Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale 2
– Présences en réunion..............................21
Mercredi 10 avril 2024
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 46
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à dix heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale.
M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous recevons ce matin M. Jean‑Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale. Cette audition s’inscrit dans le prolongement de notre dernière audition d’hier soir, très dense, où nous recevions ici même des représentants de la direction de la sécurité sociale.
Selon les termes de l’article 2 du décret du 25 janvier 2010 relatif à l’administration centrale des ministères chargés des affaires sociales, je cite : « la direction générale de la cohésion sociale est chargée de la conception, du pilotage et de l’évaluation des politiques publiques de solidarité, de développement social et de promotion de l’égalité favorisant la cohésion sociale. Elle veille à la cohérence nationale et territoriale de ces politiques. Par ailleurs, en liaison avec les directions et les services concernés, elle conduit des analyses stratégiques et prospectives, initie et coordonne des travaux d’observation sociale et promeut les innovations nécessaires à l’exercice de ces missions ».
Nous avons beaucoup parlé de modalités de financement hier soir. Si j’ose dire, nous allons pouvoir parler du reste ce matin : qualité de l’accueil en crèche, organisation des contrôles, gouvernance de la politique d’accueil de la petite enfance, règlementation applicable aux crèches, les sujets sont nombreux. La direction générale de la cohésion sociale constitue en quelque sorte la tour de contrôle de l’édifice, si vous me permettez l’expression.
Ce temps d’échanges est nécessaire, qui plus est, afin de préparer l’audition de mesdames les ministres Catherine Vautrin et Sarah El Haïry à la fin du mois d’avril.
Je précise que l’audition de ce jour est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Il me reste à vous rappeler, monsieur Dujol, que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc, monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Jean-Benoît Dujol prête serment.)
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie et vous laisse tout de suite la parole pour un propos liminaire.
M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale. Mesdames et messieurs, je suis très heureux d’avoir l’occasion de m’exprimer devant vous sur ce sujet ô combien important de l’accueil du jeune enfant, notamment en mode d’accueil collectif et en crèche, puisque c’est le sujet que vous avez choisi.
Je voudrais revenir sur la description des compétences que vous avez faite de la direction pour situer un peu mon propos, expliquer en quelque sorte d’où je parle. Effectivement, le décret de 2010 que vous avez cité confie à la direction générale de la cohésion sociale toute une série de missions. Il dit en particulier qu’elle conçoit et conduit les politiques de cohésion sociale en faveur de la famille, entre autres sujets, ce qui justifie évidemment ma présence devant vous. Elle anime et coordonne l’action des pouvoirs publics et des ministères en matière de politique familiale. Elle est chargée en particulier du développement et de la règlementation des modes de garde ainsi que d’autres caractéristiques de la DGCS. Elle occupe tous les fronts des politiques sociales, notamment décentralisées. J’imagine que nous reviendrons sur cette caractéristique particulière de l’organisation institutionnelle de notre pays en matière de mode de garde.
La DGCS fixe le cadre normatif applicable, tant pour le fonctionnement et le contrôle des modes d’accueil collectifs et individuels qu’en matière de gouvernance de cette politique publique. C’est une action qui est d’abord normative. J’y reviendrai dans un instant.
L’actualité législative réglementaire a été très riche l’année dernière, bien sûr, mais en réalité, depuis sept ou huit ans maintenant, un grand nombre de réformes se sont enchaînées à la fois sur la qualité de l’accueil, les taux d’encadrement en particulier, mais aussi sur la gouvernance, notamment territoriale, puisque c’est une politique très territorialisée des politiques publiques de petite enfance en général et, pour le dire dans les termes qui prévalent aujourd’hui, de service aux familles.
La DGCS accompagne les acteurs dans leur appropriation de ces dispositions et dans la mise en œuvre de la règlementation par toute une série d’outils que nous produisons. La direction participe également aux travaux, et c’est un sujet central pour la réussite de la stratégie du gouvernement en la matière, concernant l’attractivité des métiers. J’imagine que nous en reparlerons, puisque la DGCS est membre du comité de filière de la petite enfance et a une responsabilité en lien avec les autres administrations du ministère sur la question des diplômes du secteur social, médico-social et, avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS), du secteur sanitaire. Ce sont souvent des diplômes qui sont à cheval sur les deux et nous jouons un rôle s’agissant de la définition de contenus de formation des éducateurs de jeunes enfants, par exemple.
Elle appuie aussi la direction des services déconcentrés que sont les directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités, dans la mise en œuvre des comités départementaux, des services aux familles ou dans leur action de contrôle des établissements.
Nous travaillons évidemment, et vous y faisiez allusion en parlant de la DGCS, en lien étroit avec les autres directions du ministère.
Je ne souscris pas complètement à la division qui consisterait à dire que la DSS s’occupe des aspects financiers et que nous faisons le reste. En réalité, nous faisons un peu les deux ensemble, parce que ce ne sont pas des questions détachables. Nous sommes très impliqués sur les questions de nature financière et nous suivons de près la construction et l’exécution du fonds national de l’action sanitaire et sociale de la Cnaf, qui est le principal instrument financier national au service de ces politiques publiques. La DSS, évidemment, regarde de très près ce que nous faisons en matière de règlementation des modes d’accueil, puisque cela se répercute directement sur les coûts, donc sur les prix de plafond et sur les financements que la DSS met à disposition via la Cnaf des acteurs du territoire.
Nous travaillons en étroite concertation avec l’ensemble du secteur, les acteurs responsables, d’abord les collectivités locales, avec un rôle particulier du bloc communal en tant que tiers financeur et, depuis l’année dernière, autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant. C’est aussi le rôle particulier des conseils départementaux au titre de la protection maternelle et infantile et depuis la loi de l’année dernière en matière de contrôle, puisque c’est le président du conseil départemental qui est désormais responsable en première intention de cette mission importante.
Quand je parle de concertation, je parle des collectivités locales, mais aussi des acteurs économiques du secteur, des représentants des gestionnaires et des professionnels.
Cette administration que je dirige a été mobilisée de manière très intense ces dernières années par une actualité forte en matière réglementaire ou législative. Si nous remontons aux années 2016-2017, nous trouvons le lancement du plan nourri par le rapport de Sylviane Giampino sur l’adaptation des modes d’accueil et la formation des professionnels de la petite enfance. Une série d’initiatives a été prise à cette suite, avec le lancement de la réforme des diplômes de l’accueil du jeune enfant, la réforme du CAP petite enfance, du diplôme d’État d’éducateur de jeunes enfants, du diplôme d’État d’auxiliaire de puéricultrice. C’est à ce moment-là, en 2017, que l’on met en place le cadre national et la charte d’accueil des jeunes enfants qui seront ensuite inscrits dans la loi dans le cadre de la réforme Norma quelques années plus tard. On publie aussi un guide des normes de conception et de fonctionnement et un guide de la sécurité dans les EAJE.
Je remonte un peu en arrière pour illustrer la façon dont on travaille, il y a de la règlementation en dur, mais il y a aussi des normes plus souples et la volonté d’être en prise directe avec ce qui se passe dans le secteur et de mettre à la disposition des acteurs tout une série d’outils.
La grande réforme intervient en 2018-2021. Il s’agit de la réforme dite Norma, passée par une série de textes, notamment les ordonnances prévues par la loi dite “Essoc” pour un État au service d’une société de confiance et la loi dite “Asap” sur l’accélération et la simplification de l’action publique. Le Gouvernement peut prendre par ordonnances « toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faciliter l’implantation, le maintien et le développement des services aux familles, notamment en matière d’accueil du jeune enfant et de soutien à la parentalité. » Sur cette base, nous avons décliné une série de textes importants avec deux objectifs : harmoniser l’interprétation des normes par les autorités locales et les ajuster évidemment, le cas échéant, et mieux coordonner les acteurs localement pour favoriser la création de places d’accueil. Nous avons parfois du mal à tenir ces objectifs compte tenu de la complexité et des contraintes qui s’exercent sur les acteurs.
À partir de ces deux lois et de cette habilitation à procéder par ordonnances, une large concertation a été menée, associant l’ensemble des représentants des collectivités locales, les associations d’élus ou de directeurs comme l’association des départements de France, l’Association des Maires de France, France Urbaine et l’ensemble des gestionnaires, publics et privés, j’insiste sur ce point. Il n’y a pas d’exclusivité de notre point de vue, c’est une approche tout à fait transversale des questions. Nous avons aussi associé des représentants des familles, notamment l’Unaf qui est un acteur de premier rang dans la conception et l’animation de cette politique publique. Je cite également les représentants des professionnels et des services de protection maternelle et infantile (PMI).
