Compte rendu

Mission d’information
de la conférence des présidents
sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable

 Audition de M. Pascal Boulanger, président, Mme Anne Peyricot, directrice de cabinet et des relations institutionnelles, et M. Didier BellierGaniere, délégué général de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI)              2


Jeudi
19 octobre 2023

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 10

2023-2024

 

Présidence de
M. Stéphane Peu,
Président
 


  1 

La mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable a auditionné M. Pascal Boulanger, président, Mme Anne Peyricot, directrice de cabinet et des relations institutionnelles, et M. Didier Bellier-Ganiere, délégué général de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI).

M. le président Stéphane Peu. La présidente de l’Assemblée nationale nous a confié, à Mickaël Cosson et moi‑même, une mission sur le logement au sens large. Plusieurs rapports parlementaires ont déjà été écrits sur les meublés touristiques, sur la fiscalité, etc. Notre mission s’inscrit plutôt dans le cadre calendaire annoncé par le Gouvernement, à savoir trois lois sur le logement d’ici un an. Le premier projet de loi sera présenté avant la fin de l’année et se concentrera sur l’habitat insalubre et le fonctionnement des copropriétés.

M. Pascal Boulanger, Président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). On sent bien que le ministère du logement en a assez du droit de la copropriété, parce que celui-ci est trop exigeant et qu’il ne permet pas le dégagement de majorités pour réaliser des travaux.

M. le président Stéphane Peu. Il y a aussi la problématique de l’habitat insalubre. Elle a provoqué des drames ces dernières années à Marseille, mais aussi à Lille.

M. Pascal Boulanger. Le Lillois que je suis peut vous dire qu’il ne s’agit pas d’un sujet d’habitat insalubre. Le problème était bien connu de tous les professionnels. Quand le métro a été réalisé, il y a une trentaine d’années, de l’eau a été pompée. Or la plupart des maisons étaient sur des pieux en bois. Quand le bois reste dans l’eau, il ne pourrit pas ; mais s’il est au contact de l’air, il pourrit. D’après des contacts qui travaillent dans le BTP, plus d’une centaine d’immeubles dans le Vieux Lille seraient concernés par ce phénomène.

M. le président Stéphane Peu. Le problème de la rénovation des logements, c’est que, trop souvent, on rénove ce qui se voit et on s’exonère de ce qui ne se voit pas – notamment, les reprises en sous-sol. Je suis dans une ville où le métro a été creusé partout ; il advient parfois que des immeubles s’y écroulent, parce que les reprises en sous-sol et les confortements n’ont pas été réalisés comme il se doit.

Le Gouvernement annonce un deuxième projet de loi au premier trimestre 2024, qui portera sur les meublés touristiques. Le ministre annonce enfin – et le Président de la République l’a confirmé – la présentation d’une loi-cadre sur le logement d’ici la fin du premier semestre 2024, avec, entre autres, un volet relatif à la décentralisation. Nous nous inscrivons dans cette perspective. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé cette mission, avec comme objectif de publier un rapport au premier trimestre 2024, de sorte qu’il puisse servir de base à un dialogue avec le Gouvernement pour la rédaction de cette loi-cadre.

M. Mickael Cosson, rapporteur de la mission d’information. À chaque étape de sa vie, on a un problème de logement lorsqu’on devient étudiant, lorsqu’on devient actif et lorsqu’on devient senior.

L’action publique a toujours raisonné en quantité, c’est-à-dire que l’on produit ; mais derrière, on n’affine pas les besoins. Or les besoins sont spécifiques à chaque étape de la vie et à chaque territoire. Une entreprise peut renoncer à s’installer sur un territoire à cause de la pénurie de logements. Comment donc adapter la production de logements aux besoins spécifiques des territoires ?

À chaque étape de la vie, on rencontre des blocages qui conduisent à une très faible mobilité dans le parc locatif. Les taux d’emprunt ont tellement monté que des personnes qui, autrefois, auraient pu accéder à la propriété, restent désormais dans le locatif.

Il faut réfléchir aussi sur l’habitat intermédiaire. Nous connaissons les difficultés que peuvent rencontrer aujourd’hui les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Mais finir sa vie en Ehpad n’est pas non plus un but en soi : on devrait avoir des types de logements intermédiaires pour, justement, se rapprocher des commodités et gagner en indépendance, tout en ayant aussi un regard sur celles et ceux qui peuvent apporter des soins à domicile.

Nous voulions avoir votre regard sur ces sujets. Qu’est-ce que vous envisagez ? Y a‑t-il des évolutions à opérer dans la manière d’approcher un territoire sur la production de logements ? Quels sont les liens qui sont faits en fonction des activités qui veulent être présentes au sein d’un bassin de vie ?

L’aspect fiscal est un autre élément bloquant, qui n’incite pas non plus à la production.

Nous connaissons le constat. Nous attendons des solutions. L’idée est de se nourrir des différentes auditions pour pouvoir disposer d’un maximum de leviers pour relancer la machine.

M. Pascal Boulanger. Nous vivons une situation inédite. Les chiffres sont catastrophiques. L’année 2022 a été la pire depuis une cinquantaine d’années et, en 2023, nous serons à – 30 000, voire – 40 000, sur les réservations par rapport à 2022 et – 40 000 à – 50 000 sur les années à venir. La fédération des promoteurs est heureuse quand elle fait 160 000 à 165 000 logements par an ; en période de crise sanitaire, nous étions descendus à 132 000 ; en 2022, nous sommes descendus à 122 000 ; en 2023, nous serons très certainement inférieurs à 90 000 ; pour 2024, comme nous ne pouvons pas vendre ce que nous n’avons pas mis à la vente, je m’attends à des chiffres cataclysmiques.

