Compte rendu
Commission spéciale
chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement
des malades et de la fin de vie
– Table ronde réunissant le Dr François Arnault, président, et Mme Julie Laubard, directrice adjointe des services juridiques du Conseil national de l’Ordre des médecins, le Dr Carine Wolf‑Thal, présidente, et Mme Caroline Lhopiteau, directrice générale du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, Mmes Sylvaine Maziere-Tauran, présidente, et Soumay Majeri, responsable des affaires juridiques du Conseil national de l'Ordre des infirmiers 2
– Présences en réunion.................................12
Mardi
23 avril 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 4
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo,
présidente
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La réunion commence à neuf heures trente.
La commission spéciale auditionne, dans le cadre d’une table ronde avec les ordres des professionnels de santé, le Dr François Arnault, président, et Mme Julie Laubard, directrice adjointe des services juridiques du Conseil national de l’Ordre des médecins, le Dr. Carine Wolf-Thal, présidente, et Caroline Lhopiteau, directrice générale du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, Mmes Sylvaine Mazière-Tauran, présidente, et Soumay Majeri, responsable des affaires juridiques du Conseil national de l'Ordre des infirmiers
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous accueillons les représentants des ordres des professions médicales afin de recueillir leur sentiment sur le projet de loi.
Dr François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins. L’Ordre des médecins a constaté que le débat sur la fin de vie répondait à une forte attente de la société française. Nous avons donc entamé une réflexion sur le sujet en 2022, notamment sur la base d’une enquête interne. La rédaction initiale du projet de loi comporte quelques points de divergence avec le produit de cette réflexion.
Ainsi, la construction de la collégialité nous paraît perfectible, sans toutefois remettre en cause la centralité du médecin dans la procédure. Le texte prévoit bien que la décision finale revient au médecin. Mais nous souhaitons que celui-ci, s’il en ressent le besoin, puisse prendre appui auprès d’un autre professionnel de santé.
Dr Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Ce projet de loi traduit une évolution sociétale très attendue par nos concitoyens. Il reçoit le soutien de l’Ordre des pharmaciens.
Le volet relatif à l’accompagnement et aux soins palliatifs concerne directement les pharmaciens. Quant au dispositif d’aide active à mourir, il prévoit l’intervention à divers degrés de différents professionnels de santé. Chacun tient un rôle déterminé, ce qui nous paraît fondamental. Le rôle exact du pharmacien dans ce dispositif réclame quelques précisions réglementaires, et l’Ordre des pharmaciens se tient à la disposition des administrations pour en convenir.
Mme Sylvaine Mazière‑Tauran, présidente du Conseil national de l’Ordre des infirmiers. Il n’est pas du ressort de l’Ordre des infirmiers de se prononcer sur les aspects moraux ou idéologiques d’une législation sur la fin de vie, ainsi qu’il l’a indiqué dans un avis publié en décembre 2022. Cependant, l’Ordre est compétent pour évaluer si les questions de fin de vie doivent être réglementées, ainsi que sur la manière dont il convient de les aborder, notamment sur le plan moral, afin de protéger les intérêts et la sécurité des patients comme des infirmiers impliqués dans ces soins.
Nous attirons l’attention du législateur sur l’importance du respect de la dignité et de l’autonomie des patients tout au long du processus de fin de vie, et de la mise à la disposition des infirmiers d’une formation spécifique aux soins d’accompagnement et aux procédures d’aide à mourir.
L’Ordre des infirmiers réaffirme son attachement à la clause de conscience dont bénéficieraient les infirmiers ne souhaitant pas participer à l’aide à mourir. Il propose de s’impliquer dans la supervision et l’évaluation des pratiques d’aide à mourir.
Enfin, l’Ordre des infirmiers relève le caractère essentiel d’un dialogue entre les médecins, les infirmiers et les autres professionnels de santé. Il souligne également la nécessité d’un soutien psychologique et professionnel fourni aux infirmiers engagés dans l’accompagnement de fin de vie.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. La notion de soins d’accompagnement n’a pas vocation à remplacer celle de soins palliatifs, mais à l’englober dans une démarche anticipée et pluridisciplinaire. Quel regard vos ordres respectifs portent-ils sur cette approche ? Leur semble-t-elle compléter celle des soins palliatifs ?
Que pensez-vous des conditions d’éligibilité à l’aide à mourir définies dans le titre II du projet de loi ?