Je tiens ces textes à votre disposition pour illustrer l’actualité réglementaire de cette époque, l’ordonnance du 19 mai 2021, sur les services aux familles, qui fonde la création des comités départementaux de services aux familles, un décret de 2021 sur les relais de petite enfance, toute une série de textes. Cela s’est terminé avec l’arrêté du 29 juillet 2022, un arrêté important qui a fait couler beaucoup d’encre à l’été 2022. Une quinzaine de textes ont été pris sur cette base.
Nous nous rapprochons de l’actualité plus immédiate, avec une parenthèse très compliquée à gérer, celle de la crise sanitaire. Nous n’avons pas oublié la mobilisation très forte des équipes de la DGCS en soutien au secteur, avec la production de guides, de protocoles, pour concilier l’accueil des jeunes enfants et la mise en place de gestes barrières afin de limiter la propagation de l’épidémie. Au-delà, il s’agissait d’assurer l’animation de réunions dématérialisées, de webinaires, de manière très régulière avec l’ensemble des partenaires pour partager l’actualité des choses. Cette mobilisation exceptionnelle a concerné le secteur, mais aussi les équipes en central.
Les années 2022 à 2024 représentent les fondations de la création du service public de la petite enfance, le SPPE, avec deux éléments très structurants. C’est d’abord, chronologiquement, la signature de la convention d’objectifs et de gestion de la Cnaf pour les années 2023 à 2027, avec un volet petite enfance particulièrement ambitieux. Il s’agit de la priorité de la branche famille et notamment de son fonds national d’action sociale, avec 1,5 milliard d’euros de dépenses annuelles supplémentaires à l’horizon 2027 consacrés à la petite enfance.
Le deuxième acte fondateur, le premier conceptuellement mais le second chronologiquement de ce SPPE, s’attache aux dispositions des articles 17 et 18 de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi et à la notion d’autorité organisatrice, un vocable un peu nouveau dans ce domaine, qui essaie de trouver une voie de passage parmi des exigences un peu contradictoires. On avait beaucoup parlé dans une période précédente de compétences obligatoires qui répondent à des obligations nouvelles, qui pèsent sur toutes les communes de manière un peu différenciée en fonction de la maille territoriale, notamment le nombre d’habitants, avec des seuils à 3 500 habitants et à 10 000 habitants. Ces dispositions appellent toute une série de mesures d’application qui seront prises au cours de l’année, notamment à travers deux décrets sur lesquels nous travaillons d’ores et déjà. J’espère pouvoir édicter le premier d’ici la fin du premier semestre et le second d’ici la fin de l’année 2024.
En conclusion de ce propos liminaire, et avant de répondre à vos questions, je vais vous dire que la direction générale de la cohésion sociale conçoit les établissements d’accueil du jeune enfant, les crèches qui sont l’objet de votre enquête, comme s’inscrivant dans un écosystème global des politiques familiales et des services aux familles et aux jeunes enfants.
C’est le sens de la politique des mille premiers jours, qui est aussi portée et animée par la DGCS. La notion de service aux familles remonte à l’ordonnance évoquée de 2021. Elle place les actions de soutien à la parentalité sur un pied d’égalité avec l’action en matière de mode d’accueil. Il ne faut pas perdre de vue que les enfants aujourd’hui restent principalement gardés par leurs parents ou leurs familles avant l’entrée à l’école maternelle. Il convient donc développer des dispositifs de soutien à la parentalité, comme les lieux d’accueil enfants‑parents qui sont aussi financés largement par la branche famille de la sécurité sociale. Le souhait est de permettre des temps de socialisation avant l’école pour les jeunes enfants et de permettre aux parents d’échanger aussi avec des professionnels de la petite enfance pour être guidés dans leur action en matière de parentalité. Cette notion d’étayage de la fonction parentale me paraît cruciale au-delà de la mise en place de modes d’accueil formels.
Dans la stratégie globale que nous essayons de concevoir et de conduire, sous l’autorité évidemment de nos ministres, la question de l’accueil individuel est très importante. Le premier mode d’accueil formel dans notre pays reste l’assistante maternelle, même si aujourd’hui des difficultés de recrutement se font jour. Notre volonté est d’articuler l’ensemble des solutions offertes aux familles, des solutions en matière de parentalité pour les parents qui gardent leurs enfants ou d’autres, l’ensemble des modes d’accueil, puis aussi une réflexion en matière de congés parentaux et notamment de congé familial.
Il est important de ne pas perdre de vue cette stratégie globale. Quand nous citons des objectifs très ambitieux, en ce qui concerne notamment les places d’accueil, 100 000 à l’horizon 2027, 100 000 de plus à l’horizon 2030, nous avons évidemment en tête l’ensemble des solutions de garde et d’accompagnement qui peuvent être apportées aux familles.
Je voudrais vous dire que la DGCS travaille sur un ensemble de réponses coordonnées pour développer l’accueil des enfants de moins de trois ans, tant sur le volet de la qualité de l’accueil que sur celui, quantitatif, de la création de places.
M. le président Thibault Bazin. Nous avons souvent constaté, ces dernières semaines, un problème d’absence ou de défaut de pilotage interministériel. Nous voyons bien le travail accompli par les Caf, notamment avec les territoires, avec des CTG qui vont encore évoluer, mais certaines Caf ont demandé à ce que ce soit à l’échelle de l’intercommunalité. Or, l’intercommunalité, parfois, n’a pas du tout la compétence, ce qui pose d’ailleurs des soucis entre celui qui, d’une certaine manière, organise et discute et ceux qui gèrent et ont les moyens ou pas d’agir.
Sur l’attractivité des métiers, nous avons bien vu que des sujets pouvaient se poser dans les régions en matière d’adéquation entre l’offre de places et les besoins. C’est là aussi un problème de pilotage.
Vous avez parlé d’outils. La DGCS a-t-elle concrètement réfléchi, s’agissant des collectivités locales appelées à créer des places et à soutenir le développement, à des modèles de cahiers des charges, de DSP ou d’autres modes de marché public pour porter la qualité et le modèle ? Lorsque nous avons questionné différents acteurs, je dois vous avouer que ces derniers ont expliqué qu’ils n’avaient pas reçu de modèles et qu’ils devaient se débrouiller, en faisant notamment appel à des consultants.
Se pose la question de la nouvelle autorité organisatrice. Le niveau de cette autorité correspond-il à celui de la compétence et à celui des moyens ? Cette question renvoie à la problématique que rencontrent les intercommunalités, aux formes et densités diverses, en lien avec le fait que les écoles soient gérées ou pas par l’intercommunalité. Le sujet se pose également concernant l’action sociale, le suivi des quartiers. Si l’action n’est pas initiée à l’échelle de l’intercommunalité et si la gestion s’inscrit plutôt dans la politique de la ville ou des territoires, des difficultés risquent d’apparaître. Cet aspect a-t-il été appréhendé par votre direction ? Nous voyons bien un défi et un risque de confusion. Il n’y a pas de compétence ni de moyens, mais une autorité organisatrice. Comment piloter sans la compétence et les moyens ? Le concept d’autorité organisatrice se trouve réduit, sans offrir les conditions visant à pérenniser les places existantes, voire à en développer de nouvelles.
Vous avez enfin évoqué la riche activité de vos services sur le plan normatif. Or, certains décrets et arrêtés sont attendus. Quelles sont vos intentions calendaires en termes de parution ? Travaillez-vous actuellement sur des modifications réglementaires, notamment sur les taux d’encadrement ?