M. le président Stéphane Peu. Est-ce que vous citez les chiffres des livraisons ?

M. Pascal Boulanger. Non, ce sont les chiffres des réservations.

Quelles sont les raisons de la crise ? Elles sont multiples. La première raison est une crise de l’offre, qui est la conséquence de plusieurs facteurs.

Premier facteur : depuis les dernières élections municipales, il y a trois ans et demi, des maires se sont mis en tête qu’ils ne voulaient plus délivrer de permis de construire, parce qu’« un maire bâtisseur est un maire battu ». Nous voyons sans arrêt des maires qui nous disent que notre dossier leur convient, mais que, politiquement, ils ne peuvent pas le porter. Certains maires vont jusqu’à nous conseiller de procéder ainsi : « Déposez très rapidement votre dossier. Je vais le refuser dans la foulée. Ensuite, vous nous attaquerez au tribunal administratif. Votre avocat se mettra en rapport avec le mien. Je vais perdre puisque vous respectez le PLU. Comme nous sommes en zone tendue, il n’est pas possible de faire appel, il faut monter tout de suite jusqu’au Conseil d’État. Je dirai aux administrés : “Nous n’allons pas au Conseil d’État, car c’est trop coûteux.” Votre permis passera en l’état, puisque j’aurai une injonction du tribunal administratif de le signer, mais moi, j’aurais sauvé ma tête vis-à-vis de mes électeurs puisque je pourrai rejeter la responsabilité de la décision d’accorder le permis de construire sur le tribunal. »

Cette attitude des maires conduit, d’après nos estimations, à une réduction de l’offre de 25 % à 30 %. Il faut savoir que les plans locaux d'urbanisme (PLU), qui sont déjà plus restrictifs que leurs prédécesseurs, les plans d’occupation des sols (POS), ne sont utilisés qu’à 65 % de leur capacité. Je pense que le PLU ou le permis de construire ne sert à rien, l’un des deux est superflu. À un moment, il faut se poser la question de la valeur du PLU : nous considérons que le PLU est la loi de la constructibilité ; les élus voient les choses différemment, ils disent que le PLU fixe un maximum et qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent à l’intérieur des limites. Or ils savent pertinemment que, quand nous attaquons les décisions devant le tribunal administratif, ils perdent.

Le deuxième facteur, qui est en voie de diminution, est une crise des coûts de revient. Avec l’explosion des prix des matières premières et des autres intrants, une opération sur cinq a été stoppée, parce que son équilibre économique n’était plus assuré. Aujourd’hui, les prix des matières premières se sont stabilisés, les promoteurs ont intégré cette augmentation dans leurs prix et les entreprises du bâtiment se rendent compte que leurs carnets de commandes se vident. Elles ont une bonne visibilité à six mois, mais elles n’ont plus rien à neuf dix mois.

La deuxième raison est une crise de la demande, qui fait suite à deux phénomènes. D’abord, nous voyons beaucoup moins d’acquéreurs (– 30 % à – 35 %), parce que les prix et les taux d’intérêt ont augmenté. Ensuite, parmi les acquéreurs que nous voyons, le taux de désistement est passé de 13 % à 50 % environ. Cette hausse résulte de la combinaison de trois causes : le taux de désistement psychologique dans les 48 à 72 heures, la hausse des refus de prêt du fait des conditions imposées par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) et le relèvement des exigences des banques vis-à-vis des promoteurs.

S’agissant de ce dernier point, les banques, en temps normal, nous demandent de 35 % à 40 % d’acheteurs avant de donner la garantie financière d’achèvement, sans laquelle nous n’avons pas le droit de commencer les opérations. Aujourd’hui, comme les temps sont difficiles, les banques demandent plutôt 50 %. Que se passe-t-il alors ? Nous annonçons aux clients que nous démarrons les travaux en 2023. Comme nous n’avons pas nos 50 % en janvier 2023, nous disons à nos clients que nous repoussons le démarrage des travaux à juin. En juin, nous n’avons toujours pas atteint les 50 %. Les clients commencent alors à se désister, notamment parce que leur offre de prêt n’est plus valable et qu’alors qu’ils avaient un prêt à 2 % il y a six mois, ils ont aujourd’hui un prêt à 4 %, ce qui ne passe plus.

Voilà toutes les raisons pour lesquelles nous allons faire moins de 90 000 logements cette année en réservations alors que, normalement, nous en faisons plus de 160 000.

Vous nous interrogez sur les causes de la diminution de la production de logements sociaux. Les promoteurs construisent 54 % du logement social en France. Les bailleurs sociaux ont tendance à se « déshabiller » de leurs outils de production et de maîtrise d’ouvrage, parce que, quand ils achètent chez nous, ils payent 10 % moins cher que s’ils faisaient eux-mêmes. Comme nous produisons deux fois moins, il y a deux fois moins de logements sociaux, à hauteur des 54 % du total produit. Nous voyons mal les bailleurs sociaux remettre aujourd’hui en route des départements de maîtrise d’ouvrage. Cette diminution sera compensée par les 17 000 logements repris par CDC Habitat et les 30 000 logements repris par Action Logement, mais ces bailleurs vont surtout faire du logement locatif intermédiaire, qui n’est pas du « logement social » au sens où nous l’entendons.