Avez-vous des propositions à formuler sur la procédure d’aide à mourir envisagée ? Votre expertise nous est indispensable pour vérifier si ses dispositions répondent au double objectif poursuivi, à savoir l’égalité devant la loi et l’effectivité de celle-ci.
M. Didier Martin, rapporteur. De quelle manière s’articuleront le travail des médecins libéraux, des infirmiers libéraux et des pharmaciens dans les soins de ville ? Comment les médecins, en particulier, définiront-ils leur place dans cette médecine coordonnée vers l’accompagnement de la fin de vie ? Comment le médecin généraliste répondra-t-il à ces enjeux ?
Le rôle des infirmiers en matière de télémédecine est important. C’est surtout vrai en zone peu dotée en offre médicale, notamment spécialisée. Quelles formations les infirmiers peuvent-ils demander pour suivre cette évolution dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et demain dans les maisons d’accompagnement ? Qu’en sera-t-il de leurs conditions de travail, par rapport au rythme 12 heures / 12 heures en particulier ?
Enfin, quel rôle les pharmaciens joueront-ils dans cette chaîne de prise en charge et d’accompagnement en ville ?
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, rapporteure. J’aimerais vous interroger sur l’article 6 du projet de loi et sur les conditions d’accès à l’aide à mourir. Il est écrit que la personne doit être atteinte « d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme ». Convient-il selon vous de préciser ce délai, voire de citer les affections concernées ?
Par ailleurs, la personne doit être apte à « manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Pensez-vous que cette formulation offre des garanties suffisantes ?
Mme Laurence Cristol, rapporteure. Docteur Arnault, pourriez-vous préciser votre point de vue sur la collégialité de la décision décrite dans le projet de loi ? De quelle manière concevez-vous le rôle du médecin traitant et celui du médecin psychiatre dans l’évaluation des capacités de discernement du malade ? Avez-vous évoqué, au sein de l’Ordre des médecins, un format proche d’une réunion de concertation pluridisciplinaire ?
Madame Mazière-Tauran, j’aimerais entendre votre avis sur le statut d’infirmier en pratique avancée.
Enfin, madame Wolf-Thal, avez-vous des remarques sur le mode de dispensation de la substance létale, le circuit dans lequel elle est insérée, et son évaluation ?
Mme Caroline Fiat, rapporteure. J’aimerais savoir si la clause de conscience répond aux préoccupations de vos ordres respectifs, en particulier en ce qui concerne la réorientation du patient qui accompagne son invocation.
Que pensez-vous de la création d’une commission de contrôle et d’évaluation ? Elle aurait pour missions le contrôle systématique du respect des conditions d’accès et des procédures d’aide à mourir, leur suivi et leur évaluation, et la gestion du registre des professionnels de santé disposés à participer à la mise en œuvre de l’aide à mourir ?
Dr François Arnault. Il convient, pour des raisons philosophiques et déontologiques, de séparer les question des soins et de la fin de vie. Un médecin, guidé par le code de déontologie et le serment d’Hippocrate, ne doit pas donner délibérément la mort. C’est sa raison d’être. S’il apparaît que son rôle est aussi d’accompagner un patient qui aurait choisi de mourir au terme du processus, son premier réflexe doit être de ramener ce patient vers les soins et, si cela est possible, vers un espoir de survie.
Cet espoir de survie amène à la question de l’éligibilité. Récemment, une équipe de soins palliatifs me confiait que, sur 1 200 patients pris en charge, la thérapeutique s’est avérée insuffisante pour soulager la souffrance dans cinq cas seulement. À cette aune, la disposition du texte selon laquelle le médecin décide, en fonction de l’état du patient, s’il donne suite à sa demande d’aide à mourir, semble insuffisante. La décision d’éligibilité doit être collégiale.
Si, comme le prévoient les textes, engager un traitement d’oncologie réclame une réunion de concertation pluridisciplinaire, c’est-à-dire une appréciation collective de l’état du patient et des possibilités thérapeutiques, il me paraît évident que l’engagement d’une procédure d’aide à mourir implique un niveau au moins égal de collégialité. Il n’est pas concevable qu’un médecin se trouve seul face à une décision aussi grave.
