Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de Mme Élisabeth Laithier, présidente du comité de filière petite enfance, rapporteure générale de la concertation sur le service public de la petite enfance 2
Lundi 29 avril 2024
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 52
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à dix-huit heures dix.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné Mme Élisabeth Laithier, présidente du comité de filière petite enfance, rapporteure générale de la concertation sur le service public de la petite enfance.
M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous auditionnons à présent Mme Élisabeth Laithier, présidente du comité de filière petite enfance, qui est avec nous en visioconférence.
Madame Laithier, nous devions vous auditionner en février, mais cela n’a pas été possible en raison de vos contraintes. Nous avons cependant croisé votre chemin lorsque Mme la rapporteure s’est rendue en Meurthe-et-Moselle, les 12 et 13 février derniers.
Nous savons que vous avez porté un œil attentif aux travaux de notre commission d’enquête, dont les auditions s’achèveront demain, une fois que nous aurons entendu les anciens ministres de la famille Adrien Taquet et Aurore Bergé puis les actuelles ministres en charge de ce portefeuille, Catherine Vautrin et Sarah El Haïry.
Le site d’information « Les pros de la petite enfance », auquel vous avez accordé un entretien, vous qualifie de « voix qui compte dans la petite enfance ». Nous connaissons certes bien votre engagement fort, ainsi que votre franc-parler.
L’entretien auquel je me réfère est du reste titré : « Sans moyens humains et financiers, on ne pourra pas mettre en œuvre un véritable service public de la petite enfance ». S’agit-il d’un avertissement, alors que la ministre déléguée Sarah El Haïry vient d’annoncer le lancement d’une tournée France Familles pour préparer l’échéance du 1er janvier 2025 ? Nous lui transmettrons, bien entendu, votre réponse.
Nous tenions absolument à vous auditionner avant la fin de nos travaux, même si nous avons eu l’occasion d’échanger à d’autres moments.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera disponible à la demande.
Enfin, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Élisabeth Laithier prête serment.)
Mme Élisabeth Laithier, présidente du comité de filière petite enfance. Merci beaucoup. Vous avez très justement rappelé le périple que nous avons traversé pour parvenir à tenir cette audition. Je vous remercie d’avoir pu libérer cette heure, malgré nos agendas respectifs très contraints. Je pourrai ainsi porter la voix du comité de filière dans les travaux essentiels auxquels vous vous consacrez, qui portent sur la qualité de l’accueil du jeune enfant.
Avant d’ouvrir mon propos liminaire, monsieur le président, je vais répondre à la question que vous venez de me poser. Je vous invite à transmettre ma réponse – je ne me permettrais pas d’adresser un avertissement – à Mme la ministre. Le titre de mon entretien avec « Les pros de la petite enfance » est un constat, justifié par mes nombreux déplacements sur le terrain.
Dans mon propos liminaire, je voudrais commencer par vous présenter le comité de filière petite enfance, qui a été installé par Adrien Taquet, alors secrétaire d’État en charge de l’enfance, le 6 janvier 2022. Ce dernier m’a fait l’honneur de me confier la présidence de cette instance, tout à fait nouvelle et originale, tant par son organisation que par ses objectifs.
De fait, ce comité réunit tous les acteurs de la petite enfance, de manière à symboliser l’ambition de constituer une filière petite enfance, au sein d’un secteur marqué historiquement par un éparpillement. Les représentants des structures d’accueil collectif et individuel, publiques comme privées, siègent donc dans ce comité.
Quant à la mission du comité de filière petite enfance, elle consiste à « construire de manière collégiale des réponses opérationnelles aux problèmes restés trop longtemps sans réponse du secteur de la petite enfance, notamment en matière de lutte contre la pénurie et de renforcement de l’attractivité du secteur ».
Je précise que le comité de filière n’a pas de rôle prescriptif. Notre travail consiste à identifier les propositions consensuelles, à les porter à la connaissance du Gouvernement, et plus spécifiquement du ministre en charge de la famille.
