Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de représentants du fonds d’investissement TowerBrook : M. Karim Saddi et M. Daniel Bernard 2
Lundi 29 avril 2024
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 51
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à dix-sept heures sept.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants du fonds d’investissement TowerBrook : M. Karim Saddi, directeur général de TowerBrook, et M. Daniel Bernard.
M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous poursuivons nos auditions en accueillant aujourd’hui M. Karim Saddi, directeur général de TowerBrook, et M. Daniel Bernard, représentants de TowerBrook au conseil d’administration de La Maison Bleue.
Depuis le 20 mars, nous avons eu l’opportunité d’auditionner les dirigeants des grands groupes privés français, gestionnaires de crèches. Nous avons approfondi ces discussions en rencontrant les fondateurs de ces groupes, puis en écoutant plusieurs fonds d’investissement actifs dans le secteur. Nous concluons cette série d’auditions avec vous. TowerBrook a pris une participation dans le capital de la Maison Bleue en 2016, en même temps que Bpifrance, que nous avons également auditionné au début du mois d’avril.
Nous attendons de vous des éclaircissements sur la logique qui a guidé votre décision d’investir dans le secteur des crèches et la façon dont vous assurez le suivi de cet investissement. Je vous propose de concentrer votre propos liminaire sur des éléments factuels. Les questions de Mme la rapporteure et celles des députés membres de la commission suivront pour enrichir nos échanges. L’audition est diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Karim Saddi et M. Daniel Bernard prêtent successivement serment.)
M. Karim Saddi, directeur général de TowerBrook. Je vous remercie de nous avoir conviés à cette audition. Je suis Karim Saadi, directeur général de Towerbrook, accompagné de M. Bernard, notre senior advisor.
Towerbrook, fondé il y a un peu plus de 24 ans, est un fonds qui s’est rapidement spécialisé dans l’accompagnement d’entrepreneurs et d’équipes de direction ayant des projets de développement qualitatifs. Nous investissons principalement aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, avec une attention particulière pour la France.
Notre participation minoritaire au sein du groupe La Maison Bleue est l’une des raisons de notre présence aujourd’hui. Nous soutenons également d’autres entreprises françaises en développement, comme OVH, leader du cloud européen en pointe dans le domaine du cloud de confiance et de la sécurisation des données souveraines, et Sabena Technics, acteur reconnu dans la maintenance aéronautique en Europe.
Towerbrook est une entreprise à mission, engagée à soutenir des projets à impact dans de nombreux secteurs qui correspondent à nos valeurs. Nous sommes fiers d’être un des premiers fonds certifiés B Corp, une certification reconnue mondialement pour la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) des entreprises. Nous avons également un fonds impact dédié, concentré sur des problématiques « planète », comme l’économie circulaire ou la décarbonation, et des problématiques « people », comme l’éducation, la formation ou l’accès au financement des classes défavorisées.
Les fonds que nous gérons proviennent principalement de fonds de retraite de différentes parties du monde qui apprécient notre gestion financière et responsable, mais aussi l’importance que nous accordons à l’engagement qualitatif à fort impact sociétal et environnemental. Nous sommes des généralistes et notre fonds a acquis une réputation d’accompagnateur de qualité pour les fondateurs et fondatrices dans tous les secteurs compatibles avec nos valeurs. Nous n’intervenons pas dans les opérations des sociétés, mais apportons notre expertise et notre expérience, avec respect et bienveillance, dans le cadre du conseil d’administration.
Il y a huit ans, nous avons été approchés dans ce cadre par M. Sylvain Forestier et Bpifrance pour compléter un tour de table visant à soutenir la Maison Bleue dans sa mission de développement, qui consistait à répondre à un besoin sociétal de service aux familles en créant des places de crèches qui accueillent des milliers d’enfants chaque jour. Nous avions déjà travaillé avec Bpifrance, qui connaît et apprécie notre approche responsable, à travers nos investissements dans OVH et Sabena Technics.
À l’époque, nous avions étudié le dossier sérieusement et apprécié l’approche qualitative du projet autour de l’accueil du jeune enfant ainsi que l’importance du partenariat privé-public. La crèche répond pour nous à un besoin sociétal essentiel. C’est pourquoi nous avons décidé et continuons depuis huit ans d’être des compagnons de route fidèles à La Maison Bleue.
