Compte rendu
Commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69
– Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Albouy, président de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne et de M. Jean-Claude Huc, président de la chambre d’agriculture du Tarn, sur les protocoles d’accords d’éviction et d’occupation temporaire signés avec les exploitants agricoles 2
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Stéphanie Cavenne, directrice de l’attractivité et de la culture du département du Tarn, sur le remembrement foncier agricole consécutif aux travaux de l’A69, accompagnée de M. Jean Barillot, directeur général adjoint des mobilités, de l’aménagement durable, de l’environnement et des citoyennetés, de Mme Inès Bertin, chargée de mission pour l’aménagement foncier et de M. Patrick Maury, assistant à maîtrise d’ouvrage du département, géomètre-expert agréé en aménagement foncier et directeur du cabinet Yantris (Toulouse). 14
– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Jougla, président de la FNSEA d’Occitanie, accompagné de M. Cédric Vaute et M. Alexandre Glaize ; de M. Bruno Cabrol, M. Grégoire Montcharmont et M. Jean-Philippe Rouanet, membres de la Confédération paysanne du Tarn, ainsi que de M. Xavier Palous, président de la Coordination rurale du Tarn. 23
– Présences en réunion.....................................37
Mercredi 27 mars 2024
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 9
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Jean Terlier,
Président de la commission
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La séance est ouverte à quinze heures trente-cinq.
La commission auditionne M. Sébastien Albouy, président de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne et M. Jean-Claude Huc, président de la chambre d’agriculture du Tarn, sur le protocole d’accord d’éviction signé avec les exploitants agricoles.
M. Jean Terlier, président. Messieurs les présidents, je vous remercie pour votre présence devant notre commission. Nous allons consacrer notre après-midi à l’impact de l’A69 sur l’agriculture. Cette autoroute traverse en effet de larges zones rurales, mises en exploitation, ce qui a conduit les pouvoirs publics et le concessionnaire à accorder une importance particulière au volet d’indemnisation des agriculteurs. La Haute-Garonne et le Tarn ont une tradition industrielle de longue date, mais ils sont également de grands départements agricoles : céréales, arboriculture fruitière, viticulture, élevage, et je ne peux manquer de citer à ce titre la filière d’exception qu’est l’ail rose de Lautrec.
Une autoroute a inévitablement un impact sur l’espace agricole. Elle induit des cessions amiables, des occupations temporaires pour les travaux, mais également des expropriations, à propos desquelles nous souhaitons aujourd’hui vous interroger. En tant que présidents de chambres d’agriculture, vous avez signé avec le concessionnaire Atosca et l’administration fiscale un document appelé protocole d’éviction, plutôt rare dans ce type d’opération. Votre audition aura principalement pour objet de nous éclairer sur les conditions de sa négociation et sur la perception qu’en a eue, selon vous, le monde agricole dans vos deux départements. Elle visera également à nous informer de la manière dont vous avez participé à la mise en place des compensations agricoles avec le concessionnaire.
Je vous rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le portail de l’Assemblée nationale.
Messieurs, en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire : « Je le jure ».
(MM. Sébastien Albouy et Jean-Claude Huc prêtent serment.)
Mme Christine Arrighi, rapporteure de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69. Je remercie MM. Albouy et Huc pour leur présence devant notre commission d’enquête.
Les espaces naturels comme les espaces agricoles et forestiers sont intimement liés. Ils forment des zones marquées par le vivant, notamment la vie dans les sols dont les chercheurs commencent à peine à comprendre l’extraordinaire complexité. Une abeille n’a que faire des classifications administratives humaines, elle se nourrit et pollinise autant dans les prairies naturelles que dans les vergers, et les agriculteurs connaissent bien les services économiques que ce monde animal leur rend. C’est dire qu’une autoroute, en artificialisant des sols, vient troubler un équilibre fragile. Elle détourne le cycle de l’eau, coupe les itinéraires des animaux, modifie le biotope, et touche les activités humaines, particulièrement l’agriculture.
Des terres agricoles vont être supprimées avec l’A69, d’autres seront remembrées, mais nous aurons bien une perte des capacités productives et des services induits par les terres, comme le stockage du carbone, alors que le Gouvernement proclame l’impératif de la souveraineté alimentaire et la nécessité de respecter l’accord de Paris et le protocole de Nagoya.
Vous avez négocié avec Atosca un protocole d’éviction prévoyant des indemnités pour les agriculteurs concernés par le passage de l’autoroute. Je vais vous laisser nous l’exposer, sachant que si ce protocole a permis d’éviter des contentieux, il n’a sans doute pas suscité l’adhésion enthousiaste de tous les agriculteurs, et vous nous ferez part de votre ressenti sur ce point.
Je vous ai adressé un questionnaire, qui peut, si vous le souhaitez, servir de fil conducteur à vos interventions. Dans la mesure où tous les points ne pourront pas être abordés de façon exhaustive dans le cadre de cette commission, vous pourrez ultérieurement compléter vos propos par écrit.
Sachez également que je souhaite, dans le cadre de cette commission, que la plus grande transparence soit respectée. Tous mes questionnaires sont ainsi envoyés à l'ensemble des membres de la commission, car il me semble nécessaire que chacun soit informé des interrogations que je peux avoir sur ce projet. Nous travaillons aujourd'hui sur son volet environnemental, tandis que les volets économico-social et financier seront étudiés ultérieurement.
M. Jean Terlier, président. Je précise que les terres agricoles impactées sont majoritairement situées dans le Tarn. Je souhaiterais également que vous puissiez, l'un et l'autre, nous préciser ce qu'est le protocole d'indemnisation et la manière dont il est utilisé, à la fois dans la phase amiable et dans la phase contentieuse devant le juge de l’expropriation.
M. Jean-Claude Huc, président de la chambre d’agriculture du Tarn. Je vous remercie de nous donner l’occasion de partager nos impressions issues du terrain et de présenter le travail qu’ont mené les équipes techniques des chambres d’agriculture du Tarn et de la Haute-Garonne. Mes équipes et moi-même avons travaillé sur les questions qui nous ont été envoyées, qui concernent plus particulièrement les indemnisations des agriculteurs et les protocoles d’éviction et d’occupation temporaire des terrains pendant la durée des travaux.
Il me semble, pour commencer sur le sujet des contentieux, que tout projet de création d’une autoroute au sein d’un territoire dans lequel l’agriculture occupe une place prépondérante soulève nécessairement des interrogations sur son passage dans certains endroits ou ses aspects environnementaux. S’il existe donc certainement aujourd’hui des contentieux, ou tout au moins des questionnements, je n’ai pas été personnellement interpellé sur ces sujets, qui doivent être réglés entre le concessionnaire et les propriétaires ou exploitants. Les chambres d’agriculture ont travaillé de manière plus globale sur l’ensemble du sujet et, pour répondre à la demande d’Atosca, sur les montants d’expropriation pratiqués sur le territoire sur la base de notre expérience. Mais si nous avions travaillé, dans le passé, sur les contournements de Puylaurens et Soual, le département du Tarn n’a connu aucun projet de travaux récent impliquant des indemnisations.
Le protocole d’éviction a pour objet de définir les modalités pratiques d’application et de calcul des indemnités pour les propriétaires et les exploitants, qui peuvent être la même personne, mais pas systématiquement. Un aménagement foncier, agricole, forestier et environnemental (Afafe) a été mis en place par le département tout au long du tracé dans leTarn, et le stockage réalisé avec la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) permet aux agriculteurs de faire face à l’éviction de territoires où ils travaillaient. Au cours de la phase de travaux publics, les occupations temporaires de parcelles agricoles engendrent également des indemnisations, prévues par un protocole spécifique, au bénéfice des exploitants agricoles dont les parcelles cultivées sont impactées. Elles sont octroyées en réparation des préjudices directs, matériels et certains tels que les pertes de récoltes ou les déficits sur les récoltes, ou la reconstitution physique, chimique et biologique du sol. Les propriétaires non-exploitants, dès lors qu’ils continuent à percevoir le fermage de leur locataire, ne bénéficient quant à eux d’aucune réparation de préjudice. Ces modalités sont celles du projet que nous, chambres d’agriculture, avons porté auprès du concessionnaire de façon à garantir un traitement correct pour les propriétaires exploitants.
M. Sébastien Albouy, président de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne. J’ai la charge de la présidence de la chambre depuis quinze mois, et n’ai donc pas assuré le suivi du dossier dans son intégralité. Le département de la Haute-Garonne est impacté à hauteur de 10 %, et je salue la qualité de la collaboration avec la chambre d’agriculture du Tarn, qui vous apportera la majorité des réponses, que je complèterai au besoin sur des aspects précis. Notre travail, en tant que chambre d’agriculture, a consisté à accompagner au mieux les agriculteurs concernés par le tracé de cette autoroute.
M. Jean-Claude Huc. Le travail des deux chambres a consisté à établir des barèmes servant de base minimale pour la négociation entre le concessionnaire et l’agriculteur.
M. Jean Terlier, président. J'aurais quelques questions complémentaires en lien avec les deux protocoles auxquels vous faites référence. Pouvez-vous confirmer que ces protocoles d'accord, qui sont élaborés par les deux chambres d’agriculture, le concessionnaire et l'administration fiscale, sont facultatifs ? C'est-à-dire que le barème, qui prévoit de donner une certaine somme par hectare perdu sur une certaine période, est proposé à titre indicatif, et que vous n’intervenez pas dans la transaction entre le concessionnaire et l'agriculteur. À défaut d'accord, le propriétaire ou l’exploitant peut saisir le juge de l'expropriation qui fixe alors la nature des indemnisations, en fonction, ou pas, de ce protocole d'accord. Traditionnellement en effet, les protocoles établis pour les agriculteurs le sont à titre indicatif et non obligatoire, et je souhaite que vous puissiez me confirmer ces différents éléments.
Lors d’une récente audition devant l’Assemblée nationale, M. Philippe Jougla, président de la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d’Occitanie, nous a par ailleurs indiqué qu’environ cent-cinquante-huit agriculteurs, soit une centaine d'exploitations étaient touchées par le tracé autoroutier, pour seulement trois contentieux pendants devant le juge de l'expropriation. Si seulement 3 % des agriculteurs sont devant le juge de l’expropriation, on peut considérer que le protocole d'indemnisation que vous avez mis en place a permis d’aboutir à des règlements amiables et d’éviter les litiges. Je souhaitais donc que vous puissiez nous confirmer ces éléments.
Je souhaite enfin revenir sur les compensations agricoles envisagées dans le cadre de la convention signée avec Atosca : de quoi s'agit-il ? Comment sont-elles réparties entre la Haute-Garonne et le Tarn ? Ces éléments ont-ils été négociés avec le concessionnaire et sont-ils satisfaisants ?
M. Jean-Claude Huc. Je confirme tout d’abord que le protocole a été établi à titre indicatif et qu’il sert de base de départ aux négociations entre les parties. Les protocoles, qu’ils soient d’éviction pour les propriétaires ou temporaires pour les exploitants, ne sont donc que des bases de travail minimum sur lesquelles les parties peuvent s’appuyer.
La chambre d’agriculture du Tarn n’a, en revanche, pas connaissance de l’existence des dossiers contentieux que vous évoquez. S’il arrive qu’un propriétaire ou un exploitant nous fasse état de négociations insatisfaisantes avec Atosca, il ne s’agit que de retours sporadiques. Nous ne pourrons prendre connaissance des procédures contentieuses de façon plus détaillée que lorsque les négociations auront avancé.
Chacun a par ailleurs travaillé à la constitution du protocole en fonction de son savoir-faire, et le département de la Haute-Garonne a, à cet égard, représenté un bon indicateur en raison des constructions d’infrastructures plus nombreuses sur son territoire.
S’agissant du calcul des indemnisations, la durée a été établie sur la base de la marge brute des sept dernières années culturales. Elle est remise à jour chaque année en fonction des résultats des années précédentes. En fonction des chiffres de comptabilité agricole, il ne sera pas permis de descendre au-delà de la base de calcul de la première année, qui est une année plancher.
Sur le sujet de la compensation agricole collective, nous avons pour particularité d’être l’un des premiers acteurs français à avoir géré un tel dossier. Nous avons travaillé avec Atosca et l’administration locale à la construction d’un cahier des charges sur la base de ce que nous souhaitions en termes de compensations. Leur montant a été décidé au regard du nombre d’hectares perdus, soit 280 à 300 hectares multipliés par 7 000 euros pour un montant de 2,1 ou 2,2 millions d’euros de compensation collective, répartis à hauteur de 85 % pour le linéaire du Tarn et 15 % pour le linéaire de la Haute-Garonne. Ce travail, en cours, aboutira à une consignation du montant de cette compensation collective auprès de la Banque des territoires. Il sera ensuite redistribué sur le territoire en fonction des projets collectifs qui seront étudiés par les commissions départementales d'orientation de l'agriculture (CDOA) des deux départements. La CDOA étant l’instance qui regroupe aujourd’hui l’ensemble des partenaires agricoles du territoire, il nous semblait essentiel que la gestion de cette compensation lui revienne.
M. Sébastien Albouy. Le travail, mené conjointement entre nos départements, a en effet permis d’aboutir à une base commune. Les agriculteurs peuvent ensuite accepter le seuil minimal fixé par le protocole, et aboutir ainsi à un accord, mais ils peuvent également négocier davantage s’ils jugent que les préjudices pour leur exploitation sont supérieurs ou les marges meilleures, ou encore rejeter le protocole. Les discussions relatives à l’indemnité pour le propriétaire se font sur une base établie par la Safer, avec un pourcentage supplémentaire du prix des terres pour les frais. La marge brute de référence, sur sept ans, a également une « valeur fumure » sur les trois dernières années apportées. À cela peuvent venir s’ajouter des majorations : pour les jeunes agriculteurs à hauteur de 30 %, idem pour les exploitations en agriculture biologique ; elles atteignent 40 % si un exploitant est à la fois un jeune agriculteur et opère en agriculture biologique, et elles peuvent également concerner les titulaires de baux à long terme. Il peut également exister des déséquilibres de l’exploitation avec un pourcentage de superficie agricole utile (SAU) fortement impactée, permettant de bénéficier d’une majoration de 35 %. La marge brute n’est donc pas le seul élément à considérer, et les exploitations fortement impactées peuvent faire valoir un ensemble d’éléments au moment de la négociation avec Atosca. Les agriculteurs dont les marges sont plus élevées, en raison notamment de la technicité de leur métier dans certaines filières spécifiques, pourront remplacer les moyennes proposées par les chambres d’agriculture par leurs propres chiffres, certifiés par leur organisme comptable. Ceux dont les chiffres sont inférieurs conserveront en revanche les moyennes établies par les chambres d’agriculture.
