Compte rendu
Mission d’information
de la conférence des présidents
sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable
– Audition de MM. Benjamin Gallèpe, directeur général, et Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et développement économique de la Fédération des élus des entreprises publiques locales 2
Jeudi
12 octobre 2023
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 06
2023-2024
Présidence de
M. Mickaël Cosson,
Rapporteur
— 1 —
La mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable a auditionné MM. Benjamin Gallèpe, directeur général, et Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et développement économique de la Fédération des élus des entreprises publiques locales.
M. Mickaël Cosson, président. Je vous remercie d’avoir répondu présent à notre invitation. Je suis le rapporteur de la mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, dont le président Stéphane Peu ne peut malheureusement pas être avec nous aujourd’hui – mais il suit nos travaux de très près.
Notre rapport a pour ambition de donner une feuille de route permettant de répondre à la crise du logement que nous connaissons aujourd’hui, qui se renforce depuis peu. L’accessibilité au logement est devenue plus difficile, compte tenu du coût des emprunts et de la hausse des prix des matériaux et de l’énergie. À chaque étape de sa vie, un Français éprouve des difficultés à trouver un logement, qu’il soit étudiant, actif ou senior. En outre, l’offre de logements existante ne répond pas non plus aux besoins des territoires.
Au regard de ces différentes problématiques, nous souhaitons promouvoir les moyens d’assurer un parcours résidentiel durable en redonnant confiance aux propriétaires-bailleurs sur le plan fiscal, en apportant des solutions aux bailleurs sociaux et en donnant à chacun la possibilité de disposer d’un logement à proximité des lieux d’emploi ou des commodités – je rappelle, sur ce dernier point, qu’au sein du budget des ménages, la partie dévolue aux transports ne cesse d’augmenter et qu’elle ne diminuera pas si nous ne sommes pas en mesure de leur offrir des solutions.
Le logement a, sans doute, été trop souvent envisagé de manière morcelée, avec des raisonnements en silos : notre objectif consiste à essayer de prendre de la hauteur et de disposer de la vision la plus large de l’ensemble des problématiques.
M. Benjamin Gallèpe, directeur général de la Fédération des élus des entreprises publiques locales. La Fédération des élus des entreprises publiques locales regroupe les quelque deux mille entreprises qui appartiennent au secteur de l’économie mixte locale. Différentes formes juridiques y sont représentées pour 1 400 d’entre elles, qu’il s’agisse des sociétés d’économie mixte (SEM), des sociétés publiques locales (SPL) et des sociétés d’économie mixte à opération unique (Semop). En ajoutant les différentes filiales des SEM, souvent actives dans la gestion et l’exploitation d’équipements, mais aussi dans la promotion immobilière, nous aboutissons ainsi au chiffre de 2 000 entreprises.
Les interventions des opérateurs de l’économie mixte locale dans le secteur du logement présentent deux caractéristiques. D’une part, ces opérateurs sont historiquement venus renforcer, particulièrement en zone tendue, l’offre de logements à une époque où il était nécessaire de construire et de trouver des compléments, à travers notamment des offices ou des entreprises privées de l’habitat. L’économie mixte locale se manifeste par un dynamisme important, à la fois en termes de rythme de construction et de déploiement sur l’ensemble du territoire. Ses interventions ont débuté dans les zones tendues – c'est-à-dire les régions Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), Rhône-Alpes, Grand Est et Normandie – et, de manière très significative, en outre-mer, où plus des trois quarts des logements sociaux sont gérés par des SEM immobilières.
D’autre part, ces opérateurs ont la capacité d’intervenir sur l’ensemble du parcours résidentiel car elles peuvent construire et gérer du logement social, mais également l’ensemble des catégories de logement intermédiaire, y compris l’accession à la propriété.
Ces caractéristiques conduisent les SEM à être en mesure de mener des activités diversifiées. Elles interviennent naturellement dans la gestion locative, mais également dans la construction de logements et dans un certain nombre de d’activités d’aménagement, de gestion de commerce, de stationnement, etc., qui permettent de déployer un ensemble de politiques publiques autour des questions du logement et du parcours résidentiel.
Des discussions vont certainement prospérer autour de la question de la décentralisation, qui constitue le cœur et la raison d’être de l’économie mixte locale : sans compétences accordées aux collectivités et sans moyens pour mettre en œuvre ces compétences, il est très difficile de mettre en œuvre des politiques publiques territorialisées et efficaces.