M. Jean-Benoît Dujol. Vous attaquez d’emblée sur un sujet sensible. Parmi les partenaires de la politique publique – j’ai longuement cité la DSS – j’aurais pu évoquer la DGCL. Nous avons beaucoup travaillé avec la direction générale des collectivités locales sur ce sujet. Les dispositions que l’on connaissait, puisque vous les avez écrites et votées, sur l’autorité organisatrice, ont été travaillées avec la DGCL, évidemment. C’est vrai que cette question de la communautarisation de la compétence est importante. Nous sommes un peu pris entre deux exigences contradictoires, comme souvent sur ce sujet. Il y a un principe de libre administration des collectivités locales, c’est un principe de valeur constitutionnelle, à nous de savoir à quel niveau une compétence doit être exercée. Il y a aussi une réflexion sur le bon niveau d’exercice de la compétence, compte tenu du service que l’on se propose de rendre, qui, selon mon appréciation strictement technique, justifie sans doute qu’on appréhende la question de la garde au niveau du bassin de vie. Parfois, l’unité communale est peut-être un peu trop resserrée. Des mouvements pendulaires sont opérés dans toutes les régions entre les lieux d’habitation et de travail, en passant par le lieu de la garde.
La maille de la commune est parfois un peu trop réduite. D’ailleurs, il existe un mouvement de communautarisation de cette compétence, souvent transférée à l’échelle de l’EPCI. Ce n’est pas obligatoire, évidemment. Mon analyse consiste à dire que c’est souvent souhaitable. Quand on parle d’autorité organisatrice, il ne s’agit pas d’organiser un hiatus entre la responsabilité et les moyens. Nous voulons au contraire doter le niveau de collectivité, même si l’on parle de communes dans le texte de loi, de la compétence et des moyens convenables pour l’exercer. Dans le contexte budgétaire lié à la mise en place de la nouvelle Cog de la Cnaf, nous parlons d’un instrument au service des collectivités. Nous avons parfois tendance à opposer les collectivités, les caisses, l’État. Que font les uns et que font les autres ? En réalité, même si cela relève d’institutions différentes, qui font les meilleurs efforts pour se coordonner, l’objet est d’étayer l’action de la collectivité qui est responsable. Nous passons d’une compétence facultative de la collectivité locale à une compétence obligatoire, avec l’obligation de mesurer les besoins et d’informer les familles. Viennent ensuite de nouvelles obligations formulées à différents seuils, 3 500, 10 000 habitants, en matière notamment de planification et de mise en place, pour les communes les plus importantes, d’un schéma de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant.
Nous ne les forçons pas à créer des places, nous les forçons à prendre la mesure de la situation et quelque part à assumer, vis-à-vis aussi de leurs citoyens électeurs, cette responsabilité de supervision.
En disant cela, je mesure bien que le tiers financeur, c’est évidemment la collectivité locale, mais sur le plan formel en tout cas, nous n’imposons pas une obligation de contribution. Nous dégageons des moyens de notre côté, encore une fois, et du côté de la sécurité sociale.
Concernant la boîte à outils, je reprends bien volontiers votre suggestion, sachant que nous en faisons déjà beaucoup, sous la forme de guides, de foire aux questions. Nous le faisons souvent à destination des gestionnaires ou des professionnels. Nous évoquons, pour les établissements, les aspects liés à la qualité, au taux d’encadrement, comment ça s’apprécie, comment ça se calcule, quelles sont les choses qu’il faut faire ou pas, une réflexion à la maille de la crèche en quelque sorte. Peut-être que nous ne nous sommes pas suffisamment posé la question de l’accompagnement des collectivités. Nous le sous-traitons, si je peux me permettre cette expression, et dans des conditions qui, avec la nouvelle Cog, vont être beaucoup améliorées, aux caisses d’allocations familiales. Vous faisiez allusion aux CTG et de l’offre de services qui les porte, que la Cnaf est en train de repenser. Je crois que vous allez auditionner rapidement, si ce n’est déjà fait, son directeur général. En quelque sorte, les Caf le font déjà avec les CTG, et elles le feront d’autant plus demain avec les réformes prévues dans le cadre de la Cog. Elles vont déployer une offre de services structurée et vont faire de la prospection. Ce qu’on attend demain des caisses d’allocations familiales dans le cadre du développement du service public de la petite enfance, c’est qu’elles aillent trouver de manière systématique les autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant pour leur proposer, clés en main en quelque sorte, même si cela justifie une contribution de la collectivité, l’ensemble de la gamme des aides qui ont été renforcées de manière très importante par la Cog, et pour les accompagner en signant ces fameuses conventions. Il y a bien une démarche de prospection et de conviction.
M. le président Thibault Bazin. Je comprends l’élan que vous portez et l’espoir que vous nourrissez, mais je vais être très concret, parce qu’à un moment, il faut être concret sur la question des modèles. Nous avons rencontré une intercommunalité, la seule qui, dans une grande circonscription de près de 200 communes, a pris la compétence et gère en régie cinq crèches de vingt places dans chacun des bourgs-centres. Tout l’autofinancement de l’EPCI – et cela revient à une question sur les arbitrages : dois-je porter ce développement à la place d’autres dépenses ? – est consacré à la compétence de la petite enfance.
Aujourd’hui, ils réfléchissent à se désengager. Ils nous ont présenté leurs tableaux financiers. Ils ne sont pas du tout aux 66 % évoqués théoriquement. Il faut prendre en compte les faux frais, le personnel technique ou le personnel support qui intervient et qui ne figure même pas dans leur comptabilité. En tenant compte de cette réalité, au sein d’une intercommunalité qui jouait un rôle moteur, qui a rénové ses locaux, nous n’en sommes même pas à la question de la création de places. Aujourd’hui, il est surtout question de survie.
Très clairement, les intercommunalités voisines observent cette situation et ne veulent pas y faire face. Ils nous ont même dit qu’ils avaient l’obsession de la calculette « acteur public » et l’obsession de la calculette du simulateur Caf-PSU. Chaque mois, ils surveillent la fréquentation des établissements et redoutent que les familles qui partent en vacances en décembre ne placent plus leurs enfants dans les structures d’accueil au risque de ne pas avoir les heures facturées attendues. Ils nous expliquaient que leur directrice de structure était obsédée par votre modèle. Cela part sur de bonnes intentions, mais lorsque nous rencontrons un acteur public qui a été pionnier, qui porte en régie cette activité, il nous dit : « C’est tellement compliqué que j’ai limité chaque structure à un EAJE parce que payer plus de personnel que la norme, en termes de compétences et de diplômes, n’est même plus envisageable ».
Dans vos réflexions, vous dites que les Caf viendront auprès des territoires en mettant en avant les bonus. Nous avons regardé leurs feuilles de CTG. Les bonus y figurent déjà. Les bonus ne sont pas une invention, ils existaient déjà dans la précédente Cog. Nous regardons le bonus territorial, qui ne fait pas rêver. Nous voyons le bonus handicap. On nous dit que la PMI contacte les Caf en indiquant que tel enfant doit être protégé au nom de la protection de l’enfance. On demande aujourd’hui aux structures collectives d’accueillir ces enfants.
Aujourd’hui, le rapport entre PMI et structures publiques ne se trouve pas du tout dans ce que vous avez évoqué au début sur les missions globales. On leur confie des missions qui n’étaient pas forcément celles du bloc communal, et pas forcément d’ailleurs avec les accompagnements financiers qui vont avec. Nous avons beaucoup parlé du modèle privé, mais le modèle public mérite aussi d’être questionné. Nous avons du mal à imaginer que les aides, notamment celles dédiées à la création, permettront de consolider et de pérenniser l’offre existante, publique et privée non lucrative. Quelle est votre stratégie ? Avez-vous conscience de ces difficultés constatées au niveau local ?
M. Jean-Benoît Dujol. Nous avons conscience de ces difficultés, bien sûr. Le premier enjeu consiste à maintenir l’offre sur le territoire. C’est la raison pour laquelle la loi évoque les schémas de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant. Si on dézoome une seule seconde et que l’on regarde ce qui se passe du côté des assistantes maternelles – évidemment, il y a des effets de report aussi en termes de prise en charge – on détruit de la place. Si, aujourd’hui, le taux de couverture en mode de garde progresse, c’est parce qu’on fait un peu moins d’enfants. C’est malheureux de le constater, mais c’est la réalité. Malgré tout, on crée des places en net du côté de l’accueil collectif et on arrive à faire un peu plus que compenser la contraction de l’offre du côté des assistantes maternelles C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, une série d’actions, même si c’est compliqué, concerne l’accueil individuel. Le but est d’essayer de faire front commun. Ce n’est pas avec 500 000 places, même augmentées de 200 000 places d’accueil collectif, que nous parviendrons à accueillir l’ensemble des enfants au-delà des taux de couverture connus aujourd’hui, qui sont encore inférieurs à 60 %.