M. Jean-Claude Huc. Il existe effectivement des productions particulières qui ne font pas partie des références régionales et pour lesquelles nous ne possédons donc pas d’informations. Pour celles-ci, ce sont les marges brutes certifiées par l'organisme comptable qui servent de base à la négociation. L’ensemble de ces éléments est détaillé au sein des deux protocoles.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. La démarche que vous avez adoptée est en réalité une démarche classique de protocole de négociation pour des chambres d'agriculture lorsqu'il existe des contrats de concessions. J'ai, par le passé, participé au nom de l'État à l’élaboration de tels protocoles, qui fixent un cadre et permettent ensuite aux agriculteurs de négocier avec l’acteur en charge de l'expropriation, en l’occurrence Atosca. Ce schéma, dans lequel le concessionnaire négocie directement avec les agriculteurs, n’est toutefois pas le plus classique puisque c’est généralement l'État qui en a la charge.
Je souhaite tout d’abord revenir sur l’affirmation selon laquelle seuls trois contentieux seraient en cours. Il me semble que nous ne possédons pas, aujourd’hui, l’ensemble des éléments permettant de l’affirmer, puisque toutes les négociations entre agriculteurs et État ne sont pas conclues. Sur les cent-cinquante-huit agriculteurs concernés, savez-vous combien ont conclu un accord définitif avec Atosca sur les indemnités à recevoir par rapport au protocole que vous avez négocié ?
Ma deuxième question s’adresse à M. Jean-Claude Huc, qui avait lui-même fait part de cette interrogation le 29 novembre 2021 et a peut-être, depuis lors, obtenu des éléments de réponse. Vous souhaitiez que des moyens de stockage du foncier par la Safer soient mobilisés de façon urgente et en quantité importante, afin de limiter l'impact du projet sur les exploitations en activité, en vue de compenser pour chaque agriculteur des surfaces qui leur seraient prélevées, de relocaliser les exploitations fragilisées et de réaliser un aménagement foncier pertinent. Avez-vous obtenu des réponses à cette question ? Le tracé de l’autoroute, du fait duquel certaines exploitations doivent être scindées puis remembrées, entraîne une modification des pratiques agricoles et, au-delà du temps nécessaire pour rejoindre les parcelles à exploiter, les questions sont celles des aménagements à mettre en place pour réduire au minimum la consommation de foncier agricole et de la perte de surface compensée non seulement individuellement, mais également à l’échelle du territoire agricole. Il me semble également essentiel de vous demander que les surfaces affectées aux compensations écologiques ne s’ajoutent pas aux surfaces agricoles consommées par l’ouvrage. À cet égard, avez-vous participé au zonage des parcelles qui entrent dans le cadre des mesures compensatoires ? La Safer dispose-telle de suffisamment de stockage pour lui permettre de ne pas empiéter davantage sur les exploitations ? Savez-vous, enfin, quelles superficies sont concernées ?
M. Jean-Claude Huc. Je n’ai, à titre personnel, aucun retour sur les contentieux. D’ailleurs, un contentieux commence-t-il dès lors qu’il existe un désaccord, ou lorsque la négociation se termine devant le tribunal ? Mes connaissances juridiques ne me permettent pas de répondre à cette question. La chambre d’agriculture du Tarn organise régulièrement des rencontres autour de l’autoroute A69 réunissant les représentants locaux des agriculteurs, Atosca, le département, la Safer, ou encore la direction départementale des territoires (DDT). Organisées sur une demi-journée tous les deux à trois mois depuis la période de l’avant-projet, ces rencontres sont l’occasion, pour certains agriculteurs, de faire remonter des problèmes spécifiques liés notamment à leurs parcelles. Dans ce type de dossier, les derniers cas restants sont toujours ceux dont la gestion est la plus complexe, et il est donc probable que les contentieux apparaissent prochainement. Atosca ne me communique pas les informations nominatives sur les cas problématiques, la chambre d’agriculture devant par ailleurs jouer le rôle de facilitateur auprès des exploitants.
Sur le stockage, la chambre d’agriculture avait formulé la demande auprès de la Safer il y a fort longtemps. Sur ces terres majoritairement céréalières, le stockage, pourtant aisé à réaliser, a cependant commencé très tardivement en raison de difficultés de financement. Bien qu’il semble aujourd’hui que le retard ait été globalement rattrapé, et la superficie stockée, je poserai à nouveau la question lors du comité technique de la Safer du jeudi 28 mars prochain. En fonction du choix, inclusif ou exclusif, fait par les commissions communales d'aménagement foncier (CCAF), nous disposons aujourd’hui de possibilités de réponses pour les agriculteurs et les propriétaires dont le terrain est amputé.
Sur la compensation écologique, la chambre d’agriculture a souhaité parvenir à des solutions satisfaisantes au regard de la loi et des règles en vigueur. Atosca ayant bénéficié de l’expertise d’un bureau d’étude, il s’agissait de ne pas rajouter de pertes supplémentaires et les décisions concernant le foncier agricole me semblent avoir été prises dans le sens de l’économie maximale en termes de consommation d’espaces.
M. Sébastien Albouy. Bien que je ne dispose pas non plus de l’ensemble des éléments juridiques relatifs aux contentieux, nous avons, en Haute-Garonne, connaissance d’un exploitant qui n’est pas parvenu à trouver un accord en raison de la spécificité de sa production.
M. Jean Terlier, président. La phase contentieuse commence au moment de la saisine du juge de l’expropriation, les négociations préalables étant amiables.
Les chambres d’agriculture, qui préparent depuis longtemps l’arrivée de cette infrastructure autoroutière, ont-elles été amenées à exprimer de façon officielle leur position sur le projet ?
Sur le stockage du foncier agricole par la Safer, pouvez-vous confirmer qu’il s’agit de permettre à un agriculteur, en cas de perte d’hectare, de bénéficier d’une allocation de terres stockées en compensation ? Bien que facilitatrice, cette procédure ne revêt, d’une part, aucun caractère obligatoire, et il est d’autre part compréhensible qu’un agriculteur préfère percevoir les indemnités et gérer de son côté les acquisitions foncières. Proposer une compensation foncière n’est pas, pour le concessionnaire, une obligation légale dans la mesure où l’indemnisation du préjudice des exploitants et des propriétaires est prévue dans le cadre d’une transaction financière appréciée par un accord amiable ou, à défaut, par le juge de l’expropriation.
M. Jean-Claude Huc. Les chambres d’agriculture ont été consultées sur le dossier de projet autoroutier dès 2009 ou 2010, et je pourrai communiquer les délibérations à Mme Arrighi. Si ma position était celle, dès le début, de négocier un aménagement de la RN126, j’ai rapidement pris conscience des limites financières et de réalisation pour atteindre le désenclavement du Sud du département du Tarn, qui reste à mon sens primordial. En parallèle, le projet d’aménagement au plus près de l’axe du Girou nous paraissait le plus opportun pour limiter la consommation d’espaces agricoles et couper le moins de parcelles, et avait à l’époque fait l’objet d’une décision. Au regard de la décision de réalisation de l’autoroute, intervenue par la suite, nous avons travaillé à limiter l’impact sur les exploitations existantes et notamment sur le remembrement et du fait que le territoire, en raison de son histoire, ait déjà été globalement remembré, la gestion quotidienne pour les agriculteurs s’en est trouvée facilitée.
Sur la compensation foncière, les agriculteurs du Tarn, s’ils apprécient la perspective d’une indemnisation financière, souhaitent également pouvoir disposer de l’outil de travail que représente le foncier, avec des structures d'exploitation qui ne soient pas découpées à l’excès. C’est la raison pour laquelle j’avais dès le départ insisté auprès de la Safer, qui indiquait par ailleurs que l’État ne souhaitait pas l’accompagner, sur cette question. Je précise que chacun de nos deux départements disposait, à l’époque, de sa propre Safer.
M. Sébastien Albouy. L’une des missions des Safer est de donner priorité à l’agriculteur qui a perdu du foncier, à la suite, par exemple, d’une expropriation.
En 2007, la chambre d’agriculture de la Haute-Garonne avait, tout comme celle du Tarn, pris la position d’un renforcement de la RN126 sur la base d’un passage à deux fois deux voies. Mais dès lors que la décision du projet d’autoroute a été prise, notre rôle, en tant que chambre consulaire, était celui d’accompagner au mieux les agriculteurs.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vos réponses montrent que l’anticipation sur le stockage, alors même que le projet date de plus de trente ans, a été insuffisante.
Si nous entendrons Atosca sur les sujets du potentiel de production des agriculteurs et des mesures compensatoires et environnementales, les interventions de M. le président me donnent parfois l’impression, et je le dis de façon humoristique, d’assister déjà à l’audition du concessionnaire.
J’en viens au sujet de l'eau, qui me paraît essentiel. Dans le cadre de cette autoroute, en plus des quatorze cours d'eau impactés, cent-vingt-mille mètres cubes d’eau seront affectés au chantier. Dans un contexte de tension sur l'eau, et au regard de son importance pour l’agriculture et pour la biodiversité, ces éléments-là vous ont-ils été communiqués au moment des discussions sur le protocole ?
Je souhaite ensuite évoquer les zones d'occupation temporaire. Les centrales à bitume sont, en tant que dispositifs sensibles, concernées par les déclarations obligatoires. La capacité totale est de 252 tonnes de bitume pour la première et de 280 tonnes pour la seconde. Avez-vous, en tant que chambres d'agriculture, été consultées sur l'emplacement de ces centrales ? Les agriculteurs ont-ils participé aux négociations d'indemnisation de ces parcelles puis de leur remise en état ? Il faut, là encore, mesurer l’impact qu’aura la fabrication du bitume sur les cours d'eau situés à proximité.
Pour terminer, une indemnisation collective d’un montant de 2,5 millions d'euros aurait été mise en place en faveur des chambres d’agriculture du Tarn et et de Haute-Garonne sur la base du protocole d’éviction. Pouvez-vous confirmer ce montant et les modalités de versement ?
M. Jean Terlier, président. Je ne manque pas, après votre intervention madame la rapporteure, de vous faire savoir qu’à entendre vos questions, j’ai quant à moi l’impression d’assister à l’audition des associations anti-autoroutes.
Je précise également qu’il s’agit de centrales de fabrication d’enrobé, et non de bitume.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Les centrales d’enrobé fabriquent bien du bitume, à hauteur des quantités que j’ai indiquées.
M. Jean Terlier, président. L’emploi de ce terme étant orienté, je me permets, au regard de votre parfaite connaissance du dossier et de précédents échanges sur le sujet, d’apporter cette rectification.
M. Sébastien Albouy. Les centrales en question n’étant pas situées sur le territoire de la Haute-Garonne, je n’ai pas pris part aux discussions sur ce sujet. Il en va de même pour les discussions sur l’eau, auxquelles nous n’avons pas, à ma connaissance, été associés.
M. Jean-Claude Huc. Je découvre aujourd’hui le sujet des cours d’eau traversés, qui reste à mon sens du ressort des administrations locales.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je précise, pour la bonne compréhension du sujet, que les cours d’eau ne sont pas traversés, mais dérivés.
M. Jean-Claude Huc. S’agissant des cent-vingt-mille mètres cubes d’eau nécessaires pour le chantier, vous avez cité plusieurs points de prélèvement, et je fais moi-même partie du conseil syndical qui gère les deux retenues de Messal et Geignes. Je n’ai pas non plus connaissance de ce sujet, mais m’informerai sur la façon dont il est géré, et vous apporterai une réponse par écrit. Soyez néanmoins assurée que ces cent-vingt-mille mètres cubes seront prélevés dans des conditions qui ne perturberont pas l'activité agricole, et je m’assurerai que la gestion de ce dossier permette de garantir que la production des agriculteurs connectés à ces retenues ne subisse aucun préjudice.
Quant aux deux centrales, qui se situent effectivement dans le département du Tarn, la chambre d’agriculture n’a pas non plus été consultée sur leur emplacement. Je solliciterai, si nécessaire, les services de l’État sur les effets induits, pour m’assurer qu’il n’y ait aucune incidence sur la qualité de certaines productions locales dont le cahier des charges est spécifique. Je souhaite effectivement m’assurer que cette activité, qui doit durer environ un an, ne perturbe pas les productions situées dans son périmètre.
L’indemnisation collective s’élève quant à elle à environ 2,1 millions d’euros, soit pour un peu moins de 300 hectares, 7 000 euros par hectare. J’ai évoqué précédemment ce chiffre en faisant référence à la compensation agricole collective, à laquelle nous sommes parmi les premiers à avoir accès. Cette compensation sera gérée, dans chacun des départements, par les chambres d’agriculture et la DDT. Des projets seront ainsi mis en place avec la profession agricole, puis la CDOA débattra sur la pertinence et l’éligibilité de ces projets. Les montants, qui seront consignés à la Banque des territoires, ne sont donc aucunement au bénéfice de la chambre d’agriculture, dont le rôle se limitera à orienter le versement des sommes vers des projets collectifs mis en place sur le territoire. La décision de charger la CDOA de travailler sur ces dossiers est issue d’échanges avec les services de la préfecture du Tarn, et nous pouvons imaginer une CDOA commune aux deux départements pour débattre des dossiers et orienter la distribution des fonds.
M. Sébastien Albouy. Cet argent est aujourd’hui déposé auprès de la Banque des territoires, qui est un organisme public. La chambre d’agriculture, si elle siège au sein du CDOA, ne dispose que de trois places sur un total d’une vingtaine de membres. Elle peut donc travailler et présenter des projets techniques, mais pas décider du fléchage des sommes, dont la responsabilité revient bien aux représentants du monde agricole. Non seulement nous ne détenons pas ces fonds, mais nous n’avons donc pas non plus le pouvoir de décider souverainement de leur orientation.
M. Jean-Claude Huc. Les deux chambres d’agriculture militent aujourd’hui en faveur de projets structurants, durables et résilients pour le territoire, qui puissent idéalement permettre de compenser intégralement les pertes.
M. Jean Terlier, président. Nous comprenons que cette compensation collective ne représente pas une source d’enrichissement pour les chambres d’agriculture.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Vous avez indiqué, Monsieur Huc, avoir été en faveur du réaménagement de la RN126. La motion relative au projet de l’autoroute A69, signée par la chambre d'agriculture du Tarn le 29 novembre 2021, qui contient plusieurs réserves, indique notamment : « La chambre d'agriculture déplore que la DUP ait été établie sur le tracé qui créé le plus de délaissés agricoles, réduisant ainsi encore davantage le potentiel agricole du territoire. » Avez-vous eu connaissance, depuis cette date, d’éléments économiques factuels étayant le fait que cette autoroute entraînera le développement ou le désenclavement du bassin de Castres-Mazamet, et vous permettant, aujourd’hui, de vous positionner en faveur du projet par voie de presse ?
M. Jean-Claude Huc. Vous affirmez que je me suis positionné en faveur de l’autoroute par voie de presse ?
M. Jean Terlier, président. Il s’agit, M. Huc, d’un élément positif.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Un article paru dans Voix du Midi, reprenant les propos que vous aviez tenus lors de la conférence de presse du 25 avril 2023, indique en effet votre position favorable.
M. Jean-Claude Huc. Les réserves que j’ai pu émettre vous ont été publiquement exprimées, et j’estime vous avoir fait clairement état de ma position initiale concernant le réaménagement. Mais à partir du moment où le projet de cette autoroute reliant Toulouse et Castres a été acté, j'ai travaillé à son élaboration en ma qualité de président élu d’une chambre consulaire, et mes opinions personnelles n’ont pas à être exprimées. Mon rôle est celui de travailler pour limiter l’impact du projet sur les agriculteurs, exploitants comme propriétaires. Le protocole d’éviction que nous avons élaboré me semble avoir globalement répondu aux attentes des acteurs de terrain puisque, malgré les possibles contentieux à venir, un grand nombre d’accords a aujourd’hui été signé. J’ai pris très tôt position sur la nécessité d’un réaménagement, mais, au regard de ma nature constructive, j’ai, à partir du moment où la décision de l’État était prise, accompagné le projet pour en limiter l’impact sur la production et les propriétaires.
Il me semble en outre, que pour la création de valeur dans le Sud du Tarn, cet outil permettra à certaines entreprises agricoles de travailler avec la métropole toulousaine. Le département du Tarn a notamment fait le choix de s’associer à PSS 31, plateforme toulousaine de producteurs agricoles qui travaille aujourd’hui avec les acteurs du Sud, et l’autoroute est à mon sens un moyen d’irriguer mutuellement les territoires. Pour ce type de raisons, j’ai donc toujours estimé que, côté agriculture, nos acteurs avaient tout intérêt à disposer d’une liaison autoroutière permettant de rejoindre Toulouse, capitale régionale. Je n’ai donc pas attendu que des éléments factuels me soient communiqués par l’un ou l’autre des protagonistes pour me positionner, l’importance de cette liaison autoroutière étant soulignée par les études que nous avons conduites.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Je prends note de votre position, qui concerne strictement le secteur agricole.
La motion du 29 novembre 2021 indique d’autre part : « La chambre d’agriculture demande que les surfaces affectées aux compensations écologiques ne s’ajoutent pas aux surfaces agricoles consommées par l’ouvrage ». Des réponses concrètes aux nombreuses et pertinentes questions de votre motion vous ont-elles été apportées, en amont de la signature, le 18 mars 2022, des protocoles d'accord ?
M. Jean-Claude Huc. J’estime qu’il n’existe aucun lien entre le sujet de la compensation environnementale et celui du protocole d’accord d’éviction temporaire. Ce dernier, signé conjointement par les deux chambres avec Atosca, représente une base de calcul pour les négociations menées par les propriétaires et les exploitants. À aucun moment il n’a été question de conditionner sa signature à la satisfaction de nos exigences en termes de compensation environnementale. Il nous est toutefois arrivé, à l’occasion des commissions autoroutières précédemment évoquées, de signifier à Atosca que nous jugions leurs compensations environnementales insatisfaisantes. S’il serait mensonger d’affirmer que des réponses ont été apportées à l’ensemble de nos demandes, certaines ont été satisfaites, dans la mesure des moyens et des capacités du concessionnaire.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Il a été porté à ma connaissance que des agriculteurs revendraient de l’eau à Atosca. En êtes-vous informé et jugez-vous cela normal ou légal ?
M. Jean-Claude Huc. Je ne dispose d’aucun élément sur ce sujet.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Il s’agit plutôt, pour rectifier, d’Atosca qui achèterait de l’eau aux agriculteurs.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Vous avez indiqué, monsieur Huc, que le désenclavement était pour vous un critère essentiel. Or, lors de leur audition, M. Remi Benos, géographe, et M. Julien Milanesi, économiste, nous ont expliqué que la notion de désenclavement, trop subjective, ne saurait représenter un concept scientifique opératoire. L’agglomération de Castres-Mazamet, qui n’est ni enclavée ni défavorisée, apparaît plutôt comme un territoire attractif qui ne perd pas d’habitants. Le projet d’autoroute risque donc, au contraire, d’entraîner un déport des comportements de consommation des habitants de Castres vers les commerces de Toulouse. Aussi, pouvez-vous nous indiquer à partir de quels critères vous définissez l’enclavement de l’axe vers le Sud duTarn ?
Ma seconde question concerne les champs scindés en deux qui se trouvent sur l’axe autoroutier, et les agriculteurs qui seront contraints de parcourir plusieurs kilomètres pour le traverser. Pouvez-vous nous indiquer combien d’exploitations sont concernées ?
M. Jean-Claude Huc. J’ai employé le terme enclavement sans en saisir la portée ou la signification scientifique précise. Ma connaissance fine du territoire me permet toutefois d’affirmer qu’il était nécessaire d’aménager une véritable liaison entre le bassin mazamétain et la capitale régionale qu’est Toulouse. Si j’ai bien saisi le caractère subjectif du terme, certains territoires de l’arrière-pays tarnais apparaissent nettement enclavés en comparaison du secteur Castres-Mazamet, et c’est donc l’accès à ce bassin, qui reste un passage secondaire entre Toulouse, la Méditerranée et les Monts de Lacaune, qui devait être accompagné.
M. Jean Terlier, président. La question du désenclavement a été tranchée dans le cadre de la déclaration d’utilité publique, qui la cite comme motif.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Au-delà des prises de position et des opinions, il me semble nécessaire de s’appuyer sur des faits scientifiques. Or, les cartes montrent que les échanges quotidiens entre Castres et Toulouse sont déjà quasiment équivalents à ceux entre Albi et Toulouse. La notion d’enclavement ou de désenclavement peut donc être profondément subjective.
M. Jean-Claude Huc. Nous pouvons donc imaginer que ces échanges seront encore amplifiés grâce à un accès facilité. J’ai précédemment cité l’exemple du travail que nous menons, communément avec la Haute-Garonne, avec une plateforme de distribution de produits locaux auprès des magasins et de la restauration collective. Les gestionnaires de cette entreprise ont souvent déploré la complexité des échanges avec Castres, et la contrainte de passer par Albi pour s’y rendre. S’il s’agit d’un élément factuel dans ma prise de position, je n’ai pas personnellement analysé, par rapport à la zone de chalandise, l’effet qu’aurait la création d’une autoroute sur les comportements de consommation de la population castraise.
Quant aux champs scindés en deux, j’ai précédemment indiqué que le territoire traversé par l’autoroute était déjà globalement remembré. Mais malgré nos efforts, il est inévitable que les contraintes inhérentes au tracé d’une autoroute soient la cause de coupures de parcelles. Cela nous ramène à la question du stockage et de l’aménagement foncier, pour lesquels j’ai milité afin que les champs scindés puissent se reconstituer et que les exploitants ne soient soumis à aucune contrainte supplémentaire. Nous savons par ailleurs, et les événements de ces derniers mois en témoignent, que les charges de production de l’Occitanie n'ont pas besoin d’être augmentées, et qu’il est donc nécessaire que les agriculteurs disposent d’un outil de travail qui corresponde à leur activité et aux réalités du marché. Si j’admets donc que quelques parcelles sont touchées, nous œuvrerons pour que la situation se règle, soit grâce au stockage Safer, soit grâce à la compensation en surfaces. Nous devons nous souvenir que les contraintes, sur lesquelles le concessionnaire tourne la page dès l’ouvrage achevé, continuent ensuite à toucher l’agriculteur dans son travail quotidien. Nous devons donc limiter au maximum le nombre d’exploitations impactées, et je n’exclus pas, dans les années à venir, et même après la fin des travaux, de poursuivre les discussions avec le concessionnaire et les opérateurs sur ce sujet. Certaines contraintes, qui n’ont pas été anticipées, risquent en effet de se faire jour une fois les travaux achevés.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). La notion de compensation s’en trouve remise en question.
M. Jean-Claude Huc. Il convient de distinguer les compensations individuelles, liées à la Safer ou aux indemnités versées pour la perte de production, et la compensation environnementale et collective, qui est une réponse à la perte de production globale du territoire par rapport aux hectares concernés.
M. Jean Terlier, président. Je rappelle que le concessionnaire, dans le cas d’un champ coupé en deux, a l’obligation d’en rétablir l’accès. Le protocole signé avec Atosca prévoit par ailleurs une majoration de l'indemnisation à hauteur de 35 % en cas de dépréciation de l'exploitation, ainsi que des indemnités au titre des allongements de parcours. J'imagine que ces éléments se retrouvent dans le cadre du protocole d'indemnisation.
M. Jean-Claude Huc. Ces éléments sont effectivement prévus. Mais au-delà des compensations basées sur un état des lieux à un moment donné, il est également nécessaire de prendre en compte l’ensemble des contraintes d’activité ou de production qui toucheront ensuite l’agriculteur dans son travail quotidien.
M. Sébastien Albouy. Notre travail sur le sujet de l’aménagement foncier devra se poursuivre dans le temps afin de regrouper au maximum les parcelles ou les propriétés impactées. Il fait d’ailleurs partie des missions de plusieurs organismes du territoire. Car bien qu’un dédommagement financier soit prévu à date, les exploitations seront touchées pendant des décennies par cet ouvrage qui, malgré ses points de passage, représentera une barrière durable.
M. Jean-Claude Huc. Je tiens donc à vous rassurer, madame la députée, en vous disant que nous continuerons longtemps à interpeller le concessionnaire sur ce sujet.
M. Jean Terlier, président. Nous allons, dans le cadre de l’audition suivante, entendre Mme Stéphanie Cavenne sur les sujets du remembrement et de l’aménagement foncier en cours sur le tracé de l’autoroute.
Je vous remercie, messieurs les présidents, pour vos explications très complètes, et vous rappelle que vous pouvez nous faire parvenir vos compléments par écrit.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Une indemnité à un moment donné ne compense effectivement ni les baisses de production agricole, ni l’ensemble des impacts sur l'environnement ou la capacité agricole.
Pouvez-vous nous indiquer si le comité de suivi des mesures compensatoires, duquel vous êtes membre de droit, a fait état de réserves sur les mesures qui doivent être corrigées par Atosca ? Avez-vous eu connaissance de ces mesures correctives ou êtes-vous, pour l’instant, dans l'attente ?
M. Jean-Claude Huc. Nous ne disposons d’aucun élément de bilan sur les mesures agricoles.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Cela confirme les propos qui nous ont été tenus hier, et nous interrogerons donc directement Atosca sur le sujet.
Je vous remercie tout particulièrement, monsieur Huc, pour la connaissance profonde que vous avez de vos dossiers. Bien que je ne partage pas l’ensemble des pratiques, les agriculteurs ont de la chance de vous avoir à leurs côtés.
M. Jean Terlier, président. Je précise que si la durée d'indemnisation a été fixée, au terme des négociations, à sept ans, c'est justement parce qu’il a été estimé que c’est cette durée qui permet à l'agriculteur exproprié de retrouver sa situation antérieure.
M. Jean-Claude Huc. La durée annoncée au début des négociations était effectivement de cinq ou six ans, et nous avons obtenu qu’elle soit fixée à sept ans avec une compensation supplémentaire pour les jeunes agriculteurs.
M. Jean Terlier, président. Il était important, au regard des propos de Mme la rapporteure, que ces éléments soient bien précisés.
*
La commission auditionne Mme Stéphanie Cavenne, directrice de l’attractivité et de la culture du département du Tarn, sur le remembrement foncier agricole consécutif aux travaux de l’A69, accompagnée de M. Jean Barillot, directeur général adjoint des mobilités, de l’aménagement durable, de l’environnement et des citoyennetés, de Mme Inès Bertin, chargée de mission pour l’aménagement foncier et de M. Patrick Maury, assistant à maîtrise d’ouvrage du département, géomètre-expert agréé en aménagement foncier et directeur du cabinet Yantris (Toulouse).
M. Jean Terlier, président. Nous poursuivons nos travaux consacrés aux conséquences de l’autoroute A69 sur l’agriculture.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de contribuer à nos travaux. Votre audition fait suite à celle que nous venons de tenir avec les présidents des chambres d’agriculture de Haute-Garonne et du Tarn sur les protocoles d’indemnisation. Elle a pour objet de nous exposer le travail accompli par le département, conjointement avec la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), pour opérer les inévitables remembrements d’exploitations agricoles, ainsi que les aménagements fonciers.
Avant de vous laisser vous exprimer, je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le portail de l’Assemblée nationale.
Mesdames, messieurs, il convient préalablement à votre intervention de respecter une procédure : en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire : « Je le jure ».
(Mme Stéphanie Cavenne, M. Jean Barillot, Mme Inès Bertin et M. Patrick Maury prêtent serment.)
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Souhaitant que cette commission fasse date dans la transparence de son fonctionnement, je rappelle en préambule que tous mes questionnaires sont envoyés à l'ensemble des membres de la commission.
Notre commission d'enquête a pour objet d'examiner le montage juridique et financier de l'autoroute A69. Cet axe passe par des espaces agricoles et provoque donc des remembrements d'exploitation, qui bouleversent durablement les équilibres agricoles existant parfois depuis de nombreuses années. Vous avez ainsi, dans ce cadre, à gérer des situations humaines, en essayant à la fois de préserver les pratiques agricoles et de limiter les conséquences environnementales.
Je vous ai adressé un questionnaire, qui peut, si vous le souhaitez, servir de fil conducteur à vos exposés. Dans la mesure où tout ne pourra pas être abordé de façon exhaustive dans le cadre de cette commission, vous pourrez compléter vos propos par des réponses écrites qui alimenteront l’élaboration du rapport.