La Fédération n’a pas à se prononcer sur le niveau approprié pour la gestion des aides à la pierre et des attributions ; ce qui importe, c’est que les dispositifs qui seront mis en place, notamment par les autorités organisatrices de l’habitat, soient pleinement opérationnels et à la main des élus. Ces dispositifs devront également bénéficier du soutien de l’État, à travers notamment des solutions de financement. Nous souhaitons qu’ils apportent une réelle plus-value à la politique nationale du logement, qui a aujourd’hui montré ses limites, notamment dans l’adaptation aux particularités des différents territoires – plafonnement des coûts et des prix, zonages, etc. Les entreprises publiques locales sont persuadées que l’efficacité passe par le niveau local, c’est-à-dire qu’il faut faire avec les collectivités et souvent sous leur maîtrise, au moins partielle.
Vous nous avez interrogés sur les raisons qui ont conduit à la situation de crise que nous connaissons dans la construction et l’accès à un logement abordable. Il faut ici rappeler que le logement et la construction ne constituent pas des marchés comme les autres, car leur périmètre est limité : le foncier est un bien public et il n’est pas extensible à l’infini. Par conséquent, il n’est pas possible de considérer que l’équilibre se réalisera uniquement par un ajustement des prix entre l’offre et la demande. Nous sommes aujourd’hui face à un mur de hausses du prix du foncier et des coûts de la construction, qui sont sans commune mesure avec l’évolution du niveau de vie des citoyens.
Face à cette impasse, il faut trouver une combinaison de moyens – car il n’existe pas, en la matière, de solution unique – afin de réguler les différents paramètres de manière complémentaire : le foncier, la fiscalité, les aides à la construction et à la rénovation. Dans cette optique, notre fédération souhaite apporter sa contribution : notre richesse vient de l’expérience des différents bailleurs et des SEM d’aménagement, actifs depuis très longtemps sur ces sujets et en lien avec les pouvoirs publics, lorsque cela s’avère pertinent. Nous n’avons pas à porter des recommandations sur le bien-fondé de l’organisation des collectivités territoriales, mais nous pouvons alimenter la réflexion sur le fond du sujet et sur les différentes mesures en termes de fiscalité, d’organisation et de fléchage des subventions.
M. Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et développement économique. Il est de plus en plus difficile d’équilibrer les opérations de construction, y compris financées par des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI), des prêts locatifs à usage social (PLUS) ou des prêts locatifs sociaux (PLS). Pendant des années, la réalisation d’opérations « en silo », c’est-à-dire produit par produit, a été la norme. Il importe désormais de réfléchir à d’autres modalités, avec des opérations mixtes qui combinent logement social, logement intermédiaire, logement libre et même accession à la propriété, afin d’atteindre un équilibre économique global.
Ces opérations nécessitent de plus en plus de fonds « gratuits », c’est-à-dire de fonds qu’on n’emprunte pas, sauf à obtenir un allongement de la durée d’amortissement des prêts consentis par la Caisse des dépôts et consignations. Dans les opérations neuves, ces fonds permettent de préserver des loyers abordables. En l’absence d’autres sources de financement, la situation risque de se tendre, en particulier parce que le foncier est rare et de plus en plus cher et que ces opérations se heurtent à des réticences croissantes au sein des collectivités
– des maires et des présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) nous disent qu’ils en viennent à refuser des opérations pour des motifs qui ne sont pas uniquement financiers.
L’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN) limite la possibilité de densification sur un même foncier. La question de l’équilibre géographique doit également être mentionnée : faut-il réaliser l’équilibre du ZAN sur le territoire communal, sur le territoire de l’EPCI ou à plus grande maille ? Nous manquons de retours d’expérience en la matière, mais il ne faut pas se cacher que, dans certains cas, nous construirons des « R +3 » plutôt que des « R +5 » – ce qui signifie des logements en moins.
