Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les raisons
de la perte de souveraineté alimentaire de la France
– Table ronde, ouverte à la presse, sur l’histoire et le fonctionnement de la Politique agricole commune (PAC) : M. Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à l’université de Paris-Saclay, M. Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), Mme Alessandra Kirsch, ingénieure agricole, docteure en économie agricole, directrice générale du groupe de réflexion Agriculture stratégies, et M. Yves Madre, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, ancien conseiller du commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, économiste au sein du groupe de réflexion Farm Europe 2
– Audition, ouverte à la presse, sur l’état des lieux de la souveraineté alimentaire de la France : Mme Christine Avelin, directrice générale de FranceAgriMer, et M. Pierre Claquin, directeur Marchés, études et prospective 18
– Présences en réunion................................31
Mardi
26 mars 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 3
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Charles Sitzenstuhl,
Président de la commission
— 1 —
La séance est ouverte à seize heures trente.
La commission entend lors de sa table ronde sur l’histoire et le fonctionnement de la Politique agricole commune (PAC) :
M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous nous retrouvons pour la deuxième table ronde de notre commission d’enquête. Elle sera consacrée à la Politique agricole commune (PAC) qui existe depuis plus de soixante ans et qui est quasiment consubstantielle à la construction européenne. La politique agricole française y est totalement liée.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
M. Jean-Christophe Bureau, M. Hervé Guyomard, Mme Alessandra Kirsch et M. Yves Madre prêtent serment.
M. Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à l’université de Paris-Saclay. Je rappellerai qu’en termes de souveraineté alimentaire, l’Europe est à peu près autosuffisante dans les grands produits. Les problèmes rencontrés concernent plutôt la dépendance à des intrants qui peuvent être des biens essentiels et qui sont importés d’un petit nombre de pays pas toujours fiables d’un point de vue géostratégique. Plusieurs questions se posent donc : de qui sommes-nous dépendants ? nos fournisseurs sont-ils diversifiés ? ces biens sont-ils indispensables ou peuvent-ils être remplacés ? l’ensemble de la chaîne logistique connaît-elle des faiblesses ?
Notre faiblesse se situe surtout sur les engrais, phosphore, potasse, azote, qui nous permettent de produire des céréales. Notre industrie des engrais a connu un certain déclin et nous ne sommes pas du tout autosuffisants. Nous sommes aussi dépendants de différents produits qu’il faut identifier dans le textile, le cuir, l’équipement électrique, l’énergie, les produits pharmaceutiques. Ce sont les vrais points de faiblesse.
La diversification est un moyen de résoudre ces points de faiblesse, de même que le repli sur des partenaires fiables. Il me semble qu’il y a aussi peut-être une responsabilité de ma génération d’agronomes et de la PAC sur notre mode de production, qui nous a rendus assez dépendants de ces importations avec les fragilités que cela implique. Dans les années 1960, il nous paraissait normal de nous reposer sur ces intrants importés pour produire notamment du maïs et du soja. Or le soja est une de nos grandes faiblesses dans la souveraineté alimentaire.
La PAC a encouragé une agriculture intensive au travers du mécanisme d’intervention de l’époque – les prix garantis – et tout un ensemble de facteurs tels que l’agrandissement des parcelles. La PAC continue d’ailleurs à favoriser cet agrandissement avec des aides à l’hectare qui permettent aux plus grosses exploitations de racheter les plus petites.
Cependant, si la PAC a une certaine responsabilité historique, je pense qu’elle n’est plus aussi incitative de cette dépendance des produits importés. Il me semble que c’est plutôt sur la politique française qu’il faudrait réfléchir, surtout depuis le 1er janvier 2023.
Je rappelle qu’en 1978, le PDG de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), Jacques Poly, s’était déjà inquiété de la fragilité du modèle qu’il avait contribué à développer, à savoir l’élevage intensif et le modèle maïs-soja qui s’est imposé dans les années 1960. Il avait alors plaidé pour une agriculture plus autonome et plus économe car plus nous dépendons d’intrants extérieurs à l’exploitation, plus la fragilité économique et géostratégique est grande. Dans ce contexte, des techniques à bas intrants peuvent être considérées comme une forme de souveraineté alimentaire, de sécurité.
La fragilité économique est régulièrement observable. Lorsqu’après une période de prix des céréales élevés le marché s’est retourné en 2014-2015, les agriculteurs qui avaient adopté un modèle intensif en céréales ont accumulé des impayés de produits phytosanitaires pendant deux à trois ans.
Je pense qu’il y a un intérêt en termes de souveraineté alimentaire d’essayer d’être moins dépendants des intrants extérieurs à l’exploitation et extérieurs à la France.
M. Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). J’essaierai de décrire les grands développements de la PAC en distinguant tout d’abord une première période qui s’est étendue de sa création à la première réforme d’ampleur en 1992. Il s’agissait d’une politique de prix garantis, de subventions à l’exportation pour écouler dans les pays tiers, et de protection à l’entrée pour éviter les importations.
En 1992, sous la pression internationale du GATT qui est devenu l’Organisation mondiale du commerce (OMC), une grande réforme de la PAC a remplacé la politique des prix garantis par une politique d’aides directes. Nous sommes passés d’un soutien accordé essentiellement par le consommateur via les prix garantis – et des compléments budgétaires payés par le contribuable – à une politique davantage payée par le contribuable sous la forme d’aides directes qui, à leurs débuts, compensaient la réduction des prix garantis.
Depuis 1992, la PAC est en réforme permanente au gré des révisions budgétaires tous les sept ans, voire avec des révisions à mi-parcours. La dernière réforme s’applique depuis le 1er janvier 2023 et des réflexions sont déjà engagées sur la PAC 2027.
Des aides directes se sont substituées à des revenus avec une compensation d’abord totale puis partielle. Peu à peu, ces aides ont été déconnectées des choix et des niveaux de production pour être compatibles avec les règles de l’OMC. Puis, des mesures sur l’environnement – les nitrates et la qualité de l’eau notamment – et le climat s’y sont ajoutées.
Depuis 2023, la PAC repose sur deux piliers : un premier pilier qui vise le soutien des revenus ; un second pilier dit « du développement rural » qui comprend diverses mesures dont les mesures agro-environnementales et climatiques.
Le soutien des revenus se décompense en une aide de base à laquelle s’ajoute un paiement redistributif donné sur les premiers hectares, puis l’aide de l’éco-régime, qui est une mesure environnementale. Les jeunes touchent quant à eux une aide spécifique, et des aides couplées peuvent aussi être attribuées. En France, ce pilier absorbe la majeure partie du budget.
Le second pilier regroupe un ensemble disparate de mesures, dont en France l’indemnité compensatoire de handicaps naturels qui constitue une large part des dépenses de ce pilier.
Outre le soutien des revenus, des mesures au titre de la protection de l’environnement ont été peu à peu introduites dont les mesures agro-environnementales et climatiques. Aujourd’hui, il existe donc un dispositif dit « d’architecture verte » qui cible l’environnement via plusieurs mesures.
La conditionnalité est la première de ces mesures. L’octroi des aides du premier et du second pilier est conditionné au respect de règlements et de directives et au maintien de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Il s’agit de respecter un certain nombre de conditions telles que l’existence de zones tampons ou le maintien des zones humides.
Les efforts réalisés au-delà de la conditionnalité permettent en revanche d’obtenir des aides au titre de l’éco-régime dans le premier pilier ou des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) dans le second pilier.
La PAC appliquée actuellement vise donc principalement deux objectifs, le soutien des revenus et la protection de l’environnement.
La protection de l’environnement est appliquée différemment selon les États membres. En France, l’ambition environnementale affichée n’est pas beaucoup plus forte dans la PAC d’aujourd’hui qu’elle ne l’était dans la PAC d’hier. La conditionnalité est restée à peu près identique et les MAEC, outil pourtant efficace de protection de l’environnement, n’ont pas en moyenne un budget plus élevé que dans la PAC précédente. Quant à l’éco-régime, instrument principal de la nouvelle PAC au titre de l’environnement, les agriculteurs français y accèdent sans changer de pratiques. Il peut dès lors s’apparenter à une mesure de soutien des revenus.
L’ambition climatique et environnementale de la nouvelle PAC telle qu’elle est appliquée en France n’est pas très grande par rapport à la PAC précédente. L’Allemagne et le Danemark se sont montrés plus ambitieux au titre de l’éco-régime mais comme il en découle un nombre moins important d’agriculteurs qui y adhèrent, les critères d’octroi de l’éco-régime pourraient être assouplis. Il existe ainsi à court terme un arbitrage entre soutien des revenus et protection de l’environnement, qui est au centre des débats sur la PAC.
S’agissant de la souveraineté alimentaire, il existe deux visions : une vision qui la mesure à l’aune des volumes de production sans tenir forcément compte des intrants et des inputs importés ; une vision qui est plutôt celle du Green Deal et qui prône une plus grande autonomie en remplaçant des intrants importés hors d’Europe par des solutions basées sur la nature. Chacune de ces visions entraîne des gagnants et des perdants mais le débat entre ces deux options n’est pas tranché.
Je pense qu’il faudrait identifier de façon claire et nette les perdants de chaque option et minimiser les impacts négatifs.
Mme Alessandra Kirsch, ingénieure agricole, docteure en économie agricole, directrice générale du groupe de réflexion Agriculture stratégies. Je voudrais rappeler les cinq objectifs de la PAC lors de sa création en 1957 : accroître la productivité de l’agriculture par le progrès technique ; assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ; stabiliser les marchés ; garantir la sécurité des approvisionnements ; assurer des prix raisonnables aux consommateurs. Hormis le premier, qui a été atteint, ces objectifs restent d’actualité aujourd’hui.
Cependant, les outils mobilisés dans le cadre de la PAC ont évolué par rapport aux nécessités du commerce international et à l’évolution des exigences dans le cadre des négociations du GATT puis de l’OMC.
Le système de prix garantis subventionnés par la PAC permettait aux agriculteurs de connaître à l’avance le prix auquel ils pourraient vendre leur production. Cette visibilité leur permettait d’anticiper et d’investir, et de faire leurs choix en conséquence.
Cette PAC a conduit à de nombreux excédents et a coûté très cher. C’est une réalité. Il faut cependant signaler qu’avant sa réforme en 1992, des actions pour encadrer les volumes de production par des quotas – lait, céréales, viande – avaient d’ores et déjà été mises en place.
En 1992, l’arrêt du soutien par les prix et son remplacement par un système d’aides couplées à la production a été décidé pour trouver un accord avec les États-Unis et intégrer l’agriculture dans les accords du GATT (future OMC).
Nous sommes désormais dans un système d’aides découplées, qui ne sont liées ni à la production ni aux prix. Ces aides sont versées à l’hectare et d’un montant fixe, quel que soit le niveau des prix. Elles ont comme objectif de ne pas perturber le commerce, d’éviter toute distorsion. Elles ne peuvent aucunement servir un objectif de souveraineté alimentaire puisque, par nature, elles n’incitent pas à une production plutôt qu’une autre.
Les objectifs de la PAC ont également évolué. À ses débuts, la PAC était strictement « agricolo-agricole » alors que désormais elle incite les agriculteurs à protéger l’environnement, voire le climat. L’objectif sera-t-il demain de produire de l’énergie ? Peut-être.
Quoi qu’il en soit, il apparaît que les exigences envers les agriculteurs se sont accrues sans pour autant les rémunérer davantage. Le budget de la PAC en euros constants et à périmètre équivalent a ainsi diminué de 90 milliards d’euros en vingt ans. Par ailleurs, les agriculteurs ne sont pas non plus aidés à prendre en compte les risques associés à ces changements de pratiques.