Mme Stéphanie Cavenne, directrice de l’attractivité et de la culture du département du Tarn. Le département n’est compétent en matière d'aménagement foncier, agricole, forestier et environnemental que depuis 2005, date du transfert de la compétence par l'État en application de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux. C’est ce projet d’axe autoroutier entre Castres et Toulouse qui a représenté la première occasion, pour le département du Tarn, de mettre en oeuvre cette compétence. Nous disposons aujourd’hui d’agents au sein du département ainsi que d’un assistant à maîtrise d'ouvrage.
S’agissant de la genèse du projet, nous avons tout d’abord été saisis par le préfet le 6 avril 2016, lors de l’ouverture de l’enquête publique sur la liaison autoroutière, et pour le lancement des procédures d'aménagements fonciers, agricoles et forestiers. À la suite de cette saisine et au regard du nombre conséquent de communes impactées par le projet, soit dix-sept dans le Tarn, nous avons jugé nécessaire de procéder à une pré-étude foncière, pour laquelle nous avons missionné, au début de l’année 2017, le bureau d'études externe Sogexfo, composé de géomètres experts agréés. Nous souhaitions en effet, au vu du linéaire concerné, disposer d’une vision des périmètres potentiels des commissions locales d'aménagement foncier, ces dernières étant à la base de nos procédures. En effet, bien que le département soit pilote des procédures d’aménagement foncier en termes d'organisation, de gestion, ou encore de secrétariat, celles-ci sont décidées localement, au sein des territoires concernés, par ces commissions.
Cette pré-étude, qui visait donc à anticiper les zones territoriales de cohérence pour les futures recompositions parcellaires, a conduit à la définition, en 2017, de sept commissions locales sur les dix-sept communes concernées. Deux d’entre elles, celle de Castres et celle de Saint-Germain-des-Prés, sont des commissions communales d'aménagement foncier (CCAF), et cinq autres sont des commissions intercommunales d'aménagement foncier (CIAF), sur la base de regroupements de communes basés sur les interactions entre les propriétés et les exploitations agricoles. Au-delà de son obligation d'agir, la procédure étant clairement formalisée par le code rural, le département du Tarn a également perçu l’intérêt des mesures de compensation des dommages causés aux exploitations agricoles. Si la gestion de cette mesure a été confiée à ma direction, c’est en raison de son champ de compétences, qui inclut la mise en œuvre des politiques départementales agricoles. Le résultat de cette pré-étude nous a ainsi permis de présenter les contours de ces sept commissions locales d’aménagement foncier à la validation d’une commission départementale d’aménagement foncier (CDAF), qui s’est tenue le 24 novembre 2017, et au cours de laquelle les élus ont pu délibérer sur leur mise en place. Ces commissions d'aménagement foncier sont des organes décisionnels. Elles approuvent l'opportunité d'un aménagement, élaborent et délibèrent sur le périmètre d'opérations concerné, valident le classement des terres ainsi que le nouveau projet parcellaire et le programme des travaux connexes éventuellement décidé, et examinent enfin les réclamations issues des enquêtes ou des consultations publiques conduites tout au long de la procédure.
Les décisions sont donc prises par une majorité de représentants locaux. Ces commissions sont en effet composées d’un président, désigné par ordonnance du tribunal de grande instance parmi la liste des commissaires enquêteurs, d’un ou de plusieurs représentants de la ou des commune(s) concernée(s), en la personne du maire ou d’un conseiller municipal désigné, de représentants des exploitants agricoles, désignés par la chambre d'agriculture, et de représentants (deux pour une CIAF, trois pour une CCAF), de propriétaires de biens fonciers, désignés par les conseils municipaux des communes concernées. Trois personnes qualifiées pour la protection de la nature siègent également au sein des commissions : l’association Arbres et Paysages Tarnais, désignée par la chambre d'agriculture, ainsi que la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et la Société tarnaise de sciences naturelles (STSN), désignées par le président du département. Siègent également deux fonctionnaires du département du Tarn, à savoir un représentant des services fiscaux et une chargée de mission, en la personne d’Inès Bertin ici présente, et une secrétaire, qui ne participe pas au vote. Cette composition démontre à la fois le caractère d'indépendance de la commission et la représentation de personnalités locales.
Les commissions intercommunales sont les suivantes : Teulat Montcabrier Bannières ; Cambon-lès-Lavaur Maurens-Scopont Villeneuve-lès-Lavaur ; Cuq-Toulza Algans ; Lacroisille Appelle Puylaurens ; enfin, Saïx Soual Cambounet-sur-le-Sor Viviers-les-Montagnes.
M. Jean Terlier, président. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste un aménagement foncier ? Schématiquement, des parcelles sous emprise sont mises en commun et évaluées, puis chaque propriétaire et exploitant se voit, en fonction des priorités émises par les commissions, attribuer soit une ou plusieurs de ces parcelles, soit une indemnisation ?
M. Patrick Maury, assistant à maîtrise d’ouvrage du département, géomètre-expert agréé en aménagement foncier et directeur du cabinet Yantris. Un aménagement foncier consiste à regrouper des parcelles afin de pouvoir, dans le cadre de l’aménagement linéaire, éviter l’emprise de l’ouvrage pour le céder au concessionnaire et déplacer tous les propriétaires pour libérer cet espace et, en réorganisant la propriété, en faciliter l’exploitation. Il s’agit donc d’une réorganisation des propriétaires au bénéfice des exploitants, car ce sont des nuisances causées à ces derniers que naît ce besoin d’un aménagement foncier. Comme le droit de propriété est fondamental, la procédure est strictement encadrée par le code rural.
Si plusieurs modes d’aménagement foncier sont prévus par le code rural, seules deux options peuvent être choisies par la commission dans le cadre d’un aménagement linéaire : le mode avec inclusion de l’emprise ou le mode avec exclusion de l’emprise, prévus par l’article L. 123-24 et précisés par l’article R. 123-32 du code rural. Une exclusion d’emprise signifie que l’ouvrage est acheté par le concessionnaire par expropriation, avec des indemnités directes versées au propriétaire, tandis que, dans le cas de l’inclusion de l’emprise, des portions de terrain sont prélevées sur l’ensemble des propriétaires de façon à pouvoir constituer l’emprise. Chacun perd ainsi une parcelle, les propriétaires sont déplacés, et l’emprise est constituée. La constitution d’emprise est par ailleurs encadrée par des règles précises, selon lesquelles la perturbation de la surface d’un propriétaire ou d’un exploitant doit être limitée à 5 %.
L’exclusion d’emprise est le mode le plus simple. Le maître d’ouvrage situe le périmètre de l’emprise de l’ouvrage, puis achète directement les terrains. Des intérêts individuels entrent ainsi en jeu, puisque chaque propriétaire doit discuter directement avec le concessionnaire, soit de façon amiable, soit par voie judiciaire. Lorsqu’un ouvrage conduit à l’amputation des terres d’un propriétaire ou d’un exploitant, la restructuration vise à s’assurer qu’il ne soit pas nécessaire pour l’exploitant de devoir traverser l’ouvrage pour travailler. Il s’agit là d’opérations modestes de restructuration, au sein desquelles la valeur vénale devient la principale source de motivation des propriétaires. Dans le cadre des exclusions, le traitement des propriétaires est en outre différencié selon qu’ils sont assistés d’experts ou qu’ils se défendent par eux-mêmes. Lorsque certaines exploitations sont lourdement amputées, l’expropriation vient aggraver encore les perturbations.
Dans l’inclusion d’emprise en revanche, l’ouvrage fait partie de l’opération d’aménagement. Le code rural prévoyant l’impossibilité d’enlever plus de 5 % des terres d’un propriétaire ou d’un exploitant, le périmètre d’étude et d’intervention est de fait plus important, et le périmètre perturbé correspond à vingt fois l’emprise de l’ouvrage. Les effets de coupure sont ainsi plus aisés à résorber, puisque l’étendue du périmètre permet de faire passer l’agriculteur d’un côté ou de l’autre de l’ouvrage. Les dommages sont en outre mutualisés sur l’ensemble du périmètre. Les personnes concernées n’intervenant pas directement dans les discussions avec le concessionnaire, qui n’achète que le prélèvement éventuel ; la valeur vénale devient dès lors un élément secondaire. L’emprise, comme le prévoit le code rural, sera alors libérée au cours de l’opération. La Safer peut, à ce moment, acheter du terrain n'importe où au sein du périmètre pour créer cette emprise, dans le cadre d’une convention avec le concessionnaire, sur la base des montants indiqués dans le protocole d’éviction.
M. Jean Terlier, président. Pouvez-vous nous confirmer que le choix d’une inclusion d’emprise a bien été fait pour l’ensemble du tracé ?
Mme Stéphanie Cavenne. Sur les sept commissions, trois travaillent sur le choix de l’inclusion et quatre sur celui de l’exclusion.
M. Patrick Maury. Sur la partie Ouest du territoire, où les terres agricoles sont fertiles, la solidarité et la volonté de mutualisation du risque de perte des exploitations ont orienté le choix vers l’inclusion d’emprise. En revanche, à l’Est du territoire, au sein de zones plutôt périurbaines, le traitement individuel du dommage à travers l’exclusion d’emprise a été préféré.
M. Jean Terlier, président. Peut-on estimer que les remembrements antérieurs de certains secteurs justifient que cette solution y ait été préférée ?
M. Patrick Maury. Bien que certaines communes aient effectivement connu des réaménagements fonciers par le passé, ce critère n’a pas été essentiel dans la prise de décision, et les commissions ont plutôt orienté les discussions sur la notion de solidarité et de traitement à travers un projet commun. Le choix de l’inclusion a ainsi été fait par les maires et les exploitants qui avaient su identifier un projet de territoire. Dans les endroits où la défense individuelle des intérêts a prévalu, les exploitants et les propriétaires se sont en revanche orientés vers l’exclusion. La commission étant composée pour plus de la moitié de membres locaux, les choix ont bien été effectués localement et non pas imposés par l’administration.
Mme Stéphanie Cavenne. La décision d'inclusion ou d'exclusion est intervenue au terme de trois réunions des commissions. En plus des études et des enquêtes publiques menées, le département a veillé à communiquer toutes les informations complémentaires sollicitées sur ces sujets complexes et à expliquer autant que nécessaire la procédure.
La première de ces réunions des sept commissions a été organisée au début de 2021. La deuxième s’est tenue au début de l’année 2022, sur la base d’une étude foncière et environnementale qui contenait déjà des propositions sur les opportunités d'aménager, sur les modes d'aménagement et le périmètre, et sur les prescriptions environnementales. Fortes de ces éléments, les commissions se sont, à cette époque, positionnées sur un premier choix provisoire qui a ensuite été soumis à enquêtes publiques entre mai et septembre 2022. Au cours de la troisième phase de réunions, organisée à l’automne 2022, les membres ont pu, après avoir étudié les observations formulées au cours de ces enquêtes, statuer sur le choix définitif de réaliser, ou non, un aménagement foncier, sur le mode d’aménagement et sur le périmètre.
C’est sur cette base qu’ont été pris les arrêtés préfectoraux de prescription environnementale permettant d’encadrer la procédure. Le président du département a ensuite pu prendre, à la fin de l’année 2023, les arrêtés ordonnant les opérations d’aménagement foncier, agricole, forestier et environnemental (Afafe), clôturant ainsi la phase préalable et ouvrant la phase opérationnelle. Sur chacun des périmètres, le département a dès lors pu assigner une mission à un géomètre expert qui, en lien avec la commission locale, procède à la recomposition parcellaire (changement de propriété, utilisation des éventuels stocks Safer, etc.). C’est dans cette phase que nous nous trouvons aujourd’hui.
M. Patrick Maury. En plus de l’enquête publique sur le périmètre, prévue dans le code de l’environnement, il est prévu, dans le cadre des aménagements fonciers, un envoi individuel de courriers à l’intérieur des périmètres pressentis. La transparence locale a donc été totale grâce à cette consultation directe et individuelle des propriétaires, et à l’envoi de 1 500 courriers.
J’ajoute que, dans le cadre d’un aménagement linéaire, le concessionnaire devant prendre en charge tous les dommages liés à l’ouvrage, le code rural indique que c’est le président du conseil départemental qui ordonne les opérations, à la suite de la décision de la commission communale ou intercommunale.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Cela montre une fois de plus que les transferts de compétences vers les collectivités ne sont pas nécessairement accompagnés du transfert des financements permettant d’accompagner ces procédures extrêmement complexes. Le département doit aujourd’hui être pleinement engagé, particulièrement au regard du caractère rural de son territoire
Je souhaite revenir, après ce nécessaire cadrage global, sur la question concernant le nombre d'exploitations et les surfaces agricoles concernées par cet aménagement foncier. Conformément à vos précisions, confirmez-vous que le calcul à réaliser est de 350 hectares multipliés par 20 ?
Mme Stéphanie Cavenne. Il s’agit bien du calcul théorique issu des textes, que le travail d’étude a permis d’affiner. À ce jour, les sept commissions d’aménagement ont recensé 180 exploitations concernées, soit 7 235 hectares.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Votre propos démontre que la construction d’une autoroute impacte bien plus nettement ceux qui sont concernés que l’élargissement d'une route nationale. Si nous nous situons dans le cadre d’un territoire rural, un tel projet dans un territoire urbain aurait pu s’accompagner d’expropriations de maisons ou d'entreprises. Ce chiffre est infiniment plus élevé, même s’il ne correspond pas exactement à vingt fois le nombre d'hectares touchés par l'emprise de l'infrastructure. Ces éléments sont donc essentiels pour mesurer les conséquences que le choix d'une autoroute peut avoir sur le monde agricole et sur la gestion par les acteurs locaux.
Mme Stéphanie Cavenne. Ces chiffres correspondent à la réalité actuelle du territoire et le nombre d’exploitants et d’hectares réellement traités dans les projets d’aménagement foncier sera moindre.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je l’espère.
M. Patrick Maury. Je citerai l’exemple de l’aménagement foncier du secteur de Castres, où l’autoroute passe sur le bord du périmètre. Si le concessionnaire estimait au départ que les exploitations ne subiraient aucune perturbation du fait de leur position, l’étude a au contraire démontré que les conséquences dépasseraient largement l’impact immédiat de l’ouvrage. Le passage de l’autoroute sur le côté des exploitations ne signifie donc pas qu’elles soient exemptées de perturbations, et l’impact de l’élargissement apparaît plus large que nous ne le pensions.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. J’en suis convaincue. Nous avons auditionné juste avant vous les présidents des chambres d’agriculture, et particulièrement celui du Tarn, qui nous indiquait avoir depuis longtemps interpellé la Safer sur la question du stockage des terres, jugé insuffisant. Comment pensez-vous donc gérer la question des mesures compensatoires pour le secteur agricole au vu de ce stockage insuffisant ?