Notre objectif est de soutenir La Maison Bleue, pour offrir des services de garde d’enfants de qualité, tout en favorisant son expansion. Je tiens à préciser que TowerBrook ne touche pas et n’a pas touché de dividendes de la part de La Maison Bleue depuis son entrée au capital. Notre modèle financier est d’acheter des parts dans des entreprises qui répondent à un besoin, de les aider à grandir qualitativement et, si c’est possible, de revendre ces parts après avoir accompli cet objectif de croissance qualitative.
Notre ambition est de tout faire pour rendre possible la fourniture d’une offre de qualité en matière d’accueil du jeune enfant et de favoriser l’expansion de la Maison Bleue pour répondre à cette demande.
M. le président Thibault Bazin. Votre entrée au capital de La Maison Bleue remonte à huit ans. On nous a souvent mentionné un horizon de sept ans pour les fonds. Sans entrer dans le détail des notions telles que le taux de rendement interne (TRI), quelle échéance vous fixez-vous ? J’ai bien compris que la pandémie de covid-19 avait prolongé ce délai. Préparez-vous votre départ ? Ou envisagez-vous un horizon bien plus lointain ?
Il me semble que le fonds que vous avez créé comprend d’autres activités. Généralement, la phase d’investissement a lieu durant les premières années, suivie d’une phase de désinvestissement sur plusieurs années. En conséquence, quelles échéances vous fixez-vous et quels sont vos objectifs dans un modèle contraint où il est nécessaire de réinvestir dans la qualité ? Cela pourrait en effet vous conduire potentiellement à diminuer le résultat pour assurer cette qualité, mais peut-être s’agit-il de créer une valeur plus importante ? Ma deuxième question concerne le fonds certifié dont vous avez parlé. Peut-on le qualifier de fonds éthique ?
M. Karim Saddi. Pour répondre à votre première question, cela fait effectivement huit ans que nous sommes impliqués dans ce projet. Nous sommes satisfaits de la gestion actuelle. En comparant notre point de départ à la situation actuelle, nous sommes assez fiers des réalisations de La Maison Bleue, de son fondateur et de son équipe de direction. Ils ont notre confiance, le projet se développe bien et nous n’avons aucune inquiétude à ce jour. Tant que le projet continue de croître en qualité et financièrement, nous n’avons pas de préoccupation majeure.
Nous avons la capacité de rester investis sur le long terme, comme en témoigne notre participation minoritaire dans la société OVH, qui est pourtant cotée en bourse et dont nous aurions pu nous retirer. Nous sommes reconnus pour notre capacité à accompagner durablement les projets. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’échéance particulière concernant La Maison Bleue. Étant minoritaires, cette échéance ne nous appartient pas. Elle appartient à son fondateur qui décidera du prochain tour de table quand il le jugera opportun.
M. le président Thibault Bazin. Concernant la question du modèle économique, qui est au cœur des préoccupations de notre commission, il est à noter que ce modèle est la propriété de la Maison Bleue. Ils ont sollicité votre expertise pour assurer le développement et la pérennité de leur modèle, mais la décision de la participation de TowerBrook au capital leur appartiendrait ? TowerBrook n’a pas de possibilité de sortir du capital de La Maison Bleue ?
M. Karim Saddi. Dans le cadre du pacte, je crois que nous devons être capables à un moment ou à un autre de demander une sortie. Toutefois, nous n’avons pas la volonté à ce stade de sortir du capital.
M. le président Thibault Bazin. Revenons sur la notion de fonds éthique. Lors de votre introduction, vous avez mis l’accent sur la recherche de qualité, en mettant l’humain au centre de vos préoccupations. C’est un point sur lequel nous devons nous interroger. Il est évident que le secteur a besoin de financement, mais il est également clair que les intentions des fonds peuvent varier. Nous avons constaté, lors de l’audition de Bpifrance, que leurs raisonnements étaient similaires aux vôtres. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi de rester ?
