Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les raisons
de la perte de souveraineté alimentaire de la France

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant M. Frank Alétru, président du Syndicat national d’apiculture (SNA), et M. Roderick Wheatley, administrateur de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), accompagné de Mme Clémence Remy, responsable « filière et environnement de l’abeille », et de M. Foucaud Berthelot, chargé de mission « environnement et santé de l’abeille »              2

– Audition de, ouverte à la presse, de M. Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) 18

– Présences en réunion.................................36


Mardi
16 avril 2024

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 15

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Charles Sitzenstuhl,
Président de la commission

 


  1 

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

La commission procède à l’audition de M. Frank Alétru, président du Syndicat national d’apiculture (SNA), et M. Roderick Wheatley, administrateur de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), accompagné de Mme Clémence Remy, responsable « filière et environnement de l’abeille », et de M. Foucaud Berthelot, chargé de mission « environnement et santé de l’abeille ».

M. le président Charles Sitzenstuhl. Mes chers collègues, comme nous en étions convenus, nous nous penchons sur la filière française du miel.

Si le miel n’est pas à proprement parler une composante de la souveraineté alimentaire française, les abeilles le sont assurément par leur rôle dans la pollinisation. Nous pouvons considérer que cette filière est importante pour l'agriculture française dans son ensemble.

Nous entendons parler, notamment dans les médias grand public, des difficultés que rencontrerait la filière du miel de France. Pour aborder ces questions, nous sommes heureux d’accueillir M. Frank Alétru, président du Syndicat national d’apiculture (SNA), et M. Roderick Wheatley, administrateur de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), accompagné de Mme Clémence Rémy et M. Foucaud Berthelot.

L’article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Frank Alétru, Roderick Wheatley, Foucaud Berthelot et Mme Clémence Rémy prêtent serment.)

M. Frank Alétru, président du Syndicat national d’apiculture. Je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à cette filière, une filière qui est effectivement en grande difficulté.

Le Syndicat national d'apiculture est une structure qui a un siècle. Il représente aujourd'hui environ 26 000 adhérents et regroupe 6 000 apiculteurs professionnels et pluriactifs. Nous profitons d’une vision assez globale de la problématique – notre pays compte environ 72 000 apiculteurs en France et 1,7 million de ruches.

La répartition de la filière apicole laisse voir que 36 % des apiculteurs ont un peu plus de 400 ruches en France et 25 % ont moins de 50 ruches. Le chiffre d'affaires de la production de miel et des autres produits de la ruche représente 100 millions d'euros par an au niveau de la filière. Un autre chiffre est très important, celui de l'impact de la pollinisation des cultures par l'abeille, qui représente à peu près 8,6 % de la valeur marchande de la production agricole, soit environ 5,3 milliards d'euros. Ces chiffres issus du ministère de la transition écologique parlent d'eux-mêmes.

Nous voyons l'importance de l'abeille en tant que telle et la nécessité de protéger cette filière, car si certains pays sont capables de nous inonder de miel étranger, ils n'enverront pas leurs abeilles pour venir polliniser nos cultures.

La consommation nationale atteint les 45 000 tonnes, soit environ 600 grammes de miel par habitant. Elle était seulement de 400 grammes il y a vingt-cinq ans. La filière voit une consommation de sa production qui augmente, mais nous ne pouvons pas y répondre en termes de volumes. Il faut aussi mentionner que nous ne parvenons pas à vendre la totalité de notre production à cause des miels d'importation à bas prix qui arrivent de pays dont le coût de la main-d'œuvre est faible et qui nous importent des miels pas nécessairement de premier choix ni de première catégorie, avec des risques de fraude avérés d'après une enquête réalisée par le Parlement européen.

Nous sommes donc très loin de l'autosuffisance. Aujourd'hui, nous parlons de souveraineté alimentaire. Quels sont les méthodes et les moyens nécessaires pour permettre de conquérir cette souveraineté face à une introduction de miel qui parfois frise le prix du sucre ? Le miel d'importation au prix du sucre ! Nous imaginons d'un côté un produit industriel et de l'autre côté un produit totalement artisanal. Car le miel, nous le savons, c'est essentiellement de la main-d’œuvre.

Que faire face à cette concurrence déloyale ? Nous devons y répondre pour la raison majeure que nous avons évoquée précédemment, c’est-à-dire la nécessité de protéger le patrimoine pollinisateur, indispensable non seulement aux cultures, mais à la biodiversité en règle générale, car les abeilles ne fécondent pas que les fleurs de culture, mais bien évidemment, toute la flore.

Nous faisons face à un problème de compétitivité qui a plusieurs origines. Ce n'est pas un problème franco-français, c'est un problème européen. Nos confrères d’Europe centrale, qui étaient nos concurrents directs il y a encore quelques années, – la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie – sont aujourd'hui confrontés à la même problématique de dumping engendré par les pays exportateurs à faible coût de main-d'œuvre et à une concurrence déloyale, en lien avec l'adultération du miel par certains pays intervenant massivement sur le marché français et européen.

Que faire face à cette situation ? Nous savons que nos abeilles sont exposées à des problèmes de pesticides. Il a fallu vingt ans pour interdire les néonicotinoïdes. Aujourd'hui, nous avons une règle, une loi qui interdit de traiter en période de floraison. Il est important que cette loi ne soit pas rabotée par les négociations qui sont en cours, car nous ferions à nouveau marche arrière. Traiter en période de floraison, c'est détruire le potentiel de production de nos ruches. Il faut absolument qu'il n'y ait aucune reculade en la matière et que cette loi Abeille, c'est son nom, soit maintenue. Elle a été inscrite dans le plan national en faveur des insectes pollinisateurs. Il est extrêmement important de la conserver, de ne pas reculer d'un millimètre.

Nous sommes également confrontés au frelon asiatique. La semaine dernière, le Sénat a voté un projet de loi à l’unanimité et nous souhaitons vivement que l'Assemblée nationale valide ce texte qui est essentiel pour protéger nos ruches, que ce soit les ruches de producteurs professionnels ou les ruches de petits producteurs familiaux.

Nous avons un autre problème, le redoutable acarien varroa, auquel nous devons faire face avec une batterie de produits qui se réduit alors qu’elle mériterait d'être augmentée. Il faudrait aider nos chercheurs à trouver de nouvelles matières pour pouvoir lutter de façon efficace, sans risque d'accoutumance.

Nous nous demandons comment augmenter la compétitivité des exploitations apicoles françaises et comment stimuler l'installation et la reprise des exploitations. Dans un contexte aussi négatif, les volontaires sont de moins en moins nombreux. Lorsque de grandes entreprises apicoles sont à vendre, en général, elles se terminent sous une forme de 200 ou 300 ruches et non plus de 1 000 ruches. Nous voyons une atomisation, la filière se morcelle et nous sommes de moins en moins puissants au niveau de la production, ce qui est extrêmement dangereux.

Il faut réorienter plus massivement les budgets d'aide du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA). Un montant de 1,28 million d'euros par an est inscrit actuellement au programme de développement de la filière apicole. Il conviendrait de l'orienter davantage vers des objectifs de modernisation des exploitations apicoles pour les rendre compétitives en augmentant le taux de subvention pour les investissements, aujourd'hui à 30 %, un niveau bien trop faible, pour le porter à 60 %. Une part importante de ce budget se consacre à l’accompagnement alors que nous estimons que, depuis plusieurs années, cet accompagnement est arrivé à son terme. Il n’est pas nécessaire de le développer davantage. Les efforts doivent plutôt porter sur la structuration et la compétitivité des exploitations. Sinon, nous ne pourrons pas lutter.

Faire du miel suppose de beaucoup déplacer les ruches. Nous organisons la transhumance, à l’instar des agriculteurs qui déplacent les troupeaux de brebis ou de vaches. La part de nos charges en gazole routier ne cesse d’augmenter, et vous en connaissez les raisons. Il serait important d'obtenir la détaxe pour ce gazole destiné à un usage purement agricole. Si nous ne déplaçons pas nos ruches, cela ne marchera pas. Des papyrus montrent qu’à l’époque de l'Égypte antique, le Nil servait à la transhumance.

Il faut soutenir plus fortement la modernisation de l'outillage en miellerie. Sinon, nous ne serons pas compétitifs. Notre coût de main-d'œuvre étant élevé, il faut gagner du temps à la miellerie. Il existe des aides mais elles sont beaucoup trop faibles et attirent peu parce qu'elles sont trop basses.

S’agissant des programmes de recherche scientifique, la lutte contre l’acarien varroa, comme je le disais, impose de nouvelles matières actives pour éviter les résistances. C’est aussi la lutte contre le frelon asiatique, qui nécessite la mise au point urgente d'une matière active susceptible d’être intégrée dans un appât sélectif et qui permettrait de détruire directement le nid selon le principe du cheval de Troie.

Il faut également tout mettre en œuvre pour surveiller l'application des pesticides selon les bonnes pratiques.

En matière de commercialisation du miel, il convient d’intensifier les contrôles, pas uniquement dans les magasins mais aussi aux frontières au moment où la marchandise arrive en vrac. Il est beaucoup plus efficace de contrôler un camion de vingt tonnes, puisqu’en une fois on élimine vingt tonnes.

Il faut enfin augmenter les amendes et la pénalisation. Nous nous montrons trop gentils avec les fraudeurs.

M. Roderick Wheatley, administrateur de l’Union nationale de l’apiculture française. Je voudrais reprendre certains éléments évoqués par M. Alétru. La production de miel en France, en 1995, était comprise entre 32 000 et 33 000 tonnes. Selon nos estimations, elle se situe aujourd’hui à 20 000 tonnes, donc beaucoup moins. Nous constatons une perte de production et il nous faut vraiment en connaître les raisons.

Selon nous, elle est liée aux difficultés de marché et à la concurrence déloyale, comme l’a souligné par M. Alétru, aux importations à très petits prix des pays étrangers, à la pression exercée par les grandes surfaces, qui cherchent toujours à pousser les prix vers le bas. De nombreuses entreprises apicoles ont fermé leurs portes parce qu'elles n'étaient plus du tout rentables. Le problème n’a pas disparu.

Il faut également citer la concurrence des miels frauduleux. Un rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne montre que 46 % des miels importés dans l’Union européenne sont frauduleux. C’est inacceptable. Il convient donc de les identifier, de les bloquer à la frontière et de les détruire. Aujourd’hui, les camions refoulés empruntent une autre route et le miel continue de circuler.

La Commission européenne prévoit de mettre en place un laboratoire d'analyse, mais le projet demandera trois à quatre ans avant d’aboutir parce qu'il faut développer des techniques d'analyse qui n'existent pas pour l'instant. Les miels frauduleux sont tellement bien faits qu’il apparaît difficile de les détecter.

Il est évident que le coût de production en France est beaucoup plus élevé que dans les pays en développement. Nous avons des chiffres de miels importés au prix de 83 centimes jusqu'à 2,80 euros le kilo. Or, le coût de revient en France se situe entre 3 ou 4 euros. Dans cette situation, il est impossible pour une entreprise d’écouler son stock. Un sondage auprès de nos adhérents, a montré que des milliers de tonnes de miel étaient stockées en vrac à cause de l’absence de marché. Les conditionneurs ne prennent pas ce miel parce qu'ils estiment son prix trop élevé. Chaque année, les entreprises stockent de plus en plus de miel.

Je mentionne également les contrôles aux frontières européennes et des autres pays. Nous avons constaté que certains pays européens produisent et exportent beaucoup plus de miel qu'ils n’en produisent vraiment eux-mêmes. Des pays comme la Belgique ou la Bulgarie produisent une certaine quantité, mais exportent beaucoup plus qu'ils ne produisent. Nous avons observé qu’ils exportaient 30 000 tonnes de miel après avoir importé du miel chinois à hauteur de 20 000 tonnes. La production locale se limitant à 5 000 tonnes, le calcul est rapide. Nous trouvons des situations encore pires au Royaume-Uni ou en Turquie, mais certains pays européens peuvent aussi être considérés comme coupables. Ils importent du miel et le transforment en produit européen. Ce n’est pas acceptable.

Nous avons subi pendant longtemps les effets des néonicotinoïdes, interdits depuis 2023. Cependant, nous craignons que la dérogation proposée par le gouvernement ces derniers temps ait des effets désastreux sur les abeilles. En principe, les molécules concernées ne visent que les betteraves à sucre mais, une fois dans la nature, il est impossible de contraindre les abeilles à ne pas butiner les fleurs affectées qui poussent entre les rangées de betteraves. Les effets rémanents durent ensuite des années.

Nous sommes très contents de voir que le projet Écophyto a porté ses fruits depuis 2008. Les produits les plus dangereux sont beaucoup moins utilisés, mais nous avons peur d’un éventuel pas en arrière au regard des nouvelles propositions de loi.

Nous constatons une insuffisance de formation des apiculteurs. Les entreprises apicoles doivent être plus efficaces et modernes. À l’UNAF, nous proposons la création d'une école d'apiculture nationale, proposant des formations, du CAP jusqu'au BTS, selon une diversité de formations : pratiques apicoles, élevage de reines, apithérapie, etc. Placée sous la cotutelle des ministères de l'agriculture et de l'éducation nationale, cette école profiterait aussi la participation de l’ITSAP (Institut technique et scientifique de l’abeille et de la pollinisation), de l’ADA (Association de développement apicole), de GDS (Groupements de défense sanitaire) et des syndicats. La filière apicole française doit se moderniser.

Nous sommes aussi inquiets du fait que notre interprofession, InterApi, ne fonctionne pas. Les deux plus importants syndicats n’y participent plus. Les grands conditionneurs n’y figurent pas non plus. Nous proposons donc de remplacer cette structure par une nouvelle, créée sur une base démocratique et représentative, ce qui n’est pas le cas d’InterApi. Lors du Salon de l’agriculture, le ministre de l’agriculture m’a précisé qu’il souhaitait un seul interlocuteur, InterApi. Or si les agriculteurs qui ont manifesté en février accueillent les syndicats et les interprofessionnels, ce n’est pas le cas des apiculteurs. Nous ne sommes pas écoutés. Vous nous avez invités aujourd’hui, mais ce genre d’invitation reste franchement rare. Tout dépend d’InterApi, qui pourtant ne fonctionne pas.

Les aides directes aux apiculteurs apparaissent très limitées. Une aide a été proposée il y a quelques années pour remplacer des reines et des essaims perdus par les professionnels. Depuis la mise en place de cette subvention, le prix des reines et des essaims a augmenté, si bien que l'effet est complètement neutralisé. Il n'y a aucun bénéfice pour les agriculteurs. Il faut vraiment étudier la question de la mise en place d’aides directes en faveur des entreprises apicoles, aujourd’hui en situation de pénurie.

Dans le cadre de l’évaluation des effets des abeilles sur l'agriculture, nous estimons que 75 % de nos cultures alimentaires et près de 90 % des plantes sauvages à fleurs dépendent au moins en partie de la pollinisation par les animaux. Même si l'impact économique est moins important que dans d’autres filières agricoles, il ne faut jamais oublier la valeur et la présence des abeilles dans les terres agricoles.

Je parle enfin des créations d'emplois. La France est capable de produire beaucoup plus de miel qu'aujourd'hui, ce qui nécessite la multiplication des ruches, le développement des ressources de nectar et de pollen pour les abeilles et la formation des ouvriers agricoles. Dans une telle configuration, la profession peut envisager son avenir. Aujourd’hui, elle fait face à de graves difficultés.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Il a été dit que 72 000 apiculteurs étaient recensés en France. Quel est le ratio entre les apiculteurs dont c'est l'activité principale, et qui en vivent, et les apiculteurs amateurs ou qui exercent cette activité de façon secondaire ?

M. Frank Alétru. Selon les statistiques émanant de FranceAgriMer et de la direction générale de l’alimentation (DGAL), on cotise à la Mutualité sociale agricole (MSA) à partir de cinquante ruches selon les normes européennes et on cotise aussi à l'interprofession à partir de cinquante ruches à travers une CVE, une cotisation volontaire étendue. La catégorie des plus de quatre cents ruches, qui est le double de la SMI (surface minimale d’installation), représente 36 % des apiculteurs. Aujourd'hui, 25 % des 70 000 apiculteurs ont moins de cinquante ruches.

Il apparaît donc que 75 % des 72 000 apiculteurs pourraient être considérés comme tirant de leur activité une ressource économique, une ressource financière plus ou moins importante, mais un complément de revenu évident. Ils jouent un rôle essentiel en tant qu'acteurs de la pollinisation. Cela représente quand même un très grand nombre de ruches. Nous parlons de 45 000 à 50 000 apiculteurs qui jouent un rôle essentiel.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Qu’est-ce qu’un miel frauduleux ?

M. Roderick Wheatley. C'est un miel fabriqué à partir de sirops et de différents sucres, parce que le miel est composé de différents sucres – sucrose, glucose, fructose... –, en fonction des essences butinées par les abeilles. Il est tout à fait possible de créer un miel artificiel à partir d'une analyse chimique des sucres présents. On ajoute même des graines de pollen pour faire croire qu’il s’agit d’un vrai miel ! Ces produits se révèlent difficiles à détecter parce qu’ils sont bien fabriqués. Ils sont beaucoup moins chers et ne dépassent pas le coût du sucre, en fait.

Je ne parle pas de la main-d'œuvre, qui représente avec le transport la part majeure des dépenses d’un apiculteur. La matière brute, le sucre, n’est pas très chère.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Quels sont les pays qui inondent le marché de miel ?

M. Frank Alétru. Les pays d'Asie représentent une très grosse quantité de miel à l'importation. Ces miels d'Asie peuvent arriver directement de Chine ou passer par l'Espagne, la Belgique ou l'Allemagne. Une partie de ce miel transiterait par l'Ukraine, ce qui peut paraître assez surprenant.

Ces flux de miel d'importation arrivent de toute part. C'est la raison pour laquelle nous proposons – mes collègues de l'UNAF disent la même chose – davantage de contrôles aux frontières. Lancer un contrôle de la marchandise en vrac s’avère toujours opportun. Il vaut mieux contrôler un camion complet plutôt que de prévoir un picking dans des supermarchés.

L’image de la Chine est négative. Le transport du miel s’effectue donc par le Vietnam ou d’autres pays à destination du marché européen et français.

Je peux citer ensuite l’Amérique du Sud, qui exporte aussi énormément de miel en Europe, et les nouveaux venus, à l’instar de l'Inde. Certains pays exportent dix fois plus de miel sans jamais augmenter leur nombre de ruches. C’est assez surprenant. Les statistiques douanières européennes mettent en évidence cette réalité qui interpelle beaucoup de monde.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Les droits de douane concernent-ils le commerce international de miel ?

M. Frank Alétru. Oui, ils existent bien sûr à l’extérieur de l’Europe, du moins de l’Union européenne. Nous n’en trouvons pas au sein de l’Union européenne.

M. Roderick Wheatley. Nous ne proposons absolument pas une politique protectionniste. Il y a de très bons agriculteurs en Amérique du Sud, en Argentine par exemple. Leur traçabilité est parfaite. Néanmoins, le coût de production argentin apparaît beaucoup moins élevé qu'en France, à cause de notre niveau de vie, des salaires, des participations à la MSA, etc. Nous payons de nombreuses charges qu’ils ne paient pas. Cela dit, nous ne pouvons pas bloquer les apiculteurs. Nous voulons surtout empêcher les fraudes.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Est-ce à dire que les droits de douane ne sont pas assez dissuasifs pour empêcher les importations ?

M. Roderick Wheatley. Absolument. L’autre problème est celui des importations de produits en Europe qui sont finalement transformés en miel européen. Cette situation s’avère impossible à gérer. Certains pays exportent beaucoup plus qu’ils ne produisent eux-mêmes. Le miel vient de l’étranger mais, tout à coup, il se transforme en produit européen.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Vous avez constaté, au début de votre intervention, une perte de production en France. Je n’ai pas noté tous les chiffres.

M. Roderick Wheatley. Nous sommes passés de 32 000 tonnes en 1995 à 20 000 tonnes en 2023, selon nos estimations.

M. le président Charles Sitzenstuhl. S’agissant des miels stockés et non proposés à la vente, vous avez chacun incriminé les grandes surfaces ou les industriels. Ne s’agit-il pas davantage des industriels que des grandes surfaces ? Ces dernières peuvent expliquer qu’elles n’ont pas de miel en dépôt et interviennent comme dernier maillon. Pourquoi n’arrive-t-on pas à convaincre ces acteurs d’acheter les stocks français ? Il est important d’avoir cette information, d’autant plus que nous auditionnerons les représentants des grandes surfaces dans quelque temps.

M. Frank Alétru. La réponse est très claire et très nette : les grandes surfaces sont en compétition entre elles.

En outre, le ministre de l'économie et des finances a souhaité que le prix du panier de la ménagère, compte tenu de l'inflation, soit abaissé. Le ministre se tourne vers les responsables de la grande distribution, qui eux-mêmes se tournent vers les industriels en charge du conditionnement. Ces derniers s’adressent aux fournisseurs de miel, c’est-à-dire les producteurs français ou les importateurs. Afin de répondre aux attentes de prix bas, c’est le miel d’importation qui est privilégié. De fait, le miel français ne quitte pas les stocks, tout simplement.

Cette publicité comparative entre les enseignes peut être perçue comme une forme de publicité morbide pour l'industrie française et pour l'industrie tout court. Tirer les prix vers le bas pour déclarer que l’on est le moins cher amène inévitablement à de la sous-qualité. Il n'y a pas de solution autre que la sous-qualité. Les marchandises ont un prix, le travail a un prix, l'heure de travail a un prix en France. Cette publicité comparative amène à aller chercher la marchandise là où la main-d'œuvre est la moins chère. Cette quête des prix bas contribue à la désindustrialisation de la France. La période du plein-emploi, je crois, sera bientôt derrière nous. Il faut mettre un terme à cette forme de publicité, destructrice d’emplois.

Par ce raisonnement en cascade, en bout de chaîne, l'apiculteur se trouve désarmé. Au-dessous de son prix plancher, il perd de l'argent. On lui demande aujourd'hui de vendre le miel à un prix qui lui fait perdre de l'argent. C’est la raison pour laquelle le miel français ne se vend pas.

Il faudrait améliorer l'image de marque du miel français par une campagne nationale de publicité menée par l’interprofession. Même si le panier de la ménagère doit baisser, nous savons que les consommateurs veulent privilégier le circuit court, la traçabilité, une alimentation saine. Ils aiment les agriculteurs avec un grand A et souhaitent que ces derniers gagnent leur vie.

Il nous manque 30 000 tonnes les mauvaises années, quand nous n’en faisons que 15 000. Il nous manque entre 20 000 et 25 000 tonnes lorsque la récolte est à peu près normale. Imaginez le potentiel d’emploi que l’apiculture représente et, surtout, le rééquilibrage du déficit de la balance commerciale !

M. le président Charles Sitzenstuhl. Qui sont ces grands groupes dont nous parlons ? Qui se charge d’empoter le miel ?

M. Roderick Wheatley. Ce sont les conditionneurs.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Qui sont-ils ?

M. Roderick Wheatley. Je peux citer Famille Michaud, par exemple. Ce sont de grandes entreprises spécialisées qui ne sont pas représentées au sein de l’interprofession.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Quels autres groupes trouvons-nous ?

M. Frank Alétru. Il existe différents niveaux. Une grosse coopérative nationale s'appelle France Miel, située dans le Jura. La Famille Michaud, dont nous venons de parler, est située à Gan, dans les Pyrénées. Avec Les Apiculteurs associés, à la Ferté-Saint-Aubin, ce sont les trois principaux acteurs.

Tous vendent du miel français et tous souhaiteraient en vendre plus. Qu’il s’agisse de la famille Michaud ou de la famille Vacher, ce sont des dynasties d'apiculteurs. Pour sa part, France Miel est une coopérative d'apiculteurs.

Toutes ces structures souhaitent vendre du miel français, mais la compétition entre les enseignes et la pression pour baisser les prix contribuent à la baisse de la part du miel français chaque année.

Il existe une quatrième structure, Miel Besacier, située près de Dijon.

M. Roderick Wheatley. Une nouvelle loi européenne demande davantage de clarté sur les étiquettes de miel. Tous les pays à l’origine d'un miel de composition doivent être déclarés, ainsi que le pourcentage. Évidemment, les conditionneurs n’ont pas été très contents. Personnellement, j'ai trouvé un miel issu de six pays d'origine, sur le pot duquel il était inscrit : « produit 100 % naturel ». Les abeilles ne font pas le tour de six différents pays pour faire du miel. Il faut arrêter !

Selon moi, le public est plus sensible à l’origine des produits. Les gens ne veulent pas acheter n'importe quoi. Ils sont très contents d'acheter directement leur miel à un apiculteur local, quelqu'un qu'ils connaissent, présent au marché chaque semaine. Les clients comptent sur ces apiculteurs pour fournir des miels régionaux et honnêtes.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Ma dernière question porte sur les néonicotinoïdes. Vous avez plutôt salué l'interdiction de l'utilisation de ces produits et vous ne souhaitez pas que de nouvelles dérogations soient mises en œuvre. J'entends beaucoup, du côté de la filière sucre – mais il est intéressant d'avoir votre retour –, que ce n'est pas un débat puisque les betteraves fleurissent lors de la deuxième année. Lorsque le produit est aspergé, la récolte est déjà faite.

Comment répondez-vous à cela ? Vous avez déjà indiqué que des fleurs ou des mauvaises herbes poussent entre les sillons. Les abeilles cherchent ces fleurs et se contaminent. Je parle aussi des sols. Que pensez-vous de cet argument consistant à dire que c’est un faux débat parce qu'au moment où les betteraves sont récoltées, la floraison n'a pas encore eu lieu ?

M. Roderick Wheatley. Il est vrai que l'abeille mellifère ne butine pas directement les betteraves, mais nous ne parlons pas seulement de l'abeille mellifère, nous parlons des autres insectes, comme les abeilles solitaires. Ils jouent un rôle important dans la biodiversité.

J’ai rencontré cette année au Salon de l’agriculture un betteravier spécialisé en bio. Il m’a expliqué qu’il était tout à fait possible de faire du sucre bio sans traitement de pesticides.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Pouvez-vous nous rappeler les effets des néonicotinoïdes sur l'abeille ?

M. Roderick Wheatley. Ils attaquent le système nerveux. L’abeille perd sa capacité d’orientation.

M. Foucaud Berthelot, chargé de mission « Environnement et santé de l’abeille » (UNAF). Même sans pollinisation directe, il existe ce que l’on appelle les eaux de guttation, c’est-à-dire que la plante transpire. Il en résulte des gouttes d'eau riches en minéraux, qui intéressent l’abeille et qu’elle boit. L’eau est contaminée parce que le néonicotinoïde est un pesticide qui agit de manière systémique et qui se retrouve partout dans la plante. C'est une des voies d'exposition.

Il faut aussi mentionner les poussières, nées de l’enrobage des semences. Ces poussières ont des effets désastreux.

Les poussières et la contamination des sols via les eaux de guttation se retrouvent dans les autres plantes. Comme je vous l'ai dit, il s’agit d’un pesticide systémique. Il remonte dans la plante, mais aussi dans les plantes sauvages alentours. C’est la raison pour laquelle on le détecte dans les fleurs des plantes sauvages que butinent les abeilles. Ces effets non intentionnels ne sont pas dus à la pollinisation directe de la plante.

Chez l’abeille, les effets sont d’abord la désorientation. Elle ne réussit pas à regagner sa ruche après avoir butiné. Lorsque les contaminations apparaissent importantes, l’abeille meurt. Il s’ensuit des effets synergiques en cascade dès lors que différents pesticides agissent sur l’insecte. Si nous mentionnons également le varroa, le frelon asiatique et le réchauffement climatique, des ruchers se retrouvent décimés.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Les zones de production de betteraves sont bien connues en France, elles sont surtout localisées dans le Nord, le Bassin parisien et l’Alsace. Des morts massives d’abeilles ont-elles été constatées à proximité de ces zones de production ? Par raisonnement inverse, nous pourrions en déduire que les territoires qui n’accueillent pas de cultures de betteraves laissent voir davantage de colonies d’abeilles.

M. Foucaud Berthelot. De nombreux facteurs doivent être pris en compte.

M. Frank Alétru. Je réponds à votre première question relative à l’impact sur les abeilles. Ce produit est un neurotoxique, c'est-à-dire qu’il agit sur les synapses, avec un dysfonctionnement au niveau du système nerveux et des commandes musculaires notamment. Lorsque celles-ci sont touchées, les abeilles sont susceptibles de subir des mouvements à l'air du côté droit plus rapides que ceux du côté gauche. Elles tournent sur elles-mêmes, comme un gouvernail bloqué. Elles meurent isolées.

Ensuite, le rythme cardiaque est ralenti. Ces animaux ont besoin d'une certaine tonicité et d’une certaine température corporelle. Sinon, ils meurent. La capacité de réguler leur température est également affectée. De façon schématique, on parle de perte de l'orientation mais ce n'est pas nécessairement la perte de l'orientation, c'est surtout l'incapacité à revenir au point de départ, à la ruche, en raison de la paralysie, des mouvements à l'air, etc.

Les mortalités ne sont pas visibles puisqu’elles ne se produisent pas devant la ruche. Les abeilles ne reviennent pas et meurent au loin. Il a été très difficile de démontrer la toxicité des néonicotinoïdes. Leur impact est différé dans le temps. Les néonicotinoïdes sont persistants dans les sols et rémanents dans les cultures suivantes. Ce sont des doses infinitésimales qui ont des effets sublétaux.

La mortalité n’est pas forcément immédiate. Il s’agit plutôt d’un phénomène de rabotage de la population. Les colonies sont vivantes, mais une grande partie des butineuses ne revient pas à la ruche. Sans ouvrières en nombre, la production n'est pas au rendez-vous, puisque ce sont les butineuses qui ramènent le miel. Les armées de butineuses partent à 3 000 et seules 1 000 abeilles reviennent.

Nous ne trouvons donc pas d’effondrements de ruchers entiers, nous constatons une baisse de la production. La nuance est difficilement perceptible. Quand on veut dire qu’il y a des pertes dans les zones soumises aux traitements néonicotinoïdes, ce ne sont pas nécessairement des mortalités aiguës mais des effets sublétaux qui altèrent la productivité et les performances des colonies.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Au sujet des importations, vous ne voulez pas de mesures protectionnistes, mais simplement lutter contre la fraude. C’est un peu contradictoire avec le fait que vous soyez victime d'une distorsion de concurrence, notamment au niveau du coût de la main-d’œuvre. Que préconisez-vous pour corriger cette forme de dumping ?

M. Roderick Wheatley. J'avoue que c'est délicat, mais il faut accepter le concept d'une Europe économique sans frontières et de libre circulation des marchandises. Le marché mondial est également très développé. Il faut accepter le fait que les pays en voie de développement prennent une part du marché mondial.

La France a perdu sa souveraineté non seulement en produits alimentaires, mais aussi dans la production de voitures, d'acier, de vêtements, de chaussures, etc. Aujourd'hui, on fait fabriquer des voitures françaises au Maroc, en Turquie et même en Angleterre. C'est un concept de marché mondial. Il ne faut pas fermer les frontières parce que la France bénéficie quand même d'exploitations partout sur la planète.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La France a aussi 160 milliards de déficit commercial. Votre position très militante n'est pas forcément celle qui est défendue par les agriculteurs lors des mobilisations. Les agriculteurs se plaignent d'une forme de dumping social qui leur est imposée. Vous êtes un des premiers, depuis le début de cette commission d'enquête, à défendre le principe d'une concurrence déloyale.

Le marché unique s’entend sans frontières. Au périmètre de ce marché unique, il y a quand même des frontières, avec des taxes que l'on peut réévaluer justement pour protéger ce marché contre une forme de concurrence étrangère.

Je suis assez surpris par votre position. Je ne sais pas si elle est représentative de l'ensemble de la profession mais il est assez surprenant de défendre un modèle qui, par nature, entraîne une forme de concurrence déloyale que vous dénoncez tous les deux depuis le début de cette audition.

M. Roderick Wheatley. On cherche plutôt une harmonisation sans bloquer les frontières. Il faut que le terrain de foot soit de niveau, que tout le monde travaille dans les mêmes conditions et selon les mêmes coûts. Ce n'est pas le cas pour l'instant. Évidemment, il y a une période d'égalisation au cours de laquelle les pays en voie de développement nous rattrapent. Je vous entends très bien, mais c'est délicat.

M. Frank Alétru. Je voudrais apporter quelques nuances aux propos de mon collègue. Nous proposons que les importations de miel subissent des taxes plus élevées. Nous sommes obligés aujourd’hui de faire entrer du miel, mais il en reste dans les mielleries. Il faudrait mettre en place un mécanisme de quotas, c'est-à-dire que pour une certaine quantité de miel importé, il doit y avoir l'obligation d'acheter préférentiellement un pourcentage de miel de France. Un tel système permettra d’absorber la production française. Laisser entrer de la marchandise étrangère avec une concurrence déloyale et sans contrepartie au niveau de l'outil français me paraît inconcevable. On ne peut pas demander à des industriels, des artisans, des producteurs et des agriculteurs de contribuer au fonctionnement de la France sans les accompagner pour vendre leurs productions. En s’appuyant sur les chiffres de la production française, soit 22 000 tonnes de miel, il convient de procéder à une péréquation : pour tant de miel étranger, vous devez prendre tant de miel français.

La deuxième proposition, je l’ai évoquée en parlant des responsables des points de vente. Ils sont présents sur le terrain et échangent avec les consommateurs. Or les linéaires des rayons de miel laissent voir un fouillis phénoménal. Personne ne s'y retrouve, pas même les apiculteurs. Au rayon des vins, vous ne voyez pas de bouteilles du Beaujolais mélangées à des bouteilles de côtes-du-rhône !

Il suffirait de créer trois catégories : les miels de France et régionaux, les miels de l’Union européenne et les miels de la planète Terre. Tout doit être bien réglementé et bien organisé pour ne pas tromper le consommateur. Ce n'est pas parce qu'on a mis en pot en France du miel de Chine qu'il doit avoir le drapeau bleu-blanc-rouge. Le produit doit être français de A à Z. Je ne demande pas cela pour le café, mais pour le miel. Cela me paraît évident. Sinon, c'est une tromperie. On trompe le consommateur avec des appellations, des drapeaux ou autres.

Ensuite, il faut moderniser les ateliers apicoles français, c’est-à-dire les aider massivement, comme ont pu être aidés certains pays d'Europe centrale à un moment donné, ou même l'Espagne il y a vingt-cinq ans, lorsqu’il a fallu moderniser son parc de ruches, jugé peu productif. Les apiculteurs ont reçu une forme de financement, proche de l’aide directe, pour améliorer leurs performances. Ces aides méritent d’être priorisées sur un certain nombre d'années. La démarche ne pourra pas être menée du jour au lendemain. Même si l’aide atteint les 60 %, il faut 40 % d’autofinancement. Si les entreprises ne disposent pas d’une capacité réelle d’autofinancement, l’exercice apparaît difficile. Les banques doivent jouer le jeu, à travers par exemple des prêts cautionnés par l’État sur un certain nombre d’années afin d’aider les apiculteurs à redresser leur situation et à combler ce déficit phénoménal. Comme je vous l'ai dit, ces 30 000 tonnes représentent un bon vivier d’emplois. Il faut fabriquer les ruches, prévoir le conditionnement en France, donc la verrerie, les cartons d’emballage, les transporteurs français, etc. Les effets induits permettront de générer des emplois.

Surtout, nous serons autosuffisants, notamment en pollinisation. Les grands semenciers, à l’instar de Syngenta, constatent le déficit de pollinisateurs. Aujourd'hui, certaines parcelles ne sont pas entourées de ruches alors qu’elles devraient l’être. Il faut repeupler la France en abeilles.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. S’agissant de votre proposition des quotas, nous comprenons que la production française n’est pas en mesure de satisfaire la consommation, mais cela peut être un objectif à terme. Il faut des mesures de transition. On ne peut pas interdire les importations de miel du jour au lendemain parce qu'on en a besoin, mais l'objectif doit être là.

La question de l'étiquetage a fait l'objet d'un long cheminement. La loi Egalim 2 a permis quelques tentatives mais celles-ci ont entraîné une forme de déception, s’agissant par exemple de l’obligation de mentionner les pourcentages. Il suffit d’un peu de miel français pour considérer le produit comme français sur l’étiquette.

Si j'ai bien compris, la directive européenne arrivée l'année dernière permet de fixer un cadre plus clair. Sommes-nous parvenus à des solutions satisfaisantes sur ces questions d’origine ?

M. Roderick Wheatley. Nous sommes plutôt satisfaits des directives européennes, qui concernent l’étiquetage mais aussi le traitement du miel. Le microfiltrage du miel est désormais interdit. C’est important, parce que les graines de pollen nous apportent une meilleure traçabilité du miel. Le pollen provient en effet de certaines plantes que nous pouvons localiser, par exemple au Vietnam.

Il faut aussi évoquer la pasteurisation du miel. En grande surface, de nombreux miels sous forme liquide ont été pasteurisés, ce dont nous ne voulons pas. Nous souhaitons que le produit reste naturel, sans chauffage ni filtration.

M. Frank Alétru. Les gros négociants, les transformateurs d’Allemagne ou des Pays-Bas souhaitaient pouvoir filtrer à 60 microns. Pourquoi sous les 80 microns ? Parce que les 80 microns correspondent à la taille du pollen. L'idée était d'autoriser et de légaliser l'ultrafiltration, ce qui était une façon de légaliser la fraude. Puisqu'on enlevait l'empreinte génétique ou pollinique, il ne restait plus qu'un sirop sucré, ce qui permettait ensuite de reconstituer facilement, par assemblage et avec des sucres synthétiques, quelque chose qui ressemblait à du miel. On a réussi à éviter cette situation et c’est une bonne chose.

En matière d'étiquetage, nous ressentons une petite déception. Si une entreprise se débrouille pour mélanger 51 % de miel de divers pays et 49 % de miel chinois, il n’est pas nécessaire de le préciser sur l’étiquette. C’est une tromperie du consommateur. Le lobbying exercé à Bruxelles visait à légaliser la fraude.

Mme Clémence Rémy, responsable « filière et environnement de l’abeille » (UNAF). Pour l'UNAF, la solution idéale serait celle de la fin des miels mélangés sur le marché, ce qui réduirait les risques de fraude. À l'heure actuelle, ce n'est pas vraiment le débat, mais c’est l’une de nos positions.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Comment expliquer de tels mélanges ? Pourquoi assembler des miels provenant de différents pays ?

M. Roderick Wheatley. Le but est de proposer des produits homogènes tout au long de l’année. Chaque essence butinée par les abeilles contribue à un miel un peu différent. Lorsqu’on produit un miel issu de plusieurs sources, le consommateur a la garantie de retrouver le même goût.

M. Frank Alétru. Puis-je apporter un complément concernant le potentiel d'emploi ? Nous parlons du miel, mais les abeilles produisent aussi de la gelée royale. On en prend quelques grammes pour faire une cure. On en consomme 175 tonnes en France alors que la production se situe à 2 tonnes. La gelée, surgelée ou lyophilisée, arrive essentiellement d'Asie, à 30 euros le kilo, tandis que la gelée royale française en circuit court coûte 1 200 euros le kilo. Imaginez le chiffre que cela représente !

Nous avons le même problème avec le pollen naturel de fleurs, le pollen qui se consomme. Il vient d'Espagne, de Chine massivement. Il faut aider, stimuler, pousser la production du pollen en France, puisqu'on est capable d'en produire. Nos fleurs en produisent, il n'y a aucun problème. Cela représente beaucoup de main-d'œuvre. Une batterie d’aides mérite d’être mise en place.

Nous sommes obligés de faire venir du Brésil, d’Italie ou d’Espagne la fameuse propolis, qui entre dans la composition d’un nombre croissant de médicaments. Ce n’est pas normal.

Je citerai un dernier produit, le venin d'abeilles. En apithérapie, les besoins sont multipliés. L’Inde en produit, ainsi que le Japon et la Chine. Or sa production est très simple. Les laboratoires le font venir du diable Vauvert alors qu’on peut en produire sans tuer les abeilles. Ce sont encore des sources de profit, d'équilibrage de l'économie et de rentabilité des exploitations apicoles.

Quand on prend l'ensemble de ces propositions, on peut relancer la filière apicole et surtout cette notion de quotas. À quoi bon produire du miel s'il n'est pas vendu ?

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Comment expliquer cet écart entre 1 200 euros et 30 euros le kilo ? Ce n’est pas seulement le coût de la main-d’œuvre...

M. Frank Alétru. La gelée royale, c’est entre 80 et 90 % de coût de main-d'œuvre. C'est la première raison. En outre, des recherches génétiques sur les abeilles ont été menées en Chine afin de les rendre ultra-productrices de gelée royale. On ne leur demande pas de faire du miel. Les ruchers sont alimentés entièrement en hors-sol avec un système de goutte-à-goutte. Le produit en lui-même est bien de la gelée royale, parfois bio. Ils ont développé cette production au regard du marché phénoménal.

Qui a développé en Europe la consommation de gelée royale ? L'Europe centrale, à l'époque de la grande puissance russe, et la France, grâce au professeur Rémi Chauvin de l'INRA, qui, dans les années 1960-1970, a mis en avant les bienfaits de la gelée royale. Nous nous sommes fait damer le pion par la Chine. Pour chaque production nécessitant un large volume de main-d’œuvre, la Chine essaie d’industrialiser au maximum.

Nous avons été naïfs. Nous avons besoin d’un soutien de l'État, de l'Europe. Le fléchage doit être fait intelligemment et pas nécessairement vers des technocrates. Les apiculteurs travaillent, d'autres les pillent. Il faut que le fléchage soit bien fait.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il y a donc une prise de conscience dans la filière et cela nécessite des fonds de recherche pour moderniser l'appareil productif. Est-ce une demande que vous formulez auprès des responsables publics ?

M. Frank Alétru. Tout à fait. Il existe un groupement des producteurs de gelée royale française, qui maîtrise la communication. Il a créé le label « gelée royale française » mais souffre de cette concurrence très forte. Les professionnels ont besoin d'être soutenus pour moderniser leur outillage et pour améliorer la communication afin d’expliquer qu’il y a deux types de gelée royale, dont de la gelée royale fraîche, produite localement. Une fois de plus, nous revenons au circuit court, avec des analyses et une traçabilité extrêmement précises. Effectivement, il y a un besoin au niveau de cette filière.

M. Roderick Wheatley. Un travail doit être mené pour développer les lignées d'abeilles parfaitement adaptées à la production de gelée royale. C'est une race à part, ce n'est pas une race qui fait du miel. La France a fait beaucoup de progrès ces derniers temps mais elle est loin derrière la Chine en termes de performance des abeilles.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le problème de l’étiquetage a été réglé au niveau européen, mais il est quand même intéressant de comprendre comment les choses se passent en général. Avez-vous été consultés au moment de la loi Egalim 2 et de la prise du décret pour encadrer l'étiquetage des origines du miel, qui n'a pas été suffisant ? Avez-vous pu faire des propositions ? Avez-vous eu le sentiment d'avoir été entendus pour que les textes soient correctement rédigés ?

M. Frank Alétru. Il n'est pas dans mes habitudes de féliciter facilement. Nous avons à l'époque interpellé plusieurs fois Bercy, où se trouvait le service de la répression des fraudes. Nous avons eu de bons échanges, très constructifs. Notre parole a pu être portée à Bruxelles pour défendre nos propositions. Maintenant, la France, c'est la France, et il y a les vingt-six autres pays. À Bruxelles, la FEEDM (Fédération européenne des emballeurs et distributeurs de miel) a exercé une pression et un lobbying énormes. Nous ne disposons pas de cette puissance de frappe puisque nous sommes une petite filière. Nous n’avons pas eu le poids suffisant pour contrer à tous les niveaux le lobby qui était en face.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je me suis peut-être mal exprimé : je parlais bien du décret prévu dans la loi Egalim 2, avant cette directive européenne. Le sujet n’est pas européen, mais vraiment français.

M. Frank Alétru. Effectivement, nous avons fait des propositions, qui étaient exactement celles qui furent soutenues au niveau de Bruxelles. De nouveau, un contre-feu a été mis en place par les négociants et conditionneurs français pour aller vers l’étiquetage le plus simpliste possible, le moins contraignant. Ils ont eu l'oreille de ceux qui rédigeaient la loi Egalim.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vos propos viennent nuancer ce que vous disiez tout à l'heure sur le patriotisme des entreprises que vous avez citées : elles veulent pousser la vente de miel français, mais, par ailleurs, elles sont capables de faire du lobbying contre des outils efficaces visant à protéger cette production.

Mme Clémence Rémy. Aucun de nous n'était présent au moment du décret sur l’étiquetage en France. Ce sujet a représenté un vrai combat au sein de l’UNAF avec les associations de consommateurs. Effectivement, le décret n’a pas entièrement répondu à nos demandes, notamment celle relative au pourcentage, mais c'était quand même une avancée par rapport à ce qui existait. Je pense par exemple à l’étiquetage des miels UE ou hors UE, assez flou. Cela ne concernait que les miels conditionnés en France, d'où la nécessité de porter ensuite le combat au niveau européen.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Aujourd'hui, la taille des exploitations est-elle adaptée ? Faudrait-il des exploitations plus importantes par rapport à nos compétiteurs, notamment au sein du marché unique ?

M. Frank Alétru. La France affiche des profils géographiques extrêmement différents. Développer des exploitations apicoles avec un cheptel très important en zone de montagne se révèle difficile. On pose les ruches sur des terrains plats de préférence. Les zones plates sont peu nombreuses, donc les places sont chères et rares. Ces exploitations ont généralement un nombre plus réduit de ruches. Le temps de déplacement d'un rucher à l'autre peut être assez long, puisque ce ne sont pas des autoroutes mais des routes en lacets. On obtient obligatoirement une photo très différente selon les secteurs géographiques de France.

Ensuite, il y a la vocation même du chef d'entreprise, qui est le chef d'exploitation. Va-t-il souhaiter produire uniquement du miel en fût ou bien souhaite-t-il aussi transformer et vendre sa marque ? Le temps consacré au conditionnement l'empêchera de se développer, mais il maîtrisera son produit de bout en bout.

En France, nous avons vraiment une mosaïque multiple et complémentaire. L'apiculture française est différence de celle des États-Unis, avec des monstres de structures. Ici, nous avons des structures très adaptées, avec des ventes directes dans les zones touristiques, de gros ruchers dans les zones agricoles intensives, etc.

Nous avons la capacité de nous adapter, même si la situation a évolué. Pas loin de chez moi, en Vendée, un petit village accueillait trois exploitations de 1 200 ruches. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une exploitation de 600 ruches, pour les raisons que j’ai décrites. Il y a une démotivation liée aux difficultés à vendre de grosses quantités, alors que nous manquons de miel en France. Pourtant, nous avons la capacité, le savoir-faire, la technologie. Nos exploitations sont palettisées, le déplacement se fait à l’aide de camions poids lourds et de plateaux remorques qui nous permettent de parcourir des distances de 1 000 kilomètres pour obtenir des miels spéciaux.

Nous pouvons également nous tourner vers une apiculture fixe, qui est tout à fait rentable parce qu'il y a la ressource locale.

L’apiculture laisse voir des paysages et des visages extrêmement différents. Chaque exploitation a tout son sens et toute sa rentabilité, à la condition qu’elle soit adaptée.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. J'ai entendu ce que vous proposez sur l'aide à la modernisation du matériel, notamment. Voyez-vous d’autres pistes d'amélioration de la compétitivité de la filière ?

M. Frank Alétru. Nous ne sommes pas autosuffisants en production de reines et d’essaims. La perte est tellement importante que nous devons faire venir des essaims d’Italie, d'Espagne, et des reines ordinaires d'Argentine, de Grèce, d'Italie. En outre, le nombre d’éleveurs reste insuffisant. Le travail est très technique, sur une période courte. Il existe différentes lignées, différents types d'abeilles. Il peut y avoir l’abeille locale, notre abeille noire qu’il nous faut protéger. Elle n’est pas nécessairement la plus adaptée partout, mais elle a sa place, elle a son existence et sa nécessité.

Nous avons besoin d'un programme de développement de la recherche en matière génétique, notamment pour développer des lignées qui arrivent à se défendre d'elles-mêmes contre le varroa. On appelle cela des lignées hygiéniques, c'est-à-dire qu'elles s'épouillent facilement. Aujourd’hui, ce travail de recherche est assuré essentiellement par des structures privées.

Le conservatoire de l'abeille noire est également privé. Il n'y a rien au niveau national. En matière de recherche, de sélection et d'hybridation, qui répond à des besoins, notamment pour la gelée royale, tout est privé. Il n’existe pas d’aide directe ni de subvention alors que d’autres pays ont installé des instituts de l’abeille. En France, nous avons bien sûr l’INRAE, mais sans moyens suffisants pour tracer des pistes de travail et fixer des objectifs clairs. Nous ne sommes pas ici dans la recherche fondamentale mais dans la recherche appliquée. Nous attendons des résultats concrets.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. S’agissant des néonicotinoïdes, l'application du produit par enrobage ne pose pas de difficulté à l'abeille à partir du moment où la graine est enrobée et où la betterave est récoltée avant la floraison. Il n’y a pas de dispersion du produit dans l’environnement.

M. Frank Alétru. En ce qui concerne l’enrobage, seuls 20 % de la matière active intègrent la plante et 80 % restent dans le sol ou se diffusent dans la nappe phréatique. Il y a une répartition. On oublie la culture qui ne va pas fleurir, on met encore de côté les inter-rangs qui sont butinés et qui vont pomper, puisque le produit se diffuse dans le sol à 80 %. Les plantes ont des racines, elles pompent et deviennent toxiques. Les plantes sauvages voisines, les adventices, deviennent elles aussi toxiques.

Cette persistance dans le sol, confirmée par les études scientifiques, une année voire deux années selon la nature des sols, fait que la culture suivante repompe ce produit systémique qui suit le déplacement de la sève dans la plante. Le produit se retrouve dans le pollen et le nectar un an, deux ans après dans les cultures suivantes, avec des effets de rabotage de population comme je le disais tout à l'heure. Cette mortalité ne se constate pas immédiatement, à la différence de celle d’un cheptel de moutons. Une abeille pèse un dixième de gramme.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il est un peu dommage d’avoir auditionné les betteraviers avant vous. Nous aurions été en mesure de leur poser de nouvelles questions.

Pouvons-nous consulter les études que vous mentionnez ?

M. Frank Alétru. Un travail important a été mené sur l’étude des néonicotinoïdes. C’est le produit qui a été le plus étudié au monde. Il existe un ensemble d'études sur une vingtaine d’années. En France, il convient de mentionner l'initiative de la task force internationale qui regroupait les trente plus grands spécialistes des néonicotinoïdes, des biochimistes. Ils ont procédé à un reviewing de plus d’un millier d’études, y compris celles des fabricants. Le président était Jean-Marc Bonmatin, du CNRS d'Orléans. Je vous invite à l'entendre. Il est clair, très pédagogue et sait se mettre au niveau des non-spécialistes que nous sommes, les uns les autres. Nous ne sommes pas des biochimistes. De façon très claire, il a pu démontrer ce caractère systémique en laboratoire. Il pourra vous apporter tous les éclairages qui vous manquent. Ce sont d’ailleurs les éclairages donnés au tribunal européen, qui a interdit définitivement les néonicotinoïdes. Le tribunal s’est appuyé sur cette batterie d'études pour conclure qu'effectivement, ce n'était pas acceptable.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous nous dites que l’enrobage impacte le milieu, mais la pulvérisation, a fortiori, semble pire que l'enrobage.

M. Frank Alétru. La pulvérisation est comme l'enrobage. C'est la même chose, sauf que l'effet est beaucoup plus rapide puisque la plante est immédiatement « contaminée ». L'intoxication est quasiment immédiate. Il n’est pas nécessaire d’attendre que le produit passe par le sol.

Au moment du problème majeur lié au Gaucho, au Régent et au Cruiser, que l’on utilisait pour traiter le tournesol, le maïs et le colza, il ne s’agissait que d’enrobage. C'était très facile à constater. Dans les cinq premiers jours de floraison des tournesols, on perdait l'équivalent de 15 000 à 20 000 butineuses par ruche. On retirait ces ruches, on les remettait en forêt à l'écart de ces cultures et la population se reconstituait grâce aux nouvelles naissances. Il fallait déplacer les ruches, sinon la colonie finissait par mourir. On a pu démontrer de cette façon que si on reprenait un nouveau lot de ruches, qu'on le ramenait auprès des cultures, on perdait à nouveau les abeilles. C'était vraiment la preuve du terrain. La démonstration a été faite sur le terrain en 1998 et 1999. Les gens du CNRS, de Gif-sur-Yvette à l'époque, sont venus et ont pu constater de visu ce phénomène de dépopulation, lié systématiquement à la présence de ces cultures traitées. L'étude avait été facile à faire à l'époque puisque c'était un patchwork, il n'y en avait pas partout, c'était le début. Les ruches situées à proximité des champs traités s’effondraient. Progressivement, d'année en année, le système du Gaucho et de l’enrobage s'est généralisé, provoquant l’effondrement. Nous constations parfois jusqu'à 60 % de perte à la fin de l'été.

M. Roderick Wheatley. J’ai filmé des abeilles en train de butiner du pollen de maïs qu’elles amènent à la ruche pour nourrir les larves avant de passer l’hiver avec la reine. C’est la mort immédiate. La sève qui fait monter le Gaucho dans la plante est néfaste pour les abeilles. Que ce soit pulvérisé ou par enrobage, l'effet est le même.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Je vous remercie pour ces informations très précieuses et ce que vous avez dit sur les effets des néonicotinoïdes. Vos propos poussent à la réflexion. J’imagine que nous en reparlerons dans la loi d'orientation agricole.

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La commission procède à l’audition de M. Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB).

M. le président Charles Sitzenstuhl. Pour notre seconde audition de l'après-midi, nous recevons M. Philippe Camburet, président de la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB).

L'agriculture biologique est au cœur des discussions de notre commission d'enquête et du débat global. Il nous semblait donc important de pouvoir discuter spécifiquement de cette filière.

L'article 6 de l'ordonnance de 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Camburet prête serment.)

M. Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique. Je vous remercie de l'intérêt que vous portez au témoignage des représentants d'une fédération d'agriculteurs composée de 10 000 adhérents dans toute la France, sur toutes les productions, toutes les régions, 10 000 agricultrices et agriculteurs qui se sont engagés, pour certains depuis le début de leur activité professionnelle, dans un mode de production qui vise davantage à préserver le vivant et l'avenir du vivant qu’à l'immédiateté du bénéfice de la vente d'un produit agricole.

Je suis moi-même agriculteur dans l'Yonne, et c'est cet engagement que je suis venu vous partager aujourd'hui.

Mon témoignage portera évidemment sur l'objet même de votre commission d'enquête, la question de cette souveraineté alimentaire. La souveraineté est souvent mélangée avec les notions de sécurité et d’autonomie alimentaires. Je pense qu'il sera de l'intérêt de chacun de faire le distinguo entre ces différentes notions, d’autant que depuis quelque temps, notamment depuis le début du conflit en Ukraine, chacun de ces mots a pris davantage d'importance et il sera important pour nous de bien voir à quel point ils sont différents.

La question de la souveraineté alimentaire vue depuis l'agriculture biologique, c'est évidemment de garder le contrôle sur ce qu'il nous est demandé de produire, de garder le contrôle sur ce que certains voudraient acheter bien loin de nos frontières, de garder le contrôle aussi sur les coûts cachés et les externalités pas forcément très visibles d'une agriculture qui vise avant tout la performance économique et l'exportation depuis plusieurs dizaines d'années.

Plusieurs dizaines d'années : encore une référence à l'histoire, mais beaucoup plus ancienne, à cette période où justement nous avons été amenés à réfléchir à la précarité alimentaire. Cette précarité est apparue à l'issue d'un conflit dont nos propres générations ont pour la plupart été victimes. Le conflit a installé dans l'imaginaire collectif cette notion d'insécurité alimentaire pour longtemps, peut-être trop longtemps. Nous sommes restés trop longtemps dans cette perspective de devoir produire, surproduire, quitte à rogner sur la qualité, la durabilité et l'environnement.

Le rôle de la Politique agricole commune est d'intervenir en cas de surproduction. Cela a été le cas pendant plusieurs programmations. Depuis maintenant plus de vingt ans, on a choisi de s'installer dans un nouveau modèle d'organisation mondiale où toute production excédentaire trouve de toute façon toujours preneur sur le marché international, quitte à voir des prix réduits, donc une rémunération des productrices et des producteurs à la baisse.

Ce nouveau contexte s'est installé. Il vient d'être perturbé récemment par le conflit ukrainien, mais d'une manière générale je crois que nous devons intégrer avant tout une vision plus globale et à plus long terme de notre transition alimentaire.

Il est évident que nous ne consommons plus de la même manière que celle qui prévalait lors du développement massif de la production agricole. Les habitudes alimentaires ont changé, elles vont encore certainement changer. Nous devons nous y préparer pour des raisons sanitaires. Les populations occidentales, en tout cas en Europe, sont malheureusement menacées par des épidémies, tantôt d'obésité, tantôt de cancer. C'est bien un enjeu de santé publique. Des plans nationaux s'en sont bien emparés, sans parvenir aux effets escomptés immédiatement.

En tous les cas, nous avons des recommandations très claires, notamment en ce qui concerne l'agriculture biologique et l'alimentation biologique, qui font le lien entre une alimentation plus raisonnée, plus scrupuleuse, et des perspectives plus rassurantes de vivre longtemps en bonne santé.

Les habitudes alimentaires évoluant, le changement climatique s'installant, il nous faudra réorienter nos productions agricoles parce que notre alimentation est appelée à changer. Le recours moins important et moins fréquent à l'alimentation carnée réorientera certainement aussi nos productions. Nous accusons un retard consternant en matière d'autonomie alimentaire de nos élevages, ce qui fait que pour chaque calorie issue de l'élevage, nous restons dépendants d'alimentations qui viennent de très loin et qui contribuent à la déforestation.

La question de l'autonomie alimentaire mérite d’être redéfinie selon une vision globale et pas uniquement entre une ferme, un supermarché et un foyer avec des assiettes qu'il faut remplir ou une cantine avec des élèves ou des résidents d'EHPAD. C'est bien une vision globale que j'espère voir arriver dans les orientations politiques et stratégiques. J'espère que nous sortirons grandis de cette période d'instabilité, en tout cas sur les questions alimentaires.

Sortir grandis, suppose de revoir nos objectifs, en ayant une position qui soit un peu plus rigoureuse dans la signature des contrats avec les autres parties du monde. Il nous faut tirer les leçons des précédents engagements internationaux. Mercosur, CETA, etc. : ce sont des étapes clés dans notre orientation agricole et alimentaire et nous aurons besoin de clairvoyance face à ces enjeux. Pour exporter des productions industrielles ou manufacturées qui n'ont rien à voir avec l'alimentation, il faut accepter d'importer. C’est le dilemme qui s'imposera aux dirigeants français et européens : comment exporter des voitures si l’on n'accepte pas le bœuf argentin ? Cet exemple est criant de vérité et il est malheureusement dramatique quand on constate l'insécurité et la précarité alimentaires qui règnent encore malgré toute cette surproduction dans beaucoup de pays, y compris dans les pays européens. Depuis le covid, le niveau de précarité alimentaire a quasiment doublé. Aujourd’hui, la sécurité alimentaire de 15 % de personnes est remise en question de manière inquiétante, à la fois en quantité et en qualité.

Il reste beaucoup de choses à faire, même si l'agriculture est au rendez-vous pour produire massivement. Les objectifs assignés à l'agriculture ne sont peut-être pas tous atteints et, à l'inverse, nous avons commencé à mettre en péril la durabilité de nos conditions d'existence sur cette planète, – mais aussi de mettre en péril notre économie, tant l'agriculture peut coûter cher aux citoyens par l'intermédiaire de la Politique agricole commune. Cette contribution, qui va alimenter le budget européen, peut coûter cher en matière d'impact sur l'eau, par exemple. La dépollution de l'eau – la Cour des comptes s'en est notamment inquiétée et a commencé à tirer la sonnette d'alarme – est un critère à prendre en compte dans le bilan global de notre modèle agricole. J’espère que nous aurons cette vision globale de l'ensemble de la détransition pour que faire les choix durables qui s'imposent.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Pouvez-vous nous rappeler la part du bio dans la production agricole française ? Quel est l'ordre de grandeur ?

M. Philippe Camburet. L'agriculture biologique aujourd'hui, ce sont globalement 15 % des surfaces, 10 % des effectifs et 10 % des fermes. L’agriculture bio était en pleine croissance jusqu'à il y a quelques années. Nous avons connu un changement d'échelle très important, avec près de 60 000 fermes. Cette agriculture intéresse les jeunes qui veulent s'installer. Dans certaines régions, près de 50 % des porteurs de projets d'installation veulent s'installer en bio. Si on ne les laisse pas s'installer en bio, si on ne leur fournit pas les conditions économiques d'existence de leurs fermes, ils passeront leur chemin. Le changement des générations passe nécessairement aujourd'hui par l'agriculture biologique.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Le nombre d’exploitants en bio est-il en croissance ou, à l’instar de l’agriculture conventionnelle, en décroissance ?

M. Philippe Camburet. Il est encore en croissance aujourd'hui. Je pense que le solde entre les départs à la retraite, les arrêts de fermes et les arrivées, soit en installation, soit en conversion, devrait être encore positif pour l'année 2023. Nous aurons les chiffres très bientôt. L'agriculture biologique continue sa percée, notamment grâce aux installations.

Pour compléter, la consommation des ménages reste à un niveau assez faible, à 6 %. Nous sommes très loin derrière d'autres pays européens, voire même derrière les États-Unis. Il nous reste donc une grande marge de progrès et de développement car nous nous situons à un niveau très marginal dans la consommation des ménages français.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Quel est le solde commercial de l'agriculture biologique ? On entend souvent qu'il serait déficitaire. Est-ce vrai ?

M. Philippe Camburet. Cela a pu être vrai par le passé pour certaines productions. Aujourd’hui, on nous a mis au défi de répondre à la demande. La demande a été longtemps très importante par rapport à l'offre. Nous nous sommes retroussé les manches. Nous avons converti beaucoup de surfaces, ce qui fait qu'aujourd'hui, les importations s’établissent entre 20 % et 30 % par rapport à la consommation. La plupart du temps, ce sont des productions que l'on ne pourrait pas produire en France. Si vous enlevez le café, le chocolat et les fruits exotiques, nous retombons au niveau de souveraineté de l'alimentation en général, à savoir une vingtaine de pour cent, et je pense que nous n’avons pas à en rougir. L'alimentation biologique en France ne dépend pas des productions étrangères. C'est une réputation qui s’est malheureusement installée longtemps, mais ce n'est plus du tout le cas.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Vous avez sûrement raison. Nous pouvons néanmoins constater des choses qui semblent parfois contre-intuitives. Par exemple, les commerces bio ne proposent quasiment que du sucre de canne, qui vient d'Amérique du Sud et du Brésil et qui est tamponné bio. Moi qui suis Alsacien, originaire d’un département betteravier, avec la sucrerie bien connue d'Erstein, je me pose la question : le sucre de canne bio importé du Brésil affiche-t-il un meilleur bilan écologique que le sucre blanc d'Erstein, produit en conventionnel juste à côté ? Au rayon des fruits et légumes, on trouve des carottes bio d’origine allemande. Ont-elles un meilleur bilan écologique que la carotte conventionnelle alsacienne produite à quelques kilomètres ?

Je pourrais citer de nombreux autres exemples de situations qui peuvent sembler étonnantes ou paradoxales.

M. Philippe Camburet. Vos questions sont représentatives de beaucoup d'interrogations du grand public. Elles sont tout à fait légitimes, évidemment. Aujourd’hui, l’alimentation biologique est distribuée à la fois par la grande distribution, qui s'est engouffrée dans ce segment de marché il y a quelques années, et par une distribution spécialisée. Ce que vous avez constaté est peut-être vrai dans les différents réseaux.

En moyenne, le coût climatique et l'empreinte carbone de notre alimentation ne reposent qu'à 20 % environ sur le transport. Tout le reste est lié au mode de production et au mode de transformation. Le protoxyde d’azote, ce gaz à effet de serre largement répandu avec les engrais azotés, est le premier contributeur, avec le méthane, des gaz à effet de serre pour l'agriculture. Quand vous avez un sucre de canne qui n'a pas reçu d'engrais chimiques azotés, un sucre de canne qui reste roux, c'est-à-dire qu'il n'a pas subi de transformation supplémentaire pour être raffiné, pour être toujours le plus beau possible, vous obtenez un bilan carbone qui est complètement différent de ce que l'on peut imaginer. Cela est valable aussi pour les fruits et les légumes. Quelques dizaines ou centaines de kilomètres peuvent être largement compensées par la non-émission de gaz à effet de serre délétères. Nous le constatons en moyenne sur tous les produits alimentaires, à hauteur de 20-30 %, pas plus. Nous devons nous intéresser à ce qui reste derrière le produit.

Je peux parler de l’absence de pesticides de synthèse dans la nappe d'Alsace. La nappe d'Alsace ne subit pas de problème parce qu'elle est abondante, voire surabondante. Dans les régions où les enjeux de la pollution de l’eau sont rejoints par les enjeux liés à la quantité, nous posons de plus en plus la question. Puisque nous avons moins de quantité d'eau, nous avons moins d'effet de dilution, donc plus de concentration des pesticides dans l'eau. Les maires ou les responsables de collectivités que je rencontre se disent alarmés par les fermetures de captages. Une approche plus globale des enjeux fait intervenir des angles d'appréciation parfois contre-intuitifs.

L'affichage environnemental répond à un projet du Gouvernement pour aider les consommateurs à s'orienter vers les produits qui correspondent aux achats qu'ils veulent faire. Nous souhaitons que cet affichage comporte des indications relatives à la contribution au changement climatique pour tous les aliments. Les consommateurs doivent être éclairés sur l'impact de leurs achats alimentaires, comme ils le sont pour les voitures, les appartements ou bientôt les vêtements. Cet affichage environnemental leur permet de mieux apprécier l'impact de leur achat alimentaire sur leur environnement, en tout cas pour celles et ceux qui y sont sensibles.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Certaines productions bio ont-elles émergé, permettant aux agriculteurs de tirer un revenu ? Par contraste, certaines productions se révèlent-elles plus compliquées en bio. L'exemple du lait est souvent cité. La filière laitière se plaît à dire que le lait bio est vendu au même prix que le lait conventionnel. Existe-t-il une classification des productions sur lesquelles l'agriculture biologique a fait ses preuves économiques et au niveau de la consommation.

M. Philippe Camburet. Je n'ai pas mentionné l'existence du sucre bio français. Vous savez qu'on peut en produire.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Il est difficile à trouver.

M. Philippe Camburet. La filière est encore à l'état embryonnaire mais elle se construit, notamment dans la région des Hauts-de-France, où j'ai des collègues producteurs qui se sont associés à des distributeurs et à des transformateurs. Ils ne vont pas lancer une sucrerie sur le modèle que nous voyons subsister encore aujourd'hui en France.

Je dis « subsister » parce que la filière du sucre est en phase de transformation. On ferme encore des sucreries mais cette filière n'est pas celle qui se plaint le plus. C'est donc vraiment une question de modèle qui fait que la concentration continue. À l'inverse, mes collègues prévoient quelques dizaines d'hectares pour quelques dizaines de tonnes. Il y a du sucre de betterave français bio, il faut le dire, mais en partant d'une nouvelle pensée de la filière agricole et agroalimentaire en France.

Pour prendre un autre exemple, dans ma ferme, je produis des céréales, dont de l'avoine, la céréale du pauvre, à peine bonne à donner à manger aux animaux il y a quelques décennies parce que, justement, on a préféré les céréales panifiables pour y trouver toujours plus de valeur ajoutée. Sur mes territoires, les céréales qui subissent le changement climatique et qui ne s’en sortent finalement pas si mal restent peu nombreuses. Il y a l'épeautre, un ancêtre du blé, avant qu'on n’ait fait évoluer nos céréales vers des blés extrêmement techniques et technologiques qui correspondent aux exigences des industriels de la panification. Les épeautres sont plus résistants. Nous avons aussi l'avoine. De quelle manière est-elle consommée aujourd’hui ? On la consomme sous forme de flocons, de céréales pour le petit-déjeuner ou sous forme de boissons végétales.

Ces créneaux étaient en pleine croissance jusqu'à ce que la consommation décroche, mais les filières apparaissaient très prometteuses. Le problème, c'est que nous n’étions pas capables, en France, de transformer le grain d'avoine en flocons et en farine. Il fallait réaliser ces opérations en Italie ou en Allemagne. Je vous parle d’une filière dont il faut se réapproprier les fondamentaux.

Avec ma coopérative, nous nous sommes retroussé les manches, nous avons choisi d'investir dans une usine de production de flocons, ce qui nous permettra de relocaliser une opération laissée à ceux que cela intéresse, parce que nous parlons d’une céréale secondaire qui n'intéressait personne. Aujourd’hui, nous voyons non un intérêt non seulement gastronomique, mais aussi diététique à cette céréale, sauf qu'il faut tout reconstruire. Les partenaires ne sont pas ceux de la grande boulangerie ou du milieu des céréales majoritaires, qui ne s'intéressent pas à l'avoine. Évidemment, il faut se prendre en main, il faut participer à l'appel à projets du fonds Avenir bio, qui est là justement pour apporter des fonds aux projets de structuration de filières. Ce fonds a bénéficié d'un peu de générosité du ministère pour être rehaussé. Est-ce suffisant ? Nous le verrons.

En tous les cas, la question des filières ne se pose pas dès lors qu'on n’entre pas tout de suite dans un modèle qui vise immédiatement des volumes énormes pour inonder un marché. Pour peu que l’on soit raisonnable sur la taille humaine de nos filières et qu'on ait le coup de pouce pour amorcer la pompe, je n'ai aucune inquiétude pour notre filière de flocons d'avoine. Nous privilégions la relocalisation et une agriculture qui a du sens.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Des productions bio sont-elles plus sensibles que d'autres aux chutes de consommation, notamment en raison des aléas économiques ?

M. Philippe Camburet. Les plus sensibles seront les plus industrialisées et les plus vouées à l'exportation. Je prends l'exemple de la filière porcine bio, qui risque de s'éteindre prochainement. Le marché du porc conventionnel est allé tellement loin dans l'industrialisation de la production et tellement loin dans l'attente des marchés internationaux qu'on n'a pas la possibilité d'avoir, sur un même point de vente, des choses comparables pour le consommateur. Le consommateur, dans le temps qu'il a de disponible pour faire son achat, ne regarde que le prix. Dans la filière du porc français, le jambon est le produit qui se vend le plus. Mis à part le jambon, il n'y a plus grand-chose. Il faut tout de suite transformer ou alors il faut exporter. On choisit des morceaux qu'on va garder et tout le reste est exporté. Un jambon, même nitrité et bien coloré en rose, sera toujours imbattable s’il est produit dans une porcherie industrielle par rapport au porc fermier, élevé en plein air juste à côté. Nous ne parlons pas du même marché.

Évidemment, certaines de nos filières sont en difficulté et méritent une meilleure communication auprès des citoyens. Montrons à nos concitoyens de quelle manière arrive cette tranche de jambon dans l'assiette du gamin à la cantine, montrons tout ce qui s'est passé avant, montrons d'où vient l'alimentation qui a été donnée à ces porcs. Le bon sens finira par l’emporter !

Ce seront quelques euros du kilo qu'il faudra mettre en plus, mais c’est général. Nous consacrons chaque année de moins en moins de notre budget à l'alimentation, au profit du logement, des transports et des loisirs. Sans arbitrage, les filières continueront d’être en difficulté. Je compte sur la réactivité de nos concitoyens, mais aussi sur la commande publique, parce que la commande publique est sensible à la dynamique des territoires. Quand vous êtes responsable d'une petite cantine d'une école élémentaire, ne fait-il pas sens de servir des produits d’à côté ? Je parle de produits bio, pas de produits soumis au glyphosate. Il peut être intéressant de dépenser quelques centimes en plus pour avoir des produits bio dans la cantine.

Quelques filières sont vraiment en difficulté, celles qui sont en parallèle des activités les plus industrialisées. Je pense néanmoins que nous avons l’opportunité, dans cette transition alimentaire, de réorienter nos réflexions pour aller dans le bon sens.

M. le président Charles Sitzenstuhl. L’exemple du porc est intéressant. Vous dites que pour vous, les filières bio les plus sensibles aux changements de consommation sont celles liées à l'export. Sur le terrain, on m’a dit qu’en raison de la crise du bio depuis deux ou trois ans, des exploitations spécialisées en fruits et légumes se retrouvent en grande difficulté. Je n'ai pas le sentiment que ces filières soient très liées à l'export : ce sont plutôt des productions locales qui ont vocation à être distribuées sur les marchés.

J'ai des exemples de producteurs locaux chez moi qui ont disparu, qui ont mis la clé sous la porte ou se sont déconvertis. Ces producteurs n'étaient absolument pas liés aux filières d'export.

Bref, s’agit-il simplement de proximité avec l'export ?

M. Philippe Camburet. Non, évidemment. Nous pouvons ajouter, dans ce contexte, la dépendance par rapport à l'industrie agroalimentaire. Nous avons besoin d'une industrie agroalimentaire locale, attentive à ce que nous produisons, attentive aux saisons, attentive à la qualité de ce que l’on mange. Nous connaissons la logique d'approvisionnement de l'industrie quand il s'agit des fruits et des légumes. Pour prendre l'exemple des pommes, quelle est la part de la pomme à couteau par rapport à la pomme à jus ou la pomme de transformation pour compote ? Quand on suit une logique de production de pommes qui peuvent se retrouver dans l'industrie, les coûts de production de la pomme à couteau sont les mêmes. Il en résulte, là encore, un décalage du prix de revient entre la pomme à couteau bio, pour laquelle la transformation intervient en cas d’excédents, et les autres variétés dédiées à l'industrie de la transformation.

Nous retrouvons au même endroit, à quelques mètres les uns des autres, des gens qui n’ont pas la même conception de leur production, avec des coûts de production forcément différents. Tant mieux, il en faut pour tous les goûts, il n'y a pas de problème. Encore une fois, le consommateur doit être averti que la pomme bio peut présenter des petites taches ou être plus petite que le calibre. Mais quelles sont les conséquences sur le produit de tout ce qui s'est passé avant ? S’agit-il des pommes de son voisin, dont le verger a vu passer vingt ou vingt-cinq traitements par an ? Toutes ces questions méritent d’être posées.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous n’avons pas encore parlé du Pacte vert européen. Depuis plusieurs semaines, dans le débat public français et européen, il est associé au bio et est très attaqué, et quand il est attaqué, c'est aussi une attaque contre la transition écologique en agriculture. Qu'en pensez-vous ?

M. Philippe Camburet. Nous sommes ici pour parler de souveraineté alimentaire. Pour en revenir à mon propos liminaire, la souveraineté, c'est pour moi avoir la possibilité de choisir.

Or ce que le Pacte vert a installé, c’est l'affirmation d'un choix. Le premier choix consiste à dire qu’on ne change rien. On continue la fuite en avant, on essaie de s'aligner sur les pays d’Afrique du Nord s’agissant des fruits et légumes, on essaie de s'aligner sur tous les pays les moins chers autour du monde.

Le second choix vise à nous interroger sur la réduction de 50 % de l’usage des pesticides et sur le passage à 25 % de surfaces en bio en 2030. Cela a été voté par une majorité au Parlement européen. Pour moi, il s’agit bien d’un signe de souveraineté alimentaire : on s'est donné la possibilité de faire un choix et d'engager ensuite les réformes qui s'imposaient.

Pourquoi, certains s'attaquent au Pacte vert ? Parce qu'on a installé dans l'imaginaire collectif des gens, il y a plus de deux ans maintenant, que le risque d'avoir des assiettes vides pouvait revenir. On s'est saisi d'un contexte pour réinstaller le risque de pénurie alimentaire et pour dire aux gens qu’on allait remettre en cause tout ce qui serait susceptible de freiner la production. Haro sur la jachère, regardons tout ce qui se fait en technologie génomique, reprenons la main sur les autorisations liées aux pesticides et pompons toute l’eau que nous souhaitons !

J’exagère un peu et je vous prie de m’en excuser car je ne cherche pas à être provocateur. Il y a deux ans, on a inversé les principes qui sont à l’origine du Pacte vert. On a installé dans l'imaginaire collectif un risque qui permet de faire machine arrière en levant tous les freins potentiels à une production pourtant condamnée à aller droit dans le mur. Le souhait est toujours d’occuper le marché international pour être le plus compétitif.

Pour moi, le Pacte vert avait du sens. Il était le signe d'une affirmation de souveraineté. Puisqu’il est remis en question, je pose une question en retour : que proposons-nous à la place ?

M. le président Charles Sitzenstuhl. Vous dites qu’on a réinstallé depuis deux ans dans le débat public le risque de pénurie alimentaire. Dénoncez-vous cette situation ? Vos propos étaient un peu corrosifs...

M. Philippe Camburet. Je déplore qu’on ait fait croire à un accroissement subit des risques de famine dans le monde à cause de ce conflit. C'est bien plus compliqué que cela. Si la faim dans le monde pouvait se résoudre en produisant plus, cela se saurait. Beaucoup de choses dépendent des échanges internationaux, de la stabilité politique des États et du développement agricole de nombreux pays. Certains pays se sont trouvés dans l'instabilité parce que, justement, ils s'étaient peu à peu installés dans une sorte de sécurité de commerce avec l'Ukraine. Cette sécurité était fragile et il a fallu se reporter sur d'autres sources d'approvisionnement.

Pour nous Français et Européens, où était le risque ? Il n'était pas dans nos assiettes, il était bien ailleurs.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Pourriez-vous nous donner votre définition de la souveraineté alimentaire ?

M. Philippe Camburet. La question est apparue il y a bien des années au niveau international dans des milieux alternatifs.

Être souverain, c'est avoir une vision à long terme et collective pour que personne, ni les consommateurs ni les producteurs, ne soit le dindon de la farce, au bout d'une chaîne où l’on se passerait les aliments des uns aux autres en les transformant et en cherchant à s'enrichir. L'idée de cette souveraineté alimentaire, c'est avoir le choix et de penser aux autres dans une vision globale à long terme.

Cela signifie pour notre nation qu’il faut envisager une autre position par rapport aux engagements comme ceux du Mercosur, du CETA ou d'autres. Regardez la facture que nous devons payer en matière de préservation de l'environnement. Qui la paiera ? Ce ne sont certainement pas les gens qui prennent les décisions aujourd'hui, ce sont les générations à venir. Toutes ces questions, malheureusement, ne sont pas assez souvent adossées à la question de la souveraineté alimentaire. Cela rejoint ce que j'ai dit sur la nécessité d’être plus global et d'avoir une vision à plus long terme.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il y a des choses très intéressantes dans cette définition, mais ce qui me surprend un peu, c'est l’absence de notion de production locale ou d'effort en faveur de la production française. L'agriculteur biologique s'identifie aussi au circuit court, c'est donc une notion qui me semble importante.

En répondant au président, vous avez semblé défendre la légitimité des importations de l'agriculture biologique, à partir d’un constat qu’il conviendra de préciser. J'ai sous les yeux les indicateurs de souveraineté édités par le ministère de l'agriculture il y a quelques jours. Ils montrent clairement que la balance commerciale est largement déficitaire pour les produits biologiques.

Si nous retranchons les exportations de vin, le déficit commercial s’établit à presque 2 milliards d’euros s’agissant des productions bio.

Je ne vous ai pas entendu dire qu’il fallait privilégier le local par rapport aux importations.

M. Philippe Camburet. La question de l'intérêt de consommer bio passe par l'intérêt de consommer du bio local dès que possible. L'objectif est pour moi de sortir de ce système, au sein duquel nous sommes allés trop loin dans la spécialisation des fermes.

Nous faisons face à un grand enjeu de diversification. J'en veux pour preuve la sensibilité de certaines fermes à des aléas conjoncturels, des aléas climatiques, des accidents de culture qui peuvent être dramatiques, au point qu'on en vient finalement à devoir consacrer beaucoup d'argent public à la protection. En viticulture, la protection contre le gel, contre certaines maladies ou certains ravageurs devient un enjeu de politique publique. Nous savons très bien que plus nous tendons vers la spécialisation, plus nous nous fragilisons. Je parle de la spécialisation à l'échelle des fermes, mais aussi à l'échelle des régions et des nations.

Nous constatons finalement une surproduction chronique et massive de certaines productions et, à l'inverse, nous restons très dépendants d'autres pays pour d'autres productions. Cela est largement documenté et, malheureusement, cela se reproduit parce que nous n’avons pas réfléchi à cette fragilité. Nous choisissons délibérément de consacrer de l'argent à sécuriser une forme de suprématie que nous souhaitons conserver pour certains produits.

Donc, le local, oui, évidemment. Près d'une ferme bio sur deux en vend en circuit court. J'ai beaucoup de collègues qui se font un plaisir d'être en relation directe avec les consommateurs parce que la richesse de cet échange est finalement notre récompense. Notre récompense, c'est d'avoir l'avis du consommateur. Il vient nous voir parce que la confiance est établie et qu’elle doit se renouveler. Il a l'intention de mettre du sens dans son achat alimentaire, en sachant qu’il contribue à la pérennité de l’activité de l’agriculteur. À l'inverse, le passage par un circuit de distribution, – et je ne vais pas le reprocher à tous les gens qui vivent en zone urbaine – installe malheureusement de la distance.

Le local est important, évidemment, le plus possible, dès que c'est possible, que ce soit pour la restauration à domicile ou pour la restauration commerciale, où nous n’atteignons même pas les 2 % de consommation de produits bio. Si la gastronomie à la française consiste à tout mettre dans le même panier et à s'accrocher à la spécificité d'un produit parce qu'il a une certaine origine, en mettant de côté tout ce qui est sous signe de qualité, c'est quand même dommage !

Il faut rétablir cette proximité. Le circuit court a évidemment sa place. En revanche, avons-nous vraiment besoin de recourir à l'importation pour autant de produits ? Si on compte des carottes ou des tomates bio produites sous serre aux Pays-Bas dans les chiffres des importations, nous serons pénalisés. Y a-t-il un sens à manger des tomates bio avant le 1er avril en France ? Non. Le chauffage sous serre n'a aucun intérêt. Pourquoi délaisser tous les légumes que nous savons produire en France de manière respectueuse de l'environnement, au profit d'une tendance alimentaire qui voudrait que nous mangions de tout, n'importe quand, de la même manière ? Oui, les pizzas et les hamburgers sont les mêmes partout dans le monde, mais je ne veux surtout pas de cela. Il ne faut surtout pas de standardisation dans l'alimentation biologique. Évidemment, si vous voulez de tout, n'importe où, n'importe quand, votre budget de consommateur d'abord et le budget de la nation ensuite seront déficitaires.

Il faut donc raisonner toutes nos habitudes de consommation et c'est en ce sens que la transition alimentaire passera aussi par une modification de nos habitudes alimentaires.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. À plusieurs reprises, des filières nous ont alertés sur le fait que l'agriculture biologique était en difficulté. Quelle est la corrélation avec le marché ? Le président des Jeunes Agriculteurs a affirmé que la volonté politique de soutien au bio s'est faite en déconnexion avec le marché et que nous subissons aujourd’hui cette situation.

Quelle est votre position sur cette question ?

M. Philippe Camburet. J'entends régulièrement des collègues qui estiment se retrouver dans une impasse : on aurait conduit dans une voie qui, finalement, était vouée à l'échec. Je suis en complet désaccord. Qu'est-ce que l'échec aujourd'hui ? S’agit-il de ces 60 000 fermes bio qui sont, pour une grande majorité, en difficulté parce qu'elles produisent en protégeant l'environnement et en protégeant les concitoyens ? Est-ce un échec ? Non. L'échec, c'est la consommation qui chute par rapport à ce qu'elle était. L'échec, c'est la loi Egalim qui n'est pas respectée dans la restauration collective. L'échec, c'est le débouché qui disparaît. Comment voulez-vous que l’on soit, comme le prévoit le Gouvernement, à 15 % de bio en 2022, 18 % en 2027, 21 % en 2030 si, en face, on laisse le marché faire ? Les lois du marché peuvent l'emporter sans accident de parcours à condition d’éviter un fonctionnement en yoyo. Tantôt nous aurons une tendance positive et puis d'un seul coup, après tel ou tel scandale, tout peut s'inverser. Nous savons très bien que la consommation de produits bio a connu de très belles années à la suite de scandales alimentaires dont il n’est pas nécessaire de dresser la liste. Tout est très volatil.

Si nous rencontrons des difficultés, c'est parce que nous n’avons pas encore atteint la taille critique d'une filière solide et résistante, à même d’affronter ces difficultés. Si nous sommes laissés à la libre appréciation du marché, tout peut se casser la figure très rapidement.

L'échec, pour moi, n'est pas le développement de l'agriculture biologique. Les agences de l'eau sont très contentes des activités de l'agriculture biologique sur leurs zones de captage. Elles sont très contentes de continuer à soutenir la conversion à l'agriculture biologique. Elles sont très contentes de soutenir la création de filières pour qu'on puisse manger bio dans les cantines scolaires des bassins de captage. L'échec n'est pas là, il est dans une politique qui a dit : « Regardez, vous avez des croissances à deux chiffres, cette situation va sûrement durer. Nous l’espérons pour vous et vous laissons tranquilles. »

Les agriculteurs sont en difficulté parce qu'ils ne vendent pas au prix souhaité, et ne couvrent pas leurs coûts de production, mais aussi parce que l'assistance à la conversion n'a pas été suivie de paiements pour les services environnementaux. L'aide à la conversion suppose une durée de cinq ans pour changer de modèle, changer ses habitudes, acheter de nouveaux matériels, s'approprier de nouvelles cultures. Après ces cinq ans, que fait-on ? Si le marché continue son envolée, il n'y a pas de problème. Mais le marché a décroché et les paiements pour services environnementaux qui devaient être là pour prendre le relais ne sont pas en rendez-vous. La Politique agricole commune a fait d'autres choix. Nous les avons dénoncés. La PAC n'est pas au rendez-vous pour financer le filet de sécurité pourtant prévu pour toutes les filières agricoles lorsque la conjoncture devient difficile. Si la Chine arrête d'importer du porc, vous aurez un filet de sécurité spécial porc, et ainsi de suite pour toutes les filières. S’agissant de l'agriculture biologique, on nous a dit : « Circulez, il n'y a rien à voir. » Sans filet de sécurité, sans moyens pour communiquer et pour informer les citoyens sur ce qu'ils mettent vraiment dans leur assiette, les agriculteurs bio éprouvent de la rancœur par rapport à la dynamique de conversion dans laquelle on les a emmenés.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Un producteur de porc bio bénéficie du filet de sécurité de la filière porcine. Demandez-vous un filet spécifique à l’agriculture biologique qui s’ajoute au filet de la filière à laquelle appartient le producteur ?

Par ailleurs, il y a lieu de s’interroger sur la nature de certains scandales. Dernièrement, une association de consommateurs a révélé la présence de résidus de pesticides dans les salades en sachet. Or l'article ne comporte aucune donnée sur la quantité de ces résidus ou sur le respect de certaines limites.

Certaines situations ne sont-elles pas montées en épingle par des gens un peu militants qui ont tendance à culpabiliser une agriculture conventionnelle qui n'est pas forcément à l'origine d'autant de scandales qu'on souhaiterait lui mettre sur le dos ?

M. Philippe Camburet. L'aide à la filière porcine a été octroyée selon un critère de dépendance en matière d'achats alimentaires. Plus la facture d’une exploitation porcine conventionnelle est élevée, plus elle perçoit d’aides. Plus vous êtes dépendant de l'extérieur, voire de l'étranger, pour produire, plus vous avez droit à une aide. En agriculture bio, nous essayons de tout produire à la ferme et, évidemment, nos factures d'alimentation n'ont pas explosé et nous n'avons pas eu droit à cette aide. Malheureusement, les critères sont toujours prévus pour la plus grande masse possible de fermes visées.

Nous aurions besoin d’amorcer une approche très technique pour cibler les ailes là où elles s’avèrent nécessaires. Le meilleur filet de sécurité, je le répète, c'est le service environnemental que l'on rend. Si on arrive à encore boire de l'eau non polluée dans notre pays, c'est grâce au développement, dans de nombreux cas, de l'agriculture biologique. Si la France paie des amendes au niveau européen parce qu'elle n'a rien fait pour sauver telle ou telle espèce, elle va peut-être regretter de ne pas avoir davantage développé l'agriculture biologique.

C’est une question de coûts et de bénéfices. L’investissement peut être décidé au moment de la conversion, mais aussi dans le paiement pour service environnemental. J’ai de nombreux collègues qui ne sont pas en activité bio mais qui mériteraient d'être rémunérés pour leurs services environnementaux.

La Politique agricole commune offre la possibilité d'accéder à des éco-régimes, c’est-à-dire à la rémunération du changement de pratique. Que voyons-nous ? Tous les agriculteurs qui ont rempli les conditions pour accéder à ces éco-régimes sont pénalisés. On leur a dit : « Désolé, vous êtes trop nombreux, donc vous aurez 20 ou 30 euros de moins que ce qui était prévu. » Le changement de pratique n'est pas encouragé. C'est valable pour tout le monde, mais encore plus en bio.

En ce qui concerne les scandales alimentaires, nous voyons évidemment de tout. Chaque semaine, la grande distribution procède à des rappels de produits. Cela devient le lot commun. Heureusement, il n'y a pas de victimes en nombre. Elles sont toujours trop nombreuses, mais, la plupart du temps, c’est rapidement soigné.

Mais il y a eu des scandales beaucoup plus graves qui ont marqué notre rapport à l'industrie agroalimentaire. Je pense à la dioxine dans le poulet ou aux œufs au fipronil. Ce n'était pas juste un petit article dans le journal. Ces situations impliquaient des filières entières, du producteur au consommateur en passant par le distributeur et par l'opérateur majeur. En l'occurrence, lorsque vous avez des fermes intégrées qui mettent à disposition de la main-d'œuvre, un peu de foncier et qui reçoivent des commandes, vous encourez davantage de risques pour la santé alimentaire.

Que ce soit des particules que l’on respire ou celles que l’on ingère, des éléments extérieurs intègrent notre corps. On y est plus ou moins sensible, mais il faut mesurer le risque à travers des politiques sanitaires qui encouragent les contrôles.

En agriculture biologique, du fait de ne pas utiliser de pesticides de synthèse, je suis beaucoup plus rassuré que mes collègues, y compris pour ma santé. Je suis contrôlé au moins une fois par an dans ma ferme, mais ce contrôle ne me pose aucun problème. Je suis plus serein par rapport à mon métier et par rapport à mes produits.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. En matière de pesticides de synthèse, l'agriculture conventionnelle a quand même progressé, avec une baisse de 96 % des CMR1 depuis 2016 et une diminution de moitié des CMR en quatre ans.

Je vais être un peu provocant, mais l'intérêt de cette audition est de vous challenger un peu pour nous faire un avis. Dans l'agriculture biologique, tout n'est pas rose non plus. Certains produits biologiques ont un impact sur l'environnement. Pensez-vous que tout est à jeter s’agissant de l'agriculture conventionnelle ou reconnaissez-vous que de nombreux efforts ont été consentis ?

M. Philippe Camburet. J'ai beaucoup de collègues en agriculture biologique qui viennent de l'agriculture conventionnelle. Ils ont utilisé tous les produits qui sont devenus interdits, mais ils sont restés de vrais professionnels et qui j'ai toute confiance.

Mon reproche vise une sorte de complaisance envers une filière qui est contente de voir arriver toujours plus de volumes. Constater que les questions sur la qualité du grain sont moins fréquentes. C’est à peu près toujours la même variété, qui arrive toujours à peu près au même moment, toujours les mêmes volumes... C'est très pratique pour la suite, et tant pis si les agriculteurs s'exposent eux-mêmes au danger ou s'ils exposent l'environnement ! Cette sorte de complaisance s'est installée petit à petit. C’est aussi une résistance aux changements de pratique.

Quand j'entends dire, à longueur de journée parfois, qu'il n'y a pas de solution, et qu’il ne faut pas d'interdiction sans solution, imaginez-vous à quel point c'est offensant pour l'agriculture biologique ? J'entends dire qu'on ne peut pas produire sans ces produits-là. J'entends dire que les zones qui ne seront pas traitées autour des écoles seront des zones où l’on ne pourra rien faire, des zones improductives. C'est profondément insultant pour tous ceux qui font sans, – parce qu'on peut faire sans ! Cette opposition s'est installée petit à petit, qui fait qu’il devient difficile de s'entendre.

Je reconnais que des efforts ont été faits, comme la diminution des CMR. J’espère que nous irons encore plus loin. Les solutions existent. Nous n’en avons pas autant que souhaité, parce que la recherche s'est focalisée sur la génétique des variétés, un climat à peu près supportable, les engrais et les phytosanitaires. On a essayé d'optimiser tout cela ensemble depuis pas mal d'années sans trop poser la question des alternatives. Le pas de temps dans la recherche, ce n'est pas le pas de temps de l'année agricole comme nous pouvons la connaître dans nos fermes. Or ce pas de temps de la recherche fait défaut aujourd'hui. Nous n’avons pas suffisamment anticipé les risques et les interdictions. Oui, des interdictions arrivent un peu brutalement, mais entendre dire qu'il n'y a pas de solution en face, c'est comme entendre dire qu'il n'y a pas de sucre bio. Elles existent, nous sommes de plus en plus nombreux à les proposer. Il y a de plus en plus d'hectares exploités sans ces produits.

Vous dites que tout n’est pas rose dans l’agriculture biologique, mais vous savez qu'il y a des listes de produits autorisés en bio. Il s’agit d’éléments d'origine naturelle, naturellement présents dans l'environnement. Dès que nous pouvons nous en passer, nous le faisons, parce qu’ils coûtent cher, et parce qu’il faut les mettre en œuvre. Nous privilégions toujours les modes de régulation naturels : favoriser la présence d'insectes prédateurs pour les ravageurs, aérer nos cultures, favoriser la rotation des cultures... Toutes ces démarches se révèlent bien plus pratiques que d'utiliser des produits, aussi naturels soient-ils.

On entend dire parfois que le bio est comme le reste et que nous utilisons des produits. Là encore, il faut un peu de temps : on fait un pas de côté, on regarde ce que c'est, et puis on fait le distinguo. Arrêtons avec les raccourcis !

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le fait, par principe, de se priver de produits de synthèse n'est-il pas aussi un raccourci ? Prenons l'exemple d'un sujet que je connais bien, celui de la lutte contre la flavescence dorée. Le produit conventionnel la cible bien. En revanche, le pyrèthre utilisé en agriculture biologique a des impacts beaucoup plus larges.

Je pense aussi à un autre exemple où l’agriculture biologique ne représente pas une solution. Je suis viticulteur dans le Bordelais. Un des scandales ayant contribué à lancer la cabale contre les phytosanitaires dans cette région concernait l’épandage de soufre à proximité d'une école, source d’intoxications chez les élèves. Nous voyons bien que les choses ne sont pas si simples !

J’en reviens à ma question, que s’était d’ailleurs posée le ministre de l'agriculture lors d'une audition par la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires : pourquoi l'agriculture serait le seul secteur à se priver par principe de produits de synthèse, s'il est démontré que le produit de synthèse n'est pas un CMR ou n'a pas d'impact sur l'environnement ?

Nous avons l'impression d’une position de principe, alors que les choses sont plus compliquées. Encore une fois, des produits utilisés dans l'agriculture biologique ont parfois plus d'impact, même s'ils sont naturels. Ce n'est pas parce qu'ils sont naturels qu'ils n'ont pas d'impact. Quelquefois, un produit de synthèse pourrait mieux convenir.

M. Philippe Camburet. Le premier principe de l'agriculture biologique est de s'occuper du sol et de l'environnement de la plante pour qu'elle soit dans les meilleures dispositions pour croître et produire. Je parle du sol en ce qui concerne toute la fertilisation, l'approvisionnement en eau, la flore bactérienne, notamment pour tout le système racinaire. Il y a aussi la partie aérienne, tout ce qui ne relève pas du sol. Cela peut passer par la diversité cultivée, en ne se limitant à une seule espèce. Mettre des dizaines de milliers d'animaux dans des endroits concentrés, c'est se rendre fragile. De la même manière, avoir une seule espèce sur de grandes surfaces, c'est se rendre fragile.

Ce n'est pas si simple, je suis bien d'accord avec vous, mais l'objectif de l'agriculture biologique consiste à ménager les conditions au maximum pour obtenir une défense naturelle et autonome des plantes.

Dans le cas de la flavescence dorée, nous avons reçu de la part des services de l'État l’injonction de lutter de manière obligatoire contre cette maladie. Il s’en est suivi des décisions de justice ayant touché certains de mes collègues qui se sont opposés à cette lutte obligatoire. Quoi qu’il en soit, il s'agit bien de lutter contre une population qui inocule un virus, comme cela peut être le cas pour la jaunisse de la betterave. C’est aussi une question d'équilibre biologique. À chaque fois qu'il est possible de se passer d'une préparation pour essayer de défavoriser la population d'un insecte, nous faisons le maximum.

Le soufre s’entend en cas de maladie. Mais l’exposition d'une plante ou d'une culture à une maladie ne relève pas que de la malchance. J’espère que la recherche nous apportera des solutions, mais la maladie n’est pas une fatalité, même si le changement climatique réunit les conditions pour que la récolte soit anéantie. Néanmoins, la plupart du temps, il existe des leviers, par exemple le choix des espèces ou des cépages, la densité de plantation, la conduite même de la végétation. Dès que nous pourrons nous passer de la solution consistant à intervenir avec un produit, nous serons d'autant plus à l'aise pour nous-mêmes, pour l'environnement et pour le voisinage. Nous ne nous sommes jamais opposés à la question des zones de non-traitement. Évidemment que l’on continuera de produire dans les zones qui ne seront pas traitées.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous légitimez la labellisation de certaines productions d'agriculture biologique d'importation. Il existe quand même des différences de normes à respecter. Il n'y a pas d’harmonisation des normes relatives à l'agriculture biologique. Cela ne pose-t-il pas un problème quant à la crédibilité des productions vendues sous le label « agriculture biologique » ?

M. Philippe Camburet. La question des normes, c'est le sujet historique de la FNAB. La FNAB est un regroupement de producteurs venus de toute la France, dans toutes les productions, qui se sont dit il y a de cela quarante ans : « Finalement, nous travaillons un peu de la même manière. Ne pourrions-nous pas mettre sur le papier quelques principes ? » Au fur et à mesure, c'est devenu un premier cahier des charges national, ensuite étendu à l’Europe. Nous venons de démarrer le nouveau règlement européen.

Tout cela s'est construit au fur et à mesure et filière par filière. Par moments, nous entrons vraiment dans le détail. Pour la filière de l’élevage par exemple, nous nous posons de nombreuses questions très techniques, mais c'est valable partout. Nous sommes allés tellement loin qu'aujourd'hui que ce cahier des charges intéresse non seulement l’Europe, mais aussi d’autres zones du monde.

Depuis la dernière version, plusieurs pays ont adopté le cahier des charges européen, qui devient le standard de la production bio. Nous avons eu quelques exemples récemment du discrédit que certains veulent faire porter sur le bio de l'étranger, qui ne serait pas du vrai bio. En Europe, il n'y a pas de sujet, il n'y a pas de question. Les contrôleurs qui contrôlent les fermes bio européennes sont soumis à la même réglementation et se mettent en danger eux-mêmes si jamais ils s’écartent de ce qui est exigé. Le contrôle bio européen est uniformisé. Les cas de fraude au faux bio sont très ponctuels.

Par ailleurs, tout ce qui entre en Europe est identifié. Si les produits viennent d'un pays où l'on respecte le cahier des charges bio, on pourra mettre tout ce qui concerne la réglementation bio européenne de la même manière. Tout cela avance. Évidemment, ce n'est pas parfait, nous faisons avec ce que nous avons, nous ne sommes peut-être pas allés assez vite. En privilégiant le bio français et européen, nous nous exonérons de beaucoup de choses. Les cas susceptibles de soulever des doutes, la plupart du temps, se concentrent sur des filières qui sont quand même déjà éprouvées sur ce sujet-là et depuis longtemps.

La plupart du temps, une labellisation se fait également sur des critères d’ordre économique, garantissant le revenu des paysans par des filières d'équitabilité.

Quand le commerce équitable s'associe à la certification bio, nous profitons d’un engagement des producteurs et des filières. Il reste au consommateur à chercher l'information. S'il doute, il assume. Soit il achète, il ne se plaint pas et peut-être qu'il se sera fait avoir, soit il n'achète pas et il se reporte sur un produit un produit européen, qui ne sera peut-être pas exactement celui qu'il voulait. Une fois encore, le consommateur a aussi son rôle à jouer.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il serait très facile pour nous de vous dire que les collectivités doivent respecter les lois Egalim, voire les renforcent sur la part du bio dans les cantines scolaires. Nous avons auditionné le Syndicat national de la restauration collective, qui indique que le bio coûte plus cher. Les représentants de la filière du poulet nous ont montré un graphique assez intéressant : le poulet français est un peu plus cher que le poulet d'importation, mais la différence est bien moins importante entre le poulet français et le poulet d'importation qu’entre le poulet français conventionnel et le poulet sous signe de qualité ou en agriculture biologique. Il est difficile d'imposer à des collectivités, dont les ressources sont relativement limitées, une alimentation qui, de fait, est plus chère que l'alimentation conventionnelle. Cela devient un dilemme dans un contexte de restriction des finances publiques.

Comment faisons-nous pour arriver à accéder à une alimentation dont le mode de production fait qu'elle est plus chère que les autres ?

M. Philippe Camburet. Le ministère de l'agriculture s'est engagé il y a quelques mois à organiser une conférence des solutions sur la restauration collective. Celle-ci s'est tenue il y a quelques jours au ministère et j'y ai assisté. Les solutions existent. Nous ne pouvons même pas les qualifier d'expérimentales puisque certaines ont déjà été mises en œuvre il y a des années, dans des collectivités et des territoires de tailles très différentes. Nous ne sommes plus dans l'expérimentation mais dans la mise en œuvre, à ceci près que cette mise en œuvre se fonde seulement sur la sensibilité au sujet.

Il ne s’agit pas de sensibilité politique : cela arrive dans n'importe quelle collectivité, quelle que soit l'étiquette de la majorité en place. Cette sensibilité consiste à initier une véritable politique sur la restauration collective. Parfois, les rapports avec le concessionnaire de la restauration collective deviennent plus tendus, plus musclés, parce qu’au moment du renouvellement de l'engagement on impose des clauses plus rigoureuses et strictes.

On a vite fait de gagner des points dans la progression demandée par la loi Egalim. Parfois, cela passe par la reprise en régie, en fonctionnement interne avec une cuisine centrale. Dans ce cas, l’élu dispose de davantage de liberté pour orienter les choix d'approvisionnement.

C’est aussi une réorganisation de la préparation des aliments. Faut-il simplement se charger d’ouvrir des produits emballés et de les réchauffer ? Ou bien faut-il lancer un dialogue avec le producteur et lui exprimer ses besoins en produits bruts ? Quand on voit arriver le produit brut, que ce soit une pièce de viande, des fruits ou des légumes, on apprécie sa qualité et on anticipe la façon de le préparer. En se réappropriant ce métier de préparateur de restauration collective, on arrive à faire des économies, parce que les produits bruts sont moins chers, la plupart du temps, que des produits déjà transformés. On va mieux les valoriser, ce qui sous-entend moins de gaspillage à la préparation, mais aussi à la sortie du self. Les pesées qui sont faites le montrent assez régulièrement. On a moins de gaspillage parce qu'on aura mieux préparé et que la qualité gustative sera la plupart du temps au rendez-vous.

Ce levier est valable non seulement pour la restauration collective, mais aussi pour la restauration de la planète entière. Quand on dépense de l'argent dans des produits carnés, on ne peut le mettre dans autre chose. À l’inverse, quand on apporte un peu moins de produits carnés de meilleure qualité, tout sera consommé et on pourra prévoir d’autres repas à coût moindre.

Au regard de ces économies, de nombreuses collectivités n'ont connu que de très faibles augmentations des restes à charge aux familles. Car il faut également poser la question : devons-nous regarder le reste à charge imputé aux familles ou le budget global ? Le prix d'achat des matières premières dans le prix d'un repas n’est pas aussi élevé qu’on le pense par rapport à tout ce qui relève de la préparation et parfois au temps de garderie des enfants à l'issue du repas. Ce qui reste à payer aux familles apparaît très faible par rapport au coût d’un élève à nourrir à midi.

Grâce à une économie faite sur un autre poste budgétaire, on arrive largement à passer en bio. Je vous renvoie à la plateforme « ma cantine » mise en place par le ministère pour enregistrer les pratiques, même si elle n'est pas tout à fait au point. J'ai des remontées de collègues qui travaillent dans des plateformes physiques et logistiques de mise en relation commerciale entre producteurs et restaurants scolaires notamment. Les chiffres se veulent encourageants. On achète davantage de bio aujourd'hui pour la restauration collective, même si on est encore très loin de l'objectif. Les débouchés en bio sont dans la restauration collective. Nous sommes à l'aube d'une prise de conscience, d'une prise en main. Il faut vraiment s'attaquer au sujet pour ne pas rester plus longtemps dans cette aberration d’un objectif qui paraît ridicule par rapport à ce qu'on a réussi à faire. Tant dans le scolaire que dans le médico-social, les chiffres sont très encourageants. Il reste beaucoup à faire, mais nous aurons très bientôt la preuve que c'est bien sûr possible et que ce n'est pas une question de prix.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je suis moi-même conseiller municipal de l'opposition. Sans faire la publicité du maire de ma commune, toutes les solutions que vous avez évoquées – et qui ne sont pas propres au choix de faire du bio – sont déjà mises en œuvre par les mairies. On se pose déjà la question de savoir s'il faut reprendre en régie ou travailler des produits bruts. D'ailleurs, la Fédération nationale de la restauration collective nous a dit que ses adhérents travaillent déjà des produits bruts parce que c'est effectivement moins cher que les produits transformés. Tous ces efforts d'économie ont déjà été réalisés.

Je n'ai pas suivi la conférence des solutions, mais si les solutions sont celles-ci, j'ai bien peur que les maires disent qu'ils n'ont pas attendu ladite conférence pour les adopter !

Vous avez dit que vous ne vouliez pas que l’on jette le discrédit sur le bio en remettant en question le cahier des charges auquel étaient soumis d'autres pays en matière d’agriculture biologique. Ne pourrions-nous pas aussi nous dire que ce discrédit pourrait aussi vous servir ? L'agriculture biologique française est en concurrence avec des agricultures biologiques d'autres pays qui n'ont pas forcément les mêmes cahiers des charges ou les mêmes coûts de production. Défendez-vous auprès du ministère non seulement l'agriculture biologique, mais aussi l'agriculture biologique française ? Cette question rejoint le sujet de la souveraineté alimentaire.

Dans la mesure où la balance commerciale de l'agriculture biologique est largement déficitaire, la filière porte-t-elle ce message consistant à prioriser la production française par rapport aux importations ?

M. Philippe Camburet. Je vous parlais tout à l'heure de l'élevage porcin, où l’on privilégie l'autonomie, même si cela nous a coûté peut-être l'accès à certaines aides. Nous visons l'autonomie et peut-être même la souveraineté de décision dans nos fermes. Nous avons le souci de pouvoir, au plus vite et au plus près, résoudre des questions de dépendance ou d'approvisionnement auprès de tiers.

Cet état d’esprit, nous voudrions le voir repris par les transformateurs, qui peuvent faire jouer la concurrence entre différents producteurs et entre différents pays. Si la farine de blé bio française est trop chère, nous pouvons nous approvisionner en Allemagne, par exemple. Nous serons attentifs à ces aspects et nous regretterons les cas qui se produisent.

Globalement, nous essayons de répondre à la demande des consommateurs. Quand cette demande est insoutenable, nous avons tort d’entrer dans un système qui impose de toujours fournir ce que le consommateur veut. La question est de savoir sur quoi nous sommes éventuellement en concurrence. Finalement, est-ce une vraie concurrence ? C’est le climat qui fait la différence entre nos pays. Je rappelle que l'agriculture biologique essaie de s'adapter à ce que la nature permet et d'éviter le recours aux artifices. Le climat impose différentes variétés dans les espèces, impose même plusieurs espèces. Si le terrain n’est pas favorable à la viticulture, on cherche d'autres cultures. Si nous n’avons pas les espèces disponibles pour notre climat, nous en regardons d'autres, et si, dans une même espèce, les variétés sont différentes, nous pouvons toujours nous adapter.

L'idée est de répondre à une demande qui nous semble avoir du sens et de ne pas aller au-delà, parce que les artifices pour contourner la réalité de la nature et l'adaptation au climat ou aux éléments naturels n'ont rien à faire en agriculture biologique.

Cette logique qui privilégie le sol par rapport aux plantes l'emportera en permanence. Lorsque nous constatons une surproduction de blé, nous proposons évidemment notre blé à d'autres pays européens. C’est logique, mais ce n’est pas une logique de concurrence, plutôt une logique de complémentarité. Je préférerais qu'on ne produise que ce qui est nécessaire, notamment lorsque la consommation chute.

Inversement, quand on n'a pas suffisamment travaillé ces fameuses variétés qui s'adaptent au climat ou aux terroirs, quand on n'a pas suffisamment développé de conversions dans certaines zones, la France se retrouve dépendante d'autres pays. Nous le resterons encore longtemps. Notre souveraineté alimentaire dépendra de notre capacité à nous diversifier. Si nous sommes tellement déficitaires en fruits et légumes en France, c'est parce que nous nous sommes trop spécialisés dans les céréales, le porc et les bovins laitiers, par exemple. Pour moi, l'enjeu de la souveraineté alimentaire dépendra de la déspécialisation, donc la diversification.

Aujourd'hui, je vois d'un bon œil les plans pour la filière des fruits et légumes et pour celle des protéines végétales. Franchement, fanfaronner que nous sommes les premiers producteurs d'animaux alors que leur alimentation dépend à 80 % d'Amérique du Sud suscite des questions. Faut-il en être fier ? Je ne le crois pas. La souveraineté, dans ce cas, est nulle.

À l’inverse, quand nous sommes capables de mettre sur le marché des animaux dont l'alimentation vient des herbages, des céréales et des pâturages de nos territoires, nous pouvons en être fiers et considérer que nous avons regagné notre souveraineté. Peu importe le conflit en Ukraine, peu importe la fermeture du gazoduc qui fera qu'on n'aura plus d'engrais azotés pour notre blé, il n'y a pas de souci.

Il faut se reconcentrer sur nos vrais besoins, ne pas partir dans des besoins artificiels, standardisés, s'adapter à ce que la nature nous permet de faire. Là, je vois un vrai enjeu de souveraineté. Si, par moments, des partenariats – je ne parle pas de concurrence encore une fois – avec des pays voisins nous permettent de combler des besoins ponctuels, n’oublions pas que nous sommes en Europe. Mes collègues de tous les pays européens ont la même opinion que la mienne au sujet du Pacte vert. Le Pacte vert était valable pour toute l'Europe, il n'était pas à la carte, il n'était pas réservé à certaines zones.

C'est bien cette agriculture biologique que je voudrais pour l'Europe, une agriculture biologique localisée le plus possible, mais aussi basée sur des échanges dans la mesure où notre cahier des charges est européen et valable partout en Europe. Nous adoptons la même façon de penser et de travailler.

La séance s’achève à dix-huit heures dix.

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Grégoire de Fournas, M. Jordan Guitton, M. Charles Sitzenstuhl

Excusée. – Mme Anne-Laure Blin