Le comité de filière rassemble tous les représentants syndicaux et associatifs des professionnels des modes d’accueil du jeune enfant, qu’ils soient individuels ou collectifs, publics ou privés, marchands ou non marchands. Toutes les associations d’élus sont donc représentées, et notamment les maires ruraux ou de grandes villes, à travers France urbaine ou l’Association des maires de France (AMF).
Le comité de filière est constitué d’une présidence, d’un secrétariat général et d’un bureau, lui-même composé de vingt-six membres ayant pour rôle de formuler des propositions et des résolutions mises au vote. Les résultats des votes sont portés à la connaissance du ministre.
Nous disposons de sept groupes de travail thématiques, qui se réunissent toutes les semaines ou toutes les quinzaines. Ils sont consacrés aux sujets suivants : pénurie de professionnels, qualité de vie au travail, parcours ou filière, études et données, normes, rémunérations et enfin droit conventionnel. À la lumière de ces travaux, le Bureau émet des avis et des résolutions.
En réponse à l’une des questions que vous m’avez adressées par écrit, je vous confirme que la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) siège au comité de filière, au même titre que d’autres grandes administrations telles que la Direction de la sécurité sociale (DSS) ou la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
À côté de ces travaux visant à rechercher des solutions à court, moyen ou long terme, le comité de filière est régulièrement saisi à l’initiative du Gouvernement, pour se prononcer sur les politiques d’accueil du jeune enfant. À titre d’exemple, nous avons été consultés sur les articles 17 et 18 de la loi plein emploi, suite au rejet de certaines dispositions. Durant toute l’année 2024, le comité de filière va être sollicité sur la rédaction de certains décrets liés à cette loi. Nous pourrions mentionner ici les décrets relatifs aux procédures d’autorisation et de cession des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), privés comme publics.
Le comité de filière petite enfance est également réuni à titre exceptionnel, lors d’événements marquants pour le secteur. Je pense notamment au rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) d’avril 2023.
Par ailleurs, le comité de filière mène des réflexions sur certains sujets spécifiques tels que les solutions d’accueil ou la qualité de vie de tous les professionnels. Nous avons travaillé pendant six mois sur l’accueil individuel, puis émis des propositions en la matière.
Pour conclure, je voudrais vous faire part de deux convictions profondes, issues d’une part des travaux menés depuis près de deux ans, et d’autre part du tour de France effectué en qualité de rapporteure générale de la concertation sur le service public de la petite enfance.
Ces deux convictions sont simples. En premier lieu, la construction du service public implique une réponse préalable à la pénurie de professionnels, et par conséquent au manque d’attractivité de ces métiers. Sans un net accroissement du nombre de professionnels formés et qualifiés, nous ne parviendrons pas à construire un service public de la petite enfance. Je rappelle que ce dernier a pour mission d’offrir à tout parent une solution d’accueil.
Ma deuxième conviction est la suivante : la pénurie de professionnels est intimement et intrinsèquement liée à la qualité d’accueil, et inversement. Cette pénurie est la première cause de la dégradation de la qualité d’accueil. À l’inverse, la dégradation de la qualité d’accueil accentue la pénurie de professionnels. Nous sommes confrontés à un cercle vicieux dans lequel la pénurie de professionnels entraîne des problèmes de sous-effectif, lesquels occasionnent des reports de charge sur les professionnels en poste. Ces difficultés amènent une dégradation des conditions de travail, qui se traduit par une perte de sens et pousse au départ de nombreux professionnels. Faute de personnel, des places sont fermées ou les horaires d’ouverture sont restreints, et le risque de maltraitance s’accroît.
Notre travail vise à enrayer ce cercle vicieux pour rétablir un cercle vertueux. Pour ce faire, il existe trois principaux leviers. Tout d’abord, il s’agit d’améliorer la reconnaissance du travail accompli par les professionnels, grâce à des revalorisations salariales et à la reconnaissance publique de leur rôle central. Il convient ensuite de redonner du sens au travail, en replaçant la qualité d’accueil au cœur du système des politiques d’accueil du jeune enfant. Enfin, nous devons nous atteler à améliorer durablement la qualité de vie et les conditions de travail des professionnels. On ne peut être bien traitant si l’on n’est pas soi‑même bien traité.
M. le président Thibault Bazin. Avant de céder la parole à Mme la rapporteure, je souhaiterais vous poser plusieurs questions. Vos préconisations s’appliquent-elles à tous les modèles (privé, privé non lucratif, public) ? Si tel est le cas, il faudrait en conclure que le statut du modèle n’influe pas sur la pénurie de professionnels et la qualité d’accueil.
Par ailleurs, avez-vous le sentiment que les nouvelles modalités envisagées par la Convention d’objectifs et de gestion (Cog) et la Cnaf replacent la qualité d’accueil au centre du dispositif ?
Enfin, vous avez une longue expérience et un engagement très fort dans la principale commune de votre département, où vous avez suivi les structures de la petite enfance. Celles-ci se sont développées selon tous les modèles : public, associatif ou privé. Si vous deviez aujourd’hui entreprendre ce développement quantitatif, quelles éventuelles modifications apporteriez-vous pour répondre aux besoins, à la lumière de votre expérience actuelle ? Comment pérenniser les places si la revalorisation envisagée peine à se concrétiser dans le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (Rifseep) et dans les structures qui ne relèvent pas encore d’une convention collective ?
Dans la commune où vous avez exercé des responsabilités, vous mesurez bien ces difficultés. De quelle manière les évolutions du modèle sont-elles susceptibles d’influer ou non sur la qualité ?
Mme Élisabeth Laithier. Il est possible que certains sujets abordés dans le cadre de cette commission d’enquête n’aient pas été traités par le comité de filière. Dans ce cas, je ne manquerai pas de vous préciser que je vous réponds à titre personnel.
Monsieur le président, vous m’avez demandé si, d’après moi, la qualité d’accueil du jeune enfant était indépendante du modèle de gestion. Vous m’avez interrogé sur les difficultés que pourraient rencontrer les utilisateurs de micro‑crèches appartenant au secteur marchand. Est-ce bien le sens de votre question ?
M. le président Thibault Bazin. Ma question ne se référait pas spécifiquement aux micro‑crèches. Je voudrais simplement savoir si, à votre sens, le type de modèle n’est pas un sujet à approfondir au regard des défis qui se présentent à nous.
Mme Élisabeth Laithier. Je vais vous faire part de ma position personnelle sur cette question, car le comité de filière n’a pas émis d’avis sur la nature du gestionnaire. Notre objectif est bien de regrouper tous les acteurs de la petite enfance dans une même filière, indépendamment de la nature du gestionnaire.
À titre personnel, j’estime que la qualité d’accueil peut être tout à fait satisfaisante, quel que soit le modèle économique privilégié. Lors d’un déplacement dans la petite commune de Saint-Priest-Ligoure, à trente kilomètres de Limoges, j’ai visité une micro‑crèche ayant le statut de société coopérative et participative (Scop). Cette expérience s’est avérée très intéressante. La structure proposait des tarifications modulées selon les ressources des familles et dégressives selon le volume horaire. Les professionnels étaient investis dans la structure : ils contribuaient au capital et détenaient une voix dans les processus de prise de décisions.
Cet exemple montre que tout type de modèle peut garantir un accueil de qualité, sous réserve de remplir deux conditions : la qualité d’accueil, d’une part, et l’absence de dérogations économiques et réglementaires. C’est souvent lorsque le modèle bénéficie à la fois de dérogations économiques et réglementaires que nous relevons des problèmes. Mais dès l’instant où le nombre de professionnels dans la structure est suffisant, quel que soit le type de gestionnaire, la qualité de l’accueil est au rendez-vous.
M. le président Thibault Bazin. D’après vous, la Cnaf place-t-elle la qualité au centre du futur modèle ?
Mme Élisabeth Laithier. C’est davantage le cas que dans la précédente Cog, pour vous répondre en toute honnêteté. En effet, la nouvelle Cog est beaucoup plus généreuse que la précédente sur le plan financier. D’autre part, elle sanctuarise une enveloppe consacrée aux revalorisations salariales des professionnels, avec une montée en puissance sur la durée de la Cog. En outre, une ligne budgétaire est dédiée aux actions en faveur de la qualité d’accueil, ce qui n’était pas le cas précédemment. La prestation de service unique (PSU), comme la Cog, est un outil financier.
Je suis d’avis que la Cnaf et la nouvelle Cog participent in fine à l’amélioration de la qualité de l’accueil.
M. le président Thibault Bazin. Quel est votre avis sur la diversité des acteurs et sur la difficulté à traduire les augmentations de rémunération, nécessaires à l’attractivité du métier ?
Mme Élisabeth Laithier. Jean-Christophe Combe, l’ancien ministre chargé de la famille, s’était engagé à constituer une ligne de crédit pour aider les gestionnaires de crèches à revaloriser les professionnels de la petite enfance. Des contreparties sont exigées.
Il est certain que les résultats varient selon le type de gestion. Les salariés du secteur public bénéficieront d’une augmentation de 100 euros, qui passera par le Rifseep. À titre personnel, je partage votre avis sur les difficultés à mettre en œuvre cette mesure, et je comprends que les salariés concernés s’inquiètent de ne pas bénéficier de ces revalorisations. La modification du Rifseep requiert en effet un vote de la collectivité. De surcroît, le Rifseep n’est pas pris en compte dans le calcul des droits à la retraite.
Dans ma compréhension, si cette revalorisation prenait la forme d’une hausse du point d’indice, il aurait fallu augmenter tous les fonctionnaires, ce qui aurait été très compliqué au vu de la conjoncture.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Madame la présidente, je vous remercie d’être avec nous. Il nous semblait impensable de clôturer notre série d’auditions sans avoir l’opportunité d’échanger avec vous, eu égard à votre fonction de présidente du comité de filière petite enfance.
Après une dernière question sur la qualité d’accueil, j’aimerais aborder la situation des professionnels et les réponses à apporter à la pénurie que nous connaissons. Je voudrais aussi recueillir vos retours sur des pistes de réforme.
J’ai bien noté que vous aviez effectué un tour de France des solutions d’accueil. Vous avez expliqué qu’à votre avis, il n’existait pas de statut plus exposé que d’autres à des difficultés de qualité d’accueil. Je souhaiterais cependant connaître votre réaction sur le cas particulier des micro crèches, à la fois sur la qualité d’accueil et sur les conditions de travail des professionnels (notamment au regard des dérogations réglementaires).
Comme vous le savez, un rapport conjoint de l’Igas et de l’Inspection générale des finances (IGF) a été publié il y a quelques semaines sur le sujet qui nous préoccupe. Ses auteurs formulaient un certain nombre de propositions sur l’évolution des micro‑crèches, et en particulier sur une suppression progressive de la réglementation particulière de taux d’encadrement applicable à ces établissements. Quel regard portez-vous sur les conclusions de ce rapport ?
Mme Élisabeth Laithier. J’ai déjà répondu en partie à votre question sur les micro‑crèches. Le rapport de l’Igas et de l’IGF confirme que c’est l’application simultanée de l’ensemble des dérogations qui peut être source de risques. Il s’agit là de mon avis personnel, puisque le sujet n’a pas été abordé en comité de filière.
D’ailleurs, des travaux ont été lancés sur la problématique du crédit d’impôt famille (Cifam). Je ne peux vous en dire plus sur ce point, mais je sais que ce dispositif est à l’étude.
S’agissant du taux d’encadrement, j’estime – à la fois à titre personnel et en tant que présidente du comité de filière – qu’il faut tendre vers un ratio d’un adulte pour cinq enfants. Tel est l’objectif que nous nous sommes fixé, mais la réalité est tout autre : il manque aujourd’hui 10 000 professionnels auprès des enfants et 1 600 directeurs. Je rappelle également que la moitié des assistantes maternelles auront pris leur retraite d’ici 2030. Il en faudrait donc 120 000.
Il faut impérativement préserver la meilleure qualité d’accueil, ce qui implique de former les professionnels, d’ouvrir des places supplémentaires et de renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance. À titre personnel, si j’avais connaissance d’un danger au sein d’une structure, je préférerais imposer sa fermeture plutôt que de prendre le risque d’un nouveau drame comparable à celui de Lyon. Sur ce point, mon avis est clair et ferme.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Merci pour ces propos très clairs.
La commission d’enquête a longuement interrogé les auteurs des différents rapports sur le Cifam, et plus largement sur les dérives liées à l’achat de berceaux par les entreprises. Ces dérives me semblent à tous points de vue incompatibles avec le service de la petite enfance qui a été créé l’an dernier.
Comme vous l’avez rappelé, il manque aujourd’hui 10 000 professionnels. Cette pénurie se traduit par le gel d’un certain nombre de berceaux sur le territoire national, compromettant par là même les capacités d’accueil de jeunes enfants.
J’aimerais entendre vos retours d’expérience sur ces difficultés. Je vous livrerai donc quelques questions pêle-mêle, que je vous laisserai développer librement.
Vous avez déclaré que la pénurie de professionnels est dépendante de la qualité des conditions de travail dans les crèches. Pouvez-vous nous faire part des remontées des professionnels de la petite enfance sur les difficultés rencontrées dans leurs conditions de travail ? Sur ce point, avez-vous relevé des différences entre les crèches, selon leur statut (public, associatif ou privé lucratif) ?
J’en viens à l’attractivité. Vous avez déjà apporté certains éléments de réponse sur ce sujet. Vous avez aussi précisé que le gouvernement a déjà annoncé des actions pour remédier au déficit d’attractivité, notamment à travers les revalorisations salariales. Que pensez-vous de ces revalorisations, à la fois dans l’immédiat et pour les années à venir, au-delà de la Cog actuelle ?
En ce qui concerne les qualifications et diplômes, nous avons pu constater, dans le cadre de ces travaux, qu’il est encore possible de passer un CAP en ligne sans obligation de stage sur le terrain. Cette réalité me paraît être un non-sens, a fortiori dans le secteur de la petite enfance. Quelles sont vos recommandations sur les qualifications et diplômes minimum pour un personnel encadrant de crèche ? Selon vous, l’offre de formation disponible aujourd’hui fournit-elle aux professionnels de la petite enfance des perspectives d’évolution à même de renforcer l’attractivité de ces métiers ? Pour favoriser les évolutions et les reconversions, vous semble-t-il souhaitable que les professionnels déjà diplômés, qui ont entrepris un parcours d’apprentissage ou d’alternance pour obtenir un nouveau diplôme, soient pris en compte pour le calcul du taux d’encadrement ? Plus largement, quelles seraient vos recommandations pour recruter davantage de personnels formés ? Comment les régions, qui sont compétentes en matière de formation professionnelle, appréhendent-elles ces enjeux ?
Mme Élisabeth Laithier. Je vais m’efforcer de répondre à ces questions, qui sont très nombreuses.
S’agissant du lien entre les conditions de travail et la pénurie de professionnels, je réaffirme qu’à l’occasion de mon tour de France, j’ai pu constater que les problèmes n’étaient pas l’apanage de certains types de structure. J’ai rencontré des professionnels en grande souffrance aussi bien dans des crèches municipales que dans des crèches publiques ou dans des crèches associatives. Il y a quelques jours encore, une jeune éducatrice de jeunes enfants (EJE) m’a confié qu’elle était épuisée et que le métier ne correspondait pas à ses attentes. En ma qualité d’élue à Nancy ou bien au sein de l’AMF, j’ai appris que des professionnels avaient quitté le métier. Ces départs, qui se sont aggravés après la crise sanitaire, sont souvent dus au sentiment d’une perte de sens. Les professionnels se retrouvent contraints de remplir des structures et ne cessent de se démener pour accueillir les enfants. Bon nombre d’entre eux n’ont pas un instant de repos et sont en souffrance. C’est pourquoi le taux d’encadrement est absolument primordial pour la qualité de l’accueil.
En matière de qualifications et de diplômes, un travail approfondi est à mener autour du contenu des formations. Je ne dis pas que ce contenu est de mauvaise qualité, car cela reviendrait à insulter les professionnels formés, pour lesquels j’ai la plus grande admiration. Je voudrais souligner que tous les drames sont la conséquence de problèmes structurels de fonctionnement, qui ne sauraient être imputés aux professionnels.
Mais force est de constater que les formations se basent sur des connaissances datant d’une cinquantaine d’années. Le volet sanitaire reste prédominant, alors que les épidémies ont nettement diminué. Les neurosciences ont accompli des progrès considérables sur la connaissance du développement de l’enfant, mais ces avancées ne transparaissent pas encore dans les formations.
J’ajoute qu’à mon sens, la formation continue est essentielle. Si tous les professionnels de la petite enfance recevaient, en formation initiale comme en formation continue, des enseignements à la pointe des connaissances actuelles, ils se sentiraient forcément plus valorisés. Cela contribuerait indéniablement à l’attractivité des métiers. De plus, les professionnels porteraient ainsi un autre regard sur les enfants.
Il va de soi que les régions ont un rôle à jouer dans ce domaine. Certaines n’ont pas assez de postes à proposer, tandis que d’autres manquent de candidats. Il arrive aussi que certains renoncent au métier avant même d’avoir terminé leur parcours de formation, notamment à l’issue de leur premier stage. En arrivant sur le terrain, les stagiaires découvrent que le métier ne correspond pas du tout à leurs attentes. Pour autant, je n’incrimine pas les professionnels, car l’accueil d’un stagiaire prend du temps.
La formation est cruciale, et d’après moi, la formation « livresque » et la formation sur le terrain doivent aller de pair. Quant au CAP d’accompagnant éducatif petite enfance (AEPE) dispensé exclusivement à distance, j’y suis personnellement résolument opposée. Le comité de filière élabore d’ailleurs des propositions pour mettre fin à cet enseignement à distance. Le métier de professionnel de la petite enfance ne s’exerce pas en visioconférence, mais sur le terrain.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Notre commission d’enquête travaille sur la qualité d’accueil, mais aussi sur la capacité de notre modèle économique à créer un cercle vertueux pour la qualité d’accueil.
Lorsque le président vous a interrogée sur la PSU, vous avez répondu que ce dispositif fonctionnait mieux qu’auparavant. Mon ambition n’est pas de faire mieux qu’auparavant, mais de faire bien tout court. Ma question porte donc sur la complexité du système de financement, avec une PSU au taux horaire corrigée par des mécanismes forfaitaires tenant compte de la qualité. D’après vous, cette méthode est-elle satisfaisante ? Ne croyez-vous pas que le retour à une PSU forfaitaire permettrait aux professionnels de la petite enfance de se concentrer sur la qualité de l’accueil, sans avoir l’œil rivé sur le temps d’occupation ?
Ma deuxième question porte sur les réformes. En 2023, nous avons voté l’instauration du service public de la petite enfance, en confiant aux communes une mission de pilotage de l’offre d’accueil sur leur territoire. Comment appréhendez-vous ce service public de la petite enfance ? Ses contours vous semblent-ils pertinents, ou bien serait-il préférable d’élargir le champ pour confier davantage de missions aux communes ? Si oui, quelles seraient ces missions, et comment les accompagner financièrement ?
Mme Élisabeth Laithier. Si je vous ai indiqué que le fonctionnement de la PSU était meilleur que par le passé, c’est simplement parce que je m’efforce d’être optimiste et de mettre en avant les progrès accomplis. Cependant, je partage entièrement votre position : notre mission au comité de filière ne consiste pas à faire mieux, mais à faire bien.
Le comité de filière a émis plusieurs recommandations en vue de faire évoluer le modèle de financement de la PSU. Il préconise d’instruire la faisabilité d’un modèle de financement permettant de mieux tenir compte de la qualité de l’accueil des enfants, en dépassant les effets pervers des seuils de la PSU. De fait, ces seuils génèrent beaucoup de stress parmi les gestionnaires, pour de multiples raisons. Les gestionnaires ne possèdent pas la visibilité financière nécessaire pour un pilotage très fin des taux de facturation. En outre, le système actuel incite les gestionnaires à courir après l’« enfant miracle », qui n’existe pas : aucun parent ne dépose son enfant à 7 heures pour le récupérer à 9 heures !
C’est pourquoi le comité de filière demande que la nouvelle Cog permette de sortir d’un financement exclusivement à l’acte, de manière à pouvoir majorer significativement les financements forfaitaires, afin de mieux prendre en compte l’ensemble des missions des EAJE. J’insiste sur le fait que ces structures ne se limitent pas à garder des enfants, et cette terminologie a d’ailleurs disparu du vocabulaire. Les EAJE ont vocation à accueillir et éveiller des enfants de tous types de familles. Il faut donc soutenir l’évolution des coûts et valoriser la qualité du travail réalisé dans les crèches, ce qui est impossible dans un modèle de financement exclusif à l’acte.
Je peux cependant témoigner que le dispositif s’est amélioré. D’ailleurs, je vais vous faire une confidence : en tant qu’élue, je me suis opposée fermement à la mise en place de la PSU, au sein de l’AMF. L’idée initiale était vertueuse, l’objectif étant que les parents ne paient que le temps « consommé » et que les familles en situation de précarité puissent accéder à ce service.
Mais tout système présente des limites. En l’occurrence, il s’avère indispensable d’assouplir le fonctionnement et de renoncer à une tarification exclusive à l’acte. Tant que ce système perdure, la qualité d’accueil ne pourra pas être prise en compte et les gestionnaires, quel que soit leur statut, continueront de se démener pour obtenir des cofinancements de la Cnaf.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Ma deuxième question était la suivante : le périmètre actuel du service public de la petite enfance vous semble-t-il pertinent ? Je rappelle qu’il s’agit de confier aux communes une mission de pilotage de l’offre d’accueil sur leur territoire. D’après vous, le périmètre fixé est-il adapté, ou serait-il judicieux de conférer d’autres missions aux communes ?
Mme Élisabeth Laithier. Sur cette question, les avis sont assez contrastés, comme j’ai pu le constater dans mon tour de France. À titre personnel, je suis d’avis que le fait de donner aux communes la mission d’autorité organisatrice constitue une petite révolution.
Pour l’instant, l’accueil du jeune enfant reste une compétence facultative au regard des dispositions légales, même si près de 70 % des communes s’en saisissent. Avec la création du service public de la petite enfance, cette compétence deviendra obligatoire. En fonction de la taille de la commune, l’autorité organisatrice va être investie d’un certain nombre de missions. Les communes devront procéder à un recensement de l’offre existante sur le territoire et informer les familles pour les guider dans leurs recherches. Il est de la responsabilité du service public d’élaborer une solution sur mesure pour chaque famille.
Les communes de plus grande taille se verront attribuer des missions supplémentaires : l’établissement d’un schéma pluriannuel du jeune enfant (pour les communes de taille plus importante), en lien avec les comités départementaux des services aux familles, voire la création d’un relais petite enfance (RPE). Au passage, je voudrais souligner le rôle essentiel des comités départementaux des services aux familles dans la future organisation. Ils assureront le relais entre l’État et les territoires.
Si les communes se saisissent effectivement de tous ces outils, il devrait être possible de créer un véritable service public de la petite enfance. Les décrets sont en préparation, et il est certain que ce service public se construira de manière progressive. Il faudra compter deux ou trois ans pour qu’il devienne effectif partout. Tous ces sujets devraient être travaillés avec une Cog.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Bonsoir, madame. La plupart des questions que j’envisageais de vous soumettre ont déjà été posées, mais il m’en reste deux.
Dans votre entretien avec « Les pros de la petite enfance », vous affirmez : « S’il faut choisir entre ouvrir des places d’accueil supplémentaires et garder la qualité d’accueil, je choisirais la qualité. » Or, l’objectif affiché par le Gouvernement est fixé à 100 000 places supplémentaires, alors que la Cog prévoit une cible de 35 000 places nettes. Le directeur général lui-même, que nous avons auditionné le 27 mars dernier, déclarait que cet objectif ne lui paraissait pas atteignable.
Diriez-vous qu’il faut cesser de prétendre ouvrir ces 100 000 places de crèche ? J’ai le sentiment que ce discours vise surtout à encourager les initiatives privées et à attirer des fonds pour espérer mieux répondre à la demande. Manifestement, cette démarche ne fonctionne pas.
Au début de l’audition, vous avez expliqué que le comité de filière petite enfance est né de la volonté de créer une filière. En tant que députée membre de la commission économique, ce sujet m’intéresse tout particulièrement. Lorsque la France décide de créer une filière, comme c’était le cas sous le gouvernement de Gaulle, elle sait parvenir à ses fins. C’est ainsi que la filière du cognac a été créée, en l’espace de treize ans. À l’époque, des formations avaient été déployées pour bénéficier d’une main-d’œuvre formée et qualifiée, et des investissements avaient été mobilisés pour créer des structures et financer la recherche et le développement.
Pour créer une filière, il faut investir dans le développement de l’offre, mais aussi commencer par bien la répertorier. Estimez-vous disposer des moyens nécessaires pour réfléchir à la construction de cette filière ? Cet exercice fait-il partie de vos missions ?
Si tel est le cas, j’ai plusieurs questions très concrètes à vous poser. Je constate que les grands groupes tels que People&Baby disposent de leurs propres centrales d’achat, de leurs propres organismes de formation et de leurs propres sociétés de placement. Ne serait-il pas judicieux de confier au comité de filière petite enfance le rôle de penser la filière dans sa globalité, y compris dans ce type de fonctions ?
Je suis consciente que le comité de filière n’existe que depuis trois ans et qu’il a déjà mené de nombreuses actions. D’ailleurs, je ne connais pas vos moyens humains et vos ressources, et je n’entretiens pas d’illusions sur ce point. Pouvez-vous me préciser quels sont les moyens humains et les ressources mis à votre disposition ?
Mme Élisabeth Laithier. Je suis prête à réaffirmer que s’il fallait opérer un choix entre l’ouverture de places d’accueil supplémentaires et le maintien de la qualité d’accueil, je ferais le choix de la qualité. Mais je ne suis pas ministre.
J’ajoute qu’à titre personnel, l’annonce d’objectifs chiffrés m’a toujours posé problème. La vie m’a démontré que ces chiffres ne sont jamais atteints. Or le fait d’avancer des chiffres très ambitieux suscite des espoirs qui sont immanquablement déçus. En mon âme et conscience, je suis forcée de m’interroger sur la plausibilité de ces objectifs.
Je réaffirme que même en période de crise, je choisirais la qualité.
La création d’une filière fait effectivement partie des missions qui nous ont été confiées par Adrien Taquet. Je précise que pour l’instant, la filière petite enfance n’existe pas encore. Cela nécessite en effet un travail d’harmonisation considérable, avec la création de passerelles, pour que les jeunes souhaitant embrasser une carrière dans la petite enfance disposent de perspectives d’évolution. La première étape est l’harmonisation des revalorisations salariales de l’ensemble des conventions collectives.
Quant aux moyens dont nous disposons, ils sont tout à fait transparents et sont d’ailleurs détaillés sur notre site internet. Le comité de filière comprend une présidente (moi-même), un secrétaire général et un autre collaborateur. Je profite de l’occasion pour rendre hommage au sens des responsabilités de l’ensemble des membres, qui sont présents à toutes les réunions de travail, à titre bénévole.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Je vous remercie pour vos réponses, très claires et très franches. Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il n’existe pas de filière. Je constate simplement qu’il n’y a pas de volonté claire de créer une filière de la petite enfance, car cette démarche est impensable avec les moyens humains que vous mentionnez. J’ajoute que le pouvoir consultatif dont est investi le comité ne vous permettra pas d’aller plus loin dans vos actions. L’installation d’une filière requiert beaucoup plus d’investissements de la puissance nationale.
M. le président Thibault Bazin. Le moment est venu de libérer Mme Laithier, en lui adressant nos meilleurs vœux pour la suite des travaux du comité de filière petite enfance. Bonne soirée, madame la présidente Laithier.
La séance est levée à dix-neuf heures cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du lundi 29 avril 2024 à 18 h 10
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Sophia Chikirou, Mme Sarah Tanzilli