Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

 Audition de M. Adrien Taquet, ancien secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles 2

 Présences en réunion..............................11

 


Mardi 30 avril 2024

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 53

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


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La séance est ouverte à dix heures.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Adrien Taquet, ancien secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.

M. le président Thibault Bazin. Nous accueillons M. Adrien Taquet, qui fut secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé chargé de l’enfance et des familles dans le Gouvernement de Jean Castex entre juillet 2020 et mai 2022, après avoir été secrétaire d’État auprès d’Agnès Buzyn, puis d’Olivier Véran de janvier 2019 à juin 2020. À ce titre, vous avez notamment participé à l’installation de la Commission sur les 1 000 premiers jours de l’enfant et installé le Comité de filière petite enfance, présidé par Élisabeth Laithier que nous avons auditionnée hier soir.

Vous avez eu à gérer la crise du Covid-19 dans le secteur des crèches, considérée par beaucoup de nos concitoyens comme un point de bascule du fait de ses conséquences sur les rythmes de travail et l’organisation de l’accueil des jeunes enfants, ou encore concernant les pénuries de personnel. Vous êtes enfin le ministre qui a eu à mettre en place la réforme dite Norma, soit l’ordonnance du 19 mai 2021 relative aux services aux familles et le décret du 30 août 2021 relatif aux assistantes maternelles et aux établissements d’accueil du jeune enfant.

Une personne précédemment auditionnée nous a rappelé qu’en 20 ans, près de 19 ministres de plein exercice, ministres délégués ou secrétaires d’État chargés de la famille se sont succédé. Nous avons déjà auditionné Christian Jacob, Nadine Morano et Marisol Touraine. Après vous, nous auditionnerons Aurore Bergé, avant de recevoir cet après-midi les ministres en fonction, Catherine Vautrin et Sarah El Haïry.

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera disponible ultérieurement à la demande.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Adrien Taquet prête serment.)

M. Adrien Taquet, ancien secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles. Je remercie la commission pour son invitation.

En préambule, je souhaite replacer la réforme dite Norma dans une triple dynamique. La première dynamique me précède. À l’époque de ma nomination en tant que secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance le 25 janvier 2019, la question de l’accueil des jeunes enfants ne relevait pas de mon périmètre, mais de celui d’une autre secrétaire d’État auprès d’Agnès Buzyn, Christelle Dubos. Mon périmètre s’est élargi à l’enfance et aux familles à partir de ma nomination au sein du Gouvernement de Jean Castex, en juillet 2020.

Le sujet Norma avait été traité dès 2017, avec le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (Essoc), qui prévoyait déjà une première habilitation à légiférer par ordonnances sur les services aux familles, avec un objectif affirmé de simplification, et ce du point de vue de toutes les parties prenantes, à commencer par les familles, pour lesquelles le système est d’une illisibilité la plus totale, ce qui génère des inégalités.

Le projet avait également un objectif de simplification du point de vue des professionnels de la petite enfance, évidemment, de tous types de gestionnaires d’établissements, mais aussi des élus locaux, pour qui la complexité du système constituait à l’époque un effet décourageant. Enfin, nous n’oublions pas les assistantes maternelles, car elles sont au cœur du système.

Ce mouvement de simplification répondait à trois objectifs à l’époque. Nous avions des règles trop pointilleuses, qui se contredisaient parfois et qui figuraient dans des codes différents. Ce texte de simplification et de clarification était absolument nécessaire et il y avait un consensus sur le sujet.

Quand je suis nommé à mon poste en juillet 2020, une concertation de huit mois avait d’ores et déjà été menée par ma prédecesseure, Christelle Dubos, avec l’ensemble des parties prenantes du secteur. J’étais en accord avec une grande partie des mesures que contient cette réforme, il n’y avait donc pas de raison de revenir sur ce qui avait été conduit.

