Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, à huis clos, de Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l’Agence française anticorruption (AFA), et Mme Stéphanie Bigas-Reboul, sous-directrice du contrôle 2
– Présences en réunion...............................11
Vendredi
13 octobre 2023
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 24
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à dix heures vingt.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l’Agence française anticorruption (AFA), et Mme Stéphanie Bigas‑Reboul, sous-directrice du contrôle, pour une audition à huis clos.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
L’Agence française anticorruption est un service à compétence nationale créé par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Elle a remplacé le service central de prévention de la corruption, tout en bénéficiant d’un renforcement de ses pouvoirs. Placée auprès du ministre de la justice et du ministre en charge du budget, elle aide les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Son expertise peut être sollicitée par les juridictions, les grandes entreprises, les administrations ou encore les collectivités.
L’AFA est conduite à contrôler les acteurs concernés par le champ de cette commission d’enquête. Pouvez-vous nous présenter rapidement vos missions, modalités et périmètres d’intervention, ainsi que l’ensemble des travaux conduits par l’Agence en lien avec les acteurs du monde sportif ? Nous souhaiterons ensuite vous entendre sur les principales constatations et recommandations de l’Agence dans le domaine qui nous intéresse.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure. »
(Mmes Isabelle Jégouzo et Stéphanie Bigas-Reboul prêtent serment.)
Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l’Agence française anticorruption. Je vous remercie pour votre invitation à participer à vos travaux. Ayant pris la direction de l’Agence il y a environ un mois, je serai secondée lors de cette audition par Mme Stéphanie Bigas-Reboul, sous-directrice du contrôle à l’AFA. Comme vous l’avez indiqué, l’Agence est un service à compétence nationale qui a pour mission d’aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les atteintes à la probité.
Je souhaite également vous préciser le cadre de notre intervention. Nous ne sommes pas un service d’enquête, mais nous travaillons dans le cadre de la prévention. Notre tâche, notamment dans le cadre de nos contrôles, consiste à nous assurer que les entités que nous contrôlons ont mis en place des mécanismes efficaces de prévention et de détection des atteintes à la probité. À l’occasion de ces contrôles, si nous découvrons des faits qui peuvent constituer des infractions pénales, nous les transmettons au procureur de la République, dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale. Cependant, l’objet principal de nos contrôles porte sur l’analyse des dispositifs anticorruption mis en place par les structures que nous contrôlons.
Les points de contrôles de l’AFA ont fait l’objet de recommandations rendues publiques et publiées au Journal officiel. Ils constituent une grille méthodologique nous permettant de vérifier les mécanismes de prévention et de détection des atteintes à la probité mis en œuvre par les entités contrôlées. Cette grille est composée d’une série d’items, dont le premier concerne l’engagement de l’instance dirigeante. Le deuxième porte sur l’existence et la qualité de la cartographie des risques d’atteintes à la probité auxquels l’entité peut être confrontée. Nous vérifions ensuite l’existence et la qualité d’un code de conduite, des mécanismes de formation des personnes les plus exposées aux risques d’atteintes à la probité, mais également que l’entité évalue bien l’intégrité des tiers avec lesquels elle travaille. Nous nous assurons en outre de l’existence et de la qualité de mécanismes de contrôle interne et de contrôles comptables ; nous regardons si l’entité a mis en place des systèmes d’alerte interne et s’il existe un régime disciplinaire pour sanctionner les éventuelles violations du code de conduite. Cette méthode systématique s’appliquant à la probité nous permet d’analyser de manière pointue les éléments mis en place dans les différentes entités que nous contrôlons.
S’agissant plus précisément du mouvement sportif, le sport a été identifié par l’AFA comme un secteur exposé aux risques de probité. Nous l’avons d’ailleurs érigé en priorité lors du plan pluriannuel de lutte contre la corruption 2020-2022, qui prévoyait l’établissement d’une action plus spécifique dans le domaine du sport. Par ailleurs, la loi olympique de mars 2018 a confié une mission spécifique à l’AFA dans le cadre de la préparation et de l’organisation des Jeux olympiques.
Parallèlement à nos missions de contrôle, nous conduisons des missions de conseil. Nous avons ainsi participé à la rédaction du référentiel de l’Association française de normalisation (Afnor) relatif à l’éthique et l’intégrité du sport et avons publié un guide à destination des fédérations sportives pour les aider à mettre en place un dispositif de maîtrise des risques d’atteintes à la probité. Ce guide très concret présente des fiches de risque soulignant les risques identifiés in abstracto, ce qui ne remplace pas pour autant le travail in concreto que chacune des fédérations doit réaliser pour sa propre analyse de risque. Parmi les risques identifiés figurent notamment la commande publique ou la billetterie. Ces fiches ont été publiées avant de lancer nos contrôles, pour aider les différentes fédérations à s’y préparer.
Nous travaillons également dans un contexte international et contribuons à ce titre aux activités du partenariat international contre la corruption dans le sport, dont nous sommes un membre assez actif. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a de plus saisi l’AFA de plusieurs demandes, afin de conduire des événements de sensibilisation, que nous menons actuellement, à l’instar d’un webinaire sur les cadeaux.
En 2019, nous avons conduit le contrôle du Centre national pour le développement du sport (CNDS), juste avant sa transformation en Agence nationale du sport, ce qui nous a empêchés d’organiser un échange contradictoire avec l’entité contrôlée. Ce rapport n’est donc pas définitif, mais l’Agence nationale du sport en a eu communication. En outre, nous avons mené neuf contrôles sur les fédérations sportives, en nous concentrant sur celles qui ont le plus grand nombre de licenciés. Cette mission a représenté pour nous une importante charge de travail pendant un an, compte tenu de nos effectifs réduits. Elle a ainsi mobilisé l’intégralité de nos personnels compétents pour le secteur étatique.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Combien de personnes travaillent dans ce service spécifique ?
Mme Isabelle Jégouzo. Cinq personnes ont été mobilisées. Globalement, l’AFA dispose de cinquante-trois agents, répartis entre le contrôle et le conseil. Trente-deux personnes travaillent au sein de la sous-direction du contrôle, dont vingt-trois inspecteurs chargés du contrôle des acteurs publics et privés. Dans le cadre de la loi Sapin 2, nous contrôlons les très grosses entreprises soumises à l’article 17 de ladite loi. Nous intervenons également à la demande des autorités judiciaires dans le cadre des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), pour superviser les programmes de conformité des entreprises. Une partie des effectifs du contrôle travaille donc sur le secteur public, un groupe étant attaché au secteur public national quand l’autre est dédié aux collectivités locales.
Ce contrôle sur les fédérations a permis de tirer un certain nombre d’enseignements. Tout d’abord, ces entités sont exposées aux risques de corruption et de trafic d’influence. En tant que personnes chargées de missions de service public, elles sont exposées à la prise illégale d’intérêts et au risque de concussion. De plus, les fédérations qui reçoivent des fonds publics peuvent être sujettes au risque de détournement desdits fonds et, en tant qu’associations, d’abus de confiance. Celles qui attribuent des marchés publics sont quant à elles soumises au risque de favoritisme. En résumé, l’ensemble des secteurs des fédérations sportives est à risque.
Nous avons travaillé en partenariat avec le ministère des sports, qui s’est particulièrement engagé sur le sujet de la probité. La loi du 1er mars 2017 a ainsi conduit le Conseil national du sport à se doter d’une charte éthique. La loi du 2 mars 2022 a de son côté étendu la liste des personnes soumises à déclaration d’intérêts. Plus récemment, nous avons été auditionnés par le comité national d’éthique, auquel nous avons fait part de nos différentes remarques.
Nos contrôles mettent en évidence une faible maturité en matière de maîtrise des risques d’atteinte à la probité de la plupart des fédérations sportives. Une des difficultés de ce secteur tient au fait que ces fédérations sont de tailles extrêmement différentes, certaines d’entre elles maniant beaucoup d’argent quand d’autres présentent un caractère plus associatif. Dès lors, les moyens dédiés à la prise en charge du risque de probité sont également hétérogènes.
Mme Stéphanie Bigas-Reboul, sous-directrice du contrôle de l’Agence française anticorruption. Nous avons effectivement constaté une maturité inégale entre les différentes fédérations contrôlées, certaines étant plus en avance sur l’aspect déontologique quand d’autres le sont sur le contrôle interne. Malgré tout, nous avons constaté une insuffisante prise de conscience des risques encourus, notamment le risque pénal, par les dirigeants et les salariés. Or ce risque pénal est multiforme. Si le risque de corruption se comprend aisément, celui qui est attaché à la prise illégale d’intérêts, lié à leur mission de service public, est moins bien perçu.
Des entités ont progressé sur certaines mesures, mais globalement, l’existence d’un dispositif complet et intégré de maîtrise d’atteinte à la probité fait défaut. Je rappelle que celui-ci se fonde sur une identification précise des risques, ainsi que sur des mesures de détection et de prévention cohérentes. Nous avons notamment observé des dispositifs de prévention et de gestion des conflits d’intérêts notoirement insuffisants, mais également des risques liés aux cadeaux et invitations, qu’il s’agisse de ceux offerts par les fédérations ou de ceux reçus par les salariés et les dirigeants.
Le dispositif de recueil des signalements constitue une obligation légale notamment pour toutes les personnes morales de droit privé de plus de cinquante salariés depuis 2016. Or un certain nombre de fédérations ne disposaient toujours pas de ce dispositif lors de nos contrôles. Plus généralement, nous avons été confrontés à des entités qui disposent pour la plupart d’un contrôle interne insuffisant sur leurs processus support – achats, ressources humaines, etc. – mais également sur les processus directement liés aux missions qui leur sont confiées.
À titre d’exemple, s’agissant des contrats signés avec les partenaires pour générer des ressources, des différences peuvent être observées entre les fédérations. Cependant, en règle générale, le processus de partenariat est peu formalisé ce qui ne permet pas de comprendre la manière dont l’entrée en relation avec le partenaire s’est réalisée, les modalités de négociation et le processus de validation, alors même que ce processus est souvent exposé à des risques, notamment de corruption.
Le processus de billetterie est également fortement exposé à des risques d’atteinte à la probité. Globalement, la maîtrise des risques est meilleure que pour les partenariats, puisque des dysfonctionnements avaient déjà été révélés. Le scénario de risque classique concerne la cession gratuite ou à prix avantageux à des proches de la gouvernance, engendrant des risques de prise illégale d’intérêts ou d’abus de confiance. L’AFA a certes constaté une maturité grandissante des fédérations sur ces processus et a été associée récemment par le Gouvernement à des réflexions sur la billetterie populaire, auxquelles les fédérations seront associées. Cependant, l’ensemble des fédérations ne dispose pas d’une sécurisation complète dans ce domaine.
Enfin, le processus achat est insuffisamment sécurisé à l’heure actuelle, les démarches internes n’étant pas assez formalisées : les guides internes font défaut. La mise en concurrence n’est pas systématique et demeure trop souvent allégée, notamment en matière de modalités de publicité, qui ne sont pas toujours proportionnées aux enjeux. Ces publicités se limitent parfois à une mise en ligne sur le site de la fédération et n’informent pas suffisamment les candidats potentiels de l’ouverture d’un marché. Les pratiques et positionnements des fédérations sont en outre hétérogènes dans le domaine des règles de la commande publique. Certaines fédérations ne se considèrent pas comme pouvoir adjudicateur, alors que l’AFA en a une appréciation différente. D’autres fédérations appliquent en revanche les règles de la commande publique.
Certaines fédérations ont néanmoins commencé à progresser sur un certain nombre d’items, avant même l’ouverture de nos contrôles. Cette volonté se manifeste notamment par l’engagement de l’ensemble de fédérations dans des plans d’action, dans le cadre des réponses au rapport provisoire de l’AFA.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous indiquer s’il existe des bons et moins bons élèves en la matière ?
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Les rapports sur les quatre premières fédérations contrôlées vous ont été communiqués. Ils ont été construits dans le cadre d’une vague de contrôles qui s’est opérée en deux phases. Certains contrôles s’arrêtent à la première phase, quand d’autres donnent lieu à des approfondissements. Je ne parlerai donc pas de bons et de mauvais élèves : à la fin de la première phase, nous pouvons considérer que le dispositif de maîtrise des risques d’atteintes à la probité de l’entité est trop immature pour justifier un approfondissement dans le cadre d’une deuxième phase. A contrario, certains organismes semblent matures en première phase, mais nous estimons nécessaire d’approfondir certains points, compte tenu du profil de risque.
Je précise que les rapports qui vous ont été transmis ont porté sur des fédérations n’ayant pas fait l’objet d’une deuxième phase de contrôle, à l’exception de la Fédération française de rugby. Pour le moment, il nous est difficile de vous répondre, dans la mesure où quatre de nos contrôles sont actuellement en phase contradictoire. Comme je l’ai indiqué, certaines fédérations s’étaient déjà mobilisées sur ces sujets avant nos contrôles. Parmi celles-ci, je pense notamment à la Fédération française de natation, qui avait engagé cette réflexion et avait participé au groupe de travail qui s’était réuni sous l’égide conjointe du ministère des sports et du CNOSF pour préparer le guide dont Mme Jégouzo vous a parlé précédemment.
Mme Isabelle Jégouzo. Puisque le travail n’est pas encore terminé, il est trop tôt pour tirer des conclusions générales. Nous rendrons celles-ci en fin d’année au ministère des sports. En l’état, et sous réserve de compléments ultérieurs, nous estimons qu’un certain nombre d’éléments pourraient être améliorés. D’abord, il est nécessaire que les comités d’éthique et de déontologie des fédérations soient à la fois plus puissants et plus indépendants. En effet, ils sont parfois très liés aux fédérations elles-mêmes. En outre, ils doivent mieux intégrer les sujets relatifs à la probité, au-delà de l’éthique du sport stricto sensu. Il importe également de réfléchir à la composition et au positionnement de ces comités, afin que cette fonction probité soit pleinement prise en compte.
La désignation d’un référent déontologue, notamment pour les salariés des grandes fédérations, doit être favorisée. Par ailleurs, il nous apparaît nécessaire que les fédérations se conforment aux règles de la commande publique pour les marchés qu’elles passent, puisque les critères juridiques nous semblent remplis. Il nous est aujourd’hui objecté qu’il est compliqué d’appliquer la même approche pour les plus petites d’entre elles. Cependant, je fais remarquer que les petites collectivités locales sont assujetties aux mêmes règles que les grandes.
Je souhaite également mettre l’accent sur l’amélioration du dispositif d’alerte, qui demeure insuffisant à ce jour, ainsi que sur la nécessité d’un meilleur encadrement des partenariats. À ce titre, nous préparons actuellement un guide du partenariat, sur le même modèle que celui sur les cadeaux, qui est disponible en ligne sur notre site. Les fédérations ont d’ailleurs été consultées publiquement sur ce guide du partenariat et nous ont fait part de leurs remarques.
En outre, l’État doit mieux expliciter ses attentes vis-à-vis des risques aux atteintes à la probité dans les contrats de délégation. En effet, le déploiement des mesures de prévention et de détection des atteintes à la probité doit concerner non seulement les fédérations, mais également les éventuelles ligues professionnelles dont elles assurent le contrôle. Or certaines fédérations ne s’estiment pas responsables des actions menées dans les ligues professionnelles, qui sont pourtant celles les plus à risque, potentiellement. Les fédérations, dans le cadre de leur propre dispositif d’évaluation des risques d’atteinte à la probité, devraient intégrer les ligues professionnelles.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels obstacles pouvez-vous rencontrer lors de vos contrôles des fédérations ?
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Un des enjeux consiste à leur faire comprendre d’une part que les contrôles ont pour objet de les aider à progresser ; et d’autre part, que les mesures que nous préconisons ont déjà été testées sur d’autres entités et rendues publiques dans le cadre de recommandations. Notre objectif consiste donc à convaincre de l’utilité de ces recommandations, en les adaptant le cas échéant. Cette action est plus ou moins aisée, selon les fédérations. Nous avons le sentiment de les avoir convaincues, mais il faudra vérifier dans la durée. En revanche, nous n’avons pas rencontré de difficulté d’accès aux informations lors de nos contrôles, qui se sont toujours bien déroulés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous détailler la phase contradictoire ? Se déroule-t-elle lors d’entretiens ou sur la base de documents ?
Mme Isabelle Jégouzo. Nous leur adressons un pré-rapport qui comporte nos observations. Les fédérations nous répondent ensuite et nous font part du plan d’action qu’elles envisagent de mettre en place. Plus le contrôle est réussi, plus ce plan est solide.
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. En réalité, nos contrôles sont de nature administrative, sur pièces et sur place. Nous rendons public sur notre site le questionnaire adressé aux acteurs publics et aux fédérations, afin d’être transparents et de permettre aux entités de se préparer à notre contrôle. Les questionnaires complémentaires dépendent ensuite des réponses apportées au premier questionnaire.
L’équipe de contrôle mène également des entretiens avec les dirigeants et des salariés occupant certaines fonctions exposées. Elle rédige ensuite son rapport de contrôle, qui fait l’objet d’une phase contradictoire, dans un délai de deux mois. Durant cette période, l’entité peut apporter tout élément de contestation ou de précision, en nous proposant un plan d’action. À partir de cette base, nous faisons évoluer le rapport de contrôle. Si nous nous sommes trompés, nous corrigeons le rapport et si des évolutions positives ont vu le jour, nous les mentionnons. Ce rapport définitif est ensuite adressé à l’entité contrôlée. Nous avons d’ailleurs publié une charte des contrôles, disponible sur le site de l’AFA, qui détaille les modalités de contrôle que nous mettons en œuvre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le cadre des travaux de notre commission d’enquête, nous avons pu approfondir notre compréhension d’un certain nombre d’affaires. Je pense notamment à celles relatives à la billetterie à la Fédération française de tennis ou au sponsoring à la Fédération française de rugby. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques a quant à lui fait l’objet de perquisitions récemment. Nous avons donc le sentiment que la prise de conscience n’est pas toujours clairement établie en matière d’éthique. Je pense notamment à l’audition de l’ancien président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), M. Masseglia, qui avait voulu se faire rembourser 30 000 euros de frais de déplacement lors d’un voyage effectué à Tokyo en tant que président honoraire. Il avait voulu diviser la facture en deux : une partie aurait été prise en charge par le CNOSF et l’autre partie par une entreprise à son nom en lien avec des prestations de conférence. Partagez-vous la même impression d’une prise de conscience imparfaite ?
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Oui. Nous observons effectivement une prise de conscience insuffisante de la multiplicité des risques auxquelles ces personnes ou entités sont confrontées. Elles ne se rendent pas toujours compte que la corruption ne se limite pas aux classiques « valises de billets ». Le guide que nous avons évoqué met précisément en lumière de manière très concrète le risque pénal qui peut se présenter. Lorsque nous demandons à une entité de réaliser une cartographie, nous voulons qu’elle puisse relever de manière très concrète les risques de prise illégale d’intérêts sur la fonction achat, sur la billetterie ou sur les partenariats. Plus la conscience du risque pénal est aiguë, plus l’entité s’améliore. Le travail d’explicitation et d’appropriation du risque pénal est essentiel et va de pair avec une réflexion sur le fonctionnement interne. C’est la raison pour laquelle parmi les pistes envisagées, l’État doit pouvoir formuler des exigences de manière plus explicite dans les contrats de délégation.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les contrats de délégation de service public de l’État ne mentionnent-ils actuellement pas de telles exigences ?
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Sauf erreur de ma part, les contrats signés en 2022 ont été rédigés de manière hétérogène selon les fédérations. Peut-être faudrait-il que vous évoquiez cet aspect avec le ministère des sports. Ces sujets peuvent être mentionnés, mais de manière ponctuelle, par exemple sur la déontologie ou le contrôle des risques. Je sais que le ministère des sports se posera la question au moment de la renégociation des contrats, afin d’introduire des exigences plus globales et moins parcellaires.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vous, les contrats entre le ministère et les fédérations passés avant 2022 étaient-ils muets sur ces sujets ? Les fédérations ne sont-elles pas informées des risques financiers et de corruption ?
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Je ne peux pas vous répondre s’agissant des contrats antérieurs à 2022. Les contrats de délégation constituent une avancée positive, puisqu’ils témoignent des attentes de l’État. La première version fera l’objet d’un bilan, qui permettra de poursuivre cet effort de structuration des exigences. Honnêtement, les fédérations ne sont pas les seuls acteurs que nous contrôlons à ne pas être totalement conscients des risques d’atteinte à la probité auxquels ils sont exposés. L’un des rôles de l’AFA consiste donc à mettre en lumière ces risques. Nous avons d’ailleurs mis en ligne des quiz pédagogiques en ce sens – qui, naturellement, ne concernent pas uniquement les fédérations. Toutes les entités doivent être en mesure de pouvoir progresser, y compris les plus petites.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez mentionné le guide du sport et les fiches pratiques associées. Les fédérations doivent-elles en faire la demande ou leur envoyez‑vous systématiquement ces documents ?
Mme Isabelle Jégouzo. Ces documents sont en ligne et aisément consultables. Les fiches, très concrètes, ont été réalisées de manière partenariale, puisque nous avons travaillé avec les fédérations pour les mettre en forme. Lorsque nous aurons achevé nos contrôles, le guide pourra être modifié à la marge. Les fédérations en ont connaissance.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Afin de clarifier le sujet, les fédérations sont-elles contrôlées par d’autres entités que l’AFA ?
Mme Isabelle Jégouzo. Nous les contrôlons uniquement sur le risque de probité, de manière administrative. Si des infractions apparaissent à l’occasion de ces contrôles, nous alertons le procureur de la République, qui conduit ensuite des enquêtes.
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Les fédérations peuvent par ailleurs être contrôlées par l’inspection du ministère, que vous avez auditionnée, mais également par la Cour des comptes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les paris en ligne ont connu un très fort développement. Avez-vous soulevé des points d’inquiétude relatifs à ces pratiques, mais également à celle des paris illégaux ? L’AFA est-elle saisie de cette problématique ? Est-ce un enjeu important de corruption selon vous ?
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Nous n'avons pas contrôlé les paris en ligne de manière spécifique. Ce sujet est plus éloigné des problématiques que nous cherchions à identifier. En revanche, dans le cadre des rapports, nous avons pu appréhender la manière dont ce sujet a pu être traité dans des documents déontologiques internes des fédérations.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous n’avez donc pas établi une ligne d’évaluation des risques dans ce domaine précis, si j’ai bien compris.
Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Les paris en ligne devraient apparaître dans la cartographie des risques que nous demandons aux fédérations. En revanche, dans les axes que nous avons choisi d’approfondir, nous avons plutôt mis l’accent sur la billetterie, les partenariats, les marchés, les recrutements et la gestion des frais de déplacement. Cependant, les fédérations devraient les identifier au titre des risques d’atteinte à la probité qui peuvent les concerner. Certaines l’ont d’ailleurs fait, dans le cadre des chartes d’éthique et de déontologie qu’elles ont déployées.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous être sollicité dans ce domaine, ne serait-ce que pour fournir une aide ?
Mme Isabelle Jégouzo. Les guides que nous réalisons poursuivent cet objet. Nous ne menons plus d’accompagnement individuel des entités, dans la mesure où nous préférons concentrer nos moyens sur un accompagnement plus global, à travers les guides. L’accompagnement au cas par cas est particulièrement lourd. Les résultats des contrôles alimentent également la réflexion des acteurs.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez conduit un contrôle sur le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) d’été de 2024 et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Il nous a été rapporté que vous aviez effectué à cette occasion un signalement auprès du parquet national financier (PNF). Confirmez-vous cette information ?
Mme Isabelle Jégouzo. Non. En revanche, nous avons effectivement rendu deux rapports sur ces organismes, puisque la loi nous confie une compétence spécifique. Ces rapports ont été transmis au PNF, à sa propre demande, dans le cadre de son enquête.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner M. Alexandre Calvez, de l’association Anticor. Il estime que les acteurs qui interviennent au sein du Cojop et de la Solideo étaient sujets à de très grands conflits d’intérêts. Que pensez‑vous de cette affirmation ? Avez-vous pu observer de tels éléments dans le cadre de ce contrôle ?
Mme Isabelle Jégouzo. Comme je l’ai indiqué, ces contrôles ont porté sur la structure générale. Nous avons formulé plusieurs remarques et avons pu constater qu’un certain nombre de progrès avaient été réalisés. Nous avons transmis ces rapports au PNF et il ne nous semble pas que nous puissions aller au-delà.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’imagine que ces rapports sont administratifs. Nous vous les demanderons dans le cadre de notre commission d’enquête.
Mme Isabelle Jégouzo. Nous devons étudier cet aspect avec la Chancellerie. Le PNF dispose de ces rapports et la possibilité de leur transmission relève de sa décision.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends vos propos. Le travail de la commission ne doit pas entraver une enquête en cours, mais nous avons la liberté de demander l’accès à des documents. Il sera important pour nous de pouvoir disposer de ces rapports.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions de votre disponibilité et des éclaircissements que vous avez pu nous fournir.
La séance s’achève à onze heures dix.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Quentin Bataillon, Mme Béatrice Bellamy, Mme Sabrina Sebaihi