Compte rendu

Mission d’information
de la conférence des présidents
sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable

 Table-ronde réunissant les organismes de contrôle et de garantie du logement social : M. Serge Bossini, directeur général de l’Agence nationale de contrôle du logement social et Mme Marianne Laurent, directrice générale de la Caisse de garantie du logement locatif social               2


Mercredi
18 octobre 2023

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 08

2023-2024

 

Présidence de
M. Stéphane Peu,
Président
 


  1 

M. le président Stéphane Peu. La mission qui nous a été confiée par la présidence de l’Assemblée vise à embrasser largement les questions relatives au logement, abordant la production, les parcours résidentiels, la fiscalité du logement, les conditions économiques, l’environnement économique et institutionnel, etc. Un projet de loi sur les copropriétés et l’habitat insalubre a été présenté ce matin en conseil des ministres, qui devrait arriver à l’Assemblée nationale d’ici la fin de l’année. Une loi sur les meublés touristiques est évoquée pour le premier semestre 2024. Enfin, une loi-cadre sur le logement, comportant un volet sur la décentralisation, a été annoncée par le Président de la République et le ministre chargé du logement ; sa rédaction devrait être finalisée au deuxième trimestre 2024, pour un dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale ou celui du Sénat dans le courant de l’année 2024.

Notre mission s’inscrit dans la perspective de cette troisième loi, même si nous ne nous interdirons pas d’évoquer les deux autres.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Notre objectif est de présenter des propositions pour rendre le logement en meilleure santé et plus accessible à toutes les bourses et à tous les âges. En effet, comme nous le savons, le parcours résidentiel est aussi difficile pour un étudiant que pour un actif ou un senior.

Nous devons définir les moyens de recréer une dynamique malgré les contraintes que nous connaissons, afin de traiter notamment la problématique de l’attribution de logements pour les différents âges et les différentes bourses.

L’objectif est donc que les différentes auditions auxquelles nous procédons aboutissent à une feuille de route, dans laquelle nous pourrons piocher et qui nous permettra d’intervenir pour débloquer les situations que nous connaissons.

Mme Marianne Laurent, directrice générale de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). En guise de préambule, je voudrais rappeler que la CGLLS collecte une cotisation auprès des bailleurs pour alimenter un ensemble de dispositifs nationaux, comme l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) et le Fonds national d’accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL). Nous finançons également l’Union sociale pour l’habitat (USH), les fédérations de bailleurs, les associations de locataires, etc. Nous collectons en outre une cotisation au bénéfice de l’Agence nationale de contrôle du logement social.

Nous avons également des dispositifs d’aide, dans le cadre desquels nous signons des protocoles avec les bailleurs en difficulté afin de leur apporter un soutien sous forme de subventions. Les deux dispositifs subventionnels sont la Commission de réorganisation, instituée en 2018 dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « Elan », et le Fonds social pour l’innovation, qui visent à accompagner la modernisation des différentes actions des bailleurs et l’innovation.

M. Serge Bossini, directeur général de l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols). L’Ancols est un établissement public administratif, qui a pour mission principale de contrôler les entités du secteur du logement social – non seulement les organismes de logement social stricto sensu, mais aussi tous ceux qui gravitent autour de ce secteur. Elle a également pour mission de produire des études et des évaluations sur le secteur.

Nous contrôlons une centaine d’entités et produisons une douzaine d’études par an.

M. le président Stéphane Peu. Vos postes d’observation respectifs vous permettent de faire des propositions sur la façon d’améliorer le système, éventuellement par rapport aux difficultés accrues de la période récente.

Mme Marianne Laurent. La production de logements est un sujet qui interpelle beaucoup. D’après nos interlocuteurs au ministère du Logement et à l’Union sociale pour l’habitat, nous atteindrons un niveau d’agréments assez bas cette année : la valeur basse serait de 80 000 et la valeur haute de l’ordre de 85 000 agréments. L’année 2023 ne sera donc clairement pas une bonne année en termes d’agréments.

Il est possible de suivre les mises en service de logements, qui figurent dans le bilan des bailleurs et qui se reflètent au travers d’un des paramètres de leur cotisation. Depuis 2015 ou 2016, le nombre de premières mises en service ne cesse de diminuer, avec une forte distorsion au bénéfice des entreprises sociales pour l’habitat (ESH), qui portent jusqu’aux deux tiers du développement, et en défaveur des offices publics. Ce mouvement s’est accompagné d’un développement très significatif des productions destinées à être vendues en l’état futur d’achèvement (Véfa). L’Agence nationale de contrôle du logement social a publié très récemment une étude sur ce sujet, que le directeur général Serge Bossini pourra vous détailler et qui corrobore nos propres observations. Certains groupes, qui œuvrent dans la production, travaillent désormais presque exclusivement à partir de Véfa.

Cette évolution de la production est liée à la difficulté d’accéder au foncier. Je pense qu’il y a également eu, du côté des offices et même si tous les bailleurs étaient concernés, un effet de surprise au moment de l’instauration de la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui a privé le secteur de recettes et a pu susciter de l’inquiétude.

