Compte rendu

Commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69

 Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Baptiste Vila, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux, en délégation à l’université de Polynésie française, sur le droit des concessions autoroutières.              2

– Présences en réunion................................26

 

 



Mardi 28 mai 2024

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 28

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Jean Terlier,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à seize heures trente.

M. le président Jean Terlier. Chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions consacrées au volet financier de la convention de concession. Nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Baptiste Villa, professeur de droit.

Monsieur Vila, votre expertise en droit public et en droit des affaires est largement reconnue. En plus de vos activités d'enseignement aux universités de Bordeaux et de Polynésie française, vous avez exercé au sein de diverses instances, notamment la commission de prévention des conflits d'intérêts de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Bordeaux. Notre commission d'enquête s'efforce d'intégrer des auditions de personnalités liées à l'autoroute A69, en recevant des juristes capables de nous offrir une perspective analytique sur la convention de concession de l'A69. Nous souhaitons déterminer si celle-ci présente des particularités notables dans son montage juridique et financier ou si elle se conforme au droit commun et aux pratiques habituelles des concessions. Notre rapporteure, Mme Christine Arrighi, va vous rappeler les orientations de cette audition.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Baptiste Vila prête serment.)

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je remercie M. Vila pour sa présence devant notre commission d'enquête, malgré les contraintes horaires dues à ses fonctions en Polynésie. Comme l'a indiqué notre Président, nous alternons les auditions avec des réunions de juristes pour comprendre le cadre juridique entourant le dossier de l'autoroute A69. Nous avons ainsi reçu des avocats spécialisés en droit de l'environnement, tels que Mme Pauline Leddet-Troadec et M. Arnaud Gossement, afin d’examiner les questions de déclaration d'utilité publique (DUP) et d'autorisation environnementale relatives à cette autoroute. Votre présence aujourd'hui nous permettra de déterminer si la convention de concession de l'A69 suit le régime classique des concessions ou s'en distingue. En 2023, vous avez dirigé avec M. Yann Wels la publication d'un ouvrage collectif sur les concessions autoroutières, auquel ont contribué plusieurs spécialistes, parmi lesquels des parlementaires nationaux et européens comme Mme Christine Pirès-Beaune, M. Jean-Paul Chanteguet et Mme Karima Delli. Vous maîtrisez donc parfaitement ce sujet.

Outre l'analyse juridique que nous attendons de votre audition, j'aimerais connaître votre avis sur le conflit latent entre légalité et légitimité qui apparaît autour de plusieurs projets d'infrastructures ces dernières années. En particulier, considérez-vous que les procédures de consultation du public instaurent un véritable dialogue avec nos concitoyens, ou s'agit-il d'une action de façade, ne modifiant qu'à la marge les actes unilatéraux tels que la DUP et l'autorisation environnementale ? Comment s'assurer que tous les éléments sont portés à la connaissance du public, surtout lorsque nous découvrons, dans le cadre de cette commission d'enquête, l’existence de nombreux éléments occultés par le secret des affaires ? Quelles conséquences cela peut-il avoir sur la légalité des consultations, même si elles ont effectivement eu lieu ? Par exemple, quid de la qualification juridique – et par conséquent financière – des apports en nature dans ce dossier ? Quid du fractionnement des procédures ? Quid de l’opération de création d’une ferme solaire, découverte après la levée du secret des affaires ? Quid de l’apparition d’une structure, Tarn Sud Développement, qui n’avait pas été communiquée au moment de l’élaboration du contrat de concession ? Quid de la rémunération des actionnaires ? Quid des enjeux environnementaux qui ne sont pas portés à la connaissance du public ? Ces questions sont essentielles pour comprendre l'impact des procédures de consultation publique et la transparence nécessaire dans la gestion des projets d'infrastructure. Il apparaît que davantage de communication et d'informations données au public dans le cadre de ces dossiers pourrait renforcer la légitimité du projet. Les conséquences potentielles sur les litiges, alimentés par des informations couvertes par le secret des affaires, sont également à prendre en compte.

J’ai élaboré un questionnaire, transmis à l'ensemble de mes collègues, afin que chacun d’entre eux, favorable ou non au projet de l’A69, dispose du même niveau d'information. Je vous encourage à fournir le maximum de réponses dès aujourd'hui. Cela enrichira notre réflexion, tant sur ce dossier que de manière prospective, en vue d’éviter de nous retrouver dans une situation similaire à l'avenir.

M. le président Jean Terlier. Je souhaite informer l'ensemble des collègues présents à cette audition que nous la suspendrons, en raison d’un vote solennel sur le projet de loi d'orientation agricole, prévu vers 18 heures 10.

M. Jean-Baptiste Vila, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux, en délégation à l’université de Polynésie française. Permettez-moi préalablement de me présenter. J'ai réalisé une thèse sur l'amortissement des contrats publics et plusieurs ouvrages sur le droit des concessions. Mon analyse de ce type de contrat est à la fois juridique, économique et financière, fruit de mes travaux de recherche. Ceux-ci m'ont conduit à m'intéresser aux concessions d'autoroute à partir de fin 2019 à début 2020. J'ai échangé avec une commission sénatoriale en 2020, publié deux articles très techniques sur ce sujet le 30 novembre 2020, et organisé un colloque en février 2022 pendant la campagne présidentielle afin d'éclairer scientifiquement, et de façon impartiale, cette période électorale. J'ai été auditionné de manière informelle par plusieurs députés et sénateurs, mais je tiens à préciser que je n'ai jamais été auditionné par un membre de l'exécutif ni par l'Autorité de régulation des transports (ART). Je souhaite également souligner que, dans le dossier des concessions d'autoroutes et plus particulièrement celui de l'A69, je n'ai aucun conflit d'intérêts. Je ne conseille ni ne consulte personne dans ce domaine.

Avant de répondre à vos questions, je souhaite revenir sur quatre aspects importants du droit des concessions. Il me semble que de nombreuses idées reçues circulent dans le débat public, notamment concernant les autoroutes. Ces idées ne sont pas toujours exactes et peuvent nuire à la compréhension du dossier. Il est donc crucial de clarifier certains points.

La première question, qui peut sembler simple, mais qui n’en demeure pas moins fondamentale, est la suivante : qu'est-ce qu'un contrat de concession ? Un contrat de concession, selon l'article L. 1121-1 du code de la commande publique, est « un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix ». Le code précise dans son alinéa 2 ce que recouvre la notion de risque. Il indique : « La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d'exploitation lorsque, dans des conditions d'exploitation normales, il n'est pas assuré d'amortir les investissements ou les coûts, liés à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, qu'il a supportés. » Il me semble essentiel de rappeler cela dans la mesure où cette définition, applicable depuis le 1er avril 2019, date d'entrée en vigueur du code de la commande publique, est souvent mal comprise.

Qu'est-ce qu'une concession au-delà du code de la commande publique ? Il s’agit selon moi d’un équilibre économique reposant sur trois grands paramètres : les investissements, la durée et les tarifs. Le principe d’une concession est de confier des investissements à un tiers, une société ou éventuellement une personne publique. En contrepartie de ce financement d'investissements, qui reviendront à la fin du contrat à la personne publique, on confie un droit d'exploitation au prestataire qui a réalisé les investissements pour une durée déterminée et délimitée. Durant cette période d'exploitation contractuelle, le prestataire a la possibilité, et le fait nécessairement, de pratiquer des tarifs qui se composent principalement de deux éléments : le remboursement des investissements d’une part et une marge nette bénéficiaire d’autre part, obtenue grâce à la consommation du service public par les usagers. Les usagers utilisent le service et la personne publique peut y participer, mais n’en est pas le principal acteur.

Autrement dit, et ceci constitue mon deuxième point d'éclairage, il s'agit d'une concession, et non d'une privatisation. On entend souvent dans le débat public que la privatisation implique la vente du capital d'une entreprise. C'est ce qui s'est passé en 2006 pour les autres routes ou plus récemment pour la Française des jeux. Ces opérations sont de nature capitalistique, tout comme une nationalisation. En revanche, une concession ne suit pas ce schéma. Selon la définition juridique, il ne s'agit pas de privatiser, mais de confier une activité spécifique pour une durée déterminée en échange d'un investissement. Comme il n'y a pas de vente, la personne publique demeure responsable. En ce qui concerne les autoroutes et leurs concessions, l'État reste aux commandes des contrats et en assure la responsabilité, tant dans le suivi que dans la gestion des données publiques.

Le troisième point, difficile à appréhender dans le débat public des quatre dernières années, concerne la situation des autoroutes en France. Le réseau autoroutier français représente environ 12 000 kilomètres, dont 9 000 gérés sous forme de concessions. Cela signifie que les 3 000 kilomètres restants ne sont pas gérés par des prestataires privés. Les 9 000 kilomètres sous concession sont gérés selon deux grands types de contrats. Les premiers sont des contrats récents, postérieurs à 2006, voire à 2010, comme celui de l'autoroute A69. Les autres correspondent à des contrats plus anciens, datant des années soixante et 70, qui n'ont jamais été résiliés. À l'époque, ces contrats étaient conclus entre l'État et lui-même ou entre des entités publiques, qui n’ont été concernées ni par la privatisation de 2006, ni par la création de nouveaux contrats, bien que des avenants aient permis de les actualiser. Ces anciens contrats révèlent une certaine inadaptation, sur laquelle nous reviendrons certainement.

Enfin, je souhaite préciser les sources de données sur lesquelles je m'appuie. Je n'utilise aucune donnée secrète ou inédite. Toutes les bases de données que j'exploite sont publiques et proviennent d'analyses d'autorités administratives indépendantes, telles que les autorités en charge de la concurrence ou de la régulation des transports. Elles incluent également des analyses de jurisprudence et des avis du Conseil d'État, lorsque ceux-ci sont rendus publics. En outre, j'examine les documents contractuels disponibles ainsi que les analyses doctrinales fondées sur des données accessibles au public. Ainsi, les réponses que je vais fournir reposent sur ces bases de données publiques et sur une analyse rigoureuse des documents disponibles.

M. le président Jean Terlier. Merci, Monsieur Vila. Vous pouvez poursuivre votre propos en répondant au questionnaire de Mme la rapporteure.

M. Jean-Baptiste Vila. La première question posée par Mme la rapporteure concerne la convention de concession de l'autoroute A69, ses clauses financières et leurs spécificités par rapport aux autres contrats de concession récemment conclus par l'État. Le cas échéant, ces spécificités causent-elles un préjudice à l'État, à la société concessionnaire ou aux usagers ?

De manière générale, les clauses financières contenues dans le contrat de concession de l'A69 et ses annexes sont globalement similaires à celles des autres contrats récents, notamment ceux conclus depuis 2010. Ces clauses suivent une architecture contractuelle classique, fondée sur les investissements, la durée, les tarifs, la mise à disposition des terrains, l'exploitation, les études préalables, la gestion pendant l'exécution et les conséquences en cas de fin de contrat ou de fin anticipée de contrat. En résumé, on relève peu de changements par rapport aux contrats récents portant sur d'autres portions d'autoroutes. Cependant, en examinant plus en détail ces clauses, il apparaît qu'il y a matière à discussion sur le plan juridique. J'ai relevé sept points d'analyse qui pourraient susciter des débats, bien qu'il en existe probablement d'autres. Ces points ne constituent pas une analyse exhaustive, mais ils représentent les plus importants.