De quelle façon pensez-vous ensuite, s’agissant de ces mesures compensatoires, traiter la reconstruction des zones humides particulièrement riches en termes de biodiversité ? Il faut en effet compter un minimum de dix années pour arriver à un niveau de biodiversité correct dans une zone humide recréée là où il n’en existait pas.
Le département a-t-il été associé au protocole d'accord conclu par les chambres d’agriculture ?
Pensez-vous enfin, au regard des erreurs d’attributaire que peut comporter la matrice cadastrale, que certains propriétaires pourraient ne pas avoir été consultés ? Je pense particulièrement au Château de Scopont.
Mme Stéphanie Cavenne. Le département, qui ne dispose d’aucun droit de regard sur les protocoles d’occupation temporaire et d’éviction, n’avait pas à être associé aux échanges. Nous avons cependant été régulièrement tenus au courant de l'avancée des travaux, par le biais du groupe de travail auquel sont associés tous les acteurs concernés du monde agricole.
Je reviens sur le sujet du nombre d'exploitants concernés par l’Afafe. Il est important que beaucoup d'exploitants et d’hectares soient inclus dans les opérations d'aménagement foncier, afin qu’ils puissent bénéficier de solutions pérennes, qu’ils ne perdent pas de valeur ajoutée, et que la dégradation de leurs conditions d’exploitation reste limitée. Bien que l’importance du chiffre précédemment annoncé ait vocation à diminuer, il est donc nécessaire de s’assurer que l’ensemble des personnes concernées soit bien inclus dans le périmètre.
M. Patrick Maury. Le code rural dispose, dans ses articles L. 123-25 et R. 123-32, que le concessionnaire doit faire appel à la Safer pour constituer l’emprise. Si le département y a veillé dès le début, la constitution du stock s’est avérée complexe du fait des incertitudes liées, à cette époque, à la réalisation du projet. Le concessionnaire a ensuite signé une convention avec la Safer, et commencé à constituer ce stock. Il est donc complexe de créer un stock tant que les opérations d’aménagement ne sont pas définies avec certitude, et tant que les personnes concernées n’en réalisent pas l’impact réel. Il est toutefois acté, aujourd’hui, que les prélèvements de terrains se situeront entre 0 et 2 % sur les commissions avec inclusion d’emprise. La commission de Teulat Montcabrier Bannières a par exemple acté un prélèvement à 0 %, la Safer ayant réussi à apporter l’équivalent et créé un surplus volontaire de stock équivalent à treize hectares, de façon à permettre au géomètre de bénéficier d’une souplesse dans les échanges. Pour la commission de Cuq-Toulza Algans, le stock est complet et aucun prélèvement n’est aujourd’hui nécessaire. Seule la CIAF de Lacroisille Appelle Puylaurens connaît un stock insuffisant lié à des problématiques d’indemnisation d’un exploitant, la Safer nous ayant garanti qu’un accord serait trouvé. Bien que nous ne soyons pas dans l’obligation d’apporter notre aide, nous tâchons donc de favoriser ces situations, et nous estimons qu’il n’y aura pas de prélèvement.
Quant à la création du stock pour les besoins environnementaux, le concessionnaire doit assurer des mesures de compensation environnementale sur des parcelles situées à l’intérieur de nos périmètres d’opération. Les prescriptions environnementales prises par le préfet, précises, détaillées, et adaptées individuellement à chaque périmètre, indiquent bien que ces mesures doivent être prises en compte afin de limiter la détérioration. Le géomètre expert chargé des opérations aura donc à travailler sur ces prescriptions et devra travailler, avec le bureau chargé de l’étude d’impact, non seulement sur les effets réels de l’aménagement foncier, mais également sur les effets cumulés. Les acteurs devront donc, comme le précisait le cahier des charges, travailler ensemble. La création de « surstock » par la Safer, qui correspond à environ treize hectares sur la CIAF 1, dix hectares sur la CIAF 3, et 30 hectares sur la CIAF 4, permettra donc au géomètre de travailler sur ce capital environnemental. Le géomètre et le bureau d’étude doivent agir dans le sens d’une amélioration environnementale et, au-delà des mesures environnementales compensatoires proposées par l’ouvrage, les aménagements fonciers doivent être une opportunité de valorisation de l'espace. Les zones d’inclusion, contrairement aux zones d’exclusions, davantage positionnés sur une réparation, permettent donc de s’engager dans de véritables projets de territoire, dont la dimension environnementale est une étape essentielle.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Avez-vous connaissance, pour les quatre zones d'exclusion, du nombre d'hectares correspondant à chacune des CIAF ?
M. Patrick Maury. Le code rural disposant que, sur les zones d’exclusion, la Safer ne peut intervenir qu’à des titres externes de compensation éventuelle, nous ne disposons pas de stock.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Si j’entends que la réglementation est respectée s’agissant des zones d’inclusion, ma préoccupation est celle de la préservation de notre planète, y compris au sein des zones d’exclusion.
M. Patrick Maury. On trouve, dans la CIAF Saïx Soual Cambounet-sur-le-Sor Viviers-lès-Montagnes, une zone naturelle englobée dans le périmètre d’opération. Avec l’appui de la commission, le chargé d’étude a souhaité intégrer ce complément afin d’améliorer cette zone naturelle et de ne pas la laisser en marge de l'opération. Sur les autres zones d’exclusion, la Safer ne dispose pas de stock, et il est à noter l’inexistence du marché foncier local.
Le périmètre de Teulat Montcabrier Bannières s’élève à 1 880 hectares, celui de Cambon-lès-Lavaur Maurens-Scopont Villeneuve-lès-Lavaur à 1 007 hectares, celui de Cuq-Toulza Algans à 883 hectares, celui de Lacroisille Appelle Puylaurens à 1 165 hectares, celui de Saint-Germain-des-Prés à 868 hectares, celui de Saïx Soual Cambounet-sur-le-Sor Viviers-lès-Montagnes à 1 093 hectares, et celui de Castres à 337 hectares.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vous pourrez me communiquer ces chiffres par écrit.
Pouvez-vous nous indiquer si des mesures spécifiques sont prévues pour les délaissés d’autoroute, qui existent dans ce type de projets, et les surfaces concernées ?
M. Patrick Maury. Dans le cadre des inclusions d’emprise, les délaissés font également partie de l’aménagement foncier, et le géomètre travaillera donc à recréer des parcelles exploitables. Lorsque la parcelle ne sera pas exploitable, le géomètre travaillera avec les collectivités à la valorisation de ces espaces. La chambre d’agriculture a d’ailleurs mené un travail sur ce sujet.
Mme Stéphanie Cavenne. Il était effectivement essentiel, pour la chambre d’agriculture, de ne pas laisser des terres inexploitées inutilisées. Un travail de recensement et de catégorisation des terres a ainsi été effectué pour décider, en fonction de leur taille, des actions à mener.
M. Patrick Maury. Sur les zones d’exclusion, dans lesquelles l'emprise de l'ouvrage ampute des parcelles, bien que des délaissés fassent également partie de l’opération d’aménagement foncier, nous disposons de marges de manœuvre bien moindres et il est possible qu’ils ne puissent pas bénéficier d’un traitement différencié. Chaque commission travaillera cependant localement avec le géomètre et la chambre d’agriculture afin de maintenir l’objectif de valorisation de ces espaces.
Sur la question de la matrice cadastrale, si elle est évoquée par le code rural au moment de l’enquête préalable, c’est le propriétaire réel connu au service de la publicité foncière qui est aujourd’hui consulté. Conformément au code rural, tout propriétaire souhaitant revendiquer une propriété doit se faire connaître au moment de la consultation, et un propriétaire manquant dans une opération d’aménagement foncier signifierait que la procédure n’a pas été correctement respectée. Après que le service de la publicité foncière aura transmis au géomètre l’inventaire réel des propriétaires, une consultation sera menée pour vérifier si des propriétaires souhaitent revendiquer certaines parcelles.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Il est important de l’entendre.
M. Jean Terlier, président. Même si nous n’avions aucun doute, nous voilà rassurés sur le fait que le conseil départemental n’envisage pas de spolier les propriétaires qui ne se seraient pas manifestés.
Sur les trois CIAF qui ont fait le choix d’une inclusion d’emprise, pouvez-vous confirmer l’absence de prélèvement, et même le surplus, dans celle de Teulat Montcabrier Bannières ?
M. Patrick Maury. Toutes les commissions auront un surplus grâce au travail mené entre Atosca et la Safer, puisque l’emprise est constituée non seulement à partir des achats de la Safer, mais également des achats directs du concessionnaire. Ces discussions visent à la fois à constituer le « bon stock » et à éviter de pénaliser le géomètre quand il procédera aux échanges, ceux-ci devant pouvoir se faire en toute sérénité. Même sur les secteurs 3 et 4, où un exploitant est lourdement amputé, l’option de l’inclusion reste la meilleure pour éviter les pertes pures et simples.
M. Jean Terlier, président. Connaissant bien la situation de cet exploitant dont la propriété est partagée en deux, je partage votre position : cette inclusion d'emprise permettra de rétablir une situation quasiment équivalente.
Pouvez-vous préciser quels sont les critères prioritaires d’un aménagement foncier ? Si le travail de l’expert vise à aboutir à des aménagements homogènes, des notions telles que le siège d'exploitation représentent-elles des critères de priorité ?
M. Patrick Maury. Certaines cultures spécifiques imposent en effet une réattribution obligatoire et un maintien du propriétaire. Certains espaces à proximité immédiate du siège d’exploitation, appelés parcelles attenantes, sont en outre automatiquement réattribués aux propriétaires. Si nous tenons donc effectivement compte en premier lieu, dans le travail de reconstitution, de ces critères, nous interrogeons également les exploitants sur leurs pratiques, ne souhaitant pas qu’elles s’en trouvent perturbées. Chaque agriculteur possède en effet un mode ou des manières d’exploiter qui lui conviennent, et que nous souhaitons améliorer dans la mesure du possible. Mais si un exploitant estime, à la fin de l'opération, ne pas bénéficier d’une compensation suffisante, il pourra saisir préalablement la commission départementale et, s’il n’obtient pas satisfaction, saisir ensuite le tribunal administratif pour obtenir un dédommagement. L’aménagement, bien qu’il représente une mesure compensatoire, pourra en effet se révéler, dans certaines situations, insuffisant.
Le premier objectif est donc de réduire les temps de trajet, en créant des regroupements ou des rapprochements et en construisant des ensembles de taille variable, sur la base des modes spécifiques d’exploitation ou du choix des exploitants. Si les remembrements des années 1970 étaient effectués de façon beaucoup moins fine, et contraignaient parfois les agriculteurs à des changements dans leurs modes de production, le géomètre expert travaille aujourd’hui à une adaptation locale et à une véritable valorisation.
Le rôle du département est d’encadrer la procédure, de veiller au respect des textes, et d’éviter aux propriétaires de devoir aller jusqu’à la procédure contentieuse.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Pouvez-vous nous indiquer le nombre d’hectares en inclusion dans les communes de Francarville et de Bourg-Saint-Bernard, sachant que l’autoroute ne les traverse pas ? Les cultures du groupe Pierre Fabre sont-elles concernées par ces inclusions ? Et enfin, comment seront traités les délaissés sur ces petites zones devenues inexploitables ?
M. Patrick Maury. Selon les conclusions de l’étude menée par le département au moment de la création des commissions, les territoires de Francarville et Vendine sont autonomes et ne doivent pas être traités dans le cadre des extensions de périmètres. Seuls trois hectares de la commune de Francarville et onze hectares de celle de Vendine sont ainsi compris dans des parties de parcelles.
Le traitement de Bourg-Saint-Bernard sera en revanche, au regard des exploitants communs, intégré à l’aménagement foncier de Teulat Montcabrier Bannières, à travers une extension de territoire sur une surface d’environ 90 hectares. Cette inclusion dans un périmètre intercommunal permet à Bourg-Saint-Bernard de bénéficier d’un travail mené de façon raisonnée en lien avec les exploitants du territoire. La décision concernant Francarville et Vendine appartient en revanche au conseil départemental de la Haute-Garonne.
Je ne dispose pas, à ce stade, d’éléments me permettant de répondre à votre question sur le groupe Pierre Fabre, mais une réponse vous sera apportée par écrit.
Sur le sujet des délaissés, la chambre d’agriculture a mené un travail global sur les potentialités, qui sera complété par celui du géomètre local de chaque périmètre. Les difficultés et les risques de perte d’exploitabilité seront signalés aux chambres, et feront ensuite l’objet de discussions plus larges entre des acteurs tels que les collectivités locales et le département. À la suite du travail de définition de la forme des parcelles menée par le géomètre, l’exploitant local pourra donc s’exprimer sur leur devenir.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Ces parcelles pourraient-elles être artificialisées ?
M. Patrick Maury. L’objectif de l’aménagement foncier n’étant pas d’artificialiser les terres, seule une demande expresse d’artificialisation émanant d’une collectivité pourrait, conformément au code rural, être traduite dans un projet exécuté par le géomètre. Il s’agit avant tout de s’assurer du maintien du caractère agricole des parcelles, et la redéfinition opérée par l’aménagement foncier sert généralement de base aux chambres d’agriculture pour plaider ensuite, devant la préfecture, pour leur maintien en zones agricoles naturelles. Je pense d’ailleurs pouvoir affirmer que dans tous les projets similaires, les périmètres naturels et agricoles issus des aménagements fonciers ont servi de base aux plans locaux d'urbanisme (PLU) postérieurs.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Pouvez-vous préciser si la base de loisirs du Dicosa, dont le département a récemment assuré le réaménagement, sera concernée par l’emprise et les travaux ?
M. Patrick Maury. Une partie de la base de loisirs est effectivement incluse dans le périmètre du réaménagement, conformément au souhait de la commission d’ajouter au projet une dimension environnementale.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Qu’en est-il de l’aménagement foncier autour du Château de Maurens-Scopont.
M. Patrick Maury. Grâce au courrier adressé, les propriétaires du château sont parfaitement au courant du projet d’aménagement foncier, et ont fait connaître leur souhait d’être contactés par le bureau d’études. Dans le cadre de l’enquête, des panneaux jaunes ont par ailleurs été installés sur l’ensemble du périmètre. Une parfaite transparence a donc été assurée.
Nous vous préciserons toutefois le nom de la société civile immobilière propriétaire du château afin de vérifier que le courrier a bien été reçu.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vous avez répondu, et c’est tout l'intérêt de cette commission d'enquête, à l'ensemble des questions que nous étions nombreux à nous poser. L’objectif de cette commission est également d'apporter de la transparence sur ces éléments et sur l’important travail que vous réalisez. Je reste néanmoins préoccupée par le suivi qui sera mis en place, dans les années à venir, des mesures compensatoires. Sur ce sujet, nous souhaitons d’ailleurs obtenir, de la part d’Atosca, des éléments d’explication sur le passage des obligations réelles environnementales (ORE) de 99 à 55 ans.
M. le président Jean Terlier. Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour la clarté de vos explications.
*
La commission auditionne M. Philippe Jougla, président de la FNSEA d’Occitanie, accompagné de M. Cédric Vaute et M. Alexandre Glaize ; M. Bruno Cabrol, M. Grégoire Montcharmont et M. Jean-Philippe Rouanet, membres de la Confédération paysanne du Tarn et M. Xavier Palous, président de la Coordination rurale du Tarn.
M. Jean Terlier, président. Nous poursuivons nos auditions consacrées aux conséquences de l’autoroute A69 sur l’agriculture. Je souhaite la bienvenue aux représentants de syndicats agricoles, à savoir M. Philippe Jougla, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) d’Occitanie, accompagné de MM. Cédric Vaute et Alexandre Glaize ; MM. Bruno Cabrol, Grégoire Moncharmont et Jean-Philippe Rouanet pour la Confédération paysanne du Tarn, et M. Xavier Palous, président de la Coordination rurale du Tarn.
Il est important pour nous de vous auditionner pour connaitre votre sentiment sur la réalisation de cette infrastructure autoroutière et de voir comment vous avez pu être associés aux différentes procédures, notamment à la conception des protocoles d’indemnisation établis entre les chambres d’agriculture de Haute-Garonne et du Tarn avec la société concessionnaire Atosca, et, plus largement, de vous entendre sur les compensations environnementales.
Nos auditions sont publiques, retransmises sur le portail de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Philippe Jougla, M. Cédric Vaute, M. Alexandre Glaize, M. Jean-Philippe Rouanet, M. Grégoire Moncharmont, M. Bruno Cabrol et M. Xavier Palous prêtent successivement serment.)
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Les auditions que nous venons de tenir cet après-midi nous ont permis d’avancer sur les compensations, qu’elles soient financières, agricoles ou environnementales. Je ne vous cache pas que je me suis interrogée en établissant le questionnaire qui vous a été adressé. Je vous demanderai d’ailleurs de le compléter ultérieurement par écrit pour que nous puissions exploiter vos réponses, si la présente visioconférence ne suffit pas à traiter l’ensemble des sujets.
S’agissant du questionnaire, il n’était pas trop difficile de reprendre les étapes d’une procédure d’expropriation ou de remembrement foncier, et de vous demander ce que vous en aviez pensé, même si celles-ci demandent un travail considérable. Mais si je me souviens bien, lors de votre audition par la commission du développement durable, sur la pétition n° 1999 à l’encontre de l’autoroute l’A69 en janvier dernier, vous aviez fait part de vos très sérieuses réserves. Le faible nombre de contentieux ne reflétait pas, selon vous, un traitement satisfaisant des exploitants agricoles expropriés, mais plutôt leur lassitude et l’impression d’un combat inégal contre la société concessionnaire, qui est aussi la société expropriante en l’occurrence. Vous aviez également évoqué le sentiment de solitude de certains agriculteurs avec lesquels vous étiez en lien.
Au-delà du questionnaire, qui peut servir de fil conducteur, j’aimerais donc avoir un échange avec vous sur la base des éléments qui nous ont été communiqués, le conseil départemental du Tarn nous ayant notamment indiqué que 180, et non 158, exploitants étaient concernés. Nous sommes intéressés par les éléments issus du terrain dont vous pourrez nous faire part.
M. Philippe Jougla, président de la FNSEA d’Occitanie. Je vais tenter d’ouvrir la discussion. J’ai prévu un propos liminaire qui ressemble à ce que j’ai pu dire lors de mon audition sur la pétition, en janvier dernier.
Le désenclavement du Sud du Tarn, représente un enjeu important pour Castres, Mazamet et tout le territoire. Le monde agricole fait partie de ce territoire et a également intérêt à ce désenclavement.
Le monde agricole, à savoir la chambre d’agriculture, la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) et les Jeunes agriculteurs, a pris le parti de ne pas participer au débat sur le choix entre l’aménagement des ouvrages existants et la possibilité de bâtir une autoroute. Les pouvoirs publics ayant opté pour un aménagement autoroutier, l’important pour nous étaient de défendre les intérêts des agriculteurs directement concernés et ceux de l’agriculture en général.
J’avais en revanche exprimé en janvier dernier trois griefs à l’encontre de la procédure, que je vous rappelle.
Après le choix du concessionnaire Atosca, les procédures ont suivi leur cours, avec notamment la rédaction des protocoles d’éviction ou d’occupation temporaire. C’est là qu’intervient un problème de temporalité. Nous regrettons qu’il ait été impossible, en l'occurrence pour la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) de stocker du foncier en amont du choix du concessionnaire. Entre le choix de réaliser une autoroute, intervenu au début des années 2010, et la décision de l’État de confier sa construction à Atosca, une dizaine d’années s’est écoulée pendant lesquelles nous aurions pu collectivement bénéficier d’opportunités pour stocker du foncier, ce qui faciliterait aujourd’hui les travaux d’aménagement. Nous souhaitions donc vous sensibiliser à cette impossibilité, qui relève de la loi.
S’agissant des compensations environnementales, l’intérêt des agriculteurs serait de conserver au maximum la destination agricole des terres à l’entour. Or la compensation environnementale consiste pour partie en l’acquisition par Atosca de nombreuses surfaces, ainsi gelées et détournées de la production agricole. Nous le regrettons, même si la contractualisation a permis à des agriculteurs de maintenir leur activité, tout en réalisant des actions en faveur de l’environnement. Cette partie contractuelle va dans le bon sens, mais nous aurions souhaité aller bien plus loin en la matière.
Plus technique, notre troisième grief porte sur le tronçonnage du projet entre différentes commissions intercommunales d’aménagement foncier (Ciaf), alors que, réglementairement, aucun mécanisme de vase communicant n’est possible. Les communes sont certes des territoires cohérents mais il peut arriver qu’une exploitation soit à cheval sur deux communes, de sorte qu’elle relèvera de deux commissions d’aménagement foncier. Le tronçonnage empêche alors d’avoir une approche cohérente. La règlementation pourrait donc être améliorée sur ce point.
Par ailleurs, puisque nous sommes sous serment, je souhaite préciser, madame la rapporteure, que ce que vous avez rapporté à propos de l’audition autour de la pétition ne vaut pas pour l’ensemble du monde agricole, mais surtout, je crois, pour mes collègues de la Confédération paysanne. J’avais dit, quant à moi, que l’immense majorité des agriculteurs concernés par le projet avaient plutôt fait le choix d’une transaction à l’amiable et que je considérais que c’était un indicateur de bon fonctionnement de la procédure, laissant supposer que les protocoles discutés et engagés par les chambres d’agriculture étaient plutôt satisfaisants pour les agriculteurs.
M. Grégoire Moncharmont, membre de la Confédération paysanne du Tarn. Vous avez devant vous trois agriculteurs, directement touchés par l’autoroute. Elle passe à la limite de nos exploitations ou au travers, ce qui nous permet de témoigner de la réalité de cette infrastructure et de ses effets sur nos exploitations.
Je commence par répondre à la dernière question de votre questionnaire : de manière générale, quel est, à votre connaissance, le sentiment des exploitants agricoles ou des propriétaires vis-à-vis du projet d’autoroute ? Quelles sont les principales inquiétudes et les principales demandes ou attentes ? Une lettre ouverte, signée par plus d’une centaine d’exploitants agricoles et de porteurs de foncier, mettait en avant leur opposition à ce projet d’autoroute et en soulignait les conséquences : l’artificialisation des sols et des paysages, les effets environnementaux et économiques pour les exploitations agricoles, qu’elles soient directement touchées ou situées aux abords de cette autoroute. Un autre motif d’inquiétude s’ajoutait à cela : la construction de l’autoroute artificialisera plus de 300 hectares, mais aura aussi un effet d’urbanisation aux alentours, suscitant zones industrielles (ZI) et commerciales (ZAC), rocades secondaires et autres déviations pour les communes – autant d’artificialisations au détriment des terres agricoles, lourdes de conséquences pour nos exploitations.
Par ailleurs, la présence d’usines à bitume autour de Puylaurens et de Villeneuve-lès-Lavaur, qui pollueront certaines terres et leur production, préoccupe aussi nombre d’exploitants. Beaucoup pratiquent la vente directe : quelles conséquences auront les futures pollutions pour la nourriture des habitants de ces territoires ?
Comme cela a été évoqué par de précédents intervenants, les conséquences pour les exploitations proches du tracé sont peu prises en compte. Or nombre d’exploitants ont parfois besoin de se rendre dans des bassins de vie, à Toulouse ou à Castres, pour vendre leur production. Vu le prix annoncé des péages, cela fera peser une charge économique supplémentaire sur ces exploitants, ou leur fera perdre du temps, s’ils continuent d’emprunter la route nationale, dont le tracé va être modifié. Bien qu’indirectes, ces conséquences affecteront les agriculteurs, surtout ceux qui essaient de vendre leurs produits localement.
Pour revenir à vos questions sur les différents aménagements fonciers et les compensations possibles, la Confédération paysanne n’a été associée à aucun projet : la chambre d’agriculture a reçu un financement pour des compensations collectives, mais nous n’avons pas connaissance d’agriculteurs à qui il aurait été proposé d’intervenir et notre syndicat n’a pas pu participer à des discussions, ce que nous regrettons. Nous espérons qu’une véritable concertation aura lieu, incluant tous les agriculteurs du territoire, et pas uniquement quelques-uns, choisis par la chambre d’agriculture.
Les zones d’inclusion conduiront à constituer des réserves foncières. Dans ces territoires marqués par de fortes pressions foncières sur les terres agricoles, mettre en réserve des terrains limitera les possibilités d’installation de nouveaux agriculteurs, dont on parle beaucoup, et risque de susciter des tensions sur les exploitations existantes, voire des conflits entre agriculteurs. Un tel modèle ne résoudra pas tous les problèmes et ne permettra pas à toutes les exploitations de s’en sortir.
Enfin, les auditions précédentes ont fait état d’un faible nombre de contentieux, mais des exploitants ont pu faire l’objet de pressions, notamment de la part d’Atosca, pour régler ces conflits, ce dont je laisse mon collègue vous parler.
M. Bruno Cabrol, membre de la Confédération paysanne du Tarn. Je suis sur le tracé, en exclusion d’emprise et mon collègue Jean-Philippe, en inclusion. Les conflits ou les contentieux concernent uniquement les situations d’exclusion d’emprise : pour ma part, j’ai traité directement avec Atosca au sujet de mon éviction, puisque je suis locataire. Mais ceux dont l’exploitation est en inclusion d’emprise, sur les deux tiers du tracé, n’ont aucun interlocuteur à ce jour : il ne peut donc y avoir ni dialogue ni conflit. Les trois exploitants qui ne sont pas traités sont forcément entre Saint-Germain et Castres, et, au bout, du côté de Verfeil, je ne sais pas exactement… J’en connais déjà deux qui n’ont pas terminé, il doit y en avoir un peu plus.
M. Jean-Philippe Rouanet, membre de la Confédération paysanne du Tarn. Je voudrais revenir un peu sur l’inclusion d’emprise. Je trouve anormal que nos entreprises agricoles ne soient pas considérées. Nous n’avons aucune visibilité sur l’avenir : on nous prend la terre sans nous dire où seront les parcelles censées apporter une compensation. C’est tout de même extraordinaire ! Je ne sais pas quelle entreprise industrielle – par exemple l’entreprise Pierre Fabre – accepterait d’être spoliée d’un de ses sites, sans contrepartie. Alors que les travaux ont déjà commencé, le procédé est inadmissible.
M. Xavier Palous, président de la Coordination rurale du Tarn. Nous regrettons que cette audition ait lieu tardivement. Les interlocuteurs entendus plus tôt, appartenaient à la chambre d’agriculture – donc des administratifs plutôt que des professionnels. Nous aurions aimé discuter davantage entre syndicats des contraintes, comme des points positifs, que pouvait amener le projet.
Pour notre part, nous avons toujours été favorables à l’autoroute, pour le département d’abord. L’autoroute permettra en effet de désenclaver les habitants de la montagne, pour lesquels la capitale régionale est difficile d’accès. C’est une excellente nouvelle pour eux, notamment en matières de santé et de sécurité. Cela fait quarante ans que nous attendions cette réalisation – notre syndicat n’était pas né. Nous sommes pour le développement économique du monde rural. Or, pour faire vivre la ruralité, il faut des agriculteurs qui drainent autour d’eux l’école, les petits commerces, les artisans, etc. Toute cette vie doit être alimentée et reliée au monde moderne par une autoroute, qui permettra précisément de maintenir notre activité économique.
Castrais et agriculteurs, nous faisons partie de l’économie locale. À la fois rurale et urbaine, la très grande commune de Castres correspond à un bassin 150 000 emplois, notamment agricoles. Quand je me suis installé, nous étions 320 agriculteurs, aujourd’hui, tout bien compté, nous voilà à peine une dizaine ! On va dire que c’est une évolution… On veut nous réduire. Nous voudrions faire une agriculture artisanale, et non industrielle. Nous sommes en mesure de produire des produits de terroir d’une qualité qu’aucun autre pays n’est capable d’atteindre – nous sommes inscrits au patrimoine mondial de la gastronomie. Nous produisons par exemple dans notre secteur 280 variétés de fromages sur les 1 200 que compte la France. Notre histoire, singulière dans le monde, doit déboucher sur un développement de notre région, aussi grande que l’Autriche ou l’Irlande.
Il nous faut suivre le train, sinon nous serons absents. Il faut vivre avec son temps. Je me réjouis donc de la construction de cette autoroute. Doubler la route nationale aurait coûté trop cher. Les habitants auront ainsi le choix entre l’autoroute et la route actuelle. Ils feront comme ils le décideront. Pour nous, c’est très important.
Mais en tant que propriétaires du sol, nous avons été un peu spoliés par rapport à la partie commerciale qui se développera avec cette autoroute : le prix du sol ne représente qu’un 150e du coût de la réalisation. On nous a mis de côté. Nous n’avons d’ailleurs pas été convoqués. Il aurait vraiment fallu communiquer davantage. Les choses sont désormais bien avancées. Je me rends très souvent à Toulouse et je vois qu’une bonne partie du chantier est réalisée.
S’agissant de la partie vers Castres, 2,5 millions d’euros ont été prévus à titre de compensation pour les 25 hectares utilisés. Je regrette que le montant de l’ensemble des compensations soit de seulement 3 millions pour la partie comprise entre Saïx et Verfeil. Nous aurions préféré que ce montant soit consacré intégralement à l’indemnisation de l’utilisation du foncier, plutôt que de ne couvrir qu’un tiers, voire un quart de sa valeur.
En résumé : oui à l’A69, mais on nous a un peu pris pour Jacquou le Croquant.
M. Jean Terlier, président. Il a été question de l’assentiment du monde agricole au sujet de cette infrastructure autoroutière et de la méthode utilisée par le concessionnaire. On constate en effet que peu d’exploitants ont saisi le juge de l’expropriation.
J’ai bien entendu la remarque de M. Jean-Philippe Rouanet sur le fait que cela ne concerne que des exploitants qui sont en exclusion d’emprise et pas ceux qui sont en inclusion d’emprise, mais c’est un effet de la procédure. Vous pourrez bien entendu faire valoir tous vos droits dans le cadre des commissions d’aménagement foncier, et c’est bien normal.
Force est de constater tout de même que l’intervention des chambres d’agriculture – notamment pour rédiger conjointement les protocoles d’indemnisation – a permis d’indemniser de manière satisfaisante les agriculteurs grâce à des cessions amiables consenties après la déclaration d’utilité publique.
Je ne suis pas certain d’avoir très bien compris M. Palous, mais je crois savoir qu’un fonds de compensation agricole va être mis en place par les chambres d’agriculture du Tarn et de la Haute-Garonne, avec une clé de répartition de 85 / 15 qui tient compte de la proportion des terres agricoles concernées dans chaque département. Ce fonds va être géré dans le cadre d’une commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA) pour financer des projets communs. Vous aurez votre mot à dire sur ces derniers.
Le projet concerne 300 hectares, mais l’artificialisation nette représente seulement 100 hectares car il est prévu de renaturer 200 hectares de « dépendances vertes » après les travaux.
MM. Cabrol et Moncharmont étaient présents lors de la réunion publique qui s’est tenue à Saint-Germain-des-Près au sujet de la pollution par les centrales à enrobé. Aussi bien le concessionnaire que les services de l’État ont été rassurants en insistant sur le fait que, s’il s’agit bien d’installations classées, ils souhaitaient avoir un dialogue avec les agriculteurs pour limiter les conséquences des pollutions. Si des préjudices étaient constatés du fait de l’exploitation de ces centrales vous pourriez faire jouer la responsabilité du concessionnaire. Mais, lors de cette réunion, il a bien été dit que l’objectif était de déterminer avec vous les endroits où seraient menées des analyses des rejets. C’est du moins ce que j’ai compris.
Voilà pour les observations et les questions sur, notamment, le degré d’adhésion au protocole d’accord transactionnel et le montant des indemnisations qui sont envisagées.
M. Grégoire Moncharmont. Tout d’abord, il est faux de dire que les habitants pourront choisir de prendre la route nationale 126 ou l’autoroute. On pourra prendre la RN126, mais elle sera dégradée car il faudra passer par les villages de Puylaurens et Soual, ce qui fera perdre du temps. Ce ne sera plus la même route.
Ensuite, la Confédération paysanne et, à notre connaissance, les agriculteurs du territoire n’ont jamais été associés à l’étude d’une alternative à l’autoroute.
Les CDOA donnent un avis sur des projets déjà engagés. Si les compensations sont collectives, les projets doivent alors être montés de manière collective. Il faut donc que les agriculteurs du territoire aient leur mot à dire en amont. J’espère que la chambre d’agriculture et le département seront attentifs à cet aspect.
M. Bruno Cabrol. J’entends bien que le tracé de l’autoroute affecte directement 100 hectares. Mais les pertes de surface agricole atteignent 350 hectares, auxquels il faut ajouter 150 hectares qui seront délaissés.
Ensuite, dans certaines zones aux portes de Castres, l’agriculture doit batailler pour sauver ses terres. En pratique, il est impossible de maintenir des terres agricoles et des zones naturelles hors de portée de l’urbanisation. On a ainsi vu qu’à Soual une zone humide avait été déclassée afin de réaliser une zone artisanale et commerciale. À force de commander des études, on finit toujours par y arriver. Il suffit de savoir où placer opportunément les instruments de mesure…
En ce qui concerne le tracé de l’autoroute, je vais parler plus précisément des 500 mètres que je connais et de la manière d’appliquer l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.
Quatre maisons ont été rasées, mais l’hectare de bois qui les entourait et qui constituait leur jardin a été considéré comme une zone artificialisée. Cela n’a donc donné lieu à aucune étude ou compensation écologiques.
Les terres agricoles sont considérées comme des surfaces artificialisées, même comme lorsqu’on y pratique l’agriculture de conservation – ce qui est mon cas. On ne tient donc pas compte de l’amélioration du stockage de matière organique dans le sol, de la biodiversité et de la contribution au cycle de l’eau.
Sur la partie du tracé de l’autoroute que j’évoque, on trouve des zones humides. Sur l’ensemble du tracé, 700 points d’analyse ont été choisis, soit un par hectare. Si l’on avait vraiment voulu trouver des zones humides sur la partie qui me concerne, il aurait suffi de m’interroger et on les aurait vite identifiées. Comme cela n’a pas été le cas, on n’a pas non plus trouvé la flore et les espèces protégées associées. Cette zone représente pourtant un demi-hectare. Les bulldozeurs s’y enlisent, donc on creuse des fossés pour assécher. C’est le principe de l’artificialisation. Mais j’ai pour ma part besoin de ces prairies humides pour travailler et éviter d’avoir à irriguer, en particulier avec le changement climatique. Cela n’est pas du tout pris en compte.
Puisque nous parlons de l’eau, j’aborde la question des effets sur les nappes phréatiques. Ils ne sont pas intégrés pour une raison simple : ces nappes ne sont pas valorisées parce qu’elles appartiennent à la collectivité et que tout le monde y puise. Comme personne n’a réalisé un diagnostic initial – je n’ai pour ma part pas les moyens de payer une étude – on ne peut pas mesurer les conséquences. Sur mon site, on se doute bien que la nappe s’assèchera car on creuse en profondeur.
Je trouve donc que les procédures sont un peu légères en ce qui concerne la compensation.
Comme l’ont rappelé les chambres d’agriculture et les syndicats agricoles, la compensation écologique ne doit pas consommer de foncier agricole. On fait donc la compensation écologique sur des zones naturelles. C’est parfois un peu tiré par les cheveux. Dans certains cas, cette compensation concerne aussi des zones classées industrielles par le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), mais en réalité les zones en question pourraient aussi bien être classées naturelles, car il s’agit parfois de forêts.
Enfin, une partie de la compensation a lieu en utilisant des terres agricoles. C’est inévitable compte tenu de la pression qui existe pour compenser des centaines d’hectares artificialisés.
La construction de l’autoroute va entraîner une artificialisation de terres, et comme mon exploitation est située aux portes d’une ville, je constate qu’on ne peut pas protéger les terres agricoles de l’artificialisation. Même le fait de signer un contrat comportant une obligation réelle environnementale (ORE) ne protège pas contre une déclaration d’utilité publique. Et, comme je l’ai déjà dit, avec de la persévérance et de l’argent on parvient toujours à déclasser une zone humide.
Je prends conscience que la ville gagne sur l’agriculture et cette autoroute me donne le sentiment d’être enclavé. D’autres agriculteurs qui habitent à Soual bataillent comme ils peuvent pour préserver leur petit territoire.
M. Xavier Palous. Des aménagements vont encore être opérés en ce qui concerne la compensation. Il faut attendre un peu. Un remembrement est en cours. Dès que le chantier sera achevé, il faudra mettre en œuvre les mesures de compensation et décider du sort réservé à certains terrains. Soit ils resteront la propriété d’Atosca, soit ils seront repris par des agriculteurs. Il est possible que personne ne veuille de certains terrains car ils seront difficiles à exploiter.
Tout cela fera l’objet d’un nouveau cycle de concertation. J’espère que cette fois-ci les syndicats y seront associés, parce que jusqu’à présent la chambre d’agriculture a surtout joué un rôle administratif sans que soient vraiment associés les gens concernés – comme par exemple les trois syndicats représentants les agriculteurs – dans le cadre d’un dialogue de terrain.
M. Philippe Jougla. Je souhaite aborder trois points.
Tout d’abord, selon moi l’intérêt de l’autoroute n’est pas de gagner cinq minutes. Je pense que les collègues qui m’entourent seront d’accord avec moi, car ils sont producteurs de fromages de qualité qu’ils livrent à Toulouse une fois par semaine. S’ils sont en mesure d’acquitter le péage à l’avenir, ce sera le prix de la sécurité. Il faut rappeler qu’une autoroute est aussi un outil qui contribue à la sécurité.
Ensuite, parler de 170 hectares délaissés me paraît extrêmement exagéré. Le président de la chambre d’agriculture du Tarn et M. Christophe Rieunau, qui suit le dossier, nous ont parlé d’une ou deux dizaines d’hectares qui pourraient échapper à l’utilisation agricole – 17 pour être précis. Cela nous inquiète malgré tout. Ces terres pourraient subir des phénomènes de dégradations.
On ne peut cependant pas parler de centaines d’hectares délaissés, puisque des terrains compris dans l’emprise de l’autoroute restent agricoles et feront l’objet de réaménagements.
Je souhaitais aborder un troisième point, mais cela me reviendra plus tard.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Merci pour vos interventions.
J’ai moi-même quelques précisions à vous apporter.
Vous avez évoqué la question de la qualification des terres, notamment lorsque des zones humides sont présentes. C’est un véritable sujet. Vous avez aussi noté à juste titre que des terres agricoles ont été considérées comme des zones artificialisées, ce qui permet de ne pas mettre en place de compensation.
Une fois que l’autoroute aura été construite, la route nationale sera déclassée et deviendra une route départementale. Son entretien sera confié au département, et donc aux contribuables tarnais. Actuellement, cet entretien repose sur la solidarité globale de l’ensemble des contribuables. C’est un point extrêmement important, car cette route désormais départementale risque de se dégrader plus rapidement du fait des reports de trafic – et donc de voir augmenter le coût de son entretien.
Le deuxième volet du travail de cette commission d’enquête sera d’ailleurs consacré aux conséquences économiques et sociales du projet d’A69. Cela permettra de répondre aux observations de M. Palous en évoquant la fréquentation de cette autoroute. Nous aborderons également la question de la sécurité, car des études que nous venons de commencer montrent par exemple que l’A68 est actuellement plus dangereuse que la RN126.
Nous traiterons aussi du tarif de l’autoroute, puisque personne ne sait combien il va falloir payer pour l’emprunter. C’est un point important pour l’équilibre financier des exploitations, dans un contexte où le monde agricole souffre beaucoup – nous en sommes parfaitement conscients.
Je tenais à vous faire part de ces éléments de façon très claire.
J’en viens à mes questions.
Des agriculteurs bénéficiant de labels bio cultivent-ils des terres à proximité des usines d’enrobé ? La proximité de ces installations pourrait-elle se traduire par la perte de ces labels ? Même si cela pourrait donner lieu à une indemnisation, c’est aussi la disparition d’une pratique agricole.
Comme les agriculteurs, je suis particulièrement sensible à la question de l’eau. Sur l’ensemble du tracé retenu pour l’autoroute, quatorze cours d’eau seront provisoirement affectés et quatorze autres feront l’objet d’un rescindement – ce qui signifie que leur tracé sera déplacé définitivement, parfois de plus de 100 mètres. Avez-vous été consultés sur ce point ou en tout cas informés de ces nouveaux tracés ? Un arrêté interdépartemental de mars 2023 détaille très précisément ces opérations de détournement.
Avez-vous été informés que le chantier nécessite 120 000 mètres cubes d’eau par an ? Ceux-ci vont être ponctionnés dans des réserves que l’on connaît très précisément. Il s’agit du lieu-dit moulin Pastelier pour 4 000 mètres cubes, du lac du Messal pour 7 000 mètres cubes, du lac de Geignes pour 3 000 mètres cubes, du Sor pour 4 000 mètres cubes et du Sant pour 5 000. En tant qu’écologiste, cela me préoccupe. Est-ce également votre cas ? Nous sommes dans des régions où les conflits d’usage de l’eau posent des questions sur la manière d’utiliser celle-ci dans les pratiques agricoles.
Si vous n’avez pas été consultés, il n’y a rien de mal à le dire. Il s’agit d’apporter toute la transparence sur ces dossiers.
M. Xavier Palous. Il est normal d’utiliser des mètres cubes d’eau pour la construction d’une maison ou d’un bâtiment agricole, mais cela ne dure que le temps de la construction. L’essentiel est d’achever l’ouvrage, après quoi il faut s’adapter.
Ainsi, lors de la construction du tunnel de Saint-Béat, après un blocage de trois ou quatre ans en raison de la présence de chauves-souris sur le site, il a finalement été décidé de réaliser ce tunnel et, lorsqu’il a été achevé, les chauves-souris sont revenues. Il en va de même pour l’eau : si c’est une eau courante, elle reprend son cours. Depuis la nuit des temps, la vie, la nature, reprend ses droits. Il faut avoir confiance.
Nous allons nous occuper de planter, d’habiller cette autoroute, et on y mettra beaucoup plus d’arbres. Un arbre peut vivre des années. Il faut, de temps à autre, entretenir la nature. Certains arbres meurent et d’autres naissent. Une fois que l’autoroute aura été réalisée et que la nature aura repris ses droits, nous aurons bien agi pour sauver le bassin d’emploi du Sud du Tarn et de la montagne.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. C’est plutôt nous qui prenons les droits de la nature, mais nous n’allons pas entrer dans ce débat.
M. Grégoire Moncharmont. Produisant en agriculture biologique à trois kilomètres à peine de l’usine d’enrobés de Puylaurens, à propos de laquelle nous n’avons pas été consultés, nous devons nous débrouiller nous-mêmes pour savoir si nous risquons de perdre nos labels à cause de la pollution. Bien qu’on essaie de nous rassurer, nous sommes très soucieux en voyant ce qui s’est passé, par exemple, autour des usines de Gragnague, de Lafenasse et de Montans.
Construire implique certes une consommation d’eau, mais ce qui nous inquiète est plutôt le fait que cette artificialisation continuera, sur le long terme, à mettre sous tension tous les réseaux d’eau, car lorsqu’une surface est artificialisée, une moindre quantité d’eau va dans les réserves et dans les nappes phréatiques. Nous redoutons que cette artificialisation progresse, avec des zones industrielles et commerciales liées à une urbanisation grandissante, et que l’augmentation de la population accroisse aussi la consommation d’eau. Comme le savent bien ceux qui sont de la montagne – j’ai, pour ma part, des terrains là-haut, à Anglès – le lac des Saints-Peyres, qui est une grosse réserve pour la vallée du Thoré et pour la zone de Mazamet dans le Sud du Tarn, a fini presque à sec toutes ces dernières années. La ressource en eau est déjà sous tension et l’artificialisation n’aidera pas.
M. Philippe Jougla. Je vous rassure : le lac des Saints-Peyres est plein et, s’il a en effet été vidé l’année dernière, c’était pour assurer l’autonomie électrique du parc nucléaire.
Pour ce qui est de l’utilisation de l’eau, le chiffre de 120 000 mètres cubes, que vous avez annoncé, représente la capacité à irriguer 60 hectares de luzerne. Je souhaiterais toutefois que vous me rassuriez sur le fait que ces prélèvements n’ont pas lieu en période d’étiage et qu’Atosca est soumis à la même règle et aux mêmes restrictions que les agriculteurs. J’espère bien qu’il n’y a pas de passe-droit dans ce domaine. C’est d’autant plus souhaitable que la construction se fait tout au long de l’année et j’imagine que l’utilisation de l’eau est équilibrée sur douze mois.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Cela signifie que vous n’avez pas vraiment de visibilité à ce sujet. Les auditions à venir nous permettront sans doute d’en savoir davantage.
M. Philippe Jougla. Nous allons le vérifier, mais si nos collègues agriculteurs s’apercevaient qu’Atosca continue à prélever de l’eau lorsqu’ils n’y ont pas droit, nous serions rapidement au courant. L’été dernier, les tensions n’étaient pas énormes et, en 2022 les travaux n’avaient pas commencé. S’il y a lieu, nous ferons en sorte que cette situation cesse. Il n’est pas question que les promoteurs de l’autoroute aient des passe-droits en période d’étiage.
M. Jean Terlier, président. Ce serait une infraction.
M. Philippe Jougla. Si les volumes sont utilisés en période de hautes eaux, le problème est moindre.
Pour ce qui est de la labellisation bio, nous avons eu vent de ces problèmes, sans qu’il y ait eu d’information de la part d’Atosca – qui, je pense, a tout de même dû répondre aux interrogations qui circulaient dans la campagne. Nous ne sommes pas en mesure de vous répondre de manière plus fine à ce propos.
Pour ce qui est des dérogations à la loi sur l’eau et à la directive-cadre sur l’eau, ces éléments ont été diffusés et nous en avons eu connaissance par les services de la chambre d’agriculture. J’ajoute que nos syndicats, la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricole et Jeunes agriculteurs – et d’autres sans doute – ont pris l’initiative de regrouper les agriculteurs des communes concernées du fuseau et au-delà, pour participer au débat des commissions intercommunales d’aménagement foncier. Ce regroupement des agriculteurs a pris la forme d’une association de la loi de 1901, La voix agricole, avec laquelle nous avons engagé un travail d’animation pour expliquer le fonctionnement des commissions intercommunales et des protocoles, et notamment la question des cours d’eau. Nous avions donc l’information à ce propos et il nous semble avoir fait ce qui était en notre pouvoir pour la diffuser.
Le troisième point que je souhaitais évoquer tout à l’heure portait sur les compensations agricoles abordées par M. Terlier et M. Palous. Ce montant destiné aux projets agricoles sur les territoires concernés par l’autoroute est aujourd’hui une chose concrète, mais il ne relève pas de la chambre d’agriculture. Celle-ci assure certes une sorte de secrétariat de la gestion de ce fonds, mais le décisionnaire ultime est l’État. La commission départementale d’orientation agricole n’est que consultative et c’est la préfecture qui engagera les fonds. Dans cette structure, le concessionnaire est également partie prenante et donne son avis. Au début, en effet, l’argent vient du projet ; les acteurs font partie d’une sorte de comité de pilotage dont j’ignore quelle forme il prendra dans le montage final. Dans cette gouvernance, la chambre d’agriculture a plutôt un rôle d’animation et d’instruction, ou de secrétariat, c’est-à-dire plutôt des fonctions d’appui, le décisionnaire restant l’État et le concessionnaire souhaitant avoir un droit de regard sur l’utilisation des fonds. Voilà la forme que prendra l’économie générale de la compensation collective agricole. Je tenais à le préciser pour éviter que l’on imagine que la chambre d’agriculture serait l’alpha et l’oméga dans ce domaine.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). Monsieur Cabrol, vous avez émis des doutes sur le zonage retenu pour les zones humides. Je m’interroge aussi sur le système de compensation adopté pour la destruction de ces zones. Ce système vous paraît-il réaliste et adapté aux besoins ou à l’évolution du climat ? Plus généralement, comment est-il organisé ? Êtes-vous directement en contact avec Atosca, avec Biotope ou un autre acteur et avez-vous des informations ou des dates précises quant à la mise en place des mesures compensatoires ?
Quel impact ont les travaux qui ont déjà démarré, par exemple en termes de décapage des terres ? Le projet a-t-il des conséquences pour les exploitations ayant des pratiques agroenvironnementales ? Au-delà des usines à goudron qu’évoquait M. Moncharmont et à propos desquelles des agriculteurs m’ont interrogée, d’autres éléments pourraient-ils avoir un impact sur la qualité des produits ?
Monsieur Cabrol, qu’entendiez-vous en déclarant que vous vous sentiez enclavé par ce projet ? S’agit-il de difficultés techniques ou de problèmes de réseaux ?
Enfin, messieurs, avez-vous connaissance de cas d’agriculteurs auxquels ce projet aurait fait perdre leur outil de travail ou qui seraient en grande difficulté ?
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Connaissez-vous des agriculteurs qui seraient aujourd’hui en faillite à la suite des travaux d’aménagement de l’autoroute ? Et des agriculteurs mis sous pression par Atosca pour lui vendre de l’eau ? Si tel est le cas, quel est le prix d’achat du mètre cube ? Des pressions s’exercent-elle pour avoir de l’eau lorsqu’il est interdit d’arroser ?
Pensez-vous que les agriculteurs pourront payer régulièrement 20 euros aller-retour pour emprunter cette autoroute, sachant que le prix pourra encore augmenter d’ici à sa mise en service, puisqu’il est déjà passé de 17 à 20 euros alors qu’elle n’existe pas ? Cela nous interpelle, compte tenu de toutes les difficultés que rencontrent les agriculteurs dans le département et au niveau national, et de leurs revendications.
Je souhaiterais obtenir des réponses des trois syndicats.
M. Xavier Palous. Le prix oscillera tant que le projet ne sera pas achevé, mais nous pouvons également avoir, au titre de la solidarité, une aide de la part du Nord du département, qui dispose d’une voie rapide et gratuite. La discussion reste ouverte et elle interviendra le moment venu, quand l’autoroute sera prête à fonctionner.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Ces aides sont peut-être potentielles. Il existe une autoroute gratuite dans le Nord du département, et elle sera payante dans le Sud. Cette disparité est une discrimination.
M. Xavier Palous. L’aspect financier pose question à tout le monde, et pas seulement aux agriculteurs. Certains agriculteurs, qui étaient préparés psychologiquement à cette autoroute, sont satisfaits. J’en connais un bon nombre, en particulier à l’Ouest de l’autoroute, qui sont très contents de ce projet qui leur permettra de régler certains problèmes financiers personnels car, comme tous les agriculteurs aujourd’hui, ils ont des difficultés. L’autoroute n’est pas bienvenue, mais elle pourra peut-être sauver certaines exploitations et les pérenniser jusqu’à ce que l’agriculteur décide d’arrêter son activité et de transférer son exploitation à un autre agriculteur ou de procéder à un agrandissement. Des aménagements se feront entre agriculteurs. Petit à petit, on trouvera des solutions d’un côté ou de l’autre, dans le remembrement et dans l’aménagement, et les choses rentreront dans l’ordre.
M. Grégoire Moncharmont. M. Palous nous dit que l’autoroute règle les problèmes financiers de certaines exploitations mais, s’il s’agit de vendre, nous n’avons pas besoin de la construction d’une autoroute et, en tout état de cause, je ne pense pas que vendre des surfaces pour régler des problèmes financiers soit la solution pour l’avenir d’une agriculture durable, productive et performante.
La présence d’usines à enrobés est une source d’inquiétude pour la qualité des produits et nous nous efforçons de nous renseigner sur les impacts subis autour d’autres usines. Ce qui nous inquiète est moins la perte de labels que la présence de polluants éternels. En effet, même si l’usine n’est là que pour dix-huit mois, des polluants persisteront très longtemps sur nos terrains, avec des risques pour les habitants du secteur.
Nous avons connaissance d’agriculteurs et d’exploitations qui pourraient être en grande difficulté avec la perte de foncier qui se prépare. Je ne donnerai pas de noms, mais certaines structures risquent d’être vraiment en difficulté.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Donnez au moins le nombre.
M. Grégoire Moncharmont. Nous en connaissons au moins trois. Nous travaillons à les soutenir et nous pourrons, avec leur accord, vous communiquer plus d’informations.
M. Bruno Cabrol. Je suis en contact avec Atosca, c’est-à-dire avec NGE, du fait de la procédure d’expropriation. Dans ces moments de négociation, si on est tout seul, on va au clash ou plutôt on se fait avoir car même si nous sommes dans nos droits, il est difficile d’obtenir quoi que ce soit, et mieux vaut être accompagné par un expert foncier.
Je vois des gens du chantier, mais ils font du BTP et moi de l’agronomie, et nous ne parlons pas toujours le même langage. Ainsi, à la suite d’une erreur de tracé, ils avaient creusé des fosses archéologiques dans mon champ. Je leur ai donc demandé de réparer ce dommage en y mettant de la terre végétale. La terre de mes champs, où j’avais piégé du carbone, contenait 3 % à 4 % de matière organique, mais parce qu’il fallait faire très vite, elle avait été déplacée dans des conditions très humides, en janvier, et la matière organique que j’avais mis des dizaines d’années à piéger est partie en quelques mois sous forme de CO2 ou, pire, à en juger par la puanteur de la terre, en méthane. En termes de gaz à effet de serre, il n’est pas très bon de manipuler de la terre en zones humides dans des conditions difficiles.
Quant à la temporalité des compensations écologiques, je ne peux pas parler de celles qui me concernent, mais à côté de chez moi, tout va bien sur le papier – les réunions et la consultation de l’Office français de la biodiversité ont eu lieu – mais la question se pose toujours de savoir quand intervenir en fonction de la météo. Quand on broie un taillis dans des conditions très humides, avec de gros engins de 15 tonnes, on dégrade le terrain en le tassant. N’importe quel agriculteur vous dira que c’est irréel. La taille a eu lieu en novembre et, parvenus désormais au printemps, on ne voit ni fleurs ni plantes : ce qui est censé être une compensation écologique n’est qu’un terrain artificiel, avec de la terre nue. Cette année, les oiseaux et les chauves-souris iront voir ailleurs et j’ignore s’il y aura quelque chose au printemps prochain.
J’ai parlé d’enclavement car, pour pratiquer une agriculture écologique visant la création d’écosystèmes dans cette zone périurbaine – pour ma part, je pratique les pâtures en prairie – on a besoin d’une ferme regroupée. Pour nous préparer à cette urbanisation galopante, nous avons voulu voir loin en plantant 3 000 arbres, afin de créer un écosystème et de préparer le futur, mais nous constatons que cela ne suffit pas pour préserver les terres face à l’urbanisation. Nous essayons par tous les moyens de préserver ce que nous mettons quinze ou vingt ans à construire mais, face à un projet de maisons ou de zone industrielle, c’est absolument impossible. Que nous ayons des tritons, des chauves-souris, des espèces de plantes protégées ou des zones humides, rien ne peut nous protéger.
Quant au remembrement, il n’est tenu aucun compte des écosystèmes que nous nous efforçons de constituer, et un hectare que nous avons regroupé sur notre site n’équivaut pas, même si la terre y est meilleure, à un hectare situé à deux kilomètres plus loin. Il est aujourd’hui plutôt rare de trouver dans la campagne des haies, des mares et des écosystèmes.
S’agissant de l’eau, le volume de 120 000 mètres cubes demandé me semble très minimisé. Sans compter celle qui est utilisée dans les centrales pour fabriquer le béton, l’eau est employée dans les remblais pour la chaux, et pour éviter la poussière ou la boue en hiver. Si le problème ne se pose guère en hiver, la consommation est importante pour retenir la poussière. En 2022, où il a fait sec pendant six mois, du 1er mai au mois d’octobre, avec des interdictions de pompage agricole, la consommation d’eau a été très largement supérieure à 120 000 mètres cubes. À titre de comparaison, nous apportons, pour l’irrigation des plantes, 5 millimètres par jour, et il en faut beaucoup plus pour protéger un chemin de terre de la poussière par vent d’autan et par 31 degrés en octobre.
M. Cédric Vaute. Nous convenons avec M. Moncharmont que, pour les exploitations en difficulté, il faut éviter la perte en capital ou la perte de l’outil de travail, pour que les agriculteurs puissent repartir et vivre de leur métier. On sait aussi que les exploitations en céréales sont celles qui connaissent les plus grandes difficultés ; or c’est cette culture qu’on retrouve dans cette partie du département
Pour ce qui est de la consommation d’eau, les agriculteurs subissent en effet des pressions – pas forcément de la part d’Atosca, mais à cause du travail qu’ils effectuent pour Atosca.
Enfin, la profession sera intransigeante pour exiger qu’Atosca soit soumise aux mêmes règles de consommation d’eau, en particulier en période d’interdiction faite aux agriculteurs d’arroser les plantes.
M. Jean Terlier, président. Merci, messieurs.
La séance s’achève à dix-neuf heures cinquante-cinq.
Présents. – Mme Christine Arrighi, M. Frédéric Cabrolier, Mme Karen Erodi, Mme Sylvie Ferrer, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean Terlier