Chaque année, ils sont confrontés à différents risques : un risque climatique, un risque sanitaire, un risque lié à la volatilité des prix et, désormais, de plus en plus de risques juridiques et administratifs.
La transition agroécologique et le fait d’évoluer vers des pratiques plus vertueuses et d’abandonner certaines molécules chimiques au profit de régulations biologiques constituent un risque supplémentaire qui amplifie les autres. Les agriculteurs doivent adopter des solutions dont l’efficacité dépend du climat et impacte leurs rendements, donc leurs revenus. Or la PAC verse des aides fixes à l’hectare qui ne sont pas adaptées à cette nouvelle situation.
Pour conclure sur la souveraineté alimentaire, il est nécessaire de choisir ses dépendances mais il faut aussi intégrer l’aval. Si vous regardez les ratios d’autosuffisance de la France, nous avons souvent le défaut de les considérer au niveau de la production brute sans intégrer la transformation et l’aval. Ainsi, dans la filière poulet où nous sommes très déficitaires, nous importons des poulets découpés ou désossés parce que nous ne sommes pas compétitifs sur la transformation alors que nous continuons à exporter de poulets entiers. Il en va de même pour le blé dur, alors que notre production nous permettrait de produire toutes nos pâtes. Nous importons pourtant de la semoule et des pâtes parce que nous n’avons pas suffisamment d’usines pour fournir des produits finis aux consommateurs.
Si nous voulons raisonner en termes de souveraineté, nous devons intégrer l’amont et l’aval ainsi que les attentes du consommateur et son consentement à payer. Qu’on le veuille ou non, l’alimentation est aujourd’hui une variable d’ajustement dans un budget contraint. Nous devons donc être capables de produire ce que nos concitoyens ont la capacité de consommer.
M. Yves Madre, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, ancien conseiller du commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, économiste au sein du groupe de réflexion Farm Europe. L’objectif initial de la PAC était bien la souveraineté alimentaire pour les Européens, entendue comme la capacité à avoir suffisamment d’alimentation pour chacun en quantité et en qualité à des coûts raisonnables. Cela impliquait de fait une agriculture et des agriculteurs qui pouvaient se projeter et continuer à développer cette production.
Si l’objectif initial persiste, des choix supplémentaires ont été faits et cette politique a évolué au cours du temps. Le premier choix a été en 1992 celui d’une PAC qui se préoccupe des consommateurs et de leur pouvoir d’achat. C’est la baisse des prix et le passage à des aides compensatoires aux agriculteurs. L’accord politique était très clair entre le monde politique et le monde agricole.
Les attentes se sont ensuite renforcées : la Politique agricole commune s’est également tournée vers les citoyens, les agriculteurs devant alors remplir une mission de dynamisation du tissu rural. Plus récemment, il leur a été demandé de se préoccuper de la gestion de l’environnement et de lutter contre le changement climatique.
Une autre mesure décidée dans les années 2003 a été favorable aux contribuables : l’arrêt de l’indexation des aides de la PAC sur l’inflation. Ce n’est pas neutre. L’absence d’indexation a absorbé les gains de productivité réalisés par les agriculteurs lorsque l’inflation était contenue, puis elle a eu un impact significatif lorsque l’inflation s’est élevée ces dernières années.
Il ne faut pas non plus oublier que l’Union européenne est passée de six à vingt-sept membres, avec des coûts de production extrêmement différents. Il est devenu impossible de définir un prix de base ou un prix d’intérêt qui aurait un sens au niveau de l’Union européenne.
Comment apprécier aujourd’hui la souveraineté alimentaire ? Il me semble qu’il n’est pas possible de considérer uniquement l’aspect agricole. Nous devons regarder la production et la dynamique de production agricole, mais aussi le prix payé par le consommateur et la qualité des produits, ainsi que des curseurs environnementaux : carbone, biodiversité, qualité des eaux, etc.
La bioéconomie me semble un dernier point très important. Si nous voulons réellement basculer vers une économie neutre en carbone au niveau de l’Union européenne, il nous faut à peu près 30 % de biomasse en plus en vingt-cinq ans. C’est atteignable, mais c’est un défi. Par ailleurs, voulons-nous développer cette bioéconomie à partir d’importations ou de productions européennes ? Aujourd’hui, nous importons l’essentiel de la biomasse que nous utilisons pour le développement de notre bioéconomie, de notre bioénergie et de notre économie circulaire. Est-ce responsable ?
Si la France reste un pilier de la souveraineté alimentaire européenne grâce aux grandes cultures, ces dernières s’essoufflent. Dans le secteur de la viande – volaille, bovins –, le déficit se creuse.
La France a été un fer de lance en matière de bioénergie mais la capacité de production ne suit pas le rythme de la demande. Par conséquent, nous ne sommes pas capables de produire les protéines nécessaires pour l’alimentation animale. Notre dépendance s’accroît. Finalement, compte tenu de la baisse de 30 % en valeur économique des aides de la PAC en vingt ans, les agriculteurs sont la variable d’ajustement.
La France reste un grand pays agricole, mais c’est un colosse aux pieds d’argile. La composante économique agricole est extrêmement faible. En revanche la France n’a pas à rougir en matière d’environnement. Les agriculteurs n’ont pas attendu le Green Deal pour obtenir des résultats positifs, que ce soit sur le carbone, l’eau ou la biodiversité.
Au-delà des lamentations, une voie de dynamique peut être imaginée sans tout bouleverser. Cela demande d’investir dans les hommes et simultanément dans l’écologie et l’économie. La voie de crête existe à condition de retrouver une capacité d’investissement et de bénéficier d’un environnement économique suffisamment stable.
Il faut enfin signaler que la montée en gamme promise ne s’est pas opérée.
La PAC sera réformée prochainement. À peu près 70 % du Green Deal pour le secteur agricole sont à faire ou à refaire. Nous avons une opportunité unique dans les mois à venir pour redéfinir un cap, une dynamique de double performance économique et écologique, en arrêtant d’opposer économie et environnement. Des outils d’agriculture de précision existent et ne sont pas utilisés, il faut y remédier.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Qu’est-ce que la Politique agricole commune a apporté de plus que la simple juxtaposition des politiques agricoles nationales ?
M. Yves Madre. Outre des synergies, la Politique agricole commune a évité que des États ne mettent en place des politiques destinées à se contrer les uns les autres. Il faut reconnaître que la PAC a plutôt été un succès et nous pouvons tous en être fiers.
Cette question rejoint les soucis que nous rencontrons depuis quelque temps avec les flexibilités de plus en plus nombreuses accordée aux États membres. Certains imaginent même un cofinancement du premier pilier, qui a quasiment existé pendant trois ans. Avec le covid et l’Ukraine, l’Europe a en effet accepté que les États membres puissent abonder. Cinq pays l’ont fait, dont la France, l’Allemagne et l’Italie. La France a compensé l’inflation avec des aides directes. L’Italie a dépensé énormément d’argent pour son agriculture, et nous en verrons sans doute les bénéfices dans cinq ans. D’autres pays ont connu une inflation de 15 à 20 %, sans pour autant accorder d’aides directes. Cela a créé une réelle distorsion.
Cette politique devient de moins en moins commune, et c’est un vrai problème qui se pose. Nous devrons y apporter une réponse.
M. Hervé Guyomard. La Politique agricole commune a fait partie intégrante du projet européen, elle a permis l’élargissement de l’Union européenne et le développement des agricultures de tous les pays. Si nous avons réussi à intégrer les agricultures de tous les pays européens, c’est aussi parce qu’il existait un marché important pour tous les produits agricoles européens.
M. Jean-Christophe Bureau. Le traité de Rome comportait un article qui prévoyait une unicité des prix et des aides dans tous les pays. Cet article a été rigoureusement appliqué pendant quarante ans par la Commission. Depuis le 1er janvier 2023, la PAC est devenue beaucoup plus nationale. Il reste encore un cadre commun qui justifie le « C » de la PAC, à savoir l’existence de deux piliers – même si les frontières entre ces deux piliers sont de plus en plus floues –, la conditionnalité et l’obligation des éco-régimes.
Or les éco-régimes deviennent des aides au revenu dans tous les pays et perdent de leur légitimité. Quant à la conditionnalité, elle a été largement mise entre parenthèses depuis deux ans et les dernières propositions de la Commission visent plus ou moins à la supprimer. Dès lors, quel est l’intérêt de financer une politique avec des fonds européens alors qu’il existe désormais une collection de politiques nationales ? Je pense que nous nous aventurons dans des distorsions de concurrence, voire dans la possibilité d’une fin de la PAC y compris pour des raisons institutionnelles.
Mme Alessandra Kirsch. Il ne faut pas oublier que si nous en arrivons à des nationalisations de la PAC, nous restons dans un espace de libre-échange. Cela posera alors de vraies questions.
Il existe d’ores et déjà des distorsions de concurrence entre États membres en raison de l’application différenciée de directives. Nous sommes à un tournant et nous devrons décider si nous utilisons l’argument du Green deal pour uniformiser les réglementations entre les États membres ou si nous acceptons que chaque État développe sa politique. Si cette dernière option était retenue, de nombreuses questions se poseraient.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Est-il possible de considérer que certains pans de l’agriculture française ont bénéficié de la Politique agricole commune mais que celle-ci en a pénalisé d’autres ?
M. Jean-Christophe Bureau. Je pense que les prix garantis qui ont dominé la PAC pendant de nombreuses années ont favorisé significativement les grandes cultures, avec peut-être un bémol s’agissant des oléagineux, qui ont eu l’impression d’avoir été sacrifiés mais qui ont su développer une filière de façon remarquable.
Il est par ailleurs certain que la libre circulation des biens qui a précédé le marché unique de 1993 a pénalisé les secteurs où la France avait des désavantages comparatifs. Ce n’est cependant pas réellement attribuable à la PAC en soi, mais plutôt à la libre circulation.
Mme Alessandra Kirsch. Il est évident que des filières bénéficient plus que d’autres d’aides de la PAC. Cette situation est liée au fait que certaines filières bénéficient encore d’aides couplées.
Pour autant, il ne faut pas en conclure que les filières les plus aidées sont les plus riches. La filière qui reçoit le plus d’aides est celle de la viande bovine alors que le revenu courant y est généralement le plus faible. Cela peut s’expliquer par une production peu rentable qui est réalisée dans des zones où les alternatives sont peu nombreuses.
Certains observateurs critiquent ces aides et considèrent qu’elles ont freiné l’organisation de la filière pour peser sur leurs achats. Par exemple, la filière fruits et légumes est parvenue à se structurer de manière impressionnante sans avoir jamais bénéficié d’aides de la PAC.
Il ne faut pas oublier que la PAC est une politique parmi d’autres, dont les effets peuvent se mélanger avec ceux d’autres politiques. C’est parce que nous avons eu une politique en faveur du biodiesel que nous produisons peu de soja et sommes autosuffisants en colza. Depuis que le biodiesel n’est plus une priorité, la filière colza est à la peine.
Des productions telles que les céréales se sont très bien développées parce que les prix garantis ont permis de structurer des exploitations et d’investir. De plus, les prix des céréales sont à certaines périodes plutôt élevés par rapport à ceux d’autres productions au regard des rendements.
M. Hervé Guyomard. Votre question est très difficile. Il faudrait pouvoir comparer avec une situation sans application ou avec une application différente de la Politique agricole commune. Il faudrait aussi pouvoir distinguer dans les évolutions des différents secteurs ce qui est dû à l’application de la PAC, à d’autres politiques ou à d’autres phénomènes.
Quoi qu’il en soit, je ne suis pas certain que ce soit la bonne approche. L’important est de soutenir les exploitations agricoles et les exploitants et de leur laisser ensuite choisir les productions qui leur permettent d’avoir un revenu le plus élevé et la viabilité la plus forte, quitte à changer de production. Arrêtons de raisonner en termes de filières et sortons d’une logique de silos. Nous voulons juste que les exploitants agricoles et l’ensemble des acteurs des filières agroalimentaires vivent correctement.
Mme Alessandra Kirsch. Les aides à la production ne sont pas forcément des aides de filière. Ces aides seront inefficaces si les débouchés n’existent pas et c’est le défaut de la PAC. Celle-ci vise la production et non la filière.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Monsieur Guyomard, vous avez affirmé que l’ambition environnementale de la PAC telle qu’elle est appliquée en France n’est guère plus dure qu’avant. Ces propos sont à rebours de beaucoup d’autres que nous pouvons entendre depuis que le débat agricole est vif, depuis janvier. Pouvez-vous nous donner des précisions ?
M. Hervé Guyomard. Trois instruments principaux dans la Politique agricole commune ciblent l’environnement : la conditionnalité, les MAEC et l’éco-régime.
La conditionnalité impose de respecter certains règlements et directives et de maintenir de bonnes conditions agricoles et environnementales. Or dans la PAC actuelle, les BCAE ont repris les mesures de verdissement de l’ancienne PAC. Si elles sont plus sévères sur certains points, les décisions récentes prises à Bruxelles ont conduit à des BCAE qui ne sont que marginalement plus contraignantes qu’auparavant.
Les mesures agro-environnementales et climatiques qui se trouvent dans le second pilier sont de deux types : les MAEC analytiques – protection de l’eau, réduction des pesticides, etc. – et les MAEC système. La recherche a pu montrer l’efficacité des MAEC mais aussi leurs limites. Elles sont sujettes à des effets d’aubaine, elles nécessitent une certaine continuité spatiale, les agriculteurs sont incités à choisir des MAEC analytiques, moins ambitieuses sur le plan environnemental, plutôt que systémiques. Par ailleurs, si vous ne modifiez pas le budget consacré aux MAEC, les améliorations seront limitées.
L’éco-régime est quant à lui le vecteur choisi par la Commission pour des ambitions environnementales plus fortes dans tous les États membres. En France, il est doté de 1,6 milliard d’euros par an et c’est potentiellement un levier fort. Les travaux qui ont été menés montrent cependant qu’aujourd’hui, la très grande majorité des agriculteurs ont accès à l’éco-régime sans changer leurs pratiques. Tous n’ont pas accès au niveau supérieur, mais nos calculs montrent que la différence avec le niveau standard n’est pas suffisamment incitative.
Ce sont tous ces éléments qui aboutissent au diagnostic d’un statu quo sur le plan climatique et environnemental.
M. Yves Madre. Les éco-régimes sont effectivement dotés de 1,6 milliard d’euros en France. Il faut être conscient que les éco-régimes, comme les mesures de verdissement auparavant, ne sont pas de l’argent supplémentaire. Ils correspondent à un recyclage de sommes qui étaient auparavant des aides directes aux agriculteurs.
Les éco-régimes ont été décidés en 2021, lors de la dernière réforme de la PAC. Il était prévu qu’ils soient plus exigeants que les mesures de verdissement, avec des coûts de mise en œuvre plus élevés. Or ils ne se sont accompagnés d’aucune rémunération supplémentaire.
Par ailleurs, en dehors de la PAC, la France est-elle en avance par rapport au reste de l’Europe au titre des mesures nationales en matière d’environnement vis-à-vis de l’agriculture ? La réponse est affirmative. La France a anticipé une partie du Green Deal européen, qui reste encore en débat et n’a pas encore été mis en œuvre.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Monsieur Bureau, vous avez semblé en désaccord lorsque Mme Kirsch a affirmé que la réforme de 1992 servait à anticiper l’entrée dans l’OMC. Quelle est votre perception du sens de la réforme de 1992 ?
M. Jean-Christophe Bureau. Les aides n’ont absolument pas été découplées à cause du GATT ou de l’OMC. Elles ont été découplées en 2003 par peur qu’en raison de l’élargissement de l‘Europe, les aides à la surface ne nous amènent à 15 millions de tonnes de seigle et 50 millions de tonnes de maïs dont nous ne saurions que faire. L’idée selon laquelle l’OMC nous aurait forcés est tout à fait fausse. Je suis formel, j’y étais !
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Si je comprends bien, le tournant de 1992 marque un changement de logique de la PAC, avec l’abandon d’une logique de production liée à une volonté de souveraineté alimentaire. Est-ce qu’à partir de 1992, la souveraineté alimentaire est malgré tout restée un objectif de la PAC ? Par ailleurs, si c’est aujourd’hui une préoccupation de la France, la souveraineté alimentaire est-elle aussi une préoccupation des autres pays européens ?
M. Yves Madre. L’année 1992 marque effectivement une rupture et donne le signal d’une plus grande adéquation entre les décisions des agriculteurs et les attentes du marché.
De son origine à aujourd’hui, la PAC a été un vrai succès en termes de quantité comme de qualité. De fait, nous sommes arrivés à un moment où la notion de souveraineté et de sécurité alimentaire a été jugée comme acquise. Il n’y a pas si longtemps, d’éminents responsables politiques et des commissaires européens considéraient que la souveraineté alimentaire n’était pas un problème et qu’il serait de toute façon toujours possible d’importer.
Cette croyance dans la possibilité d’importer est aussi ce qui sous-tend le Green Deal tel qu’il a été proposé par la Commission européenne. S’il ne s’agit pas de remettre en cause l’objectif final, les moyens d’y parvenir interrogent. La proposition de réduire la production de – 16 % et les cultures arables de – 34 % dans l’Union européenne implique en effet d’augmenter les importations pour continuer à se développer.
Le réveil a été brutal et je pense que la notion de souveraineté alimentaire est ancrée. Est-elle pour autant intégrée dans les décisions qui sont prises au niveau européen ? Non. Entre le covid et la guerre en Ukraine, et encore récemment, la Commission européenne a continué sur la lancée de ses prévisions de 2019 alors que le monde avait changé. De fait, il existe un hiatus entre la prise de conscience et les faits. Je pense qu’il faudra désormais que les décisions soient prises en se demandant si elles affaiblissent l’Europe ou si elles la renforcent.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il y avait donc à Bruxelles des personnes qui assumaient de devoir importer si nous ne pouvions plus produire. Était-ce une position publique ou la traduction des politiques mises en œuvre ?
M. Yves Madre. Vous retrouverez des déclarations devant le Parlement européen. Par ailleurs, cela se retrouve aussi dans les chiffres. Les services de recherche de la Commission européenne, l’INRAE, l’United States Department of Agriculture (USDA), les universités allemandes, tous ont réalisé des chiffrages pour estimer l’impact des mesures proposées pour atteindre la neutralité carbone de l’Union européenne. Lors de discussions qui n’étaient pas publiques, nous avons pu comprendre que le positionnement importait plus que l’impact économique ou l’impact en termes de capacité de l’Union européenne à rester une zone souveraine de première importance dans le monde.
M. Hervé Guyomard. Je voudrais revenir sur l’année 1992, qui constitue la grande réforme de la PAC. Je crois que nous avons emprunté à cette époque un chemin sur lequel nous sommes toujours alors que d’autres enjeux nécessiteraient peut-être d’en changer.
En 1992, nous étions dans une période qui était qualifiée de surproduction. Le problème était d’écouler d’énormes stocks, de les exporter ou de les détruire. La réforme de la PAC de 1992, en remplaçant une politique de prix par une politique d’aides, a voulu rendre beaucoup plus prévisibles les dépenses.
Avant 1992, le contrôle des prix et des quantités permettaient de contrôler les dépenses. Cette politique n’était cependant pas appliquée dans tous les secteurs. Après 1992, l’octroi d’aides a augmenté le budget de la PAC mais l’a rendu beaucoup plus contrôlable. Ensuite, toutes les réformes ont pu être discutées d’un point de vue budgétaire.
La voie actuelle du Green Deal conduit à une certaine extensification, donc à une baisse de la production. Dans ce contexte, il faut trouver des instruments techniques et politiques à mettre en œuvre pour soutenir la production. Il ne faut se priver d’aucun instrument possible, et la question des nouvelles technologies et celle de l’agriculture de précision doivent être étudiées afin d’atteindre l’objectif environnemental avec des effets négatifs sur la production qui soient les plus faibles possible.
M. Jean-Christophe Bureau. La PAC de 1960 avait vraiment pour objectif d’accroître la production pour des raisons de souveraineté. Nous étions à cette date dépendants des importations. Cela est beaucoup moins vrai depuis 1992 et l’Union européenne a aussi changé en raison des résultats de cette politique de soutien aux prix pour accroître la production. Les excédents étaient monstrueux et il était impératif de les réduire car ils se révélaient particulièrement coûteux à stocker, exporter, voire détruire.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Nous ne sommes plus dans la situation de surproduction de 1992 et au niveau national, nous connaissons des fragilités sur le poulet, les fruits et légumes, le bœuf, le porc, etc. De plus, nous avons pu le constater en janvier, le secteur agricole souffre. N’est-ce pas le moment, sans revenir à la première PAC, de reprendre en main notre souveraineté alimentaire même si le Green Deal n’est pas forcément très compatible avec cet objectif ?
M. Jean-Christophe Bureau. L’agriculture doit devenir un secteur géostratégique mais nos fragilités se situent plus au niveau des intrants que de nos productions, qu’il s’agisse des microprocesseurs indispensables à nos tracteurs, de nos engrais, ou encore du gaz dont nous avons besoin. Est-ce que le Green Deal nous affaiblira ou nous renforcera ? Il faut reconnaître qu’il nous incite à être moins dépendants des molécules chinoises ou de l’urée du Qatar ou de l’Arabie saoudite. Je pense qu’il faut regarder l’ensemble de la filière.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Madame Kirsch, vous avez évoqué la nécessité de lutter contre les distorsions de concurrence créées par la nouvelle PAC et qui sont un vrai problème pour l’agriculture française. Comment conserver un marché commun ?
Mme Alessandra Kirsch. Je n’ai pas la prétention de répondre à des questions sociales et fiscales, ce n’est pas mon domaine. Je pense qu’il existe des distorsions de concurrence inhérentes aux conditions production et à la structuration des filières. Certaines peuvent être gérées au niveau de la PAC tandis que cela semble plus compliqué pour d’autres.
Il me semble néanmoins que sur la partie environnementale, qui concentre beaucoup des revendications des agriculteurs, de nombreux règlements auraient mérité d’être retravaillés.
Concernant les excédents qui ont été mentionnés, je voudrais signaler qu’en 1985-1986 le taux d’autoapprovisionnement atteignait effectivement 220 % pour la poudre de lait. Aujourd’hui, il est à 265 %. Je ne suis donc pas persuadée que cette politique ait permis d’atteindre ses objectifs en ce qui concerne les excédents.
Quant au lien avec l’OMC, l’accord de Blair House et la réforme de la PAC en 1992 ont permis les accords de Marrakech en 1994 et l’inclusion de l’agriculture dans les accords de l’OMC. Par ailleurs, le cycle de Doha qui a débuté en 2001 précède la réforme de la PAC de 2003, qui a introduit les paiements découplés. Je persiste donc à affirmer que la PAC est liée aux règles du commerce international.
J’ai pu discuter avec des producteurs de pommes sur la différence de compétitivité entre la pomme française et la pomme polonaise, notamment en intégrant le coût du travail.
M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Tout le monde s’accorde pour reconnaître que la PAC créée dix années après la guerre a été un bienfait. Or Madame Kirsch nous a montré que parmi les cinq objectifs de la PAC, seul le premier, la productivité, avait été atteint.
La crise agricole que nous avons connue en France mais aussi partout en Europe révèle que la première revendication des agriculteurs est d’assurer un niveau de vie aux producteurs. Ne pensez-vous pas que l’accent mis sur la productivité a été un frein à l’atteinte des quatre autres objectifs ?
La PAC représente désormais les deux tiers des revenus des agriculteurs et pousse à l’agrandissement des exploitations en raison de la prime à l’hectare.
Par ailleurs, les aides de la PAC nécessitent des démarches administratives qui se révèlent compliquées pour la plupart des agriculteurs. N’est-ce pas une situation voulue afin de pénaliser les petites exploitations et d’intensifier l’agrandissement des exploitations partout en Europe ?
Mme Alessandra Kirsch. Tous les grands pays exportateurs subventionnent leur agriculture. Par conséquent, si vous ne subventionnez pas votre agriculture, vos producteurs ne pourront affronter les marchés mondiaux. Une agriculture non subventionnée impliquerait de fermer toutes les barrières et de vivre en autarcie.
Pour vous donner un ordre de grandeur, nous avons conservé pour le blé un prix d’intervention au niveau européen de 101 euros/tonne, auquel s’ajoutent environ 30 euros/tonne d’aides découplées. Aux États-Unis, le prix minimum garanti pour le blé s’établit au minimum à 285 euros/tonne. Il est de 272 dollars/tonne en Inde et de 353 dollars/tonne en Chine. Il y a donc des prix garantis et des subventions partout dans le monde.
Concernant les normes, je pense que le problème n’est pas tant la norme que son application. Les contrôles sont parfois excessifs et peuvent expliquer le mécontentement des agriculteurs.
M. Rémy Rebeyrotte (RE). Quelles sont les filières qui sont exportatrices nettes, au niveau français comme européen ? Ce serait une information très intéressante.
À propos de la filière bovine, sa situation déficitaire ne s’explique-t-elle pas aussi par des raisons françaises, notamment ses caractéristiques monopolistiques ? C’est une filière qui éprouve des difficultés à se positionner parce que certains opérateurs et intermédiaires s’y retrouvent à tous les échelons et posent des problèmes monopolistiques.
La PAC ne devrait-elle pas se doter d’un regard sur ces questions de monopole afin de les combattre ?
M. Jean-Christophe Bureau. L’agriculture reste un secteur au niveau européen comme français qui a de grosses capacités exportatrices. Les excédents européens et plus encore français, ce sont beaucoup les vins et spiritueux. Vous trouvez ensuite les produits laitiers, les céréales, et tous les produits transformés. Certains accords commerciaux – avec le Japon ou la Corée du Sud – nous aident tandis que dans d’autres accords l’agriculture est échangée contre des services ou des biens industriels.
Au sujet des monopoles, il est assez incompréhensible que les autorités de la concurrence soient aussi peu préoccupées des oligopoles dans la distribution aux particuliers. Nous nous sommes efforcés depuis le règlement Omnibus de 2018 d’accroître le pouvoir de négociation des agriculteurs mais ce n’est pas la solution. Il est plus efficace de chercher à discipliner un monopole ou un oligopole que d’accroître le pouvoir de marché d’une branche concurrentielle.
M. Hervé Guyomard. Concernant les exportations agricoles de l’Europe, il faut retenir qu’elles ont progressé plus rapidement que les importations sur les vingt dernières années. L’excédent atteint désormais 30 milliards d’euros voire plus.
Dans cet ensemble, la France a vu ses exportations vers le reste du monde progresser mais elle perd vis-à-vis des autres pays de l’Union européenne. C’est un problème de positionnement produit qui mérite un examen au niveau national, y compris pour la viande bovine. Il faut regarder si la spécialisation productive est adaptée aux caractéristiques de la demande et avoir le courage de reconnaître que ce n’est pas forcément le cas dans toutes les filières.
M. Yves Madre. Il ne faut pas se borner à considérer le montant des exportations. Il faut aussi se pencher sur les quantités exportées et les parts de marché. Or la réalité montre que nous perdons des parts de marché. Par exemple, nous nous sommes félicités pendant des années de la progression de nos exportations de vin en valeur. Cependant, ces progressions masquaient des pertes de parts de marché.
Je souscris intégralement à la nécessité de s’interroger sur l’évolution de la demande et les attentes du consommateur. Il existe des tendances qu’il faut saisir sous peine de s’exposer à des déconvenues. Nous le voyons actuellement en France.
Par ailleurs, nous sommes restés pendant très longtemps dans une politique publique qui favorisait le consommateur et le pouvoir d’achat. En moyenne, 12 % des dépenses des ménages sont consacrées à l’alimentation et cette part baisse chaque année. Cela explique peut-être que le déséquilibre entre les distributeurs et les agriculteurs persiste.
Des outils existent pourtant, tel l’Omnibus, qui n’est pas utilisé à son maximum. Pour certaines filières, il y a des capacités inexploitées qui permettraient de diminuer le nombre de groupements et d’être plus forts commercialement en face des acheteurs.
Mme Alessandra Kirsch. Concernant les importations et les exportations, certains produits sont excédentaires parce qu’ils sont presque des coproduits. Je pense notamment à la poudre de lait écrémé, pour laquelle nous sommes très autosuffisants au niveau de l’Union européenne. C’est aussi cette autosuffisance qui nous permet d’être autosuffisants en matière grasse, dont nous avons besoin par rapport aux tendances de consommation. Cela explique qu’il soit aussi difficile de résorber l’excédent en poudre de lait écrémé.
C’est une dimension qui doit absolument être prise en compte dans l’analyse. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur le lait ou uniquement sur les bovins ou la volaille. Les différents produits sont très importants à regarder, de même que la compétitivité des entreprises, des abattoirs ou des ateliers de transformation.
Mme Véronique Besse (NI). Ne pensez-vous pas que la PAC est très objectivement un frein à la souveraineté alimentaire ? Les dossiers que doivent remplir les agriculteurs sont de plus en plus contraignants et de plus en plus lourds.
Nos agriculteurs veulent vivre du fruit de leur travail sans forcément être sous perfusion. Dans un contexte où las exigences deviennent de plus en plus fortes, ont-ils toujours intérêt à solliciter des aides ?
M. Hervé Guyomard. Lorsqu’il y avait une politique de prix garantis, ce n’était pas le marché qui déterminait ces prix. Ces prix étaient fortement soutenus par la puissance publique, comme les aides qui les ont remplacés.
Votre remarque sur la lourdeur et la complexité des dossiers est exacte, mais elle est inhérente à la protection de l’environnement et du climat au sens large. Comme il n’existe pas de marché, il y a des normes qui créent cette complexité administrative. Malgré tout, la recherche en écologie montre que des BCAE peuvent avoir un effet très positif sur la biodiversité et le climat. Dès lors, comment satisfaire l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de meilleure protection de la biodiversité de la façon la plus simple et la plus efficace ? C’est la tâche à laquelle nous devons nous atteler.
M. Yves Madre. La PAC est-elle un frein ? Non. Par contre, est-ce que la vision bureaucratique de l’agriculture est un frein ? Oui.
Il faut chercher un chemin qui permette de faire de la croissance et de la durabilité. Pour y parvenir, deux possibilités existent : accorder les moyens et faire confiance, ou instaurer des contraintes. Je ne suis pas certain que cette dernière option soit réellement efficace.
J’ajoute qu’il faut bien avoir conscience que la productivité du capital est négative depuis deux décennies.
M. Jean-Christophe Bureau. Au sujet du nombre de dossiers à remplir, il y a quand même un problème français. Nous le voyons tous dans nos différentes professions.
Il y a effectivement une inflation des règlements auxquels sont soumis les agriculteurs. Cependant, l’administration n’est pas seule responsable de cette situation. Les syndicats agricoles ont aussi leur part de responsabilité dans cette inflation, qui refusent parfois des mesures simples pour y substituer des règles complexes difficilement applicables.
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie (RE). Pourquoi est-il aussi difficile d’instaurer des clauses miroirs en Europe alors qu’elles sont attendues et donneraient du crédit aux normes environnementales ?
Par ailleurs, pourquoi la mise en place des OP (organisations de producteurs) se révèle-t-elle aussi compliquée ?
Enfin comment expliquez-vous le décrochage de la France sur la décapitalisation du cheptel ? Pourquoi observons-nous ce décrochage de la production par rapport à l’augmentation de la consommation en France ?
M. Jean-Christophe Bureau. La mise en place de clauses miroirs se heurte à des difficultés techniques, mais à mon avis le principal frein est politique. Dès que l’Europe souhaite mettre en place une clause miroir ou une mesure de rétorsion sur les importations, il y a toujours un pays qui exprime des réticences parce que cette clause dessert ses intérêts. Vous comprendrez donc qu’il est difficile de faire avancer un dossier lorsque vingt-sept pays sont concernés.
Mme Alessandra Kirsch. Il y a une dimension technique liée à la possibilité de mesurer ou non. Par exemple lorsque vous utilisez du glyphosate pour désherber, vous ne trouvez aucun résidu dans le produit fini. Dès lors, comment contrôler l’utilisation du glyphosate ?
Le second problème se situe effectivement au niveau des négociations commerciales. La réglementation en vigueur au niveau des accords internationaux porte sur la protection du consommateur. Cela signifie qu’en matière de bien-être animal ou d’environnement, chaque pays agit comme il le souhaite. Instaurer des clauses miroirs sur ces sujets se révèle donc particulièrement compliqué car les autres pays s’y refusent. L’exemple des néonicotinoïdes est à ce titre éclairant puisque l’abaissement des LMR (limites maximales de résidus) par l’Europe pour un motif environnemental est contesté auprès de l’OMC.
M. Yves Madre. Concernant la décapitalisation, les trajectoires diffèrent entre pays. Aux Pays-Bas, le revenu agricole découlant de la production animale a continué à progresser au détriment de l’environnement. D’autres pays ont des trajectoires plus responsables et décapitalisent plus. Ce n’est pas une question de productivité à la vache : il existe une vraie guerre entre États membres.
Quant aux OP, c’est un mystère. C’est une culture qui reste à acquérir dans certaines filières en France. De plus, l’OP est d’autant plus facile à promouvoir que les conditions économiques sont favorables. En période de turbulences, le repli sur soi prime alors qu’il faudrait s’ouvrir pour être plus fort.
M. Jordan Guitton (RN). Monsieur Bureau, vous avez parlé de risques au sujet du système alimentaire français, qui dépend des importations. Quels sont ces risques et mettent-ils en danger notre souveraineté alimentaire ?
D’un point de vue géostratégique, la solution ne serait-elle pas de sortir l’agriculture des traités de libre-échange et de créer une véritable « exception agriculturelle » pour lutter contre la concurrence internationale déloyale ?
Madame Kirsch, vous avez évoqué la baisse du budget de la Politique agricole commune. Selon vous, cette baisse a-t-elle influencé le modèle agricole en limitant notamment les investissements dans la transformation de matières que nous produisons en France mais que nous exportons pour ensuite les importer.
Concernant les plans stratégiques nationaux, pourriez-vous nous expliquer pourquoi le système français protège mieux que le système de l’Union européenne vis-à-vis des produits interdits ? Je pense notamment à la cerise avec le diméthoate ou au colza avec le phosmet. C’est à la fois une question de concurrence déloyale internationale et de souveraineté de notre modèle agricole.
Monsieur Madre, la majorité de l’Union européenne a voté en faveur du Green Deal. Cette décroissance agricole organisée en Europe obéit-elle à une logique libérale, voire ultralibérale, qui favoriserait la multiplication des traités de libre-échange ?
Monsieur Guyomard, il existe selon vous un débat entre soutien aux producteurs et protection de l’environnement. Ne faudrait-il pas au contraire soutenir la production pour protéger plus l’environnement ? Nous avons un modèle agricole plutôt propre, avec une agriculture parmi les plus normées au monde. Dans ce contexte, plus nous investirons dans une production agricole locale, plus nous limiterons des importations qui représentent une part importante de nos émissions de gaz à effet de serre. Je rappelle que 50 % des émissions de CO2 de la France viennent des importations. Il semble donc important de développer une production agricole française avant tout, et à défaut européenne.
M. Jean-Christophe Bureau. Nous avons des dépendances stratégiques assez inquiétantes sur certains points, lorsque nous importons des produits vraiment essentiels d’un petit nombre de pays sans réelle alternative.
En ce qui concerne les produits agricoles, nous sommes dépendants en bois, en produits de la mer, en fibres textiles, et nous sommes déficitaires en fruits et légumes, poulet et viande bovine.
Notre problème géostratégique se situe là où nous dépendons d’éléments essentiels pour notre production. Il s’agit notamment de l’élevage, qui dépend énormément du soja, et surtout des engrais, qui constituent notre vraie faiblesse. Pour la potasse par exemple, nous dépendons de la Russie et de la Biélorussie. Or, nous ne pouvons pas produire sans potasse. Le phosphore est également un engrais indispensable et nous l’importons principalement du Maroc et de l’Algérie. Les engrais azotés deviennent également problématiques parce qu’ils nécessitent du gaz et qu’en plus, nous importons de plus en plus d’urée d’Arabie saoudite ou du Vietnam.
J’ajouterai que nos machines agricoles ou leurs composants stratégiques sont aussi de plus en plus importés, ainsi que certaines molécules en provenance d’Inde ou de Chine.
À titre personnel, je suis beaucoup plus inquiet de cette dépendance stratégique sur les intrants qu’au sujet du poulet ukrainien ou de la courgette espagnole.
Mme Alessandra Kirsch. S’agissant du lien entre la PAC et les capacités de transformation, il faut rappeler que le budget de la PAC est essentiellement orienté vers les agriculteurs. Si nous voulons développer nos capacités de transformation, moderniser nos usines et être compétitifs au niveau de l’aval, il faudra investir dans l’aval et le développement des filières et montrer aux agriculteurs qu’ils y ont un intérêt.
Au début de la guerre, lorsqu’il y a eu un bond du coût de l’alimentation animale, la France a décidé d’un plan à destination de l’alimentation animale à hauteur de 384 millions d’euros. Un plan protéines a été déployé en parallèle, qui accordait 50 millions d’euros au développement des filières.
C’est là tout le problème. Nous sommes capables de donner 384 millions d’euros directement aux agriculteurs pour aider à la trésorerie mais, lorsqu’il s’agit de réfléchir à long terme sur le développement des filières et des outils de production, nous ne sommes pas capables de débloquer les montants nécessaires.
Concernant la cerise et le diméthoate, c’est à ma connaissance la seule fois où la France a instauré une clause de sauvegarde telle que tout le monde aimerait la voir appliquer. Lorsque la France a interdit le diméthoate – qui n’était pas interdit ailleurs dans l’Union européenne –, elle a interdit les importations de cerises issues de pays tiers qui autorisent le diméthoate sur les cerisiers. Il s’agissait d’une interdiction sur la provenance se fondant sur les pratiques en vigueur dans l’État tiers.
Ce type d’interdiction n’est cependant possible qu’à condition qu’elle concerne la santé du consommateur et que l’Union européenne n’ait pas légiféré sur le sujet.
La France a récidivé avec le phosmet sur les cerises, alors que le phosmet était aussi interdit pour des cultures comme le colza. Les cerises sont un petit marché qui n’expose pas aux mêmes représailles.
Par ailleurs, l’Union européenne a adopté un règlement en 2019 pour interdire les importations de viande issue d’animaux traités aux antibiotiques de croissance – interdits au niveau de l’Union européenne depuis 2006. Ce règlement est entré en application en 2022 mais, pour être réellement applicable, il manque une liste classant les pays en fonction de leur degré d’utilisation de ces antibiotiques. La France a donc publié un décret imposant aux importateurs de viande de vérifier si la viande peut être issue d’animaux traités aux antibiotiques de croissance.
M. Yves Madre. La décroissance agricole obéit-elle à une stratégie et à une volonté de long terme ? Je crains que ce ne soit beaucoup plus basique. Nous sommes dans une période de populisme politique opérée par une partie de la Commission européenne dans ses propositions, couplée à un désintérêt pour l’agriculture et son évolution à long terme.
Ce peu d’intérêt se retrouve dans les négociations internationales. Nous sommes la seule puissance mondiale qui accepte de sacrifier un secteur au nom de l’intérêt général. Les autres négociateurs cherchent à obtenir le maximum pour chaque secteur. Le logiciel européen en la matière mériterait d’être ajusté.
Concernant le Green Deal, les propositions de la Commission ne doivent pas faire oublier que l’essentiel reste encore à décider par le Parlement européen et le Conseil. Tout reste donc encore possible.
M. Hervé Guyomard. Si j’avais une demande à formuler auprès de cette commission, ce serait de demander la communication de l’information sur les normes, les standards, les surtranspositions, etc., car, en l’absence de cette information, nous ne pouvons nous fonder que sur des études de cas.
* *
La commission procède à l’audition de Mme Christine Avelin, directrice générale de FranceAgriMer, et de M. Pierre Claquin, directeur Marchés, études et prospective.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous poursuivons nos auditions en recevant Mme Christine Avelin, directrice générale de FranceAgriMer, et M. Pierre Claquin, directeur Marchés, études et prospective.
Cette audition vise à faire un état des lieux de la souveraineté alimentaire de la France, étant entendu que cette notion est elle-même soumise à des débats. Le rapport que vous avez publié en février 2023, Souveraineté alimentaire : un éclairage par les indicateurs de bilan, revient sur les enjeux soulevés par sa définition.
Établissement public placé sous la tutelle du ministère de l’agriculture, FranceAgriMer a une position centrale à la fois dans la mise en œuvre et dans l’analyse des politiques agricoles. Ses missions sont en effet de verser des aides au titre de fonds européens et nationaux ; de mettre en œuvre des dispositifs de soutien aux filières et de régulation des marchés ; de collecter, analyser et diffuser des données économiques relatives aux marchés et aux filières ; d’organiser le dialogue et la concertation avec les filières ; de soutenir les exportateurs des secteurs agricole et agroalimentaire.
Les représentants des filières occupent une place prépondérante dans sa gouvernance et son président est également président de la Confédération générale des planteurs de betteraves et vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Christine Avelin et M. Pierre Claquin prêtent serment.)
Mme Christine Avelin, directrice générale de FranceAgriMer. Le sujet de la souveraineté alimentaire s’est imposé dans l’actualité gouvernementale et dans celle des filières agricoles et agroalimentaires après la crise du covid. Nous avons pris conscience des dépendances existant dans notre approvisionnement, ce qui nous a conduits à nous interroger : la France serait-elle en mesure d’alimenter les Français si toutes les frontières étaient fermées ?
La souveraineté alimentaire n’est pas l’autosuffisance car la France s’inscrit pleinement dans des échanges, des importations et des exportations, au sein d’un marché mondial de biens agricoles et agroalimentaires. Plutôt que de souveraineté alimentaire, il serait donc plus sain de parler de capacité à assurer, dans le cadre de ces échanges, l’alimentation des Français.
Nous sommes certes dépendants de certaines importations mais également d’exportations, sans lesquelles l’équilibre économique des filières ne serait pas assuré. Dans cette globalité, il s’agit donc de veiller à ce que notre système de production soit suffisamment résilient et durable pour garantir l’alimentation de notre population.
Ensuite, il faut déterminer ce que l’on cherche à mesurer. Dépendre d’autres pays de l’Union européenne, est-ce pareil que de dépendre de pays tiers, pour certains peu amicaux et très puissants ? Nous devons analyser les dépendances de certaines de nos productions aux débouchés de pays tiers souvent assez distants – la Chine en est le principal exemple, quoiqu’il arrive aussi que des pays alliés soient préjudiciables à nos marchés.
Où en est donc notre souveraineté ? Est-ce qu’elle s’améliore ou se détériore ? Dans quels segments de la production sommes-nous particulièrement dépendants, que ce soit à l’importation ou à l’exportation ?
Notre balance commerciale agricole et agroalimentaire est positive, essentiellement grâce à trois secteurs. Celui des vins et spiritueux est le plus excédentaire, de façon continue ou du moins sans accident – même si le solde diminue en volume, il continue à progresser en valeur. Nous sommes également très excédentaires en céréales brutes, mais avec des fluctuations d’une année sur l’autre, parfois en volume – il est arrivé une ou deux fois sur les cinquante dernières années que la production française ne soit pas au rendez-vous –, mais surtout en valeur. Le solde est très dépendant du cours des céréales, qui connaît de fortes variations comme les autres matières premières échangées dans le monde : au plus haut de la crise en Ukraine, le prix de la tonne de blé s’est élevé à plus de 400 euros, alors qu’il est actuellement au-dessous de 200 euros et qu’à son plus bas, dans les années 2013 et 2014, il est descendu à 140 euros. Le troisième poste est celui des produits laitiers.
Si l’on enlève les produits bruts, comme les céréales, ou les vins et spiritueux – dont on peut se demander s’il est pertinent de les inclure dans la notion de souveraineté alimentaire ‑, pour ne considérer que les produits transformés, on observe que notre balance commerciale se dégrade. Il est notable que, sur ces trois ensembles – les produits bruts, les vins et spiritueux et les produits transformés –, la balance se dégrade précisément là où elle n’est pas très bonne et progresse là où elle l’est. La France compte donc des atouts, qu’elle sait valoriser, mais aussi des handicaps, qu’elle n’arrive pas à surmonter et qui continuent de peser lourd dans son solde commercial.
Pour analyser de plus près notre souveraineté alimentaire, il faut distinguer les pays tiers et l’Union européenne. Nous sommes de moins en moins autosuffisants, voire plus du tout, vis-à-vis du reste de l’Union européenne : nous importons plus de produits agricoles et agroalimentaires que nous n’en exportons. C’est le contraire vis-à-vis des pays tiers : notre balance commerciale est de plus en plus positive.
Il est nécessaire d’entrer dans le détail de chaque secteur. Ainsi, alors que nous produisons suffisamment de porc en kilogrammes pour couvrir la consommation française, nous en importons et nous en exportons. Pour répondre à la demande nationale, il faudrait en effet que chaque porc ait trois pattes postérieures, afin de faire trois jambons, car nous en consommons plus que nous n’en produisons. À l’inverse, nous exportons des pièces que nous ne consommons pas – notamment les abats vers la Chine. Filière par filière, le même constat s’impose souvent. C’est le cas pour les produits laitiers : nous consommons plus de matière grasse que nous n’en produisons ; nous exportons donc des protéines de lait, de la poudre de lait écrémé, mais nous importons du beurre. Il faudrait que les vaches produisent du lait plus gras, ce qui se heurte à certaines limites biologiques.
Dresser un vrai diagnostic suppose donc d’étudier la situation secteur par secteur. Pour chacun d’eux, nous avons calculé le taux de couverture de la consommation française par la production afin de déterminer si nous étions dépendants des importations. Les résultats varient selon les filières.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous avons organisé la semaine dernière une table ronde avec des chercheurs et des scientifiques pour définir la notion de souveraineté alimentaire ; je tiens à poursuivre cette discussion avec vous car le rapport de FranceAgriMer y consacre une partie importante.
Après avoir lu attentivement ce que vous aviez écrit et entendu ce que vous venez de dire, je m’interroge. En réalité, avons-nous bien posé les termes du débat ? Ce débat existe-t-il vraiment ? Les trois scientifiques que nous avons entendus la semaine dernière nous ont tous dit, à partir de philosophies économiques et agricoles différentes, que le sujet de la souveraineté alimentaire ne se posait pas en France, ni même en Europe. Comme le montre votre étude, nous sommes, à l’exception de quelques productions, dans le vert – un vert parfois très vif. En outre, les dépendances que nous avons consenties vis-à-vis de nos partenaires européens ne présentent pas le même niveau de risque que les dépendances à l’égard d’États tiers, car elles s’inscrivent dans le cadre d’une union politique avec une politique agricole commune (PAC), un marché unique et un ordre juridique protecteur à l’égard des États et des opérateurs.
Je souhaiterais vous entendre sur l’évolution de la notion de souveraineté alimentaire. À force de tirer le fil, nous l’avons peut-être trop éloignée de sa signification originelle, élaborée au sein des milieux altermondialistes. Poser le problème en termes de souveraineté alimentaire n’empêche-t-il pas d’aborder les questions légitimes auxquelles l’agriculture française est confrontée, concernant les modèles de production, la structure des revenus, la taille des exploitations, la diversification des filières, le succès ou non de la politique commerciale à l’export ?
Mme Christine Avelin. S’il s’agit de savoir si le territoire français est suffisant pour nourrir les populations qui y vivent, la réponse est oui, du moins en calories. C’est moins vrai pour certains minéraux ou certaines vitamines ; concernant les fruits et légumes notamment, nous sommes loin de produire tout ce que nous consommons.
Envisager la souveraineté alimentaire suppose de soulever la question du régime alimentaire. Sans minimiser les difficultés de la production agricole dans le secteur des fruits et légumes, la dégradation de notre balance commerciale y est surtout due à l’augmentation de la consommation de fruits tropicaux, que nous ne produisons pas et ne produirons jamais, à moins que le changement climatique ne s’accélère fortement. Il s’agit donc de déterminer quel régime alimentaire la population française souhaite – ce n’est pas quelque chose qu’on peut lui imposer.
Par ailleurs, nous sommes très dépendants de certains facteurs de production agricole. Si nous parvenons à produire assez pour nourrir la population française, du moins en calories, c’est notamment grâce à des importations d’engrais. En la matière, nous sommes très dépendants de pays tiers : la majeure partie des engrais importés ne proviennent pas de l’Union européenne. Il y a là un véritable sujet de souveraineté. Si nous n’importions plus d’engrais azotés ou phosphatés, nous ne parviendrions pas à maintenir les rendements agricoles, même en faisant de grands efforts en agroécologie pour valoriser les matières azotées d’origine animale, etc.
La question de la disponibilité de l’eau se pose également, avec de plus en plus d’acuité. Pour produire, il faut de la terre, du soleil, de l’eau et des engrais.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Le problème des engrais est-il nouveau, ou se pose-t-il depuis des décennies ? Historiquement, s’agissant des fertilisants, la France n’a jamais été à la pointe ; c’est l’Allemagne qui est à l’origine des principales inventions, dans la partie du Rhin qui n’était pas française. Le problème des engrais fait manifestement consensus, mais est-il nouveau ?
M. Pierre Claquin, directeur Marchés, études et prospective de FranceAgriMer. Sur le temps long, le taux d’autoapprovisionnement en engrais s’est dégradé en France depuis les années 1960. La baisse a concerné davantage les engrais azotés, qui présentent paradoxalement un taux de dépendance aux importations plus faible que le phosphore et la potasse. Pour ces derniers, le taux de dépendance est un enjeu prégnant dans l’ensemble de l’Union européenne : en l’absence de réserve de roches phosphatées en Europe, nous nous approvisionnons tous dans des bassins exportateurs. Or très peu de pays dans le monde ont la capacité d’exporter de la roche phosphatée qui sert à produire les dérivés : le Maroc, la Russie et la Biélorussie. Dans ce genre de situation, nous sommes très dépendants d’un nombre limité de pays tiers, en mesure de contrôler les ressources.
M. le président Charles Sitzenstuhl. S’agissant des céréales, le tableau figurant à la page 14 du rapport détaille les taux d’auto-approvisionnement par filière, lissés sur les trois dernières années. Ce taux est de 195 % pour le blé tendre, de 148 % pour le blé dur, de 97 % pour la farine de blé – quasiment 100 % –, de 292 % pour l’orge et de 142 % pour le maïs. Nous sommes donc très largement autosuffisants pour les principales céréales, ce qui permet de nourrir les exportations.
Dans le débat sur l’agriculture tel qu’il est posé depuis le mois de janvier, on parle beaucoup, et à juste titre, des filières en difficulté – les fruits et légumes notamment, dans ma circonscription, qui est une terre maraîchère. Il est néanmoins étonnant que les réalités des filières qui se portent bien ne soient pas suffisamment connues, ni mises en avant. Le débat public, depuis le mois de janvier, donne l’impression que l’agriculture française est au bord de l’effondrement et que nous en serions à importer quasiment l’ensemble de nos productions. Or les céréales font partie des biens alimentaires de base et permettent en outre, une fois transformées, de produire beaucoup d’autres aliments.
Pourriez-vous expliquer ce qui a conduit l’agriculture française à se spécialiser dans les céréales, et pourquoi cette réalité-là n’est pas plus connue et perçue ?
Mme Christine Avelin. En matière de céréales, plusieurs phénomènes expliquent qu’il y ait une certaine insécurité, du moins ressentie. Premièrement, alors que les rendements en blé avaient connu une augmentation fulgurante au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ils stagnent depuis vingt ans et n’alimentent plus la croissance.
Deuxièmement, de nouveaux acteurs sont apparus : la Russie, l’Ukraine, les pays de la mer Noire sont devenus des producteurs très importants, qui pèsent lourd dans le marché mondial. Ils bénéficient de conditions de production exceptionnelles grâce à la grande fertilité de leurs terres. Tant qu’ils étaient sous le régime soviétique, ils ne produisaient pas à la hauteur de leur potentiel ; puis, les privatisations ont ouvert une assez longue période de reconstruction de leur système de production et de leur logistique, au cours de laquelle ils n’ont progressé que lentement ; désormais, ils donnent toute la mesure de leur potentiel. Ce sont des concurrents géographiquement à nos portes. Ils ont assez rapidement visé nos clients fidèles du bassin méditerranéen, qui sont également les plus proches d’eux. La place qu’a prise le blé russe en Égypte ou en Algérie – des clients dont la fidélité ne s’était pas démentie pendant vingt ans, de façon presque continue – le montre bien. Cela peut être déstabilisant pour les filières.
La troisième raison tient à la forte dépendance de ces matières premières aux cours mondiaux. Quelles que soient les conditions de production en France, elles n’auront aucun impact sur le cours du blé au niveau mondial – notre pays est trop petit, en surface, pour avoir du poids. En 2016, alors que notre production était très faible en raison de mauvaises conditions climatiques, les cours mondiaux étaient très bas, ce qui a eu une forte incidence sur le revenu des agriculteurs. À l’inverse, le niveau atteint par le cours du blé à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné une augmentation de leur revenu. L’absence de maîtrise sur le prix auquel ils vendent peut ainsi expliquer une partie des inquiétudes et des insatisfactions des acteurs économiques. Le niveau d’incertitude, déjà élevé en agriculture en raison des aléas climatiques, l’est encore plus sur ce marché totalement indépendant des conditions de production sur notre territoire.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. J’ai tout d’abord une question de méthode : comment peut-on calculer les importations et les exportations au niveau national, alors que nous n’avons plus de frontières ? Il reste visiblement encore un moyen de contrôler ces flux...
M. Pierre Claquin. S’agissant de l’import-export, nous nous appuyons sur les données que collectent les douanes, y compris sur les flux intra-européens. Il existe un système d’enquête spécifique en la matière, Intrastat, qui fait l’objet d’une harmonisation au niveau européen entre les services douaniers. Les données relatives aux pays tiers sont issues des déclarations en douane, tandis que les données du commerce intra-européen proviennent d’une enquête réalisée auprès des entreprises. Les douanes pourraient vous répondre plus précisément.
On observe d’ailleurs que les données à l’importation et à l’exportation des différents pays sont convergentes : le niveau d’exportations d’un pays correspond au niveau d’importations du pays client.
Mme Christine Avelin. S’agissant des produits agricoles, ces données sont utilisées au sein de la Commission européenne par la direction générale de l’agriculture et du développement rural (DG Agri) et discutées avec les États membres. Nous pouvons donc nous y fier.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. J’en viens à la notion de souveraineté alimentaire. Je suis surpris par la définition que vous en avez esquissée, à savoir une maîtrise des dépendances. Dans le rapport publié il y a un an par FranceAgriMer, en page 6, la souveraineté alimentaire était définie comme la « capacité d’autodétermination d’un État sur les systèmes alimentaires qui se déploient sur son territoire ». En outre, à la page 17, on lit : « Consolider, renforcer ou sécuriser au maximum la production atteignable localement comme premier levier de souveraineté alimentaire n’est pas propre à la France et on conçoit à l’évidence la logique d’une telle approche. » Comment concilier la définition que vous avez donnée et celle que retient ce rapport ?
M. Pierre Claquin. Nous avons proposé une définition de la souveraineté alimentaire non pour clore le débat ou donner le ton pour la suite, mais parce que, au moment de la rédaction du rapport, nous n’avions pas identifié de définition correspondant à l’état d’esprit général postérieur à la crise du covid-19 et au début de la guerre en Ukraine.
La Via Campesina, qui fait partie des mouvements altermondialistes, a proposé en 1996 une définition de cette notion qui visait à compléter celle de sécurité alimentaire, dans un contexte général voulant que cette dernière soit assurée par les échanges. La souveraineté alimentaire revêt une dimension additionnelle d’ordre éminemment politique : il appartient aux États ou aux peuples souverains de déterminer ce qu’ils souhaitent et ne souhaitent pas.
Cette définition de La Via Campesina s’est enrichie, au fil des années et de l’approfondissement de son travail, de dimensions supplémentaires, accordant moins de place à la puissance souveraine de l’État, garante d’une certaine sécurité. Nous assistons en effet à un mélange – qui explique que cette notion a fait l’objet d’un usage important ces dernières années – entre la souveraineté alimentaire au sens des altermondialistes et la souveraineté plus classique, tirée de théories politiques comme celle de Hobbes et davantage employée s’agissant par exemple de la défense, qui met en exergue l’affirmation de l’État en tant que pouvoir, au sens où il définit lui-même les conditions de son existence.
Nous avons cherché à capter ces différentes dimensions, mais FranceAgriMer ne dispose pas des compétences en science politique pour faire le tour du sujet, et nous n’avons jamais prétendu le faire. La définition de la souveraineté alimentaire reste à construire et il est naturel que les débats à son sujet se poursuivent.
Mme Christine Avelin. Le choix de mettre l’accent sur nos dépendances à l’importation et à l’exportation est peut-être également lié à nos capacités de mesure. Ce qu’il est relativement facile de mesurer, au regard de notre production, de notre consommation, de nos importations et de nos exportations, ce sont nos dépendances ou nos indépendances. Le reste est plus difficile à évaluer.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La définition qui figure dans le rapport est très équilibrée et ne promeut pas un système autarcique ou d’autosuffisance, mais elle revient à la conception commune de la souveraineté alimentaire qui s’exprime dans la déclaration du Président de la République, citée dans votre rapport : « Déléguer notre alimentation […] à d’autres est une folie. » Ce propos s’inscrit dans un contexte bien particulier, mais il traduit une idée générale que vous rappelez au travers de différents concepts : autonomie alimentaire, indépendance, résilience du système alimentaire, sécurité des approvisionnements, souveraineté alimentaire. La question que tout le monde comprend et qui guide l’ensemble de votre rapport est la suivante : où en sommes-nous de ce que nous produisons nous-mêmes sur place ? On considère communément que la meilleure garantie de la souveraineté alimentaire est de produire localement autant que possible, même si l’autosuffisance est évidemment inatteignable et le commerce nécessaire.
Je suis frappé par le fait que l’on a du mal à appliquer cette idée générale à la souveraineté alimentaire, alors qu’elle ne fait l’objet d’aucun débat s’agissant de la souveraineté énergétique. Ainsi, le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France indique bien que l’autosuffisance est une illusion, mais affirme que notre objectif est de produire nous-mêmes notre énergie dans la mesure du possible. Pouvons-nous nous mettre d’accord sur cet objectif pour ce qui est de l’alimentation ?
M. Pierre Claquin. Je ne répondrai pas directement à la question. Pouvoir produire à nouveau des choses que nous avons produites par le passé sur notre territoire fait partie des enjeux auxquels nous faisons face. Certaines de nos productions ont connu des baisses de volume que nous pouvons inverser. S’agissant par exemple des fruits et légumes, nous avons, suivant une tendance longue, perdu des surfaces de vergers.
Il faut tenir compte d’autres aspects. Nous serons de moins en moins capables de produire ce que nous consommons parce que les consommations évoluent dans un sens qui n’est pas toujours celui de nos productions. Ainsi, les Français tendent à consommer davantage de fruits de contre-saison et de fruits tropicaux. S’agissant des céréales, la consommation de pain diminue tandis que la consommation de riz progresse, et nous savons que, malgré les capacités du bassin camarguais, nous ne serons pas en mesure de produire la quantité de riz que les Français consomment. Notre consommation de lait est déséquilibrée, et il en va de même de notre consommation de porc et de volaille, les Français n’appréciant pas à égalité tous les éléments des carcasses d’animaux. Nous avons besoin d’échanges pour compenser ces déséquilibres. Il faut donc étudier l’évolution de la consommation et non seulement celle de la production.
Nous cherchons également à attirer l’attention sur les acteurs dont nous dépendons, à l’import – c’est évident – mais aussi à l’export – afin d’éviter des situations de trop forte concentration. Il y a plusieurs façons de mesurer ces dépendances. Nous avons fait au plus simple en étudiant la part du premier pays client et celle du premier pays fournisseur – si nous devions refaire l’exercice, nous nous pencherions surtout sur les pays tiers, dont l’examen est plus pertinent du point de vue du débat sur la souveraineté – afin d’établir à quel point nous étions dépendants d’un seul opérateur et combien cette dépendance pouvait nous mettre en difficulté.
Un exemple : dans les années 2018-2019, la Chine a connu une très grave crise due à la peste porcine africaine. Son cheptel a été éradiqué et elle s’est massivement tournée vers les importations, majoritairement européennes. Les Espagnols ont été les principaux bénéficiaires de cet appel d’air. Le secteur porcin espagnol en a tiré un large profit et a orienté une bonne partie de sa production vers le débouché chinois, qui s’est fermé brutalement lorsque la Chine a décidé de se doter à nouveau de capacités de production locales. Le porc espagnol destiné au marché chinois s’est alors avéré difficile à écouler et l’a été sur le marché européen, qui s’en est trouvé un peu déstabilisé.
Il faut donc être moins dépendants d’un seul débouché ou d’un seul pays importateur afin de sécuriser les dépendances que nous jugeons nécessaires ou inévitables.
Mme Christine Avelin. Par opposition au secteur de l’énergie, la production du secteur agricole n’est pas prévisible. Certains progrès techniques la rendent relativement régulière mais elle n’en demeure pas moins très dépendante de la météo. Il n’existe pas de système alimentaire qui puisse garantir à 100 % l’approvisionnement d’une population, sauf à être exportateur net à hauteur de 150 ou de 200 % chaque année, ce dont nous sommes incapables.
Les politiques agricoles ont toujours existé précisément pour nourrir la population, et le commerce, plus ou moins lointain, a toujours fait partie de l’équation. Quand il n’en fait pas partie, les risques de défaut sont réels.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. L’objectif d’une production nationale, dont je rappelle qu’il est affirmé dans ce rapport, n’est en effet pas incompatible avec le recours au commerce pour équilibrer les surplus et les manques.
En page 17, vous indiquez : « La situation des produits dits tropicaux […] témoigne bien que, pour de nombreuses productions, la dépendance massive aux importations est aujourd’hui acceptée sans que soit réellement interrogée à leur sujet la souveraineté alimentaire française. » Sous-entendez-vous qu’il n’existe pas vraiment de réflexion sur la nature de nos dépendances ?
Vous précisez également : « D’autres pays du monde, comme la Chine, dessinent cependant une approche de sécurisation de sa dépendance structurelle complémentaire, via une action volontariste auprès des principaux pays producteurs (foncier, investissements étrangers, partenariats, flux financiers, diplomatie économique) qui n’est pas sans rappeler, dans sa logique générale, celle déployée en leur temps par les États européens. » Vous semblez donc affirmer que la politique volontariste de la Chine en matière de sécurisation des approvisionnements était celle des États européens jadis. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Mme Christine Avelin. La Chine est dans une situation de dépendance alimentaire parce qu’elle n’a pas assez de terres – elle ne les a jamais eues et ne les aura jamais. C’était aussi le cas de l’Europe : lorsque la politique agricole commune (PAC) a été instaurée, nous étions fortement dépendants, et les Européens l’ont ressenti dans leur chair pendant les deux guerres mondiales. À situation comparable, les États ou groupes d’États conçoivent des réponses souvent comparables : un problème se pose et une politique publique vise à le résoudre. Même si nous fermions toutes les frontières extérieures de l’Europe, il est certain que les Européens ne mourraient pas de faim, sauf peut-être si nous empêchions l’entrée des engrais.
En réponse à votre deuxième question, je reviens à l’exemple des fruits tropicaux. Le consommateur ne réfléchit pas à la souveraineté alimentaire de la France ; du moins sa réflexion ne se traduit-elle pas dans ses comportements. La majorité des citoyens français sont favorables à la consommation de produits aussi locaux, sains et bio que possible ; mais lorsqu’un consommateur va faire ses courses au supermarché, ou lorsqu’il se nourrit dans la restauration collective ou privée, il ne met pas du tout en pratique ses idées de citoyen.
C’est peut-être un trait français : dans certains États européens, le comportement est plus citoyen. Il est par exemple impossible de vendre des asperges ou des fraises françaises, italiennes ou de quelque autre pays que ce soit, à quelque prix que ce soit, en Allemagne lorsque ce pays produit des asperges ou des fraises. Pour le moment, il n’en va pas de même en France – ce n’est pas une critique mais un constat. Comme nous sommes dans un pays démocratique, le Gouvernement ne peut pas imposer les consommations. Ce n’est pas tout à fait vrai dans d’autres pays. Ainsi, en Chine, c’est l’État et le Gouvernement qui décident d’importer du porc, non les entreprises privées. Fort heureusement, notre situation politique n’est pas la même.
M. Pierre Claquin. La Chine, parce qu’elle est la Chine, dispose d’une capacité à peser sur les échanges. Lorsque ses importations de tourteaux de soja augmentent ou diminuent de 10 %, cela se ressent sur le marché mondial. Ce pays a constaté qu’il ne pouvait pas produire ce qu’il consomme. Il a d’abord renoncé à cet objectif s’agissant du soja et le fait aujourd'hui s’agissant des céréales, mais en sachant qu’il influe suffisamment sur les échanges. Je serais par exemple incapable de déterminer qui de la Chine ou du Brésil est dépendant de l’autre pour ce qui concerne le soja : le Brésil a besoin de la Chine pour liquider sa production et la Chine doit importer afin de nourrir le bétail que ses propres ressources ne suffisent pas à alimenter.
Ce poids de la Chine était celui des pays européens au XIXe et au début du XXe siècle. Ils faisaient les marchés mondiaux des produits de commodité ou des produits tropicaux. Entre les XVe et XXe siècles, la maîtrise des mers était un enjeu pour ces pays car ils cherchaient à maîtriser l’approvisionnement de produits d’importation : épices, produits tropicaux, café, cacao, etc. Ils ont ainsi voulu sécuriser leur système alimentaire, au sens large du terme. Cela ne se fait plus aujourd'hui : pour se fournir en café ou en cacao, on s’adresse au marché mondial, suivant une logique de commodité, afin de s’approvisionner en matières premières auprès de plusieurs pays producteurs.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. J’entends, madame la directrice, votre réflexion sur le consommateur. Néanmoins, lorsque nous importons, du fait d’un traité de libre-échange, de la tomate marocaine que la grande distribution vendra en sous-margeant à un prix d’appel de 1 euro, tandis que, suivant une péréquation des marges, elle vend 3 ou 4 euros de la tomate française en surmargeant afin de rattraper les profits qui n’ont pas été réalisés sur la vente de la tomate marocaine, on comprend que, si le consommateur fait des choix, certaines politiques les lui imposent.
Vous avez parlé de la souveraineté européenne, du fait que la production européenne était capable de satisfaire la demande européenne. Est-il également important d’évaluer cette souveraineté au niveau national ?
Mme Christine Avelin. Nous constatons, s’agissant du moins des produits agricoles et alimentaires, que le marché unique fonctionne : l’essentiel des échanges de chacun des pays européens, à l’importation ou à l’exportation, se font vers un autre pays de l’Union européenne. Dans nos analyses sur la souveraineté, nous ne pouvons pas traiter de la même manière un pays européen et un pays tiers car il y a vraiment une différence de nature.
La fraise constitue un contre-exemple au cas des tomates que vous évoquez. Après de nombreuses années de forte présence des fraises espagnoles, plutôt que marocaines, sur notre marché, nous en avons reconquis des parts, au prix d’un déplacement géographique, la production des fraises se faisant désormais essentiellement en Bretagne. Il n’y a donc pas de fatalité à la perte de compétitivité.
Il est vrai que, pour ce qui est de productions agricoles où le poids de la main-d’œuvre est élevé, nous ne sommes pas forcément les mieux placés, mais tout dépend de ceux à qui nous nous comparons. Nos salaires, dans le secteur agricole, sont comparables à ceux des pays du nord de l’Europe, mais demeurent supérieurs à ceux des pays de l’Est, voire de l’Espagne, même si ces derniers s’en sont récemment approchés. Si nous mettons en regard nos salaires avec ceux du Maroc, en revanche, nous aurons évidemment du mal à être compétitifs, mais je ne crois pas que la fixation des salaires au niveau marocain serait un choix acceptable pour le citoyen français.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La souveraineté alimentaire nationale, dont votre rapport traite pour l’essentiel, n’en demeure pas moins un sujet d’importance. Nous avons la volonté de préserver une agriculture française, capable au minimum de nourrir notre population. Le solde commercial nous préoccupe également : l’agriculture y contribue. L’usage n’est pas de calculer ce solde au niveau européen : on parle bien de la balance commerciale française.
Votre rapport a le mérite de creuser les chiffres, détaillés dans le tableau en page 14. Au-delà du taux d’autoapprovisionnement – rapportant la production à la consommation –, vos analyses montrent la complexité des situations. Il y a par exemple certaines pièces du poulet qu’on ne mange pas ; on ne peut donc pas consommer 100 % du poulet produit. Très parlant, le système des couleurs n’a pas été utilisé dans la deuxième colonne, qui fait la synthèse des exportations et des importations, ce qui nous aurait permis d’avoir une meilleure représentation visuelle. La quatrième colonne, mesurant la dépendance aux importations, est quant à elle très significative.
Certains chiffres sont difficilement compréhensibles : nous produisons par exemple l’équivalent de 113 % de notre consommation de pommes de terre et exportons 28 % de notre production totale, pour réimporter 26 % de ce que nous consommons. Il existe certes différentes qualités de pommes de terre mais, en France, nous les produisons à peu près toutes. J’imagine donc que vous nous parlerez de l’outil industriel, qui nous fait défaut ?
Mme Christine Avelin. L’outil nous fait de moins en moins défaut. Effectivement, nous exportons des pommes de terre vers la Belgique et les Pays-Bas, et réimportons des frites et des chips. Mais la situation est en passe de changer : deux usines en cours de construction, l’une et l’autre dans la région des Hauts-de-France, devraient permettre de rééquilibrer nos échanges avec nos voisins et amis belges.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Concernant l’objectif de souveraineté alimentaire, votre rapport invite à produire autant que possible au niveau local. Nous ne sommes pas là pour contredire le Président de la République, mais la stratégie de montée en gamme et de spécialisation dans le haut de gamme ne va-t-elle pas à l’encontre de l’objectif de souveraineté alimentaire ? Se concentrer sur une partie de la consommation, qui en temps de crise n’est pas la préférée des Français, revient à assumer de déléguer l’entrée et le cœur de gramme aux importations. Comment faire pour rendre cette stratégie compatible avec celle de la souveraineté alimentaire ?
Mme Christine Avelin. Cela peut ne pas être totalement cohérent. Il faut examiner la situation filière par filière, en tenant compte de l’évolution de la consommation. Les productions nécessitant beaucoup de main-d’œuvre posent de tels problèmes de compétitivité que les producteurs français ne parviendront pas à se positionner sur le bas de gamme. En matière de fromages ou de vins, en revanche, nous sommes plutôt producteurs de haut de gamme, ce qui nous réussit plutôt bien. Il n’y a donc pas de réponse toute faite à cette question.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NUPES). Nous avons bien compris que la question de la souveraineté n’avait pas de sens s’agissant de l’alimentation de nos concitoyens – sans vouloir remettre en question le titre de notre commission d’enquête, dont les débats permettent de déconstruire certains raccourcis journalistiques.
Selon vous, notre problème de souveraineté ne concerne pas directement l’alimentation mais tient à notre extrême dépendance en matière d’intrants, de fertilisants en particulier – autrement dit, aux dérivés des phosphates. Cela nous place dans une situation délicate à l’égard du Maroc : comment fermer les frontières à un de leurs produits – les tomates, par exemple – tout en continuant d’en importer un autre – les phosphates –, absolument nécessaire ?
J’ai lu dans des rapports tout à fait sérieux que les phosphates poseraient un véritable problème à partir de 2050, avec une décroissance de la production mondiale due au manque de matière première disponible qui nous mettrait plus qu’en difficulté d’ici à la fin du siècle. Toute idée catastrophiste d’effondrement mise de côté, quelles pistes suggère votre institution pour maintenir la production – si cela est souhaitable – malgré les baisses de rendement provoquées par cette inévitable raréfaction des fertilisants ? L’alimentation de nos concitoyens serait-elle en péril si nous ne changions pas un modèle de production qui nous rend dépendants de ces intrants ?
Mme Christine Avelin. Je ne sais pas répondre précisément à votre question : une étude est en cours, dont nous n’avons pas encore les conclusions. Au sujet des intrants comme du changement climatique, si la situation que vous décrivez venait à arriver, notre seul salut viendrait de la recherche agronomique et d’évolutions de nos modèles de production, déjà en bonne voie en ce qui concerne certains facteurs de production.
M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Réguler les marchés constitue l’une des missions de FranceAgriMer. Concernant le lait en poudre, pourriez-vous me décrire brièvement le dispositif ? La France compte en effet de moins en moins de producteurs de lait et de vaches laitières dans ses prairies. Or le prix d’achat pratiqué par Lactalis – 40 centimes le litre – rend la situation des producteurs de plus en plus difficile.
Favoriser l’export constitue une autre de vos missions. Je ne vois pourtant rien concernant la transformation des produits agricoles. Pour en avoir discuté avec de nombreux agriculteurs de ma région, nous souffrons beaucoup de ce défaut : nous produisons et exportons le produit brut, au lieu de le transformer et de le distribuer afin que davantage de valeur ajoutée revienne au producteur. Sauf erreur de ma part, cet aspect ne fait pas partie de vos missions. Pourquoi ne pas avoir un volet relatif à la transformation des produits agricoles ?
Mme Christine Avelin. Si vous me permettez d’être un peu impertinente, peut-être l’oubli est-il imputable au législateur ! De fait, nous mettons en œuvre des actions portant sur la transformation de la production agricole, dont tous les acteurs sont représentés dans nos instances.
La régulation des marchés constitue quant à elle une réminiscence du passé, lorsqu’on activait les mécanismes d’intervention de la PAC : elle n’existe plus guère et surtout les mécanismes ne sont plus activés, de sorte que nous n’avons plus d’action en la matière.
M. Rémy Rebeyrotte (RE). Au fond, vous nous dites qu’avant de parler de souveraineté, il faudrait d’abord surmonter nos défaillances grâce à des projets de production agricole et de transformation, que vous soutenez d’ailleurs – je peux en témoigner pour mon territoire. En effet, les étapes intermédiaires constituent un enjeu dans certaines filières : les capacités de transformation manquent pour produire plus de valeur ajoutée et ainsi améliorer nos positions. Pourriez-vous nous exposer plus en détail votre stratégie de soutien des investissements aussi bien en matière de production que de transformation ?
La filière du maraîchage connaît un véritable effondrement – j’ai pu le constater dans le Val de Saône. Que faudrait-il faire pour remonter en France une production maraîchère durable et de qualité, qui nous permette d’être moins importateurs de légumes ? S’il y avait des porteurs de projet, ne pourrions-nous pas améliorer notre situation, touchant une consommation et une production de proximité ? Il ne s’agit pas de dire : « Maraîchage, nous voilà ! » mais de regarder l’avenir avec optimisme.
Mme Christine Avelin. En matière d’investissements, étant un opérateur de l’État, nous ne définissons pas les politiques publiques : nous offrons un cadre de concertation pour les discuter. Nous soutenons certains investissements relevant de dispositifs tant européens – relatifs aux fruits et légumes ou au vin notamment – que nationaux, comme le plan de relance et la planification écologique.
À propos du maraîchage, notre principal déficit concerne les fruits et non les légumes, secteur mieux structuré, où se rencontrent plus de coopératives de producteurs qui parviennent à se faire une place sur le marché en mettant leurs moyens en commun. Parmi les productions de fruits, celle de la pomme, dont les producteurs sont les mieux organisés, est aussi celle qui se porte le mieux. Il y a un vrai problème d’organisation économique.
M. Benoît Bordat (RE). Je souhaite évoquer les petites filières. Venant de Dijon, je prendrai l’exemple de la moutarde : la filière, qui avait disparu avant d’être remontée, forte d’une belle organisation et d’une indication géographique protégée (IGP) Moutarde de Bourgogne, connaît des difficultés liées au marché canadien et aux aléas climatiques. La moutarde ne peut évidemment assurer la souveraineté alimentaire de la France, mais elle est liée à d’autres productions, à l’identité de nos départements, au même titre que d’autres productions – cerise, endive, chicorée. Quel soutien pouvez-vous leur apporter ? Comment les aider à se muscler et ainsi pérenniser ces petites filières, qui jouent un rôle important dans la structuration économique des exploitations en assurant des revenus complémentaires ?
Par ailleurs, quelles pistes d’amélioration préconisez-vous concernant le gaspillage alimentaire ?
Enfin, il faut assurer la résilience de nos exploitations. Comment conforter notre beau modèle agricole, assurer sa solidité et garder l’identité de nos productions régionales ?
Mme Christine Avelin. Votre question comporte une partie des réponses, notamment concernant l’organisation des filières et la reconnaissance de signes de qualité. Plusieurs de nos dispositifs d’aide à l’investissement relèvent du plan de structuration des filières agricoles et agroalimentaires. Intégrés au plan de relance, ils seront reconduits dans le cadre de la planification écologique, assortis d’objectifs environnementaux mais aussi d’une dimension d’organisation territorialisée et de contractualisation des rapports entre l’amont et l’aval.
Concernant le gaspillage alimentaire, l’inflation a eu un effet important sur la consommation des Français, tout particulièrement celle des personnes qui disposent des revenus les plus faibles, les prix les plus bas ayant connu l’augmentation la plus forte, quel que soit le type de produit. Il faut donc traiter ce problème de consommation.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il a plusieurs fois été question de l’industrie agroalimentaire. Vous nous dites que des actions de soutien sont entreprises, mais nous constatons tout de même un déficit dans ce domaine en France. Nous sommes par exemple obligés d’exporter le blé dur avant de réimporter les produits transformés, perdant au passage de l’activité économique et de la valeur ajoutée. Sommes-nous à la hauteur de l’enjeu ? Comment se fait-il que les choses n’aillent pas mieux ?
Mme Christine Avelin. Notre industrie agroalimentaire reste forte et maille solidement le territoire, même si la situation pourrait être améliorée. Dans un rapport sur la compétitivité des filières, nous avions noté que les relations en leur sein étaient encore trop conflictuelles : en France, la répartition des marges reste un sujet de conflit, entre les producteurs et la grande distribution notamment. Dans d’autres pays européens, les différents maillons d’une même filière font mieux équipe.
Pour autant, notre système n’a pas que des défauts. En 2022 et 2023, la flambée des cours des matières brutes n’a pas été répercutée sur le consommateur français dans les mêmes proportions que sur nos voisins. L’inflation alimentaire a de ce fait été moindre en France que dans les autres pays européens. En revanche, maintenant que les prix agricoles redescendent, les prix à la consommation baissent moins vite chez nous que chez nos voisins. Notre système agroalimentaire, distribution et transformation incluses, amortit fortement les variations de prix quel qu’en soit le sens, ce qui peut aussi constituer un atout.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il ne me semble pas que le rapport aborde la question des outre-mer, qui connaissent une situation de dépendance catastrophique. Y a-t-il une réflexion concernant la relance de la production des fruits tropicaux dans ces territoires bénéficiant d’un climat adapté à ces denrées que nous ne sommes pas capables de produire en métropole ?
Mme Christine Avelin. Vous excédez mon champ de compétence : ces questions ne relèvent pas de FranceAgriMer mais de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer).
La séance s’achève à dix-neuf heures cinquante-cinq.
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Présents. - M. Rodrigo Arenas, Mme Véronique Besse, M. Christophe Bex, Mme Anne-Laure Blin, M. Benoît Bordat, M. Vincent Bru, M. Charles de Courson, M. Nicolas Forissier, M. Grégoire de Fournas, M. Charles Fournier, M. Jordan Guitton, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Stéphane Mazars, Mme Joëlle Mélin, M. Rémy Rebeyrotte, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Juliette Vilgrain
Excusé. - M. Patrick Vignal