Le premier point concerne les études préalables. Vous avez auditionné d'autres juristes, peut-être plus compétents en droit de l'environnement que moi. Toutefois, le caractère opportun de la mise à disposition des études préalables à titre gratuit par l'État, prévue à l'article 5 et à l'annexe 13, s’avère discutable, même s'il existe un système de compensation dans les tarifs ultérieurs de l'exécution.

Le deuxième point qui doit retenir notre attention porte sur les critères économiques du contrat, en particulier sur les investissements et la durée. Selon l’ART, les investissements varient entre 450 millions et 1,1 milliard d'euros. Cette large fourchette rend difficile la définition d'un équilibre contractuel. S’agissant de la durée, nous avons estimé qu'il fallait entre 30 et 40 ans pour amortir le patrimoine, avec 5 à 15 ans supplémentaires. En prenant les fourchettes hautes, nous arrivons à une durée de contrat de 55 ans. Si l'on considère l'estimation basse, la durée serait de 30 ans. Cette approche est surprenante, car elle double directement la durée estimée, tant sur le plan économique que méthodologique.

Le troisième point concerne le concours public apporté dans ce dossier, évoqué lors des précédentes auditions. Il s'agit d'une subvention d'environ 25 millions d'euros (précisément 23,1 millions d'euros) additionnée à des mises à disposition, pour un total de 100 millions d'euros. Cette somme n'est pas négligeable, surtout si l'on considère une fourchette d’investissement basse de 450 millions d'euros, ce qui représente ainsi un apport public de près d'un quart. Cela mérite une vérification et une expertise approfondies pour garantir l'équilibre économique du contrat.

Le quatrième point que j'ai retenu concerne l'indexation des péages, sur lequel nous reviendrons.

Le cinquième point est l'indicateur de rentabilité dans le contrat, à savoir le taux de rendement interne (TRI). Nous aurons également l'occasion d'y revenir. Je tiens à préciser immédiatement que, selon moi, sur un plan économico-juridique, ce n'est peut-être pas le meilleur indicateur possible, ce que j'expliquerai en détail ultérieurement.

Le sixième point qui a attiré mon attention, et qui se retrouve dans d'autres contrats de concession d'autoroute, est l'absence notable de prise en compte des gains supplémentaires pendant la phase d'exécution. Il existe des clauses, notamment de durée endogène, mais celles-ci sont quasiment inopérantes. De plus, les clauses de partage de bénéfices, bien que plus probables, restent insuffisantes. Pourtant, l'expérience en matière de contrats de concession en général – c'est-à-dire pas seulement pour les autoroutes – montre qu'il existe des leviers économiques et financiers pouvant affecter l'exécution du contrat. Par exemple, le refinancement de prêts bancaires peut générer des gains financiers qui viennent bouleverser l'équilibre économique du contrat. De ce point de vue, le juriste ou l'économiste peut rester quelque peu insatisfait.

Enfin, le dernier point concerne la fréquentation de ce tronçon autoroutier. En tant qu’universitaire, je ne fournirai pas d'éléments d'expertise personnelle, car je ne me situe pas au cœur du dossier. Cependant, les données présentées par l'ART en 2022 indiquent que l’estimation de fréquentation semble optimiste. Les recettes seront donc moindres, entraînant une compensation. Cette situation paralysera par conséquent la durée endogène. Selon cette clause, si les recettes cumulées atteignent 4 milliards d'euros, le contrat prend fin. Bien que cette situation reste relativement improbable, cela pourrait paralyser la durée endogène et, par conséquent, le partage des gains. En effet, une baisse de fréquentation entraînerait une diminution des gains exceptionnels, nécessitant une compensation de l'État. Plusieurs solutions juridiques de compensation existent. Elles peuvent se traduire par une augmentation exceptionnelle des tarifs de péage, en plus des indexations annuelles, comme cela a déjà été observé, par exemple, pour l'autoroute A65 entre Langon et Pau. Si les tarifs de péage ne sont pas augmentés, l'État pourrait intervenir par le versement de subventions publiques ou d’une indemnisation en fin de contrat. Cela crée un cercle vicieux puisqu’on s'engage sur un niveau de fréquentation peu probable qui risque de susciter un débat. Pour illustrer mon propos, je me suis livré à une comparaison entre l'A69 Castres-Verfeil et l'A65 Langon-Pau. L'A65, que j'ai empruntée pendant plusieurs années, est réputée être l'autoroute la plus chère de France. Ce tronçon de 150 kilomètres a nécessité un investissement de 1,2 milliard d'euros pour une durée de contrat de 61 ans. En comparaison, l'A69 s'étend sur 54 kilomètres pour un investissement de 1,1 milliard d'euros, avec une durée de contrat de 55 ans. Ainsi, on observe un rapport d’un à trois en termes de coût par kilomètre, en comparaison avec l’autoroute la plus chère de France. Eu égard aux hypothèses de fréquentation de l'A69, je vous laisse en tirer les hypothèses probables pour l'avenir. Cela soulève des interrogations légitimes, d'abord sur l'expertise préalable concernant l'équilibre économique de ce contrat, relativement peu expliqué par l'exécutif, mais aussi par l’ART. Nous disposons certes de taux référentiels. Par exemple, dans le rapport de l'ART, le TRI est estimé entre 5 et 10 %. Or, 5 % et 10 % ne représentent pas du tout le même montant. Par ailleurs, si l'on considère l’ensemble des concessions d'autoroutes, 1 % de TRI en différentiel représente 10 milliards d'euros. Appliqué au cas particulier de l'A69, le différentiel reste significatif. L’analyse paraît donc quelque peu insuffisante. On est aussi en droit de s’interroger sur ce qui se passera réellement pendant l'exécution du contrat. En effet, si la fréquentation est insuffisante et que les tarifs sont trop élevés, les usagers se détourneront vers les voies secondaires déjà existantes. Cela entraînera soit une augmentation des tarifs, soit une augmentation de la durée en compensation, comme nous l'avons observé avec le Plan de relance autoroutier (PRA) de 2015, soit le versement d'une compensation.

M. le président Jean Terlier. Avez-vous pu suivre les auditions, notamment celles de l'ART ou du ministère des transports ? Il semble se dessiner une contradiction avec ce que vous évoquez. Vous établissez un parallèle avec l’A65. À mon avis, ce parallèle est peu pertinent lorsqu'il s'agit de désenclaver un bassin d'emploi de 80 000 personnes vers la métropole toulousaine. Nous ne sommes pas dans la même configuration entre Langon et une ville comme Pau, qui n'a strictement rien à voir avec une métropole comme Toulouse.

En revanche, la question du budget a été largement clarifiée, tant de la part de l'ART que du ministère des transports. Ils nous ont expliqué que la question de la fréquentation, bien que soumise à discussion, ainsi que le prix et le coût des travaux, seraient à la charge exclusive et au risque du seul concessionnaire. Cela signifie que le risque ne pèserait pas sur la collectivité et qu’il serait impossible de réviser le contrat ou d'influer sur les tarifs du péage. Il nous a été clairement indiqué que le péage se situe dans la moyenne basse de ce qui se pratique habituellement. Cela contraste fortement avec les tarifs évoqués entre Pau et Langon, considérés comme les plus élevés. Je comprends vos remarques, mais celles-ci contredisent nettement les informations fournies par le ministère des transports et l’ART, tant pour le risque pris que pour le coût des travaux et la fréquentation. Vous supposez qu'une indemnité ou une subvention complémentaire pourrait être versée. Or le ministère a clairement indiqué que cela nécessiterait une révision, qui, à ce jour, n'est pas envisagée.

M. Jean-Baptiste Vila. Je comprends parfaitement, monsieur le président. Je ne me situe ni parmi les décideurs publics, c'est-à-dire l'État et le ministère, ni en lien avec l’ART, l'autorité administrative indépendante qui contrôle ces contrats. Je souhaite simplement expliquer que si une modification sensible de la fréquentation survient durant la phase d'exécution, une fois l'autoroute mise en service, cette modification des conditions d'exécution peut entraîner une révision du contrat. Celle-ci pourrait se traduire par une prolongation de la durée du contrat, une augmentation du tarif de péage, une subvention ou une indemnité versée en fin de contrat. Je comprends l'engagement du ministère et de l'ART. Toutefois, je me base sur l'expérience des précédents contrats de concession d'autoroutes et du PRA de 2015, par exemple, où des modifications de durée contractuelle ont bien eu lieu, ainsi que des compensations exceptionnelles de tarifs de péage préalablement gelés pendant une certaine période. Dans les contrats de concession d'autoroutes, il existe toujours une possibilité de modification du contrat. Ce qui est affirmé aujourd'hui, 28 mai 2024, devra peut-être être prouvé à nouveau le 28 mai 2050. Je n'ai pas de réponse ni de parti pris sur cette question. Je souligne simplement que si l'hypothèse d'une baisse de fréquentation se réalise et que l'engagement contractuel repose sur une base économique, une modification du contrat sera inévitable.

M. le président Jean Terlier. Cette modification s’effectuera à la seule condition que l’État y consente. Actuellement, celui-ci a clairement indiqué qu'il ne reviendrait pas sur ces éléments, car le risque a été assumé par le concessionnaire. Si des modifications étaient envisagées, cela impliquerait un changement des règles du jeu, permettant aux autres sociétés candidates, qui n'ont pas obtenu gain de cause dans le cadre du contrat de concession, de le contester. Elles pourraient alors arguer que le contrat a été remporté sur la base d'un montant de subventions d'équilibre, d'une durée de travaux acceptée et d'un prix de péage. Cela créerait une distorsion de concurrence. Dans le cadre de cette commission d'enquête et du contrat de concession, nous ne nous situons absolument pas dans le même contexte que celui de l’A65 Langon-Pau sur lequel vous vous appuyez.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. M. Vila semble nous appeler à la modération et à la prudence sur ce sujet. En 2015, l'État avait affirmé que le contribuable ne viendrait jamais au secours des contrats de concession, qu'il n'y aurait ni prolongation de ces contrats, ni augmentation des tarifs de péage pour compenser le défaut d'évaluation des fréquentations de certaines autoroutes. Cependant, un protocole a été signé en 2015, rallongeant les contrats de concession et augmentant les tarifs. Nous avons entendu l'État, par l'intermédiaire de l’ART et de son représentant, affirmer que cette situation ne pourrait se reproduire pour l'A69 et que, le cas échéant, l'ART s'y opposerait fermement. Toutefois, ce ne sont pas les propos de Bruno Le Maire, mais ceux de fonctionnaires ou d'autorités indépendantes, qui ont exprimé un avis défavorable sur ce sujet. Je comprends parfaitement ce qui a été dit lors de cette commission d'enquête. Comme M. Vila, je constate que malgré des propos similaires tenus auparavant par des gouvernements successifs, un protocole a été signé en 2015. Il s'agit en effet d'une décision politique et non d'une décision émanant de fonctionnaires. À ce stade, nous prenons acte des déclarations faites et nous écoutons l'expérience de Monsieur Vila en tant qu'universitaire.