La seconde dynamique dans laquelle s’inscrit Norma est celle de l’amélioration continue de l’accueil du jeune enfant, d’une part parce qu’elle était nécessaire du point de vue du développement de l’enfant et de l’état des connaissances, en perpétuelle évolution, que nous avions sur ce sujet-là, et d’autre part parce que l’amélioration de la qualité est aussi une condition du développement d’une offre conséquente, dont on sait que notre pays a besoin.

Les réflexions autour de l’amélioration continue de l’accueil du jeune enfant ont également démarré avant mon arrivée, à partir de 2016, avec le rapport de Sylviane Giampino sur le développement du jeune enfant, les modes d’accueil et la formation des professionnels, à la demande de la ministre des familles de l’époque, Laurence Rossignol. De ce rapport va découler notamment la rédaction de la Charte de qualité d’accueil du jeune enfant, que Norma inscrira dans la loi, avec pour ambition d’augmenter la qualité, quel que soit le mode d’accueil et donc de favoriser une unification du secteur.

La réforme Norma consistait à offrir un accueil de qualité adapté à tous les enfants, et notamment les enfants en situation de handicap ou porteurs d’une affection chronique, avec la création du référent santé et inclusion. Elle visait également à assurer un encadrement de qualité par des professionnels qui sont mieux formés et mieux accompagnés (accompagnement et cohésion des pratiques professionnelles, analyse des pratiques, concertations d’équipe au projet d’établissement, élargissement du contrôle des antécédents judiciaires, etc.).

Je rappelle que Norma visait enfin à assurer un environnement d’accueil de qualité. Les dix principes de la Charte d’accueil du jeune enfant doivent être déclinés dans les projets éducatifs et d’accueil des assistantes maternelles. Un référentiel national pour les locaux et les établissements en EAJE a été créé pour la première fois pour sécuriser, encadrer et harmoniser les conditions d’accueil.

La troisième dynamique que Norma poursuit est celle d’une réforme qui s’inscrit plus globalement dans une série de politiques publiques à destination du développement de l’enfant, des familles, avec le fil conducteur du développement de l’enfant, mais plus profondément encore de la lutte contre les inégalités de destin. Nous parlons bien évidemment de toute la politique publique autour des 1 000 premiers jours de l’enfant, dont pour moi d’ailleurs Norma fait partie intégrante, même si elle a été initiée par Christelle Dubos en amont.

Cette politique intègre les appels à projets territoires 1 000 jours, l’application 1 000 jours, le sac de naissance 1 000 jours, les investissements dans la psychiatrie périnatale, le doublement du congé paternité passé de 14 à 28 jours.

Elle comprend également le plan Égalité enfance, avec le plan de formation des 600 000 professionnels de la petite enfance conduite sous le mandat précédent et qui se déploie avec sept modules ; le plan Rebond petite enfance, avec 200 millions d’euros supplémentaires attribués par la Cnaf pour soutenir la création de places, en plus de tous les moyens déployés durant le Covid ; le plan de stratégie de lutte contre la pauvreté avec la création des bonus mixité, des bonus territoires ou encore le déploiement des crèches Avip (crèches à vocation d’insertion professionnelle).

Enfin, cette politique globale vise la création du Comité de filière petite enfance pour mettre, dans ce paysage atomisé et complexe, tout le monde autour de la table pour aborder les sujets transversaux qui concernent, au premier titre, les professionnels, avec les sujets de formation, d’évolution de carrière, de qualité de vie au travail, etc. Je suis ravi à cet égard que vous ayez pu auditionner Elisabeth Laithier.

En résumé, Norma représente un peu plus que les taux d’encadrement ou les mètres carrés par enfant et s’inscrit dans une politique en faveur du développement de l’enfant et de la qualité d’accueil de ce jeune enfant, qui en est une condition bien plus large que ces deux seuls textes réglementaires.

M. le président Thibault Bazin. Merci monsieur le ministre.

J’ai quelques questions sur le contrôle, la qualité et le pilotage. Quelle est votre lecture en termes de gouvernance, alors qu’on a pu observer que les PMI et les CAF pouvaient avoir des politiques différentes, à la fois en termes de contrôle, de soutien à l’investissement, de soutien au fonctionnement ? Quelle est votre analyse de cet objectif d’accueil de qualité dans un contexte de territorialisation avec un double acteur, CAF et PMI ? Nous avons en effet évoqué l’hypothèse d’un problème de gouvernance, avec une absence de pilotage interministériel.