Parallèlement, la loi Elan a imposé des regroupements aux offices, générant un important mouvement de concentration, de rapprochements et de discussions qui a peut-être entravé certaines velléités de développement (ou mis les priorités sur d’autres sujets). C’est d’autant plus regrettable que, dans le même temps, les taux d’intérêt étaient extrêmement bas et que, finalement, le secteur avait les moyens financiers de produire. Mais pris dans son ensemble, le secteur a plutôt été renforcé, malgré la RLS, dans sa structure financière.

L’autofinancement se dégrade dès 2022, mais surtout en 2023 et, de manière prévisible, en 2024 et 2025, du fait de la hausse des taux d’intérêt. Nous avons donc l’impression qu’une porte se referme, alors, même qu’elle était seulement entr’ouverte. L’inflation et les coûts, en termes notamment de coûts de revient des opérations, se sont beaucoup accrus, que ce soit dans le neuf ou en réhabilitation.

Les bailleurs sont des investisseurs très importants, à hauteur de 15 milliards d’euros (Md€) en année basse et 20 Md€ en année plus favorable, sur des opérations projetées à quatre-vingts ans – puisque telle est la durée des prêts les plus longs. Tout ce qui accroît l’incertitude – y compris réglementaire – au sens large, qu’elle soit réelle ou psychologique, constitue un frein au développement pour les bailleurs.

J’observe, pour conclure, que les ESH se sont beaucoup endettées pour porter le développement et que ce sont elles qui, aujourd’hui, sont les plus exposées au risque de taux.

M. Serge Bossini. Nous avons à peu près le même point de vue que la CGLLS, au moins sur le passé. L’Ancols a publié une note sur la santé financière du secteur au 31 décembre 2021, puisque les bailleurs remontent actuellement leurs états réglementaires dans les bases de données ministérielles : cela donne un point de référence sur les ressources durables et présentes dans les comptes du secteur.

Si l’on considère le « macro-organisme » du logement social, c’est-à-dire le secteur comme s’il était un seul opérateur, on constate que ses réserves durables fin 2021 dépassaient largement ce qui était attendu. Elles résultent de la tendance baissière de la production de logements pendant ces années-là.

Pour augmenter la production de logements, la solution immédiate, souvent demandée par les bailleurs, est de rajouter des subventions publiques… alors même qu’une situation financière très favorable n’avait pas suffi à déclencher la production pour atteindre les objectifs fixés. Il faudra avoir ce point en tête lorsque le législateur voudra proposer des solutions, à travers le projet de loi de finances (PLF) ou à travers des lois d’organisation : les freins se situent ailleurs. Je ne nie pas que certains bailleurs puissent avoir besoin de financement – car je me situe au niveau du « macro-organisme » – ni que les besoins et les moyens ne soient pas toujours en adéquation. Mais en tout état de cause, dans la recherche de solutions de déblocage, je pense qu’il est important de travailler sur d’autres pistes que le financier.

Mme Marianne Laurent. Vous vous interrogez sur l’étude de la Banque des territoires sur les perspectives du logement social, qui est une référence extrêmement solide : elle examine le macro-organisme des bailleurs sociaux, dont elle analyse la rétrospective et qu’elle essaye de projeter.

Cette publication existe depuis 2013 et, toutes les années qui ont suivi, nous projetions un volume de constructions neuves en cohérence avec les ambitions de politique publique – donc, compris entre 100 000 et 125 000 unités par an. Dans l’édition publiée en 2016, le discours était que le secteur avait globalement les moyens, en dépit de disparités entre les bailleurs, de construire 100 000 logements et de conduire entre 75 000 et 100 000 réhabilitations par an.

Ce qui a changé, c’est que les volumes de réhabilitations à projeter pour répondre à la stratégie nationale bas-carbone, sur le long terme, et à la loi « Climat et résilience », sur le court terme, ont quasiment doublé, pour atteindre de 150 000 à 200 000 opérations par an, selon les estimations. De tels volumes doublent l’investissement nécessaire au titre des réhabilitations, qui passe de 4-5 Md€ à 9-10 Md€ par an, d’autant que le prix de revient des opérations n’a plus rien à voir entre l’étude de 2016 et ce qui est projeté aujourd’hui. L’USH a peut-être des coûts de revient supérieurs à ce que projette le ministère du Logement ou la Banque des territoires ; mais, en tout état de cause, une réhabilitation coûtait hier 30 000 euros : elle coûte au minimum 60 000 euros actuellement.

Si le rythme des réhabilitations double et compte tenu des coûts de revient croissants, que reste-t-il alors pour la production neuve, en prenant également en considération l’augmentation du coût de revient de ces opérations de construction neuve ? Il faut injecter en plus, dans le modèle, le niveau du livret A. Supposons qu’en 2025, son taux revienne à 2 % et que l’inflation redevienne raisonnable, qu’est-ce que le modèle peut globalement absorber ? La loi fixant des objectifs en termes de réhabilitation – mais pas en termes de constructions neuves – nous faisons l’hypothèse que les bailleurs se conformeront à la loi. Compte tenu du plafond de l’investissement globalement réalisable, ces bailleurs devront réduire leurs ambitions en termes de développement. Les projections à 2050 indiquent que les autofinancements seront alors très minces et que les réserves financières accumulées auront été consommées, compte tenu de l’injection de fonds propres dans les opérations. Sur le long terme, nous embarquons actuellement des opérations déséquilibrées en matière de réhabilitations : un investisseur financier classique observe le taux de rendement interne (TRI) et, si le TRI est négatif, il n’investit pas ; or les bailleurs investissent quand même. Sur les opérations de construction neuve, les équilibres sont également beaucoup plus lointains. La barque se charge donc d’opérations déficitaires et seuls les bailleurs qui ont un portefeuille d’opérations d’une masse suffisante – certaines excédentaires, d’autres déficitaires – réussiront à garder des ratios d’autofinancement corrects. Les autres, au moins dans un premier temps, afficheront des autofinancements très minces, voire négatifs.

M. Serge Bossini. Je confirme totalement ces propos. Si on entre plus avant dans le détail, on s’aperçoit que les logements énergivores classés G et F ne sont pas uniformément répartis entre les bailleurs. La base des données est instable, sachant que les modalités de calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE) ont changé et que les déclarations des bailleurs ne sont pas toutes à jour. Nous estimons néanmoins que la part du parc en F et G est aujourd’hui comprise entre 6 % et 8 % ; ce n’est donc pas considérable et les bailleurs ne sont pas très inquiets par rapport aux échéances de 2025 et 2028. Paradoxalement, c’est l'étiquette E à l’horizon 2034 – une date certes plus lointaine, mais qui concerne des masses de logements plus importantes – qui les inquiète davantage. S’agissant de la répartition des étiquettes entre les bailleurs, nous identifions une trentaine de bailleurs qui concentrent 40 % des passoires, sachant que beaucoup d’étiquettes DPE manquent. En termes de politique publique, la bonne nouvelle est que nous avons trente interlocuteurs prioritaires ; la mauvaise est que, lorsque les problèmes sont ainsi concentrés sur quelques bailleurs, ceux-ci peuvent se trouver eux-mêmes en difficulté et nécessiter des mesures de sauvegarde.

L’Ancols prépare des études et des contrôles pour vérifier que les bailleurs pourront répondre aux obligations légales et qu’ils ne reloueront pas les logements F et G, conformément à la loi. L’Ancols contribuera à faciliter les arbitrages des bailleurs pour sécuriser la rénovation thermique, peut-être au détriment de la production neuve. Les arbitrages se font dans chaque conseil d’administration, au moment de la relecture du plan stratégique de patrimoine (PSP) qui s’articule à long terme avec la situation financière prévisionnelle du bailleur. La question est notamment de savoir s’il est stratégiquement plus intéressant de rénover pour « sauter une étiquette » à la fois – ce qui permet d’avoir des quantums de rénovations lissés jusqu’en 2030 – ou de passer tout de suite en A ou B. Pour la politique publique et la stratégie nationale bas-carbone, il vaudrait mieux que les bailleurs « montent » directement aux étiquettes A et B, mais, pour l’instant, la loi n’impose pas des sauts d’étiquettes.

M. le président Stéphane Peu. J’ai l’impression qu’il y a une divergence entre vous deux sur la question du déficit de production, qui ne serait pas lié à la situation financière des organismes. Nous sommes confrontés à d’immenses enjeux de rénovation, avec des surcoûts considérables et des objectifs assignés par la loi – alors qu’elle n’en impose pas sur la production. Les capacités d’investissement étant les mêmes pour produire et pour rénover, l’effort de rénovation se traduira nécessairement par un déficit de production, dont la causalité est tout de même financière.

M. Serge Bossini. Avoir des réserves financières ne suffit pas pour déclencher l’acte de construction. Pour autant, l’absence de finances interdit de construire.

Mme Marianne Laurent. La situation financière actuelle des bailleurs leur donne la capacité à embarquer les niveaux de rénovation fixés par le législateur. J’émets toutefois une réserve sur les capacités humaines, puisque leurs capacités de développement sont principalement assises sur les promoteurs, au détriment du maintien d’équipes de maîtrise d’ouvrage propres aux bailleurs. Les inconvénients d’une telle configuration, dans le contexte de crise actuel, sont que les promoteurs vont lancer moins d’opérations et qu’ils s’adresseront moins « en bloc » aux bailleurs sociaux.

Le dispositif de prévention des difficultés financières des bailleurs de la CGLLS se situe aujourd’hui à un point bas. Nous suivons seulement 21 bailleurs en protocole ; nous avons signé trois protocoles en 2021, trois en 2022, zéro en 2023 et nous en avons un à l’étude pour 2024. En revanche, il y a trois ans, nous avions encore quarante bailleurs en protocole. Le protocole de certains était d’ailleurs échu… mais ils restaient volontairement dans le giron de la CGLLS, en espérant une petite rallonge subventionnelle.

J’ai souhaité y voir clair entre ce qui relevait d’une forme d’opportunisme et les bailleurs qui avaient vraiment besoin d’être accompagnés. Sur les six protocoles signés en 2021 et 2022, quatre au moins accompagnaient des bailleurs qui n’étaient pas en situation financière difficile sur le moment ; cependant, compte tenu du poids des investissements qui pesaient sur eux au titre de la réhabilitation, de la construction et des conventions de rénovation urbaine, ces bailleurs n’avaient pas suffisamment de réserves accumulées – même s’ils étaient accompagnés par leur collectivité locale de rattachement ou leurs actionnaires, à travers des titres participatifs acquis par la Banque des territoires, Action Logement ou des collectivités locales. En dépit de ces injections de fonds propres, la capacité d’autofinancement de ces bailleurs ne suffisait pas à alimenter leurs fonds propres dans les proportions nécessaires pour conduire tous ces plans d’investissement.

Une petite dizaine de bailleurs, sur un total de cinq cents opérateurs (toutes familles confondues), est aujourd’hui fragile et une cinquantaine est sous surveillance. Le dispositif de prévention est assis sur une première « ligne de défense » constituée par les travaux des fédérations dans le cadre d’un autocontrôle… qui sont plutôt des lanternes accrochées dans le dos que des phares éclairant la route ! Nous discutons avec les fédérations afin de mieux anticiper les directions que prennent les bailleurs qui cumulent les difficultés, parce qu’ils n’ont pas assez de fonds propres ou parce que leur structure financière les a conduits à beaucoup s’endetter dans le passé. Ce sont des opérateurs dont les charges d’annuité continuent à s’alourdir, alors qu’ils doivent rénover des logements très énergivores, qu’ils pratiquent parfois des loyers bas et qu’ils sont confrontés à la paupérisation de leurs locataires. Les disparités entre bailleurs sont appelées à devenir de plus en plus manifestes désormais, compte tenu de leur histoire et de leur patrimoine.

M. le président Stéphane Peu. Quel est votre regard sur les regroupements rendus obligatoires par la loi Elan ? Le sujet a beaucoup occupé les esprits – peut-être au détriment d’autres problématiques. Portez-vous un regard positif sur le caractère obligatoire et le calendrier de ces regroupements ?

M. Serge Bossini. L’Ancols a publié, en mars 2023, un contrôle thématique sur les regroupements d’organismes.

Le législateur a considéré que le mouvement HLM devait se professionnaliser et a souhaité rendre possibles les opérations en capital à l’intérieur du secteur. Lorsque chacun gère son parc comme un monopole sur son territoire, certains bailleurs s’en trouvent très bien – voire exagérément bien – s’ils se situent en zone détendue (ce qui ne nécessite pas de produire des logements), avec peu d’impayés et des coûts de maintenance et de gestion parfaitement maîtrisés. Or ce surcroît de ressources, qui ne doit pas sortir du secteur selon le principe même du logement social en France, doit pouvoir circuler vers ceux qui en ont besoin : de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins. Notre analyse montre que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. L’essentiel des regroupements s’inscrit plutôt dans le cadre de sociétés de coordination, qui n’ont pas encore mis en œuvre toutes leurs obligations, notamment de soutien financier mutuel ; elles ne sont pas pensées ainsi.

M. le président Stéphane Peu. La coordination entre un secteur qui ne produit plus (ou très peu) et un secteur où il faut produire beaucoup me semble très compliquée à mettre en œuvre, car les logiques structurantes sont surtout géographiques. J’ai surtout vu se réunir des organismes qui avaient les mêmes besoins. J’ai pu observer des rapprochements d’organismes dont les parcs anciens sont amortis et qui dégagent de la marge avec des organismes dont le parc est plus récent et qui sont donc plus endettés, beaucoup plus qu’entre organismes situés respectivement en zone tendue et en zone détendue.

M. Serge Bossini. J’ai un exemple dans le nord-est de la France, à l’intérieur d’une société de coordination que dans le cadre d’une fusion de groupes.

Les adossements à des groupes verticaux permettent aussi ces transferts, mais, même à l’intérieur de tels groupes, nous ne constatons pas de mécanismes de rééquilibrage entre endroits confrontés à des besoins et endroits disposant de moyens. En dépit du rythme rapide imposé par la loi Elan, les pratiques attendues ne sont pas encore déployées.

Mme Marianne Laurent. Nous dressons le même constat : le nombre de bailleurs diminue sensiblement depuis 2015 et les dispositions de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Nous estimons qu’il reste une centaine de bailleurs, représentant environ un million de logements, qui ont échappé à l’obligation de regroupement.

Parmi ces bailleurs qui restent indépendants, il y a les offices départementaux, par exemple : s’ils ont une taille suffisante, ils pourront continuer à vivre de manière autonome. Il y a aussi beaucoup de sociétés d’économie mixte (SEM), qui ont échappé au regroupement grâce au critère du chiffre d’affaires et sur lesquelles nous sommes parfois dubitatifs.

Les sociétés de coordination n’ont pas encore produit leurs effets, parce qu’elles se sont progressivement constituées au cours des trois dernières années sous l’effet d’accords, de désaccords, de mariages, de divorces, de remariages… Toutes ne se sont pas encore dotées des outils réglementaires attendus, comme un PSP et un plan financier consolidés à moyen terme. Certaines ont des logiques territoriales avérées ; d’autres ont des logiques opportunistes visant à échapper à l’obligation de se rapprocher d’un partenaire qu’elles n’apprécient pas, pour des raisons politiques ou autres. Celles qui portent de vrais projets peuvent aller sur des sujets non obligatoires sur le plan réglementaire. Certaines mettent des moyens en commun. Il y aura aussi le sujet très structurant de la convergence des systèmes d’information, nécessaire pour piloter un groupe : opérer une telle convergence prend beaucoup de temps. Sans parler des sujets d’alignement des équipes, au-delà de la direction générale, des reconfigurations de patrimoine, etc.

Enfin, nous n’avons effectivement pas encore constaté le bénéfice financier d’une forme de mutualisation des fonds propres, à laquelle les bailleurs sont très réticents : personne ne souhaite que ses fonds propres, quand bien même seraient-ils sous-utilisés, bénéficient au voisin. Des dispositifs avaient déjà été tentés dans le passé, comme des prélèvements sur le potentiel financier ou la mutualisation des fonds propres ; ils n’avaient pas fonctionné non plus, pour les mêmes raisons de stratégies d’évitement clairement mises en place.

Pour l’instant, nous ne voyons donc pas bien le bénéfice induit par cette soixantaine de sociétés de coordination, hormis celles adossées à des groupes capitalistiques qui ont injecté des fonds pour sortir certains opérateurs de l’ornière.

M. le président Stéphane Peu. Comment expliquez-vous le décalage, constaté ces dernières années, entre la production des entreprises sociales de l’habitat et celle des offices ? Nous aurons prochainement l’occasion d’auditionner Action Logement et de l’interroger sur la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), à laquelle je suis très attaché. Tout cela est-il bien réparti ?

Mme Marianne Laurent. L’impact psychologique de la RLS et celui de la loi Elan ont beaucoup plus contraint les offices à se regrouper que les ESH, qui avaient déjà fusionné et n’ont fait qu’accélérer le mouvement – comme chez CDC Habitat ou Action Logement – pour constituer des entités plus importantes.

Les offices ont été pris par des considérations financières et des obligations de regroupement, avec tous les travaux induits, qui les ont probablement pénalisés. Ils n’ont pas su saisir les opportunités offertes par les Véfa et leur dynamique, sur laquelle les ESH ont surfé de manière assez opportuniste – mais réussie. Certains offices indépendants rencontrent aujourd’hui de réelles difficultés, parce qu’ils opèrent sur des territoires parfois détendus, avec des obligations patrimoniales importantes, des taux de vacance élevés et des marges de manœuvre sur les loyers extrêmement réduites. Ils ne pourront pas sortir facilement de ces difficultés.

Il y a quelques années, les offices avaient accès à moins de supports financiers qu’aujourd’hui. Je travaillais à la Caisse des dépôts et consignations à l’époque où le dispositif des titres participatifs a été mis en place. La première enveloppe du plan « logement » s’élevait à 700 millions d’euros (M€) ; cette mesure, parmi d’autres, était vraiment novatrice. L’enveloppe de la première année (300 M€) était réservée aux offices, à la suite d’une négociation entre la Fédération des offices et la Banque des territoires. Nous constatons aujourd’hui qu’une partie des sorties du protocole de la CGLLS a été rendue possible grâce à la souscription de titres participatifs par la Banque des territoires. Action logement avait également distribué une enveloppe d’environ 150 M€ et la possibilité a été offerte aux collectivités locales de souscrire ces titres participatifs.

Les offices ont donc bénéficié de moyens et de supports financiers accrus en 2021 et ils étaient moins endettés, par ailleurs.

M. Serge Bossini. Je n’ai pas d’éléments à ajouter sur le différentiel de construction entre offices publics de l’habitat (OPH) et ESH. Il y a peut-être plus d’OPH en zones détendues, dans lesquelles la production n’a pas forcément autant de sens qu’en zone tendue.

S’agissant de la répartition de la PEEC, le congrès de l’USH a beaucoup cité le rapport annuel statistique et financier de l’Ancols pour l’année 2021. La fédération des OPH considère que ce rapport constate, ex post, que la répartition de la PEEC entre personnes morales ne respecte pas le poids respectif des organismes dans le parc social et que les filiales d’Action Logement en ont bénéficié significativement plus que le reste du secteur, lors des dernières années de la convention quinquennale échue.

Il existe un principe de non-discrimination directe : il convient, de vérifier que les fonds ne sont pas attribués par Action Logement directement et par un mécanisme qui ne serait dédié qu’à ses propres filiales. Les mécanismes de distribution et de répartition de la PEEC s’appuient sur un ensemble de critères qui aboutissent effectivement à une surreprésentation des filiales d’Action Logement, mais sans que les dispositifs organisent par eux-mêmes une discrimination : la discrimination est donc indirecte. Elle est à la fois très visible et difficile à contrer, si on considère que l’argent de la PEEC doit bénéficier aux bailleurs qui construisent plus que leur poids dans le parc – car il se trouve effectivement que les filiales d’Action Logement Immobilier construisent proportionnellement plus que leur poids dans le parc : elles réalisent, en effet, environ 30 % de la production brute, alors qu’elles ne pèsent que 20 % du parc. Leur contribution justifie que des subventions et des dotations aux fonds propres leur soient versées : ce n’est pas uniquement un problème d’allocation d’une ressource publique, c’est aussi une question d’allocation dynamique et d’optimisation de l’utilisation des fonds, pour le bien du secteur tout entier – notamment, des locataires et des demandeurs.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. À une époque où la production ne cesse de baisser, quel est, selon vous, le rôle que vous pourriez jouer, dès lors que nous vous en accorderions les moyens, sur les offres de prêts qui seraient attendues et sur le parcours résidentiel ? Certains logements ne correspondent pas toujours aux besoins d’un territoire et inversement. Une réflexion est-elle menée sur des outils pour permettre aux logements de se développer ? Je pense aux logements pour étudiants, pour les seniors et autres.

Ma question est donc de savoir ce qui manque dans votre besace pour que vous puissiez être plus performants et surtout atteindre les objectifs, qui sont importants. Cette question vaut aussi pour la rénovation thermique attendue sur les bâtiments, puisqu’elle représente 40 % du coût – ou plutôt de la pollution qu’elle pourrait entraîner. Qu’est-ce qui, selon vous, manque sur ces deux leviers ?

Mme Marianne Laurent. S’agissant des bailleurs sociaux, la CGLLS garantit exclusivement les prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) et les prêts locatifs à usage social (Plus). Aujourd’hui, les prêts locatifs sociaux (PLS) et les prêts locatifs intermédiaires (PLI) sont exclus du bénéfice de cette garantie – ce qui est logique, s’agissant de logement locatif social ; pour le PLS, cela pourrait se discuter.

Je pense que les bailleurs pourraient souhaiter une simplification de ces dispositifs de financement – au moins, sur le logement social – puisque, derrière chaque typologie de financement APL, se trouvent au minimum deux lignes de prêt. Une opération mixte, qui embarquerait du Plus, du PLAI et du PLS mobiliserait de six à huit prêts, pour lesquels les bailleurs sociaux doivent demander une garantie aux collectivités locales – lesquelles sont plus ou moins enclines à l’accorder. On a pu évoquer l’idée d’un prêt ou d’un agrément globaux pour de telles opérations : je sais que ce sujet est éminemment complexe, mais il pourrait constituer une piste à explorer.

Le renouvellement automatique des conventions fige dans le temps la nature des revenus des bailleurs et potentiellement la population hébergée. Des politiques de modulation des loyers n’ont pas été mises en place par les bailleurs, probablement en raison de leur complexité. Il y a peut-être, là aussi, des voies de simplification à trouver, afin de permettre aux bailleurs de revoir la typologie au bout d’un certain temps et leur accorder un peu de souplesse, à masse de loyers donnée – y compris pour favoriser la mixité sociale dans certaines résidences et la mobilité dans le parc social, qui n’ont cessé de décliner pour des raisons qui sont simples à appréhender, mais qui figent les situations.

M. Serge Bossini. Rennes Métropole est une collectivité modèle en matière de politique de loyer : elle est la seule à avoir mis en place une politique de loyer unique, pour contourner le fait qu’un logement financé il y a trente ans pour un type de ménage donné est aujourd’hui occupé par un ménage aux caractéristiques différentes, dans un contexte où la ville a considérablement évolué.

Ce modèle ressemble de plus en plus au marché libre : à une typologie donnée correspond un loyer, où que ce soit dans la métropole. Du point de vue du parcours de l’usager et des ménages, c’est une promesse de mixité sociale, puisque les ressources du ménage n’entrent pas en ligne de compte pour choisir la localisation. Une cotation des besoins du ménage est établie par les bailleurs et la métropole. C’est un exemple intéressant de simplification, non pour le bailleur, mais pour l’usager.

L’Ancols a réalisé une étude qualitative sur les nouvelles politiques de loyer pour essayer de comprendre pourquoi ces politiques n’avaient pas prospéré. Il en ressort que l’insécurité juridique fait partie des risques que refusent de prendre les bailleurs : ils craignent de se lancer dans un changement de leur système d’information (SI) pour ensuite constater, trois ans plus tard, que la politique a de nouveau évolué ; ils préfèrent rester sur du standard. Rennes Métropole a obtenu une prolongation de dérogation à la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS » ; elle vit donc sous le couperet d’un possible retour en arrière. Le risque législatif et la complexité des SI doivent être pris en compte.

Les normes sont complexes pour de très bonnes raisons et elles tendent à se sédimenter. Il est ensuite demandé à l’administration d’imaginer une sorte de « couvercle » qui permette à l’usager de s’y repérer. Quelquefois, ça marche ; mais quand les normes sont trop complexes (par exemple, en matière de financement), le coût de la simplification chez le bailleur au bénéfice de l’usager devient trop élevé. En l’occurrence, je pense qu’il faudra simplifier les zonages, car les zonages pour calculer les plafonds de loyers ne sont pas les mêmes que pour calculer les plafonds de ressources. Ces derniers prennent en compte des compositions de ménages qui ne sont pas des unités de consommation, parce que certains types de ménages comme les jeunes couples ont des plafonds de ressources différents des autres couples. Toute cette complexité peut se comprendre, dans l’intention politique qui est celle d’un service public, mais elle rend les choses illisibles et difficiles à fluidifier ultérieurement, y compris pour connaître ses droits.

J’imagine qu’on vous pose souvent cette question difficile dans vos circonscriptions : ai-je droit à un logement social ? Il faut non seulement connaître le revenu, mais aussi la composition du ménage (et pas seulement le nombre de personnes dans ce ménage) et l’établissement public de coopération intercommunale dans le ressort duquel la personne souhaite habiter. En outre, les personnes n’ont pas accès au même segment du parc selon leur niveau de revenus et qu’on est en PLS, en Plus ou en PLAI. Ces éléments nuisent beaucoup au parcours résidentiel des ménages, dont certains abandonnent leur demande de logement social parce qu’ils ne comprennent pas le fonctionnement du système. Certains ménages refusent le logement attribué lorsqu’ils le découvrent, car tous les bailleurs n’organisent pas des visites a priori.

Nous avons beaucoup parlé des bailleurs aujourd’hui ; mais, le législateur devrait penser au parcours de l’usager et à ce qu’il voit réellement du logement social…

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Quand Rennes Métropole a-t-elle commencé son expérimentation ? Nous pourrions éventuellement l’auditionner.

M. Serge Bossini. La loi 3DS a prolongé de cinq ans l’expérimentation ouverte par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « Alur », en 2014. Rennes Métropole a vraisemblablement commencé son expérimentation à cette date ; elle n’est d’ailleurs pas complète, car les loyers uniques ne sont appliqués qu’à la relocation, elle-même soumise à la lenteur de la mobilité interne.

Rennes Métropole s’est dotée d’un programme local de l’habitat (PLH) intercommunal bien avant que la loi ne l’impose. Ce territoire a mis le logement au cœur de sa structuration politico-territoriale depuis Edmond Hervé.

M. le président Stéphane Peu. Il me semble que la CGLLS avait dû accompagner des organismes confrontés à des difficultés du fait de leur recours à des « prêts toxiques ». Je m’inquiète de savoir si la hausse du taux du livret A (TLA) n’ouvre pas la possibilité d’une nouvelle dérive de ce genre.

Mme Marianne Laurent. Cette pratique a effectivement été beaucoup utilisée par les bailleurs, qui ont recouru à des produits complexes. Il y a eu des swaps et des prêts à options ; dans tous les cas, ce sont des options complexes sur des produits dont les bailleurs ne maîtrisaient pas les sous-jacents, parce que ce n’était pas leur métier et que les banques ont largement commercialisé ces instruments.

Il y a eu quelques placements avec options, qui ont pu connaître des sorts divers. C’est beaucoup plus grave pour de l’endettement, car, quand le taux d’intérêt passe de 3 % à 30 %, ce n’est plus du tout la même histoire… Je pense que les banques ne commercialisent plus ce type de produits. Pour avoir souscrit des swaps pour couvrir le taux du livret A, je peux confirmer qu’il vaut mieux éviter toutes ces options, qui sont fondées sur des projections.

Des couvertures d’inflations et de taux existent, mais le livret A est administré : ce n’est pas un produit de marché. Je décommande donc fortement d’avoir recours à des swaps pour couvrir ses variations de taux, y compris avec des produits simples pour lesquels les sous-jacents sont clairs, sous peine d’être pris à revers. La fixation du taux du livret A à 3 % est une bonne décision pour les bailleurs, mais elle a pu générer des pertes dans certains bilans où il y avait des swaps. Ce sont des produits complexes dont il faut s’éloigner.

Je défends ardemment ce produit simple qu’est le livret A. Lorsqu’il a été un peu « hors marché » cette dernière décennie, les bailleurs se sont tournés vers les banques et ont pu profiter de taux fixes bas. Le marché est désormais retourné, puisque les taux n’y sont plus intéressants pour les bailleurs ; d’où le retour à une logique de souscription d’emprunt adossé au livret A, avec des bonifications d’intérêt que la Banque des territoires met en place en accord avec le ministère des finances. Il n’y a pas de risque que ce robinet financier se ferme et tous les bailleurs sont traités équitablement.

M. le président Stéphane Peu. J’imagine que l’Ancols et la CGLLS ont désormais établi une doctrine sur le sujet.

Mme Marianne Laurent. L’interdiction de souscrire ce type de produit est effectivement embarquée dans tous les protocoles signés.

M. Serge Bossini. En ce qui nous concerne, nous constatons encore des swaps, y compris chez des bailleurs de référence qui connaissent bien la Banque des territoires. Quand c’est pour couvrir le TLA par du taux fixe, nous sommes très loin de prêts toxiques. Néanmoins, il y a un surcoût et un pari : nous le signalons dans nos contrôles.

M. le président Stéphane Peu. J’ai noté vos propos sur la Véfa, les risques induits par un recours massif à cet instrument, ces dernières années, et la perte de la capacité de maîtrise d’ouvrage des organismes. Cette perte peut également être un handicap pour la réhabilitation, pas seulement pour la production neuve.

Pourquoi, maintenant que les promoteurs sont en difficulté et invités à déstocker leurs logements pour passer le cap, dans un domaine aussi réglementé que le logement social, le prix de la Véfa n’a-t-il jamais été réglementé ? Est-ce que ce serait nécessaire ?

Mme Marianne Laurent. Nous sommes là sur une pure logique de marché. Les prix de revient et les coûts de la construction ont beaucoup augmenté. Les promoteurs estiment que les ventes en bloc ne génèrent que des micro-marges et ils semblent ne répondre que peu, voire pas, aux appels à manifestation d’intérêt lancés par les groupes qui souhaitent se porter acquéreurs.

Il me paraîtrait compliqué de réglementer complètement la Véfa. Certaines collectivités locales, pour accorder leurs garanties, plafonnent le prix de la Véfa, mais ce système fonctionne moyennement.

M. Serge Bossini. Il faut tenir compte des rapports de force entre collectivités et promoteurs, qui sont plus ou moins favorables à la collectivité. Dans certains cas, elles réunissent à donner des indications de prix de sortie aux bailleurs.

Faute de réglementation, il est difficile de fixer des prix dans un mécanisme soumis à des moteurs de coûts, en particulier pour les coûts de construction, de l’énergie ou des matériaux, qui relèvent du marché. Plafonner le prix des Véfa pourrait induire des marges négatives et entraîner l’abandon de l’opération.

M. le président Stéphane Peu. Nous savons combien coûte un logement produit par un bailleur et combien coûte un logement acheté par un bailleur à un promoteur. La « matière première » étant le foncier, le développement massif de la Véfa est aussi une invitation à faire augmenter le prix du foncier, sans encadrement, comme cela s’est beaucoup fait à Paris. J’ai en mémoire la ZAC des Batignolles, avec des Véfa soumises à des prix administrés et entraînant une élévation anormale du prix du foncier. Il y a un sujet de régulation et les organismes de contrôle que vous représentez auraient peut-être des suggestions à présenter.

M. Serge Bossini. Je vous renvoie à notre étude de juillet 2023, qui compare les prix de sortie des logements en maîtrise d’ouvrage directe aux prix de logements achetés en Véfa. La Véfa est bien moins chère que la maîtrise d’ouvrage directe.

Sur l’évolution du prix du foncier, nous avons besoin de produire des connaissances nouvelles, car, au cours de ces dernières années, l’évolution du prix de sortie des logements est parallèle à l’évolution du prix du foncier. Ce dernier a accompagné un renchérissement du prix de production au niveau global – sans parler de situations particulières en zones très tendues ou de fonciers non remplaçables, qui défient tout entendement.

M. le président Stéphane Peu. Vous dites que vos analyses montrent que la Véfa est moins chère que la production directe ?

M. Serge Bossini. Oui, elle est moins chère de 10 % environ, du fait du mécanisme de régulation à l’intérieur de l’opération : l’opération sociale à l’intérieur de l’opération mixte bénéficie des prix de sortie très élevés de la partie libre. De ce fait, la Véfa est un principe intéressant. Comme les prix s’envolent, l’idée est de collecter une forme de subvention à la fois pour payer le foncier de la part publique de l’opération et pour limiter les prix de sortie de la Véfa.

M. le président Stéphane Peu. J’en prends acte, mais je suis surpris : sur mon territoire de Seine-Saint-Denis, j’ai toujours constaté l’inverse. Les Véfa s’achetaient entre 3 000 et 3 500 euros par mètre carré, quand la production directe s’élevait à 2 600 euros par mètre carré. Je suis étonné que la Véfa puisse coûter moins cher que la production directe pour un organisme HLM.

Mme Marianne Laurent. Je souhaite enfin évoquer le sujet des garanties des collectivités locales, même si la décentralisation n’est pas au cœur de mon métier. Il n’y a pas d’alerte particulière, c’est-à-dire que nous ne constatons pas une envolée des demandes de garanties auprès de la CGLLS au motif que les collectivités locales se seraient retirées massivement. La plupart des opérations restent garanties par les collectivités locales.

En revanche, le nombre d’opérations pour lesquelles nous apportons une garantie à 100 % est en nette progression. Or la garantie de la CGLLS est normalement subsidiaire : elle ne devrait pas constituer 100 % d’une opération… mais nous n’empêcherons évidemment pas la réalisation d’une opération au motif qu’une garantie à 100 % doit être apportée.

Comme nous parlons beaucoup de l’échelon de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) comme étant celui potentiellement pertinent, il me semble que la réflexion pourrait embarquer l’analyse du processus de bout en bout, afin que l’EPCI puisse également apporter sa garantie aux prêts nécessaires. La CGLLS se trouve en bout de chaîne : le permis de construire a été accordé il y a bien longtemps, tout comme l’agrément, l’immeuble est en construction ou tout juste livré ; les financements se mettent en place et la recherche de garanties intervient, alors que tout le monde a oublié la satisfaction de la commune ou de l’EPCI que telle opération se fasse ou que tel type de locataires puisse bénéficier de ces logements. Toutes les collectivités ont leur autonomie quant à la délivrance d’une garantie, mais les communes et les établissements publics de coopération intercommunale n’y sont pas toujours. La plupart des départements y sont, mais pas tous.

Par ailleurs, nous constatons que de nombreux règlements sont adoptés de manière autonome par des communes sur le territoire d’une collectivité ou une collectivité vis-à-vis des communes. À la fin, la somme des règlements entrave l’obtention de garanties pour une opération. Je tenais à vous en faire part.

M. le président Stéphane Peu. Les garanties ne font pas partie des ratios de la loi Galland.

Mme Marianne Laurent. Elles ne rentrent effectivement pas dans le calcul des ratios Galland. Le code de la construction et de l'habitation et le code général des collectivités territoriales réservent un traitement spécifique à ces garanties au secteur du logement social, en bout de chaîne.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.

 


Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 18 octobre 2023 à 14 h 00.

 Présents. – M. Mickaël Cosson, M. Stéphane Peu.