M. Jean-Baptiste Vila. Mon rôle n'est pas de juger les propos du ministère ou de l’ART. Je vous livre une analyse, et je suis conscient qu’il vous appartient de recouper les informations. Je souhaiterais apporter deux précisions.

Premièrement, la modification du contrat est toujours possible. Cela est prévu par des clauses, en lien avec plusieurs hypothèses.

Deuxièmement, l'élément essentiel de l'équilibre économique du contrat réside dans les investissements. Pour connaître les investissements de l'État, il est nécessaire de disposer des inventaires du patrimoine. C'est comparable à la gestion d'une maison ou d'un appartement que vous possédez et que vous incluez dans votre inventaire. En avril 2021, nous avons appris avec stupeur que le ministère chargé des transports ne possédait pas les inventaires des concessions d'autoroutes en France. Cette information a été révélée par ministre des transports lui-même, Jean-Baptiste Djebbari, par une déclaration au Sénat en avril 2021, annonce réitérée en janvier 2022 à l'Assemblée nationale. Sans ces inventaires du patrimoine, il est impossible de calculer l'équilibre économique du contrat. C'est là que se posent les questions de risque et de droits. Je me réfère à l'article R. 3131-4 du code de la commande publique, selon lequel lorsque la gestion d'un service public est concédée, le rapport annuel fourni par la société concessionnaire doit inclure un compte rendu de la situation des biens et immobilisations nécessaires à l'exploitation du service, autrement formulé, un inventaire du patrimoine. Si une disposition aussi évidente que l'inventaire du patrimoine, prévue dans un texte, n'est pas appliquée, il est hasardeux de spéculer sur l'avenir et ses hypothèses et je m'abstiendrai donc de le faire.

M. le président Jean Terlier. Très bien, nous sommes éclairés. Toutefois, peut-être pourriez-vous nous apporter votre éclairage sur les deux entreprises concurrentes, Fayat et Vinci. En effet, Atosca a remporté le marché selon les conditions financières évoquées précédemment. Or, si Atosca venait à les revoir après coup, cela soulèverait de véritables questions de respect du droit des contrats et de concurrence déloyale. Ces sujets sont importants. Dans l'exemple que vous avez fourni, d'autres entreprises avaient-elles également déposé des demandes concurrentes, tout en s’abstenant de toute objection lorsque les données contractuelles ont été modifiées ? Pouvez-vous nous indiquer si ce type de situation est fréquent ? D’après l'État et l'ART, cela se produit très rarement, voire jamais.

M. Jean-Baptiste Vila. La question de la modification des contrats se pose assez fréquemment, notamment pour les concessions d'autoroutes. Je vous invite à consulter le site du ministère chargé de l'écologie et des transports pour constater le nombre d'avenants passés aux différents contrats de concession d'autoroutes. En effet, les contrats initiaux des années 70, par exemple, n'existeraient plus sans ces modifications successives ou seraient totalement inadaptés. Votre question est pertinente. En matière de contrat de concession, je n'ai pas d'exemple de candidats évincés au départ qui viendraient contester ultérieurement l'exécution ou la modification contractuelle. En général, la procédure de passation, que je qualifierais de match, se joue au début. Cela inclut la procédure de passation, les négociations et le choix d'un attributaire. Les candidats non retenus peuvent contester soit avant, soit après la signature du contrat. Une fois ce match terminé, l'exécution du contrat commence. Les discussions interviennent alors sous deux formats principaux : d'une part, des tiers, comme des associations d'usagers, qui contestent une modification du contrat pour diverses raisons ; d'autre part, des contentieux liés à une modification ou une résiliation du contrat avec laquelle le concessionnaire n'est pas d'accord et sur laquelle les parties ne parviennent pas à s'entendre. Dans le cas qui nous intéresse, un contentieux peut émerger, typiquement autour de questions comme la surtaxe exceptionnelle pour les concessions d'autoroutes, qui modifie l'équilibre économique du contrat. Cependant, les candidats évincés ne rejouent pas le match pour autant. Je ne dispose pas d'exemple précis ou de jurisprudence du Conseil d'État sur ce point.

M. le président Jean Terlier. Merci. Vous pouvez poursuivre...

M. Jean-Baptiste Vila. Vous m'avez interrogé sur les principales évolutions apportées aux conventions de concession récentes par rapport aux conventions plus anciennes. L'objectif était de déterminer si, dans le cadre du projet de l’A69, les clauses d'encadrement de la rentabilité des concessionnaires notamment à trois niveaux – partage des fruits de la concession, durée endogène et partage des gains de refinancement – étaient correctement calibrées.

Plusieurs évolutions notables se distinguent dans les nouveaux contrats par rapport aux contrats historiques. Il existe une volonté apparente de se réapproprier les contrats ou de les rééquilibrer par rapport aux anciens contrats de concession. Les concessions historiques étaient principalement conclues entre l'État et des personnes publiques. C'était en quelque sorte l'État avec lui-même ou du moins des personnes publiques entre elles. Avant 2006, l'objectif n'était pas nécessairement de plafonner la rentabilité ou de partager les gains. Au contraire, l'idée était de financer les autoroutes, ce qui était relativement délicat à l'époque.

Depuis 2006, avec la privatisation, et depuis 2010, une ingénierie contractuelle s'est développée, incluant des clauses de partage des gains que l'on retrouve dans certaines concessions d'autoroutes, y compris dans celle de l'A69. Deux clauses importantes méritent d'être mentionnées : la clause de durée endogène et la clause de partage des bénéfices.

Sur la première clause, dans le contrat de l'A69, il est précisé que si le seuil de 4,068 milliards d'euros en euros courants est atteint, le contrat prend fin. Je suis étonné par le montant prévu dans cette clause ; le montant d'investissement maximal prévu dans ce contrat est de 1,41 milliard d'euros, ce qui implique une hypothèse de fin de contrat sur un rendement multiplié par quatre par rapport à l'investissement initial. Cela pourrait expliquer pourquoi l'ART considère que la probabilité de déclenchement est faible, comme indiqué dans son avis de 2022. Je considère que cette clause n'a pas d'objet. En effet, si la rentabilité est multipliée par quatre, il ne s'agit plus de rentabilité excessive d'un point de vue juridico-économique.

La deuxième clause est celle du partage des bénéfices. Selon l’ART, son déclenchement est plus probable. Toutefois, l'ART a raison de noter qu'elle diminue la probabilité de la première puisqu’en partageant les bénéfices, on atteint moins rapidement les 4,068 milliards d'euros. C'est un mécanisme assez simple. Deux possibilités se dessinent ainsi, la seconde s’avérant toutefois beaucoup plus probable que la première, qui apparaît comme utopique.

L'inventaire du patrimoine, comme je l'ai mentionné précédemment, est une obligation contractuelle prévue par un décret de 2005 applicable depuis le 1er juin 2007 et figure dans le code de la commande publique. Chaque année, les sociétés concessionnaires doivent fournir un inventaire du patrimoine. C'est bien inscrit dans le contrat et nous nous en félicitons. Néanmoins, il est surprenant que ces inventaires du patrimoine n'aient pas été exigés par l'État auparavant. Cela a d'ailleurs justifié l'adoption d'un décret pour certaines concessions d'autoroutes, demandant aux sociétés concessionnaires d'établir ces inventaires dans un délai de deux ans, ainsi qu’un décret publié à la fin de 2022, qui l’a exigé auprès des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APPR). Cette question des inventaires revêt une importance capitale. Il est heureux que le contrat de l’A69 le prévoit explicitement. En effet, sans cet élément d'information, on ne peut pas définir la rentabilité du contrat, puisque celle-ci repose précisément sur les investissements. Sans connaître le contenu des investissements, il est impossible de calculer l'équilibre économique du contrat. J'irais même plus loin en affirmant que sans la contrepartie, c'est-à-dire les investissements, il est inconcevable de calibrer les niveaux de tarifs, ceux-ci étant déterminés en fonction des investissements, de leur remboursement et de la marge nette escomptée.

Par ailleurs, sans inventaire du patrimoine, le coût d'une résiliation anticipée des contrats ne peut être calculé. Ce débat a eu précédemment cours, notamment pendant la campagne présidentielle, où il a été expliqué que la résiliation des contrats de concession d'autoroutes était impossible en raison d'un coût de 47 milliards d'euros. C'était le ministre de l'économie et des finances, tant passé qu'actuel, qui l'expliquait. Le Conseil d’État indique que pour résilier un contrat de concession d'autoroutes pour un motif d'intérêt général, il convient de verser une indemnité, qui repose à la fois sur la valeur du patrimoine actualisée, c'est-à-dire la valeur nette comptable, et sur le manque à gagner des années non exécutées. Le calcul du manque à gagner des années non exécutées est simple. Cependant, sans l'inventaire du patrimoine, il est impossible de déterminer la valeur nette comptable et donc de calculer l'indemnité. D'où provient ce chiffre de 47 milliards ? Nous avons eu des difficultés à le retracer. Ce chiffre apparaît pour la première fois dans le rapport Chanteguet de 2013. Selon celui-ci, la banque d'investissement qui conseillait la commission n'avait pas réussi à obtenir ce chiffre, contrairement à la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) qui avait communiqué cette estimation. À l'époque, on parlait de 40 milliards. Le montant a donc augmenté. Il correspond à la valeur de marché des concessions d'autoroutes selon la DGITM, c'est-à-dire ce que représenteraient les concessions d'autoroutes aujourd'hui. Cependant, le Conseil d'État a clairement expliqué que cette valeur de marché n'était pas indemnisable. En réalité, c'est même l'inverse, la valeur de marché correspondant à ce que l'État pourrait obtenir s'il relançait de nouvelles concessions d'autoroutes après résiliation et demandait des droits d'entrée aux opérateurs. Ainsi, penser que les 47 milliards devraient être indemnisés est erroné. En réalité, cette somme représente ce qui pourrait être obtenu en relançant les contrats de concessions d'autoroutes après résiliation. L’existence de tels contresens économico-juridiques est propice aux incompréhensions.

La séance est suspendue de dix-huit heures vingt à dix-huit heures quarante.

M. le président Jean Terlier. Merci, Monsieur Vila, d'avoir accepté cette suspension. Nous devions voter dans l’hémicycle. Reprenons votre audition avec une question de Mme Karen Erodi.

Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Je souhaite revenir sur le respect du code de la commande publique. Certaines de mes questions évoluant autour du montage financier rejoignent celles posées par ma collègue rapporteure, Mme Arrighi, et pour lesquelles nous n'avons pas encore obtenu de réponse. Cela concerne la durée du contrat de concession et ses conséquences, ainsi que le respect des différents codes régissant la commande publique qui, selon moi, vont de pair.

La durée de la concession est fixée à 55 ans pour cette autoroute. L'article 29 précise que l'État ne pourra reprendre la concession qu'à deux conditions. Premièrement, il ne pourra récupérer la concession qu'après 28 ans d'exploitation par Atosca. Deuxièmement, Atosca doit atteindre un chiffre d'affaires de 4,68 milliards d'euros, un objectif que le concessionnaire lui-même juge inatteignable. La prévision des recettes annuelles, présentée à l'annexe 18, prévoit un chiffre d'affaires cumulé de 3,71 milliards d'euros entre 2025 et 2077, soit sur toute la durée de la concession. L'ART, dans son rapport de 2022, page 14, considère la prévision de 3,7 milliards d'euros par Atosca comme optimiste. Cela rend donc impossible la reprise de la concession par l'État. Par ailleurs, l'article L. 1121-1 du code de la commande publique indique que la part de risque transféré au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. De plus, l'article R. 3114-2 du même code précise que pour les contrats de concession d'une durée supérieure à cinq ans, la durée du contrat ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu’il amortisse les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l'exécution du contrat.

Les éléments figurant sur le contrat ou découverts après avoir été grisés, ou encore révélés par la presse, révèlent que la durée du contrat dépasse largement la période d'amortissement, estimée à 30 ans. Les deux déviations, payées deux fois par le contribuable, représentent 75 millions d'euros d'avantages en nature. De plus, l’octroi de 12 millions d'euros de cadeaux de TVA a été récemment révélé par la presse, ainsi que plus de 23 millions d'euros de contributions des collectivités et de l'État. La somme définitive de ces contributions n'est pas encore arrêtée, car elle dépend de variables qui entraîneront probablement un complément de la part des collectivités. La durée de concession obligatoire, en corrélation avec un chiffre d'affaires inatteignable, est anormalement longue. Les différents éléments grisés ont été cachés au public et aux élus, qui ont approuvé un projet sans en connaître tous les tenants et aboutissants, comme l'installation d'une ferme photovoltaïque. Nous sommes en droit de nous poser des questions. Selon les données en notre possession, Atosca aura remboursé sa dette en 2046, soit après 24 ans d'exploitation. De 2046 à 2077, soit une période de 30 ans, Atosca entrera donc dans sa période de retour sur investissement, bien au-delà de ce que préconise l'article R. 3114-2 du code de la commande publique. Or un contrat de concession est censé être équilibré entre les intérêts d'un particulier, en l’espèce la société privée Atosca, et l'intérêt général, censé être garanti par l’État, qui doit œuvrer pour défendre les intérêts de l’usager.

Monsieur Vila, d'après votre expérience, en votre qualité de spécialiste des contrats de concession et selon les connaissances que vous avez du dossier, pensez-vous que le risque transféré à Atosca en termes d'exposition aux aléas du marché est réel ? En tant qu'expert et en comparaison avec d'autres contrats autoroutiers, cette période vous semble-t-elle justifiée ? Vous avez qualifié la durée du contrat de l'A69 dans la presse d'inédite, affirmant que cette période de 55 ans pose un problème de légalité. Pourriez-vous éclaircir vos propos ? L'avis de l'ART indique en page 11 que la durée de concession est prolongée de 5 à 15 ans en raison d’exigences supposées des prêteurs. Ce motif opaque, pour lequel nous n'avons aucun écrit, vous paraît-il conforme juridiquement pour fixer la durée de concession ? À votre avis, y a-t-il des raisons d'agir et le contrat de concession pourrait-il être remis en cause ? Si oui, quels sont, selon vous, les écueils juridiques de ce contrat ? Enfin, le montant d'aide publique apporté à ce projet, qui s'élève maintenant à 111,6 millions d'euros, soit 20 % du coût du projet, vous paraît-il justifié ?

M. Jean-Baptiste Vila. La durée du contrat est de 55 ans pour 54 kilomètres de réseau, avec un investissement d'environ un milliard d'euros. Le rapport de l’ART explique comment cette durée a été calculée. Celle-ci comprend une première partie de 30 à 40 ans pour amortir les investissements et entre 5 et 15 ans supplémentaires demandés par les prêteurs. En prenant les fourchettes hautes, soit 40 et 15 ans, on obtient 55 ans. Le calcul a probablement été réalisé ainsi. J'ai évoqué dans la presse une discussion sur la légalité de cette clause. La question de la durée du contrat est longtemps restée peu encadrée. Une vague disposition du code général des collectivités territoriales indiquait que la durée du contrat de concession correspondait à la durée d'amortissement, sans plus de précision. Cela a d'ailleurs motivé mon sujet de thèse à l'époque. Le 11 août 2009, une décision notifiée à la société Maison Comba par le Conseil d’État est venue préciser ce qu'il fallait entendre par durée d'amortissement. Il n'est pas obligatoire de tenir compte d'un amortissement comptable, mais on peut prendre en compte l'amortissement économique, c'est-à-dire le temps raisonnablement estimé de manière prévisionnelle, incluant un risque, pour obtenir un remboursement ainsi qu'une marge nette bénéficiaire supplémentaire. Cette considération de 2009 a depuis été reprise par le Conseil d'État et se retrouve aujourd'hui dans le code de la commande publique, dans des termes similaires.

L'idée est très simple : la base de calcul repose sur les investissements du co-contractant. À ma connaissance, le Conseil d'État n'a jamais pris en compte autre chose. Affirmer qu'un investissement nécessite entre 30 et 40 ans d'amortissement est acceptable ; cela peut faire partie du calcul de la durée contractuelle. En revanche, je ne trouve aucune justification ni dans les textes, ni dans la jurisprudence du Conseil d'État, expliquant que les prêteurs ont besoin d'être rassurés, comme le suggère le rapport de l’ART, demandant une durée supplémentaire de 5 à 15 ans. J’en reviens donc à ce que je disais en préambule. Si l'on prend pour base une durée minimale d'amortissement de 30 ans, comme indiqué dans le rapport de l’ART, et que l'on aboutit à une durée contractuelle de 55 ans, on double presque la durée contractuelle. Sachant qu’une fois les investissements amortis, comme vous l'avez mentionné, madame la députée, avec une dette qui serait acquittée en 2046, si l'exploitation se poursuit au-delà de l'amortissement des investissements, la rentabilité du projet augmente nécessairement. C'est le sujet qui a été au cœur de l'actualité des contrats de concession autoroutière il y a un an, avec la publication d'un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF). Ce rapport, basé sur les derniers travaux effectués, comme ceux de la commission sénatoriale menée par Vincent Delahaye et Éric Jeansannetas, indique que si les charges diminuent, la rentabilité augmente mécaniquement. En prolongeant la durée au-delà de la fin des charges, la rentabilité s'accroît inévitablement.

Je note qu'il existe un certain nombre de discussions concernant le niveau de rentabilité une fois que les charges diminuent. À cet égard, je souhaite souligner les débats menés du côté des autorités publiques, portant notamment sur les contrats de concession historiques. Cela nous sera utile pour la suite. Permettez-moi d'expliquer ici un des indicateurs retenus, notamment par l'ART, à savoir le taux de rendement interne (TRI). Le TRI est une formule de calcul permettant de mesurer la rentabilité par rapport à l'investissement initial et uniquement par rapport à ce dernier. Cet indicateur, selon moi, n'est pas nécessairement le plus pertinent dans la mesure où il néglige certains éléments financiers susceptibles d'améliorer la rentabilité d'un projet.

Le TRI est donc l’indicateur retenu par l'ART alors que, dans son rapport de 2020, celle-ci précise qu'elle ne dispose pas des données antérieures à 2017-2018, ce qui l'a conduite à créer un indicateur de calcul appelé TRI tronqué. Malgré des recherches actives, je n'ai trouvé aucune référence à ce concept dans les ouvrages de finance, d'entreprise ou d'économie. En fait, le TRI tronqué provient d'un rapport réalisé par une entité de conseil au Gouvernement britannique dans le secteur des télécommunications. Cette méthodologie spécifique a été traduite littéralement dans le rapport de l'ART de 2020 sur deux pages. Ce rapport explique que, face aux difficultés rencontrées, des informations ont été obtenues auprès des concessionnaires. Les sénateurs avaient même signalé à l'ART qu'ils éprouvaient des difficultés, car ils ne disposaient pas des éléments de calcul, seulement du résultat. Du TRI tronqué, nous sommes passés au TRI projet, qui correspond au TRI sur la totalité d'un projet. Jusque-là, tout semble cohérent, mais je peine à comprendre comment il est possible de procéder à des calculs pour des contrats dont les données antérieures à 2017 sont absentes. Il est incohérent de pouvoir calculer un TRI projet jusqu'en 2070, alors que deux ans auparavant, nous n'étions pas en mesure de le calculer au-delà de 2017. Finalement, l’indicateur retenu dans le contrat de l’A69 est bien ce dernier. Dans ce cas précis, il est encore pertinent, car nous connaissons la date de début, nous disposons des éléments financiers et nous pourrons les suivre. Pour les autres contrats historiques, il est clairement inadapté, ce qui a d'ailleurs conduit à de légères adaptations dans les résultats des calculs. Ainsi, en 2020, nous estimions le TRI des concessions historiques entre 7 et 8 %. En 2022, nous considérons qu'il se situe entre 8 et 9 %. Cette différence, bien que minime en pourcentage, représente 10 milliards d'euros. J’en reviens donc à la question de la durée, qui me semble essentielle pour garantir l'égalité.

Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Merci pour cette réponse, partielle toutefois.

M. Jean-Baptiste Vila. Je souhaite apporter une clarification basée sur mes notes. Si nous disposons d'éléments d'analyse d'investissement économique et financier qui demeurent vagues – et c'est ce que je constate dans le rapport de l'ART – je ne vois pas comment il est possible de calculer une durée contractuelle, censée reposer sur des bases tangibles, expertisables et fiables, qui constituent le niveau d’investissement. C'est à partir de ce niveau que l'on peut calculer une durée contractuelle et l'expertiser avant de lancer la procédure de passation. Si les paramètres financiers et économiques sont flous, le calcul devient plus complexe et la question de la cohérence entre la durée et les investissements se pose nécessairement.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vous mettez en lumière tout ce qui, dans ce dossier, suscite des interrogations, non pas sur la temporalité des procédures, mais sur la validité de leur mise en œuvre, l'accessibilité au public et le débat nécessaire, obligatoire et légal, citoyen, par rapport à ces chiffres. En effet, grâce à la commission d'enquête, nous avons eu accès aux chiffres réels – et non simplement les fourchettes – sur lesquels l'ART s'est appuyée, et sur lesquels tous les équilibres financiers ont été établis. Par conséquent, à partir de ces fourchettes et d'un contrat grisé, rien n'est expertisable ni fiable, puisque les éléments communiqués à la fois dans la déclaration d’utilité publique (DUP) et par l'autorité environnementale sont couverts par ce type de secret. Cela empêche les analyses que vous, en tant qu'universitaire, ou nous, en tant que parlementaires, pouvons effectuer. Sans la commission d'enquête, nous n'aurions pas eu accès à ces éléments, ce qui rend impossibles l'expertise et le contrôle de l'évaluation des politiques publiques, ainsi que le contrôle de l'action de l'État. Il s’agit vraiment d’un point crucial.

Vous avez répondu à de nombreuses questions posées par Mme Erodi, ainsi qu’à la question numéro 3 sur le contrat de 55 ans, constitué de deux périodes de 40 et 15 ans. L'ART remet en question cet usage, estimant qu'il n'est pas nécessaire de prévoir 15 ans pour couvrir un risque, alors même que le concessionnaire est censé prendre ce risque. À ce propos, je vous informe d'un élément grisé du contrat selon lequel les biens sont amortis au bout de 23 ou 24 ans, pour un contrat d’une durée totale de 55 ans.

Je reviens sur la question numéro 4 concernant les investissements et le bénéfice raisonnable. Comment cette notion est-elle définie et les clauses du contrat permettent-elles de respecter cette règle ? Il est à noter que ce dossier prévoit une rémunération des actionnaires dès la mise en service de l'autoroute, à hauteur de 4,1 millions d’euros. De plus, pour ceux ayant investi en fonds propres, il est prévu une rémunération de 6 %. Étant donné qu'il s'agit de fonds propres sans emprunt, ce taux de 6 % est net. Certains ont indiqué que d'autres investissements rapportaient davantage, notamment après la crise de 2008. Cependant, un investissement garantissant 6 % sur 55 ans est-il, selon vous, une rémunération satisfaisante ou, à tout le moins, rassurante pour l'actionnariat ?

Vous avez répondu à la question numéro 5 portant sur le TRI. Dans ce dossier, il est pertinent de se projeter jusqu'en 2077. Toutefois, à partir de quel seuil le TRI actionnaires peut-il être qualifié d'excessif, au-delà du fait que toute entreprise s’inscrit naturellement dans une logique de profit ? Le Gouvernement lui-même considère que les contrats de concession consentis précédemment ont un rendement excessif. Dans le cadre du PLF 2024, il a proposé une taxation spécifique pour les concessionnaires – que j'aurais d’ailleurs votée si le recours au 49-3 ne nous en avait empêchés – aujourd'hui contestée devant les tribunaux par ces mêmes concessionnaires. L'État peut ainsi toujours revenir sur les engagements qu'il a pris, d'autant plus qu'il a la main sur la loi de finances.

Je souhaite revenir sur la question des concours publics, que vous avez évoquée. Précédemment, l'évaluation de la subvention s’élevait à 220 millions d'euros. Les collectivités se réjouissent de voir ce montant réduit à 23 millions. Cependant, il est également prévu un apport en nature, que l'État affirme ne pas devoir être comptabilisé dans la mesure où il constitue un élément du passé. Or, en droit commercial pur, il serait évidemment comptabilisé, à la fois en actif et en passif. Au moment où ces apports sont réalisés, ils contribuent à l'équilibre financier du dossier et participent du concours public à hauteur de 75 millions d'euros.

S’ajoute la question de la catégorie juridique de ces apports. J'ai interrogé l'État à ce sujet, mais la réponse obtenue a été évasive, arguant du caractère passé de l’opération. Pourtant, ce sujet n'est pas anodin. Je souhaite obtenir la qualification juridique des apports en nature dans le cadre de cette opération. Imaginons, par exemple, que les contribuables n'aient pas financé 9 kilomètres entre Soual et Puylaurens, mais plutôt 20 ou 30 kilomètres, et que l'État décide néanmoins de réaliser une ou deux voies sous contrat de concession autoroutière. L'évaluation serait alors bien plus élevée et l'on pourrait presque affirmer qu'il n'y a aucune participation publique, alors même que les contribuables ont apporté une somme significative pour équilibrer le contrat. Il s'agit donc d'une véritable question juridique et comptable concernant les concours publics, avec des conséquences importantes, notamment sur le calcul de la valeur actualisée nette socio-économique (VAN-SE). Celle-ci avait été calculée initialement à 508 millions d'euros. Elle a ensuite été recalculée par le Commissariat général à l'investissement à 98 millions, en précisant que l'opération restait risquée, mais bénéficiaire. Par la suite, un nouveau calcul d’Atosca l’a estimée à 788 millions d'euros, avec des concours publics évalués à 23 millions d'euros et non à 75 millions. Dans le cadre du code de la commande publique et du décret de 2013, nous nous affranchissons de l'obligation de soumettre cette VAN-SE à une nouvelle contre-expertise. Cela n'est anodin ni pour les contribuables, ni pour l'État, ni pour les usagers, qui ont financé cet investissement à travers leurs impôts et qui, s’ils veulent en profiter, devront encore payer en tant qu'usagers. Cela n'est pas anodin non plus en termes d'information citoyenne, notamment en raison d’une contre-expertise qui aurait dû avoir lieu dans le cadre de la commande publique si les 75 millions avaient été intégrés. Quelle est, selon vous, la nature juridique des apports en nature ? En dehors du cas précis de l’A69, les apports en nature sont fréquents dans le cadre des contrats de concessions autoroutières, ou dans d'autres domaines comme l'eau. Ils concernent des infrastructures financées par les contribuables et ensuite valorisées. Je souligne ce point, car vous avez mentionné tout à l'heure, comme je l'avais entendu lors des auditions au Sénat, l’inexistence d’inventaire du patrimoine. Ainsi, comment a-t-on pu évaluer les 75 millions sans ce dernier ?

M. Jean-Baptiste Vila. Je reviens sur le premier aspect de vos questions, à savoir la notion de bénéfice raisonnable. Vous mentionnez que, selon le rapport de l’ART de 2020, la durée du contrat de concession est fixée de manière à permettre au concessionnaire d'amortir les investissements et de réaliser un bénéfice raisonnable. Cette définition a également été reprise par le ministre de l'économie et des finances ainsi que par l'ancien ministre des transports, Clément Beaune, lors d'une audition au Sénat, à la suite de la publication du rapport de l’IGF. Pour être transparent, je dois souligner, en tant qu'universitaire indépendant, que l'autorité publique, qu'elle soit indépendante ou représentative de l'exécutif, ne devrait pas formuler les choses ainsi. En effet, dans un contrat de concession, tout cela ne représente qu'un potentiel. C'est pour cette raison que j'ai pris soin de redonner la définition de la concession au début de mon intervention. Le co-contractant assume des travaux d'investissement et la gestion d'un service, tout en étant exposé aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle ne peut être purement théorique ou négligeable. En fait, tout cela relève de la prévision Il y a déjà un contresens sémantique. Une concession n'assure pas le remboursement et une marge honnête. Elle peut octroyer cela à la fin du contrat, avec des limites, mais il n'y a aucune garantie au départ. Sinon, le contrat ne serait pas un contrat de concession au sens du code de la commande publique et de la jurisprudence du Conseil d'État.

Qu'est-ce qu'un bénéfice raisonnable ? En droit, il est difficile de le définir précisément, car dans les textes et la jurisprudence du Conseil d'État, il n'existe pas de référence. Le droit est relativement souple pour permettre de s'en remettre à la loi des parties et à ce qu'elles prévoient dans le contrat. La raison en est simple. D'abord, il existe plusieurs indicateurs possibles : TRI, Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization (EBITDA), cashflow, etc. Les financiers en parleraient mieux que moi. Ensuite, chaque projet est unique. M. le président évoquait tout à l'heure les différences entre l'autoroute Langon-Pau et celle de l'A69. Aucun projet ne ressemble à un autre, finalement. La loi des parties s'impose ici, mais il est important de noter que dans les contrats de concession, étant donné qu'il s'agit de contrats de droit public, il existe des principes supérieurs à respecter. En droit concessionnel, il est interdit de consentir des libéralités. Par exemple, un contrat de concession qui n'imposerait pas suffisamment d'investissements au concessionnaire en contrepartie de la durée et de la marge de profit potentielle pourrait être annulé. C'est ce qui s'est produit dans le cas d'un contrat d’eau d'une grande collectivité, contrôlé par une chambre régionale des comptes et annulé par la suite, relançant ainsi la procédure de passation.

Le bénéfice raisonnable n'est donc pas défini en droit. Il existe certes des travaux doctrinaux sur ce sujet, mais peu de choses concrètes. À une époque, on n’intégrait pas d'indicateurs dans les contrats, qu'il s'agisse de concessions d'autoroutes ou de concessions historiques. Aujourd'hui, le débat porte sur ces contrats historiques. Sans indicateur, comment déterminer la bonne méthode ? Cette discussion mène souvent à un statu quo puisqu’aucune des parties n'a raison en l'absence de clauses contractuelles. Aujourd'hui, nous disposons d’un indicateur, le TRI. Toutefois, on peut questionner l'opportunité de cet indicateur, qui se fonde uniquement sur les investissements liés à l'infrastructure et au projet. L’ART, bien que je ne partage pas toujours ses analyses, affirme qu'il existe d'autres indicateurs plus complets permettant de prendre en compte, par exemple, les conditions de refinancement des prêts et les gains exceptionnels liés aux déplacements. Du point de vue public, on se concentre souvent sur l'infrastructure alors qu’il s’agit d’une opération globale, bien plus vaste. À ce sujet, je vous renvoie aux rapports des délégataires disponibles sur le site du ministère concernant les concessions d'autoroutes. L'opération dépasse peut-être le cadre d’Atosca, mais elle est analysée ponctuellement par l'État et s'insère dans un ensemble global pour les entités concessionnaires. Je n'ai pas eu accès aux éléments non grisés, mais je constate dans mes premières analyses, des taux de TRI couplés entre 5 et 10 %. La différence est notable puisque passer de 7-8 % à 8-9 % représente 10 milliards d'euros.

Je note également des changements du côté public. Le rapport de l'ART entre 2020 et 2022 n'est plus le même, affichant un point de rentabilité supplémentaire. Encore une fois, je ne partage pas l'analyse de fond. Par exemple, il est impossible de réaliser un TRI projet sur des données datant de 1970, surtout lorsqu’il engageait l’État avec lui-même. Il faudrait partir d'un projet de 2006.

Je note encore un changement du côté de l'exécutif. En effet, en 2020, avec mon co-auteur Yann Wels, nous avons publié deux articles en lien avec la commission sénatoriale. Nous avons continué à travailler en 2021. On nous assurait que tout se passait bien, jusqu'à ce qu'on nous informe soudainement d'une rentabilité excessive nécessitant une taxe exceptionnelle. Sur quelle base cette rentabilité exceptionnelle repose-t-elle ? Si elle se fonde sur le TRI tronqué et le TRI projet, dont nous avons parlé plus tôt et que j'ai décrit comme étant ni économiquement viables ni calculables, il est légitime de s'interroger.

Vous m'avez demandé des comparaisons avec d'autres projets, soit dans le domaine des autoroutes, soit dans d'autres secteurs de services publics. Nous disposons en fait de peu d'études comparatives et plutôt de données éparses. Ce n'est pas tant une question de secret des affaires qu'un manque de recherche universitaire sur ce sujet. En 2009, lors de ma thèse, j'avais réussi à recueillir quelques éléments. La rentabilité oscillait entre 5 et 10 %, ce qui semblait relativement correct. Elle pouvait augmenter si le risque de l'opération était plus élevé : plus on confie de risques au prestataire, plus on peut lui offrir une rentabilité accrue en contrepartie, si ces risques se concrétisent, dans la mesure où tout ceci repose sur des hypothèses sans garantie. Par exemple, en Italie, dans certains services publics de l'eau où les risques étaient élevés, les TRI peuvent atteindre 15 à 20 %. Encore une fois, tout dépend de la quantité de risques confiés au prestataire. La problématique du projet de l’A69, me semble-t-il, réside dans le fait que les éléments économiques et financiers à ma disposition sont relativement flous, tandis que la durée est fixe. Plus cette durée est longue, plus la rentabilité potentielle augmente, plus le risque de l'opération peut être atténué, plus le TRI a de chances d’être atteint et plus ce TRI est susceptible de constituer une marge bénéficiaire. Si ma réponse paraît incomplète, je suis prêt à fournir d'autres éléments.

En ce qui concerne les aides, nous disposons de subventions ou de concours publics, peu importe la terminologie utilisée dans le débat public. Il s’agit de la même chose. Juridiquement, nous parlons soit d'une aide publique, soit d'une aide d’État, que ce soit sous forme de subventions ou d'apports en nature. Peu importe l'élément apporté par la personne publique, celui-ci affecte nécessairement l'équilibre économique du contrat. Par exemple, si un investissement de 100 millions d'euros est prévu et que la personne publique apporte 50 millions d'euros pour l'infrastructure, il ne reste plus que 50 millions d'euros à financer. Le calcul est assez simple. Baser l'équilibre du contrat sur 100 millions au lieu de 50 millions a donc peu de sens, mais, n'ayant pas tous les éléments d'imposition, je ne sais pas comment cela a été calculé pour le projet A69. Ce que je peux affirmer, c'est qu'au niveau du régime juridique, on tient compte de tous les éléments. C'est pourquoi j'évoquais initialement les 23 millions d'euros de subventions, qui participent d’un concours public global de 100 millions d'euros, car nous prenons en considération l'ensemble des contributions. Ainsi, si l’État alloue une aide à une entreprise et que cette aide est soumise à un contrôle de la Commission européenne au titre du régime des aides d'État, cette dernière examinera tous les éléments, qu'il s'agisse d'un apport financier ou d'un apport en nature, comme des infrastructures ou des études réalisées par l'État à ses frais et mises à disposition gratuitement. Bien évidemment, c'est sur l'ensemble de ces aides que l'on va apprécier l'incidence sur l'équilibre économique du contrat.

S’agissant du calcul de la VAN-SE, vous disposez d’éléments chiffrés bien plus pertinents et précis que les miens. D'un point de vue théorique, le régime des aides d'État s'analyse dans sa globalité. L'aide publique peut prendre différentes formes : subventions, paiement d'études préalables, avantages divers et variés. Elle peut également inclure, de manière plus discutable, un avantage fiscal, comme la neutralisation de la fiscalité pour une entité. Je pense que le sujet fait référence au cas des autoroutes. Pour me référer à ce qui a été dit par l'ancien vice-président du Sénat, M. Vincent Delahaye, lorsque la fiscalité augmente, elle est neutralisée, et lorsqu'elle baisse, les bénéficiaires en profitent. Cela constitue également un avantage.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Vous avez répondu de manière très exhaustive à ma question, que je reposerai à l'ART. En effet, les apports en nature ne sont pas valorisés, étant considérés comme des dépenses passées. Or, lorsqu'il s'agit de l'équilibre d'un contrat entre une entité publique et une entité privée, il est essentiel de calculer et d'inclure tous les éléments de la contribution publique au moment de la signature du contrat. Les conséquences financières et juridiques sont réelles. La qualification juridique et comptable d'une somme a des incidences significatives sur le volet financier, l'équilibre financier présenté et la pertinence du calcul effectué par la société soumissionnaire. De plus, cela affecte les informations communiquées dans le cadre de l'enquête publique et du débat citoyen, qui peuvent s’avérer profondément modifiées selon l'inclusion ou non d'un chiffre. J’ai par ailleurs pris la peine de consulter le guide de calcul du VAN-SE dans sa version 2023 et, pour éviter toute erreur, j'ai également examiné la version antérieure. Je n'y ai rien trouvé à ce sujet, ce qui prouve que ma question était et reste pertinente.

Vous ne m'avez pas répondu sur un point précis : est-il courant, dans ce type de contrat, de prévoir une rémunération immédiate des actionnaires dès la mise en service de l'infrastructure, avant même qu'elle ait généré des recettes et des dépenses ? En l'occurrence, cette rémunération s’élève à 4,1 millions d'euros. Est-ce une pratique fréquente ? L’avez-vous déjà observée dans d'autres types de contrats, concessions d'autoroutes ou autres, ou est-ce une exception ? Le montant lui-même m'a également surprise.

M. Jean-Baptiste Vila. Je suis dans l’impossibilité de me prononcer sur l’intégralité des contrats de concession. Cependant, en ce qui concerne spécifiquement les autoroutes, nous disposons d’éléments plus intéressants à examiner. Il a été démontré, dans le cadre des travaux de la commission sénatoriale de 2020, qu'une partie des emprunts contractés avait servie à verser des dividendes aux actionnaires. Je renvoie également au rapport de l’ART de début 2022, qui indiquait une rentabilité de l'ordre d’un peu plus de 3 milliards d'euros, dont environ 97 % ont été distribués en dividendes aux actionnaires. Ces éléments sont particulièrement notables. En gestion d'entreprise, les résultats financiers sont généralement répartis en trois tiers : l'investissement annuel, l'investissement à moyen terme et les provisions pour risques et enfin la rémunération des actionnaires.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Les rémunérations classiques d’actionnaires que vous décrivez viennent ensuite. Or je parle bien de la rémunération prévue dès la mise en service, avant même que le premier usager n’ait emprunté l’autoroute.

M. Jean-Baptiste Vila. Je n’ai jamais rencontré de telle situation.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Nous reposerons donc la question, car ce point me surprend particulièrement. En effet, la situation ne présente aucun risque avant l’ouverture à la circulation.

M. le président Jean Terlier. Il faut préciser que l’entreprise aura à ce stade déjà engagé 400 millions d'euros de travaux.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Il me semble néanmoins que 4,1 millions d'euros sans aucune prise de risque de la part des actionnaires, cela représente un bon profit. Nous verrons par la suite.

M. le président Jean Terlier. Je constate non seulement un désaccord manifeste entre nous, Madame la rapporteure, mais encore avec ce qu'a exprimé M. Vila. Aujourd'hui, le ministère des transports comme l’ART affirment que ce contrat de concession est conclu en défaveur du concessionnaire, notamment à travers l'appréciation des travaux, des trafics et du prix du péage, fixé dans le cadre du contrat de concession. Des éléments nous indiquent clairement, malgré vos contestations, que ces risques sont effectivement pris par le concessionnaire et n'influeront en rien sur le prix des péages. Je tends à faire confiance à l'État sur ce point. Les apports en nature sont quant à eux fixés dans le cadre du contrat de concession, ce qui fait partie des éléments proposés par l'État. D'ailleurs, ce dernier nous a confié que si Atosca a été retenue, c'est précisément parce que cette société était la mieux-disante en termes de tarifs de péage et de demande en subvention d'équilibre, celle-ci étant dix fois moins importante que celle initialement envisagée. Remettre en cause l'équilibre économique d'un contrat en considérant que certains éléments n'ont peut-être pas été pris en compte est une possibilité. Cependant, l'analyse des services de l'État indique que ce contrat de concession lui est favorable. J'entends vos arguments, Monsieur Vila, et je ne remets pas en cause votre compétence. Toutefois, le contrat établi présente un équilibre économique, avec des prises de position de l'État qui me semblent claires à ce sujet.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. On le verra lorsque nous serons en possession des appels d'offres et qu’une comparaison pourra être effectuée.

M. le président Jean Terlier. Vous avez pourtant déjà entendu sous serment les représentants du ministère des transports, qui vous ont exposé la nature des deux autres offres présentées. L'une concernait un niveau de péage plus élevé, tandis que l'autre portait sur une demande de subvention d'équilibre également plus importante.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. L'État a néanmoins également affirmé sous serment la disponibilité de certains éléments dans le guide, que je ne retrouve pas. De plus, toujours sous serment, l'État m'a indiqué que les 75 millions d'apports en nature ne devaient pas être pris en compte. On peut néanmoins reconnaître l’existence d’interrogations juridiques non résolues. En tant que députés, notre rôle de contrôle et d'évaluation des politiques publiques nous autorise à poser des questions et à nous interroger, comme l'ont fait les sénateurs lors du rapport sur les concessions autoroutières.

M. le président Jean Terlier. Cela n’a rien à voir.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Poursuivons et passons maintenant à la question numéro 6.

M. Jean-Baptiste Vila. La question numéro 6 porte sur l'évolution des tarifs de péage. Je précise d’emblée que ni le ministère ni l’ART ne partagent nécessairement mon analyse. Cependant, je vous invite à lire attentivement les interventions des autres participants lors du colloque de 2022 concernant l'indexation des tarifs de péage des autoroutes. Ceux-ci augmentent chaque année, ce qui suscite toujours des débats passionnés.

Pour comprendre cette augmentation, il faut se référer à plusieurs niveaux de réglementation. Tout d'abord, il convient de prendre en compte les contrats de concession des autoroutes eux-mêmes. Ensuite, il existe éventuellement des contrats de plan, qui ne sont pas toujours renouvelés. Enfin, un décret de 1995 fixe en partie l'indexation des tarifs de péage des autoroutes. Ce décret est la référence pour le ministère et l’ART, comme indiqué sur leur site internet.

L'indexation des tarifs de péage repose généralement sur deux composantes : l'inflation et les coûts d'exploitation ou les travaux. Pour l'autoroute A69, l'indexation est basée sur les coûts d'exploitation. Pour d'autres contrats, notamment historiques, l'indexation se réfère davantage aux travaux, comme ceux renégociés dans le cas du PRA de 2015. Le problème réside dans l'étude de ces deux composantes de manière distincte. L'indexation des péages sur la base de l'inflation soulève aujourd'hui des doutes sérieux quant à sa légalité. Le ministère a des difficultés à prendre position sur cette question. L'ART, de son côté, estime ne pas être chargée de vérifier la légalité de cette base d'indexation, comme elle l'a indiqué dans une lettre publiée dans une revue juridique. Le décret de 1995 permet une indexation sur la base de l'inflation, ce qui était impossible auparavant. Cependant, ce décret est illégal puisqu'il contredit une ordonnance de 1958. Selon la hiérarchie des normes, ce décret n'aurait donc pas dû être appliqué. Il l'a été à une époque où l'État rencontrait des difficultés pour se financer lui-même.

À partir de 1995, l'indexation sur la base de l'inflation a débuté, en contradiction avec l'ordonnance de 1958. En 2001, un code monétaire et financier est entré en vigueur, posant en son article L. 112-2, une interdiction d’indexer dans les contrats les prix sur la base de l'inflation. Ce code prévoyait des exceptions à l'article L. 112-3, mais les concessions d'autoroutes n'y figuraient pas en 2001. En 2012, le Conseil d'État a rendu un avis sur cette question d'indexation, qui n'a pas été rendu public. Cependant, l'Autorité de la concurrence s'en est fait l'écho en 2014, expliquant que le Conseil d'État recommandait à l'État de régler ce problème de légalité. Entre l'avis de 2012 et le rapport de l'Autorité de la concurrence en 2014, une loi de 2013, connue sous le nom de loi écotaxe, est intervenue. Cette loi comprenait en son article 11 un cavalier législatif permettant d'indexer sur la base de l'inflation les augmentations de péage chaque année pour les autoroutes. Des débats parlementaires ont eu lieu à cette époque. Il en est ressorti que cette mesure, initialement applicable uniquement aux autoroutes, serait élargie, conformément au principe d'égalité entre personnes publiques, notamment pour les travaux d'aménagement et de transports. Un onzièmement a donc été ajouté aux exceptions mentionnées à l'article L. 112-2 précité...

Le problème réside dans le fait que cet article prévoit la nécessité d’un décret d'application élaboré en Conseil d’État pour que soit mise en œuvre cette disposition. Or, depuis la loi de 2013 sur l'indexation des péages d'autoroutes, aucun décret n'a été pris et nous nous référons toujours au décret de 1995, initialement illégal. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation juridiquement étonnante où un texte d'application, rédigé vingt ans auparavant, devient le texte d'application d'une loi récente. Il est impératif de clarifier ce problème juridique. Vous pourriez objecter que cela serait possible si la loi de 2013 était une loi de validation au sens du droit constitutionnel. Cependant, l'article 11 de la loi écotaxe ne remplit pas les conditions posées par le Conseil constitutionnel et ne peut donc être considéré comme une loi de validation. On pourrait aussi arguer que le décret n'est pas nécessaire. Néanmoins, les dix exceptions mentionnées à l'article 112-2 nécessitent toutes un décret d'application.

Sur la seconde composante relative aux travaux de l'A69, il est difficile de se prononcer à ce stade préliminaire. Il faudra attendre la phase d'exécution pour évaluer la situation. Toutefois, si les inventaires du patrimoine sont bien communiqués en temps et en heure à l’État par le concessionnaire, c'est-à-dire chaque année avant le 1er juin, il ne devrait pas y avoir de difficulté à s'assurer de la nécessité éventuelle d’une indexation des tarifs en fonction des coûts d'exploitation. J'ai bien compris que l'exécutif ou l'ART avait des éléments à avancer sur ce point. Cependant, je note que sur les concessions historiques, la Cour des comptes a démontré – ce n'est donc pas mon analyse personnelle – en février 2019, dans un référé, que l’État ne savait plus où en était le financement des investissements et ce que les augmentations de tarifs venaient compenser. À la suite de ce référé, une expertise a été menée, révélant un manque d'environ 400 millions d'euros d'investissement par rapport à la programmation prévue. Si nous reproduisons les erreurs du passé, le contrôle risque d’être difficile et une justification sera nécessaire. Si nous mettons en place des inventaires du patrimoine et un suivi correct, cette indexation des péages de toutes les routes trouvera éventuellement sa justification.

Trois problématiques se posent toutefois. Tout d’abord, les augmentations de péage revêtent-elles un caractère automatique ? Si l’on se réfère à d’autres contrats de concession conclus par des collectivités, la réponse est non. Juridiquement, l’indexation n’est prévue qu’en cas de compensation d’une charge. C'est l'objet de la formule paramétrique d'indexation. Ainsi, l’absence de charge de travaux rend difficile toute justification d’augmentation. Ensuite, quelle est la base de calcul ? Les contrats de concession restent assez flous sur ce sujet. Prend-on comme base de calcul l’année zéro, avec les indices de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) de cette année-là, ou bien l’année N-1 ? Les courbes ne sont pas du tout les mêmes et, dans le second cas, l’augmentation est exponentielle. Cela dépend de chaque contrat et de chaque indice. Il est difficile de comparer un contrat particulier à un autre. De plus, selon la base choisie, le résultat diffère considérablement. Par ailleurs, peut-on suspendre une indexation de péage d'autoroute prévue annuellement ? La réponse est affirmative et peut se faire sans nécessiter de compensation de la part des collectivités territoriales. Il est possible de suspendre une indexation de tarif sur un, deux ou trois ans sans compensation obligatoire. Le concessionnaire doit être en mesure de prouver la contrepartie assumée afin d’étayer sa demande. Cependant, encore une fois, comment justifier l’augmentation des péages d'autoroute en l'absence d'inventaires de patrimoine ?

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Le fait que les tarifs de péage soient indexés à compter de 2020 aura-t-il une influence ?

M. Jean-Baptiste Vila. N’ayant pas les éléments sous yeux, je ne suis pas en mesure de rechercher l’information. Je peux vous affirmer, en revanche, qu'une formule d'indexation de tarifs dans un contrat de conception, en principe, débute à partir du moment de la mise en service de l’infrastructure. Il correspond à l'année zéro dans la formule d'indexation des tarifs de tous les contrats de concession que j’ai pu lire.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. À partir de 2020, une spécificité est apparue. Mon analyse étant potentiellement incorrecte, je procéderai à une vérification. Je vous poserai la question par écrit si la réponse n’a pas été trouvée avant la fin de cette audition.

Passons maintenant à la question numéro 7. Compte tenu des éléments que vous nous avez apportés, nous comprenons l’existence de répercussions sur les modalités d'indemnisation, notamment en ce qui concerne les recettes escomptées par le concessionnaire. Pourriez-vous également nous éclairer sur la jurisprudence la plus récente du Conseil d'État à ce sujet ?

M. Jean-Baptiste Vila. Vous m'avez interrogé sur la résiliation du contrat prononcée par une décision juridictionnelle ou en cas de résiliation pour motif d'intérêt général et sur les conséquences qui en découlent. À ce sujet, la jurisprudence du Conseil d'État ne prévoit pas beaucoup d'éléments. Cependant, cette dernière s’avère très fournie depuis longtemps. La première grande décision en droit public des affaires remonte à 1958 avec la Distillerie de Magnac-Laval. À cette occasion, les éléments de calcul d'une indemnité en cas de résiliation pour motif d'intérêt général ont été fixés. Ces éléments n'ont pas varié depuis. En 2012, la décision de la commune de Douai est devenue une jurisprudence de référence. Je pourrais vous fournir par écrit une liste bien plus longue de décisions. Comme je l'ai mentionné précédemment, si l'État décidait de résilier pour motif d'intérêt général, la question est alors de savoir quelle indemnité doit être versée. Celle-ci comporte deux composantes. La première est la valeur nette comptable des biens de retour. Le Conseil d'État utilise deux référentiels de calcul, en fonction de la nécessité ou non de renouveler le bien. C’est la valeur nette comptable des biens qui est prise en compte et non leur valeur marchande. La deuxième composante est le manque à gagner, c'est-à-dire les années d'exploitation non réalisées au regard du terme. Je tiens à souligner que le contrat est globalement conforme à ces principes.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Le manque à gagner concerne-t-il toute la durée du contrat ?

M. Jean-Baptiste Vila. Exactement. Il est par conséquent essentiel de bien calibrer, la durée du contrat. Vous disposez d'éléments que je n'ai pas, et je ne juge pas l’exactitude de la démarche. De ce point de vue, c'est tout à fait conforme. Cependant, le Conseil d'État prévoit d'autres éléments. Il permet de ne prévoir aucune indemnité en cas de résiliation pour motif d'intérêt général, à condition que cela soit explicitement formulé. Il précise également que le plafond basé sur la valeur nette comptable des biens de retour et sur le manque à gagner ne peut être dépassé, sans quoi cela constitue une libéralité. La conséquence, dans le cas de l’A69 comme des autres contrats, est l’aspect crucial du suivi des inventaires annuels, à partir desquels la valeur nette comptable pourra être déterminée, ce qui permettra également de connaître le TRI réalisé. En effet, si la rentabilité est supérieure à celle prévue initialement, cette rentabilité supplémentaire viendra en déduction du manque à gagner potentiel. Affirmer, en 2022, que résilier les contrats de concession d’autoroute coûterait 47 milliards d'euros alors qu’en 2023, on estime la rentabilité excessive, justifiant la création d'une taxe fiscale exceptionnelle, cela soulève des questions sur la qualité du suivi de la rentabilité financière.

Un point de discussion important concerne la résiliation du contrat à la suite du recours d'un tiers. Dans ce cas, l'expérience juridictionnelle des grands contrats administratifs conclus par l'État nous réserve souvent de mauvaises surprises.

Si le contrat de l’A69 présenté aujourd'hui était résilié au motif d’une ou de plusieurs illégalités (recours d’un tiers), l'indemnité serait de 100 %, ouvrant probablement une phase de négociation entre les parties. Malheureusement, des exemples notables peuvent être cités. La résiliation du contrat de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes a entraîné une indemnité d'un milliard d'euros, tout comme l'écotaxe, qui n'a pas été mise en œuvre, avec un coût similaire (prise en compte des conséquences financières directes et indirectes). Il semble parfois que les clauses contractuelles sont rédigées de telle sorte qu’elles sont bloquantes, ce qui peut donner l’impression de limiter la liberté d'appréciation du juge administratif lorsqu’il est saisi. Dans le contrat de l’A69, j’ai entendu de vos auditions que le prestataire avait sollicité une subvention 10 fois moins importante que celle demandée par les autres candidats. Mais cela ne garantit ni la qualité ni la stabilité dans le temps du contrat. Si l'équilibre économique du contrat n'est pas respecté, le pouvoir de modification du contrat, tel qu’il est prévu dans le code de la commande publique, peut être utilisé et le cocontractant peut le solliciter (à charge pour l’Etat de contrôler et d’accepter ou non de l’utiliser). Bien que limité par ce qu’on appelle la modification substantielle (qui est interdite), il n'est pas rare de devoir réajuster le contrat après avoir choisi l'offre qui paraissant économiquement la plus séduisante au moment de la procédure de passation. D’expérience, ce ne serait pas la première fois où l’autorité publique choisirait le mieux et serait tenue ensuite, pendant l’exécution, de modifier le contrat pour le réajuster. Voilà pour ces deux premières hypothèses de résiliation, comprise à la lumière du pouvoir de modification consacré dans le code de la commande publique. Il existe d’autres motifs de résiliation possibles, tels que la résiliation pour faute ou pour imprévision.

Un élément important à considérer est la durée contractuelle fixe de 28 ans. Je m'interroge juridiquement sur le pouvoir de résiliation par l'État durant cette période. Ce cas de figure s'est déjà présenté dans d'autres contrats où le prestataire proposait une amélioration de la qualité en échange de l'absence de recours contentieux. L'Autorité de la concurrence et le Conseil d'État ont sévèrement sanctionné ce type de clause. Toutefois, celle-ci ne devrait pas empêcher une résiliation pour motif d’intérêt général pour faute, ni même pour imprévision.

M. le président Jean Terlier. Merci Monsieur Vila. Madame la rapporteure, avez-vous d'autres questions ?

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Il reste les deux dernières questions à traiter, ainsi que des questions subsidiaires.

M. Jean-Baptiste Vila. Vous m'avez demandé à travers la question numéro 8 quel regard je portais sur la persistance de l'application du secret des affaires. Il n’est pas dans mes prérogatives de vous fournir une opinion personnelle sur ce sujet. Je vais donc vous offrir une perspective juridique.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. C’est bien celle que l’on vous demande, Monsieur Vila.

M. Jean-Baptiste Vila. Le secret des affaires, issu de la loi Sapin 2, était initialement destiné à enrayer une certaine forme d'extra-territorialité du droit américain en matière de lutte contre la corruption. Pour être franc, je n'ai pas saisi la logique des pages présentées en annexe au contrat. L’annexe relative à l'organisation générale d’Atosca ne me paraît pas relever du secret des affaires. L'annexe 12, portant sur l'étude d'impact environnemental, échappe à ma compétence, mais les éléments qu'elle contient ne semblent pas non plus justifier un tel secret. De même pour l'annexe 15, qui traite du calendrier de réalisation et du volume de sous-traitance. Quant à l'annexe 16, relative à la composition de l'actionnariat de la société concessionnaire, celle-ci n'est pas floutée, ce qui n'a pas vraiment de sens. Les premiers tarifs que j'ai pu consulter ne m'ont pas non plus permis de me forger une opinion définitive sur le sujet. Je pense qu'il serait pertinent de préciser juridiquement ce que recouvre le secret des affaires dans le cadre de la commande publique. En général, le secret des affaires concerne davantage des procédés industriels, de production ou de vente spécifiques nécessitant une protection, éventuellement via la propriété intellectuelle. Les autres données, telles que l'organisation d'un concessionnaire ou les comptes prévisionnels, ne me semblent pas entrer dans cette catégorie. Il serait peut-être judicieux de redéfinir juridiquement les éléments couverts par le secret des affaires dans les contrats de commande publique et de déterminer qui peut y avoir accès. C’est certainement l'intérêt général qui prime, à savoir le contribuable, l'usager et le citoyen, qui ont besoin d’utiliser l’infrastructure au quotidien.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. La question vise à déterminer précisément les éléments à griser dans le contrat qui nous est présenté, ce que je n’ai pas réussi à comprendre jusqu’ici.

M. le président Jean Terlier. Le ministère des transports vous a informés que l'article L. 151-1 du code de commerce imposait aux fonctionnaires l'obligation légale de protéger certaines informations. Ne déformez pas les propos entendus lors de l'audition du 23 mai 2024.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Avez-vous consulté l'article L. 151-1 du code de commerce ? Quels sont précisément les critères définis par cet article ? J’ai demandé au représentant du ministère de préciser la durée d’application du secret des affaires. Vous souvenez-vous de sa réponse, Monsieur Terlier ?

M. le président Jean Terlier. Je vous accorde la pertinence d’une exception au secret des affaires dans le cadre de la commande publique. Toutefois, le rôle des fonctionnaires est d’appliquer des dispositions fixées par le législateur. Ne venez pas sous-entendre aujourd'hui que d'autres personnes que les fonctionnaires de l'État auraient procédé à cette occultation, en application du secret des affaires, prévu par le code de commerce

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Monsieur Terlier, je ne sous-entends rien. Je pose des questions à un juriste, qui me répond.

M. le président Jean Terlier. Vous avez clairement sous-entendu que vous ignoriez qui avait procédé au biffage, bien que l’information vous ait été communiquée lors de l'audition du 23 mai 2024. Ce sont les fonctionnaires de l'État, en application de l'article L. 151-1 du code de commerce, qui ont grisé certaines informations. Je comprends que vous vous interrogiez et que vous incitiez M. Vila à affirmer qu'il souhaiterait une remise en cause de cette occultation, qui obéit à des principes classiques en matière de secret des affaires. Cependant, nous avons déjà obtenu une réponse sur ce sujet, comme sur beaucoup d'autres, et vous persistez, bien que cette audition date de la semaine dernière.

Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Ces fonctionnaires ont néanmoins admis que la loi était peut-être mal faite et qu'il fallait la revoir.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Abordons à présent la question numéro 9.

M. Jean-Baptiste Vila. Je souhaite ajouter des éléments aux recommandations que j'ai formulées pour l'avenir. Je les ai déjà exposées dans un article publié en novembre 2020. J'ai d’ailleurs pu constater que l'administration, ainsi que certaines collectivités territoriales, ont suivi ces travaux. Au-delà de l’A69, plusieurs sujets méritent d'être abordés. Tout d’abord, il est nécessaire de remettre à plat les anciennes et nouvelles concessions, comme l'ont d'ailleurs demandé certains élus. En 2020, nous avons proposé que l'État puisse expertiser ses contrats. La démarche inclut le recours à des juristes en droit public, des spécialistes en droit des affaires et en droit financier, des économistes et des universitaires compétents. Je tiens à rappeler que l'exécutif a sollicité notre avis depuis 2020. Nous sommes tout à fait disposés à échanger, discuter et confronter nos idées. Ce besoin est réel. Je note que cette proposition avait été reprise par des sénateurs et même par l’ancien ministre des transports, M. Clément Beaune, mais elle n'a jamais été mise en œuvre. Or il est impératif de mener des expertises sur l'état des lieux économique et financier des concessions d'autoroutes de manière fiable et non à travers des débats médiatiques avec des chiffres lancés sans fondement.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Il est donc nécessaire de réaliser des travaux objectivés et documentés.

M. Jean-Baptiste Vila. En effet. Il faudrait certainement aussi réviser certaines clauses, notamment celles du partage des bénéfices ou de la durée endogène. Le contrat de l’A69 prévoit une durée endogène pour un montant d’un peu plus de 4 milliards d'euros. Chacun, même le concessionnaire, reconnaît que cette clause n'est pas réaliste. Ce débat existe également pour d'autres concessions. Nous avions effectué des projections avec un financier. L’examen du chiffre brut montre qu’il est déjà dépassé. Toutefois, une fois actualisé, il ne l'est pas et ne le sera jamais avant la fin des contrats prévue entre 2031 et 2036 pour les plus anciens. Ainsi, on peut s’interroger sur l’insertion d’une clause irréalisable parallèlement à la fixation d’une durée minimum contraignante.

Je souligne aussi qu'il existe, en droit des concessions d’autoroutes, un besoin de connaissances juridiques plus approfondies. À titre d'exemple, l’ART a présenté en 2020 un rapport expliquant qu'à la fin des anciens contrats, les biens devaient être remis en bon état. Cette disposition est effectivement prévue dans les contrats. De plus, il est important de noter que les biens reviennent gratuitement, en principe sans indemnité à verser. Cela revêt une importance capitale, car toute demande d'investissements supplémentaires entraînerait le versement d'une indemnité à la fin du contrat. D'ailleurs, il arrive que la résiliation de certains contrats soit effectuée très peu de temps avant la fin de ceux-ci, comme cela s’est produit en février 2022. L'ART envisage plusieurs hypothèses, dont l'une consiste à imposer une remise à neuf des biens au concessionnaire.

Cette hypothèse me semble peu réaliste. En effet, exiger une remise à neuf des biens impliquerait des coûts supplémentaires. Par ailleurs, si l'État souhaite relancer de nouveaux contrats, que confiera-t-il aux nouveaux concessionnaires ? De plus, il est écrit très clairement dans un texte réglementaire de 2019 et appliqué depuis 2007 qu’il n’y a pas de perte de patrimoine pour les autres contrats. La DGITM procède à des analyses, alors que ce n'est pas son rôle. C’est en revanche celui du délégataire, qui doit présenter un compte rendu de la situation des biens. Sans inventaires, il est impossible de calculer la rentabilité ou de réaliser des analyses pour déterminer le maintien ou la résiliation prématurée du contrat. En effet, sans le chiffre de la résiliation mentionné précédemment, il est difficile de prendre une décision éclairée. Il est également crucial de considérer la légitimité du tarif. Ce dernier repose sur les investissements réalisés. Or, sans inventaires, comment justifier les tarifs juridiquement ? En pratique, on s'adapte, mais cela engendre de nombreuses imprécisions juridiques. Il serait pertinent de revoir ce point. Enfin, il serait aussi judicieux de définir une politique globale et pluriannuelle des autoroutes.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je vous remercie pour vos réponses très circonstanciées, pour l'éclairage apporté par vos travaux de recherche et votre expérience ainsi que pour vos propositions. En tant que législateur, notre rôle consiste non seulement à contrôler et à évaluer les politiques publiques, mais aussi à proposer des évolutions du droit des contrats. Au-delà de la question des concessions autoroutières, nous traitons de contrats de droit public, ce qui nous permettrait, avec quelques propositions, de faire évoluer le lien entre l'État et les concessionnaires, au bénéfice de l'intérêt général, tant pour les citoyens que pour les contribuables. Nous vous remercions encore pour votre disponibilité.

M. le président Jean Terlier. Je vous remercie à mon tour pour cette audition, qui me laisse néanmoins perplexe. Votre vision du problème laisse penser que les contrats de concession ne seraient pas nécessairement conclus et consentis dans l'intérêt du contribuable. Cependant, l'appel d'offres et les objectifs rappelés par les personnes en charge des négociations indiquent clairement que leur intérêt réside dans la vérification de l'offre la plus avantageuse, en utilisant divers critères tels que les concours publics, les trafics, les tarifs et les enjeux techniques. Tout cela est pris en compte par des fonctionnaires compétents. En particulier, dans le cadre de l'autoroute A69, on nous a assuré que le contrat présentait un équilibre économique plutôt défavorable au concessionnaire. Cette audition révèle des éléments en contradiction avec les informations fournies par l'ART et le ministère des transports. Dans un appel d'offres, les conditions sont clairement fixées, notamment sur les tarifs, les apports en nature et le niveau de subvention d'équilibre. L'État fixe ses conditions et choisit ensuite l'offre la plus avantageuse. Il n'y a donc pas de raison que l'État se soit trompé sur l'offre la mieux-disante. Cela ne semble toutefois pas être votre avis. Merci pour ces éléments d'éclairage, qui ne manqueront pas de susciter certaines questions chez Mme la rapporteure, notamment lors des prochaines auditions de l'État ou du concessionnaire.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Si tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes, peut-être serait-ce l’occasion de demander à M. Bruno Le Maire pourquoi il a mis en place dans la loi de finances pour 2024 une taxe pour les concessionnaires autoroutiers, taxe que vous avez d’ailleurs votée, Monsieur Terlier.

M. le président Jean Terlier. Je tiens à rappeler une fois de plus la conformité des montages juridiques et financiers de l'autoroute A69. Aucune irrégularité manifeste n’a pu être relevée. Il existe certes des pistes d'amélioration dans le cadre des contrats de concession et il reviendra effectivement au législateur, comme vous l'avez souligné, de se saisir du sujet.

 

La séance s’achève à vingt heures quinze.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – Mme Christine Arrighi, Mme Karen Erodi, M. Jean Terlier

Excusés. – M. Frédéric Cabrolier, Mme Anne Stambach-Terrenoir