Ma deuxième question est liée aux modèles économiques. D’après vos propos, que la gestion soit privée, privée à but non lucratif ou publique, les défis sont communs en termes de qualité et d’attractivité. Cependant, faites-vous un lien entre le modèle économique conçu par l’État à travers la CAF – qu’il s’agisse des crèches PSU ou des crèches PAJE – et la qualité ? Le modèle tel qu’il a été établi permet-il la qualité, ou bien est-il nécessaire de le faire évoluer ?

M. Adrien Taquet. Pour répondre à votre première question, je souhaite aborder deux aspects.

Le premier aspect concerne les moyens, s’agissant des PMI notamment. Dans le rapport Peyron de 2018, visant à sauver les PMI, il était constaté que les départements avaient désinvesti 100 millions d’euros les dix dernières années dans leurs PMI. Le rapport constatait également que la pyramide des âges était très défavorable au niveau des médecins. C’est la raison pour laquelle, globalement, on a beaucoup investi sur les PMI en lesquelles je crois beaucoup.

En 2018 ont été votées des délégations de compétences entre médecins et infirmières puéricultrices au sein des PMI pour dégager du temps médical. Dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance, l’une des conditions pour que les départements puissent contractualiser avec les États était qu’ils réinvestissent dans les PMI. L’État a réinvesti 100 millions d’euros en trois ans dans les PMI, correspondant au désinvestissement des dix années précédentes. La loi du 7 février 2022 prévoit également, sauf erreur, qu’un certain nombre d’actes réalisés par les PMI fassent l’objet de remboursements par les caisses d’assurances maladie, ce qui n’était pas le cas dans un très grand nombre de territoires.

Nous avons donc redonné des moyens aux PMI, parce que la question du suivi et des contrôles est aussi une question de personnel et de temps disponibles. Nous avons également expérimenté, même si j’aurais aimé aller plus vite, le transfert, dans cinq départements, des procédures d’habilitation et des contrôles des établissements collectifs des PMI aux CAF. L’idée était que ce contrôle, quel qu’en soit l’opérateur, passe à une logique qui porte bien davantage sur la qualité de l’accueil du jeune enfant.

Le deuxième aspect concerne une réflexion très structurelle à avoir peut-être sur la gouvernance. On se rend compte que lorsque différents acteurs se mettent autour de la table, en partant des besoins de l’enfant, souvent les choses se passent beaucoup mieux et ces fameuses ruptures que l’on retrouve dans beaucoup de nos politiques publiques, surtout quand elles sont interministérielles et décentralisées, n’ont plus lieu. C’est l’objet des comités départementaux des services aux familles.

Nous pourrions penser qu’il s’agit simplement d’une commission de plus. Cependant, au cours de mes déplacements, j’ai assisté à un certain nombre de ces comités départementaux et il était assez édifiant de voir à quel point ils fonctionnaient bien. Effectivement, autour de la table, nous retrouvions la responsable de la CAF qui menait la réunion, les services de PMI, les maires ou les responsables d’intercommunalités, les associations, etc. Il y avait une vision partagée et stratégique de ce que devait être l’offre d’accueil, l’accompagnement et la prise en charge des enfants sur un territoire donné.

Nous pourrions nous dire qu’il faudrait aller plus loin, qu’il faudrait peut-être clarifier les choses. Ces espaces de coordination sont salutaires mais ont aussi un coût. Il faut que cela soit rémunéré. Je ne sais pas quel bilan peut être fait de ce dispositif, qui fonctionne depuis trois ou quatre ans, mais je pense qu’il est intéressant.