Nous attachons beaucoup d’importance à la clause de conscience spécifique, qui suppose effectivement qu’un médecin ne pourra pas faire jouer sa clause de conscience sans apporter au patient une solution alternative. Je rappelle que le corps médical, s’il évolue sur la question de l’aide à mourir, y reste majoritairement opposé. Un sondage indique que 66 % des répondants sont défavorables, pour 23 % favorables et 11 % qui s’abstiennent.
Les médecins de ville sont isolés face à ces situations. Ils ne pourront pas gérer seuls les demandes d’aide à mourir de leurs patients. C’est la raison pour laquelle, sur ce sujet mais aussi de manière générale, des équipes de soins territoriales sont indispensables.
Si elles ne résoudront pas toutes les questions liées à la fin de vie, les directives anticipées sont à nos yeux un excellent mécanisme. Il faut cependant mesurer l’extrême difficulté de leur rédaction. En outre, si leur inscription dans le dossier médical partagé apparaît une solution pratique intéressante, il est nécessaire de faciliter leur modification à tout moment.
Si une définition du court terme est relativement aisée, définir précisément le moyen terme et inscrire un délai précis dans la loi seraient déraisonnables. Un patient, souhaitant savoir combien de temps il lui reste, ne cherche pas à connaître la date de sa mort. Il cherche à déterminer à partir de quel moment la vie ne lui sera plus supportable, ce qui est naturellement impossible à établir. C’est la raison pour laquelle seule l’appréhension au cas par cas peut prévaloir.
La commission de contrôle et d’évaluation dispose d’une prérogative qui nous interpelle. Elle est fondée à poursuivre un médecin devant la chambre disciplinaire de première instance si elle constate des manquements déontologiques. Or, le médecin, déjà isolé face au patient, sera seul face à l’entourage, dont certains membres seront favorables à l’aide à mourir et d’autres défavorables. Il s’en trouvera toujours un pour contester la décision et porter plainte contre le médecin.
Dr Carine Wolf-Thal. Dans le parcours du patient, le pharmacien joue un rôle social de proximité, un rôle d’orientation et d’accompagnement que ce projet de loi renforce. En outre, il accentuera la nécessité d’un travail coordonné avec les autres professionnels de santé, et peut-être d’un effort de formation des pharmaciens sur les spécificités de la gériatrie.
Il paraît approprié que la Haute Autorité de santé et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé soient les autorités compétentes sur la question de la substance létale. Cependant, certains éléments réclament une clarification. Par exemple, le statut de la substance létale au regard du code de la santé publique : est-ce un médicament, une préparation spéciale, une préparation hospitalière ?
Il conviendra de s’assurer du nombre suffisant de pharmacies à usage intérieur autorisées à préparer ces produits létaux afin de garantir un accès égal sur tout le territoire. La désignation de ces pharmacies pourrait incomber aux Agences régionales de santé. Il nous a semblé que la désignation d’une pharmacie d’officine par le médecin était motivée par la volonté du prescripteur que cette officine soit proche de lui, plutôt que du patient.
Nous nous interrogeons sur le transport et le retour du produit, utilisé ou non, et surtout sur son élimination. Le circuit des médicaments non utilisés et le circuit Cyclamed ne nous semblent pas adaptés. Il reviendra à la Haute Autorité de santé et à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de procéder aux ajustements nécessaires.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Nous considérons qu’un effort important est à consentir pour la mise à disposition d’équipes mobiles de soins palliatifs à domicile, en Ehpad, voire dans certains établissements de santé. De même, il est nécessaire de renforcer la formation initiale et continue des professionnels. En outre, le rôle primordial des aidants familiaux n’est pas suffisamment mis en avant dans le projet de loi.
Concernant les conditions d’éligibilité à l’aide à mourir, nous souhaitons attirer l’attention sur l’accompagnement des plus vulnérables, handicapés ou âgés, notamment en cas de pathologies graves susceptibles de perturber l’état psychologique.
La notion de personne volontaire qui pourrait, selon le souhait du patient, l’accompagner dans la procédure, nous interroge. Ce volontaire pourrait se substituer au médecin ou à l’infirmier. Nous considérons, au contraire, qu’un tel acte ne peut être accompli par une personne non soignante.
J’appréhende mal l’utilité d’un recours à la télémédecine dans le contexte de la fin de vie. Même dans des zones éloignées des centres hospitaliers, il revient aux équipes territoriales d’accompagner les personnes en fin de vie.
L’Ordre des infirmiers n’est pas fondé à s’exprimer sur les conditions de travail. Néanmoins, il insiste sur la nécessité de l’accompagnement psychologique, du suivi et de la formation des personnels engagés dans la procédure d’aide à mourir. Celle-ci percute violemment leur code de déontologie, qui les oblige à protéger la vie. Nous n’imaginons pas qu’une étape aussi particulière du parcours des patients ne fasse pas l’objet d’une participation collégiale étendue, incluant des infirmiers.
L’accompagnement et l’aide à mourir impliquent certes les infirmiers en pratique avancée, mais aussi tous les infirmiers. Il serait trop complexe qu’un diplôme en pratique avancé soit requis pour y participer. Il me semble qu’il n’y a pas de lien particulier entre la pratique avancée et les procédures du projet de loi.
Mme Nicole Dubré‑Chirat (RE). Avez-vous des suggestions d’amélioration de la collégialité dans la procédure ? Comment mieux former à la culture palliative dans tous les secteurs de soins, en particulier pour la prise en charge de la douleur ? Quelles sont vos propositions pour l’accompagnement à la rédaction et à l’archivage des directives anticipées ? Que faire lorsque la personne n’est plus consciente au moment de faire valoir ces directives ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Si l’article 7 prévoit la clause de conscience des médecins, celle-ci n’entre pas dans la définition du plan personnalisé d’accompagnement. Or, ce plan peut inclure l’aide à mourir. Qu’en pense l’Ordre des médecins ?
Docteur Arnault, estimez-vous que la prescription du produit létal et la pratique de l’euthanasie par un médecin représentent des actes médicaux entrant dans la nomenclature générale des actes professionnels ? Le cas échéant, pourquoi ces actes ne disposent-ils pas d’une base légale dans le code de la santé publique ?
M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES). J’aimerais entendre les ordres des professionnels de santé sur le bouleversement éthique qu’impliquent l’assistance au suicide et l’euthanasie. Dans quelle mesure risquent-elle de perturber la relation de confiance entre le patient et son médecin ? Ne sous-estimons-nous pas le préjudice que cela représente pour les personnels concernés ?
Docteur Arnault, vous avez évoqué la proportion minime de patients en unité de soins palliatifs pour lesquels la thérapeutique est impuissante à soulager. Ne pensez-vous pas que la loi proposée, dont le caractère très large s’exprime par la notion à définir de « moyen terme », concerne bien davantage de patients ?
Enfin, que proposent les ordres à propos de l’accompagnement des plus vulnérables et des familles ?
M. René Pilato (LFI-NUPES). J’entends, docteur Arnault, la demande de collégialité des médecins. Qui, selon vous, devrait intégrer ce cercle collégial ? La procédure d’aide à mourir comporte trois niveaux : la décision d’accéder à la demande du patient, la prescription de la substance létale et enfin son administration. Pensez-vous qu’un médecin pourrait se déporter à l’une de ces trois étapes dès lors que la décision collégiale est favorable à l’aide à mourir ?
M. Philippe Juvin (LR). En l’état actuel du projet de loi, le patient ne rencontrerait qu’un seul médecin avant de prendre sa décision. Pensez-vous, docteur Arnault, que systématiser une évaluation psychiatrique serait pertinent ? Considérez-vous la prévention du suicide satisfaisante en France ? Est-ce nécessaire de modifier le serment d’Hippocrate ?
Madame Wolf‑Thal, souhaitez-vous que les pharmaciens disposent d’une clause de conscience ? Les ordres des infirmiers et des médecins seraient-ils en faveur d’une vérification de la volonté du patient par le juge des libertés afin d’éviter les abus et les pressions familiales ?
Madame Mazière‑Tauran, ne pensez-vous pas qu’il faudrait couvrir le territoire en équipes mobiles de soins palliatifs avant de passer au plan personnalisé d’accompagnement ?
Dr François Arnault. Le renforcement de la formation initiale et continue aux soins palliatifs de tous les soignants est une condition de la bonne mise en place de cette loi. Il convient d’intégrer davantage cette thématique dans les études de médecine, et les étudiants doivent l’aborder plus tôt dans leur parcours.
Les directives anticipées, bien que fondamentales, sont extrêmement labiles dans le temps. Il revient à l’équipe soignante, et en priorité au médecin, d’assister les patients dans leur travail de rédaction. C’est un investissement en temps non négligeable.
Intégrer une clause de conscience au parcours personnalisé d’accompagnement n’a, selon moi, pas de sens : l’accompagnement et la fin de vie sont deux domaines différents à appréhender distinctement. Cela implique que la prescription et l’administration de la substance létale ne sont pas des actes médicaux.
L’aide à mourir représente une démarche particulière, à l’encontre des engagements du médecin, qui implique une mutation de ces engagements. Sa mise en œuvre réclamera du temps. Plus la procédure prendra en compte les aspirations et le ressenti des médecins, plus vite elle se mettra en place.
La collégialité ne saurait nécessairement revêtir un caractère obligatoire dans la mesure où cette obligation pourrait entraîner des blocages dans la prise de décision. Elle doit prévaloir en fonction des besoins du médecin, si celui-ci en ressent l’utilité.
Aux trois niveaux de la prise de décisions énumérés par monsieur Pilato, j’en ajouterais un quatrième : la situation dans laquelle le médecin est amené à refuser l’aide à mourir. Ce cas de figure est rarement évoqué. Il peut s’avérer lourd à porter pour le médecin.
Je suis hostile à une modification du serment d’Hippocrate. En revanche, cette loi, qui est une loi de permission, n’apporte pas de solution sur les plans déontologique et disciplinaire. La loi, j’insiste sur ce point, doit prendre en compte cet aspect. Sa formulation doit être suffisamment claire pour éviter tout piège et tout risque pour les professionnels, sans quoi ils n’y adhéreront pas, ne l’appliqueront pas et feront jouer la clause de conscience.
Enfin, il n’appartient pas à l’Ordre des médecins de se prononcer sur la compétence du juge des libertés. À titre personnel cependant, l’intégrer au processus me semble contraire à l’esprit de la loi.
Dr Carine Wolf-Thal. La procédure d’aide à mourir, fruit d’une demande du patient, soumise à des conditions strictes et accordée à l’issue d’une concertation collégiale, ne saurait être remise en cause par le pharmacien. Celui-ci ne peut représenter un frein ou un obstacle à la volonté du patient et à la décision du médecin, donc à la bonne exécution de la loi. Il peut certes faire valoir ses convictions mais, par sa fonction, il est le maillon d’une chaîne formée avec d’autres professionnels. L’éthique de responsabilité qui guide le pharmacien suppose qu’il garantisse l’accès à la substance létale dès lors qu’aura été accordée l’aide active à mourir.
Selon la procédure, le pharmacien ne sera pas en contact direct avec le patient, ne participera ni à la décision d’engager le processus ni à son accomplissement, et n’agira que sur prescription médicale. Ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État, la préparation magistrale létale et la délivrance de la substance létale ne concourent pas de manière suffisamment directe à l’aide à mourir pour porter atteinte à la liberté de conscience. Pour ces raisons, le pharmacien ne saurait disposer d’une clause de conscience.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Dans certaines situations, la douleur n’est pas suffisamment ni rapidement prise en charge, en particulier à domicile. Nous avons suggéré que, moyennant formation, un droit de prescription d’antalgiques soit ouvert aux infirmières.
Les directives anticipées sont mal connues des patients, mais aussi des professionnels de santé. Une forte campagne d’information serait appréciable. Théoriquement, le personnel hospitalier est tenu d’interroger les patients sur leurs directives anticipées. Cette interrogation reste aujourd’hui source d’incompréhension, tant pour le soignant que pour le patient. Ce projet de loi représente une chance de mieux faire connaître ce mécanisme.
Les infirmiers ne prêtent pas serment. Mais ils sont tenus de respecter un code de déontologie. L’aide à mourir heurte cette déontologie. Par conséquent, les précautions et les protections réclamées par les médecins s’appliquent aux infirmiers, en particulier lorsqu’ils sont amenés à administrer le produit létal.
M. Jean-Pierre Pont (RE). L’article 5 précise que l’aide à mourir n’engage pas la responsabilité pénale de celui qui la pratique, conformément à l’article 122‑4 du code pénal. Pensez-vous, docteur Arnault, qu’un texte alternatif au serment d’Hippocrate, qui comporte l’engagement à ne jamais provoquer la mort délibérément, sera nécessaire aux prochaines générations de médecins ?
M. Thomas Ménagé (RN). Docteur Arnault, seriez-vous favorable à la présence obligatoire d’un psychiatre au sein du collège chargé de prendre la décision ? Considérez-vous suffisant le délai de 48 heures pour apporter une réponse au patient ?
Que pensez-vous de l’idée d’une nouvelle profession réglementée dédiée à l’administration de la substance létale, afin de lever la contradiction déontologique entre le serment d’Hippocrate et l’aide active à mourir ?
Avez-vous le sentiment que cette loi répond à la totalité des situations, y compris celle du patient en état végétatif et dont le consentement est impossible à recueillir ?
Mme Annie Genevard (LR). Docteur Arnault, vous avez déclaré qu’un médecin ne saurait faire jouer sa clause de conscience sans apporter une solution alternative au patient. Cela signifie-t-il, selon vous, que la clause de conscience serait invalidée dès lors qu’aucune alternative ne peut être apportée au patient ?
Madame Wolf‑Thal, bien que la clause de conscience ne soit pas envisagée pour les pharmaciens, que se passerait-il si l’un d’eux refusait de délivrer une substance létale ?
Madame Mazière-Tauran, pouvez-vous développer ce que vous avez désigné comme des risques de pression sur les personnes vulnérables ?
M. Philippe Vigier (Dem). Madame Mazière-Tauran a appelé à une campagne de communication sur les directives anticipées. La faible application de la loi Claeys-Leonetti, qui est à déplorer, n’est-elle pas due, au-delà du manque de communication, à un problème de formation et d’attractivité des filières liées à la fin de vie ?
Docteur Arnault, pensez-vous que la mention des directives anticipées dans le dossier médical partagé devrait être obligatoire ? Par ailleurs, pensez-vous que le deuxième médecin consulté dans le cadre de la collégialité doit obligatoirement rencontrer le patient ? Enfin, la protection juridique des soignants vous semble-t-elle suffisante ?
M. François Gernigon (HOR). Pensez-vous, docteur Arnault, que le nom des médecins réfractaires à l’accompagnement à l’aide à mourir devrait être connu à l’avance, ou bien l’activation de la clause de conscience doit-elle être laissée à l’appréciation du médecin en fonction de chaque cas ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Docteur Arnault, êtes-vous satisfait du délai maximum de quinze jours permettant au médecin d’apprécier que les conditions d’accès à l’aide à mourir sont remplies ? Par ailleurs, si le moyen terme est difficile à définir, ne revient-il pas au patient de déterminer lui-même le seuil de ce qui lui est insupportable ?
M. Sébastien Peytavie (Écolo-NUPES). Avez-vous des suggestions sur les modalités et le contenu des formations à dispenser aux médecins, aux infirmiers, aux aides-soignantes, sur l’accompagnement de la fin de vie et l’aide à mourir ?
M. Jean-François Rousset (RE). Ma question porte sur la formation à la collégialité et elle s’adresse aux représentants des trois ordres. À quel moment du cursus introduire cette notion ? Puisque nous allons vers une spécialisation des métiers de la prise en charge de la fin de vie, créer un diplôme commun aux médecins, infirmiers et pharmaciens ne serait-il pas judicieux ?
M. Julien Odoul (RN). Craignez-vous que les nouvelles dispositions légales et les transformations profondes qu’elles supposent pour le médecin entraînent une désaffection pour ce métier ? Si un médecin qui refuse de prescrire ou d’administrer la mort parce qu’il considère que l’euthanasie n’est pas un soin et que ces actes ne correspondent pas à ses valeurs, dans quelle mesure serait-il tenu d’orienter le patient vers un autre médecin ?
Mme Christine Pires Beaune (SOC). Le docteur Arnault a déclaré à titre personnel que l’aide à mourir ne devait pas s’entendre comme de l’accompagnement et du soin. Pourquoi ne pas laisser les malades répondre eux-mêmes à cette question ? Certains considèrent que le soin maintient en vie quand d’autres attendent du soin qu’il mette fin à leurs souffrances.
J’aimerais vous demander de traduire les propos de la ministre de la santé, qui a indiqué que les personnes atteintes de la maladie de Charcot étaient éligibles à l’aide à mourir dès lors que le pronostic vital était engagé.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Les personnes vulnérables, âgées ou handicapées expriment souvent la crainte de représenter un poids pour leur entourage. Ma remarque avait pour but d’alerter sur leur sort : elles pourraient, à certains moments, se sentir « obligées » de demander l’aide à mourir pour soulager avant tout leurs proches.
La formation des infirmiers comporte des enseignements d’éthique des soins palliatifs et de prise en charge de la douleur, souvent sous forme de modules spécifiques. Ces enseignements méritent d’être plus développés, notamment en rapport avec ce projet de loi. Le décret sur les compétences de la profession d’infirmier est en cours de révision, puis des travaux sur la réingénierie de la formation seront entrepris, qui permettront d’interroger la formation à la douleur et aux questions éthiques liées aux soins palliatifs.
Dr Carine Wolf-Thal. Des sanctions disciplinaires, allant de l’avertissement à l’interdiction d’exercer, sont prononcées en chambre de discipline à l’encontre des pharmaciens qui font valoir une clause de conscience qui n’existe pas et qui refusent de délivrer des produits prescrits. Le cas se présente parfois au sujet d’une pilule du lendemain ou d’une pilule contraceptive.
Dr François Arnault. En réponse à madame Pires Beaune, je rappelle qu’il revient au seul patient, et jamais aux soignants, de demander à sortir du soin pour une aide à mourir. J’ai insisté sur la distinction entre accompagnement et aide à mourir : seule la décision du patient peut faire passer de l’un à l’autre.
Des règles juridiques permettent de ne pas aborder la fin de vie et l’aide à mourir à la seule aune du serment d’Hippocrate, qui représente un engagement éthique et déontologique personnel. Comme je l’ai déjà indiqué, je suis défavorable à sa reformulation ou à la rédaction d’un texte alternatif.
Je partage l’idée d’introduire la notion de collégialité dès les études, ou plutôt que les équipes de soignants, toutes professions confondues, apprennent à travailler ensemble dès l’internat. Des expérimentations d’internats territoriaux ont d’ailleurs été menées.
La formation aux soins palliatifs est perfectible à condition d’engager les moyens appropriés. Les étudiants ne peuvent découvrir la réalité des soins palliatifs sur le terrain. Il est nécessaire, le plus tôt possible, de les préparer aux problématiques qu’ils rencontreront. À ce titre, faire intervenir des psychologues et des psychiatres en cours de formation serait utile.
Je suis d’accord avec le député Vigier sur la nécessité, pour le second médecin, de rencontrer le patient avant d’exprimer un avis. En effet, l’avis sur simple consultation du dossier est purement technique. Il ne tient pas compte de la démarche psychologique du patient, de son ressenti. L’évaluation de la souffrance physique ou psychologique ne se fait pas en télémédecine.
Si une consultation psychiatrique peut être utile, y obliger n’est pas souhaitable. D’une part, une consultation psychiatrique ne saurait être imposée. D’autre part, cette disposition supposerait de disposer de psychiatres en nombre suffisant. Une telle clause représenterait par conséquent un frein à l’application de la loi.
En matière de collégialité, la démographie médicale est notre ennemie. Les blocages que j’évoquais ne concernent pas la déontologie : si la loi est bien écrite, les médecins s’accoutumeront à l’idée de passer de l’interdit au déontologiquement possible afin d’apporter une réponse aux demandes des patients. En revanche, la difficulté consistera à réunir des médecins disponibles au même moment pour mener une réflexion profonde autour d’un cas.
La clause de conscience spécifique est incontournable. Un médecin qui l’invoque oriente son patient vers un autre médecin qui accepte la démarche. Je m’oppose à l’idée que des médecins fassent valoir en amont leur clause de conscience. Cela reviendrait à constituer des listes et, finalement, risquerait d’amener la création d’établissements spécialisés, ce dont il faut se garder.
Je manque d’éléments pour répondre à la question portant sur le délai de quinze jours. Cependant, il m’apparaît qu’un délai est nécessaire. Quinze jours peuvent sembler insuffisant pour organiser une concertation collégiale.
Je conclurai en rappelant que la confiance des médecins dans un dispositif respectant leurs convictions et qui les protégera sur les plans pratique, juridique, déontologique et disciplinaire, est indispensable.
Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous vous remercions pour vos interventions et pour ces échanges.
La réunion s’achève à onze heures trente.
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Annie Genevard, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, M. David Habib, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Brigitte Liso, Mme Lise Magnier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, M. Thomas Ménagé, M. Julien Odoul, M. Laurent Panifous, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, M. Jean-François Rousset, M. Philippe Vigier
Excusé. – M. Raphaël Gérard