Nous sommes conscients des difficultés. Il existe deux stratégies pour inciter à la création de places et au maintien des places. Il s’agit d’abord du soutien à l’investissement et, ensuite, au fonctionnement. On a beaucoup cru sans doute que le soutien à l’investissement était suffisant, mais c’est une erreur pour convaincre les gestionnaires de s’engager. Les gestionnaires ont besoin d’une aide à l’installation et à la mise en place de la structure. Ils ont besoin d’être sécurisés de manière durable et à un haut niveau de sécurisation, si possible, en matière de fonctionnement. Les aides permettent une plus grande souplesse d’évolution. Certaines aides sont extralégales et ne sont pas prévues par le code de l’action sociale et des familles. Elles le sont par le Fnas. Elles sont remises en question, de manière positive à chaque fois puisqu’on remet de l’argent, tous les cinq ans au moment de la convention d’objectifs et de gestion. Il y a une sorte de cycle avec un ralentissement des créations de places en fin de Cog. On a du mal ensuite à créer des places.
À travers la nouvelle Cog, nous essayons de sécuriser les gestionnaires dans la durée, précisément sur cette question des bonus. Vous avez raison, les bonus apparaissent dans tous les sens, notamment les bonus de création de places. Ils étaient en quelque sorte millésimés, c’est-à-dire que selon l’année de la création de la place, ce n’est pas le même niveau de bonus, alors qu’une place est une place. Nous essayons de faire converger en quelque sorte les bonus. Trois dispositions sont importantes, je crois, dans la Cog, de ce point de vue-là. Une première a vocation à favoriser l’équité territoriale en valorisant les communes qui ont engagé une politique de petite enfance de longue date. Nous avons des bonus, notamment en zones de revitalisation rurale (ZRR) et en quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui doivent converger. Cent millions d’euros supplémentaires sont consacrés à cette mesure à l’horizon 2027. Nous essayons de sécuriser les gens sur les anciennes places, en quelque sorte, parce que pour créer de nouvelles places, il faut à peu près couvrir les coûts sur les places gérées aujourd’hui.
La deuxième mesure consiste à maintenir un bon niveau de financement forfaitaire dans un contexte d’inflation. Les bonus ont une vocation, celle de compenser l’excessive volatilité des financements en fonction de l’activité et notamment ce fonctionnement un peu délétère qui consiste à optimiser les choses en fin d’année, avec l’exemple très frappant que vous citiez des parents qui sont en congés, mais à qui on va demander de placer leurs enfants en crèche pour optimiser le ratio entre les heures facturées et les heures réalisées.
Je fais une petite parenthèse sur ce sujet. Vous recevez plusieurs ministres de la famille qui ont pesé dans la mise en place de la facturation horaire. La discussion, à l’époque, de la facturation horaire concernait le constat sur les taux d’occupation. Les gens qui s’intéressaient au sujet plaidaient pour créer des places, mais on leur disait que leurs places étaient vides et qu’il fallait regarder les taux d’occupation. Si nous regardons les heures effectuées ramenées au coût de la crèche, les coûts d’intervention apparaissaient très élevés. La facturation horaire a été conçue d’une manière un peu simpliste, je ne suis pas loin de le penser, comme une façon d’augmenter le taux d’occupation.
M. le président Thibault Bazin. Cela n’a pas fonctionné, comme le fait remarquer notre collègue William Martinet.
M. Jean-Benoît Dujol. Oui, et ce système a abouti à des résultats contre-productifs. La stratégie d’aujourd’hui, avec les bonus dans les Cog précédentes et aujourd’hui, est d’augmenter la part forfaitaire du financement qui a été induite par ces bonus versus la part en fonction de l’activité. J’ai un chiffre, c’est une dynamique qui a été initiée sur la Cog précédente, 2018-2022, durant laquelle la part forfaitaire du financement à la place est passée en direction des EAJE-PSU, de 4 à 28 % du total du financement. Nous voyons quand même un socle du financement des structures via les bonus. Une majoration de bonus est enfin mise en place à l’occasion de la Cog.
M. le président Thibault Bazin. Je me permets d’intervenir, monsieur Dujol, parce qu’on nous a déjà fait la promotion des bonus, mais cela ne m’a pas rassuré et convaincu sur l’accessibilité et la lisibilité pour les gestionnaires.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie pour vos premières interventions que je partage, qu’il s’agisse de la question de l’intercommunalisation de la compétence ou de la question de la mise en place d’une boîte à outils pour permettre aux collectivités d’exercer pleinement les missions qui sont les leurs. Je pense que c’est quelque chose qui est fondamental.
Vous le savez, cette audition est attendue par la commission d’enquête, puisque nous sommes maintenant très avancés dans nos travaux et je crois que nous avons tous pu nous faire une idée sur la qualité d’accueil et les modalités de financement des crèches dans notre pays.
Je vais prendre quelques minutes pour recontextualiser et pour vous interroger sur les réflexions qui sont les nôtres. Il est important de comprendre dans quel cadre s’inscrivent les travaux de cette commission. Ils s’inscrivent dans la continuité d’un certain nombre d’ouvrages et de rapports qui ont mis en exergue non seulement des situations de maltraitance grave, dont on peut espérer qu’elles sont relativement circonscrites, mais surtout des pratiques quotidiennes, courantes, de douces violences et d’incapacité des équipes sur le terrain à pleinement accompagner les enfants de façon à ce qu’ils puissent réaliser toutes leurs potentialités dans un moment dont on sait qu’il est pleinement stratégique pour leur développement.
Effectivement, vous avez insisté sur le fait que la législation a évolué très récemment, avec la création du service public de la petite enfance et le rôle d’autorité organisatrice confié aux communes. Je crois que cela n’est pas neutre également dans la façon dont on organise le financement et le modèle économique des crèches.
Vous avez déjà dit beaucoup de choses. Je vais essayer de ne rien oublier concernant les points sur lesquels je souhaitais réagir. D’abord, concernant la question de l’organisation de la gouvernance, je crois que nous avons tous compris qu’il y avait une multiplicité d’acteurs et une complexité dans l’exercice de la gouvernance, une complexité qui, à mon avis, ne va pas aller en s’améliorant dans la mesure où, aujourd’hui, on a érigé la commune en autorité organisatrice du service public de la petite enfance et où, par conséquent, il conviendra aussi de l’associer encore plus étroitement à la mise en œuvre de cette compétence. Il existe un comité départemental des services aux familles. Ne vous semble-t-il pas nécessaire, au sein de ce comité départemental, de travailler autour d’une instance qui soit précisément en charge des solutions d’accueil, non seulement des crèches, mais aussi des solutions d’accueil individuelles ?
Vous dites à juste titre que financer la qualité du service et accompagner les gestionnaires dans les coûts de fonctionnement, c’est aussi la condition sine qua non de création de places en crèche. Nous constatons aujourd’hui qu’un certain nombre de berceaux sont gelés et peut-être avez-vous des chiffres à nous apporter sur ce nombre de berceaux gelés en France.
Surtout, il y a un désengagement des communes. Certaines solutions proposées affichent un coût important qui reste à la charge des communes alors que pour d’autres, les communes n’ont rien à débourser.
Je crois que les échanges que nous avons pu avoir depuis le début des travaux de cette commission démontrent qu’en réalité le mécanisme aujourd’hui du tiers financement a eu pour effet de créer une forme de distorsion entre les hypothèses selon lesquelles c’est la commune qui est tiers financeur, ou les administrations pour leur propre personnel, avec des contraintes budgétaires toujours plus importantes et un financement via la PSU qui pose des difficultés.
De l’autre côté, nous trouvons un mécanisme de tiers financement par l’intermédiaire des entreprises. Lorsque nous écoutons les gestionnaires privés, pas seulement ceux issus des grands groupes, une distorsion se fait jour parce que l’on peut vendre le berceau cher aux entreprises, grâce à des mécanismes de défiscalisation extrêmement généreux et sur lesquels nous n’avons pas de pilotage. La dépense publique indirecte est évidente et conséquente, sans le moindre pilotage. De l’autre côté, des entreprises disent qu’elles sont en mesure de fidéliser leur personnel et d’avoir une attractivité sans que tout cela leur coûte trop cher.
L’entreprise privée paye un peu plus cher son berceau pour avoir un droit de priorité. Le droit de priorité a pour effet, potentiellement, de conduire le gestionnaire à mettre dehors un enfant pour le remplacer par un autre qui est dit prioritaire.
Il en résulte des situations de distorsion entre les crèches financées par les communes et celles financées par les entreprises. Par ailleurs, les dispositifs instaurés ne me paraissent pas compatibles avec le service public de la petite enfance. Je pense en particulier au principe d’égalité de traitement ou au principe de continuité du service, dont on peut se dire qu’il est fortement malmené quand on explique à des parents que dans deux mois, leur enfant devra aller ailleurs parce que finalement un enfant plus rentable le remplacera.
Je voulais ensuite vous parler de la PSU, mais je vais peut-être d’abord vous laisser réagir par rapport à mes premières remarques.
M. Jean-Benoît Dujol. Je vais quand même vous parler de la PSU en répondant à ce que vous m’avez dit parce que votre façon de présenter la question du tiers financeur me paraît très juste. C’est une façon intéressante d’aborder la problématique.
La PSU est conçue pour avoir un tiers financeur, cela ne marche pas sans tiers financeur, puisque la PSU s’entend à hauteur de 66 % du prix plafond, moins les participations familiales. Avant, il y avait des systèmes de financement des établissements collectifs, des établissements d’accueil, où les prestations familiales étaient complémentaires, c’est-à-dire que le gestionnaire recevait un montant, puis les participations familiales en supplément. Ici, plus la famille paye, moins la Caf paye. Les participations familiales sont incluses. Pourquoi ? Pour éviter justement l’éviction des enfants les moins “rentables” au bénéfice des enfants les plus “rentables”. Quel que soit le niveau de ressources de la famille, le montant garanti par la caisse d’allocations familiales grâce à la PSU est identique. Après, il y a une contribution plus ou moins importante de la Caf, puisqu’elle s’ajuste pour ne compléter qu’à hauteur des participations familiales. Je ne pose pas la question à ce stade des écarts au prix plafond, dans la mesure où le prix plafond n’a pas été beaucoup revalorisé dans les années précédentes. On s’est engagé, pour la prochaine Cog dans une action de revalorisation un peu plus dynamique afin de tenir compte d’évolutions de coûts importantes. On garantit 66 %, c’est-à-dire qu’au mieux, il y a quand même au moins 34 % à aller chercher ailleurs. Donc, il faut un tiers financeur, et le tiers financeur habituel en mode PSU, c’est évidemment la collectivité locale, qu’elle agisse en régie ou en DSP.
Quand on regarde les chiffres de l’observatoire national de l’accueil de la petite enfance, le taux de contribution des caisses d’allocations familiales reste très important. On les critique beaucoup sur l’insuffisance des financements mais aujourd’hui, quand on observe les choses de manière un peu objective, on s’aperçoit que le taux de contribution et le taux de couverture apportés par les Caf restent très importants.
Il y a un reste à charge très important, non pas pour les familles, parce que tout cela est modulé en fonction des revenus, mais pour les collectivités. En micro-crèche, ce problème ne se pose pas parce qu’on fait payer aux familles un montant plus important. Il faut aussi parler de la problématique d’accessibilité, qui est majeure. On ne trouve que des enfants rentables en micro-crèche Paje, pour des raisons que l’on comprend bien. En plus, la réservation des berceaux est financée sur argent public. Cette dépense fiscale liée aux crédits est rattachée au programme 304 de la loi de finances, dont je suis responsable, à hauteur de 200 millions d’euros. Elle n’est absolument pas pilotée. La Cour des comptes, à juste titre, nous le fait remarquer chaque année, nous invitant à une évaluation plus rigoureuse de la pertinence et de l’effet des dépenses fiscales. Un rapport important a été publié la semaine dernière sur les micro-crèches, et il remet en cause le Cifam.
Il y a deux mécanismes, la déduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés et le Cifam. Les taux de subventions sont considérables. J’ai été surpris des montants unitaires et moyens de réservation de berceaux. C’est très élevé, à hauteur de 12 000 ou 13 000 euros.
M. le président Thibault Bazin. Plus de la moitié des berceaux est réservée par les administrations publiques et les collectivités auprès des groupes privés ou d’autres structures. Vos ministères, d’une certaine manière, sont tiers financeurs. Je ne sais pas si vous avez mené cette expertise. Quelle est la politique menée par le ministère au niveau des sections régionale interministérielles d’action sociales (SRIAS) ? Quelles sont les conventions que vous signez avec les crèches pour vos propres agents de la fonction publique ? Au-delà des 190 millions d’euros de Cifam, combien l’État met-il pour ses propres agents en tant que tiers financeur ?
M. Jean-Benoît Dujol. Au ministère, nous avons la chance d’avoir une crèche dans les locaux, gérée par l’AP-HP de manière dérogatoire. Il y a aussi des réservations de berceaux effectuées par le secrétaire général. Il se trouve que ce n’est pas chaque direction qui s’occupe de cela, ce sont évidemment les gestionnaires, les secrétariats généraux de ministère. Je crois que l’ordre de grandeur est comparable. J’ai été surpris quand j’ai regardé le rapport sur le montant des réservations de berceaux. Quand je me suis retourné par curiosité, parce que ce n’est pas mon travail, vers le secrétariat général des ministères sociaux pour savoir exactement comment il procédait, il m’a fait comprendre que c’était sensiblement le même prix, alors même qu’il n’y a pas de Cifam, puisque c’est une administration publique.
M. le président Thibault Bazin. Ce sont des volumes importants de réservations.
M. Jean-Benoît Dujol. Oui.
M. le président Thibault Bazin. Revenons aux questions de Mme la rapporteure.
M. Jean-Benoît Dujol. Vous avez commencé par parler des révélations faites par le rapport de l’Igas en matière de qualité de l’accueil. C’est un rapport important qui a suscité une conversation nationale autour de ce sujet. Pour répondre à ce que vous avez dit, deux choses m’ont frappé à la lecture de ce rapport. D’abord, la mise en avant de pratiques, peut-être ponctuelles, mais extrêmement graves. Des scènes décrites dans le rapport sont objectivement choquantes. On y parle de contention, de forçage alimentaire, de violence. Ce sont des choses que nous n’avions pas forcément imaginées. Mais il y a presque pire. On peut sévir, on peut contrôler, on peut fermer. Le constat du rapport laisse voir qu’indépendamment de ces dysfonctionnements gravissimes, qu’on espère exceptionnels, une question centrale se pose, celle du développement de l’enfant qui n’est pas au cœur des modes d’accueil. Même si tout est fait correctement, cela reste juste correct, alors que les enjeux de développement, de socialisation, de développement socio-émotionnel, cognitif, sont évidemment cruciaux à ces âges-là. Et c’est presque cet aspect qui m’a le plus frappé et qui appelle, je crois, une réaction et une réflexion sur la pédagogie mise en œuvre dans les crèches. Cela renvoie à la question des professionnels, à leur nombre insuffisant et à leur niveau de qualification. Je ne suis pas obsédé par les micro-crèches, mais l’une des caractéristiques des micro-crèches est qu’elles sont très dérogatoires aussi du point de vue du niveau de qualification de l’encadrement.
Peut-être nous sommes-nous trop concentrés sur le mode de garde, en étant un peu aveugles sur cette question de la qualité, non pas au sens de la sécurité, mais au sens de la promotion du développement de l’enfant. Le message du rapport de l’Igas est bien de remettre l’enfant au centre des préoccupations. L’inscription du SPPE dans la loi plein emploi est paradoxale, parce qu’elle est toujours marquée par cette ancienne idée. Le mode de garde est un accessoire de la politique de l’emploi, pour permettre notamment aux parents et en particulier aux femmes de pouvoir s’insérer dans le marché du travail de manière durable. C’est un objectif qui est louable et nécessaire, mais ce n’est pas le seul que l’on poursuit quand on propose des modes de garde. Nous savons les interventions précoces et de qualité sont cruciales, encore une fois, sur le plan cognitif et socio-relationnel.
M. le président Thibault Bazin. Monsieur Dujol, pouvez-vous répondre aux questions, notamment celles relatives aux décrets ?
M. Jean-Benoît Dujol. J’ai le sentiment d’y répondre. Faut-il faire évoluer le comité départemental du service aux familles ? Faut-il qu’il y ait une instance resserrée sur le sujet ? Je ne vois pas exactement ce que vous avez prévu d’y faire figurer, mais les missions du CDSF sont assez larges. C’est une instance de réflexion, de conseil, de proposition, d’appui, d’évaluation et de suivi des institutions et organismes qui interviennent dans le domaine des services aux familles, au développement des services aux familles. C’est un vocable assez large. Il existe une instance resserrée sur le contrôle, par exemple, à qui on a demandé de se réunir assez récemment pour repérer les établissements en difficulté. Nous pouvons avoir des formations spécialisées, réunissant une partie des membres, par exemple, qui seraient les plus directement intéressés par tel ou tel sujet.
La proposition que vous faites me semble, de ce que j’en comprends à ce stade, tout à fait utile et intéressante.
Les décrets sur lesquels nous travaillons aujourd’hui sont ceux de la loi du 18 décembre, avec une échéance au 1er janvier prochain. Nous avons prévu deux décrets à ce stade, d’abord en fin de premier semestre et ensuite d’ici la fin de l’année, notamment sur les questions de contrôle, et d’ici la fin du premier trimestre, sur la question de l’autorité organisatrice pour en préciser les missions.
Nous n’avons pas du tout évoqué le sujet de la création de la compétence, même si on consolide une compétence existante. Il y a un enjeu d’accompagnement financier des collectivités concernées. On ne parle pas de compensation, parce que ce n’est pas un transfert de compétence. On ne peut pas mesurer ce que l’État faisait pour le verser aux collectivités locales. C’est une création de compétence, mais la Constitution prévoit cet accompagnement financier. Nous mesurons, en lien avec les associations d’élus, ce que devrait coûter la mise en place de cette compétence nouvelle aux différents échelons concernés, de 0 à 3 500, de 3 500 à 10 000 et de 10 000 habitants et plus. Nous proposerons un schéma d’accompagnement financier et de subventionnement de ces collectivités pour qu’elles soient conformes aux exigences constitutionnelles qui s’imposent dans ce cas.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je souhaitais surtout vous faire réagir, monsieur Dujol, sur le système de la réservation de berceaux par les entreprises et le tiers financeur issu des entreprises. Que pensez-vous de ce modèle au regard de votre expérience ?
M. Jean-Benoît Dujol. Je pense qu’il y a les effets pervers que vous évoquez. Le rapport publié la semaine dernière est assez éclairant. Ce n’est pas le premier qui critique le Cifam, qui subventionne cette réservation de berceaux. Je trouve les coûts élevés, même s’ils sont communs, comme le faisait remarquer le président Bazin, excessivement subventionnés et avec des effets pervers. Cela fait quand même deux rapports successifs qui nous disent que le Cifam n’est pas forcément la meilleure idée que l’on pouvait avoir.
La question que l’on peut se poser est : que fait-on de ces masses financières relativement conséquentes ? À l’échelle des modes de garde, ce ne sont pas des montants considérables, mais c’est inscrit en tout cas au programme 304, nous avons 200 millions d’euros inscrits au titre du Cifam.
Plusieurs propositions sont émises dans le rapport, notamment recycler tout ou partie de cette dépense au profit d’une action directe des caisses d’allocations familiales, qui le font un peu pour les entreprises non éligibles au Cifam. Un dispositif existe aujourd’hui du côté des caisses d’allocations familiales que nous pourrions imaginer faire grossir pour reprendre une partie des économies qui seraient faites en cas de suppression du Cifam. Je ne sais pas quelles seront les décisions prises par le Gouvernement. Nous sommes dans une phase de réflexion et d’arbitrage, le rapport est tout récent mais je crois que les défauts de ce système sont bien montrés.
Pour revenir à la question du rapport entre réservation de berceaux et tiers financeurs, j’étais ironique. Je dirais que la réservation de berceaux, c’est le quatrième tiers parce qu’avec la micro-crèche Paje, en réalité, on a couvert à peu près l’intégralité. On n’a pas besoin de tiers financeurs, c’est presque en plus de la réservation de berceaux. J’ai été surpris de constater que le rapport indique qu’il n’y a pas de surrentabilité de la micro-crèche Paje. Ils ont épluché de manière scrupuleuse les liasses fiscales. Je m’attendais à ce qu’ils trouvent des choses peut‑être plus choquantes en termes de surfinancement. Cela n’a pas été le cas.
Quand nous regardons la structure de financement, le système de réservation de berceaux apparaît luxueux, surtout subventionné sur fonds publics.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous pouvons envisager une évolution ou une disparition du Cifam sans pour autant toucher au système d’achat de berceaux par les entreprises, même si je suis assez convaincue que ce système crée des situations à multiples vitesses et qu’en réalité on a aujourd’hui des communes qui ne sont pas en capacité de suivre et qu’il est important de repositionner. Vous l’avez dit, en tant qu’autorité organisatrice du service public de la petite enfance, on leur confie des missions, je dirais, planificatrices. Je pense que repositionner aussi les communes comme l’accès à des solutions de mode de garde permettrait de s’inscrire dans cette création d’autorité organisatrice.
Les deux derniers points sur lesquels je souhaite vous interroger concernent les enjeux de qualité et la question des contrôles.
Aujourd’hui, d’après ce qui nous a été rapporté, les organismes de contrôle s’attachent davantage à des problématiques bâtimentaires et financières qu’à la réelle qualité d’accueil de l’enfant, au projet pédagogique, ainsi qu’au bien-être des personnels qui conditionne la qualité d’accueil. Il y a certainement un travail à mener pour faire évoluer les contrôles en intégrant cette dimension de la qualité d’accueil.
Je voulais savoir ce que vous pensiez de cette articulation entre le rôle des caisses d’allocations familiales et le rôle des PMI, en particulier à l’aune de l’expérimentation menée actuellement en Haute-Savoie, qui permet finalement à la Caf de se positionner comme le principal organisme de contrôle et qui permet a contrario à la PMI de jouer un rôle concentré sur la qualité d’accueil dans une logique d’accompagnement des gestionnaires et également d’accompagnement et de coopération vis-à-vis de l’aide à la parentalité.
Monsieur le Président en parlait tout à l’heure, je crois que cela permet aussi d’envisager les crèches comme un lieu de détection et un lieu de protection de situations de maltraitance qui peuvent intervenir dans les foyers, voire même de situations dont on peut considérer qu’elles appellent une aide particulière à la parentalité. Je voulais vous entendre sur le sujet de cette expérimentation.
Pour terminer, je voulais évoquer la PSU. Vous disiez qu’on a mis en place la tarification horaire de la PSU pour réussir à mieux remplir les crèches. Monsieur Martinet a fait remaruer, et nous sommes tous d’accord, que cela n’avait pas fonctionné. Pour autant, on continue d’avoir une PSU avec un taux horaire. Vous avez dit que pour compenser la volatilité des financements, on instaure des bonus. Nous ne comprenons pas toujours comment fonctionnent ces bonus, de quelle manière ils sont dimensionnés au regard des coûts qu’ils sont censés couvrir. Sur le terrain, nous avons constaté que des structures appelées à accueillir des enfants en situation de handicap ne voient pas leur surcoût couvert via le bonus handicap. Ce n’est pas suffisant.
Je ne vous cache pas que la question d’une simplification drastique du modèle me semble très importante pour sécuriser les gestionnaires, les personnels et leur permettre de se concentrer sur la qualité d’accueil. En érigeant aussi la commune comme autorité organisatrice du service public de la petite enfance, la puissance publique, dans son ensemble, pourra garder un œil sur ce qui se passe de façon beaucoup plus proche du terrain et au quotidien par l’intermédiaire des communes.
Que pensez-vous d’une forfaitisation à la demi-journée de la prestation de service unique ? Je pense qu’elle permet une sécurisation et ne pose pas de contraintes en termes d’occupation des places. On ne trouvera personne pour occuper la place et le berceau d’un enfant qui vient de 9 heures 30 à midi, et de la même manière en fin de journée. Cette approche qui consiste à établir un financement horaire en considérant qu’on va pouvoir remplir le berceau par exemple de 8 heures à 9 heures 30 ne fonctionne pas et ne correspond pas à la réalité. Si nous voulons créer des places, il convient absolument de sécuriser le fonctionnement. J’ai envie de dire que l’investissement intervient dans un second temps.
M. Jean-Benoît Dujol. J’ai déjà parlé de la qualité, je vais essayer de parler des contrôles. Je souscris complètement à ce que vous dites et cela me semble découler assez directement des conclusions du rapport de l’Igas. Les contrôles doivent s’intéresser à toutes les dimensions pertinentes de ce qui se passe au sein de l’établissement. Cela implique peut‑être la vérification du contrôle du référentiel bâtimentaire et la vérification des aides de la Caf. Pour autant, ce n’est pas suffisant. Je disais, peut-être de manière un peu simpliste, qu’il faut remettre l’enfant au centre, mais il faut aussi le placer dans le champ des contrôles. Il y a un projet d’établissement, il y a une politique d’établissement en matière de qualité de l’accueil, nous devons vérifier qu’elle répond à un certain nombre de référentiels et d’exigences.
Aujourd’hui, de fait, ce n’est pas exactement ce que nous voyons, aussi parce qu’il y avait une dispersion et un flou pour savoir qui était compétent, du moins en matière de contrôle. Vous vous rappelez sans doute du grave accident intervenu à Lyon avec cette auxiliaire de puériculture, cette professionnelle qui a commis un geste irréparable en direction d’un des enfants qu’elle gardait, dans des conditions sur lesquelles la justice se prononcera.
La Première ministre de l’époque, Mme Elisabeth Borne, a réagi de manière assez forte en juillet 2022 en adressant une circulaire et une demande d’information à l’ensemble des préfets, leur demandant de se tourner vers les présidents des conseils départementaux pour vérifier ce qu’ils faisaient en matière d’accueil. D’une manière un peu paradoxale, l’autorité, en matière de contrôle à l’époque, n’était pas le président du conseil départemental, mais la PMI, d’une part, et d’autre part, en dépit de difficultés qui pouvaient être remontées, ni le PCD ni la PMI n’avaient la faculté de fermer l’établissement. Seul le préfet pouvait le faire, alors que le préfet n’a pas de troupe pour contrôler ce qui se passe dans l’établissement d’accueil du jeune enfant.
Il y avait quand même un hiatus entre la responsabilité de contrôle et la capacité à prendre les mesures qui s’imposent, chose qu’on a voulu corriger dans le cadre de l’article 18 de la loi pour le plein emploi, en tout cas la partie relative au SPPE, en clarifiant la responsabilité en matière de contrôle. Ce n’est plus la PMI qui a la responsabilité de contrôle, c’est le président du conseil départemental, avec la plénitude de ses compétences. Je pense que cela favorise un contrôle un peu plus large, un spectre plus large de ce qui se passe dans l’établissement. On lui a donné la plénitude de capacité, c’est-à-dire qu’il peut en tirer toutes les conséquences qu’il veut, y compris la fermeture de l’établissement. S’il est le responsable de premier niveau, il reste une compétence de l’État, soit une compétence de second niveau, à savoir vérifier que le plan de contrôle est établi et exécuté par le PCD, et puis le cas échéant, si nécessaire, appuyer ou suppléer le PCD dans le contrôle. Aujourd’hui, les agents qui assurent le contrôle d’établissements d’accueil de jeunes enfants restent assez peu nombreux.
Nous avons réédité l’opération de juillet 2022 en septembre 2023, en lançant une enquête auprès des services départementaux de PMI, dans le cadre de l’instruction faite aux préfets, pour vérifier là aussi quelles étaient leurs appréciations des difficultés rencontrées. Ce ne sont pas des données exhaustives, nous ne pouvons pas en tirer des conséquences générales, mais cela a permis que les CDSF se réunissent sur la question du contrôle et d’identifier, de cartographier territoire par territoire, en tout cas pour les départements qui nous ont répondu, des établissements les plus à risque. Oui, la politique de contrôle doit évoluer et nous nous sommes dotés de nouveaux outils, à travers la loi de décembre 2023, pour le faire.
Nous avons beaucoup parlé de la PSU, mais vous remettez à juste titre l’accent sur son mode de fonctionnement, qui est évidemment perfectible et qui a reçu des objectifs un peu contraires.
La question de la forfaitisation se fait malgré tout un peu de facto avec les contrats qui sont imposés aux familles parce que derrière la forfaitisation, il faut quand même savoir ce que vont payer les familles. Deux objectifs accompagnaient le financement horaire à l’époque, c’était inciter le taux d’occupation et ne facturer aux familles que ce dont elles avaient besoin. Si vous laissez notamment votre enfant deux heures par jour, il est un peu regrettable de devoir payer l’intégralité de la facture. De mon point de vue, si l’on forfaitise un petit peu ou complètement, pour régler cette difficulté de la participation familiale, il sera compliqué d’expliquer aux gens qu’ils doivent payer au-delà du niveau de service qu’ils réclament.
Vous avez raison, l’objectif principal, qui était de permettre un remplissage plus important des crèches, n’a pas été complètement atteint, mais je n’ai pas les chiffres sous les yeux en matière de taux d’occupation. On réforme les aides de la PSU en général à l’occasion de chaque Cog. On vient de signer une Cog et je ne crois pas que l’on ait inscrit une révision drastique de son barème. Je comprends vos critiques, elles sont en partie fondées, me semble‑t-il. Peut-être devrait-on, en lien avec la DSS et la Cnaf, réfléchir à une opération de simplification qui permettrait d’être le pendant des mécanismes de gouvernance mis en place. Nous aurions à la fois un instrument de gouvernance rénové et un instrument de financement rénové. Nous l’avons puisque la nouvelle Cog signée juillet 2023 embarque des mesures très importantes, mais qui sans doute contribuent à complexifier les choses. Nous avons essayé de simplifier les bonus en les faisant converger en termes de montants. C’est déjà une marche vers la simplification. On accroît la quote-part des financements consacrés au socle versus l’activité. Ce sont déjà des mouvements à l’œuvre.
M. le président Thibault Bazin. Je vais suspendre la séance une dizaine de minutes. Monsieur Martinet interviendra à la reprise.
La séance est suspendue à onze heures quinze et reprise à onze heures trente.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Nous avons auditionné il y a quelques jours le président du fonds d’investissement Antin Infrastructure Partners. J’ai été très étonné de l’entendre nous expliquer assez doctement quelle allait être la nature des ouvertures de places dans le pays d’ici 2027, y compris avec des arguments très rationnels. Au vu du modèle économique des crèches et du fait que les collectivités territoriales ont dans ce modèle économique plus intérêt à acheter une place en crèche chez un opérateur privé plutôt que les ouvrir elles-mêmes, il estimait que d’ici 2027, 80 % des ouvertures se feraient avec des places privées. Je vous pose vous la question en tant que directeur d’administration. En tant que député, en tant que démocrate, il me semble que ce sont davantage les politiques et l’administration qui doivent faire la politique publique plutôt que les actionnaires des fonds d’investissement.
Avez-vous une feuille de route sur ces ouvertures de places d’ici 2027 ? Je rappelle que l’engagement se situe à hauteur de 100 000. Avez-vous une feuille de route sur la proportion de ces places qui seront ouvertes entre le public et le privé ?
M. Jean-Benoît Dujol. Je crois que l’on fête à peu près les vingt ans de l’ouverture des aides au secteur privé, c’était en 2004. Monsieur Jacob vous le dira mieux que moi en fin de journée. C’était un sujet compliqué et débattu.
Nous constatons que sur les créations nettes de places aujourd’hui sont largement tirées par le secteur commercial. Ce n’est pas 80 %, mais nous devons nous approcher des 50 % des créations nettes de places faites par le secteur commercial, notamment par les micro-crèches, Paje ou PSU. Nous sommes sur un secteur qui est plus dynamique que les autres. Sont-ils plus dynamiques parce qu’ils sont meilleurs ou parce que la réglementation leur est plus favorable ?
Le rapport que j’ai déjà évoqué sur les micro-crèches invite à la vigilance. Ce ne sont pas les grands groupes de crèches, assez peu brocardés dans le rapport, mais les micro‑crèches portées par des entrepreneurs individuels, pas spécialement du métier, avec des exigences de qualité pas totalement réunies et assumées, qui posent problème. En tout cas, c’est ce que je retiens de la lecture du rapport.
C’est lié à deux choses. D’abord, ce sont des dérogations en termes de taux et de qualité de l’encadrement. Nous devons réfléchir à revenir en partie sur ces dérogations. Non pas que cela donne un avantage indu, mais les garanties qu’il faudrait en matière de qualité ne sont pas apportées. Il y a la question du financement, Paje ou PSU, avec les effets pervers que j’ai évoqués sur la Paje. Cela ne suffit sans doute pas à disqualifier complètement le modèle, mais cela fait beaucoup contribuer les familles et la branche famille aussi, puisqu’elle paye la Paje. C’est un peu une entorse au modèle « pur et parfait » de la PSU.
Je pense qu’il faut regarder de près les conclusions du rapport et peut-être prendre des mesures, non pas de régulation, il ne s’agit pas de les freiner pour les freiner, mais prendre les mesures qui s’imposent pour s’assurer que cette contribution au développement du parc de places, que l’on souhaite et qui est nécessaire, se fasse dans des conditions de qualité suffisantes. Par exemple, avoir un simple référent technique non qualifié à la tête d’une crèche, même de petite taille, ne me paraît pas satisfaisant.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Ma question était quand même précise pour savoir si l’administration suit des objectifs en termes de proportions d’ouverture de places dans le secteur privé et public ou si vous n’avez pas d’objectifs en la matière.
M. Jean-Benoît Dujol. Nous avons des objectifs de créations de places, tous modes d’accueil confondus, à hauteur de 100 000 et 200 000 aux horizons 2027 et 2030. La Cog, jusqu’en 2027, laisse voir un objectif de places nettes de l’ordre de 35 000. Il n’y a pas d’objectifs et de répartition en fonction du type de places. On regarde parce qu’on est préoccupé et on essaie de suivre de près l’évolution du secteur et sa structure. On n’a pas d’animosité particulière contre le commercial, ni de faiblesse vis-à-vis du commercial. Il n’y a pas d’objectif par sous-catégorie. L’objectif est celui des créations de places. Je constate factuellement que dans le passé, c’est ce segment du marché qui a tiré les créations de places.
Ce n’est pas cela qui justifie qu’on sévisse contre eux. En revanche, on doit vérifier que les conditions qui entourent les enfants accueillis dans ces crèches sont satisfaisantes.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Sur la question des objectifs d’ouverture de places, même si j’entends votre réponse d’après laquelle vous n’avez pas d’objectif entre le public et le privé, j’imagine qu’on sera d’accord pour dire que le public, en grande partie, devra porter cet objectif d’ouverture de places. Les collectivités territoriales devront ouvrir des places en crèche si on veut tenir l’objectif annoncé par la ministre, qui est de 100 000 places ouvertes d’ici 2027.
Évidemment, la question consiste à savoir si les collectivités ont les moyens d’ouvrir ces places. Vous nous avez dit tout à l’heure que vous souteniez davantage les collectivités grâce à cette Cog qui propose davantage de moyens. On peut débattre, on l’a déjà fait, sur cette Cog, à quel point il y a plus de moyens et s’ils sont suffisants. Nous avons auditionné hier la direction de la sécurité sociale qui nous a également dit que la Cog offrait davantage de moyens, mais que les collectivités devaient quand même consentir un effort financier pour être en mesure d’ouvrir des places.
Dans un tel cas, d’où doit venir cet argent ? Les collectivités accéderont-elles à un financement supplémentaire pour ouvrir ces places ou bien devront-elles faire des arbitrages, c’est-à-dire des économies budgétaires sur certaines de leurs missions ? Si vous voyez une troisième option, n’hésitez pas à me le dire, mais j’ai l’impression quand même que tout se résume à ces deux options.
M. Jean-Benoît Dujol. Les collectivités pourraient augmenter les impôts locaux, mais ce n’est pas sûr que ce soit une bonne réponse à apporter. Ce n’est pas un sujet qui prête à sourire, je n’aurais peut-être pas dû faire cette plaisanterie.
On l’a dit tout à l’heure, le modèle de financement canonique, je ne parle pas des spécificités comme les micro-crèches Paje, c’est la PSU. Il y a un tiers financeur, qui a vocation me semble-t-il, à être la collectivité locale. Elle est devenue depuis décembre dernier l’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant, mais pas l’autorité de financement. Elle joue un rôle particulier d’information des familles, puis surtout de planification, de maintien et de développement de l’offre. Elle a un rôle à jouer, y compris financier.
Nous apportons plus d’argent pour assurer la compétence qui est celle de la branche famille, les fameux 66 % du coût de revient dans la limite du prix plafond, moins les participations familiales. C’est ce que nous faisons en plus. Le montant correspond quand même à 1,5 milliard d’euros de dépenses supplémentaires par an à échéance 2027 pour couvrir une série de coûts, notamment des créations de places nouvelles, mais aussi augmenter le taux de financement par place. Nous allons l’accroître. C’est le fameux bonus que nous brocardons depuis tout à l’heure. Nous augmentons le soutien aux augmentations salariales dans le secteur non commercial, ce qui me paraissait aussi indispensable compte tenu des conventions collectives signées.
L’État ne fait pas rien puisque j’évoquais les compétences nouvelles créées par la loi. L’État les compensera. Le circuit et le montant ne sont pas encore fixés. Les discussions sont en cours. Dès lors que les collectivités locales, les communes de plus de 3 500 et de plus de 10 000 habitants satisferont à leurs obligations, au même titre qu’on le ferait si on avait décentralisé une compétence, on mettra en place un mécanisme de compensation au sens constitutionnel du terme, même si là c’est une création.
Sous cette réserve, cela implique quand même un effort complémentaire des collectivités et c’est leur responsabilité de collectivités de trouver ces solutions.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Votre dernière phrase est assez lapidaire, mais résume quand même bien votre propos. Il revient donc aux collectivités de trouver l’argent.
M. Jean-Benoît Dujol. Oui, nous apportons 1,5 milliard d’euros par an sur la table, mais un principe de cofinancement est prévu. On peut décider d’y revenir, mais il faudra que l’État ou la sécurité sociale trouve ce complément de financement. Ce n’est pas ce qui est prévu sur l’échéance 2023-2027. Donc, oui, il revient aux collectivités locales qui, historiquement, financent les modes de garde de trouver les solutions. Je n’ai pas d’autres solutions à proposer.
M. le président Thibault Bazin. Nous ne constatons pas ce fameux taux de 66 % toujours mis en avant. Les collectivités sont aujourd’hui en difficulté, parfois avec des capacités d’autofinancement limitées, voire parfois souvent éligibles au fonds national de garantie des ressources pour les collectivités qui bénéficient des fonds de péréquation. Certaines ne savent pas comment résoudre l’équation, y compris de la revalorisation portée en théorie à 66 %.
M. Martinet a d’ailleurs évoqué hier la question de la dynamique avec l’évolution du Smic. Nous sommes sur la revalorisation, mais il faut aussi mentionner les autres évolutions qui vont arriver d’ici 2027. Si aujourd’hui, ils ne sont pas à 66 % et que leur tiers financement avec tous les frais cachés est beaucoup plus important, nous ferons face à un problème d’équation à la fois pour la pérennité et le développement. Je vous alerte vraiment, parce qu’on l’a entendu dans notre commission d’enquête, sur le modèle économique de nos structures publiques et de nos structures privées à but non lucratif. À travers nos auditions, nous constatons bien un écart entre la théorie et la pratique Je ne sais pas si la Cnaf vous le dit, ce qui ne veut pas dire que la Cnaf ne finance rien, mais en tout cas, elle ne finance pas à hauteur du taux imaginé. Le reste à charge pour le tiers financeur est plus important que ce qui est sur le papier.
M. Jean-Benoît Dujol. Cette enveloppe de 1,5 milliard intègre deux mesures qui me semblent contribuer au maintien du taux tel qu’il est, peut-être pas de 66 % en pratique compte tenu du périmètre sur lequel on le regarde. C’est une revalorisation dynamique des prix plafond, parce que nous parlons de 66 % du prix plafond. Cela évite une érosion tendancielle liée à une évolution différenciée du prix de revient réel et du prix plafond. On va revaloriser beaucoup plus que sur la Cog précédente le prix plafond. On met en place pour le secteur commercial, mais aussi pour les collectivités locales, un bonus d’attractivité.
M. le président Thibault Bazin. Oui, mais l’inflation constatée en 2023 et 2024 n’est pas celle de 2019.
M. Jean-Benoît Dujol. Tout à fait.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie. Si vos réponses apportées vous semblaient erronées ou incomplètes et que vous souhaitiez y apporter des correctifs, vous avez l’obligation de le faire dans les heures qui viennent.
La séance est levée à onze heures trente.
Présents. – M. Thibault Bazin, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli