Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les raisons
de la perte de souveraineté alimentaire de la France

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Biero, président de Lidl France, accompagné de M. François Bluet, directeur juridique, et de Mme Paula Osorio Seekatz, responsable des affaires publiques              2

– Présences en réunion.................................22


Mardi
7 mai 2024

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Charles Sitzenstuhl,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à seize heures trente.

La commission procède à l’audition de M. Michel Biero, président de Lidl France, accompagné de M. François Bluet, directeur juridique, et de Mme Paula Osorio Seekatz, responsable des affaires publiques.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous entamons notre cycle d’auditions des principales enseignes de la grande distribution, qui accueillent les flux majeurs par lesquels nos concitoyens s’approvisionnent en alimentation.

Nous commençons par le groupe Lidl, représenté par monsieur Michel Biero, président de Lidl France, accompagné de monsieur François Bluet, directeur juridique de Lidl et de madame Paola Osorio Zecatz, responsable des affaires publiques de Lidl.

Monsieur Biero, je vous laisserai dans quelques instants la parole pour un propos introductif qui vous permettra développer votre conception de la souveraineté alimentaire et plus largement, votre vision de l’état de l’agriculture française.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Biero, M. Bluet et Mme Paola Osorio Zecatz prêtent serment.)

M. Michel Biero, président de Lidl France. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, au nom de Lidl France, je vous remercie de me donner cette opportunité de m’exprimer sur la souveraineté alimentaire française, sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Lidl France, ce sont d’abord 46 000 collaborateurs, 1 600 supermarchés, 26 plateformes logistiques et près de 1 000 fournisseurs français, avec un fort ancrage territorial fort depuis plus de trente-cinq ans.

Je tiens d’emblée à démystifier le fait que nous nous inscrivions au sein d’un groupe international, car le groupe Schwartz porte très à cœur cette question de la souveraineté alimentaire française et européenne.

La première question que nous nous posons, en tant qu’enseigne Lidl, est celle du rôle d’un distributeur dans la définition de la souveraineté agricole. Notre fonction première est d’acheter des produits finis et de les revendre aux consommateurs finaux, et ce par une réflexion répondant au triptyque suivant : prix de vente, qualité et assortiment.

De fait, notre relation directe avec le monde agricole devrait être des plus réduites, puisque nous revendons essentiellement des produits transformés et manufacturés et que nous achetons auprès d’industriels, voire de grossistes pour certaines filières. Notre réflexion ne pourrait cependant se limiter de la sorte car nous sommes confrontés, qu’on le veuille ou non, aux difficultés et problèmes croissants du monde agricole et que notre capacité à agir sur notre triptyque prix-qualité-assortiment, comme notre capacité à assurer nos approvisionnements et la présence de produits dans nos linéaires, dépend directement de cette souveraineté.

C’est pourquoi, il y a maintenant plus de dix ans, nous avons amorcé une réflexion globale sur la filière achat de Lidl France. Cette réflexion est d’ailleurs soutenue par notre groupe qui, d’un côté, permet à Lidl France une grande – voire une totale – autonomie de gestion dans ses approvisionnements et dans le choix de sa stratégie d’adaptation au marché français et, de l’autre, apprécie et encourage notre engagement en faveur du monde agricole français. Cet engagement est notamment incarné par notre soutien au service de remplacement, notre partenariat avec Terres innovantes, un fonds de dotation initié par les Jeunes Agriculteurs, nos diverses initiatives pour le bien-être animal et nos contrats tripartites.

Depuis le 1er janvier 2024, j’ai l’honneur de présider Lidl France qui m’a tant apporté depuis vingt-trois ans, m’a permis de m’épanouir et m’a donné l’opportunité de mettre en œuvre ma vision personnelle, qui est de transformer notre relation avec le monde agricole. En tant que fils de choucroutiers alsaciens et gendre de céréaliers gersois, je me suis toujours indigné du constat que ceux qui nourrissent la population française ne peuvent vivre décemment de leur travail et eux-mêmes se nourrir.

Lidl France est donc résolument engagé dans la protection de la souveraineté alimentaire, ce que traduit la part significative de 73 % de nos produits fabriqués en France. En effet, la totalité de notre viande bovine, porcine et de notre lait provient de sources françaises. Sur l’ensemble de nos supermarchés, nous proposons à nos clients des produits d’origine France résultants de contrats négociés de manière transparente avec les acteurs de la chaîne alimentaire. Ces accords garantissent un prix équitable et rémunérateur pour les éleveurs, basé sur un prix de carcasse à 100 % d’équilibre et non sur des morceaux sélectionnés, comme c’est le cas de certains de nos concurrents.

Un élément essentiel, lorsqu’il s’agit de souveraineté alimentaire, est la transparence quant à l’origine. Nous y travaillons depuis plusieurs années et continuons de le faire dans le cadre de la démarche Origine-info, portée par la ministre Olivia Grégoire, de sorte que les consommateurs disposent de toute l’information nécessaire pour faire les choix favorisant la souveraineté alimentaire.

Les menaces qui pèsent sur la souveraineté alimentaire constituent un défi complexe mettant en péril la sécurité alimentaire de nos concitoyens et la viabilité de nos systèmes agricoles. Pour y faire face, notre groupe a mis en place des mesures significatives visant à protéger et à renforcer cette souveraineté. À cet égard, nous favorisons des pratiques vertueuses tout au long de notre chaîne d’approvisionnement, soutenons les agriculteurs français et encourageons les pratiques agricoles durables.

Par une collaboration étroite avec nos partenaires, nous œuvrons à promouvoir une agriculture respectueuse de l’environnement, à réduire notre empreinte écologique et à garantir des approvisionnements alimentaires stables et de qualité pour nos clients.

Malgré tous ces efforts, nous sommes bien conscients que des défis subsistent et nous estimons que leur résolution requiert une action collective et coordonnée de l’ensemble des acteurs de la société.

Je souhaite réaffirmer, devant cette commission d’enquête, l’engagement ferme de Lidl France, ainsi que mon engagement personnel, en faveur de la protection et du renforcement de notre souveraineté alimentaire. Nous assumons pleinement notre responsabilité en tant qu’acteurs majeurs de la chaîne alimentaire et nous nous engageons à poursuivre nos efforts pour garantir un avenir alimentaire plus sûr, durable et équitable.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Pourriez-vous expliquer concrètement aux députés que nous sommes, souvent profanes sur les sujets de la grande distribution, comment s’organisent les approvisionnements dans une enseigne comme la vôtre ? Comment un directeur de magasin travaille-t-il et comment choisit-il les fruits, les légumes et les viandes, autant de denrées qui concernent directement le monde agricole ?

M. Michel Biero. L’enseigne Lidl s’avère très atypique dans le monde de la grande distribution et très différente de ses concurrents en ce qui concerne sa procédure d’achat.

Lidl est une société à 100 % intégrée, c’est-à-dire que 95 % de nos magasins sont gérés en propre et que le reliquat est en location. Nous sommes présents dans trente-trois pays dont chacun a son propre siège social. Nous faisons partie du groupe Schwarz, un très gros industriel au niveau européen et l’un des plus gros recycleurs en Europe.

Le siège social français décide absolument de tout pour les 1 600 magasins du territoire. Les magasins sont rattachés à des entrepôts, à des directions régionales et aux vingt-six plateformes logistiques. Chacune de nos plateformes livre entre soixante et soixante-dix magasins.

En tant que patron des achats durant vingt ans, je décidais des produits et des prix pour les 1 600 magasins français, sachant que le prix est national et identique dans chaque enseigne. A contrario, les indépendants, même les plus importants, ne peuvent pratiquer un prix national, ce qui supposerait une entente. Notre centrale d’achat de Rungis achète l’intégralité des produits disponibles dans les 1 600 magasins.

La surface d’un magasin standard Lidl est de 1 400 m², les autres pouvant aller de 80 m² à 1 700 m². Nos trois niveaux d’assortiments varient selon la taille de magasins, soit une gamme S, une gamme M et une gamme L et une différence d’environ 400 produits entre la gamme S et la gamme L. Nous proposons une moyenne de 2 800 à 2 900 références par magasin, sachant que la disponibilité des produits locaux et régionaux diffère selon les régions. Pour nos approvisionnements en produits locaux, les directeurs régionaux nous proposent des listes non exhaustives et nous négocions avec les différents fournisseurs avant de référencer les produits dans une seule plateforme. Notre plus petit moyen de distribution est la plateforme qui couvre soixante magasins. Il m’est impossible de ne livrer qu’un seul magasin et j’ai autant de fournisseurs de salades que d’entrepôts de Lidl en France.