S’agissant du modèle économique, je pense que la richesse du modèle français, c’est sa diversité. Quand on part du point de vue de l’enfant et des besoins de l’enfant, il n’y a pas un mode d’accueil meilleur qu’un autre. À chaque enfant – et même pour le même enfant en fonction de son âge et de son développement – peut correspondre à un mode d’accueil qui lui est plus adapté. Le collectif n’est pas mieux que l’individuel. Le modèle des MAM (maisons d’assistantes maternelles) est intéressant, parce qu’il se trouve un peu à la croisée du collectif et de l’individuel. Les professionnels ne sont pas seuls. L’isolement, que les MAM permettent de casser, est un élément clé dans les sujets de maltraitance.

En poursuivant les préconisations du rapport de l’Igas, je pense qu’il faut aller plus loin et renforcer les contrôles. Les règles doivent être claires et les contrôles effectifs pour tout type d’établissement, quel que soit le modèle. Nous ne devons pas nous concentrer uniquement sur le privé lucratif, au risque de laisser passer des situations maltraitantes qui peuvent avoir cours et qui ont cours dans d’autres types d’établissements. Il y a des établissements qui courent après le profit, il ne faut pas être naïf, mais la maltraitance est aussi générée par l’isolement. De mémoire, le rapport Igas-IGF sur les micro‑crèches paru récemment n’évoque pas tant les taux d’encadrement que la formation des professionnels, qui est aussi un élément qui doit être travaillé pour lutter contre la maltraitance.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Notre commission d’enquête se penche sur la question de la qualité d’accueil dans les crèches et de l’impact du modèle économique sur cette qualité d’accueil. La réforme Norma a apporté, je crois, un certain nombre d’éléments très positifs, comme les référents santé, l’accueil inclusif, ou le fait d’avoir donné force de loi à la Charte d’accueil du jeune enfant.

D’autres changements ou absences de changements ont cependant pu interpeller les professionnels, comme l’introduction d’un référentiel bâtimentaire national, le maintien d’une capacité en surnombre, le nouveau taux unique d’encadrement d’un professionnel pour six enfants qui cohabite avec l’ancien taux et l’augmentation de la capacité maximale d’accueil dans les micro‑crèches.

L’un des éléments particulièrement prégnants, et sur lequel on a pu avoir des retours différents, concerne la question du référentiel bâtimentaire. Certains acteurs reprochent à ce dispositif de faire passer les exigences bâtimentaires avant la dimension humaine de la qualité d’accueil. A contrario, on a pu rencontrer certaines PMI qui reprochent à ce dispositif de présenter un référentiel national au-delà duquel elles n’ont pas la capacité d’aller.

Ma question vise à connaître d’abord l’idée derrière le mécanisme instauré. S’agissait‑il de considérer qu’il y avait une surface minimale décente au bénéfice des enfants qui devait être garantie ? S’agissait-il de permettre aux EAJE de voir la réglementation bâtimentaire qui leur était imposée par les PMI finalement allégée ?

Par ailleurs, comment le référentiel bâtimentaire intègre-t-il la dimension de la qualité de vie au travail des professionnels de la petite enfance ? Convient-il aujourd’hui de renforcer ce référentiel pour réduire les troubles musculo-squelettiques (TMS) qui touchent les professionnels de la petite enfance ?

M. Adrien Taquet. Le référentiel bâtimentaire a été en effet un des points de débat et de contestation au moment de l’adoption de la réforme. Avant la réforme, il n’y avait pas de règle nationale concernant la surface minimale par enfant en crèche, mais uniquement des règles locales que se donnaient les services de PMI, variables d’un département à l’autre. Cette absence de règle nationale posait un certain nombre de problèmes pour les parents et les enfants, les professionnels et les porteurs de projets. Il s’agissait en effet d’un élément d’incertitude, de complexité et d’illisibilité supplémentaire qui était identifié comme un frein au développement de l’enfant.

Cette réforme crée pour la première fois une règle nationale pour mettre fin à cette variabilité locale et pour garantir avant tout aux enfants et aux parents une surface minimum. Nous avons retenu la règle qui était la plus répandue dans les faits, qui est celle des 7 mètres carrés par enfant dans les espaces d’accueil, dans le cas général. Dans les zones hyperdenses, dans un objectif de développement de l’offre (il y a près de 200 000 places manquantes), nous avons adopté la règle de 5,5 mètres carrés par enfant dans les espaces d’accueil, en ajoutant aussi la nécessité d’un espace extérieur de 20 mètres carrés ou d’un espace de motricité s’il n’y a pas d’espace extérieur. L’idée de la réforme était surtout de « cranter » l’état actuel de la pratique qui était la plus répandue.

Le rapport de l’Igas soulignait la nécessité d’un certain nombre d’espaces de repos et de répit pour les professionnels, d’autant plus que la réforme, par ailleurs, a prévu des temps de partage et de restitution des pratiques professionnelles. Ces lieux sont insuffisants, parfois dans des états délabrés, d’où la nécessité de renforcer les normes à cet égard.

Quant aux troubles musculo-squelettiques des professionnels, ils représentent un coût de deux milliards d’euros par an pour la collectivité. Pour ces professions, comme pour beaucoup d’autres, nous aurions tout intérêt à investir pour économiser beaucoup d’argent.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie pour ces éléments de réponse. Nous sommes tous aujourd’hui convaincus que la question de la qualité d’accueil passe d’abord par les moyens humains qui vont accompagner les enfants dans les structures d’accueil de jeunes enfants. La réforme Norma prévoit des modifications du taux d’encadrement. Le nouveau taux d’encadrement d’un adulte pour six enfants se superpose aux règles qui existaient précédemment d’un pour cinq pour les enfants qui ne marchent pas et d’un pour huit pour les enfants qui marchent. Pourquoi avez-vous maintenu ces deux dispositifs, n’en facilitant pas la lisibilité ?

Par ailleurs, la distinction entre les enfants qui marchent et qui ne marchent pas, théorique, est un peu plus compliquée à mettre en œuvre dans les faits. Les différents rapports qui ont été rendus tendent plutôt à aller vers un taux d’un pour cinq. Pourquoi n’avons-nous pas franchi ce cap d’un pour cinq ?

M. Adrien Taquet. Vous avez raison, c’est assez théorique. Dans les concertations menées par Christelle Dubos, les différentes personnes autour de la table n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un âge, sur une limite où l’on passerait de l’un à l’autre.

Nous avons effectivement fait le choix de ne pas choisir totalement mais de mettre en place en option, peut-être au détriment de la visibilité de l’ensemble, cette possibilité d’avoir un adulte pour six enfants. La règle précédente représentait en moyenne un adulte pour sept enfants. Ce droit d’option est donc un mieux disant.

Nous pensions au début qu’il y aurait un relatif consensus en octroyant cette possibilité d’amélioration. Ça n’a pas été le cas, puisqu’on nous a effectivement reproché d’avoir maintenu une règle. Il a été dit qu’on diminuait les taux d’encadrement, ce qui est faux, bien que repris par la presse.

La commission Cyrulnik préconisait un taux d’un pour cinq ou un pour six, j’ai un doute et vérifierai. Nous avons eu le sentiment d’améliorer le système existant, ou en tout cas de maintenir un taux et de donner la possibilité de l’améliorer en complément.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Un rapport a été rendu le mois dernier sur la question des micro‑crèches. Si certaines expériences sont très réussies, avec des micro‑crèches qui apportent une solution d’accueil dans les territoires ruraux où les grosses crèches n’ont pas la capacité de s’installer, il est tout même assez clair que les micro‑crèches se sont beaucoup installées dans les zones urbaines et les grandes métropoles. Certaines dérogations réglementaires dont elles bénéficient, notamment en lien avec la capacité d’accueil en surnombre, créent des situations difficiles pour les professionnels au quotidien.

Pourquoi maintenir ce dispositif des micro‑crèches alors qu’en réalité, il n’a pas pleinement permis de répondre à l’objectif de proposer une offre d’accueil dans les zones rurales et pose des difficultés quand même en termes de qualité d’accueil ?

M. Adrien Taquet. Je rappelle que je n’ai pas créé les micro‑crèches. Je pense que la pluralité de l’offre et le libre choix laissé aux familles font la force de notre modèle. C’est tout l’objet du service public de la petite enfance dont la réforme Norma est une composante.

Sur la question des horaires élargis, l’idée était aussi par ailleurs de favoriser davantage l’inclusion d’enfants qui ne pouvaient pas, à l’époque, accéder à cette offre collective. J’ai beaucoup défendu les crèches à horaires atypiques en étant conquis par ce qui se faisait en Finlande. On leur a beaucoup reproché de répondre aux besoins des parents avant ceux des enfants, ce avec quoi je ne suis pas totalement d’accord.

Sur la question des dérogations sur le taux d’encadrement en début ou en fin de journée, le rapport Igas-IGF sur les micro‑crèches évoque une fois encore davantage la qualification et le diplôme des professionnels que les taux d’encadrement.

De mémoire, nous n’avions pas entendu d’alerte particulière sur les micro‑crèches à l’époque. Nous avons simplement décidé de passer les capacités d’accueil de dix à douze enfants. Nous avons revu le système de suroccupation qui était encadré, et qui l’est resté. Nous avons ramené le taux autorisé à 15 % d’enfants supplémentaires pour éviter un effet démultiplicateur en fonction de la taille de la crèche.

Si les micro‑crèches aujourd’hui abusent des dérogations dont elles bénéficient, ou bien ne contribuent pas à ce que nous souhaitons mettre en place dans notre pays, c’est au législateur de prendre ses responsabilités et de revoir le système.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Ma question suivante porte sur la qualification des professionnels et les parcours de formation. À 20 ans ou à 30 ans, porter quotidiennement des enfants pose moins de difficultés qu’à un certain âge. La question de la trajectoire qu’on est capable de construire pour ces professionnels me semble essentielle. Vous avez instauré le comité de filière. Quels éléments de proposition avez-vous envie de nous faire à l’occasion de cette audition ?

Ma seconde question concerne le contrôle dont on a beaucoup parlé. La question de l’articulation entre les missions des Caf et celles des PMI paraît essentielle. Quel est votre avis sur l’idée selon laquelle on pourrait renforcer les missions de contrôle des Caf en les étendant au-delà des dimensions financières et en repositionnant les PMI sur un accompagnement au quotidien des structures d’accueil de jeunes enfants dans une logique de prévention et de relations renforcées aussi avec les familles, mais également pour permettre à la PMI de se repositionner en prévention des situations de maltraitance au sein des établissements d’accueil ou au sein des familles ?

Faire évoluer les missions de la PMI vers de la prévention, du conseil et une présence au quotidien, à mon avis, n’est possible que si la PMI ne joue plus ce rôle de gendarme, tel qu’elle peut l’exercer aujourd’hui, et me semblerait très vertueux, en particulier pour répondre à ces questions de maltraitance.

M. Adrien Taquet. S’agissant de votre première question, je fais montre d’une très grande modestie, puisque je considère que la question de la formation des professionnels est un sujet que je n’ai jamais réussi à totalement agripper, du fait, peut-être, des limites de mes propres compétences, mais aussi de la complexité du système. Le sujet peut concerner la protection de l’enfance, le handicap, la dépendance, les régions, le ministère de l’enseignement supérieur ou encore les départements ou les communes qui emploient les professionnels.

Lorsque vous souhaitez traiter le sujet de la formation initiale, il est donc difficile de savoir par quel bout le prendre. Je n’ai pas su le faire.

Mathieu Klein, maire de Nancy et, par ailleurs, président du Haut Conseil du travail social, a formulé un certain nombre de recommandations à cet égard. Je pense qu’il faut que le Gouvernement s’en empare et mette en œuvre une grande partie d’entre elles.