Vous vous interrogez également sur le rôle du maire : le maire demeure-t-il encore le bon niveau pour signer le permis ? Ce permis ne devrait-il pas être émis par l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent ? Pendant très longtemps, les promoteurs ont considéré les maires comme des « casse-pieds », mais, depuis trois ou quatre ans, nous pensons au contraire qu’il faut les aider. C’est pour cela que, dans mon appel de Strasbourg en faveur d’une stratégie nationale du logement (7 juillet 2022), j’ai proposé que l’on redistribue aux communes « bâtisseuses » une part de la TVA immobilière.

Mais il est vrai également que, si l’on donne la signature du permis à l’EPCI, les maires n’ont quasiment plus de pouvoir, ce qui les froisse : la signature des permis est presque le seul pouvoir qui leur reste…

M. Mickael Cosson, rapporteur. C’est même le seul…

M. Pascal Boulanger. Beaucoup de maires m’ont dit : « Si vous nous privez de cela, nous allons subventionner des associations pour attaquer les permis délivrés par une autre autorité. » : on en revient au point de départ… En revanche, d’autres maires m’ont dit l’inverse – et c’est d’ailleurs une analyse qui est partagée par le ministre Christophe Béchu –, à savoir que certains maires pourraient être très contents in petto que les permis soient signés par l’EPCI, parce qu’ils voudraient bien faire passer le dossier, mais qu’ils n’osent pas le faire pour les raisons politiques précédemment exposées.

Je pense donc qu’il devrait y avoir, pour la ville, non pas une obligation, mais une simple possibilité de transférer le pouvoir de signature à l’EPCI.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Ayant été responsable du pôle « Permis de construire » au sein d’une direction départementale de l’équipement (DDE), je peux vous affirmer que le travail alors mené en collaboration avec les maires était bien plus intense qu’il ne l’est aujourd’hui où, au sein de l’EPCI, vous avez affaire à un pôle instructeur qui ouvre non pas un, mais dix parapluies… Il est devenu très compliqué à un maire de s’opposer à l’avis de l’EPCI, car il ne maîtrise plus rien.

M. Pascal Boulanger. Retirer les permis aux maires n’est pas une bonne idée ; il faut au contraire les aider. Aujourd’hui, le héros dans la ville, c’est celui qui a réussi à faire capoter le projet ; si, demain, le maire peut expliquer à ses administrés que, grâce à l’argent que rapporte un projet, il peut rénover la crèche ou construire une école ou un stade, tout change. Aujourd’hui, les maires avec lesquels j’échange me disent clairement : « Quel est mon intérêt à accorder un permis de construire ? Je n’ai que des ennuis. Tous les voisins viennent râler et certains lancent des pétitions. Ensuite, pendant les quinze mois que dure le chantier, les voisins se plaignent du bruit et de la poussière. Enfin, quand les habitants sont installés dans leur logement, il faut accueillir les enfants dans des crèches et dans des écoles, et je ne sais pas où les mettre… » Il faut donc leur donner un argument pour accorder des permis : le bénéfice d’une partie de la TVA immobilière, sur l’effort bâtisseur supplémentaire par rapport aux volumes habituels ; le ministère des finances serait gagnant, puisque la mesure ne serait applicable qu’au-dessus d’un certain seuil.

M. le président Stéphane Peu. Ce sujet est compliqué. On peut certes « cacher » le responsable, en renvoyant la signature des permis à l’EPCI, mais, à un moment donné, il faut affronter les électeurs et défendre politiquement, au sens noble du terme, l’idée qu’il faut construire et qu’une ville qui est figée est une ville qui décline. Si l’on se dissimule derrière les EPCI, on va accroître encore la crise démocratique dans notre pays, parce que les maires, qui sont les seuls à être élus (les présidents d’EPCI ne l’étant pas), ne seraient responsables de rien, alors que ceux qui décideraient seraient ceux qui ne seraient pas élus.

Par ailleurs, tout lien fiscal a été coupé entre la production de logements et la commune : cela n’a aucun sens. Je ne dis pas qu’il faut rétablir la taxe d’habitation. C’est pour cela que votre proposition sur la TVA immobilière est une piste intéressante ; il peut y en avoir d’autres, mais produire ou ne pas produire de logements ne peut pas être fiscalement neutre.

M. Pascal Boulanger. Les maires signent les permis de construire depuis la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dite loi « Deferre ». Depuis cette date, on a toujours déshabillé leur intérêt à agir : il y a quarante ans, les maires étaient contents de délivrer les permis de construire, en lieu et place de l’État via les DDE ;               aujourd’hui, on leur a laissé les inconvénients en supprimant tous les avantages. Mis à part les maires qui se sentent très forts dans leur ville parce qu’ils sont élus à 90 %...

M. le président Stéphane Peu. Certains qui se croyaient forts ont eu des réveils douloureux…

M. Pascal Boulanger. Le maire d’Illkirch a affiché, sur des panneaux 4 × 3 payés par le budget de la ville : « 22 projets avant mon arrivée : j’en ai déjà stoppé 20 ! » Une mairesse en Ile-de-France a écrit à ses administrés : « J’ai dû délivrer un permis à tel opérateur : voici comment l’attaquer. » C’est nouveau ! L’exemple des maires battus de Lyon et de Bordeaux a fait réfléchir tous les autres. Les maires écologistes ont précisément été élus sur ce mandat : ils sont donc cohérents à refuser de délivrer des permis de construire. Mais les maires conservateurs ont tiré les leçons de ce qui est arrivé aux maires de Bordeaux, de Lyon, de Strasbourg, de Marseille, de Grenoble, etc., et refusent d’accorder des permis, par peur d’être battus aux prochaines élections.

M. le président Stéphane Peu. À une époque pas si lointaine, les maires bâtisseurs bénéficiaient d’une aide…

Mme Anne Peyricot, directrice de cabinet et des relations institutionnelles. 1 500 euros par logement…

M. le président. Stéphane Peu. L’aide aux maires bâtisseurs et la taxe d’habitation ont été supprimées en 2018, il faudra rétablir l’intérêt financier et fiscal des maires. Si un maire fait 10 000 m² de bureaux, cela lui rapporte sans rien lui coûter ; si un maire fait des logements, cela ne lui rapporte rien tout en lui coûtant beaucoup : le calcul est vite fait.

M. Pascal Boulanger. Il faut que le maire ait un argument politique face à la contestation : « Grâce à l’argent que je récupère en accordant tel ou tel permis de construire, je peux construire une école, rénover la crèche, etc. » Aujourd’hui, il n’a plus aucun argument : quand il sent que le projet n’est pas accepté par les habitants, il recule et remercie le promoteur.

M. le président Stéphane Peu. J’ai échangé, en d’autres temps, avec le préfet Christian Lambert en Seine-Saint-Denis qui me révélait qu’en région parisienne, il y avait énormément de recours mafieux, c’est-à-dire de personnes qui déposaient des recours et qui allaient ensuite négocier la levée de ce recours. À un moment donné, nous avons travaillé main dans la main avec les promoteurs et obtenu la radiation du Barreau d’avocats qui avaient fait de ce type de recours leur activité principale – nous avons même fait radier de l’Ordre des médecins un praticien qui passait plus de temps à faire des recours qu’à soigner ses patients.

M. Pascal Boulanger. Le recours est devenu un sujet plus secondaire chez nous, parce que, d’une part, nous avons beaucoup moins de permis et que, d’autre part, depuis 2022, le tribunal administratif, le Conseil d’État et/ou la cour d’appel – selon que l’on est en zone tendue ou pas – sont corsetés dans des délais de six et quatre mois : le chronomètre était notre ennemi. Le vendeur du terrain, sachant que nous étions sous l’empire d’un recours, nous menaçait de retirer le terrain de la vente si nous ne le lui payions pas cash, car il ne voulait pas attendre cinq ou six ans. Aujourd’hui, nous avons des réponses dans des délais de dix mois. Comme nous savons qu’au final, nous gagnons presque toujours et que plusieurs personnes ont été condamnées à de la prison ferme pour recours mafieux, le recours reste un sujet, mais n’est plus le sujet dramatique qu’il était il y a quatre ou cinq ans.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Dans beaucoup de villes moyennes, la construction de logements vise à éviter que des commerces ne ferment, que des seniors ne soient amenés à se rapprocher du littoral faute d’offre correspondant à leurs besoins dans le monde rural, que des étudiants ne déménagent dans les métropoles.

M. Pascal Boulanger. Vous avez parfaitement raison. Les maires demandeurs ou bâtisseurs n’intéressent pas les promoteurs s’il n’y a pas de marché. Dans les Hauts-de-France, le maire de Maubeuge ou le maire de Fourmies supplient pour que nous venions construire chez eux. Même avec un terrain gratuit, nous ne pouvons pas y aller pour un ensemble de raisons.

D’abord, le zonage C ou B2 ne permet pas d’être éligible au dispositif Pinel qui représente, selon les années, de 45 % à 50 % de nos clients. Quand le projet n’est pas éligible au Pinel, nous savons que nous allons perdre 50 % de nos clients… or ce sont souvent ces investisseurs qui achètent en premier et qui nous permettent d’atteindre les 50 % d’acheteurs pour démarrer la construction de notre immeuble, les propriétaires-occupants venant plutôt dans un second temps, quand ils commencent à voir à quoi l’immeuble ressemble.

La deuxième raison tient au fonctionnement et à l’équilibre des marchés. Le neuf trouve preneur quand il est entre 25 % et 40 % plus cher que l’ancien : les acheteurs dans le neuf bénéficient de frais de notaire réduits (2 %, au lieu de 7,5 % ou 8 %), de la garantie décennale, du confort d’un bâtiment classé A ou B, etc. Mais dans certaines villes, le marché de l’ancien est tellement déprimé qu’il est impossible d’y construire du neuf. Dans les villes que j’ai citées dans les Hauts-de-France, vous trouvez de l’ancien à 600 €, 700 € ou 800 €/m² ; si nous y construisions un immeuble neuf, même sur un terrain gratuit, nous serions au minimum à 3 000 €/m² avec la TVA : il n’y aurait donc pas de marché à ce prix.

À une certaine époque, la fédération des promoteurs a été à l’initiative de demandes de zonages parce que nous craignions que des promoteurs, pressés par des maires, n’aillent construire n’importe où, n’importe comment, sans qu’il y ait un marché locatif solvable. L’argument était le suivant : comme il n’y a pas de marché dans ces villes, cela ne sert à rien de les rendre éligibles au dispositif Sellier. Nous avons eu raison de le faire à cette époque, mais nous avons aussi contribué à ce que les zones tendues se tendent davantage, parce que tout le monde s’y concentrait, et que les zones dites « non tendues » se détendent encore, parce qu’il n’y avait plus de marché.

Je fais partie de ceux qui, assez minoritaires, défendent la thèse selon laquelle il faudrait peut-être raisonner à l’envers et donner un avantage fiscal attractif là où l’investisseur n’a pas envie d’aller, parce qu’il n’y a pas de marché : la bonne solution est celle du « Pinel breton ». Je reprends l’exemple des Hauts-de-France, que je connais bien : avant le changement du 5 ou 6 octobre dernier, la ville d’Arras, préfecture du Pas-de-Calais, était non éligible, alors que Béthune, à 40 km d’Arras et qui est beaucoup moins dynamique, était éligible ; dans le Nord, Douai, qui est une ville dynamique, n’est pas éligible, alors que Valenciennes est éligible ; nous savons bien que c’étaient là de petits arrangements politiques. Je pense que nous avons été trop loin dans une opposition binaire entre « éligible » et « non éligible » et qu’il faut réfléchir à un système comme le Pinel breton.

M. le président Stéphane Peu. Au vu des chiffres que vous nous avez donnés et des perspectives, avez-vous des inquiétudes sur des faillites ?

M. Pascal Boulanger. Le mot « inquiétude » est beaucoup trop faible : c’est une certitude.

M. le président Stéphane Peu. Avez-vous une évaluation en termes d’emplois ?

M. Pascal Boulanger. Sur les 33 000 à 35 000 emplois que compte la filière des promoteurs immobiliers, je m’attends à la disparition d’un petit tiers. Aujourd’hui, plus aucun promoteur n’embauche. Tous les promoteurs que je connais me disent qu’ils ne remplacent pas les départs et, chez les très gros opérateurs, des plans de sauvegarde de l’emploi se préparent ; Nexity vend son pôle d’administration de biens pour trouver du cash et finir ses opérations de promotion – il s’agit du plus gros promoteur de France, avec dix-huit mille logements par an.

M. le président Stéphane Peu. Ils ont racheté un certain nombre de cabinets dans le passé.

M. Pascal Boulanger. Le premier administrateur de biens est Foncia et le deuxième est Citya ou Nexity. Plus aucun promoteur n’achète de foncier actuellement. Nous savons très bien qu’à un moment, il y aura une relance – même si le Président Macron n’en a pas envie – et qu’alors nous nous battrons de nouveau pour trouver du foncier.

M. le président Stéphane Peu. L’année 2024 sera catastrophique sur les réservations. Mais la chute des livraisons de logement prêt à être habité est, vu le délai d’inertie, une véritable bombe sociale à horizon 2025, 2026, 2027, des années à fort enjeu électoral.

M. Pascal Boulanger. Les rares promoteurs qui ont lancé des opérations de commercialisation depuis le début de l’année ne font aucune réservation, alors qu’en temps normal, ils font cinq ou six réservations immédiates. J’en suis moi-même victime, comme beaucoup de confrères.

M. le président Stéphane Peu. Le premier à avoir lancé la commercialisation du Village olympique est Vinci, à grand renfort de publicités. Ils ont fait quelques réservations les premières semaines, mais ils ont eu beaucoup de désistements.

Je vais me faire l’avocat du diable. Le Président de la République a donné une interview, il y a quelques mois, sur le sujet du logement – ce qui est rare chez lui, car ce n’est pas son sujet de prédilection – et il dit, en gros, que le logement coûte très cher, pour aucun résultat… et il ne parle pas que du logement social.

Entre les logements que vous achètent les bailleurs sociaux, qui fonctionnent sur de l’argent public ou de l’argent socialisé (épargne populaire, 1 % logement, TVA, exonération de taxe foncière sur vingt-cinq ans, etc.), et qui représentent la moitié de votre activité, d’une part, et un quart de logements vendus dans le cadre d’un système de défiscalisation, cela ne fait-il pas un secteur d’activité concurrentiel et marchand extrêmement dépendant des aides publiques ? Ne faut-il pas assainir ?

M. Pascal Boulanger. Le ministère du logement calcule que le logement rapporte 90 milliards d’euros (Md€) à l’État tous les ans et coûte de 38 à 40 Md€…

Mme Anne Peyricot. 97 Md€ pour 2022…

M. Pascal Boulanger. Nous sommes complètement d’accord pour assainir, mais comment ? Le logement est un bien de première nécessité, mais il se voit appliquer une TVA à 20 %. À la TVA, s’ajoute l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). J’habite près de la frontière et la plupart des personnes aisées ont quitté la France.

Dans notre profession, beaucoup sont partisans d’arrêter toutes les aides au logement au bénéfice d’une TVA à taux réduit ; mais cette mesure présente un risque majeur : l’avantage fiscal est un élément déclencheur pour venir au logement. Certaines estimations indiquent qu’environ 80 % des personnes qui vont faire un investissement dans l’immobilier seraient attirées par l’avantage fiscal et que, sans cet avantage fiscal, elles n’y auraient pas pensé.

Indiscutablement, nous sommes favorables à une politique pérenne. Sinon, quand le dispositif change tout le temps, des personnes sont lésées à chaque fois.