Voilà pour le fonctionnement.

Parmi ses 2 800 références, Lidl compte 90 % de marques de distributeur (MDD) et 10 % de marques nationales : l’entreprise Lidl est également créatrice de MDD.

Nous ne sommes pas particulièrement friands de marques nationales, pour ainsi dire, du fait de leur complexité en termes de négociation. Je souligne ici que la France est le seul pays au monde où une loi régit les négociations sur les marques nationales, tandis que les MDD sont négociées de façon simple, logique et contractuelle. Cette différence est très importante, dans la mesure où les marques nationales de nos concurrents représentent de 70 à 75 % de l’agroalimentaire en France. Le système est donc complètement centralisé sur les denrées alimentaires, à savoir les produits alimentaires transformés, les fruits, les légumes frais, les viandes, les charcuteries et les produits laitiers.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Quelle est votre logique d’achat sur lesdites denrées alimentaires ? Pourriez-vous également détailler les critères principaux opérants dans le choix de vos distributeurs : critères de prix, de disponibilité et de nationalité – d’abord français, ensuite européen et autres États ?

M. Michel Biero. Sur nos 2 900 références, 75 % des produits sont donc fabriqués en France, ce qui ne signifie pas qu’ils sont en « origine France ». Si je prends l’exemple d’un biscuit issu d’une célèbre biscuiterie bretonne, bien qu’il soit estampillé « origine France », la farine qui le compose peut provenir d’un autre pays.

Nous travaillons avec près de 1 000 petites et moyennes entreprises (PME) françaises. Lidl compte 12 000 magasins dans trente-trois pays d’Europe et aux États-Unis, si bien que 25 % de mon assortiment est négocié par Lidl international. Un shampoing, par exemple, est systématiquement négocié par Lidl international, tout simplement parce qu’un Grec utilise le même shampoing qu’un Hollandais ou un Français. Il reste que 75 % de nos produits sont négociés par Lidl France.

Les centrales d’achat de chaque pays négocient les produits pour leur marché local, ainsi que les nombreux produits locaux destinés à l’export, à l’image des 50 millions de bouteilles de vin français achetées par Lidl France et exclusivement destinées à l’export.

Comment choisissons-nous nos produits ?

Pour les fruits et légumes, je privilégie autant que possible les produits français. Si tel n’est pas le cas, c’est que la production n’existe pas en France – avocats, ananas, pomélos – ou dans des quantités insuffisantes. Par exemple, en 2022, après l’épisode de gel dans le bassin Rhône-Alpes, la plus grande partie de la production de cerises avait gelé et les quantités disponibles n’étaient plus suffisantes pour approvisionner nos 1 600 magasins. Je me suis alors efforcé d’en acheter un maximum pour fournir au moins le bassin de production et que les producteurs puissent effectivement constater que Lidl privilégie les cerises françaises. Il m’a toutefois fallu recourir à de la cerise turque pour approvisionner nos magasins de Bretagne, ce dont on m’a fait le procès, mais je l’assume totalement dans la mesure où je privilégie systématiquement les productions françaises.

C’est également le cas des produits frais et de notre lait à 100 % français. Si nous proposons une crème qui n’est effectivement pas française, mais allemande, c’est simplement parce que Lactalis ou Sodial nous disent qu’il n’y a pas suffisamment de crème en France.

En somme, notre politique est vraiment très simple et pragmatique. Autant que possible, je mets en rayon des produits français et je crois y parvenir plutôt bien. C’est un fait. Lidl est le seul distributeur proposant 100 % de pommes françaises, et ce douze mois sur douze.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Quel est le pourcentage global de fruits et légumes issus de producteurs français ?

M. Michel Biero. Je dirais qu’il se situe entre 80 % et 85 % en été et qu’il est de 50 % en plein mois de janvier. En hiver néanmoins, les choux-fleurs et les poireaux sont exclusivement français. Pour prendre l’exemple du melon, selon les mois de l’année et pour des raisons évidentes de disponibilité, je propose du melon de Guadeloupe (français donc), du melon marocain ou espagnol et dès que possible, je reviens sur du melon français.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Qu’en est-il des viandes ?

M. Michel Biero. Le bœuf et le porc sont 100 % français. La volaille, toujours pour des raisons de volumes disponibles, se situe entre 75 et 80 % de provenance française, le reste provenant d’Allemagne et dans une moindre mesure, du Danemark.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Merci de nous préciser ces ordres de grandeur, qu’il nous a parfois été difficile d’obtenir.

Pourriez-vous maintenant évoquer vos éventuelles difficultés d’approvisionnement sur des produits que les conditions climatiques permettent parfaitement de produire en France ?

M. Michel Biero. Je vous confirme d’emblée que ces difficultés existent et qu’elles risquent d’ailleurs de se multiplier, du fait que la souveraineté alimentaire française est en train de péricliter.

Tel est le cas des œufs. Lidl est le plus gros vendeur d’œufs en France, soit un milliard par an. En 2018, nous étions convenus avec nos dix fournisseurs de l’indexation du prix des œufs et depuis cette date, nous n’en négocions plus le prix, lequel est indexé sur le prix de l’aliment de la poule. Alors que nous nous étions engagés à prolonger jusqu’à 2025, nous ne pourrons malheureusement pas donner suite. La raison en est simple. Récemment, trois fournisseurs m’ont alerté d’importantes pertes de volumes et de ruptures consécutives dans leurs entrepôts, ce qu’une enseigne comme Lidl ne peut évidemment pas accepter. En toute transparence – car la transparence est dans mon ADN –, j’ai informé le Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO) que nous nous apprêtions à rentrer treize camions d’œufs polonais pour le marché français. Bien entendu, j’aurais privilégié un fournisseur français si le CNPO m’en avait trouvé un pour l’équivalent de treize camions et sans rediscuter du prix. En l’occurrence, les œufs polonais m’ont coûté plus cher, mais je n’ai pas modifié le prix en France pour ne surtout pas casser un marché.

C’est ainsi que nous fonctionnons, toujours en étroite relation et en totale transparence avec le monde agricole.

La situation sur la viande est plus stable, sans que je sois certain que cela puisse durer car la viande bovine, notamment, subit aujourd’hui une décapitalisation dramatique. Le très beau partenariat que nous avons avec l’entreprise Bigard nous permet de tenir, mais les frigos de Bigard, autrefois pleins à craquer, sont aujourd’hui plutôt vides. Outre Bigard, le plus important en volume, nous travaillons aussi avec Deveille, Tradival et beaucoup d’autres.

Si toutefois Bigard venait à faire défaut, plus de la moitié de mes magasins n’auraient plus de viande.

Les tomates sont un autre exemple. Lidl a pris l’engagement de privilégier la tomate française en été mais il est vrai que je propose en parallèle de la tomate cerise marocaine, ce qui m’est souvent reproché. C’est pourtant simple. Nous évoluons dans un monde concurrentiel féroce où mes concurrents proposent des tomates cerises marocaines à 90 centimes les 250 grammes. Je suis donc bien obligé de m’aligner, car pour ne pas l’avoir fait l’an dernier, Lidl a tout de même enregistré une perte de 700 000 clients. Je l’ai expliqué aux paysans concernés, toujours dans un souci de transparence et, en lien avec Les Paysans de Rougeline, nous avons tenté de proposer une barquette de 200 grammes pour baisser le prix affiché et rester compétitifs. Chacun peut néanmoins comprendre la difficulté lorsque le salaire d’un ouvrier marocain ne s’élève qu’à quelques euros de l’heure.

Si, d’un commun accord, tous les distributeurs décidaient de ne plus vendre de la tomate cerise marocaine, je signerais sur-le-champ. Je ne peux néanmoins être le seul à ne pas le faire et telle est l’exception à ma règle de privilégier les productions françaises.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Votre principe est, dites-vous, de toujours donner la priorité aux productions françaises. Vous arrive-t-il de déroger à ce principe pour d’autres produits que la tomate cerise ?