Une réflexion doit être menée sur la formation du travail social, ce à quoi s’attelle d’ailleurs le Comité petite enfance. L’une des premières missions assignées à Élisabeth Laithier a été de travailler sur l’attractivité et la revalorisation de ces métiers. La discussion autour de ces sujets dans cette instance s’est révélée une bonne idée, qui va d’ailleurs être reproduite en protection de l’enfance, avec la création d’un Comité de filière de la protection de l’enfance.

Dans son rapport, l’Igas estime que le CAP doit être revu. Nous devons également être modestes à ce sujet. La pratique professionnelle repose souvent sur une formation et sur des années d’exercice. Le législateur a beau adopter des principes et des lois, cela met un peu de temps, il faut en avoir conscience, à infuser dans la pratique des gens.

La question de la formation continue est enfin traitée par le plan Égalité enfance, avec la formation des 600 000 professionnels de la petite enfance, qui a mis un peu de temps à démarrer. Progressivement, tous les professionnels de la petite enfance doivent être formés autour de sept modules issus de la Charte de qualité d’accueil de l’enfant et des travaux de Sylviane Giampino.

Sur la question de l’articulation Caf-PMI, nous avons travaillé sur le financement, avec le complément de mode de mode de garde (CMG), les bonus mixité, bonus inclusion, bonus territoire, etc. J’ai essayé de mettre en place le CMG pour tous, parce que je pense que c’est une condition à la constitution d’un service public de la petite enfance. Si le reste à charge pour les parents n’est pas le même, quel que soit le mode d’accueil, ce n’est pas un service public. J’ai perdu l’arbitrage mais je pense que le sujet devra revenir sur la table à un moment ou à un autre.

Pourquoi n’avons-nous pas réfléchi à un grand big bang sur le modèle même de financement ? J’ai été nommé en juillet 2020, moins de deux ans avant la fin du mandat, à une période où de nombreuses réformes sont en cours. Nous avons considéré que nous n’avions pas le temps de mener des réformes d’une telle ampleur.

S’agissant du rôle des Caf et des PMI, dans le cadre du transfert des compétences et des habilitations que j’évoquais tout à l’heure, la Cnaf avait évalué l’impact qu’il pourrait avoir en termes de ressources humaines supplémentaires et de formation des agents.

Quant au repositionnement de la PMI dans un accompagnement plus quotidien, il pourrait être intéressant, à condition de veiller à un aspect important. Un certain nombre de départements ont regroupé la PMI et l’aide sociale à l’enfance dans un même lieu, ce qui conduit certains parents à ne plus se rendre à la PMI, par crainte de se retrouver derrière la porte d’en face.

La PMI doit être positionnée sur la prévention, évidemment, sur l’accompagnement des parents ou l’accompagnement des établissements, dans le repérage des maltraitances potentielles par exemple. Il convient de repérer le plus précocement possible et d’accompagner. Je n’ai jamais dissocié prévention et protection. Dans un monde idéal, la protection de l’enfance n’existerait pas.

Aujourd’hui, les PMI, dans un certain nombre de territoires, ont perdu totalement leur vocation universelle et ne voient plus que les familles qui n’ont pas accès à la médecine de ville. Les PMI ne doivent pas devenir la médecine du pauvre. Il faut réinvestir dans les PMI, les recentrer sur leur métier essentiel de prévention, peut-être les recentrer sur les 0/3 ans, en veillant à ce que la médecine scolaire prenne le relais après trois ans. Je crois à la vocation universaliste de la PMI.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre des Assises de la santé de l’enfant et de la pédiatrie que je copréside avec le Pr Christèle Gras Le Guen, nous proposons la transformation des PMI en maison des 1 000 premiers jours de l’enfant.

M. le président Thibault Bazin. Merci, monsieur le ministre, d’être venu devant notre commission répondre à nos questions. Si certaines de vos réponses vous apparaissaient erronées dans les prochaines heures, vous avez le devoir de communiquer à la rapporteure les corrections que vous souhaitez apporter.

 

La séance est levée à onze heures.


Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du mardi 30 avril 2024 à 10 heures

 

Présents.  M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Ingrid Dordain, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli