

Mme Véronique Louwagie, présidente. M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, avait annoncé en janvier dernier son intention de présenter au printemps un projet de loi relatif à l’attractivité financière. Or c’est une proposition de loi que nous présente aujourd’hui la majorité. Quelle peut être la raison de ce choix ? L’ambition du présent texte correspond-elle à celle qui était envisagée initialement ?

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Vous avez raison, le ministre de l’économie avait annoncé un projet de loi portant sur l’attractivité de la place de Paris. En ce qui me concerne, le travail qui a mené à cette proposition de loi avait été engagé de très longue date : il remonte aux premiers échanges que j’ai eus, il y a plus de deux ans, avec les deux personnes que j’ai citées au sujet du titre II. J’ai eu, je l’ai dit, des discussions avec toutes les parties prenantes. Il reviendra au Gouvernement d’indiquer pourquoi il n’a pas présenté de projet de loi mais, au regard de l’importance de la question, que j’ai essayé d’illustrer par quelques chiffres, il me paraît nécessaire que notre Assemblée s’en saisisse de façon indépendante. C’est pourquoi je soumets cette proposition de loi à votre sagesse.

Mme Véronique Louwagie, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Daniel Labaronne (RE). Cette proposition de loi, dont je tiens à saluer la qualité, poursuit trois objectifs : simplifier le financement de nos entreprises, soutenir l’innovation et renforcer l’attractivité de notre pays par l’investissement. Les effets attendus sont : plus de croissance économique, plus d’emploi et plus de recettes fiscales.

Grâce à cette proposition de loi, nous pourrons renforcer la compétitivité de notre économie dans un segment particulier, celui du financement du développement des entreprises innovantes. Beaucoup de chefs d’entreprise, qu’il s’agisse de très petites entreprises (TPE), de petites et moyennes entreprises (PME) ou d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), nous disent que le besoin de financement de leur croissance n’est pas toujours satisfait par le système bancaire, parfois trop frileux, mais qu’ils hésitent à aller sur les marchés financiers car ils ont peur de perdre le contrôle de leur entreprise. La proposition de loi apportera à cela des réponses concrètes et elle est donc très attendue.

Concrètement, alors que nous déplorons bien souvent qu’il n’y ait pas suffisamment d’ETI dans notre économie, le texte créera les conditions nécessaires à la croissance de nos PME. Par ailleurs, alors que nous critiquons très fréquemment le déficit de nos échanges extérieurs et la complexité des transactions, la proposition de loi simplifiera les procédures et prévoit de dématérialiser certains outils de financement des échanges internationaux, comme les lettres de change et les billets à ordre, pour fluidifier et simplifier ces transactions. Enfin, alors que nous regrettons que l’épargne ait un taux trop élevé et qu’elle soit insuffisamment investie dans l’économie réelle du pays, le texte renforcera les opportunités d’investissement pour les Français.

Le groupe Renaissance votera pour cette proposition de loi au service des TPE et PME, qui représentent 98 % des entreprises françaises, sont présentes partout dans nos circonscriptions et sont gérées par des chefs d’entreprise qui attendent les moyens financiers d’assurer leur croissance, leur innovation et leur investissement, au bénéfice de notre pays.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Le groupe Rassemblement national salue cette proposition de loi car elle ouvre un débat intéressant et nécessaire. Il est certain que les difficultés d’accès au financement de nos PME sont un frein à l’innovation, à la conquête de marchés à l’export et à la réindustrialisation. Mais, même si nous sommes d’accord avec le principe et l’engagement d’un débat, nous avons plusieurs regrets.

Le premier concerne l’absence d’étude d’impact. Je sais qu’il s’agit d’une proposition de loi, mais d’après la presse, notamment le Bulletin quotidien, elle a fait l’objet d’une construction avec les services de Bercy. Il s’agit, en effet, de sujets très techniques. Je ne prétends pas, pour ma part, tout savoir et la matière est compliquée : afin d’assurer le bon éclairage du débat parlementaire, une étude d’impact aurait été de bon aloi. Cela nous aurait permis de légiférer en connaissance de cause et en restant prudents. En effet, le diable est dans les détails et ce qui touche au financement des PME et à l’épargne n’est pas seulement le fait de pensées ou d’acteurs rationnels : la culture, la civilisation, les croyances et l’expérience de chaque peuple en la matière sont importantes et tout traumatisme peut avoir des conséquences fâcheuses. Dans les années 1990 et 2000, un certain nombre d’ouvertures de capital à l’actionnariat populaire, comme dans le cas d’Eurotunnel qui exploite le tunnel sous la Manche, ont pu traumatiser nos compatriotes et produire des effets plus négatifs à long terme que positifs à court terme, en les dissuadant de faire confiance au financement direct des entreprises.

Nous serons force de proposition. Le RN souhaite notamment que l’Autorité des marchés financiers (AMF) ouvre un service pour accompagner et conseiller les PME. Nous proposerons aussi de renforcer les protections des actions préférentielles, pour que le capital des PME puisse être préservé dans le temps.

Nous sommes sceptiques à l’égard de certaines dispositions, notamment les articles 4 et 5, dont nous estimons qu’ils n’ont pas leur place dans ce texte et fragilisent sa philosophie d’ensemble.

Nous espérons que nos propositions seront entendues et qu’il n’y aura pas de sectarisme dans le traitement de ce sujet important.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Allons droit au but, cette proposition de loi va à l’encontre des intérêts économiques des PME françaises. Seule une logique financière vous anime, au service d’acteurs spéculatifs qui sont, en réalité, en quête de nouveaux débouchés pour un capital qui ne sait plus où se fixer ni où se valoriser. Je relève dans ce texte trois risques majeurs, auxquels vous êtes prêts à exposer les PME et les travailleurs français.

D’abord, vous dites vouloir faciliter le recours à des levées de fonds pour les PME alors qu’en réalité vous créez les conditions de tous les risques – perte de souveraineté, perte de contrôle et perte de maîtrise, par les entreprises, de leur propre croissance. Certes, elles seront alléchées par l’autorisation de promettre des actions pour capter des liquidités plus rapidement, mais elles se mettront inexorablement sous l’emprise d’acteurs financiers rapaces et amateurs de rentabilité à court terme. On connaît la suite : désossement, conditions de travail dégradées et, trop souvent, plans de licenciements, d’ailleurs financés par de l’argent public.

Ensuite, vous menacez les petits actionnaires en révisant les critères de validité des délibérations lors des assemblées et vous allez même plus loin : l’augmentation des émissions de nouveaux titres sans droit préférentiel de souscription pourrait réduire significativement la valeur et les droits de vote des actionnaires actuels.

Troisième risque majeur, vous trompez les citoyens en autorisant la publicité pour des placements auprès de prestataires financiers, qu’il s’agisse de marchés réglementés ou non. Il ne s’agit en aucun cas de mobiliser l’épargne des particuliers pour favoriser les levées de fonds, mais de faciliter le jeu malsain des fonds d’investissement qui n’hésitent pas à tromper les épargnants – le greewashing des placements verts en est un exemple flagrant.

Monsieur le rapporteur, par cette proposition de loi, vous voulez parachever la financiarisation de l’économie sans même avoir évalué les effets de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, sans même présenter une étude d’impact sérieuse et sans même avoir mené les auditions les plus élémentaires, comme celle, indispensable, du régulateur des marchés, l’AMF. Alors que la finance n’a jamais été aussi déconnectée de l’économie réelle et que les flux financiers sont très peu fiscalisés, vous nous enfoncez dans le mur de la dérégulation financière. Cette proposition de loi ne peut appeler de notre part qu’un devoir de vigilance et de précaution.

M. Patrick Hetzel (LR). Ce texte prévoit des mesures qui sont réclamées par l’opérateur boursier Euronext, mais nous déplorons un certain nombre de choses.

Je pense, d’abord, à la dégradation historique de notre balance commerciale, qui traduit une détérioration de notre compétitivité. Les mesures qui nous sont proposées ne permettront pas de traiter cette question.

Par ailleurs, malgré son titre, le texte sera largement impuissant à restaurer l’image de la France et à nous permettre de recouvrer notre crédibilité auprès de la communauté financière internationale, alors que notre pays s’apprête à subir une dégradation de sa note par les agences internationales à la suite du dérapage sans précédent de nos comptes publics. C’est là un vrai paradoxe.

On peut également regretter que ce texte soit destiné aux entreprises qui ont accès aux marchés pour se financer alors qu’une partie du problème se trouve du côté des TPE, des PME et même de la plupart des ETI. Ces dernières se trouveront exclues des dispositifs que vous suggérez et ne pourront compter que sur l’emprunt bancaire ou la levée de fonds pour se développer. S’il est clair que les mesures proposées sont attendues par les entreprises concernées, notamment pour répondre à leurs besoins de financement sur les marchés, qui sont bien réels, la proposition de loi ne répond qu’à une partie de la problématique.

Ce texte reste assez modeste et risque de ne pas suffire pour relancer les financements, alors que nos entreprises en ont grandement besoin. Nous sommes en fait un peu déçus, par comparaison avec ce qui avait été annoncé par le Gouvernement. Nous voterons en faveur de cette proposition de loi, mais en regrettant qu’elle reste technique alors qu’elle aurait pu aller beaucoup plus loin.

M. Mohamed Laqhila (Dem). Merci à notre rapporteur pour son excellent travail.

Cette proposition de loi est essentielle pour préparer l’avenir économique de notre pays en renforçant encore son attractivité. Sous l’impulsion des réformes structurelles qui ont été menées et grâce à l’opportunité qu’a constitué la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la place financière de Paris est devenue la première de la zone euro, alors qu’elle occupait encore un rôle de second plan il y a dix ans. Ce nouveau statut est fragile : pour le conforter, notre compétitivité doit sans cesse être renforcée. Il ne s’agit pas seulement d’aligner notre droit sur les standards internationaux, mais aussi de faire preuve d’audace et d’innovation pour attirer les investisseurs et faciliter l’accès des entreprises aux financements. C’est d’autant plus vrai que l’avenir économique de notre pays et de l’Union européenne devra obligatoirement se construire en tenant compte des défis de financement nombreux et colossaux auxquels nous faisons face en matière de transition écologique, de vieillissement de la population, de réindustrialisation ou de course à l’intelligence artificielle. Cette proposition de loi répond précisément à ces enjeux.

D’abord, en modernisant notre cadre juridique, elle facilitera les entrées en bourse, notamment pour les PME et les ETI, simplifiera les augmentations de capital et permettra de promouvoir la croissance internationale de nos entreprises grâce à la dématérialisation des titres transférables. Ces mesures, essentielles pour la dynamisation de notre économie, libéreront le potentiel de nos entreprises et consolideront la place de Paris dans la zone euro.

La dématérialisation des instances de gouvernance des entreprises constitue également un volet crucial du texte. En simplifiant les procédures et en nous adaptant aux réalités technologiques actuelles, nous favoriserons une meilleure participation et une plus grande réactivité des entreprises en ce qui concerne la gestion de leurs affaires.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera en faveur de la proposition de loi.

Mme Félicie Gérard (HOR). Cette proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France est très technique. Je remercie M. Holroyd pour ce travail d’une grande importance.

Ces dernières années, le cadre législatif applicable aux entreprises a été considérablement modifié afin de libérer les énergies productives, de favoriser le développement de notre tissu économique et de renforcer l’attractivité de la France. La loi dite Pacte de 2019 a apporté des réponses aux demandes des entreprises. Son but était de lever les obstacles à leur croissance, à toutes les étapes de leur développement, de leur création à leur transmission en passant par leur financement. L’ambition de la proposition de loi que nous étudions ce matin est de poursuivre cette dynamique de modernisation de notre cadre juridique pour accompagner le développement des entreprises. C’est une initiative que le groupe Horizons et apparentés soutient, bien sûr, pleinement.

Dans le contexte postérieur à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne qui a vu la place de Paris dépasser la City de Londres pour devenir le premier marché boursier européen en matière de capitalisation, renforcer l’attractivité financière de notre pays n’est pas seulement un enjeu pour le secteur financier, mais aussi l’opportunité pour les entreprises françaises d’avoir accès à un financement abondant, diversifié et à moindre coût durant toutes les phases de leur développement.

Pour ces raisons, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de la proposition de loi.

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Monsieur le rapporteur, vous entendez, par cette proposition de loi, accroître l’activité de la place financière de Paris en facilitant l’accès aux marchés financiers des « licornes » et autres entreprises. Nous ne partageons pas l’objectif d’une financiarisation accrue du tissu économique français, qui ne nous paraît pas aller dans le bon sens. La compétition avec les autres places financières européennes et occidentales et la volonté d’attirer les investisseurs et gestionnaires d’actifs vers la place de Paris relèvent d’options économiques et politiques qui ne sont pas les nôtres. Notre économie ne sera pas plus forte parce qu’elle sera plus financiarisée et dépendante d’actionnaires qui ne voient dans l’entreprise qu’un actif en mesure de produire des dividendes ou des plus-values. Notre vision de l’entreprise est, au contraire, celle d’une organisation humaine, mobilisée autour d’un projet commun de long terme et dans laquelle les salariés doivent avoir toute leur place, y compris au sein des organes de décision.

Nous observons, par ailleurs, qu’aucune évaluation n’accompagne cette proposition de loi, en particulier pour ce qui est de l’extension des possibilités de recours aux actions de préférence. Même si le développement de ces dernières peut permettre de limiter l’influence des détenteurs d’actions sur le marché coté à la recherche d’une rentabilité de court terme, la simplification des augmentations de capital sans droit préférentiel de souscription risque de susciter des inquiétudes chez les associés déjà présents : les conséquences potentiellement négatives sur la stabilité de l’actionnariat et donc les stratégies de long terme des entreprises auraient donc mérité d’être évaluées.

Enfin, nous appelons l’attention de cette commission sur l’article 10, qui vise notamment à favoriser l’organisation dématérialisée d’assemblées générales d’actionnaires. Cela nous semble une régression sur le plan de la démocratie actionnariale, qui se traduirait par un recul des moyens d’action à la disposition de l’engagement actionnarial. Celui-ci a pour but d’influencer les stratégies des entreprises pour les amener à un positionnement plus responsable socialement. La dématérialisation des assemblées générales conduirait sans nul doute à limiter le débat et à renforcer l’opacité des prises de décision.

M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES). Comme l’indique la première phrase de son exposé des motifs, cette proposition de loi relève de l’essence même des politiques économiques macronistes – déréglementation, dérégulation, concurrence fiscale et extension de la finance. Tout y passe : facilités d’introduction en bourse, promotion des fonds de capital-risque, transactions de titres financiers ou principes de la rémunération des traders… tout cela figure dans cette mini-loi Pacte. Voilà à quoi ressemble l’économie pour vous : rien à voir avec ce que chacun des députés entend au contact du tissu économique de sa circonscription. Vous ne prévoyez rien pour les petits artisans qui n’arrivent pas à accéder à un emprunt bancaire, rien pour les TPE dont les carnets de commandes ne dépendent que d’un unique donneur d’ordre, rien au sujet des délais de paiement, qui provoquent souvent des difficultés de trésorerie majeures. Cette proposition de loi participe en revanche à l’extension d’une économie financière, avec les risques qu’elle comporte – la profitabilité de court terme, l’inadéquation avec les investissements de très long terme que nécessite la transition écologique et les destructions d’emplois, devenus variables d’ajustement. Notre groupe s’oppose totalement à cette vision de l’économie et votera donc clairement contre ce texte.

M. Charles de Courson (LIOT). Première remarque, il s’agit d’un projet de loi déguisé en proposition de loi. Ce texte, très technique, a été annoncé dès janvier par le ministre de l’économie et des finances sous le doux nom de loi sur l’attractivité financière. Dès lors, pourquoi recourir à une proposition de loi ? Cela permet, bien sûr, au Gouvernement d’éviter toute étude d’impact et tout avis du Conseil d’État. Cette volonté de réduire l’information du Parlement est peu respectueuse des droits de ce dernier.

Permettre, comme vous le proposez à l’article 1er, la création d’actions de préférence assorties de vingt-cinq droits de vote par action nous paraît excessif : avec 4 % du capital on obtiendrait la majorité des voix ! Nous proposerons en séance de réduire à cinq les droits de vote par action, ce qui ne serait déjà pas mal.

J’aimerais également vous alerter sur la question du maintien des fonds d’investissement de proximité (FIP), qui ont tous une rentabilité négative. Par ailleurs, nous défendrons un amendement tendant à supprimer le passage du seuil prévu pour les fonds communs de placement à risque (FCPR) de 150 à 500 millions d’euros. En effet, l’avantage de ces fonds est justement de se concentrer sur des titres de sociétés non cotées, de taille petite ou moyenne.

S’agissant de l’article 5, nous sommes défavorables à l’ouverture de la publicité de la part des bourses non européennes auprès des particuliers français. Pourquoi étendre le dispositif au-delà de l’Espace économique européen ?

Nous sommes favorables aux autres dispositions, notamment celles relatives aux titres transférables et à la participation aux assemblées générales par visioconférence.

Le groupe LIOT réserve son vote, qui sera lié au sort de ses amendements.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Merci à toutes et à tous pour vos commentaires et réflexions. Je ne répondrai que sur quelques points, puisque nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur la plupart des sujets en examinant les amendements.

Monsieur Tanguy, je suis d’accord, ce texte est très compliqué – il touche, en effet, à des dispositions qui le sont. Je ferai de mon mieux pour éclairer la commission. Si jamais j’échouais, j’essaierais de le faire avec encore plus d’ardeur d’ici à la séance.

Madame Chikirou, comme Mme Sas l’a dit, l’article 1er permettra précisément de limiter l’influence des acteurs financiers dans les entreprises. C’est donc exactement le contraire de ce que vous dites. Par ailleurs, vous critiquez un affaiblissement du dialogue actionnarial dans l’article 10, mais ce dernier répond à une demande des actionnaires qui a été rejetée jusqu’ici par les entreprises, en particulier les plus grandes. Là encore, c’est donc le contraire de ce que vous dites. J’ai auditionné, évidemment, l’Autorité des marchés financiers, qui a été associée à l’ensemble des mesures proposées. La seule chose regrettable est qu’il n’y ait jamais eu un député de La France insoumise présent lors des auditions que j’ai conduites.

Monsieur Hetzel, je ne prétends pas que cette proposition de loi réglera l’ensemble des problèmes de financement de l’économie française, notamment en ce qui concerne l’artisanat – ce serait un peu trop ambitieux. Je me cantonne à ma modeste fonction de député : j’essaie de trouver quelques dispositifs susceptibles d’améliorer la situation. Ce texte bouleversera-t-il l’organisation du financement de notre économie ? Non, d’autres mesures plus importantes existent – non seulement l’union des marchés des capitaux, à un niveau peut-être plus macroéconomique, mais aussi des dispositifs concernant d’autres parties de notre économie.

Madame Sas, la principale différence entre le financement par les marchés et le financement bancaire est que ce dernier est plus cher, donc moins efficace. Quand on est en concurrence avec des entreprises équivalentes qui se tournent vers les marchés, cela veut dire qu’elles se financent à moindre coût. La réalité, c’est qu’il n’y aura plus de tissu économique, à la fin, si l’on ne se finance que par la voie bancaire : il faudra passer également par les marchés. La réalité, c’est aussi que l’épargne des Européens va de plus en plus vers les bons du trésor américain et les entreprises américaines. Cela signifie qu’à défaut de contre-mesures, l’épargne s’oriente graduellement vers le financement par les marchés d’entreprises étrangères.

La dématérialisation des assemblées générales, sur laquelle nous reviendrons lors de l’examen de l’article 10, est une demande très forte des petits actionnaires. Aller en personne à une assemblée générale induit des frais de déplacement et d’hôtel : c’est donc limité à un petit nombre d’actionnaires. La dématérialisation permet la participation au dialogue actionnarial d’un bien plus grand nombre d’actionnaires qui, pour l’instant, ne l’exercent pas parce qu’elle est trop coûteuse. Jusqu’à la période de la crise liée à l’épidémie de covid-19, les entreprises, notamment les grandes, étaient plutôt réticentes à la dématérialisation. L’article 10 permettra de faire un pas dans la bonne direction.

Enfin, monsieur Tellier, il n’y a pas une seule disposition fiscale dans ce texte, je ne sais donc pas à quoi vous faites référence.

Mme Véronique Louwagie, présidente. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Michel Castellani (LIOT). L’article 4 acte la dérégulation de la loi Pacte, motif suffisant pour vider de sa substance la loi de blocage relative à la communication de documents et de renseignements d’ordre économique, commercial ou industriel. Nous considérons que cette approche sous-estime les menaces pesant sur les entreprises, et nous nous interrogeons sur l’opportunité de lever ce blocage et sur les conséquences qui pourraient en découler.

Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES). Quand avez-vous auditionné l’AMF ? La liste des convocations aux auditions du rapporteur pour préparer l’examen de cette proposition de loi ne mentionne que l’Association française de la gestion financière (AFG), l’Association française des entreprises privées (AFEP), la Fédération bancaire française (FBF) et la direction générale du Trésor. Nous avions été invités et étions représentés. En revanche, l’AMF ne figure pas dans la liste, et vous avez indiqué lors des auditions avoir eu des discussions avec le Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Des échanges informels n’ont pas de valeur officielle pour le travail parlementaire. Qu’en est-il pour l’AMF ?

M. Alexandre Holroyd, rapporteur.  Ce texte est le produit d’un travail de près de deux années et il est parfaitement transparent. Par exemple, la transposition de la dématérialisation des titres de commerce international a fait l’objet d’un rapport publiquement remis aux ministres de la justice, de l’économie et du commerce extérieur, après plus d’un an et demi de travail, par deux représentants de l’association Paris Europlace qui ont mené de nombreuses auditions. J’ai évidemment discuté avec les auteurs du rapport, cités dans mon propos introductif. Pendant le temps qu’a duré la rédaction de la proposition de loi, j’ai consulté l’ensemble des régulateurs – l’AMF, mais aussi l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – pour parvenir à un texte d’équilibre. Il est vrai que je n’ai pas officiellement sollicité l’AMF après cette consultation, mais je serai ravi de le faire d’ici à la séance. Vous verrez qu’elle est en accord avec la majorité du texte.

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Ouverture de la faculté de créer des actions à droits de vote multiples lors d’une introduction en Bourse et extension des possibilités de négociation des promesses d’action aux systèmes multilatéraux de négociation

Amendements de suppression CF22 de Mme Sophia Chikirou et CF58 de M. Kévin Mauvieux

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). L’amendement CF22 marque le début d’une longue série d’amendements de suppression. Au nom de la sacro-sainte compétitivité, l’article 1er prévoit deux mesures importantes visant à déréglementer la place financière parisienne. La France remet ainsi en cause un équilibre en place depuis des années. Nous nous apprêtons à légiférer sans même avoir évalué la loi Pacte de 2019 et ses conséquences, et sans la moindre étude d’impact !

Le rapporteur vient d’avouer un mensonge, puisqu’il avait dit avoir auditionné l’AMF. Nous, législateur, faute de l’avoir entendue, ne savons pas ce que l’AMF pense de cette proposition de loi. C’est un véritable problème pour avancer sérieusement et sereinement dans ce travail. Le président de la commission des finances s’est adressé à la présidente de l’AMF, lui demandant de nous livrer son analyse du texte.

Ne connaissant pas les effets potentiels de l’adoption de l’article 1er, nous demandons sa suppression.

M. Kévin Mauvieux (RN). L’amendement CF58 est un amendement d’appel pour redire que, si nous n’avons pas d’opposition de principe, nous ne disposons d’aucune étude d’impact sur cette proposition de loi et qu’il y manque des garde-fous, tels qu’un service de conseil de l’AMF et une priorisation de l’accès des employés et des ouvriers au financement des entreprises. Je retire cet amendement.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Madame Chikirou, cet article est essentiel car il permet à une entreprise qui voudrait croître, à un entrepreneur qui a consacré son temps, son labeur et sa sueur au développement de sa société, de trouver, grâce à une admission des titres de celle-ci à la négociation en bourse, les financements requis tout en gardant la mainmise sur le développement de son projet industriel, plutôt que de la laisser entièrement aux mains de ses financeurs.

L’article est assorti de toute une série de garde-fous empêchant la pérennisation de déséquilibres : limitation des droits de vote multiples, limitation dans le temps, limitation du type de décisions concernées.

Il me semble que vous vous contredisez en rejetant cet article de protection contre la finance. Je suis défavorable à ces amendements de suppression.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Pour répondre à Mme Chikirou, qui s’inquiète à juste titre de l’avis de l’AMF, les bureaux respectifs des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat ont été reçus la semaine dernière par la présidente de l’Autorité et ses équipes. Elle a exprimé un avis favorable au texte. Le procès fait au rapporteur me paraît donc déplacé.

Je ne comprends pas votre opposition à ce texte, qui contribue à la souveraineté et au financement de nos PME et nos petites et moyennes industries (PMI) qui rencontrent de graves difficultés dans leur développement.

Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur général, c’est très bien que les membres du bureau aient des échanges avec l’AMF, mais nous n’y avons pas participé et nous devons examiner le texte. Cela confirme que vous mentez depuis tout à l’heure à propos de cette audition.

Je remarque le courage du Rassemblement national qui retire déjà son premier amendement examiné. On voit là sa grande volonté d’opposition et l’arnaque sociale qui se cache en permanence derrière ses propos.

Vous nous dites qu’il s’agira d’une loi protectrice. Connaissez-vous les effets, notamment fiscaux, de l’article 1er ? En l’absence d’étude d’impact, j’imagine que c’est à vous de nous livrer ces éléments.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Cet article n’aura pas par lui-même d’effet fiscal, sinon un effet positif du fait que certaines entreprises n’iront pas se coter à l’étranger ni s’y acquitter d’une partie de leurs obligations fiscales. Car c’est bien ce qui arrive, nous en avons des exemples : des entreprises choisissent d’autres places que celle de Paris pour s’introduire en bourse e en se dotant d’actions à droits de vote multiples. Par principe, je le répète, les dispositions de ce texte n’auront pas d’effet fiscal immédiat et direct. Elles pourront en avoir un de second degré, si elles contribuent à créer de l’activité.

L’amendement CF58 étant retiré, la commission rejette l’amendement de suppression CF22.

Amendement CF26 de Mme Eva Sas

Mme Eva Sas (LFI-NUPES). Il s’agit de permettre aux sociétés coopératives de production (Scop) et aux sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) constituées en sociétés par actions simplifiées (SAS) d’émettre des titres participatifs. Le problème est simple, et bien connu : les sociétés coopératives qui, constituées sous la forme de SAS, n’ont pas accès aux prêts participatifs, contrairement à celles qui prennent la forme de sociétés anonymes (SA) ou de sociétés à responsabilité limitée (SARL), ce qui limite considérablement leur liberté d’organisation. Le rapport remis conjointement par l’Inspection générale des affaires sociales de l’Inspection générale des finances en 2021 préconise donc d’« ouvrir la possibilité aux Scic constituées en SAS d’émettre des titres participatifs ». C’est ce que je propose par cet amendement.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Par principe, je suis opposé à l’idée d’ouvrir une telle possibilité aux SAS, au sens large du terme, puisqu’il s’agirait d’un changement fondamental du droit. Cependant, le périmètre de votre amendement, restreint aux Scic et aux Scop, et limité aux titres participatifs, me paraît bien dessiné. J’y suis donc favorable.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Je soutiens cet amendement. Il est important d’ouvrir cette possibilité à toutes les Scic et Scop.

Je reviens sur la réponse de M. le rapporteur concernant l’impact fiscal du texte : il n’est pas sérieux d’affirmer qu’il sera secondaire, et que faciliter l’accès aux financements sur la place parisienne réduira les pertes de recettes fiscales que subit l’État lorsque les entreprises se financent à l’étranger. Je vous pose une question claire : combien de PME se financent sur des places étrangères, et combien le feront du fait de votre article 1er ? Avez-vous mené – vous-même ou la direction générale du Trésor – un travail sérieux, qui vous permette de nous donner une réponse digne de confiance ? Vous en êtes à deux mensonges depuis le début de notre réunion !

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je suis ravi que nous nous retrouvions au sujet de l’amendement de Mme Sas.

Vous avez l’accusation facile, et accordez une confiance limitée à votre rapporteur. J’ai pour ma part une réelle confiance envers le président de notre commission. Or il se trouve que l’article 1er, s’il avait une incidence fiscale, ne serait pas recevable. Si vous avez une question à ce sujet, il faudra la poser au président de la commission, qui en a jugé ainsi.

La commission adopte l’amendement CF26.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CF71 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendements identiques CF25 de Mme Marianne Maximi et CF56 de M. Jean-Philippe Tanguy

Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES). L’amendement CF25 est un amendement d’alerte. L’article 1er, qui ouvre aux PME la possibilité de se financer par des levées de fonds sous forme de promesses d’action, prend le problème à l’envers. Nous ne nions pas que les PME rencontrent des difficultés de financement – j’espère que vous non plus – mais, selon la dernière enquête de Bpifrance, pour 56 % des PME, le principal obstacle à l’investissement est le coût du crédit. Les banques sont de plus en plus frileuses pour prêter aux petites entreprises : c’est le cœur du problème, car les PME n’ont pas accès à des financements stables. Un autre problème est la concurrence sociale et fiscale des multinationales, qui ont les moyens de « casser les prix ». Dans ces conditions, il est difficile, voire impossible, pour une petite entreprise de remporter des marchés publics.

Cet article revient donc à encourager les petites entreprises à se financer sur les marchés financiers car l’emprunt et les marchés publics sont bouchés. C’est un véritable aveu d’échec de votre politique. Merci de clarifier les choses, mais nous nous opposons à cette fuite en avant qui incite les PME à se financiariser et à se mettre à la merci d’acteurs prédateurs.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Monsieur le rapporteur, nous n’avons nullement l’intention de remettre en question votre compétence, dont je n’ai aucune raison de douter, mais vous voyez bien que vous ne pouvez pallier l’absence d’étude d’impact. Les institutions sont conçues pour protéger les rapporteurs et les parlementaires en objectivant les choses et en facilitant le dialogue. Vous avez fragilisé une bonne idée en choisissant de la déposer sous forme de proposition de loi, sans étude d’impact. Depuis le début de notre discussion, on n’entend donc que des procès d’intention et des accusations mutuelles peu constructives. Cette sorte d’antiparlementarisme, ou du moins de critique du processus parlementaire, que vous présentez comme un obstacle systématique à la rapidité du travail législatif, se retourne donc contre vous : c’est en respectant les étapes et les procédures qu’on renforce la création de la loi. Tout cela est dommage.

Sur le fond, cet amendement d’appel CF56 me permet de vous demander votre éclairage concernant les alinéas 5 et 6, dont je ne vois pas l’utilité. En permettant aux PME de se financer sur les marchés, ils nourrissent l’inquiétude relative à la financiarisation sans se mettre à leur service.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Ces amendements me paraissent motivés par un point de détail de la procédure d’admission à la négociation, la promesse d’actions, qui fait l’objet d’une confusion. Il s’agit d’une garantie de liquidité accordée au moment de la cotation pour un temps qui prend fin au règlement-livraison de l’action. Pendant un délai technique de quarante-huit heures à compter du début de la cotation, les actions prennent la forme de promesses d’actions négociables sur le marché, très facilement identifiables – la mention « promesse » est accolé au nom de la société sur la ligne de cotation – et converties en actions réelles à l’expiration de ce délai. Ce dispositif est parfaitement normé, c’est une procédure. Je suis défavorable à ces amendements.

M. Daniel Labaronne (RE). Il est vrai qu’il n’y a pas eu d’étude d’impact. En revanche, le Haut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) a produit au mois de septembre 2022 un très bon rapport, qui se concentre sur l’objet de cet article 1er. Il présente le dispositif juridique existant, le compare aux dispositifs étrangers équivalents, de nombreux acteurs du marché sont interrogés sur les mesures à prendre pour faciliter l’introduction en Bourse des TPE et PME, et le rapport conclut qu’il faut créer des droits de vote multiples et faciliter le recours aux promesses d’actions sur les marchés. Je vous invite à le lire pour vous préparer à l’examen du texte en séance, cela vous permettra de comprendre pourquoi cet article est très attendu par les opérateurs.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je prendrai connaissance de ce rapport. Il n’en demeure pas moins que vos arguments ne me permettent pas dans l’immédiat de comprendre l’utilité de ces dispositions pour les PME, même si je saisis leur intérêt pour les entreprises matures. Je maintiens donc l’amendement CF56.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Le jour où une PME se cote, ses actions ne sont pas encore réglées et livrées  : elles ne le sont qu’après un délai de quarante-huit heures. Pendant ce délai, des promesses d’actions équivalentes aux actions sont créées, qui sont automatiquement converties et disparaissent à son expiration. C’est le cas de n’importe quelle cote et cela résulte du délai de règlement-livraison des actions. Ce dispositif de droit commun, n’est pas particulièrement original : ce n’est qu’une partie de la mécanique de la cotation.

La commission rejette les amendements identiques CF25 et CF56.

Amendement CF59 de M. Kévin Mauvieux

M. Kévin Mauvieux (RN). Cet amendement vise à ouvrir en priorité la possibilité de financer les entreprises par leurs actions de préférence à leurs salariés, qui en sont les meilleurs connaisseurs et sauront le mieux apporter leur pierre à l’édifice de l’investissement, en fonction de leurs moyens bien sûr. Ce serait un gage de souveraineté pour notre pays et pour nos entreprises. Pour leur essor et celui de notre économie, il vaut mieux que ce soient leurs salariés qui détiennent leur capital plutôt que des vautours étrangers sur des marchés financiers dépersonnalisés.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Nous sommes très favorables au principe de la participation. Depuis le 1er décembre 2023, pour une durée de cinq ans, un dispositif de partage de la valeur fait d’ailleurs l’objet d’une expérimentation dans certaines entreprises. Il est détaillé dans la loi du 29 novembre 2023 portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise.

L’enjeu du présent texte est différent. Il s’agit de lever des capitaux en vue du financement d’entreprises. Or il arrive, notamment lorsqu’il s’agit d’entreprises technologiques voulant se développer très rapidement et ayant besoin de capitaux très importants, que certaines personnes non salariées mais faisant partie du conseil d’administration en tant que financeurs d’origine soient essentielles au développement de la société. Avis défavorable.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Suivant vos arguments, cette proposition vise d’une part à favoriser l’attractivité des PME afin qu’elles soient financées par des fonds étrangers, d’autre part à mobiliser l’épargne des Français. Or la structure du financement des entreprises en France repose sur des banques systémiques, vers lesquelles se tournent les PME lorsqu’elles ont besoin de se financer. C’est une spécificité française, qui nous différencie de nombreuses économies européennes ou nord-américaines. L’objectif que vous vous donnez n’est pas atteignable par la mesure proposée, car il n’est pas dans la culture des PME françaises d’aller sur les marchés financiers. Un fait le démontre : ce sont souvent des Américains, des Européens ou des Japonais qui financent les collectivités territoriales lorsqu’elles en ont besoin.

Je ne suis donc pas du tout convaincue que vous parviendrez à ouvrir le capital des PME aux épargnants français, et suis inquiète que vous l’ouvriez à des capitaux étrangers. Ce texte ne va pas dans la bonne direction.

M. Kévin Mauvieux (RN). La réponse du rapporteur ne me satisfait pas. J’entends que votre priorité n’est pas la participation des salariés, mais la levée de fonds pour que les entreprises innovent, investissent, croissent, progressent. Il me semble toutefois que, plus le cercle d’où provient cet argent est restreint à l’entreprise, mieux c’est pour elle : d’abord la famille, ensuite les employés et les ouvriers, ensuite la région, ensuite la France, ensuite l’Europe, ensuite le monde. Si vous partez du principe que, pour financer une entreprise qui a besoin de croître, il faut immédiatement ouvrir son capital au monde entier, certaines entreprises prendront de mauvaises décisions.

Objectivement, même dans un texte qui n’a pas pour but la participation des salariés, si nous voulons financer une entreprise et que la famille qui la détient ou ses salariés sont capables de le faire, il faut leur donner la priorité. C’est une question de souveraineté. Je préfère donner des droits à des investisseurs que l’entreprise intéresse plutôt qu’à des investisseurs du bout du monde intéressés par les dividendes.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je suis perplexe. Cet article vise précisément à ce que l’entrepreneur conserve le contrôle de son projet au moment de la cotation de son entreprise plutôt que de le donner aux investisseurs, malgré le fait qu’il n’ait pas le contrôle exclusif du capital. C’est essentiel pour la souveraineté de nos entreprises en croissance.

Toutes les PME de France ont-elles vocation à utiliser cet article, seront-elles obligées de le faire ? Non. Les PME peuvent choisir leurs modalités de financement. Certaines d’entre elles, ne vous en déplaise, ont besoin du type de financement qu’apportent les marchés financiers, par exemple des PME du secteur de l’intelligence artificielle très innovantes, requérant des investissements très lourds, qui ne se financeront pas par des prêts bancaires. La question est de savoir si elles se financeront dans notre pays, si elles se financeront à l’étranger ou si elles mourront. Ce dispositif promet une capacité de garder l’outil industriel tout en le développant.

Mme Véronique Louwagie, présidente. L’article 1er est très important. Il soutient la volonté des entrepreneurs de conserver le contrôle de leurs entreprises, avec des garde-fous en termes de durée, de nombre ou d’impact.

La commission rejette l’amendement CF59.

Amendement CF72 de M. Alexandre Holroyd

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. C’est un amendement rédactionnel.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous entendons ce que vous dites, monsieur le rapporteur. Nous ne nous opposons pas, contrairement à d’autres, à l’accès des PME aux financements privés et aux marchés internationaux, mais nous estimons que, si l’on veut sécuriser le capital des PME tout en leur permettant de grandir, il faut procéder par cercles concentriques. Je ne comprends pas pourquoi vous ne voulez pas permettre aux salariés de monter en priorité au capital de leurs entreprises, si cela ne porte pas préjudice à leur croissance – on peut améliorer la rédaction à cet égard. En tout cas, n’envisager que les banques, les marchés ou rien du tout n’a pas de sens.

On a l’impression que vous refusez tout ce qui peut améliorer ce texte. Il y a un tabou français : le patronat considère que les salariés, par définition, n’ont rien à dire sur la direction de l’entreprise et refuse qu’ils aient un avis. C’est un vrai problème, sur lequel l’amendement de Kévin Mauvieux appelle l’attention.

La commission adopte l’amendement CF72.

Amendement CF23 de Mme Marianne Maximi

Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES). Je suis perplexe, je pensais que la macronie défendait le principe « une action, une voix ». Selon vous, le pouvoir vient du capital ; il devrait donc être proportionnel au capital investi. Pourquoi une action donnerait-elle plus de pouvoir qu’une autre ?

D’après M. Lescure et Mme Lebec, tous deux dorénavant ministres, s’exprimant dans un rapport à propos des actions à droits de vote multiples, « la stabilité juridique est aussi une exigence des investisseurs : c’est pour cela que la règle, pour les sociétés cotées, demeure celle issue de la loi “Florange” de 2014 ». Je rappelle aussi les propos du ministre Bruno Le Maire au sujet du recours à de telles actions : « Pour les sociétés cotées, il me paraît vraiment inopportun, dans la mesure où il complexifierait beaucoup leur gestion et leur gouvernance. »

Nous proposons donc un amendement de repli qui réserve l’octroi d’actions à droits de vote multiples aux salariés de l’entreprise, ce qui permettrait un premier équilibrage entre le pouvoir du capital et celui des travailleurs et des travailleuses.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je suis parfaitement d’accord avec vous, et avec les ministres. C’est pour cela que le dispositif proposé est borné dans le temps. L’idée n’est pas que des entreprises cotées depuis longtemps aient des droits de vote multiples, mais que des entreprises en jouissent à ce moment particulier de leur croissance qu’est l’admission à la cote, quand il leur est nécessaire de garder la main sur le projet industriel et de lever des fonds considérables. Lors d’une introduction en bourse, en effet, ce ne sont pas quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros qui sont en jeu, mais bien des dizaines ou centaines de millions, voire davantage dans certains domaines.

Je suis donc défavorable à votre amendement, bien que j’estime, comme vous, que le fait pour des entreprises cotées de disposer de droits de vote multiples ne doit pas être la norme. C’est pourquoi cette proposition encadre très strictement le dispositif.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je ne comprends pas ce débat. Un ministre a imposé des droits de vote doubles pour l’actionnariat de l’État dans une entreprise : c’est Emmanuel Macron, s’agissant de Renault. Je ne comprends donc pas la position des Insoumis.

Heureusement que certains actionnaires peuvent avoir des droits supérieurs à d’autres, tels les actionnaires historiques ou l’État, au service de l’intérêt général ! M. Montebourg a inventé une golden share à l’époque du dépeçage d’Alstom pour essayer de préserver les intérêts de la filière nucléaire. À moins d’être complètement soumis à la loi du marché, il n’y a aucune raison qu’une action égale une voix. Ce n’est pas du tout la philosophie du Rassemblement national, qui considère que les droits historiques ou d’intérêt général de certains actionnaires doivent être préservés.

Par ailleurs, cet amendement contredit le refus par la gauche de voter notre amendement précédent.

M. Daniel Labaronne (RE). L’intérêt de ce dispositif de droits de vote multiples est d’être limité dans le temps. Il permet au fondateur de l’entreprise de lever des capitaux tout en gardant le contrôle des décisions stratégiques pour une période donnée. Cela me semble être un élément intéressant pour attirer des capitaux, mais, si jamais ces droits de vote multiples étaient pérennisés, ce serait extrêmement dissuasif pour les investisseurs.

Le dispositif n’est donc pas du tout contradictoire avec ce qu’a dit le ministre de l’économie. Au contraire.

La commission rejette l’amendement CF23.

Amendement CF24 de Mme Sophia Chikirou

M. David Guiraud (LFI-NUPES). Je me demande parfois si nous parlons de la même chose. Croyez-vous vraiment que quelqu’un qui entre dans le capital d’une PME n’a pas envie de prendre sa direction stratégique ?

Ce que vous proposez, garde-fou ou non, permettra à des investisseurs étrangers ou à des fonds d’investissement de prendre des décisions dans les PME. Et quelles décisions ! Il ne s’agira pas de les accompagner gentiment – ce n’est pas comme cela que ça se passe à la bourse, ni à Paris, ni à Londres, ni à Tokyo. Lors d’une introduction en bourse, les investisseurs attendent un taux de rentabilité à deux chiffres, c’est tout.

Allez en parler aux salariés dans le Nord et dans les départements qui ont subi les offres publiques d’achat (OPA) et la désindustrialisation. Ils vous expliqueront comment cela se passe quand des investisseurs étrangers, ou même nationaux, exigent un tel niveau de rentabilité. On fait gonfler artificiellement les cours en bourse en licenciant des gens.

Je ne sais pas si cette proposition est anti-européenne, mais en tout cas elle est anti-salariés. Les cours de bourse n’ont pas d’âme. Comme vous êtes censés être de meilleurs experts de la place financière que moi, je pensais que vous étiez au courant.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. C’est précisément pour cela qu’il faut adopter cet article : pour permettre au fondateur de l’entreprise de garder la main, au lieu de confier immédiatement le contrôle au marché. Le but du dispositif est justement d’éviter la dérive que vous avez évoquée lors d’une introduction en bourse, en préservant les capacités de résistance des fondateurs et des sociétaires de l’entreprise face à des pressions.

M. Charles de Courson (LIOT). J’hésite à voter pour cet amendement car il anticipe sur l’alinéa 11, qui prévoit que les nouvelles actions de préférence peuvent bénéficier de vingt-cinq voix par action. En d’autres termes, vous pouvez être majoritaire en détenant 4 % des actions ! C’est énorme, c’est excessif, cela pose un problème – je l’ai déjà dit lors de la discussion générale, mais le rapporteur ne m’a pas répondu. Habituellement, le rapport est d’un à deux. D’où sortez-vous ce ratio de vingt-cinq ?

M. David Guiraud (LFI-NUPES). C’est bien, on avance. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il y a un risque. Nous considérons que faire venir des investisseurs dans une PME est un risque qu’il ne faut pas prendre. Si l’on considère qu’une entreprise est intéressante, on peut lui accorder un soutien public, par le biais par exemple de Bpifrance. Il n’est pas forcément nécessaire d’en passer par une introduction en bourse.

Dans la plupart des scénarios d’OPA, les actionnaires historiques se sont fait écrabouiller. C’est ce qui va se passer, même si vous instaurez des actions à droits de vote multiples pendant cinq, dix ou quinze ans. Telle est la réalité lorsque l’on fait face à des stratégies d’investissement agressif destinées à obtenir un taux de rentabilité trop élevé, puisque ce sont ceux qui ont l’argent qui ont le pouvoir. Il faut bien en avoir conscience. La bourse n’est pas un endroit sympathique – ce sont les boursiers eux-mêmes qui le disent !

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Des dispositifs ont vocation à aider les PME et les ETI à entrer en Bourse. Certains notamment sont mis en œuvre par Bpifrance et par la Caisse des dépôts et consignations, car ces deux institutions considèrent que c’est une bonne chose pour le financement de l’économie que des entreprises innovantes aillent se financer en bourse.

Pour ce qui est des vingt-cinq voix par action de préférence, existe-t-il une règle parfaite ? Non. C’est pourquoi cette disposition se présente sous la forme d’une option. Chaque PME pourra choisir un nombre de votes adapté lors de son introduction en Bourse. Et elle devra trouver des investisseurs qui sont prêts à accepter le ratio qu’elle propose compte tenu du capital apporté et du degré de contrôle qu’ils obtiennent.

Dans l’hypothèse extrême, le fondateur d’une entreprise pourrait donc conserver le contrôle de celle-ci en détenant 4 % des actions plus une, c’est vrai. Mais il faut aussi qu’il trouve des investisseurs disposés à s’engager dans cette relation contractuelle.

On constate d’ailleurs qu’à Amsterdam ou à New York – où il n’y a pas de limite aux droits de vote et où prévaut la liberté contractuelle entre l’investisseur et l’entreprise – il est très rare que l’on décide qu’une action de préférence donne droit à vingt-cinq voix. J’ai choisi de retenir la possibilité d’un tel ratio en me référant à différents cadres juridiques, européens ou américain. C’est un point d’équilibre, mais je suis parfaitement d’accord sur le fait que cette faculté ne sera très probablement pas utilisée à son maximum.

Enfin, je ne vois pas pourquoi il appartiendrait au législateur de décider une fois pour toute du nombre de droits de vote. Si nous descendions par exemple à cinq voix par action, soit en dessous de toutes les autres places européennes, nous empêcherions une entreprise et des investisseurs potentiels qui s’accorderaient sur un nombre supérieur de conclure un accord, ce qui revient à estimer que nous sommes meilleurs juges qu’eux de ce qui leur est bénéfique. C’est une philosophie à laquelle je ne souscris pas.

La commission rejette l’amendement CF24.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CF73 et CF74 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendement CF69 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous sommes au cœur du débat et de la différence entre la vision du Rassemblement national et celle des autres groupes.

Nous ne voyons absolument pas pourquoi il faudrait prévoir une limite de temps pour les actions de préférence. Ce n’est pas à l’État de s’en mêler. Si l’actionnaire historique d’une PME et les investisseurs sont d’accord pour que ces actions durent plus de cinq ans après l’introduction en bourse, pourquoi s’y opposer ? Cela relève de la liberté contractuelle et de celle d’entreprendre.

Au demeurant, c’est une protection pour les actionnaires historiques. Je ne vais pas suivre le collègue Guiraud sur son terrain, mais on sait qu’il peut y avoir des pratiques frauduleuses et des accords secrets, comme dans le cas d’Hermès – où un grand capitaliste français a cherché à récupérer des actions à travers des banques écran ou en menant des discussions informelles avec certains actionnaires familiaux. Bref, il existe des pratiques illégales, mais difficiles à identifier : plus on peut protéger l’actionnaire historique face à des fonds puissants donc, mieux c’est. Il ne s’agit pas d’opposer la méchante finance aux gentilles PME, mais de permettre aux PME de bénéficier des avantages du marché financier tout en limitant au maximum les dérives.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je comprends vos propos, mais ce dispositif est destiné très précisément, y compris dans l’analyse du HCJP, aux entreprises qui décident de leur introduction en bourse. Les droits de vote multiples ne sont pas conçus comme un moyen pour certains actionnaires d’asseoir à moindres frais et à tout jamais leur pouvoir sur une entreprise désormais cotée. Cela poserait des problèmes majeurs de gouvernance. C’est la raison pour laquelle ce dispositif est limité dans le temps.

Les entreprises familiales, pour lesquelles s’inquiète M. Tanguy, disposent d’autres dispositifs juridiques pour les protéger, notamment les sociétés en commandite par actions. Cette structure a été retenue par Michelin, Hermès, Lagardère, Bonduelle ou Bic. La proposition ne les affecte pas.

L’amendement étant satisfait, j’en demande de retrait.

M. David Guiraud (LFI-NUPES). Là, vous faites très fort, collègue Tanguy. Votre rapport à la financiarisation de l’économie est quand même très intéressant. Vous êtes inquiet, car il peut y avoir des accords secrets et des magouilles de toute part. Et donc vous dites : c’est risqué, mais faisons-le ! Voilà la position que vous défendez à propos de ce texte.

Encore une fois, la bourse et la finance ne relèvent pas d’une réflexion sur le bien ou le mal. Il se trouve tout simplement que les gens qui travaillent pour la finance ont des intérêts matériels. Ils ne vont pas se rendre dans l’Allier, le Nord ou la Creuse pour vérifier comment se porte la PME, ce n’est pas vrai. Ils vont rester derrière leur ordinateur pour voir comment faire pour booster son taux de rentabilité. Et il s’avère que, pour les entreprises qui sont soumises à leurs objectifs, cela se passe en général assez mal.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je ne suis pas d’accord avec l’analyse du rapporteur, mais ce n’est pas très grave, nos amendements sont là pour ça.

Monsieur Guiraud, vous êtes caricatural. Faut-il vous citer les scandales des financements publics ? Celui qui a impliqué le Crédit Lyonnais par exemple, avec vos anciens amis socialistes, ou futurs peut-être ? Et il y en a d’autres !

Tout est risqué. Le rôle de législateur est d’encadrer, pour rendre les choses possibles. Dire que tout financement sur les marchés est par nature toxique relève de la caricature. Vous vous faites du mal en disant cela.

Essayons plutôt d’améliorer les choses, soyons constructifs, tâchons de protéger nos PME quand elles veulent aller sur les marchés. Être dans les mains d’une banque systémique n’est pas non plus un cadeau. Fut un temps, d’ailleurs, où la NUPES les critiquait aussi ! Arrêtez de choisir vos combats à la tête du client. Franchement, ce n’est pas très intéressant.

La commission rejette l’amendement CF69.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CF75 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendement CF68 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). La troisième phrase de l’alinéa 12 limite les droits des actionnaires historiques titulaires des actions de préférence. Je n’en vois pas l’intérêt. Encore une fois, c’est au pacte d’actionnaires et à l’entreprise de déterminer la manière dont elle mène son introduction en Bourse. Pourquoi voulez-vous que l’État se mêle de tous les détails ? Cela relève du marché et il appartient aux acteurs de se mettre d’accord.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Même avis que sur votre amendement précédent.

M. David Guiraud (LFI-NUPES). Collègue Tanguy, je ne sais pas de quels amis vous parlez : l’affaire du Crédit Lyonnais date du début des années 1990 et je n’étais pas encore né. Surtout, votre argument est très étrange : puisqu’il y a eu des scandales et des magouilles dans les banques françaises, il faudrait s’appuyer sur un secteur dont vous reconnaissez vous-même qu’il suscite encore plus de scandales et de magouilles afin de financer le tissu industriel et économique français !

Ce débat donne vraiment à voir votre position, entre le looping et l’équilibrisme. On a souvent critiqué le macronisme comme étant du lepénisme, lors des débats sur le projet de loi sur l’immigration ; mais le lepénisme est aussi parfois un macronisme quand il s’agit de la financiarisation de l’économie !

La commission rejette l’amendement CF68.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CF76 et CF77 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendement CF67 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je ne comprends pas pourquoi vous voulez que les actions de préférence soient transformées en actions ordinaires en cas de succession. Si l’entrepreneur malheureusement décède et que cela menace le projet entrepreneurial, voire l’introduction en bourse – avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la stratégie et le développement de l’entreprise –, pourquoi les héritiers directs de la PME ne pourraient-ils pas reprendre les actions de préférence ?

Une fois encore, vous voulez que l’État se mêle de tout, mais il n’a pas à savoir si une PME souhaite préserver les héritiers directs – lesquels ont parfois été associés à la gestion du vivant de leur père.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Si l’on maintient les actions de préférence pour les héritiers, on s’éloigne de l’idée de départ du dispositif, réservé aux initiateurs du projet. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF67.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CF78 et CF70 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendement CF53 de M. Mohamed Laqhila

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Nous allons retirer cet amendement, mais la rédaction du texte n’est pas claire et mérite d’être précisée en ce qui concerne l’approbation des comptes. Cette opération englobe en effet l’approbation des comptes, le quitus à la direction et l’affectation du résultat.

Il convient de circonscrire la limitation à un vote pour les actions de préférence à la seule approbation des comptes stricto sensu, afin que le titulaire de telles actions puisse bien décider de l’affectation du résultat.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je m’engage à travailler sur la rédaction de l’alinéa concerné avec MM. Mattei et Laqhila d’ici à la séance.

L’amendement CF53 est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CF80 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendement CF52 de M. Mohamed Laqhila

M. Jean-Paul Mattei (Dem). L’amendement propose d’ouvrir aux sociétés par actions simplifiées la possibilité de procéder à un appel public à l’épargne, dans la limite de 30 % du capital social.

Il conviendrait d’ailleurs d’assouplir un peu le code de commerce afin de permettre aux SAS de faire figurer dans leurs statuts des clauses protégeant les actionnaires fondateurs lorsqu’elles effectuent un tel appel public à l’épargne.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Cela entraînerait une modification très substantielle de l’état du droit en matière de SAS. Ces dernières ne sont pas tenues aux mêmes obligations que les sociétés anonymes en matière de gouvernance et de transparence. Compte tenu de la complexité des opérations dont nous parlons, je suis très sceptique sur l’idée d’en faire bénéficier ces sociétés qui ne sont pas parmi les plus transparentes. Cela supposerait en tout état de cause d’ouvrir un vaste chantier pour revoir de manière fondamentale l’ensemble des obligations respectives des SA et des SAS. Je suis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement CF52.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Extension de l’éligibilité à l’actif des fonds communs de placement à risques aux titres d’entreprises cotées dont la capitalisation boursière est comprise entre 150 et 500 millions d’euros

Amendements de suppression CF16 de M. Charles de Courson, CF27 de Mme Sophia Chikirou et CF39 de Mme Eva Sas

M. Charles de Courson (LIOT). Les fonds communs de placement à risques sont définis par l’AMF comme des produits composés en majorité de titres d’entreprises non cotées en bourse. Il est possible d’y intégrer une part d’actions d’entreprises dont la capitalisation boursière va jusqu’à 150 millions d’euros. Le texte prévoit de faire passer ce plafond à 500 millions d’euros. Notre groupe est hostile car ce changement d’échelle va renforcer la financiarisation des FCPR, ce qui va à l’encontre de leur objectif initial.

L’intérêt principal de ces fonds est de financer l’économie réelle et d’investir dans des PME-PMI européennes innovantes, non cotées et créées depuis moins de cinq ans. Cette particularité justifie que certains FCPR spéciaux permettent de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu de 20 à 30 %.

En portant le seuil de capitalisation de 150 à 500 millions d’euros, cet article réduit l’attractivité d’un produit dont l’intérêt est justement d’investir dans des actifs en partie dépourvus de lien avec les marchés financiers et dont le rendement attendu est d’autant plus élevé que la société est à un stade précoce de son développement.

Par ailleurs, compte tenu de la réduction d’impôt que j’ai évoquée, quel est le coût fiscal de cette mesure ? L’article risque d’être déclaré non conforme à la Constitution. Je rends donc service à votre texte avec cet amendement de suppression.

Mme Charlotte Leduc (LFI-NUPES). Cet amendement de suppression vise à limiter le degré de risque financier auquel sont exposées les PME introduites en bourse.

L’article permet aux FCPR d’investir davantage dans des secteurs très financiarisés, où les entreprises sont davantage exposées aux aléas des marchés financiers. Les FCPR incorporent ces risques et les répercutent sur les PME dont ils possèdent des titres. Permettre d’investir dans des actifs à risques menace donc les finances de ces PME, notamment en cas de crise financière.

Par ailleurs, une telle mesure incite à investir dans des secteurs plus hautement financiarisés. Sur les marchés financiers, des titres sans rapport direct avec l’activité productive circulent et sont valorisés du fait même de cette circulation. Cela revient à détourner une part de l’investissement qui aurait pu bénéficier à l’économie réelle.

Sans que cela soit assumé, il s’agit encore d’une mesure destinée à permettre la constitution de capital fictif et à créer de nouveaux débouchés pour des excédents de capital en quête d’une rentabilité démesurée.

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Il faut effectivement supprimer cet article 2 qui élargit la possibilité pour les FCPR d’accompagner les entreprises cotées jusqu’à une capitalisation boursière de 500 millions, contre 150 millions actuellement. Cela favoriserait le développement des FCPR existants, accroissant de fait la financiarisation de notre économie.

L’accès aux financements privés est une chose, celui aux marchés en est une autre. Il faudrait évaluer les conséquences de la mesure proposée sur la stabilité de l’actionnariat, sur la gouvernance et sur les stratégies de long terme des entreprises.

Comme l’a remarqué Charles de Courson, il existe aussi un régime fiscal spécifique. Nous avons donc besoin d’une estimation du coût fiscal de cet article – dont les effets sont de manière générale très mal évalués.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je n’ai sans doute pas été assez précis.

Les FCPR ont le droit d’investir dans des sociétés cotées, pour 20 % de leur actif. Nous ne touchons absolument pas à cette quantité. Il n’y a donc aucune inquiétude à avoir sur ce point.

Actuellement, quand un FCPR détient des actions d’une entreprise qui devient cotée, il peut l’accompagner dans cette transition assez lourde, tant que la capitalisation de l’entreprise ne dépasse pas 150 millions d’euros. L’article propose simplement de porter ce seuil à 500 millions d’euros, afin que le FCPR puisse continuer à accompagner l’entreprise.

Il faut savoir que le seuil de 150 millions d’euros résulte de la conversion des francs en euros et n’a pas été actualisé depuis le début des années 2000. Rien qu’en tenant compte de l’inflation, on arrive entre 250 et 300 millions d’euros.

Le fait que les fonds qui accompagnent les entreprises ne le peuvent plus lorsqu’elles entrent en Bourse est un problème. Le dispositif répond précisément à cette difficulté.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’a pas d’incidence fiscale : il ne change pas la capacité des FCPR d’investir dans des sociétés cotées, il modifie simplement la taille des entreprises qu’il peut accompagner. En pratique, les entreprises dont la capitalisation boursière est comprise entre 150 et de 500 millions d’euros sont au nombre de 88 en France et de 417à l’échelle européenne.

Les règle relatives à  la structure de l’actif des FCPR ne sont donc pas modifiées, la part de cet actif qui peut être investie en titres de capital de sociétés cotées reste limitée à 20 %, mais les FCPR pourront accompagner plus longtemps le développement des entreprises qui prennent la décision d’entrer en bourse – ce qui constitue un changement important pour une PME ou une ETI. Aussi vous inviterai-je à retirer votre amendement.

M. Charles de Courson (LIOT). Je ne suis pas du tout d’accord avec votre argumentaire. Vous nous répondez que la capitalisation boursière des entreprises nouvellement cotées peut rapidement progresser et dépasser le plafond de 150 millions d’euros. Mais avec votre plafond de 500 millions d’euros, les 20 % de capital de sociétés cotées que peuvent détenir les FCPR ne se monteront plus à 30 millions d’euros, mais à 100 millions d’euros ! On voit bien que cela change complétement l’objectif des FCPR. Cela n’est pas raisonnable.

Quant au coût pour les finances publiques, vous ne me ferez pas croire qu’il n’augmente pas, puisque certains FCPR bénéficient d’un crédit d’impôt allant de 20 à 30 %. Relever le plafond aura mécaniquement un coût budgétaire, qui sera proportionnel au développement des FCPR dans le capital de ces entreprises.

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Si les FCPR bénéficient d’un régime fiscal spécifique, c’est bien parce qu’ils accompagnent la croissance des entreprises pendant leurs jeunes années, prenant ainsi un risque plus élevé. En quoi serait-il justifié de maintenir ce régime pour des entreprises dont la capitalisation boursière pourra atteindre 500 millions d’euros ? Ce sont des entreprises déjà bien installées et qui présentent moins de risques.

Le rapporteur a évoqué le problème posé par le seuil de 150 millions d’euros. Mais il s’agit d’un effet de seuil comme tous les autres : il sera aussi bien valable à 500 millions d’euros. Je pourrais entendre l’argument si vous aviez organisé un mécanisme de lissage, mais en l’occurrence, le risque de changement brutal dans le capital est le même.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Imaginons un FCPR dont l’actif est de 1 milliard : il peut investir 200 millions dans des sociétés cotées. Mais alors qu’actuellement, il lui est possible d’investir cette part de son actif dans des sociétés dont la capitalisation n’excède pas 150 millions d’euros, avec le nouveau dispositif, il pourra investir ses 200 millions d’euros dans une seule société dès lors que la capitalisation de cette dernière n’excède pas 500 millions d’euros. Cette mesure permettra au fonds d’accompagner plus longtemps l’entreprise introduite en Bourse, jusqu’au moment où elle atteindra le plafond car, oui, il y aura toujours un effet de seuil.

Pourquoi est-il proposé de modifier ce seuil ?

Tout d’abord parce qu’il a été fixé il y a vingt-cinq ans et qu’il ne correspond plus aux modalités de financement des PME, qui ont beaucoup changé. Leurs besoins de financement préalable sont beaucoup plus importants, ce qui conduit à une valorisation plus élevée lorsqu’elles décident d’une introduction en Bourse.

Ensuite, de plus en plus d’entreprises se cotent en bourse et peuvent atteindre une valorisation importante, mais ne sont pas forcément très solides. Il est utile de préserver leur actionnariat initial pendant un peu plus longtemps – je précise que toutes les entreprises ne sont pas concernées.

La mesure aura une incidence sur la composition des FCPR, puisque de nouvelles entreprises pourront y entrer ou y rester – 88 pour la France, je l’ai dit – mais la proportion de 20 % ne change pas. Le seuil proposé est plus adapté aux nouveaux besoins de financement des entreprises, parfois très importants – je rappelle que la simple actualisation du seuil le porterait déjà à environ 300 millions d’euros.

La commission rejette les amendements de suppression CF16, CF27 et CF39.

Amendement CF61 de M. Kévin Mauvieux

M. Kévin Mauvieux (RN). Dans cette affaire, le Rassemblement national se fait la voix de la raison. Nous comprenons les amendements de suppression et avons voté en leur faveur, mais j’entends également l’argument du rapporteur au sujet de l’actualisation du seuil. Entre la suppression de l’article et un plafond fixé à 500 millions d’euros, ce qui est excessif, nous proposons un compromis à 300 millions d’euros – ce qui revient à prendre en compte les effets de l’inflation.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. La proposition de loi a en effet pour objet d’actualiser ce plafond, mais également de tenir compte des évolutions constatées depuis les années 2000 – les sociétés introduites en bourse disposent d’un capital plus élevé, notamment dans le secteur numérique. Je suis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement CF61.

Elle adopte l’article 2 non modifié.

Article 3 : Assouplissement des conditions des augmentations de capital sans droit préférentiel de souscription

Amendements de suppression CF29 de Mme Marianne Maximi et CF43 de Mme Eva Sas

Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer cet article qui a pour seul but de faciliter la captation de davantage de capital par quelques investisseurs. Il est en effet proposé de rendre plus aisées les opérations d’augmentation de capital en les réservant à quelques acteurs financiers.

Je ne comprends pas la démarche de la minorité présidentielle, qui se fait pourtant si souvent le porte-parole des petits actionnaires : ces opérations d’augmentation de capital sont précisément faites à leur détriment. Une fois le capital dilué, le cours de l’action baisse, ce qui inflige davantage de pertes à ceux qui détiennent seulement quelques actions qu’aux gros actionnaires qui disposent d’un portefeuille diversifié.

Ainsi, lors du rachat très récent de Casino par un consortium d’hommes d’affaires, le capital de l’entreprise a été dilué et la part des anciens actionnaires a été réduite de manière drastique. Un actionnaire qui possédait 1 % du capital n’en détient plus désormais que 0,0003 %. Qui est lésé ? Tout d’abord les salariés, non seulement parce qu’ils sont à la merci d’investisseurs à la recherche de profit – 6 000 postes supprimés à Casino ! – mais aussi parce que certains d’entre eux font partie de ces petits actionnaires.

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Nous souhaitons supprimer cet article qui assouplit les modalités des augmentations de capital sans droit préférentiel de souscription.

Le dispositif proposé permet d’ouvrir directement le capital à des tiers, sans que les associés déjà en place puissent préempter les actions concernées comme le prévoit le mécanisme de droit commun.

Cet assouplissement pourrait avoir des répercussions majeures pour l’entreprise, et notamment sur la structure de son capital et sur sa gouvernance. Il risque de favoriser une instabilité du capital et, au bout du compte, la recherche de la rentabilité à court terme – ce qui est bien le contraire de ce que nous recherchons avec nos amendements.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. L’article 3 a vocation, comme les deux premiers, à améliorer les conditions dans lesquelles peut se financer une société, mais à un autre moment de son existence. Il prévoit pour cela d’assouplir de façon marginale les modalités – très restrictives – d’augmentation du capital. Je suis défavorable aux deux amendements de suppression.

J’ajoute que la restructuration du groupe Casino n’a rien à voir avec le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Elle s’opère conformément à une procédure de droit de la restructuration, votée dans le cadre de la loi Pacte.

La commission rejette les amendements de suppression CF29 et CF43.

Amendement CF37 de Mme Sophia Chikirou

Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES). L’article 3 permet aussi aux directions des entreprises de décider elles-mêmes des modalités d’émission de nouveaux titres. Les directions sont pourtant choisies par les plus gros actionnaires, ceux qui ont le moins à perdre dans ces opérations.

L’AMF, dans son rôle de contrôle des opérations d’augmentation de capital, doit veiller à la protection des investisseurs. Elle n’a pas été auditionnée, ni par nous, ni par vous, mais nous savons qu’elle souligne régulièrement la nécessité, pour les sociétés cotées, d’informer correctement les investisseurs quant aux conséquences d’opérations de financement reposant sur la dilution du capital. Elle alerte aussi sur la recrudescence des signalements et des réclamations de la part de particuliers ayant perdu une partie significative de leur investissement dans des sociétés cotées.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Vous vous opposez à la méthode de détermination de l’encadrement de la décote, qui serait facilitée par l’article 3. Cet amendement, en visant le cœur du dispositif, est un article de suppression déguisé. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF37.

Amendement CF81 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer de l’article L. 22-10-52 du code du commerce une référence obsolète.

La commission adopte l’amendement CF81.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CF82, CF83, CF84, CF85, CF86 et CF87 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

La commission adopte l’article 3 modifié.

Article 4 : Extension aux sociétés de gestion de portefeuille de la possibilité de transmettre des documents ou renseignements à des autorités de supervision étrangères

Amendement de suppression CF66 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). À défaut d’étude d’impact, nous souhaiterions comprendre pourquoi cet article limite la loi de blocage alors que celle-ci protège plutôt bien les intérêts français face aux exigences du droit américain.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. L’article 4 ne modifie pas la loi de blocage ; il étend simplement une dérogation préexistante dont bénéficient pour l’instant certains acteurs financiers mais pas les gestionnaires d’actifs. Ceux-ci sont ainsi exclus de facto du marché américain, qui représente 50 % du marché mondial : dix d’entre eux ont vu leur agrément refusé par la Securities and Exchange Commission.

Je propose d’élargir cette dérogation de façon très ciblée pour la communication d’informations couvertes par le secret professionnel. Cette communication, cependant, n’irait pas sans conditions : elle se ferait dans le cadre d’un accord de coopération, sous réserve de réciprocité et à condition que les autorités homologues soient elles-mêmes soumises au secret professionnel. J’ajoute enfin qu’il s’agit en grande partie d’informations publiques.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). S’il s’agit de favoriser l’accès des sociétés françaises au marché américain, je ne comprends pas ce que vient faire cette disposition dans cette proposition de loi.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Vous avez tout à fait raison, mais il est dans l’intérêt de la place de Paris et des épargnants français d’avoir des gestionnaires d’actifs puissants. L’article 4 permet de favoriser leur développement sur d’autres marchés, dans des conditions encore une fois très encadrées. Je rappelle qu’au cours des dix dernières années, les gestionnaires européens ont perdu des parts de marché tandis que les Américains en gagnaient.

La commission rejette l’amendement de suppression CF66.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CF31 de Mme Marianne Maximi.

Elle adopte l’article 4 non modifié.

Article 5 : Suppression d’une barrière spécifique à la sollicitation du public en vue d’opérations sur un marché étranger

Amendements de suppression CF32 de Mme Sophia Chikirou et CF62 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). L’article 5 constitue pour nous un point de blocage. Je ne comprends pas son intérêt au regard de l’objet annoncé du texte.

La finance est un domaine qui a un large aspect psychologique. Divers échecs et scandales sont intervenus en France, qui ont érodé la confiance que les épargnants français plaçaient dans les actions. C’est pourquoi ils se tournent vers une épargne très peu rémunérée. L’accès à l’investissement en actions est désormais le marqueur des plus privilégiés et des mieux informés. Or l’article 5 laisse la porte ouverte à de nouveaux scandales avec des sociétés certes établies en Europe mais dans des pays aux pratiques douteuses, comme Chypre ou Malte.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je conviens que cet article est particulièrement abscons et que sa mise en application est difficile à saisir. Je vais m’efforcer de le présenter de la façon la plus claire possible.

D’abord, il ne change rien au cas de figure que vous évoquez : un opérateur européen aura accès au marché français dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. L’article sécurise en revanche le dispositif existant, datant de 1987 et modifié par la réglementation européenne, pour tous les opérateurs de pays tiers qui voudraient déployer leur activité en France, en interdisant le démarchage en vue de la commercialisation de produits financiers à moins que le marché n’ait été préalablement « reconnu ». De surcroît, il permettra désormais aux prestataires de services d’investissement français de faire de la communication promotionnelle en vue d’opérations sur un marché d’un pays tiers à l’Espace économique européen, élargissant ainsi leur capacité d’action.

Cette disposition est essentielle pour les prestataires de services français souhaitant élargir leur portefeuille et leurs capacités. En outre, dans la mesure où elle existe déjà en droit italien et en droit allemand, lesdits prestataires ont déjà la possibilité d’agir en passant par un autre pays européen.

La commission rejette les amendements de suppression CF32 et CF62.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CF34 de Mme Marianne Maximi.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CF88, CF79, CF89 et CF90 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Elle adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

Amendements CF9, CF10, CF11, CF12 et CF13 de Mme Eva Sas

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Ces amendements visent à réserver le bénéfice des dispositions du titre Ier aux entreprises remplissant des critères sociaux ou environnementaux – notamment à celles qui prennent des engagements climatiques contraignants, à celles qui publient un bilan carbone, à celles qui sont engagées dans une trajectoire de déplastification ou encore à celles qui ne délocalisent pas leurs activités.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je comprends votre intention, mais je suis défavorable à ces amendements qui créeraient des conditions différentes pour un nombre restreint d’entreprises.

La commission rejette successivement les amendements CF9, CF10, CF11, CF12 et CF13.

Article 6 : Définition des titres transférables auxquels sont applicables les dispositions du titre II de la proposition de loi

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CF91 et CF92, l’amendement de correction d’une référence CF131 et l’amendement rédactionnel CF93 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendement CF132 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Cet amendement rectificatif vise à intégrer les bordereaux de nantissement de créances professionnelles à l’alinéa relatif aux bordereaux de cession de telles créances.

La commission adopte l’amendement CF132.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CF94 et CF95 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Elle adopte l’article 6 modifié.

Article 7 : Reconnaissance de la forme électronique des titres transférables

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CF96, CF97, CF98 et CF99 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Elle adopte l’article 7 modifié.

Article 8 : Équivalence fonctionnelle entre les titres transférables imprimés et les titres transférables électroniques. Convertibilité de ces titres d’un format à l’autre

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CF100, CF101, CF102, CF103 et CF104 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Elle adopte l’article 8 modifié.

Article 9 : Coordinations relatives à la lettre de change, au billet à ordre, au récépissé, au warrant, au bordereau de cession d’une créance professionnelle, au connaissement maritime et à la police d’assurance

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CF106, CF107 et CF133, l’amendement de correction légistique CF108, et les amendements rédactionnels CF109 et CF110 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

Amendement CF6 de M. Vincent Seitlinger

Mme Véronique Louwagie, présidente. Cet amendement vise à améliorer la dématérialisation des titres transférables.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Il est déjà satisfait par la loi et je vous invite donc à le retirer.

L’amendement CF6 est retiré.

Article 10 : Modernisation des modes de réunion et de délibération des assemblées générales et autres organes sociaux des sociétés commerciales

Amendement de suppression CF35 de Mme Sophia Chikirou

Mme Marianne Maximi (LFI-NUPES). La dématérialisation des assemblées générales d’actionnaires incarne bien le capitalisme dont vous faites la promotion. Les assemblées générales prennent des décisions qui concernent la vie de millions de salariés : cela mérite au moins le déplacement ! On sait très bien que les visioconférences ne valent pas une réunion en présentiel, indispensable au débat contradictoire – par exemple, pour que de petits actionnaires puissent confronter une direction à ses erreurs et à ses manquements.

Les assemblées générales de grandes entreprises sont aussi, parfois, des moments de mobilisation d’autres acteurs de la société non moins légitimes, comme les militants – je pense à ceux qui ont récemment essayé de savoir ce qui se passait dans les entreprises d’énergies fossiles. Peut-être est-ce justement ce que vous cherchez à éviter avec l’article 10 ? Nous proposons quant à nous de le supprimer.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. L’article 10 répond plutôt à une demande des actionnaires à laquelle les grandes entreprises étaient réfractaires : alors qu’un nombre restreint d’actionnaires se déplace aujourd’hui pour les assemblées générales, tous pourront désormais y participer. Les différentes dispositions de l’article 10 ont pour effet de renforcer le dialogue actionnarial.

Ne soyez pas inquiets : le dispositif prévoit, sauf dérogation, que ces réunions continueront de se tenir en présentiel. Les activistes pourront ainsi toujours s’y rendre – ce qui est leur droit.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Le groupe Rassemblement national votera contre la suppression de l’article 10, car cette mesure attendue bénéficiera aux petits actionnaires. Il faut posséder un grand nombre d’actions et percevoir des dividendes importants pour qu’un déplacement de plusieurs jours à Paris soit rentable ! Nos collègues insoumis ne souhaitent pas que les assemblées générales soient des occasions de confrontation entre les dirigeants et grands investisseurs d’un côté et les petits actionnaires de l’entreprise de l’autre, mais plutôt le lieu d’un cirque entre des capitalistes et des associations grassement financées – souvent par le contribuable. Il faut évidemment renforcer le pouvoir des petits actionnaires en leur permettant de participer à distance, tout en veillant en revanche à ce que la possibilité du présentiel soit maintenue.

La commission rejette l’amendement de suppression CF35.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CF111 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendement CF1 de Mme Véronique Louwagie

Mme Véronique Louwagie, présidente. Je suis favorable à l’idée de faciliter la numérisation des assemblées générales d’actionnaires et des réunions des organes de décisions des sociétés commerciales. Cette évolution bienvenue est demandée par un grand nombre d’entreprises.

Mon amendement propose d’étendre le recours à la consultation écrite des instances, y compris par voie électronique, pour toutes les décisions sur lesquelles l’organe de direction est appelé à statuer. Ce recours devra être prévu par les statuts ou le règlement intérieur, sous réserve d’un droit d’opposition au profit d’un nombre déterminé d’administrateurs. Je précise que cet amendement a été proposé par le MEDEF.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. J’ai beaucoup réfléchi à cette question, moi aussi. Il me semble d’abord que le débat au sein du conseil doit rester privilégié et qu’il manque dans l’amendement une précision au sujet des jetons de présence. Surtout, je m’inquiète pour les sociétés dans lesquelles les fonctions de président et de directeur général sont assurées par la même personne : le président-directeur général (PDG) aurait alors la main à la fois sur l’ordre du jour et sur l’exécution des décisions prises lors du conseil. Je vous propose de retirer votre amendement et de travailler ensemble à une nouvelle rédaction d’ici à la séance.

Mme Véronique Louwagie, présidente. J’entends vos observations, monsieur le rapporteur, mais je pense cette évolution souhaitable. Je suis favorable à ce que nous travaillions ensemble à une nouvelle rédaction.

L’amendement CF1 est retiré.

La commission adopte successivement l’amendement de clarification CF113 et l’amendement rédactionnel CF114 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendement CF54 de M. Mohamed Laqhila

M. Jean-Paul Mattei (Dem). L’article 10 manquant de précisions, il serait souhaitable, par sécurité, qu’un décret définisse les conditions dans lesquelles sont identifiés les actionnaires connectés à l’assemblée générale.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Votre amendement est pleinement satisfait : les alinéas 9 et 10 de l’article 10 ne font que remplacer les deux premiers alinéas de l’article L. 225-103-1 du code du commerce, sans supprimer son dernier alinéa qui prévoit que ses conditions d’application sont précisées par décret en Conseil d’État.

L’amendement CF54 est retiré.

Amendement CF55 de M. Mohamed Laqhila

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je propose de rétablir le droit d’opposition des actionnaires à l’organisation d’une assemblée générale extraordinaire dématérialisée, dès lors qu’ils représentent au moins 25 % du capital social.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je comprends votre inquiétude. Mon avis est favorable.

La commission adopte l’amendement CF55.

Amendement CF115 de M. Alexandre Holroyd

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer une coordination inutile.

La commission adopte l’amendement CF115.

Amendements CF18 et CF14 de Mme Eva Sas

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Ces deux amendements inspirés du say on climate visent à rendre obligatoire, pour les sociétés soumises à la directive européenne du 14 mars 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises − ou corporate sustainability reporting directive (CSRD) −, la publication d’une stratégie de transition complète contenant des indicateurs clefs sur lesquels pourront s’appuyer les actionnaires pour juger de la crédibilité des mesures qu’elles prennent pour respecter leurs engagements climatiques.

L’amendement CF18 prévoit également que cette stratégie soit soumise à un vote des actionnaires chaque année – non tous les trois ans, comme ce qui était proposé par nos collègues de la majorité lors de l’examen du projet de loi relative à l’industrie verte. Deux résolutions distinctes seraient soumises aux actionnaires, l’une sur la stratégie de transition, l’autre sur sa mise en œuvre. En cas de rejet de l’une des deux, la rémunération variable des dirigeants serait réduite de moitié.

Quant à l’amendement de repli CF14, il renvoie la définition des indicateurs clefs à un décret. Un amendement identique avait été présenté par des députés provenant de divers horizons politiques lors de l’examen du projet de loi relative à l’industrie verte, et même adopté. Malheureusement, il n’avait pas été retenu par la commission mixte paritaire.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Mon avis est défavorable en ce qui concerne l’amendement CF18, car il me semble préférable de renvoyer ces dispositions à un décret.

Quant à l’amendement CF14, j’avais défendu le même en séance publique lors de l’examen du projet de loi relative à l’industrie verte. Je ne l’ai pas déposé sur la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, parce qu’il ne correspond pas à son objet premier, mais je continue de souscrire à sa philosophie. Je m’en remets donc à la sagesse de notre commission et quant à moi, je voterai en la faveur de cet amendement de repli.

M. Daniel Labaronne (RE). Les députés du groupe Renaissance voteront contre cet amendement.

La commission rejette successivement les amendements CF18 et CF14.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CF116, CF118, CF117, CF119, CF120 et CF121 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Amendements CF122 de M. Alexandre Holroyd, et CF4 et CF3 de M. Vincent Seitlinger (discussion commune)

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. L’amendement CF122 propose une nouvelle rédaction de l’alinéa 23, pour plus de lisibilité.

La commission adopte l’amendement CF122. En conséquence, les amendements CF4 et CF3 tombent.

La commission adopte l’article 10 modifié.

Article 11 : Spécialisation de la cour d’appel de Paris en matière d’arbitrage international

La commission adopte l’amendement rédactionnel CF124 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Elle adopte l’article 11 modifié.

Article 12 : Calcul de l’indemnité de licenciement des preneurs de risques

Amendement CF36 de Mme Marianne Maximi

M. Michel Sala (LFI-NUPES). Pour notre groupe, il n’est pas possible de mettre dans le même panier les traders aux très hautes rémunérations et les salariés de fonds de placement. Nous nous opposons fermement à l’article 12, qui élargit les dérogations au code du travail prévues par l’article L. 511-84-1 du code monétaire et financier. Les preneurs de risques tels que définis par cet article sont privés de possibilité de réintégration ou d’indemnité en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais aussi de prime de licenciement, et ne peuvent pas non plus faire valoir la nullité de leur licenciement. Les dispositions visant à faciliter les licenciements sont parfaitement indéfendables lorsqu’elles concernent des salariés aux rémunérations modestes ou intermédiaires.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. L’article 12 élargit le périmètre desdits preneurs de risque, ce que vous refusez. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

La commission rejette l’amendement CF36.

Elle adopte ensuite l’article 12 non modifié.

Article 13 : Conditions d’application de certaines dispositions à des collectivités d’outre-mer

La commission adopte successivement les amendements de coordination CF125 et CF126 et les amendements de correction légistique CF127, CF128, CF129 et CF130 de M. Alexandre Holroyd, rapporteur.

Elle adopte l’article 13 modifié.

Article 14 : Entrée en vigueur

La commission adopte l’article 14 non modifié.

Après l’article 14

Amendement CF60 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’opportunité d’ouvrir au sein de l’AMF un service dédié à l’accompagnement et à l’information des PME souhaitant mettre en œuvre les dispositions du présent texte, afin d’assurer leur réussite.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je ne suis pas certain que cela corresponde au rôle de l’AMF. Des échanges que j’ai eus avec sa présidente, il ressort qu’il conviendrait plutôt de s’interroger sur un renforcement des moyens dont elle dispose pour ses missions existantes. Je donne un avis défavorable à cet amendement, tout en soulignant que le Parlement est libre de se saisir du sujet.

M. Daniel Labaronne (RE). Sans doute devrions-nous réfléchir d’ici à la séance à la question que soulève notre collègue Tanguy. Il me semble intéressant qu’un organe puisse répondre aux questions des actionnaires comme à celles des créateurs d’entreprises souhaitant financer leur développement sur le marché financier. Des outils existent déjà ; peut-être faut-il les renforcer ?

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je vous rejoins tous les deux sur le fond. Je ne suis simplement pas certain que l’AMF soit le bon outil. Les chambres de commerce et d’industrie ne seraient-elles pas plus adaptées, par exemple ?

La commission rejette l’amendement CF60.

Amendements CF64, CF65, CF57 et CF63 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ces amendements portent sur des demandes de rapports visant à combler l’absence d’étude d’impact. Encore une fois, nous regrettons le choix de présenter une proposition plutôt qu’un projet de loi, d’autant plus qu’elle semble avoir été livrée clef en main par Bercy et qu’il est très difficile pour les parlementaires de l’amender. Nous ne sommes pourtant pas censés avoir une confiance totale en Bercy ou en M. Le Maire.

M. Alexandre Holroyd, rapporteur. Je laisserai le Gouvernement répondre à ces amendements d’appel et rappelle que les mesures prévues dans le présent texte ont été largement évoquées dans le rapport du Haut Comité juridique de la place financière de Paris.

Nous arrivons au terme de l’examen du texte en commission. J’espère avoir pu apporter l’ensemble des réponses attendues et me réjouis d’en discuter avec vous en séance la semaine prochaine.

La commission rejette successivement les amendements CF64, CF65, CF57 et CF63.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 9 heures 

Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Fabrice Brun, M. Philippe Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, Mme Sophia Chikirou, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Christine Decodts, M. Jocelyn Dessigny, M. Fabien Di Filippo, M. Benjamin Dirx, Mme Alma Dufour, Mme Stella Dupont, M. Luc Geismar, Mme Félicie Gérard, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, Mme Géraldine Grangier, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Constance Le Grip, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Emmanuel Mandon, M. Louis Margueritte, Mme Alexandra Martin (Gironde), M. Denis Masséglia, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, M. Benoit Mournet, Mme Mathilde Paris, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Sébastien Rome, M. Xavier Roseren, M. Alexandre Sabatou, M. Michel Sala, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Jean-Marc Tellier

Excusés. - Mme Anne-Laure Babault, M. Éric Coquerel, Mme Lise Magnier, M. Bryan Masson

Assistaient également à la réunion. - Mme Cyrielle Chatelain, M. Pierre Cordier, M. Jean-Paul Mattei, M. Paul Molac