M. Michel Biero. Pour les fruits et légumes, nous n’y dérogeons pas. Pour les fromages, je propose effectivement une référence d’emmental dont le lait n’est pas français. Je l’assume d’ailleurs pleinement, dans la mesure où tous les premiers prix de mes concurrents utilisent des laits d’origine Union européenne (UE).

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Parvenez-vous à garantir l’origine française des produits transformés ?

M. Michel Biero. Concernant les produits transformés, il y a déjà quatre ans, j’ai interdit à mes acheteurs d’indiquer « origine UE » sur l’étiquetage, car les Jeunes Agriculteurs m’avaient expliqué – à raison – que « UE » n’était pas un pays. Par ailleurs, de 76 à 80 % des produits de charcuterie que nous vendons sont produits en France et pour le reliquat, le pays d’origine est toujours indiqué de manière explicite. Il arrive également qu’un même produit, comme une knack ou une tranche de jambon, provienne de quatre origines différentes et dans ce cas, l’étiquetage les précise toutes entre parenthèses, plutôt que d’indiquer « origine UE » comme le font nos concurrents.

Pour des produits très transformés, comme les plats cuisinés, dont la loi nous oblige à indiquer l’origine, il est vrai que je ne peux pas garantir une origine 100 % française. Bien que je propose des lasagnes composées d’un bœuf d’origine française, il me faut recourir à des lasagnes d’origine étrangère pour contrer les premiers prix de mes concurrents.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je prends acte de votre plus grand volontarisme en termes d’étiquetage. Ce faisant, vous initiez une démarche vertueuse et allez au-delà de la réglementation. Selon vous, ne faudrait-il pas généraliser cette démarche ? Quels seraient les points d’amélioration ou d’harmonisation à porter en matière d’étiquetage ?

M. Michel Biero. Nous avons concrètement travaillé en ce sens, avec Olivia Grégoire, dans le cadre de la démarche Origine-info et je me désole qu’une telle démarche ne fasse pas l’objet d’une loi assortie de sanctions. Il me faut, là encore, déplorer l’absence d’une volonté collective dans notre pays.

Comme je m’y suis engagé depuis déjà quelques années, nous travaillons à la mise en place d’un QR code grâce auquel le client pourra scanner n’importe quel produit pour en connaître très précisément l’origine. La transparence vis-à-vis du client me paraît essentielle, sachant que la mention d’une origine étrangère ne conduit aucunement à une diminution des ventes.

Je me bats donc pour une transparence à tous les niveaux. Encore faut-il légiférer, sans quoi rien ne se fera. Une nouvelle loi Egalim (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable), suffisamment solide – il y aurait beaucoup à dire des précédentes –, pourrait tout à fait encadrer la question.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je souhaiterais clore sur cette partie avant d’en venir aux lois Egalim.

Vous disiez avoir perdu quelque 700 000 clients en 2023 et, pour être parfaitement sincère, je ne suis pas certain que votre enseigne mérite le plus de reproches. Estimez-vous que votre démarche sur l’étiquetage, que je qualifierais de plutôt vertueuse, vous a fait décrocher par rapport au marché ?

M. Michel Biero. Absolument, et la perte de clientèle enregistrée en est la preuve.

Notre enseigne est largement reconnue pour son rapport qualité-prix, ce qui explique que nous ayons été leaders pendant près de trente-cinq ans. En face, vous avez des acteurs très agressifs sur les prix, souvent au détriment de nombreux aspects. Il est aussi vrai que le consommateur se montre souvent très patriote lorsque les tracteurs sont sur les autoroutes et beaucoup moins après qu’ils sont rentrés à la ferme. De surcroît, dans le contexte inflationniste que nous traversons, le client ne se positionne plus que sur le prix et rien d’autre.

Pour l’instant, je tiens « droit dans mes bottes » et je continuerai à défendre le monde agricole français, parce que j’en viens et que je l’estime crucial. Il s’agirait de ne pas devenir dépendant de poulets ukrainiens ou brésiliens, ce qui arrivera immanquablement si nous continuons comme ça. Il faut bien se rendre compte que certains concurrents choisissent de vendre un kilo de porc à 1,99 euro TTC, lorsque mon prix d’achat est de 5,50 euros et mon prix de vente de 6,29 euros. Dans ces conditions, il nous faut repartir sur une certaine agressivité en termes de prix, pour bien rappeler que Lidl restera Lidl. Depuis des années, j’ai toutefois démontré la possibilité de vendre à des prix très compétitifs, voire au meilleur rapport qualité-prix, tout en défendant à la fois le pouvoir d’achat des consommateurs et le revenu des éleveurs.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Si vos prix d’achat s’avèrent plus élevés que ceux de vos concurrents, comment expliquez-vous que Lidl France parvienne à se classer encore très correctement en termes de prix de vente aux consommateurs ?

M. Michel Biero. Il subsiste encore une marge entre le prix d’achat à l’éleveur, le prix d’achat à l’industriel et le prix de vente et il se trouve que Lidl parvient à vivre avec moins de marge que d’autres. C’est aussi simple que cela.

De plus, notre modèle est très différent. Lidl mobilise une moyenne de vingt personnes par magasin lorsque nos concurrents en mobilisent trois cents, voire davantage. Certains distributeurs ont des dépenses très supérieures et des sièges sociaux énormes. Notre modèle est quant à lui très optimisé, à l’image d’une chaîne d’approvisionnement particulièrement millimétrée, ce dont beaucoup rêveraient. Pour vous en rendre compte, je vous invite à visiter la centrale d’achat de Lidl, où vous seriez assurément les bienvenus tandis que d’autres ne s’y risqueraient pas.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Expliquez-vous cette différence de marge par la seule optimisation de vos process, par la standardisation de vos produits dont le nombre est comparativement plus limité – ce qui vous permet de réaliser des économies d’échelle – ou par le fait que vos concurrents adoptent une politique visant des marges plus importantes ?

M. Michel Biero. Les coûts d’exploitation de nos concurrents sont plus élevés que les nôtres. Il est cependant possible de vivre avec nettement moins de marge en réalisant davantage du volume et Lidl reste justement le plus gros vendeur de fruits et légumes, d’œufs, et le plus gros acheteur de vins en France.

Lidl est la seule enseigne présente au Salon de l’agriculture depuis dix ans, ce qui n’est pas si mal pour un « méchant hard discounter allemand ». Malgré tout, je ne suis pas un philanthrope. Je reste salarié d’une entreprise, d’un groupe familial qui attend de moi un résultat en fin d’année. Si l’on m’a confié la présidence, il y a trois mois, c’est aussi parce que j’ai su démontrer qu’il était possible de rémunérer correctement un éleveur tout en vivant de son métier de distributeur.

Le problème me paraît être que d’autres n’ont pas vraiment cette volonté. Pour aller plus loin, il est crucial que le législateur se positionne et qu’il le fasse de manière pertinente, sans accumuler des lois qui, in fine, ne changent pas la donne.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Dans plusieurs déclarations à la presse, vous avez opéré une distinction entre les prix planchers et les prix garantis. Pouvez-vous développer votre pensée devant cette commission ?

M. Michel Biero. Lors d’une rencontre avec le Premier ministre, quelques jours avant le Salon de l’agriculture, j’avais défendu l’idée que, pour calmer le monde agricole, il fallait parler de prix. La simplification, c’est bien, mais un paysan correctement rémunéré n’aurait rien contre le fait de remplir trois ou quatre paperasses en plus. Il importe surtout de parler de prix.

En 2018, lors de la loi Egalim, Lidl avait défendu trois ou quatre amendements auprès du même nombre de parlementaires. Ces amendements avaient alors été balayés d’un revers de la main au motif que M. Biero serait un cinglé et un électron libre, car je parlais déjà d’un prix minimum garanti à l’éleveur. Aujourd’hui, l’éleveur est le seul producteur dont on tolère qu’il vende à perte, ce que tout le monde sait mais dont personne ne semble avoir cure.

Le Président de la République a effectivement évoqué un « prix plancher », mais c’est d’un « prix minimum » que je parlais. Un prix minimum est un prix de référence basé sur des indicateurs de coûts de production parfaitement disponibles. Les coûts de production sont calculés mensuellement par toutes les interprofessions de ce pays, qui font un travail formidable.

Bien entendu, il existe presque autant de coûts de production que d’éleveurs laitiers en France, car les conditions varient autant dans le Nord que dans le Sud. Pourtant, le SMIC est le même sur tout le territoire national alors que le coût de la vie n’est pas le même entre Strasbourg et Paris. Arrêtons de dire constamment qu’il n’est pas possible de mettre en place un prix minimum alors que ce n’est qu’une question de volonté politique. Si l’on fixait un prix minimum à 46 centimes par exemple, il se pourrait qu’un éleveur en vive très bien et un autre un peu moins du fait des différences de conditions que j’évoquais à l’instant. C’est la vie. Il faudrait cependant interdire à tout premier acheteur – du distributeur à l’industriel – d’acheter en dessous de ce prix, à moins de prouver que l’éleveur couvre effectivement ses coûts de production. Tel n’est pas le cas aujourd’hui.

C’est pourquoi je continuerai de proposer ce que j’ai proposé en 2018, dans le cadre d’une loi Egalim 4 ou d’une éventuelle loi Egalim 25, lesquelles ne marcheront toujours pas tant que le Gouvernement n’envisagera pas de modifier la loi de modernisation de l’économie (LME). Je reste le seul à le dire, mais personne ne m’écoute. La LME construit le prix en marche arrière là où Egalim le construit en marche avant, si bien que ces deux lois sont, à mon sens, antinomiques et ne peuvent coexister. Je ne crois ni aux options 1, 2 et 3 de la LME ni au tiers de confiance. La LME accentue l’opacité et la loi Egalim vise à la transparence. Il revient finalement à un commissaire aux comptes (CAC) de confirmer les dires d’un client, ce que facilite grandement le fait que ce CAC soit rémunéré par ce même client.

M. François Bluet, directeur juridique de Lidl France. J’ajoute que le CAC raisonne parfois sur des prix de transfert et non sur des prix d’achat. Lorsque le fournisseur est lui-même une filiale d’un groupe international et qu’il achète au travers d’une de ses centrales d’achat située dans un autre pays, le tiers de confiance n’est plus à même de vérifier les factures transmises par la centrale d’achat à la filiale de distribution du fournisseur. Dont acte.

M. Michel Biero. Je précise mon propos sur la LME. Dans ce cadre, vous partez d’un tarif général qui « sort du chapeau ». Depuis vingt ans que j’achète des marques, je ne connais toujours pas la composition du tarif général. Pour prendre un exemple concret, sur ma plaque de jambon, le tarif général est de 20,27 euros au kilo, alors que j’achète la même plaque, issue du même fournisseur, à 7 euros en MDD. La première fois qu’on m’a demandé d’acheter des marques nationales, je me suis un peu gratté la tête, si je puis dire. Si je comprends bien qu’une marque nationale soit un peu plus chère pour amortir l’innovation et le marketing, je ne peux certainement pas la vendre à 11 euros quand je l’achète à 20 euros. On me propose alors de négocier à partir de ce tarif général et une telle négociation porte désormais sur des services, d’où la création de centrales internationales de négociation de services et non de produits.

Concrètement, si je propose un service de centralisation de la relation commerciale par lequel un seul acheteur prendra langue avec tous les industriels de marques nationales – en sorte de n’avoir qu’un seul interlocuteur –, on m’accorde une remise de 20 %. Idem pour un référencement-privilège, par lequel je m’engage à ne référencer qu’une des trois des marques nationales de jambon : on m’accorde une seconde remise, que je négocie à nouveau. De la même manière sur la logistique, Lidl ne commande que des palettes complètes, voire des camions complets, alors que d’autres enseignes se font plutôt livrer des colis. Une troisième remise m’est donc proposée pour ce faire.

En somme, cette série de remises revient à une déflation globale du tarif, qui initialement « sortait d’un chapeau » et suppose une succession de négociations de pourcentages complètement ahurissantes pour aboutir à un prix d’achat facturé n’ayant strictement rien à voir avec les réalités du monde agricole.

À ce stade, je me trouve donc avec un prix facturé à 12,50 euros par plaque de jambon. Ensuite, il me faut négocier de nouvelles ristournes conditionnelles. Je peux effectivement bénéficier d’une ristourne de coopération commerciale à condition de m’engager à ce que le produit figure dans mes prospectus quatre fois par an. Une autre ristourne, de quelques centimes, est possible si j’accepte le data sharing, très prisé bien en France, c’est-à-dire de communiquer à mon fournisseur les chiffres des ventes du jambon. Une dernière ristourne peut m’être accordée si je prends un engagement d’achat d’un certain volume d’une année sur l’autre. En bout de course, et seulement si j’ai été bon élève, toutes les ristournes me sont accordées et je paye mon jambon 11,50 euros, contre 7 euros en MDD.

Il faut enfin noter que la date de fin de négociation est fixée au 1er mars à minuit. Je ne vois pas qui a bien pu décréter une date, sachant que j’achète assez logiquement le vin en octobre, en fin des vendanges, et la farine entre septembre et octobre puisque les récoltes ont lieu en juillet-août. Mais peu importe, tout doit être négocié au 1er mars à minuit !

Avec la LME, je n’ai donc aucune connaissance du prix de la main-d’œuvre, du coût de l’énergie, du prix de l’emballage, pas plus de celui de la logistique. A contrario, la MDD m’offre de la transparence. Il faut savoir que cette décomposition du prix d’achat au travers de la LME n’existe qu’en France et se caractérise par un prix final établi dans l’opacité la plus totale.

A fortiori, le négociateur unique, situé en Belgique par exemple, ne me parle jamais du paysan qui élève le cochon qu’il vend. Tel n’est pas son problème. En revanche, il s’exprime de la manière la plus prolixe autour d’une succession de remises et de pourcentages de services. On marche sur la tête, au point que plus personne ne connaît le vrai prix des produits.

En conséquence, les marques nationales, soit 70 % de l’agroalimentaire en France, sont en moyenne de 15 à 25 % plus chères qu’en Italie, en Espagne ou en Allemagne, et ce pour des produits strictement identiques. Ce n’est sans doute pas grave, dès lors qu’on suppose que le consommateur français a bon dos…

M. François Bluet. Qui plus est, le tarif est indiqué par le fournisseur d’année en année et se trouve être systématiquement « en hausse technique », si bien que la négociation part de toujours plus haut. Bien que le Gouvernement et le législateur aient souhaité avancer les négociations commerciales annuelles dans l’objectif de rechercher de la déflation, les fournisseurs se présentent toujours avec des demandes d’augmentation de tarifs au nom de ces « hausses techniques ». Tel est l’effet pervers de la LME.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La LME avait justement été pensée pour lutter contre l’inflation. Vous nous expliquez donc que les prix seraient finalement plus élevés de par le manque de transparence sur les marques nationales.

M. Michel Biero. En effet, sachant que je parle surtout des multinationales et non des 22 000 PME, dont certaines proposent aussi de belles marques. Il reste qu’en France, 91 multinationales concentrent 75 % de marques nationales. Alors, je le dis et je l’assume, ces grandes multinationales ont clairement profité de l’inflation pour augmenter les prix. Je ne généralise pas à l’extrême, car je dirais que 10 % d’entre elles jouent encore la transparence et nous détaillent effectivement les raisons d’une hausse de 8 % par exemple.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Confirmez-vous avoir observé une hausse plus importante sur les marques nationales que sur les MDD ?

M. Michel Biero. Non, car c’est précisément l’inverse qui s’est produit. La hausse a été plus importante sur la MDD, car la marque nationale était tellement plus chère que la MDD pouvait bien augmenter, mais moins vite. Le vrai problème est qu’il n’existe aucune transparence sur les marques nationales – que je ne critique pas fondamentalement, d’autant que j’en consomme personnellement, mais à mon sens la LME est directement à l’origine de cette opacité.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Cette commission a prévu d’entendre M. Michel Barnier, ancien ministre de l’agriculture et ne manquera pas de l’interroger sur la LME.

M. François Bluet. J’ajoute qu’aucune évaluation de la LME n’a été réalisée depuis 2009. La seule tentative, qui date de 2016, a simplement consisté à vérifier l’effet anti-inflation à partir de données économiques issues de la période 2006-2010, soit une tentative pour le moins timide.

Un autre aspect d’opacité de la LME est la sanctuarisation de la matière première agricole. Sur un produit acheté à 100, on nous demande de sanctuariser 45 de matière première agricole, soit un principe que tout le monde a d’abord jugé intéressant. En tant que distributeurs, cependant, nous ne savons pas précisément ce que recouvre ce montant qui peut tout aussi bien rémunérer une matière première agricole achetée à perte. C’est à notre sens une des faiblesses de loi Egalim 2.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. D’autant qu’on ne peut pas savoir si ce qui a été préservé de la matière première agricole est réellement revenu à l’agriculteur.

Je retiens donc l’existence d’un désaccord entre les industriels et la grande distribution sur les raisons de l’inflation alimentaire, la grande distribution estimant que les industriels ont décuplé leurs marges et les industriels l’imputant plutôt à la grande distribution.

Vous disiez néanmoins qu’au moment de la crise, les industriels avaient fait montre d’une certaine capacité à amortir l’augmentation des coûts de production.

M. Michel Biero. En effet, mais encore une fois, je n’ai aucune transparence sur les marques nationales. Je prends un exemple concret. Mon fournisseur de camembert, qui nous fournit depuis vingt-sept ans, sait très précisément me prouver la réalité des différentes hausses qu’il a subies – prix du carton, de la barquette en bois, etc. Dès lors, je n’ai aucune difficulté à concéder l’augmentation consécutive du prix. Tel n’est pas le cas des marques nationales avec lesquelles la loi m’impose de négocier sur des services n’ayant rien à voir avec les coûts de production, de transformation, de logistique ou de packaging. Il n’y a absolument aucune transparence et on m’impose de négocier à partir d’un tarif général imposé et parfaitement opaque.

Dans le monde entier, tous les produits se négocient marque par marque, à l’instar de la MDD. En Espagne, où j’ai récemment géré les achats pendant quatre mois, les relations entre les industriels et les distributeurs sont beaucoup plus apaisées. Des discussions ont lieu, la transparence existe, à la différence de la France où c’est un constant jeu de dupes et où les conflits récurrents s’expliquent justement par l’absence de transparence et donc de confiance.

Je crois donc urgent de rétablir la confiance en réformant en profondeur la LME, a minima les descentes tarifaires que j’évoquais. En 2024, cette manière de procéder est tout simplement destructrice de valeur pour le monde agricole. Seuls les plus gros industriels parviennent à ne vivre que de produits agricoles, tandis que les paysans qui les fournissent n’en vivent pas et ne couvrent plus leurs coûts de production.

M. François Bluet. J’ajoute que la LME ne protège pas vraiment de l’inflation, ce que la séquence du 15 au 31 janvier a bien montré. L’ambition de baisser les prix ne s’est aucunement traduite dans les faits.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le temps qui nous est imparti ne nous permettra pas d’approfondir aujourd’hui le sujet de la LME, mais la commission aura largement l’occasion de faire.

Monsieur Biero, dans une déclaration du 26 janvier, vous indiquiez respecter à 100 % les lois Egalim alors que certains de vos concurrents ne pouvaient pas s’en prévaloir. Vous appeliez dans la foulée à davantage de contrôles. Pouvez-vous nous préciser sur quels points ?

M. Michel Biero. À cette date précise, nous étions en pleine crise agricole : des tracteurs étaient stationnés sur des ronds-points et circulaient sur des autoroutes. L’enseigne Lidl a très peu été impactée par les blocages et autres dégâts. J’y vois le fruit du travail de partenariat que nous menons depuis dix ans, en totale transparence, avec le monde agricole – FNSEA, Jeunes agriculteurs – et les différentes organisations professionnelles – Fédération nationale des producteurs de lait, Fédération nationale porcine, Fédération nationale bovine.

En outre, je vous confirme respecter à 100 % la loi Egalim. Le 26 janvier, j’avais en tête des concurrents qui ont vendu du cochon à 1,99 euro le kilo, début janvier, alors que le cadran de Plérin indiquait 1,98 euro. À ce prix, je ne vois pas comment quiconque serait en mesure de respecter la loi. Et quand bien même ce serait légalement possible, un tel tarif tirerait tout vers le bas et c’est forcément l’éleveur qui en subirait les conséquences. C’est du pur bon sens.

C’est justement la raison pour laquelle, dès 2018, nous nous étions inscrits en faveur d’un prix minimum de vente aux distributeurs. On ne peut plus continuer à vendre du lait à 70 centimes le litre. J’ai demandé qu’il soit inscrit dans la loi un prix minimum du lait à un euro, sachant pertinemment qu’il ne se vendrait pas un litre de moins, tout comme il ne se vendra pas moins de porc et de bœuf si nous interdisons les promotions sur ces produits. Toute volonté réelle de préserver la souveraineté alimentaire française devra emprunter ce chemin. Il n’est plus concevable de continuer à tuer de la valeur par des promotions complètement ahurissantes et au détriment de l’éleveur qui doit pouvoir vivre dignement.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Votre suggestion d’un prix minimum s’applique-t-elle aussi pour le vin ?

M. Michel Biero. Je n’y serais aucunement opposé, à condition que tout le monde joue le jeu. Quand on m’a attaqué sur la bouteille de bordeaux générique vendue à 1,89 euro, je l’ai entendu et accepté. Parallèlement, mes concurrents vendaient le même bordeaux à 1,69 euro, voire à 1,66 euro. Lidl évolue sur un marché concurrentiel et les solutions sont à définir tous ensemble. Je ne négocie pas sur le vin de Bordeaux. Il arrive aussi que l’on m’appelle à l’aide pour me dire que les cuves sont pleines et qu’il est urgent de les vider. Je m’y emploie et fixe un prix, de la même manière que pour les choux-fleurs par exemple. En cas de surproduction, je peux donc agir, mais il faut que tout le monde soit logé à la même enseigne.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je suis d’accord avec vous pour situer le problème au niveau du prix d’achat, mais je trouve quelque peu contradictoire de défendre un amendement visant à établir un prix minimum.

M. Michel Biero. Je défendais simplement la nécessité d’arrêter de détruire de la valeur, à l’image de mon exemple du porc vendu à 1,99 euro, ce qui m’avait profondément agacé. J’essaie de trouver des solutions pour sauvegarder la souveraineté alimentaire et pour ce faire, il me paraît fondamental de travailler de concert.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez mis en place des contrats tripartites qui ne sont pas forcément dans la loi. C’est une démarche assez volontariste. Pourriez-vous nous en expliquer l’intérêt et signez-vous ce type de contrats avec l’entreprise Bigard ?

M. Michel Biero. Nos contrats tripartites ont été introduits en 2015.

Pour rappel, en 2014, Lidl avait déploré plusieurs millions d’euros de dégâts dans ses magasins, du fait des agriculteurs qui exprimaient leur colère à juste titre. J’ai donc pris la décision d’aller vers le monde agricole et l’endroit idoine pour ce faire reste encore le Salon de l’agriculture. En 2015, j’ai rencontré Le Ch’ti Porc des Flandres, un groupement d’éleveurs qui envisageaient clairement d’en venir aux mains pour contester la présence de Lidl au Salon. De notre discussion est né le premier contrat tripartite.

Concrètement, je me suis engagé à leur payer le prix du kilo de cochon en sortie de ferme, soit 1,43 euro, contre les 1,05 euro qu’ils touchaient auparavant. Ensuite, nous avons recherché ensemble un industriel pour qu’il en assure la transformation. À cette époque, aucun industriel français n’a souhaité entrer dans la démarche, si bien que nous nous sommes tournés vers un industriel belge travaillant déjà avec Lidl. Depuis, chaque kilo de porc vendu par Lidl est issu de ce contrat tripartite et parfaitement transparent, y compris sur les barquettes précisant : « Né et élevé en Nord-Pas-de-Calais, abattu et transformé en Belgique ». L’entreprise Bigard a depuis accepté d’entrer dans la démarche et nous travaillons toujours, neuf ans après, avec Le Ch’ti Porc des Flandres.

Lidl fonctionne aujourd’hui par contrats tripartites sur le porc, le bœuf et le lait, qui sont les trois secteurs du monde de l’élevage les plus en difficulté. Toutefois, ces contrats ne représentent que 20 % de notre viande et 25 % de notre lait. Pour atteindre les 100 %, nous avons besoin de l’aide du législateur, notamment parce que les industriels choisissant d’entrer dans une démarche tripartite deviennent ipso facto prestataires de services, ce qui les pousse à davantage de transparence et n’est pas toujours de leur goût.

J’ai proposé aux parlementaires d’inscrire dans la loi, au moins un titre expérimental, une obligation faite aux distributeurs et industriels d’un minimum de 50 % de contrats tripartites pour leurs approvisionnements en viandes et en lait.

Un contrat tripartite est d’une simplicité enfantine. Lidl se met d’accord avec l’éleveur, l’industriel s’engage à rémunérer cet éleveur au prix convenu, puis nous – le distributeur – signons un contrat d’achat avec l’industriel, si bien que l’éleveur est toujours protégé. Il ne manque qu’une réelle volonté politique d’inscrire les contrats tripartites dans la loi pour obtenir la protection des éleveurs en toutes circonstances.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Une ordonnance émanant de l’article 17 de la loi Egalim 1, basée sur l’article 412-7 du Code du commerce, interdit de faire pratiquer des prix abusivement bas, lesquels s’estiment par des indicateurs de coûts de production. Une décision concernant un viticulteur a récemment été rendue en ce sens par le tribunal de commerce de Bordeaux. Avez-vous souvenir de cette disposition qui s’apparente au prix minimum que vous défendez ?

M. François Bluet. Nous avons évidemment connaissance de cette disposition, dont je trouve qu’elle devrait servir de garde-fou dans la fixation du prix au niveau du contrat de premier achat. Ce garde-fou pourrait être le premier maillon de la chaîne de valeur.

J’appelle néanmoins votre attention sur le fait que le temps judiciaire n’est pas celui de la grande distribution. En l’espèce, bien qu’on ne puisse que se féliciter de la ténacité de ce viticulteur, il faut généralement compter trois ou quatre ans pour avoir gain de cause.

Sur ce sujet, je vous renvoie à une circulaire de 1984, signée par le ministre Jacques Delors, qui s’avère particulièrement intéressante sur la transparence tarifaire et les relations commerciales, en plus de poser les principes et les garde-fous relativement aux prix abusivement bas. Vous pourriez tout à fait, encore aujourd’hui, vous inspirer de cette circulaire dont l’avantage est d’énoncer des principes très concrets, sans souffrir de la complexité caractérisant la loi Galan ou la LME.

M. Michel Biero. En 2018, j’ai parlé longuement du prix abusivement bas, au point que les parlementaires ont soutenu l’amendement que j’avais proposé. Le prix minimum de vente visait précisément à proscrire les prix abusivement bas. Pour reprendre mon exemple du cochon, un prix de 1,99 euro le kilo est « abusivement bas ». Il est impossible de rester dans la légalité en achetant à un tel prix, dans lequel il faut inclure la TVA et les 10 % d’Egalim.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez donc le souvenir de cette disposition de la loi Egalim 1 et avez précisé la complexité de la faire appliquer sur le plan judiciaire. Sa simple existence traduit néanmoins la volonté du législateur d’élargir la notion de prix abusivement bas aux productions alimentaires, le problème étant que personne n’a eu la volonté de l’appliquer.

M. François Bluet. Le problème est surtout que la loi n’est pas contraignante et ne prévoit aucune sanction. Une loi Egalim 4 qui introduirait des contraintes réelles et des sanctions significatives obtiendrait un résultat bien meilleur.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La sanction reste tout de même de combler la différence entre le prix abusivement bas et l’indicateur des coûts de production, ce qui peut représenter des centaines de milliers d’euros.

M. François Bluet. Certes, mais au prix d’efforts considérables. Il faut d’abord se résoudre à ester en justice, puis faire la démonstration de la faute résultant d’un prix abusivement bas – et ce en adoptant une approche économique –, soit un travail assez élaboré demandant plusieurs années, car la procédure ordinaire peut s’étendre sur trois ou quatre ans et la décision de première instance fera certainement l’objet d’un appel. Une législation plus appropriée éviterait un tel parcours au viticulteur que vous mentionnez.

Je prends un autre exemple. Le tiers de confiance, introduit par Egalim 2, se situe actuellement entre l’industriel et le distributeur, alors que sa vraie place devrait être au niveau du contrat de premier achat, lequel amorce tout. Un tiers de confiance ainsi positionné s’assurerait que l’acheteur est en capacité de démontrer qu’il a fait un achat responsable. On peut bien sanctuariser la matière première agricole, encore faut-il s’assurer de rémunérer justement le monde agricole.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Je tenais d’abord à vous remercier de votre franc-parler et des propositions concrètes que vous nous avez énoncées.

Quels sont vos contacts réguliers avec la filière bovine, aussi bien ses intermédiaires que ses producteurs ? Cette filière est souvent très partagée sur le sujet de la LME et se montre quelque peu réticente à l’idée d’un prix minimum garanti, tout comme à celle d’une plus grande transparence. Il est parfois reproché aux élus de ne pas faire suffisamment avec les acteurs de terrain, mais lorsque nous entreprenons de travailler avec les filières, nous éprouvons certaines difficultés tenant à la complexité des rapports entre les producteurs et les intermédiaires.

Vous disiez par ailleurs que l’entreprise Bigard peinerait bientôt à trouver des carcasses, mais compte tenu de la décapitalisation, je me demande si M. Bigard n’a pas une certaine responsabilité dans cette situation. Quel est votre avis sur le sujet ?

Je partage largement vos propositions sur la nécessité de parler davantage de qualité, de label et de transparence et d’aller plus loin sur Egalim, peut-être en remettant en cause la logique de la LME. La LME a peut-être visé à répondre, à un moment donné, à une forme de méfiance vis-à-vis des distributeurs et à des logiques inflationnistes, ce qui ne correspond plus forcément à la situation actuelle.

Je voulais donc savoir quelles étaient vos relations avec la filière de l’élevage et la manière dont vous percevez les jeux d’acteurs qui la caractérisent.

M. Michel Biero. C’est une très bonne question. Il existe d’indéniables jeux d’acteurs et beaucoup ne veulent pas réellement de transparence.

Mes relations avec la filière bovine sont avant tout excellentes avec le monde des éleveurs, dont je considère qu’il est le maillon essentiel. Si je ne connais évidemment pas l’intégralité des 400 000 paysans de France, ne pesant 8 % du marché, j’en connais un certain nombre et ceux-ci ont tous mon numéro de mobile. Je pense notamment à un jeune éleveur de vingt-deux ans ayant repris la ferme de son père pour se consacrer à un élevage de charolaises sous label. Je lui tire mon chapeau pour avoir fait ce choix, tout en étant attristé qu’il me dise devoir vivre chez son père et être dans l’impossibilité de s’installer avec sa compagne. Je me bats pour tous ces gens, pour le travail qu’ils ont choisi et pour la qualité des produits qu’ils nous vendent.

J’ai de très bonnes relations avec le nouveau président de la Fédération nationale bovine, Patrick Bénézit. Je connais très bien son prédécesseur, Bruno Dufayet, avec qui nous avions proposé le « rémunérascore » à Jean Castex. Le rémunérascore était une idée de Lidl, justement pour tenter de tirer l’ensemble vers le haut. Pour quel résultat ? Un énorme flop. Personne ne l’a mis en place. Je suis aujourd’hui le seul à appliquer le rémunérascore sur toutes nos viandes en tripartite et ce faisant, je n’en vends pas moins. J’en reviens toujours à l’importance de la transparence que je crois vraiment nécessaire d’inscrire dans la loi.

Outre les éleveurs, je n’ai aucun problème avec le monde syndical.

Enfin, je n’ai pas davantage de problèmes avec les industriels, même si je dois composer davantage avec eux. Les choses se passent très bien avec M. Bigard et je dois bien admettre que sans Bigard – que les éleveurs me demandent constamment d’écarter –, près de trois quarts de mes magasins n’auraient plus de viande en rayon. Il en va de même avec Lactalis, sans lequel la moitié de mes magasins n’auraient plus de lait et l’autre moitié ni fromages ni yaourts. Il me faut donc composer avec ces acteurs. Lactalis, en l’occurrence, se refuse à signer des contrats tripartites.