M. Karim Saddi. Il est certain que nous partageons certaines valeurs avec la Bpifrance, qui a pour mission d’agir de manière responsable pour l’économie française. Quant à la définition d’un fonds éthique, je ne peux pas la donner précisément. Cependant, je peux affirmer que nous sommes un « fonds à valeurs ». Depuis la création de Tower Brook, nous nous sommes construits autour de deux concepts : la valeur et les valeurs. Cela signifie que nous devons être capables de générer de la valeur dans notre économie tout en respectant des valeurs éthiques. Ces deux notions ne sont pas nécessairement opposées ; elles doivent être compatibles et peuvent même s’additionner.
C’est un discours et une réalité que nous nous efforçons de mettre en œuvre depuis longtemps. C’est la raison pour laquelle vous ne nous trouverez pas dans certains secteurs. Nous sélectionnons soigneusement nos secteurs d’investissement, ainsi que les entrepreneurs et les projets que nous soutenons. Ils doivent être de qualité, responsables, et apporter une valeur ajoutée au-delà de la simple valeur économique.
M. Daniel Bernard. B Corp signifie « investissement responsable » dans le cadre de la RSE. Cela recouvre donc la notion d’éthique.
M. le président Thibault Bazin. Nous nous interrogeons sur le modèle économique des crèches qui, d’une certaine manière, ont fait appel à des fonds. La question se pose de savoir si ces fonds percutent le modèle en le rendant moins vertueux, avec des risques supplémentaires, ou s’ils apportent des garanties supplémentaires et constituent une forme de solution.
M. Daniel Bernard. Je souhaite aborder le cycle général d’une entreprise. Un entrepreneur crée une entreprise et la développe. Si le concept est solide et que les premières équipes sont efficaces, l’entreprise prospère. Cependant, elle peut atteindre un plafond, limitée par un manque de ressources financières et d’accompagnement. C’est ce qui est arrivé à la Maison Bleue, qui a bénéficié d’un premier fonds avant notre intervention. Ce fonds, avec le temps, avait des capacités limitées. C’est pourquoi La Maison Bleue a sollicité BPIFrance et TowerBrook pour obtenir des ressources financières supplémentaires et bénéficier de notre expertise et expérience.
Par exemple, nous avons contribué à mettre en place une gouvernance efficace, comme c’est le cas à La Maison Bleue. Nous avons également partagé notre expérience en matière de transition entre différentes phases de développement. En effet, chaque phase nécessite une adaptation des structures et des outils. Nous offrons également des conseils gratuits à nos entreprises, notamment sur le choix des outils informatiques, l’interaction avec les familles ou sur la RSE, ainsi que sur le développement à l’international.
Lorsque nous sommes intervenus, La Maison Bleue comptait 190 crèches. Aujourd’hui, elle en compte 400 en France et 200 à l’étranger. Le cercle vertueux consiste à avoir un bon concept, à le transformer en une entreprise prospère, à obtenir les moyens de se développer pour devenir une référence qualitative et, si possible, un leader. Par exemple, OVH est devenu le leader du cloud souverain en Europe, et sa valorisation en est le fruit.
Mme Sarah Tanzili, rapporteure. Nous sommes ravis de vous accueillir aujourd’hui. Vous êtes le dernier fonds d’investissement que nous auditionnons dans le cadre de cette commission d’enquête. Notre objectif est d’interroger le modèle économique des crèches. Nous nous demandons donc si la présence de fonds d’investissement dans ce secteur est une force ou une faiblesse pour les acteurs du secteur.
Nous aimerions comprendre vos motivations pour investir dans le secteur des crèches. D’après vos déclarations préliminaires et les auditions précédentes, il semble que votre objectif n’est pas une rentabilité à court terme ou de percevoir des dividendes annuels. Vous semblez vouloir contribuer au développement et à la croissance du groupe, afin de valoriser votre investissement lorsque vous vous retirerez du capital de La Maison Bleue.
Il semble y avoir une dimension éthique dans vos choix d’investissement. Cependant, nous supposons que les fonds de retraite qui investissent dans votre fonds attendent non seulement une certaine éthique, mais aussi un certain niveau de rentabilité. Ma deuxième question concerne donc vos attentes en termes de rentabilité. Nous comprenons que vous n’êtes pas pressés et que vous accompagnez le groupe lorsqu’il se porte bien. Cependant, nous supposons que vos investisseurs ont aussi certaines exigences. Nous aimerions comprendre comment vous gérez ces exigences en tant qu’actionnaire de La Maison Bleue, compte tenu des attentes des fonds de retraite présents au capital de votre fonds.
M. Karim Saddi. Lors de mon intervention initiale, j’ai souligné l’importance de notre rôle en tant que généralistes. À l’époque, nous n’avons pas été sollicités en tant que spécialistes de la petite enfance, mais en tant qu’experts dans l’accompagnement minoritaire bienveillant. C’est ce qui a attiré ce projet vers nous. Peut-être existait-il d’autres options, mais c’est ainsi que nous avons été approchés par La Maison Bleue.
Notre mission, une fois le projet en main, consiste à analyser le dossier pour vérifier s’il répond à nos critères spécifiques. Chaque fonds d’investissement a sa propre stratégie, et nous devons nous assurer que le projet est en adéquation avec la nôtre, y compris nos valeurs.
Nous avons audité le plan du fondateur et de l’équipe pour vérifier la cohérence financière, pour déterminer si le projet pouvait nous rendre fiers, s’il reposait sur un développement qualitatif, et s’il apportait une contribution à la société française. Nous devons analyser tout cela indépendamment et en complément des chiffres. Si le dossier ne correspond pas, nous l’abandonnons. Heureusement, nous avons le choix. Une fois que nous avons choisi un projet, nous le menons avec fierté. Nous nous efforçons d’être de bons membres au conseil d’administration pour accomplir la mission qui nous a été confiée.
Environ 60 % des fonds qui nous sont confiés proviennent de fonds de retraite publics, notamment ceux des fonctionnaires : des professeurs, des pompiers, des policiers et autres. Environ 15 % proviennent de fonds étatiques et 5 % de fonds de pension d’entreprise. Tous ces investisseurs nous confient leur argent pour que nous en assurions la gestion. Ils n’ont aucun droit de gestion sur ces fonds, ils nous font confiance pour le faire.
Chaque investissement que nous réalisons dans un fonds a une vie complètement différente, sans aucune corrélation. Certains investissements peuvent être réalisés plus ou moins rapidement, en quatre à six ans, d’autres plus lentement. Le principe qui nous guide est d’agir correctement et au bon moment. Il ne s’agit pas de décider de sortir au moment où ce n’est pas opportun pour la société dans laquelle nous avons investi.
Nous investissons généralement pour une phase de développement et nous sortons lorsque la prochaine phase doit commencer et qu’un autre acteur doit prendre le relais. La raison pour laquelle nous sommes encore investisseurs de La Maison Bleue est que, d’une part, la crise du covid-19 a duré deux à trois ans, et d’autre part, nous sommes encore en pleine phase. En effet, la phase que nous avons voulu écrire à l’époque n’est pas encore terminée.
Nous sommes connus pour investir plusieurs fois dans le même projet au fil du temps. Nous avons investi dans la Maison Bleue quand la société nous a sollicités. Si demain La Maison Bleue nous demande de réinvestir dans la société, nous le ferons. Nous avons donné cette garantie à M. Forestier : s’il avait besoin d’investissements supplémentaires cette année pour continuer à développer le groupe, nous le ferions. Nous avons d’ailleurs approuvé cet investissement il y a deux semaines.
M. le président Thibault Bazin. Vous êtes un véritable fonds partenaire. Nous avons compris, en observant d’autres fonds, que certains portefeuilles créés ont des durées définies, malgré la présence de plusieurs horizons temporels. Ces horizons s’appliquent tant aux levées de fonds initiales qu’aux sorties ultérieures.
M. Karim Saddi. C’est plus compliqué que cela, mais même pour eux, je pense que la réponse est plus particulière. En général, il y a toujours une durée recommandée, qui peut varier selon les fonds : 10 ans, 12 ans ou 14 ans.
Pour notre part, nous n’avons aucune obligation à respecter en la matière. Par ailleurs, vous pouvez demander une autorisation à vos investisseurs pour prolonger la durée de l’investissement, ce que vous obtenez en général systématiquement, s’il n’est pas dans leur intérêt de sortir du capital à un moment donné.