M. le président Stéphane Peu. Je poursuis dans le registre de l’avocat du diable.

Nous allons examiner et voter une loi sur les copropriétés dégradées. Après les programmes de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) dans les quartiers d’habitat social, nous allons être obligés de faire des programmes Anru sur les copropriétés des années soixante-dix et quatre-vingt. On s’aperçoit que la dégradation des biens s’accélère à partir du moment où, dans une copropriété, plus de 50 % des logements sont détenus par des propriétaires bailleurs qui ne sont pas toujours très fortunés et donc pas toujours en capacité de satisfaire aux obligations d’entretien de l’immeuble. Avec les règles de majorité au sein des copropriétés, on a un autre effet pervers, au-delà du coût financier des dispositifs de défiscalisation : on tord une tradition française où la propriété était liée à une conception patrimoniale du bien, pour passer à une conception fiscale, ce qui pose d’énormes problèmes et inquiète beaucoup les municipalités, d’ailleurs.

M. Pascal Boulanger. C’est la thèse défendue par le ministre Patrice Vergriete, à laquelle je n’ai pas de réponse toute faite. Il y a quarante ans, la taxe foncière ne représentait que la moitié d’un mois de loyer ; aujourd’hui, elle représente parfois trois mois de loyers et annihile toute rentabilité. Avant la loi du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs, dite loi « Quilliot », la taxe foncière n’était pas à la charge du propriétaire, il pouvait l’imputer au locataire ; aujourd’hui, le propriétaire ne peut imputer que la taxe sur les ordures ménagères.

Beaucoup nous disent qu’ils n’ont que de 1,5 % à 2 % de rentabilité nette et qu’ils n’ont donc pas les moyens de réaliser les travaux d’entretien. Vous parlez d’appauvrissement de certains propriétaires : je suis d’accord, c’est un vrai sujet. Le ministre Patrice Vergriete dit, en forçant le trait : « Les foncières deviennent promoteurs, les promoteurs disparaissent et, du coup, le logement est de 10 % à 12 % moins cher » ; sauf que les foncières n’ont pas l’intention d’investir pour avoir 2 % de rentabilité et tous les problèmes des locataires qui ne paient pas, que l’on n’a pas le droit d’expulser…

 

M. le président Stéphane Peu. Dans les 2 % de rentabilité, on oublie l’avantage fiscal.

M. Pascal Boulanger. Oui, mais l’avantage fiscal a disparu au bout de dix ans.

Mme Anne Peyricot. Certaines villes ont voté des dispositions qui permettent aux bailleurs de demander l’exonération totale ou partielle de la taxe foncière pour pouvoir payer des travaux.

M. Mickael Cosson, rapporteur. J’ai l’impression qu’aucune commune n’a saisi cette possibilité.

Mme Anne Peyricot. Si, la ville de Paris l’a voté à partir du 1er janvier 2024.

M. le président Stéphane Peu. La mesure fiscale d’une TVA à 5 % pour les propriétaires-occupants dans les zones « Quartier prioritaire de la politique de la ville », est-ce que cela marche ?

M. Pascal Boulanger. Oui.

Mme Anne Peyricot. Cet avantage disparaît au 31 décembre prochain et il faut vraiment que le dispositif soit renouvelé. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, il y a un amendement en ce sens de votre collègue Karl Olive, mais j’ai l’impression qu’il le limite aux quartiers Anru.

M. le président Stéphane Peu. Non, il couvre tous les QPV et une zone de cinq cents mètres alentour. Je l’ai également déposé.

Ne pensez-vous pas que, pour débloquer l’accession à la propriété et la construction neuve, au-delà des maisons individuelles, il faut impérativement solvabiliser les primo-accédants ? Quand les circuits sont aussi embolisés qu’ils le sont aujourd’hui, on n’arrive plus à quitter le logement social parce que la marche vers le marché locatif privé ou vers l’accession est trop haute. Est-ce que le maillon susceptible de déverrouiller toute la chaîne ne serait pas un soutien massif à la primo-accession ? Obtenir d’appliquer une TVA réservée aux produits de première nécessité à tout le secteur immobilier est, à mon avis, un combat loin d’être gagné. En revanche, plutôt que d’aider des personnes déjà propriétaires à l’être davantage, ne faut-il pas se concentrer sur ceux qui ne le sont pas pour qu’ils le deviennent et y mettre les moyens nécessaires, de type PTZ ou TVA ?

M. Pascal Boulanger. Nous sommes favorables à tout ce qui peut resolvabiliser la clientèle. Maintenant, je ne sais pas si le ministre Bruno Le Maire sera d’accord…

M. le président Stéphane Peu. Nous allons faire des propositions.

M. Pascal Boulanger. Chaque fois que je rencontre le ministre, il me dit : « Je ne peux rien pour vous, je suis totalement exsangue. Je n’ai qu’une seule crainte : être dégradé par Fitch et Standard & Poor’s. Donc, apprenez à vous débrouiller sans nous. » Je lui réponds : « Très bien, on fait tout sans vous ? Donc il n’y a plus d’IFI, il n’y a plus de TVA, il n’y a plus rien ? » Il m’objecte : « Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. » C’est un dialogue de sourds ; il pratique l’humour, moi aussi. Chaque fois que je le vois, trois fois par an, il me dit : « Je ne ferai rien qui puisse attaquer les recettes ou augmenter les dépenses. »

Mme Anne Peyricot. Pourtant, il vaut mieux cent logements avec une TVA à 5,5 % que zéro logement avec une TVA à 20 %...

M. Pascal Boulanger. C’est ce que nous essayons de démontrer et que nous espérons que la Cour des comptes démontrera dans son rapport à paraître début janvier, notamment sur le Pinel.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Est-ce que le Pinel a servi à construire plus ? Est-ce qu’il a répondu aux besoins ? Construire pour défiscaliser, c’est bien ; mais construire pour pouvoir répondre aux besoins des territoires, c’est mieux !

M. Pascal Boulanger. Les professionnels que nous sommes trouvent que le « Pinel breton » serait l’outil parfait, s’il était appliqué partout. Il a permis de proposer des logements en habitation principale à des gens qui ont des conditions de ressources et de loyer plafonnées. Aujourd’hui, grâce à ce système, le loyer Pinel, qui était à l’époque, quand il est sorti, à 84 % ou 85 % du prix du marché, est devenu la référence.

Vous avez dit, tout à l’heure : « Ne faut-il pas s’attaquer aux locataires pour avoir plus de propriétaires ? »

M. le président Stéphane Peu. Je me faisais l’avocat du diable !

M. Pascal Boulanger. Une étude démontre que, plus un pays est pauvre, plus les gens sont propriétaires et que plus les gens sont propriétaires, plus le pays est pauvre.

M. le président Stéphane Peu. C’est l’exemple de la Suisse ou de l’Autriche : la Suisse est le pays d’Europe qui compte le moins de propriétaires.

M. Pascal Boulanger. Les pays qui comptent le plus de propriétaires, en Europe, sont le Portugal, la Grèce, l’Espagne, l’Italie et la France. Pourquoi ? Pour deux raisons. Certains disent que c’est le fruit de la prudence : par peur de l’avenir, on investit dans la pierre pour ne pas avoir de loyer à payer au moment de la retraite. D’autres, comme le Medef, disent que c’est une cause : plus il y a de propriétaires, moins il y a de mobilité, car un propriétaire n’accepte pas un emploi à 500 km parce qu’il ne veut pas se séparer de sa maison, qu’il aime bien et qu’il n’est pas sûr de revendre correctement ; cette faible mobilité peut ensuite expliquer pourquoi le pays est pauvre.

M. le président Stéphane Peu. Il y a des questions de culture, aussi.

M. Pascal Boulanger. C’est exactement ce que j’allais vous dire. Les responsables politiques ont une représentation, à mon avis, en partie erronée : les locataires seraient pauvres et les propriétaires seraient riches. Nous ne disons pas cela : les grands cadres de direction sont très souvent locataires, parce qu’ils savent qu’ils vont bouger professionnellement ; en revanche, ils achètent souvent une maison dans leur région d’origine qui, elle-même, est louée et qu’ils récupéreront quand ils seront en retraite.

Il ne faut pas non plus dire : « Il ne faut que des propriétaires. » : certains cadres de banque, par exemple, ne peuvent pas être propriétaires, parce qu’ils bougent tous les trois ou quatre ans pour ne pas trop sympathiser avec la clientèle et être tenté de lui accorder des facilités. Ces cadres ne peuvent pas être propriétaires, ou alors ils achètent dans leur dernier emploi.

M. Dominique Da Silva (Renaissance). La mobilité dans le parc social est très faible, alors que les bénéficiaires de logement social sont locataires. En réalité, il y a une question de prix : si vous avez un loyer compétitif, vous n’avez pas d’incitation à bouger ; de même pour la propriété : à partir du moment où vous logez à un endroit et que vous avez amorti le bien, quel serait l’intérêt de bouger ?

Pour ma part, j’observe que l’on a construit beaucoup là où le chômage est élevé et durable. Il faut se poser cette question économique à un moment donné : construire du logement, oui ; mais pas dans des zones sinistrées économiquement. On a cassé ce lien direct entre le logement, le travail et l’emploi.

M. Pascal Boulanger. Vous avez raison. Mais aujourd’hui, ce n’est pas cela, le sujet : le sujet, c’est que tout est bloqué. Cette année, deux fois plus d’agences immobilières ont disparu que dans une année normale et quasiment aucune n’a été créée.

M. le président Stéphane Peu. Les agences immobilières s’étaient beaucoup développées.

M. Pascal Boulanger. J’ai un réseau d’une vingtaine d’agences immobilières dans les Hauts-de-France, qui ne font que de la transaction. Il y a deux ou trois ans, chaque agence avait quatre à cinq produits à vendre et elle tournait plutôt bien parce que, dès qu’elle rentrait un produit, elle avait dans son fichier une demande. Aujourd’hui, chaque agence a 35 produits à vendre… Tout est en panne !

M. le président Stéphane Peu. Je vais continuer dans mon registre de l’avocat du diable.

Une théorie circule en ce moment dans les ministères, notamment au ministère des Finances. Il ne faudrait pas remédier à la crise actuelle, mais au contraire la pousser jusqu’à son terme pour revenir ensuite à des prix normaux après les hausses de ces dernières années. Il s’agit de l’idée qu’a le ministre Bruno Le Maire pour assainir le marché. Croyez-vous à cela ?

M. Pascal Boulanger. C’est comme dire qu’il ne faut pas soigner le cancer parce que, ainsi, les gens n’auront plus envie d’avoir un cancer…

M. le président Stéphane Peu. J’étais atterré d’entendre cette thèse. Pensez-vous que la crise actuelle du secteur va se traduire par une chute des prix ?

M. Pascal Boulanger. Non ! Tout simplement parce que les promoteurs sont contraints par un prix « technique », qui est le résultat d’un cumul, et que nos marges de manœuvre sont limitées.

Quand j’ai commencé dans le métier, les marges étaient de l’ordre de 12 % à 13 % ; elles sont aujourd’hui de 5 %. À l’époque, les banques refusaient de donner les garanties financières d’achèvement quand les marges étaient inférieures à 7 %. Depuis un certain temps, elles se rendent compte que nous n’arrivons plus à être à 7 %. C’est nous qui, pour continuer à vivre, avons demandé aux banques de nous laisser faire des marges moins fortes et de nous accorder quand même les crédits promoteurs et les garanties – puisque moins la marge est élevée, plus la banque prend un risque.

Peut-on bloquer le prix du foncier ? Je n’y crois pas une seule seconde. Le foncier, contrairement à ce que l’on peut penser, ne représente que 20 % du prix en moyenne… même si à Cannes, sur la Croisette, à Courchevel ou sur les Champs-Élysées, le foncier peut représenter jusqu’à 85 % du prix.

À Saint-Denis, le foncier représente de 25 % à 30 % du prix. Dans les Hauts-de-France, le foncier représente en moyenne 15 %. Certains maires sont prêts à nous donner du foncier ; l’ancien maire de Saint-Quentin, Xavier Bertrand, m’a proposé un jour de me donner un foncier pour que je construise à Saint-Quentin – je lui ai répondu que c’était une raison de plus pour ne pas y venir…

Nous n’avons pas beaucoup de marges de manœuvre. Nous ne maîtrisons pas le coût de construction, car il dépend largement des cours des matières premières, qui obéissent à la loi de l’offre et de la demande au niveau mondial. Or le coût de construction représente de 50 % à 52 % de notre prix de revient. Nos honoraires de gestion (5 %) ne nous permettent pas de gagner de l’argent.

M. le président Stéphane Peu. Vous parlez de votre secteur : la production neuve. Si les prix des transactions sur les logements existants baissent, est-ce que les perspectives pour votre secteur seraient encore plus obscurcies ?

M. Pascal Boulanger. Si nous avons 35 biens à vendre dans nos agences immobilières, c’est parce que les vendeurs n’ont pas envie de vendre leur bien moins cher que le prix auquel ils l’ont acheté, dix ans auparavant : à un moment donné, ils préfèreront retirer leur bien du marché. Les prix baisseront sans doute à la marge, de 2 %, mais pas davantage.

Dans le neuf, je ne crois pas à une chute des prix, parce que les prix résultent d’un prix technique. Dans l’ancien, les prix sont fixés par le marché : ils peuvent baisser si le vendeur est, comme on dit, « pendu », mais aujourd’hui, alors que la crise s’est installée depuis un certain temps, on ne voit pas réellement les prix baisser. La presse fait ses titres sur des baisses de 4 %, mais, dans les études que nous réalisons, nous ne constatons pas de baisse – nous observons même que les prix augmentent dans certaines villes.

Si la thèse défendue par certains membres du gouvernement prospérait, elle aurait un coût considérable, entre la « casse sociale » et les moindres rentrées de TVA (de 4 à 5 Md€) et de droits de mutation à titre onéreux (Dmto), avec, au final, une baisse des prix aléatoire et une contraction de nos marges. Pour ma part, je ne le crois pas.

M. Dominique Da Silva (Renaissance). J’observe qu’en trente ans, les prix de l’immobilier ont été multipliés par trois sous l’effet de la hausse du foncier, des normes qui renchérissent le coût de la construction, mais également de l’effet inflationniste. En revanche, je suis d’accord avec vous sur ce point : si l’immobilier entre en crise, la « casse » sera importante partout. Et ceux qui ont acheté au prix fort ne voudront pas, à mon avis, revendre et avoir une dette envers leur banque.

M. Pascal Boulanger. Si celui qui a acheté il y a dix ans revend au même prix, il aura perdu tout ce qu’il aura remboursé en capital ! Je ne crois pas à cette thèse.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Quand allez-vous vous positionner sur les besoins de l’industrie verte ? Aujourd’hui, des entreprises n’embauchent pas parce que les salariés ne trouvent pas de logement à proximité de leur lieu de travail. Quand ces rapprochements pourront-ils avoir lieu ?

L’autre enjeu est celui de l’habitat senior. Quand deviendrez-vous un acteur fort de l’habitat senior ?

M. Pascal Boulanger. Nous le sommes déjà.

M. Mickael Cosson, rapporteur. C’est ce que je voulais entendre.

M. Pascal Boulanger. Un amendement au projet de loi de finances pour 2024 porte sur la récupération de la TVA sur les résidences services.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Qu’est-ce qui est bloquant ? Qu’est-ce qui est vraiment préjudiciable ? Qu’est-ce qui est nécessaire pour donner une bouffée d’air et répondre à tous ces enjeux ?

Mme Anne Peyricot. Un certain nombre de promoteurs aspirent aujourd’hui à aller vers les étudiants et les seniors. Ils font de belles propositions, mais ils se heurtent au problème des fonciers.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Peut-être que des outils n’existent pas ?

Mme Anne Peyricot. Il faut plutôt lever des entraves. Nous avons dressé la liste de toutes les difficultés créées par les meublés touristiques et autres Airbnb. La location touristique a eu des effets collatéraux sur les résidences gérées au bénéfice des étudiants et des seniors, qui n’ont pas été anticipés. Par exemple, pour faire fonctionner une résidence étudiante, il faut avoir un minimum de 70 % d’étudiants ; or les apprentis et les jeunes salariés n’entrent pas dans ce décompte : il y aurait donc un petit frein à lever.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 19 octobre 2023 à 9 h 30

 Présents. – M. Mickaël Cosson, M. Dominique Da Silva, M. Stéphane Peu.