Lidl s’engage contractuellement avec Sodial sur le prix du lait, à 490 euros pour 1 000 litres. Cette année, M. Damien Lacombe m’a demandé de monter à 500 euros, ce qu’il m’a fallu refuser. Il m’a immédiatement prévenu qu’il allait avertir les éleveurs du fait que, selon lui, je ne respecterais plus la loi Egalim, ce qui est faux. Si tous les paysans laitiers étaient rémunérés 490 euros pour 1 000 litres, croyez bien qu’ils en seraient très heureux. Aujourd’hui, je paye donc 490 euros pour un volume global de 260 millions de litres, sachant que le paysan est payé 442 euros. Cela fait cinq ans que je demande à Sodial d’ajouter une ligne sur la paie de lait et d’écrire explicitement que Lidl paye 490 euros du mille, pour un prix de base de 38,32 euros et un volume total de 260 millions de litres. On me le refuse constamment au motif qu’il s’agirait de discrimination négative. Dès lors, veut-on réellement sauver le monde agricole ou ne rien faire ? Le paysan n’est assurément pas stupide et sait très bien calculer. S’il connaissait le prix que Lidl paye, il pourrait tout à fait le comparer avec ce que pratiquent les autres. Ce n’est pas de la « discrimination », pas plus que de la dénonciation, mais juste de la transparence, ce dont notre pays manque cruellement.

Je serais tout à fait ouvert à des contrats tripartites avec le monde bovin, ce qui est actuellement le cas pour 20 %.

Il y a six ans, j’ai fixé trois gammes : la laitière de réforme, la charolaise et les races à viande. La laitière de réforme représente 60 % de mon business et pour cause, il n’existe aucune transparence et je ne sais pas ce qui se pratique derrière. Ensuite, 1 600 magasins Lidl vendent de la charolaise – sept pièces –, mais sans contrat tripartite.

Lorsque j’invite à introduire de la tripartite, on me répond toujours par la négative au motif qu’elle serait trop compliquée et que je ne serais plus à l’équilibre, mais je ne suis pas d’accord. On pourrait très bien faire de la tripartite et décider de payer une plus-value de 20 ou de 30 centimes au kilo. En 2024, je pense qu’un pays comme France sait parfaitement tracer les viandes vendues au kilo près et j’ose espérer que les industriels savent de quel élevage et de quelle bête provient chaque kilo. Il suffirait donc d’injecter de la plus-value et si je ne suis finalement pas à l’équilibre, qu’à cela ne tienne.

Enfin, sur les races à viande, je propose de la charolaise label avec Tradival, de la blanche d’Aquitaine, de la normande en race mixte et de la limousine. Là, je m’engage sur 100 % de l’équilibre matière et je paye ce que me demande l’éleveur. Les industriels s’engagent uniquement à suivre sur ces races à viande, qui représentent à peine 20 % de mes approvisionnements.

J’ai donc besoin d’une volonté du législateur pour inscrire les tripartites dans la loi. Faisons-le, même de façon expérimentale, sur le porc, le bœuf et le lait et vous verrez que tout ira beaucoup mieux !

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Les Françaises et Français ont bien conscience du drame de nos agriculteurs, en particulier de l’incapacité des éleveurs à vivre de leur métier, tout comme le constatent des élus de toutes échelles. Lorsque le débat politique et médiatique s’installe, on nous explique que tout cela est très complexe, que nous ne serions pas à même d’en saisir les tenants et aboutissants et qu’il conviendrait de laisser les professionnels aviser. Les lois se succèdent, les années passent, des éleveurs font évidemment faillite, lorsque des drames bien pires ne sont pas à déplorer. Pourtant, votre audition de ce jour nous porte à croire que tout est finalement très simple. Le bon sens de nos concitoyens et des élus est donc bien réel et non contredit par une supposée complexité économique et administrative.

Ma question est simple : si l’intention est bien d’honorer le travail de ceux qui nous nourrissent, pourquoi les législateurs des différents partis politiques n’y parviennent-ils pas depuis tant d’années ?

M. Michel Biero. Je vous confirme d’abord ma conviction que le sujet est simple. Du moins, il pourrait l’être, mais notre pays a cette tendance à tout complexifier par des lois. Nous sommes les champions du monde des lois. On édicte des lois en tous sens, essentiellement sous l’influence de lobbies plus puissants que tout. Pourquoi personne ne m’écoute-t-il sur la LME ? Parce que différents lobbies, aussi bien du côté des industriels que des distributeurs, en tirent de grands intérêts et ne veulent surtout pas que cette loi disparaisse.

Comme je le démontre depuis maintenant neuf ans, un contrat tripartite ne tient que sur trois pages, contre 480 pages pour un contrat LME – et une armée de juristes pour le rédiger. Voilà qui illustre la conception française de la simplicité. Pourquoi cherche-t-on à complexifier ? Le seul but est, me semble-t-il, de cacher et contourner. Nous sommes le seul pays au monde où une loi régit la négociation de produits alimentaires. C’est insensé !

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Merci de cette réponse des plus claires. En début d’audition, vous évoquiez l’entente possible de certains indépendants sur les prix. Vous êtes pourtant une centrale d’achat et un acteur dont le pouvoir de marché est infiniment supérieur à celui des indépendants, pouvoir que j’estime d’ailleurs exorbitant. Selon vous, la grande distribution en France et ses centrales d’achat se trouvent-elles en situation oligopolistique ?

M. Michel Biero. On dit souvent qu’il n’existe que dix ou douze distributeurs en France et qu’ils en tireraient de facto un pouvoir. Le paysage français de la distribution est pourtant similaire à celui du reste de l’Europe. Le nombre d’acteurs est même inférieur dans certains pays et cela fonctionne. Avec mes 8 % de parts de marché, je ne me sens aucunement en position de force pour peser sur certaines des entreprises avec lesquelles je suis forcé de travailler. Ensuite, on peut toujours discuter du prix et négocier. Si, demain, je n’avais plus de fournisseurs, il ne me resterait qu’à fermer mes magasins. Il faut donc arrêter de croire que nous voulons tuer les fournisseurs. J’ai tout simplement besoin de produits à vendre.

Le problème actuel n’est pas le prix, mais les volumes. Récemment, le prix du beurre a explosé et les distributeurs qui n’ont pas voulu suivre n’ont pas reçu de beurre. C’est aussi simple que cela.

Lidl est le plus grand vendeur de fruits et légumes et je pense que si vous les interrogiez, tous les producteurs avec lesquels nous travaillons vous diraient que nous n’avons aucun problème. Chacun doit pouvoir vivre.

Je ne suis pas d’accord pour dire que les distributeurs ont les pleins pouvoirs, comparativement à des multinationales comme Coca-Cola ou Danone qui gèrent 70 % de l’agroalimentaire en France.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Mon intention n’est aucunement de faire un quelconque procès, mais de comprendre. La situation oligopolistique n’est pas un crime mais une situation économique ayant des conséquences en termes de pouvoir de marché. Lors du débat sur la loi Descrozaille, j’ai également parlé du pouvoir exorbitant des multinationales de l’agroalimentaire.

Vous parliez de lobbies. Qu’incluez-vous dans ce terme ? En français, les lobbies peuvent aussi bien être des représentants d’intérêts que des ONG mais, dans l’acception commune, les lobbies sont conçus comme des acteurs nocifs en ce qu’ils défendent des intérêts particuliers contre l’intérêt général. Selon vous, qui serait responsable de cette situation ?

M. Michel Biero. Je crois que cette commission auditionnera le puissant ILEC (Institut de liaisons des entreprises de consommation), qui regroupe tout de même quatre-vingt-onze multinationales. L’ILEC compte assurément parmi les nombreux lobbies français et je n’en dirai pas davantage. Vous pourrez leur demander pour quelles raisons ils s’opposent au dépoussiérage de la LME.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous pouvez compter sur nous pour poser la question – en tout cas sur moi…

Vous parliez des autres pays européens, mais chacun a sa propre histoire économique. Il se trouve qu’en France, le ministère de l’économie est particulièrement puissant, ce qui résulte du soutien global de la population française à une intervention active de l’État dans les affaires économiques. Sachant qu’il existe, depuis la Libération, un consensus chez la quasi-totalité des familles politiques représentées au Parlement, comment expliquez-vous la situation actuelle ? Ne faut-il pas en déduire qu’il existerait des pratiques nocives favorisant volontairement ce déséquilibre, avec la complicité, l’incompétence ou l’indifférence de l’État ? Je vous laisse le choix des mots pour définir la situation de blocage que nous vivons, qui perdure depuis trop longtemps et qui se trouve être incompréhensible par les Français.

M. Michel Biero. Je serai très prudent dans ma réponse, car je suis enregistré et sous serment.

Vous dites que Bercy est très puissant et je vous rejoins sur ce point. Toutefois, je ne voudrais pas être à leur place et me retrouver entre le marteau et l’enclume. D’un côté, Roland Lescure défend l’industrie, de l’autre, Olivia Grégoire défend le commerce, si bien qu’ils se trouvent en confrontation permanente au sein d’un unique ministère. Le ministère de l’économie ne souhaite pas davantage réformer la LME et Dieu sait que j’ai essayé de pousser l’idée ! Sans en demander la suppression, je pense vraiment qu’il faut changer quelque chose car cela ne peut plus continuer.

M. François Bluet. J’ajoute que la LME date de 2008 et qu’aucun travail de réévaluation n’a été effectué à ce jour. Entre-temps, le monde et les divers intérêts ont pourtant évolué. Il conviendrait de savoir si cette loi a réellement atteint les objectifs de l’époque et si elle répond aux objectifs actuels. Un tel dispositif, très spécifique à la France, impliquerait forcément ce type de réévaluation.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Estimez-vous par ailleurs que la publicité de la grande distribution et des grands industriels, sous diverses formes, joue un rôle dans la liberté de parole et la manière d’aborder ces sujets ? Vous-même avez mentionné la LME dans certains médias, lesquels ont bien tenté d’allumer la flamme, si je puis dire. Selon vous, quel est le rôle de la publicité dans ce débat ?

En outre, estimez-vous les marges des multinationales de l’agroalimentaire exorbitantes en comparaison des autres acteurs du marché ?

M. Michel Biero. Concernant la publicité, ce n’est pas un secret, Lidl est l’un des plus grands annonceurs en France. Ensuite, c’est parfaitement maîtrisé. La publicité représente un pourcentage annuel de mon chiffre d’affaires, qui n’a d’ailleurs pas bougé depuis longtemps. Je suis effectivement sollicité par des médias divers et variés et j’y développe mes idées avec la même sincérité et la même passion que je le fais aujourd’hui. J’ai notamment dénoncé l’aberration de la situation actuelle devant les caméras de BFM TV. Ensuite, aucun média ne m’a sollicité sur quoi que ce soit. Je pense également que le sujet de la LME n’est pas forcément connu de la plupart des médias, comme de 99 % des Français au demeurant. J’essaie d’être le plus pédagogue possible, mais ce n’est pas facile.

Concernant les marges, les diverses publications de résultats montrent bien que les marges des multinationales n’ont rien de comparable à celles de la grande distribution. Les premières sont nettement plus élevées que les secondes, mais les volumes ne sont assurément pas les mêmes.

Je le répète et je l’assume, je pense que nombreuses multinationales ont fait leurs choux gras de l’inflation. Ces paroles ne tiennent qu’à moi, sachant qu’il serait bien difficile de les confirmer, justement du fait de l’absence de transparence et de l’opacité que je dénonce.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Les PME de l’agroalimentaire nous expliquent que les MDD ne servent qu’à amortir leurs coûts de production et qu’elles réalisent finalement leurs marges sur les marques nationales. Cela ne vient-il pas nuancer votre propos ?

Par ailleurs, la filière tomate-concombre, que nous avons auditionnée, nous expliquait que, dans la péréquation des marges, leurs marges étaient plus importantes sur la tomate française que sur la tomate marocaine, cette dernière jouant un rôle de produit d’appel. Cette pratique est-elle également répandue chez Lidl ? Estimez-vous qu’un travail serait nécessaire sur cet aspect ?

M. Michel Biero. Je vous répondrai qu’il ne faut surtout pas comparer une PME proposant une marque nationale avec une multinationale, car c’est proprement incomparable. Je suis pour la défense des 22 000 PME et ETI françaises, car nous en avons besoin. Je viens d’ailleurs de signer un très beau partenariat avec M. Prunier. Par contre, je ne signerai aucun partenariat avec la grande organisation dont j’ai parlé plus haut, car je n’en vois pas l’intérêt.

Au global, je travaille avec quinze ou vingt marques de PME. Il est d’ailleurs très facile de discuter avec les marques issues de PME françaises, avec lesquelles nous parvenons très souvent à des accords. Vous avez raison, sur une MDD, les volumes sont tellement importants qu’ils permettent aux PME de couvrir leurs coûts et de faire tourner l’outil le plus possible pour couvrir leurs charges.

Concernant les tomates, Lidl évolue effectivement sur un marché très concurrentiel. Hormis les tomates, je dois dire que je vois toutes sortes d’aberrations avec le bio. Encore récemment, un producteur que je connais bien a vendu du chou-fleur à un confrère pour 25 centimes la pièce et la même semaine, ce même confrère a revendu ce chou-fleur à 4,09 euros. Cela s’appelle de la « péréquation de marge ». Un acheteur Lidl qui s’y risquerait serait congédié séance tenante.

Nous avons évidemment des objectifs et, encore une fois, je ne suis pas un philanthrope. Il n’est toutefois pas acceptable de vendre à des prix complètement ahurissants, or c’est bel et bien ce que d’autres font. On a beau expliquer que, sans Egalim, il serait possible de vivre en dessous de 10 % de marge, aucun distributeur ne réalise 10 % de marge et il serait parfaitement mensonger de l’affirmer.

Donc, des péréquations de marges se pratiquent sur 40 000 ou 50 000 références et j’imagine que les marges de certains produits explosent littéralement, ce qui me dérange en particulier pour les fruits et légumes, un peu moins pour une crème pour la peau par exemple.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Ma question n’était pas vraiment celle de la péréquation des marges. En important des productions à bas coût pour pratiquer des prix d’appel, on finit par privilégier l’importation au détriment de la production française. Sans remettre en question le principe de la péréquation des marges, que je crois assez indispensable, une réflexion n’est-elle pas à mener sur le sujet ?

M. Michel Biero. Veuillez alors m’excuser pour l’imprécision de ma réponse.

S’agissant de la tomate marocaine, en lien avec un fournisseur français, nous essayons de voir comment contrer ce qui se pratique. Concrètement, plutôt que de proposer des barquettes de 250 grammes, l’idée serait de les réduire à 150 grammes de manière à réduire le prix facial et inciter le consommateur à s’orienter vers le produit. Pour ma part, je vends effectivement des barquettes de tomates marocaines à 99 centimes d’euros, simplement parce que 100 % de mes concurrents pratiquent le même prix. Mon but n’est aucunement de mettre en avant la tomate marocaine et je n’aurais aucun problème à arrêter de le faire. Pour tout vous dire, je ne suis vraiment pas fier de vendre de la tomate marocaine pendant la pleine saison des tomates en France, mais une fois encore, j’évolue dans un marché très concurrentiel.

Je tiens enfin à évoquer devant cette commission un point essentiel à la souveraineté alimentaire. La loi Egalim a tout de même eu le mérite de changer les états d’esprit. Je ne suis donc pas entièrement négatif sur cette loi et si je peux aider le législateur sur Egalim 4, je m’y emploierai avec grand plaisir. Nous avons plusieurs idées que nous avons en partie partagées avec votre commission.

Bien qu’étant issu du monde agricole, je n’ai découvert que très récemment l’existence d’un service de remplacement. Désormais, ce ne seront plus uniquement des fils et des filles de paysans qui reprendront les fermes. Les nouvelles générations, notamment issues des villes, n’ont plus envie de travailler sept jours sur sept et elles défendront plus ardemment leur temps libre – vacances, congé de maternité, etc. Le service de remplacement sert à cela, sachant la réticence d’un paysan à confier les clés de sa ferme à des « intérimaires ».

Depuis maintenant cinq ans, sur le fruit des ventes de produits français réalisées au Salon de l’agriculture, Lidl reverse au service de remplacement des enveloppes allant de 200 000 à 300 000 euros. Une goutte d’eau, certes, mais nous tenons à mettre en avant ce service. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas l’inscrire dans Egalim 4 ? Aujourd’hui, plus de la moitié des paysans français ont plus de cinquante ans. Pour qu’une souveraineté alimentaire soit possible, il importe que les fermes continuent de vivre. À mon sens, le service de remplacement est une des clés de la réponse à la souveraineté alimentaire et au renouvellement nécessaire des générations de paysans.

 

La séance s’achève à dix-huit heures vingt.

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Grégoire de Fournas, Mme Joëlle Mélin, M. Serge Muller, M. Rémy Rebeyrotte, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy