Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

– Audition, ouverte à la presse, de M. Claude Onesta, manager général de la haute performance à l’Agence nationale du sport, ancien joueur et ancien sélectionneur et entraîneur de l’équipe de France de handball               2

– Présences en réunion................................18


Mardi
24 octobre 2023

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 31

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à quinze heures.

La commission auditionne M. Claude Onesta, manager général de la haute performance à l’Agence nationale du sport, ancien joueur et ancien sélectionneur et entraîneur de l’équipe de France de handball.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Monsieur Onesta, je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes un ancien joueur international de handball et l’ancien sélectionneur de l’équipe de France masculine de handball.

L’Assemblée nationale a décidé de la création de cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Fort de votre longue et riche expérience dans ce secteur, pouvez-vous partager avec nous votre vision des violences sexuelles et sexistes, du racisme et des discriminations dans le sport ? Comment évoluent ces phénomènes de votre point de vue ?

En 2014, vous avez été vous-même au cœur d’une polémique en raison d’une dédicace que vous avez écrite sur un exemplaire de votre livre Le règne des affranchis, à l’intention de M. Didier Dinart, alors que vous étiez sélectionneur de l’équipe de France et que lui-même était votre adjoint : « Didier, l’esclave qui a le plus profité de sa libération… En espérant qu’il ne remette pas les chaînes à ses joueurs. »

Vous vous êtes défendu de toute connotation raciste de ce message. Pouvez-vous revenir sur cette affaire ?

Vous êtes manager de la performance au sein de l’Agence nationale du sport (ANS). Pouvez-vous nous présenter votre action à ce poste et les leviers dont vous disposez pour renforcer l’éthique dans le sport ? Quel bilan tirez-vous de la création de cette agence et quel regard portez-vous plus généralement sur l’évolution de la gouvernance du sport ?

Avant de vous donner la parole, je vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Claude Onesta prête serment.)

M. Claude Onesta, manager général de la haute performance à l’Agence nationale du sport. En premier lieu, je reviendrai sur votre question relative à cette dédicace. Dans le contexte d’aujourd’hui, elle apparaît beaucoup plus sensible et ne reflète pas le sens qu’elle avait à l’époque, dans le cadre d’une relation de grande proximité avec mes joueurs.

Six ans plus tard, j’ai cru comprendre que cette dédicace avait heurté l’un de ces joueurs. J’ai été étonné puis marqué d’avoir pu, peut-être par maladresse ou en présumant du lien qui pouvait exister entre nous, causer cette souffrance. Je suis, bien évidemment, désolé car ce n’était pas l’idée de cet échange. Je le suis tout autant d’avoir pu être identifié comme potentiellement raciste et capable de propos déplacés, alors que je suis très attaché au respect de l’autre et à la bienveillance, bien nécessaires dans l’environnement sportif, fait de confrontation et de détermination.

J’ai toujours été très attentif à rendre mes joueurs autonomes, et c’était un peu l’objet de ce livre, Le règne des affranchis : montrer qu’en donnant plus d’autonomie et de liberté d’action aux joueurs, on pouvait devenir la meilleure équipe du monde. À l’époque, l’organisation du sport était beaucoup plus militaire, autoritaire, descendante – dirigiste, dirais-je. Je me suis toujours battu pour que les athlètes puissent coconstruire le projet et qu’ils puissent en être pleinement responsables. Cette autonomie, basée sur le respect et la bienveillance, était donc au cœur de mon action.

Cette souffrance que j’ai pu occasionner, une fois encore j’en suis désolé, mais tout au long de ma carrière, je suis plutôt apparu comme une personne très en relation avec ses athlètes, plus encline à se mettre à leur service qu’à les mener par la seule autorité.

Franchement, cette période fut douloureuse pour moi. La plupart des joueurs m’ont appelé pour me soutenir, notamment les joueurs de couleur qui se sont étonnés de cette accusation : « S’il y en a un à qui on ne peut pas reprocher un manque d’exemplarité sur ce plan, c’est bien toi », m’ont-ils dit. Cet épisode m’a donc marqué et heurté au plus profond de moi.

À l’époque, je savais que j’arrivais à la fin de mon parcours. Comme nous avions beaucoup avancé et libéré la parole, comme l’accès à la responsabilité de chacun, je voulais veiller à ce que la transition se fasse dans cette même démarche – et Didier Dinart était un acteur de cette transition. L’inquiétude qui sous-tendait ce message était que, par la suite, on revienne à un système plus autoritaire et peut-être plus vertical.

Voilà pour cette séquence. Encore une fois, elle m’a heurté, mais je dois d’abord penser à Didier. Tout cela n’est sorti qu’au bout de six ans, mais si c’est ainsi qu’il l’a vécu, j’en suis désolé et je m’en excuse auprès de lui.

J’en arrive à mon – long – parcours dans le champ sportif. J’ai d’abord été joueur de handball. Du point de vue professionnel, j’ai été enseignant en éducation physique et sportive. À l’époque, l’éducation nationale était le ministère de tutelle des sports et j’ai pu m’engager dans un parcours de cadre technique sportif en fédération. Après un certain nombre d’années comme cadre technique en région Midi-Pyrénées, j’ai été amené à prendre la responsabilité de sélectionneur et à encadrer l’équipe de France – je l’ai fait pendant seize ans.

J’ai beaucoup plus vécu dans l’encadrement technique du terrain que dans le champ des élus et de l’organisation ou de la gouvernance du sport et des fédérations. À entendre les témoignages, malheureusement fréquents, et à voir les dégâts qui ont pu être occasionnés dans le monde du sport, on a parfois le sentiment de ne pas toujours avoir ouvert les yeux et d’être passé à côté d’un certain nombre de choses.

Je n’ai toujours entraîné que des garçons et n’ai jamais été en charge d’équipes féminines. Je ne sais pas s’il y a une spécificité de l’entraînement des femmes, jeunes ou adultes. Du sexisme, il y en a sûrement eu, mais j’avoue que, dans mon environnement proche, ce n’est pas comme cela qu’on vivait.

Quant aux discriminations, j’ai souvent dit et écrit que la chance du monde sportif français était de bénéficier de cette diversité de cultures et d’origines, fût-elle due au colonialisme, qui n’est peut-être pas la gloire de la France mais qui fait partie de son histoire. J’ai toujours vécu comme une chance cette diversité des acteurs, de gens qui avaient appris le handball à Strasbourg, en Lorraine, à Marseille, sur l’île de La Réunion ou aux Antilles. La force du sport français tient justement à cette diversité de pratiques et de cultures, qui permet de créer une puissance par la variété des solutions apportées. Je l’ai toujours vécu de cette manière.

Je pratiquais un sport où le mélange racial, que ce soit en club ou en équipe de France, était de mise. J’ai toujours vécu le sport comme l’endroit où l’on faisait justement abstraction des différences, notamment dans le sport collectif. Chacun rentre au vestiaire avec ce qu’il est, ce qui l’a construit, avec ses idées politiques ou religieuses. Et là, pendant un temps, on va faire abstraction de toutes ces différences pour se réunir et se fédérer sur un projet commun.

J’ai toujours aimé le sport collectif pour cette réunion des individus qu’il emporte. Pendant quelques heures, chacun partage avec les autres quelle que soit sa différence. La seule façon de faire équipe est précisément d’arriver à cette fusion des individus dans l’intérêt d’un projet collectif.

Dire qu’il n’y a pas eu de débordements par moments serait mentir, mais ce sont des aspects auxquels nous avons toujours été très attentifs. Pour des gens comme moi, qui sont avant tout des éducateurs, le sport est une école de la vie qui doit permettre l’apprentissage des règles, du vivre-ensemble, qui a la capacité de réunir les acteurs, quelles que soient leurs origines. Pour nous, cela a toujours été essentiel.

Le handball est un sport jeune par rapport à d’autres sports collectifs de ballon. Il a été développé par des instituteurs, des enseignants, ce qui lui confère de fortes bases éducatives. La pratique, avant même de considérer les résultats, a toujours été construite sur le respect et l’accompagnement des acteurs avec toutes leurs différences.

Bien sûr, chaque fois que nous avons été confrontés à de tels problèmes, nous les avons toujours régulés et bien évidemment dénoncés. Qu’ils se produisent à l’échelle d’un club ou d’un groupement, il a toujours été fait ce que l’on pensait approprié à l’époque – trente ans plus tôt, ces sujets ne se posaient pas de la même façon.

Nous avons toujours été citoyens avant d’être entraîneurs. Nous avons toujours cru en l’exemplarité comme moyen d’éduquer des jeunes adolescents et des jeunes adultes ; elle constituait même l’engagement premier des éducateurs et des entraîneurs que nous étions. Les écarts, les problèmes étaient régulés, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existaient que chez les autres. Il est vrai que ces problèmes étaient souvent liés à l’accompagnement d’athlètes de jeune âge – effectivement, la proximité entre des athlètes jeunes enfants ou jeunes adolescents dans un environnement d’adultes peut en générer. Je pense que la fédération a toujours été très attentive à ces sujets et s’est efforcée de les traiter, non pas en mettant la poussière sous le tapis, mais, au contraire, en essayant de les prendre à bras-le-corps.

Très franchement, dans mon sport, j’ai peu entendu parler de ce genre de sujets. Maintenant qu’ils émergent, en tant qu’ancien acteur et dirigeant sportif, on a forcément tendance à penser qu'on ne les a peut-être pas toujours regardés comme il aurait fallu ou qu'on n'a pas eu la vigilance qui aurait convenu. En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu le sentiment de masquer quoi que ce soit ou d’essayer de ne pas alerter, comme on le fait aujourd’hui de manière systématique.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je reviens sur ces années en tant que sélectionneur auprès de l’équipe de France et particulièrement sur cette affaire de dédicace. Vous disiez avoir fait preuve de respect et de bienveillance pendant toute cette période et que vous aviez reçu très clairement le soutien des joueurs et particulièrement des « joueurs de couleur ». Pouvez-vous nous citer ces « joueurs de couleur » ?

M. Claude Onesta. Les premiers à m’avoir appelé sont Luc Abalo et Joël Abati, deux joueurs historiques de l’équipe de France. Tous les deux m’ont tout de suite dit qu’il n’était « pas bien » de laisser planer un doute sur cette affaire et sur ma personne et qu’ils n’avaient jamais ressenti ces choses-là dans leur relation avec moi. On le sait bien, pour un qui parle, beaucoup se taisent, et les autres m’ont témoigné leur soutien d’une manière ou d’une autre. En tout cas, les deux joueurs qui m’ont appelé de manière immédiate et directe m’ont signifié clairement que cela leur paraissait très déplacé.

Je peux concevoir qu’après-coup et hors contexte, la dédicace puisse être considérée comme déplacée, mais elle n’en avait pas moins une signification très éloignée de la façon dont elle a été reçue.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le mot ou l’expression « black », en parlant de sportifs de peau noire, est-il pour vous synonyme de respect et de bienveillance ?

M. Claude Onesta. J’ai appris que non. Je vous le dis très clairement, d’autant que j’ai aujourd’hui des collègues noirs dans mon équipe.

Le terme « black » n’est pas de ma génération. Il était plutôt utilisé par des générations plus jeunes et, de fait, tout le monde avait l’impression que c’était un terme jeune. Un jour, sans doute après que je l’ai utilisé, une de mes collègues m’a dit : « Quand je parle de toi, je ne parle pas de ‟ white ˮ. Pourquoi tu parles de moi en évoquant les ‟ blacks ˮ ? ». Ce jour-là, j’ai été amené à réfléchir. Ma génération disait plutôt « noir » mais, à la limite, dans un vestiaire, on ne parlait ni de noirs ni de blancs ; on parlait à des joueurs sans avoir l’impression de parler à des races différentes. En tout cas, j’ai compris qu’il ne fallait pas dire « black ».

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous est-il déjà arrivé de dire à un joueur noir : « Toi, on va te remettre les chaînes » ?

M. Claude Onesta. Non. Je ne sais pas si vous avez lu des choses écrites par d’autres sur moi. Il est difficile de parler de soi, mais j’ai été reconnu comme le manager qui avait donné le pouvoir à ses joueurs, qui avait donné la responsabilité de la construction du projet à ses joueurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous rappelle que vous êtes sous serment pendant cette audition. « Ces joueurs », dont vous parlez, j’aimerais que vous puissiez citer leurs noms, de sorte que nous puissions comprendre et prendre pleinement connaissance de l’histoire et du contexte.

M. Claude Onesta. Je ne sais pas de quelle histoire il s’agit. Quelqu’un m’a accusé de l’avoir dit ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Non. Je vous pose une question.

M. Claude Onesta. Je ne peux pas citer un joueur lorsque je ne le connais pas. Je ne me vois pas dire ces choses-là à un joueur. Que je sois sous serment n’y fait rien : je ne pense pas l’avoir dit et j’affirmerai ne pas l’avoir dit.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur la signification de votre dédicace. Quel sens y avait-il à comparer un joueur noir à un esclave dans le contexte dont, selon vous, elle a été sortie ? Même si c’est le cas, pour ma part, j’y vois un problème, et c’est un avis que beaucoup partagent, je pense.

Vous avez employé les termes « races différentes ». Qu’entendez-vous par-là ?

Vous avez évoqué les joueurs en disant : « ces joueurs ». Pouvez-vous nous préciser votre pensée ? De quels joueurs parlez-vous ? Désignez-vous leur couleur de peau, leurs origines ou leur statut ?

Vous dites n’avoir pas le souvenir d’avoir prononcé la phrase citée par Mme la présidente. Ce n’est pas vraiment une réponse ; soit vous l’avez effectivement dite, soit vous êtes certain que non.

Enfin, vous est-il déjà arrivé d’utiliser le mot « nègre » en parlant à des joueurs ?

M. Claude Onesta. Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Je veux bien me prêter à vos questions avec le plus d’attention possible mais je ne vais peut-être pas me répéter pendant une heure. Je veux bien essayer de vous dire tout ce que je sais, mais très honnêtement, je trouve assez inconfortable d’être accusé ainsi, sans véritablement savoir d’où ça vient et pourquoi.

Je vais donc décrire à nouveau, pour la dernière fois, je l’espère, la situation dans laquelle a eu lieu la signature.

Quand je parle d’« esclaves », je ne parle pas à un athlète noir. Quand j’intitule mon livre Le règne des affranchis, je veux dire que les joueurs au sens large, sans considération de race ni de couleur, sont habituellement considérés comme des acteurs obéissants dans le champ du sport de haut niveau. Les entraîneurs ont tendance à mettre en œuvre leur projet et les athlètes le subissent.

L’affranchi est en effet un esclave libéré. Le règne des affranchis entendait montrer que l’ensemble de mes joueurs, quelle que soit leur couleur, avaient été, dans l’aventure que nous leur avons proposée, affranchis du lien d’autorité et de subordination existant traditionnellement dans le sport de haut niveau. La preuve était ainsi apportée qu’en libérant les joueurs du joug que leur imposait ordinairement leur encadrement, on pouvait obtenir des résultats au niveau mondial et même devenir la meilleure équipe du monde. De fait, lorsque j’ai commencé à m’engager dans cette démarche par la suite dite de management collaboratif ou participatif, j’ai été traité de fou voué à l’échec. La preuve a été faite que, non seulement on pouvait réussir, mais qu’on pouvait le faire de manière exceptionnelle.

Je le répète, Le règne des affranchis raconte que tous mes joueurs ont été affranchis de l’autorité et qu’ils sont devenus des acteurs associés et clairement déterminants de la réussite du projet. Au moment où je signe cette dédicace à l’un de mes joueurs – et c’est peut-être là que je me montre un peu naïf ou déplacé –, je ne le fais pas pour un joueur noir, je le fais pour un joueur parmi tous les autres.

Il faut bien comprendre qui était Didier Dinart dans notre organisation. Au départ joueur de qualité moyenne, il est devenu, par l’intelligence et la liberté qu’on lui a proposée, le meilleur défenseur du monde. C’est donc vraiment quelqu’un qui a tiré un profit total de cette libération. Ma signature signifiait : « Toi, qui a le plus utilisé cette liberté pour devenir un des meilleurs joueurs du monde, j’espère – car à ce moment-là, il était entré dans le staff et n’était plus joueur –… »

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends ce que vous dites, mais la dédicace, elle, dit : « Didier, l’esclave qui est le plus profité de sa libération ». C’est donc très spécifique. Il y a clairement une référence à la question de l’esclavage. Avez-vous fait ce type de dédicace d’autres joueurs qui n’étaient pas noirs ?

Vous dites de Didier Dinart qu’« on lui a donné la possibilité ». Je trouve cela condescendant au possible. C’est aussi par sa capacité de joueur qu’il a réussi, pas uniquement parce qu’on l’y a autorisé ou qu’on le lui a permis. C’est vraiment ce qui ressort de votre propos.

Je souhaiterais vraiment que vous reveniez sur les termes de « races différentes » et de « ces joueurs » que vous avez utilisés.

M. Claude Onesta. Ce serait effectivement condescendant si c’était quelque chose de fréquent. Je vous le répète, la situation dont nous parlons date d’il y a une vingtaine d’années, à une époque où les entraîneurs ne donnaient aucune autonomie aux athlètes et décidaient pour ceux-ci de tout ce qu’ils devaient faire.

Cette démarche d’ouverture que j’ai introduite, peut-être la trouvez-vous condescendante, mais, pour ma part, je la trouve extrêmement généreuse, car ce n’était absolument pas l’esprit de l’époque. Ce faisant, je prenais d’ailleurs beaucoup de risques.

Vous n’êtes pas sans savoir que, dans le sport de haut niveau, si vous n’avez pas de résultats très rapides, vous êtes mis à l’écart. J’ai voulu dire à un athlète qui, pour moi, s’appelait Didier – non pas « Didier le noir » mais Didier –, qui avait pu être esclave parmi les autres, que sa libération lui avait permis d’atteindre un niveau qu’il n’aurait peut-être pas atteint dans un système plus fermé, et que j’espérais qu’il conserverait cette démarche et en ferait bénéficier les athlètes dont il aurait ensuite la charge.

J’ai effectivement parlé de « races différentes », parce que vous me posez une question sur des races, sur des gens de couleur… Je ne sais pas quelle est la terminologie à employer. Pour ma part, et encore une fois, je n’ai pas l’impression d’avoir agi en fonction des joueurs qui étaient en face de moi et encore moins en fonction de leur race. En disant « ces joueurs », je parlais des joueurs au sens large et Dieu sait qu’ils sont différents les uns des autres – plus par leur sensibilité et leur habilité que par toute autre différence. J’ai toujours considéré les joueurs de manière commune et sans faire de différence aucune. Il se trouve que j’avais l’opportunité de les choisir, de les sélectionner ; à aucun moment de tels critères ne sont entrés de quelque manière que ce soit dans mon travail.

D’ailleurs, si j’ai sollicité Didier Dinart à la fin de sa carrière sportive pour qu’il intègre le staff de l’équipe de France, c’est bien parce que je voulais lui confier un travail avec nous et des responsabilités. Dès lors, je ne vois pas où interviendrait une quelconque connotation d’exclusion, alors que c’était au contraire une action d’inclusion. Si j’avais été animé par d’autres pensées, j’aurais très bien pu choisir quelqu’un d’autre.

À aucun moment, pour moi, cela n’a été un élément de différenciation entre les uns et les autres.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je suis une handballeuse de toujours. J’ai commencé le handball il y a très longtemps. J’ai été présidente d’un club. J’ai toujours été très admirative du parcours de l’équipe de France, depuis sa médaille de bronze à Barcelone. Je suis sidérée par ce que j’entends.

Je n’ai jamais ressenti ni lu dans aucun journal ou magazine de handball cette forme de racisme de la part de quelque entraîneur que ce soit. D’ailleurs, Didier Dinart est devenu l’entraîneur de l’équipe de France, mais pour peu de temps – deux ou trois ans, de mémoire.

Je suis choquée et je me dis que quelle que soit notre mission d’enquête, il nous faut être très prudents. À une époque, Coluche avait pu faire de l’humour en disant : « Quand on viole, c’est quand on ne veut pas, et nous, on voulait ». De nos jours, il faut faire attention ; on ne sait plus quoi dire quand on parle de personnes de couleur – on ne doit plus dire « blacks » alors que tout le monde le disait avant. Et quand il s’agit de personnes d’origine maghrébine, on ne sait plus quoi dire de peur d’être taxé de racisme.

Devant cette commission d’enquête, je tiens à dire que je suis choquée de ce que j’entends. L’équipe de France de handball, c’est vraiment l’excellence. On a autant de personnes de couleur, pour beaucoup d’origine martiniquaise et guadeloupéenne ou d’ailleurs, comme Luc Abalo – je ne sais plus comment dire. Si le monde du handball était présent aujourd’hui, il vous dirait qu’il n’a jamais pensé que Claude Onesta puisse être raciste.

M. Claude Onesta. Merci, madame.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cela fait bien longtemps que l’on n’emploie plus le mot « race ». L’utiliser malgré tout est révélateur d’une certaine pensée.

Après que cette dédicace a été rendue publique, il vous a été proposé un rendez-vous avec la ministre Maracineanu. À l’époque, vous aviez déclaré ne pas être obligé de vous y rendre. Cet entretien a-t-il finalement eu lieu ?

M. Claude Onesta. Je ne me rappelle pas qu’elle me l’ait proposé. En règle générale, lorsqu’un ministre me convoque pour une réunion, je m’y rends sans faire état de mon envie ou autre. Je pense qu’elle a sûrement évoqué lors d’une interview et qu’il n’y a pas eu de suite, parce qu’il n’y a pas eu de proposition de réunion – j’en étais peut-être à la énième explication sur le sujet. Mais je me rends compte que l’explication n’a peut-être pas suffi, puisque nous y sommes encore aujourd’hui.

Si convocation il y avait eu, je me serais conformé à la demande de la ministre. Je n’aurais ni l’autorité ni l’outrecuidance de ne pas répondre à la sollicitation d’une ministre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il se trouve pourtant qu’au moment où on vous a proposé l’entretien, vous avez déclaré : « La ministre souhaite ce qu’elle veut. Moi, je n’ai pas à donner suite à cette situation, ni avec Didier Dinart ni avec personne. » Vous en rappelezvous ?

M. Claude Onesta. Pas trop. En tant qu’élus politiques, sujets à la critique, vous savez quel peut être l’acharnement médiatique. Peut-être qu’après la énième réponse à la même question qui m’était posée tous les jours, j’ai fini par dire que j’avais donné suffisamment d’explication pour ne pas avoir à recommencer tous les quatre matins. Je devais estimer avoir suffisamment répondu à toutes les questions posées. À l’époque, j’avais d’autres sujets à gérer quotidiennement dans le cadre de la mission qui m’était assignée. Il était temps de passer à autre chose.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le ministère des sports a tout de même un rôle de contrôle. Lorsqu’une ministre des sports demande à vous recevoir sur un sujet grave, considérez-vous que nous n’avez aucun compte à lui rendre, qu’il n’y a pas de lien hiérarchique ni d’obligation ?

M. Claude Onesta. Cela commence à devenir quelque peu pénible. À nouveau, si la ministre m’avait convoqué de manière officielle, j’y serais allé. Si elle l’a dit à un journaliste auquel j’avais déjà moi-même répondu, c’est autre chose. En plus de me faire passer pour un malotru, vous semblez maintenant vouloir me faire passer pour quelqu’un qui ne respecte rien ni personne, ni même les ministres. Cela suffit. Je travaille au quotidien avec des ministres, des cabinets et des élus et, jusqu’à preuve du contraire, je suis à peu près capable de répondre aux sollicitations qui me sont faites.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Notre rôle est de poser des questions et le vôtre est d’y répondre. Il n’y a aucune volonté de vous faire passer pour qui que ce soit.

Je vous repose donc la question : n’avez-vous jamais été officiellement convoqué par la ministre des sports ?

M. Claude Onesta. Si tel était le cas, j’aurais répondu à sa sollicitation et m’y serais rendu.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous présenter les grandes orientations et les réalisations du programme Ambition bleue, mis en place sous votre responsabilité à l’Agence nationale du sport (ANS) ?

M. Claude Onesta. Avec plaisir. Le programme Ambition bleue est né d’une mission qui m’a été confiée par la volonté du Président de la République lorsqu’en septembre 2017, les Jeux olympiques et paralympiques ont été attribués à la France. Il m’a été demandé de faire un état des lieux du sport de haut niveau en France. Quelques mois plus tard, j’ai rendu mon mémoire à la ministre Laura Flessel. De là, elle m’a demandé de travailler à la préfiguration et la construction d’un nouveau modèle qui mènera à la création de l’Agence nationale du sport.

En 2019, date de création de l’agence, il m’a été demandé d’essayer d’améliorer les résultats du sport français et particulièrement à l’échéance des Jeux de Paris. J’ai donc pris la charge de cette construction d’un nouveau modèle pour que les résultats des Jeux olympiques de Paris soient à la hauteur des espoirs de la nation, dont le socle est appelé « Ambition bleue ».

Il s’agissait de voir, à partir des constats et analyses issus de mon rapport remis à la ministre, de quelle manière agir pour mettre en œuvre ce qui pourrait nous permettre d’améliorer ces résultats. Clairement, l’amélioration des résultats dans un délai de cinq ans paraissait être une mission impossible. Dans le milieu sportif, pour transformer des résultats à l’échelle d’une nation et des plus grandes compétitions mondiales, il faut généralement beaucoup plus de temps.

Avec Ambition bleue, nous avons identifié plusieurs axes.

Le premier était la répartition des moyens, que le sport français de haut niveau avait tendance à éparpiller. Souvent, pour ne pas faire trop de choix ou heurter un certain nombre d’acteurs, les fédérations donnaient un peu à tout le monde de sorte que tous soient à peu près contents. Nous avons décidé d’assumer la réalité du sport de haut niveau : il n’est pas ouvert à tous. Le sport est ouvert au départ puis, progressivement, la sélection s’établit.

Le rayonnement d’un pays, en matière de sport de haut niveau, nécessite une politique spécifique appuyée sur un ciblage des investissements. Laisser les fédérations continuer à répartir les moyens de manière assez peu ciblée et peu évaluée, c’était dépenser sans toujours produire les résultats escomptés. Notre idée était donc que le périmètre du haut niveau devait être traité de manière très spécifique, en identifiant les publics et les acteurs sur lesquels l’investissement devrait être porté.

Très vite, on nous a fait un procès en élitisme, par crainte que nous n’accordions de moyens qu’aux meilleurs. Or, depuis la création de l’Agence, nous avons augmenté le soutien aux fédérations de 25 %. Les moyens consacrés à l’accompagnement socioprofessionnel des athlètes ont été augmentés de 75 %. L’accompagnement de l’encadrement technique, certainement celui pour lequel les efforts n’avaient pas été fournis de manière conséquente, a été augmenté de 130 %. Dans le même temps, nous avons augmenté le projet paralympique de 300 %. En somme, nous avons alloué des moyens à des endroits où ils seraient mieux ciblés, mieux utilisés et mieux évalués, pour voir quelle était la « rentabilité » des investissements.

Notre fierté a été, comme nous l’avions dit dès le départ, de ne pas ponctionner les moyens destinés aux sportifs de niveau inférieur – de niveau national – pour les donner à l’élite. Pour pouvoir le faire, nous avons sollicité du Président de la République et du Premier ministre une augmentation des moyens, de manière à maintenir la part des acteurs qui ne seraient jamais médaillés au niveau mondial et à consacrer spécifiquement une part à l’organisation d’un accompagnement beaucoup plus individualisé et ciblé sur les acteurs, pour multiplier le nombre de médailles.

Sur les 75 % d’augmentation globale des moyens destinés aux sportifs de haut niveau, 83 % vont à des sportifs qui ne sont pas considérés comme des cibles prioritaires, comme des athlètes susceptibles d’être médaillés aux Jeux. Autrement dit, la grande majorité des moyens associés à cette politique reste aux personnes qui ne font pas partie de l’élite internationale des athlètes français.

Nous avons fait en sorte que les moyens consacrés à l’accompagnement des athlètes ne bénéficient pas aux athlètes riches. Nous garantissons aux athlètes français un seuil minimal de ressources, fixé à 40 000 euros bruts annuels. Un athlète dont les ressources, issues de salaires, de sponsors ou d’autres sources, excèdent 40 000 euros ne touchera plus le moindre euro de l’agence. Les moyens sont donc destinés aux personnes ayant les ressources les plus faibles.

À l’issue des Jeux olympiques de Rio, en 2016, une étude avait défini que 40 % des athlètes de la délégation française vivaient sous le seuil de pauvreté, ce qui avait provoqué un petit séisme dans le milieu du sport. Dès la création de l’agence en 2019, et même avant, nous avons travaillé sur ce sujet pour qu’aucun des athlètes de la délégation à Paris ne soit sous le seuil de pauvreté, sachant que beaucoup d’athlète profiteront du fait que nous sommes pays hôte pour participer et que le volume de notre délégation pourrait doubler.

En somme, nous agissons de manière très déterminée pour soutenir les athlètes et l’encadrement technique, tout en veillant à ce que l’argent public soit utilisé de la manière la plus rationnelle possible et fasse l’objet d’une évaluation. Il s’agit d’améliorer nos résultats sans pour autant abandonner d’autres acteurs au bord de la route.

Là est l’idée d’Ambition bleue : des investissements ciblés, des populations identifiées par strates de pratique, sans oublier la relève à laquelle doivent travailler les fédérations, car sans accompagnement des plus jeunes vers les filières de perfectionnement, il n’y a pas de médaille possible. Ainsi, je pense que nous allons réussir, en peu de temps et de manière considérable, à améliorer nos résultats aux Jeux olympiques et paralympiques à Paris.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dirigez le pôle haute performance au niveau de l’ANS. Sur quels critères avez-vous été choisi pour occuper ce poste ?

M. Claude Onesta. Il aurait fallu le demander aux gens qui m’ont choisi. Je pense que je le dois aux résultats que j’ai obtenus pendant seize ans avec l’équipe de France de handball. Le Président de la République, en premier lieu, a pensé que, pour améliorer les résultats du sport français de manière générale, il fallait peut-être confier la mission à quelqu’un qui avait déjà réussi un parcours dans sa discipline sportive. J’ai été sollicité pour ce faire et j’ai accepté la mission.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites que c’est le Président de la République qui vous a choisi pour ce poste ?

M. Claude Onesta. C’est plutôt la ministre des sports de l’époque, Laura Flessel. C’est elle qui m’avait directement sollicité pour préfigurer la création de l’Agence qui, tout compte fait, a constitué le premier échelon de ce qu’on a appelé la « gouvernance partagée du sport ». Le sport est aujourd’hui organisé entre les acteurs associés que sont l’État, les collectivités territoriales et le monde économique du sport. Une multitude d’acteurs travaillent à cette mobilisation, et les fédérations sportives en sont partie intégrante. L’Agence résulte finalement de l’émergence de cette action associée.

C’est donc la ministre qui m’a nommé à ce poste et qui pourra, je suppose, me renvoyer à la maison quand elle l’estimera nécessaire. Mais j’ai souvent été en lien avec le Président de la République et, au moins pendant un temps, avec le Premier ministre qui, avant son entrée à Matignon, était président de l’Agence. Nous avons donc travaillé ensemble de manière quotidienne et avons noué une proximité dépassant parfois le cadre du lien de subordination traditionnel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le programme Ambition bleue renverse en partie le modèle sportif en axant principalement le choix sur les résultats dans les compétitions internationales et en misant prioritairement sur les meilleurs à l’instant t. N’est-ce pas une remise en cause du double projet tel que prévu au départ ?

Le choix est-il toujours fait en concertation avec les directeurs techniques nationaux (DTN) qui managent au quotidien les staffs en équipe de France ? N’introduit-il pas une forte relation entre le financement et les résultats du sportif, ce qui pourrait a contrario le pénaliser en cas de blessure ou de contre-performance ?

M. Claude Onesta. Le sujet est très intéressant.

L’Agence ne fait rien en direct ; elle ne travaille qu’en lien avec les fédérations auxquelles elle verse des sommes visant à financer les projets de performance proposés par les fédérations. L’Agence est un régulateur et, potentiellement, un apporteur de solutions. Donc, la réalisation de tout ce que l’on engage, ce sont les fédérations qui l’ont en charge. Elles ont l’expertise dans leur domaine d’activité. Les DTN sont les acteurs principaux et le lien principal avec nous sur cette mise en œuvre de politique.

Le sport de très haut niveau international se joue au niveau mondial – celui dont il est question lorsqu’on nous demande de faire des médailles aux Jeux olympiques et paralympiques. Si vous vous entraînez moins que les autres, si vous avez moins de moyens et moins d’outils, vous finirez malheureusement derrière. Il faut donc prendre la mesure du contexte international.

On nous a souvent reproché de copier le modèle anglais, dit UK Sport, adopté en préparation des Jeux de Londres. Je crois que les deux modèles sont très différents. Dans le modèle anglais, l’agence dirige et décide pour la totalité des sports de haut niveau ; elle a la charge de la décision. En France, nous avons la charge du financement, de l’évaluation, du contrôle et de l’accompagnement, mais les décisions sont toujours prises par les fédérations. La délégation de l’État aux fédérations sportives leur permet de mettre en œuvre la politique que les élus sont autorisés à mettre en œuvre. Nous n’interférons absolument pas dans le travail de gouvernance de la fédération, qui appartient, jusqu’à l’élection, à l’équipe en place. Nous accordons les moyens et les challengeons.

Pour revenir sur le double projet, je dirais que celui-ci est un élément constitutif de notre fonctionnement, notamment parce que la plupart des sportifs ne sont pas des professionnels. Même si on les aide à percevoir des revenus leur permettant de se consacrer de manière plus formelle et plus totale à leur pratique, on sait bien qu’ils ne vivront pas très longtemps des revenus qu’ils ont capitalisés. Donc, le double projet est indispensable.

Nous avons multiplié les contrats d’insertion professionnelle de manière conséquente. Plus une personne pratique un sport dont elle ne vivra pas, plus elle doit consacrer du temps et du sens à sa formation professionnelle. Les contrats d’insertion que nous obtenons ouvrent une possibilité de financement par les entreprises, en cofinancement avec l’agence, mais ils permettent d’accompagner le sportif en lui dégageant du temps pour qu’il puisse continuer de s’entraîner, tout en mettant un pied dans l’entreprise et en préparant progressivement sa reconversion. On se tourne de plus en plus vers ces solutions et le double projet est donc une réalité.

En revanche, il serait illusoire de penser qu’une personne vivant pleinement un double projet serait capable de poursuivre un travail à mi-temps et de s’entraîner à côté jusqu’à l’année précédant les Jeux olympiques ou paralympiques. Cela ne correspond plus à la réalité du concert international. Notre action auprès des entreprises est de leur faire comprendre que plus l’échéance sportive est éloignée, plus l’athlète aura d’activité dans l’entreprise et qu’à mesure qu’elle se rapprochera, il devra être déchargé de ses missions professionnelles pour se dédier complètement à sa pratique sportive.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. UK Sport a été créée en 1997, après Atlanta. Son cycle de fonctionnement s’est étendu de 1997 à 2012, dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques de Londres. En comparaison, l’ANS a-t-elle disposé de suffisamment de temps ?

M. Claude Onesta. En effet, il nous a souvent été dit que nous n’aurions pas le temps. Ne pas avoir le temps, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’engager ; sinon, on ne s’engage jamais.

En début de projet, nous avions vraiment le sentiment d’être dans une situation insoluble, au regard de ce que l’on découvrait dans certaines fédérations et de la distance qui nous séparait de la médaille. Cependant, les Anglais partaient de beaucoup plus loin que nous ; leur niveau de l’époque était vraiment très faible. La situation du sport français s’était beaucoup améliorée dans les années 1960, après une grosse colère du général de Gaulle devant nos résultats médiocres, voire ridicules, aux Jeux olympiques de Rome. Le général de Gaulle avait alors voulu que la France se dote d’un projet lui permettant de mieux rayonner sur les terrains de sports mondiaux, ce qui s’était traduit par la création des cadres techniques d’État, des DTN, des sections sport-études. Tout ce qui a été construit à cette époque a fait progresser le sport français de manière considérable.

Je dirais que la deuxième étape de ce projet de transformation est précisément la création de l’Agence. Le système avait très peu bougé depuis les années 1960. Il avait produit beaucoup d’effets positifs et permis aux sportifs français de se classer parmi les meilleurs du monde. Depuis vingt ans toutefois, les résultats stagnaient ; on voyait bien qu’on ne parvenait pas à aller plus loin en termes de rayonnement. Non pas que les Français travaillaient moins, mais beaucoup plus de pays investissaient désormais dans le secteur du sport et devenaient ainsi des concurrents à la médaille. Donc, la médaille était de plus en plus difficile à obtenir.

Je crois donc qu’il était nécessaire que le sport français passe par cette étape de transformation, pour se relancer et se redonner une dynamique pour des résultats améliorés.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Cette commission d’enquête visait à traiter essentiellement des violences sexuelles et sexistes. Il ressort de précédentes auditions que de nombreuses affaires datent des années 2000, mais qu’il y en a malheureusement de bien plus récentes. Pourtant, nous avons le sentiment que les fédérations les traitent à peu près de la même manière : usuellement, si des médaillés sont impliqués, on a sur eux un regard quelque peu protecteur, au détriment des victimes.

Vos fonctions vous amènent sans doute à être en contact avec des athlètes de haut niveau. Si une athlète que vous avez soutenue arrête parce qu’elle aurait été victime de quelque chose, avez-vous un pouvoir d’intervention ?

Pensez-vous que les fédérations vont assez loin pour lutter contre ces violences ?

M. Claude Onesta. Allons-nous toujours suffisamment loin ? Peut-être pas.

Ce qui est certain, c’est que la prise de conscience est là, peut-être parce qu’il a fallu qu’apparaisse au grand jour l’horreur de ces affaires qui ont heurté tout le monde. Effectivement, c’est insupportable, mais c’est désormais poursuivi. Je puis vous assurer que plus aucun dirigeant sportif, qu’il soit dirigeant de club, de structure régionale ou de fédération nationale, ne mettra un mouchoir sur une situation inappropriée.

Tout le monde veut être exemplaire dans la capacité à dénoncer, mais cela entraîne aussi des situations complexes. Je ne suis plus en contact direct avec les athlètes, à la différence du directeur de l’Insep qui les côtoie quotidiennement. L’Agence travaille à distance, en lien avec les fédérations. Mon équipe compte néanmoins trente personnes dont une vingtaine sont en lien quasi permanent avec les fédérations. Ces collaborateurs se rendent au plus près des stages nationaux et des compétitions pour voir comment les choses fonctionnent et se pratiquent. Je puis vous assurer que s’ils sont témoins d’une situation inappropriée ou ambiguë, ils ont obligation d’en alerter immédiatement l’Agence. Nous n’avons pas la capacité ni l’autorité de traiter la situation de manière directe, mais un signalement sera systématiquement effectué, comme le prescrit l’article 40, et il reviendra au ministère des sports d’engager la démarche.

Il n’existe plus un acteur ayant des responsabilités dans le fonctionnement des fédérations sportives qui n’ait pas augmenté son niveau de vigilance et qui ne soit pas davantage à l’écoute qu’on ne pouvait l’être par le passé. La parole s’est désormais libérée, et des choses vont peut-être émerger plus facilement. Dès lors, le moindre acteur, quel que soit son niveau d’intervention, qui serait identifié comme n’ayant pas donné suite ou alerté serait en grande difficulté. Je peux vous l’assurer.

Vous dites être dirigeante sportive. Le sport, ce n’est quand même pas cela au quotidien ; c’est malheureusement aussi ça et il ne faut pas laisser passer, mais c’est aussi des gens qui ont de belles pratiques et qui font des choses magnifiques. Il faut être très vigilant et sûrement pas complice, et mieux vaut alerter pour rien plutôt que de se taire. Tout le monde s’efforce à cette démarche, qui ne repose sur aucune base traditionnelle, car la lecture des situations n’était pas celle d’aujourd’hui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Selon les informations qui nous ont été communiquées, l’ANS ne tiendrait pas compte, dans l’attribution de ses subventions, de la bonne volonté des fédérations à prévenir et à lutter contre les violences. Pourquoi ?

M. Claude Onesta. Parce que ce n’est pas la mission qui nous est confiée. Cette mission existe au niveau de notre tutelle, qui est le ministère des sports. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas autorité pour refuser un financement. L’État nous demande de veiller à ce que les fédérations agissent en conformité aux lois républicaines, et de façon déterminée. Nous ne sommes pas à l’initiative de ces choses. Si le ministère des sports nous demande expressément d’être vigilants, de geler pendant un temps les versements, nous nous exécutons de manière immédiate.

L’Agence ne dispose pas des instances juridiques pour analyser les situations. En cas de doute sur une fédération ou un athlète, nous sollicitons le ministère pour connaître sa position. Nous ne sommes pas détenteurs d’une quelconque autorité décisionnelle ; celle-ci relève de l’autorité de tutelle.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce déjà arrivé ?

M. Claude Onesta. Oui. On nous a déjà demandé de bloquer nos versements pendant une période d’instruction. Je n’ai pas de souvenir très précis, car l’affaire n’avait pas trait au sport de haut niveau et ne relevait pas vraiment de mon champ d’intervention. Mais il y a eu, effectivement, des moments où le ministère nous a demandé de geler tout engagement vis-à-vis d’une fédération. En tout cas, cela n’intervient qu’à son initiative.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Peut-on savoir de quelle fédération il s’agit ?

M. Claude Onesta. Je ne m’en souviens pas de manière précise, ni même d’ailleurs quel était le sujet ; je me rappelle seulement de cette demande de gel. Quoi qu’il en soit, nous le ferons chaque fois que le ministère nous demandera de le faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsqu’elle a commencé à s’intéresser au mouvement sportif, la commission s’est rendu compte que beaucoup d’acteurs et d’entités se côtoyaient sans qu’existent forcément de liens hiérarchiques entre les uns les autres ou que ces liens soient très bien explicités. Dans un rapport de juillet 2022, la Cour des comptes a pointé un enchevêtrement de compétences entre l’Agence et la direction des sports, ce qui pouvait engendrer des risques d’incohérence au regard de la logique politique de la réforme, alors même que l’essentiel des compétences humaines avait été transféré de la direction des sports à l’Agence.

Comment l’exercice des compétences respectives de la direction des sports et de l’ANS pourrait-il être rationalisé ? Faut-il faire évoluer les textes, législatifs ou réglementaires ?

M. Claude Onesta. Je ne suis pas un grand spécialiste des textes législatifs.

En tout cas, les conclusions du rapport de la Cour des comptes sont assez claires. Autant, la Cour s’interroge sur la valeur ajoutée dans le champ du développement des pratiques, autant, dans le champ de la haute performance et du haut niveau, son jugement est très positif. Le rapport note un niveau d’expertise de l’Agence qui n'existait pas précédemment, au niveau du ministère et de la direction des sports. La branche du sport de haut niveau s’est développée en beaucoup moins de temps au niveau de l’Agence qu’il n’en aurait fallu au ministère.

Les choses sont néanmoins encore compliquées. L’Agence doit faire sa place pour exister. Alors que les Jeux olympiques et paralympiques approchent, elle n’existe toujours pas dans le champ officiel, traditionnel et historique. Des missions vont être confiées au Comité national olympique mais la place de l’Agence n’est jamais identifiée. C’est à nous de nous débrouiller pour la trouver. Le temps fera sans doute son œuvre et déterminera petit à petit le périmètre d’action de l’Agence. Ensuite, il faudra coordonner l’ensemble, car l’ajout d’une nouvelle structure dans une construction existante est compliqué.

Dans le champ du haut niveau, la direction des sports nous a clairement délégué la plupart des missions qui relevaient de sa compétence, considérant qu’elle n’a pas l’expertise pour les mener à bien. C’est donc plutôt nous qui sommes à l’initiative du travail et de la politique en la matière, bien évidemment sous l’autorité de la ministre des sports, et qui la mettons en œuvre, en en rendant compte à la direction des sports qui nous le demande régulièrement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En 2022, l’ANS a accompagné financièrement soixante-huit fédérations à hauteur de 72 millions d’euros et près de 12 millions pour les athlètes. Quels sont les critères d’attribution des subventions et comment est évalué leur impact ? De quelle manière l’ANS procède-t-elle au contrôle de l’utilisation des financements par les fédérations ?

M. Claude Onesta. Très schématiquement, il existe des classements entre les soixante-huit fédérations.

Pour ce qui concerne la haute performance, parce que le délai était court et qu’il fallait agir vite, nous avons choisi dès le départ de nous consacrer prioritairement aux trente-sept fédérations olympiques et paralympiques. Parallèlement, nous nous sommes engagés auprès des fédérations reconnues de haut niveau mais qui n’ont pas d’épreuve au niveau olympique et paralympique à ce qu’elles ne fassent pas les frais de l’engagement en vue des Jeux. Nous avons maintenu les moyens précédemment attribués à ces fédérations, tout en nous engageant à ne pas puiser dans cette enveloppe pour mieux servir les champs olympiques et paralympiques.

Hormis les aides personnalisées qui vont directement aux athlètes, la plupart des moyens sont distribués via les fédérations. On ne passe jamais en direct auprès d’un entraîneur ou d’une structure d’entraînement. Lorsque nous voulons soutenir un entraîneur, c’est toujours par le biais de sa fédération. Charge à elle, ensuite, d’engager les moyens que nous lui avons distribués.

La distribution des moyens est un gros sujet. Quand elle était assurée par la direction des sports, il n’y avait jamais de gros changements pour personne – tout au plus des variations de plus ou moins 1 % d’une année sur l’autre. À l’Agence, nous nous sommes efforcés d’embarquer toutes les fédérations dans la transformation et de les inciter à développer une évaluation à peu près soutenue et partagée, afin d’élaborer des projets de performance réalistes.

Grâce, notamment, à l’action des parlementaires, nous avons eu la chance de bénéficier chaque année d’une légère augmentation des moyens, ce qui nous a permis de ne pas transformer par la punition. Nous avons dû, en effet, modifier un certain nombre de règles, de principes d’attribution et d’obligations d’engagement. Avec ces budgets supplémentaires, nous avons pu éviter de mettre davantage en difficulté ceux qui l’étaient déjà et qui, sans cela, auraient pu en pâtir. Nous avons donc augmenté les moyens au profit de ceux que nous considérions comme des acteurs prioritaires, en tant que gros contributeurs au tableau potentiel de médailles olympiques et paralympiques, sans « mettre plus en difficulté » ceux qui étaient plus à la traîne et peut-être moins performants.

Aujourd’hui, nous essayons de flécher les moyens. Or, quand on passe un contrat avec une fédération, on n’a pas le droit de lui imposer quoi que ce soit. On peut partager son projet de performance, regarder comment on peut l’accompagner et le financer, en indiquant ce sur quoi on souhaiterait la voir investir davantage. On essaie de trouver le bon équilibre entre la volonté politique de la fédération et l’engagement des moyens publics sur la performance.

Nous avons ramené 33 médailles des derniers JO – moins que les 42 des Jeux de Rio. Pour ceux de Paris, nous comptons bien obtenir le meilleur résultat que la France ait jamais connu, l’attente étant un peu différente pour les Jeux paralympiques. Le Président de la République a donné comme objectif la cinquième place au rang des nations, sachant que nous sommes aujourd’hui huitièmes sur le plan olympique et treizièmes ou quatorzièmes en paralympique. Ce serait donc un grand saut en avant.

À l’heure actuelle, les contrats de performance – autrement dit, l’engagement des moyens à destination des fédérations – sont liés aux potentialités de médailles, lesquelles sont évaluées en coordination avec les fédérations. Les moyens sont effectivement attribués en fonction des résultats espérés, mais uniquement pour le très haut niveau. Le champ du haut niveau conserve un contrat de performance « durable », de façon à financer la relève, c’est-à-dire les plus jeunes qui ne sont pas encore en situation d’obtenir des résultats au niveau international. Pour cette relève, nous sécurisons des moyens dans toutes les fédérations de sorte qu’elles puissent mener une politique de pérennisation des résultats et faire monter en compétence les nouveaux athlètes.

En résumé, toute une action est menée au bénéfice du plus grand nombre, à côté d’actions plus spécifiques en direction de l’élite en vue d’obtenir le meilleur classement pour la nation dans un concert international où l’adversité est très relevée.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci d’avoir participé à cette commission d’enquête. Si vous souhaitez nous apporter des informations complémentaires, vous pourrez le faire par écrit.

La séance s’achève à seize heures vingt-cinq.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – Mme Béatrice Bellamy, Mme Claudia Rouaux, Mme Sabrina Sebaihi