S’agissant de la réhabilitation, nous sommes face à un mur d’investissements liés à la rénovation énergétique : nous ne pourrons pas y échapper. Je participe à des groupes de travail au sein du Conseil national de l’habitat, dans lesquels nous réfléchissons notamment à la fiabilité des diagnostics de performance énergétique (DPE) ; ceux-ci doivent être améliorés sur de nombreux points, mais la prescription de travaux va demeurer. La question des filières de la rénovation énergétique doit être posée, même s’il existe des méthodes comme les « contrats de performance énergétique » qui permettent de garantir un niveau de performance et de financer en partie la rénovation énergétique à partir des économies réalisées et dans lesquels des sociétés de tiers-financement peuvent intervenir.
Malgré tout, il convient de ne pas se leurrer. La rénovation énergétique se réalisera sur les étiquettes basses, de E à G ; au-delà, il sera compliqué d’améliorer encore le niveau. En revanche, un enjeu immense concerne la décarbonation du parc : aujourd’hui, 52 % des logements sociaux sont chauffés au gaz et Réseau de transport d’électricité (RTE) ne dispose pas des réserves de puissance nécessaires pour faire basculer l’ensemble de ces logements au chauffage électrique dans les cinq années à venir.
Cette question de la rénovation vient en arbitrage avec la construction neuve et contribue à l’effondrement de l’investissement des bailleurs sociaux, qui n’est pas uniquement lié aux coûts des travaux et du foncier. Le parc social est vieillissant à certains endroits : à Paris, les sociétés d’économie mixte RIVP et Elogie-Siemp, qui sont des bailleurs importants, sont confrontées à de très grandes difficultés pour réaliser des rénovations complètes dans les immeubles qu’elles gèrent. Dans ces cas précis, les niveaux de coût sont tels que la question se pose de savoir si l’on rénove ou si l’on reconstruit à neuf.
M. Mickaël Cosson, président. Au sein des territoires, dont vous avez une connaissance approfondie, avez-vous pu identifier des amorces de solutions en matière de réhabilitation ou de vacance ? Existe-t-il des outils permettant d’obtenir des résultats probants ? Il importe en effet de tenir compte des spécificités de chaque territoire et de réinstaurer suffisamment de confiance dans le système. Aujourd’hui, les impayés se multiplient compte tenu des difficultés de certains locataires pour régler leurs loyers, plongeant par répercussion de petits propriétaires dans de graves problèmes, puisque ces loyers sont censés leur permettre d’honorer les échéances de leurs emprunts.
M. Philippe Clemandot. Il est exact que les impayés augmentent, mais légèrement ; il faut d’ailleurs se rappeler que si, pendant l’épidémie de la covid-19, certains loyers ont pu être réglés avec retard, les bailleurs sociaux n’ont pas pour autant été confrontés à d’importantes masses d’impayés. Dans le logement social, il existe un réel accompagnement : les bailleurs interviennent généralement au premier incident et ne laissent pas la dette s’accumuler : en la matière, nous sommes plutôt vertueux.
En revanche, la vacance peut être considérée comme le véritable ennemi du bailleur social et ses conséquences peuvent être particulièrement problématiques. Dans certains territoires, le loyer social se situe presque au même niveau que le loyer libre. En outre, un grand nombre de personnes ne veulent plus vivre en logement collectif et préfèrent habiter dans une maison individuelle.
La coopération inter-bailleurs fonctionne, comme en témoignent les regroupements réalisés dans le cadre de la loi Elan, qu’il s’agisse des groupements horizontaux ou des groupements verticaux. Lorsque trois ou quatre bailleurs sont présents sur un département, ils ont tout intérêt à travailler ensemble, puisqu’ils remplissent de mêmes missions d’intérêt général. Plus généralement, les locataires doivent être replacés au centre du débat et des solutions doivent être imaginées à destination des publics fragiles, comme les jeunes, actifs ou non. L’habitat intergénérationnel fonctionne plus ou moins bien, selon les situations et les initiatives locales.
M. Mickaël Cosson, président. Vous avez raison. Il n’existe pas véritablement d’outils pour inciter à la généralisation de l’habitat intergénérationnel.
M. Philippe Clemandot. Un enjeu majeur concerne le vieillissement de la population, qui nous heurtera de plein fouet : il sera impossible de loger les trois quarts des personnes concernées dans des établissements conçus pour héberger des personnes âgées dépendantes (Ehpad). Jusqu’à quel point essaie-t-on de maintenir les personnes à domicile ? Ce maintien constitue une prestation sociale que tous les bailleurs ne réalisent pas, dans la mesure où tous ne disposent pas du statut leur permettant de refacturer cette prestation. Il convient également de réfléchir aux parcours individuels, depuis les « produits » non médicalisés vers des produits de plus en plus médicalisés. À ce sujet, nous disposons au sein de notre fédération de retours d’expérience intéressants, notamment dans le département du Lot.