Mme Sarah Tanzili, rapporteure. Vous avez indiqué que c’est le président fondateur qui décide lorsqu’il souhaite effectuer un nouveau tour de table, et donc lorsque le fonds doit se retirer. Je souhaite revenir sur ce point, car il me semble que vous avez également votre propre agenda et vos propres contraintes. J’ai bien compris que, dans l’idéal, tout se passe bien. Si vous en exprimez le besoin, vous demandez un allongement de la durée à vos investisseurs, et normalement, on vous accorde le droit de maintenir votre présence au capital au-delà de la durée initialement prévue. Mais que se passe-t-il si la situation ne se déroule pas comme prévu ? Que se passe-t-il si demain, des difficultés surviennent au sein de la Maison Bleue ? Comment vous positionnez-vous face à cette éventualité ? Je vous pose cette question, car vous n’êtes pas sans savoir que certains acteurs rencontrent des difficultés. Cette question n’est donc pas purement théorique, elle peut se poser concrètement.
M. Daniel Bernard. Notre métier consiste à établir un cercle vertueux chaque fois que nous pouvons le faire. À La Maison Bleue, une entreprise florissante a été fondée par un pionnier du secteur. Il était l’un des premiers à avoir une gestion efficace, et a su constituer une équipe solide autour de lui. Cela nous a toujours rassurés. Aujourd’hui, la Maison Bleue dispose d’une bonne équipe de direction, avec une directrice générale très professionnelle, et un président fondateur qui détient la majorité du contrôle. C’est un homme très sérieux.
Nous avons une gouvernance harmonieuse, où tout est discuté au conseil d’administration en toute transparence, avec une confiance réciproque. Si un problème devait survenir, nous savons que nous le résoudrons ensemble, et non individuellement. L’entreprise est bien gérée et nous n’avons pas de défaut de dettes. Vous pensez peut-être au cas de l’un de nos confrères, que nous ne commenterons pas, mais je peux vous assurer que cela ne peut pas arriver chez nous. Nous sommes des investisseurs, pas un fonds de dettes. Il n’y a donc aucune raison pour que cela se produise. Lorsqu’il y a eu des déclarations, nous avons joué notre rôle, c’est-à-dire que nous avons posé des questions, défié, examiné ensemble, validé, amélioré. Il n’y a aucune raison pour que ce qui est arrivé récemment à l’un de nos confrères survienne chez nous.
Mme Sarah Tanzili, rapporteure. Dans votre réponse, vous mentionnez qu’il peut vous arriver de vous questionner lorsque vous avez des doutes. Comme vous le savez, le secteur des crèches privées a été particulièrement critiqué l’automne dernier pour des problèmes de dégradation de la qualité d’accueil, voire de situations de maltraitance.
Je ne porte pas de jugement sur les informations qui ont été rendues publiques à cette occasion, mais je suppose que lorsque l’on est actionnaire d’un groupe privé de crèches, et plus encore lorsque l’on assure un accompagnement minoritaire bienveillant avec une certaine éthique dans l’investissement que l’on réalise, cela interpelle. Comment avez-vous réagi par rapport à cette situation ? Comment, en tant qu’actionnaire minoritaire, avez-vous une certaine visibilité sur la qualité d’accueil dans les établissements de la Maison Bleue ? Si j’ai bien compris, au début de l’investissement, vous réalisez un audit qualitatif, mais en même temps, vous nous dites que vous n’intervenez pas – et je le comprends parfaitement puisque ce n’est pas le rôle du conseil d’administration en tant que tel – dans la gestion quotidienne des structures d’accueil pour jeunes enfants. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces questions de qualité d’accueil, sachant que – et je suppose que vous n’êtes pas sans le savoir puisque j’en ai parlé à la direction de la Maison Bleue – j’ai moi-même constaté qu’il y avait des problèmes dans une crèche de ma circonscription, avec même des décisions de justice qui ont été rendues en référé par les prud’hommes et qui étaient assez sévères sur des sujets graves. Comment évaluez-vous tout cela ?
M. Daniel Bernard. Pour répondre à votre question, je vais d’abord aborder la question de la qualité. Accueillir 20 000 enfants chaque jour nécessite de placer la qualité au centre de toutes nos stratégies et politiques. A la suite des articles de presse et du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), le conseil d’administration a demandé un rapport complet à la direction générale sur les politiques et leur mise en œuvre, afin d’évaluer la nécessité de procéder à des modifications ou des ajouts.
Nous gérons 400 crèches et accueillons 20 000 enfants quotidiennement, ce qui implique une grande délégation et de nombreux lieux différents. Il est donc essentiel d’avoir des politiques et des procédures précises, allant au-delà de la réglementation déjà très complète. Nous avons adopté comme vous le savez la certification Veritas, une procédure extrêmement rigoureuse, avec des contrôles constants, une revalidation annuelle et un renouvellement du processus pour chaque crèche tous les trois ans.
Nous avons également mis en place le programme Qualité 2024, qui prévoit une revalorisation des salaires, l’embauche de personnels supplémentaires et la nomination d’adjointes de direction pour libérer les directrices de crèche de certaines tâches administratives et leur permettre de se consacrer aux enfants.
Nous avons un centre de formation accrédité Qualiopi, pour la formation continue de notre personnel. Nous avons créé un comité qualité et avons entamé le processus pour déclarer la Maison Bleue comme une entreprise à mission. Nous avons également décidé de régionaliser les directions quelques années auparavant pour être plus proches du terrain. Cela nous permet de déléguer l’exercice du métier au plus près des directrices de crèche, tout en nous centralisant le back-office à Paris.
Malheureusement, le risque zéro n’existe pas. Nous avons eu un accident dramatique dans une crèche à Montrouge où un petit garçon s’est coupé un doigt. Nous reconnaissons notre erreur. Nous avions des chariots homologués, mais certaines directrices ont opté pour d’autres chariots pour contourner des difficultés à surmonter certains obstacles, ce qui a occasionné cet accident. Nous sommes en contact avec la famille. Nous avons une hotline pour signaler tout incident, qu’il concerne les enfants ou le personnel. Chaque incident est traité et répercuté pour assurer la cohérence et la cohésion dans tout notre réseau. Nous devons parfois prendre des sanctions lorsque nos procédures sont mal appliquées.
Enfin, concernant la crèche de votre région, il s’agit d’une reprise de délégation de service public (DSP) et c’est Mme Claire Laot qui gère directement le dossier. Elle pourra vous fournir plus de détails.
En conclusion, il s’agit d’un métier complexe et exigeant, mais nous nous efforçons de faire de notre mieux. Il existe un véritable enjeu de formation interne pour faire monter en compétences nos personnels. Par exemple, 90 % de nos adjointes de direction sont issues de notre promotion interne après formation. Par ailleurs, nous menons des enquêtes qualité et avons recueilli un taux de satisfaction de 96 % auprès des familles. Nous n’avons jamais connu d’accident plus grave que celui de la crèche de Montrouge. Nous faisons tout notre possible pour que cela ne se reproduise pas.
M. le président Thibault Bazin. Nous nous trouvons à un point de réflexion sur le modèle économique, où l’investissement dans la qualité est primordial. Vous avez mentionné le sujet des ressources humaines, ainsi que celui de la qualité, en évoquant les conditions d’accueil, tant sur le plan immobilier que sur le plan des ressources humaines. Actuellement, considérant que vous êtes prêts à maintenir votre position et même à réinvestir si nécessaire, quelle est votre opinion sur l’équilibre du modèle économique et son lien avec la qualité de l’accueil en crèche ? C’est une question fondamentale qui nous est posée en tant que représentants de la nation.
Le modèle que nous avons conçu pour ce service public, qui peut être géré par une collectivité, une entreprise ou une association à but non lucratif, est-il adapté avec le système de tiers financeur actuel ? Vous avez un certain nombre de DSP : ce modèle, avec cette équation de la qualité, est-il adapté ou doit-il être adapté ? À quel moment un fonds peut-il être un problème ou une solution dans ce modèle ? Selon vous, quelles sont les conditions pour qu’un fonds soit une solution et quels sont les risques pour qu’il devienne un problème ?
M. Karim Saddi. C’est une question très importante, qui me semble être le cœur du sujet de cette commission. La réponse ne peut être que complexe.
M. le président Thibault Bazin. Pourriez-vous nous éclairer sur la manière dont le fonds peut influencer positivement ou négativement ce modèle ? Je présume que vous ne mentionnerez pas d’impact négatif, mais votre expertise dans ce métier vous permet certainement de comprendre que des conséquences négatives peuvent survenir lors des prises de décision.
M. Karim Saddi. Nous croyons fermement aux bienfaits des partenariats public-privé, comme en témoigne notre investissement dans La Maison Bleue. Ces partenariats sont souvent fructueux, notamment dans de nombreux secteurs stratégiques où l’État fait le choix de s’engager. Pour La Maison Bleue, nous sommes convaincus de sa réussite, bien que nous ne puissions comparer avec d’autres sociétés de crèche.
La Maison Bleue est un champion de la DSP, ce qui a retenu notre attention. Cette distinction impose de maintenir un haut niveau d’exigence. Cependant, nous avons également pris en compte les valeurs du fondateur de la société, ainsi que ses objectifs, notamment sur le plan moral. Son engagement dans cette aventure est fondamental, tout comme le rôle du fonds d’investissement.
Le succès de La Maison Bleue repose sur un triptyque remarquable : un fondateur engagé et convaincu de sa mission, une équipe de direction déterminée à incarner une gestion responsable et l’ambition de devenir une référence dans le secteur. Ces éléments sont régulièrement discutés au conseil d’administration, où les notions de réputation et de référence sont essentielles.
Dans le cadre de La Maison Bleue, nous estimons donc que le partenariat public-privé fonctionne bien. Cependant, cela ne signifie pas que cela sera toujours le cas. Le succès dépend de la qualité et de la motivation du fondateur, ainsi que du fonds d’investissement.
Pour les partenariats publics-privés, il est essentiel d’établir une réglementation stricte et claire. Les règles doivent définir le niveau minimum de services à fournir, comme le nombre de personnels par berceau. Les contrôles adoptés par la Maison Bleue, tels que la certification et la mise en place d’une hotline, peuvent également servir de référence pour le secteur.
Le rôle de l’État est de veiller à établir des règles très claires, afin d’éviter l’entrée d’acteurs dans ce secteur en dehors des normes établies. Une fois les règles en place, les fondateurs et les capitaux privés peuvent apporter leur expertise, qui peut être très efficace, à condition que les règles soient clairement définies.
M. Daniel Bernard. Compte tenu de l’ampleur des besoins, le partenariat public-privé représente une solution pertinente. Évidemment, vous posez la question des conséquences d’une intervention du secteur privé par rapport à la qualité.
M. le président Thibault Bazin. Il s’agit également de la question du fonds d’investissement par rapport. Le modèle public-privé avec une DSP n’implique pas nécessairement l’intervention de fonds, mais dans notre compréhension du modèle, des fonds ont été mobilisés à un certain stade pour le développement de la société. La question centrale reste celle du lien entre le financement et la qualité. Il a été exprimé que le niveau d’autonomie des structures pouvait varier et que plus une structure est grande, plus le degré de supervision par rapport aux problématiques de qualité pouvait se diluer.
M. Daniel Bernard. Vous avez parfaitement raison. Je soutiens fermement l’idée que la qualité est un prérequis indispensable pour la pérennité d’une entreprise de crèche. Sans elle, il est impossible d’assurer une durabilité. En ce qui concerne le partenariat public-privé, nous sommes de véritables experts en DSP. Cette approche a prouvé son efficacité, comme en témoigne la durabilité de nos contrats. Si nous exerçons ce métier, c’est avec l’objectif d’atteindre une qualité absolue et une constante recherche d’amélioration. Si ces critères ne sont pas respectés, alors il vaut mieux ne pas s’engager dans cette voie, car l’échec est assuré.
M. le président Thibault Bazin. La question ne se résume pas à savoir s’il faut opter pour une DSP ou non. Nous avons déjà abordé la question des critères lors d’autres auditions. Le véritable enjeu réside dans le rôle d’un fonds d’investissement dans un modèle économique. Nous avons bien saisi que le secteur public fait parfois appel au privé, et que ce dernier devient un partenaire du public. Dans certains cas, des crèches, y compris les vôtres, interviennent dans le cadre d’une DSP totale. Parfois, plus de la moitié des berceaux sont réservées par des administrations publiques. Cependant, ce n’est pas le cœur de la question.
Mon interrogation porte sur l’impact d’un fonds d’investissement supplémentaire sur le modèle économique. Dans quelles conditions cet impact peut-il ou doit-il être positif ? Vous avez évoqué les règles du jeu et les normes, mais il existe aussi des règles spécifiques aux crèches qui ne sont pas directement liées à ce que vous, en tant que fonds d’investissement, pouvez exiger.
M. Daniel Bernard. Pour répondre à votre question simplement, parce qu’elle était simple au départ, considérons-nous que nous sommes plutôt un problème ou une solution ? Selon notre expérience, nous sommes plutôt une solution.
M. le président Thibault Bazin. Vous ne pouvez pas dire le contraire, mais vous ne m’avez pas expliqué dans quel contexte.
M. Daniel Bernard. C’est une réalité que nous observons dans nombre de nos investissements. La création de valeur ne peut se limiter à une simple réduction des coûts. Notre vision est de créer de la valeur par la qualité, en développant une entreprise qui devient, idéalement, une référence dans son domaine. Une entreprise qui se développe de manière harmonieuse, qui n’est pas surchargée de dettes, qui s’adapte progressivement à son management en fonction des phases de croissance ou de l’expansion à l’international, voilà ce qui constitue une belle entreprise. C’est cette qualité qui va valoriser l’entreprise. Nous ne pouvons pas envisager qu’une entreprise soit moins performante en termes de service client ou de qualité simplement parce qu’elle est financée par un fonds d’investissement. Je crois que nous sommes aussi exigeants que si nous étions la puissance publique.
M. le président Thibault Bazin. La question fondamentale qui nous préoccupe concerne la place des fonds dans le modèle de l’entreprise. Je comprends votre position, toutefois, elle semble être davantage celle d’un administrateur que d’un observateur extérieur. En tant qu’ambassadeur de l’entreprise, vous défendez bien sûr ses intérêts. Nous cherchons à déterminer si les problèmes de qualité deviennent plus prégnants lorsqu’un fonds est impliqué. La question qui se pose alors est la suivante : est-il possible de maintenir la qualité et la pérennité du modèle d’entreprise lorsque des fonds sont en jeu ?
Mme Sarah Tanzili, rapporteure. Pour compléter, peut-on avoir une solution d’un groupe privé qui se développe sans fonds d’investissement ?
M. Karim Saddi. Je suis convaincu que les fonds privés d’importance, ayant levé des capitaux auprès de fonds de retraite internationaux, sont soumis à un audit rigoureux. Ces fonds de retraite, exigeants par nature, effectuent un travail d’audit rigoureux. Ils valorisent fortement les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la responsabilité et la qualité, plus qu’on ne le croit généralement.
Les fonds quasi institutionnels, comme le nôtre, qui ont des obligations institutionnelles envers des tiers, sont généralement un gage de qualité. Cela est particulièrement vrai si, à terme, ils souhaitent valoriser leur investissement. Lors du prochain tour de table, des audits seront effectués pour vérifier si des incidents ont eu lieu, si une commission d’enquête a émis des réserves, ou si la réglementation a été respectée. Ces informations sont révélées lors des audits d’un repreneur ou d’un nouveau fonds, qui sont généralement très précis. Ils mènent des enquêtes de satisfaction et des enquêtes auprès des clients, donc tout cela est visible.
C’est normalement un cercle vertueux où, même si les valeurs du fonds ne sont pas profondément ancrées, ce qui n’est pas le cas chez nous, un fonds axé sur la valeur financière chercherait quoi qu’il en soit à piloter son investissement pour préserver l’intérêt de la valeur financière. Je considère cela comme un point positif plutôt que négatif.
M. le président Thibault Bazin. Vous considérez qu’à long terme, l’investissement sur les coûts qualitatifs crée de la valeur.
M. Karim Saddi. Il est possible de prendre des mesures irrationnelles à court terme, mais leurs conséquences ne tarderont pas à se manifester. Ces actions, bien que temporaires, ne passent pas inaperçues. Le successeur, s’il est professionnel, remarquera ces actions et comprendra que vous avez engagé des dépenses inutiles ou réalisé des « coups d’accordéon » qui ne respectent pas les normes de qualité. Ces actions auront inévitablement un impact.
M. le président Thibault Bazin. En effet, nous n’apprécions guère les « coups d’accordéon ». Je vous remercie, messieurs, d’avoir pris le temps de vous présenter devant notre commission. Je tiens à rappeler que si vous réalisez qu’une de vos réponses était inexacte, il est de votre devoir de transmettre les corrections à madame la rapporteure.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante-six.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du lundi 29 avril 2024 à 17 h 15
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Sarah Tanzilli