M. Mickaël Cosson, président. L’évolution de la pyramide des âges est connue et prévue depuis plusieurs décennies et, comme vous l’avez souligné, les Ehpad ne pourront pas accueillir la totalité de la population concernée. En outre, un grand nombre d’Ehpad subissent aujourd’hui une crise financière de grande ampleur. Les solutions apportées aujourd’hui permettront peut-être d’effacer une partie des dettes, mais ces Ehpad seront confrontés à de nouvelles problématiques demain et après-demain.
L’offre à destination des seniors n’est pas suffisante et elle est laissée à l’initiative de quelques-uns sur les territoires. Avez-vous mené une réflexion pour anticiper et créer des produits permettant d’atteindre les objectifs de relogement de ces seniors ? À l’heure actuelle et faute de mieux, certains seniors restent dans leur logement, même s’il est inadapté à leur état de santé. Simultanément, de jeunes actifs ne trouvent pas les logements qui leur conviennent.
Cette situation doit constituer un électrochoc pour nous : les années passent, la problématique ne cesse de prendre de l’ampleur, mais l’offre n’est toujours pas au rendez-vous. Disposez-vous de propositions permettant d’offrir des perspectives en matière d’offres pour les seniors et, par conséquent, de libérer dans le parc locatif des logements pour les actifs et les familles ?
M. Benjamin Gallèpe. Le taux de rotation est faible dans le logement social.
M. Mickaël Cosson, président. Il est même devenu très faible, pour l’ensemble des raisons évoquées précédemment.
M. Benjamin Gallèpe. Nous sommes d’ores et déjà confrontés à cette question de l’inadaptation des logements existants : certains bailleurs, membres de notre fédération, se demandent s’ils ne doivent pas profiter d’une opération de rénovation pour transformer totalement leur offre. Les questions du logement des seniors, de l’accessibilité et de l’adaptation au vieillissement impliquent des investissements considérables, dont tous les acteurs n’ont pas nécessairement pris pleinement conscience.
Les politiques publiques ne sont pas non plus à la hauteur des enjeux : chacun « se débrouille » comme il peut et ceux qui le peuvent réorientent un peu leurs investissements pour adapter les logements, voire pour reconstruire en tenant compte de ces nouvelles contraintes. Il n’existe cependant pas aujourd’hui de véritable plan de transformation et d’adaptation à la hauteur des enjeux sur l’ensemble du territoire…
M. Philippe Clemandot. … d’autant que nous avons déjà été confrontés à des expériences où la transformation des logements pour pouvoir y accueillir des personnes âgées ou des publics handicapés n’était pas réversible : il était impossible de relouer ensuite les logements à des familles « ordinaires » avec enfants. Par ailleurs, les règles d’attribution doivent être prises en compte, certains publics étant considérés comme prioritaires.
M. Mickaël Cosson, président. C’est bien le problème : jusqu’à présent, on n’a raisonné que de manière quantitative, sans s’adapter aux publics demandeurs. Les lois actuelles ne permettent pas de travailler « dans la dentelle », comme nous avons déjà eu l’occasion de le constater pour le tissu urbain : des zones à construire ont été autorisées sans réfléchir aux stratégies en matière d’accueil ; il est louable de vouloir accueillir des entreprises, mais encore faut-il que ses salariés puissent se loger. De même, il ne suffit pas de créer des filières d’enseignement supérieur, il faut également proposer des logements à proximité pour les étudiants ; à défaut, une précarité supplémentaire s’installe.
M. Philippe Clemandot. La différenciation territoriale et le droit à l’expérimentation sont essentiels pour les collectivités : il importe de leur faire confiance, certaines d’entre elles pouvant en effet trouver des solutions auxquelles de bons esprits ne pensent pas nécessairement. L’expérience du terrain est incontournable et constitue un atout de poids.
M. Benjamin Gallèpe. Les sociétés d’économie mixte interviennent souvent de manière complémentaire sur un même territoire : à ce titre, elles peuvent fournir des réponses à différentes étapes, non seulement sur le logement social, mais aussi sur les copropriétés dégradées. Dans certains cas, un accompagnement doit être apporté pour la rénovation énergétique et le tiers financement, dans les copropriétés où les propriétaires manquent de solvabilité pour engager des travaux.
D’autres solutions passeront par l’aménagement des quartiers, afin d’améliorer l’accessibilité des logements. Cette année, l’Union sociale pour l’habitat a orienté son congrès sur la transition énergétique, l’accès à une énergie verte et le raccordement aux réseaux de chaleur : dans ces domaines, l’expérience des entreprises publiques locales permet d’apporter des solutions complémentaires, à condition que les collectivités aient les moyens de les mettre en place. Les problématiques s’entremêlent et concernent à la fois l’habitat, le coût de l’énergie, la décarbonation et toutes les dimensions du cadre de vie – accès au centre-ville, transports, stationnement des véhicules, etc.
Par conséquent, il s’agit là d’un enjeu global d’évolution de l’habitat au sens large, notamment dans les intercommunalités et les métropoles. La complémentarité des modes d’intervention est essentielle, si nous voulons arriver à combiner différentes solutions. Là où c’est pertinent, il faut s’interroger sur la dissociation du foncier et du bâti et procéder à des expérimentations, afin de répondre à différentes problématiques comme celle de l’accession à la propriété pour les primo-accédants, qui n’est plus envisageable aujourd’hui dans un certain nombre d’endroits.
M. Philippe Clemandot. S’agissant du foncier, il est envisageable d’inverser la fiscalité sur les plus-values : il faut cesser d’inciter les particuliers à conserver des terrains sans en rien faire.
M. Mickaël Cosson, président. Vous évoquez la possibilité d’inverser la fiscalité. Des terrains aujourd’hui constructibles bénéficieront demain d’une très importante plus-value du fait d’investissements publics réalisés à proximité ; les territoires n’en profiteront pas, alors même qu’ils assument la responsabilité de devoir loger l’ensemble de la population. Une réflexion doit donc être menée pour inverser cette logique, alors que des moyens supplémentaires sont requis pour financer les rénovations thermiques et offrir des logements à nos seniors.
M. Philippe Clemandot. Je partage entièrement ce point de vue.
M. Mickaël Cosson, président. Souhaitez-vous évoquer d’autres éléments ?
M. Benjamin Gallèpe. La maîtrise de l’accès au foncier est une question centrale. Différentes options sont envisageables, comme l’établissement d’un plafond de prix pour certaines catégories de foncier constructible ou l’encadrement, voire la limitation, de la mise aux enchères dans le cadre de la vente de charges foncières des collectivités. Les programmes portés par les collectivités et en partie dédiés à la construction de logements ou d’équipements publics pourraient ainsi bénéficier d’un levier de régulation en matière de coûts de production, ce qui impacterait positivement le coût de sortie de ces opérations.
Au-delà de la fiscalité, une amélioration récente est intervenue avec la reprise en compte de certaines dépenses d’aménagement réalisées par les collectivités dans le fonds de compensation de la TVA, notamment pour l’acquisition de terrains. Nous souhaiterions nous assurer que cette compensation de la TVA soit bien prise en compte dans le cadre de la construction d’équipements publics, qui reviennent ensuite aux collectivités. La réforme de l’automatisation avait supprimé un certain nombre de dépenses d’aménagement de la compensation de la TVA, ce qui entraînait un renchérissement des investissements pour les collectivités, de 16 à 20 %. Le problème était particulièrement aigu outre-mer, où le taux de TVA est plus faible qu’en métropole – dans ces territoires, la compensation était en réalité une surcompensation à hauteur du taux métropolitain ; du jour au lendemain, les outre-mer ont été privés de ce qui constituait de véritables subventions à l’aménagement et à la construction, offrant une certaine visibilité dans le temps.
Il importe de disposer de leviers puissants, mais aussi d’une visibilité de long terme, afin d’assurer une cohérence aux politiques mises en place. Dans le même ordre d’idée, nous essayons de promouvoir la pérennisation du « Fonds vert » : il n’est pas raisonnable de s’interroger à chaque projet de loi de finances sur la nécessité de continuer à abonder ce fonds. La visibilité sur la durée est nécessaire aux opérateurs afin qu’ils puissent engager les programmes d’investissement nécessaires sans craindre une modification ultérieure des règles du jeu.
M. Philippe Clemandot. Les autorités organisatrices de l’habitat (AOH) vont être dotées de nouvelles compétences et de nouvelles missions. À ce titre, si les grandes métropoles possèdent les compétences et l’ingénierie nécessaires pour réaliser le mapping, il n’en va pas de même des EPCI de petite taille : je connais un EPCI couvrant une population de quinze mille habitants et regroupant cinquante-six communes, qui ne pourra pas s’emparer du sujet. Les moyens financiers ne suffisent pas, l’ingénierie est essentielle : il sera donc nécessaire de mettre en place des coopérations entre collectivités.
De même, il faut s’interroger sur le niveau idoine de contrôle, aujourd’hui confié au comité régional de l’habitat et de l’hébergement (CRHH).
M. Benjamin Gallèpe. L’accès à l’ingénierie est effectivement fondamental : nous le constatons dans le cadre des différents programmes qui ont été lancés, comme « Action cœur de ville », « Petites villes de demain » ou « Villages d’avenir ». Dans de nombreux cas, les enveloppes à disposition des petites communes ne suffisent pas pour recruter des chargés de mission. Il est donc nécessaire d’envisager des combinaisons d’intervention, avec l’appui de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ou de sociétés d’économie mixte départementales (SEM), qui disposent de l’ingénierie nécessaire pour soutenir les projets et peuvent, à ce titre, rédiger les cahiers des charges. Certaines réussites doivent être mentionnées : dans la Nièvre, département rural, la SEM intervient au côté de petites communes, à toutes les étapes du projet, de l’identification à la construction. Ici encore, il importe d’être pragmatique et ne pas considérer qu’il existe une solution unique pour tous les territoires.
Une autre piste de travail consiste à coopérer de manière plus étroite avec les établissements publics fonciers locaux. Cette coopération existe déjà, mais des marges de progression existent. Dans le cadre d’une opération complexe, il faut pouvoir combiner les actions des opérateurs qui gèrent, construisent et aménagent, et, celles des établissements publics qui ont la capacité de porter le foncier sur le long terme.
M. Mickaël Cosson, président. Vous avez évoqué l’ANCT, mais il convient aussi de mentionner l’Ademe, dont une grande partie des effectifs est décentralisée dans les collectivités. Malheureusement, ces dispositifs ne sont pas suffisamment connus des collectivités, alors même qu’ils permettent de répondre aux problématiques de leur quotidien.
Pourriez-vous nous détailler un ou deux exemples de réussite en matière de cohabitation intergénérationnelle ?
M. Philippe Clemandot. En Saône-et-Loire, un office HLM a organisé un réseau de maisons adaptées disposant du label « Habitat Senior Service », au milieu desquelles un lycée hôtelier a été installé : ce dispositif permet d’assurer un service à domicile pour tous les repas du midi. Des services médicalisés seraient naturellement bien plus onéreux.
D’autres modalités peuvent également être envisagées comme les béguinages, c’est-à-dire des logements individuels qui bénéficient de services communs sur un mode associatif.
M. Mickaël Cosson, président. Ayant été maire d’une commune pendant neuf ans, j’ai connu l’exemple d’une solution promue par une association : des étudiants bénéficient d’un loyer minoré en échange de la fourniture de services aux personnes âgées. Des modèles existent effectivement, mais ils sont principalement le fait d’initiatives personnelles ou locales et ils demeurent à la recherche de financements pour assurer l’équilibre financier des opérations.
Estimez-vous que nous pourrions nous inspirer de politiques antérieures qui ont bien fonctionné, mais qui n’existent plus aujourd’hui ?
M. Philippe Clemandot. Lors d’une récente audition au Sénat, quelqu’un a mentionné les prêts d’accession à la propriété (PAP), dont les prêts à taux zéro (PTZ) se sont fortement inspirés : de fait, les politiques réinventent souvent des dispositifs qui existaient déjà en grande partie, sous un autre nom…
M. Mickaël Cosson, président. Je vous remercie.
Réunion du jeudi 12 octobre 2023 à 11 h 00
Présents. – M. Mickaël Cosson.