Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition de M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), sur la situation et les attentes du monde agricole              2

 Informations relatives à la commission...................27


Mercredi 18 septembre 2024

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 4

session de 2023-2024

Présidence de

M. Antoine Armand,

Président


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La commission des affaires économiques a auditionné M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), sur la situation et les attentes du monde agricole.

M. le président Antoine Armand. Nous recevons M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de M. Luc Smessaert, vice-président et président de la commission sociale et fiscale de cette organisation syndicale. Une forme de « réveil » des pouvoirs publics et des parlementaires a eu lieu en février dernier, à la suite de la colère exprimée par les agricultrices et agriculteurs de notre pays au sujet de leurs revenus, des normes et injonctions parfois contradictoires qu’ils doivent respecter, et des situations de concurrence parfois inéquitables auxquelles ils sont soumis.

Leur colère est arrivée jusqu’à nous. Des mesures législatives ont été annoncées par le précédent Gouvernement dans le cadre du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, dont le parcours a été interrompu au Sénat après son adoption en première lecture à l’Assemblée nationale, en raison de la dissolution que l’on connaît. Dans l’intervalle, d’autres difficultés sont survenues dans les filières du vin, du blé et de l’élevage, ce dernier secteur étant fortement – et sans doute durablement – affecté par des crises sanitaires à répétition qui s’étendent sur tout notre territoire.

La commission des Affaires économiques compte bien rattraper le temps perdu. Aussi avons-nous décidé de lancer une mission d’information sur les abattoirs et la filière économique de l’abattage en France, dans un contexte de réduction des cheptels. Nous poursuivons également la mission d’information sur la filière viti-vinicole, ainsi que la mission d’évaluation de la loi du 18 octobre 2021, dite « Egalim 2 » ; j’espère, à ce titre, que nous pourrons entendre rapidement nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard, qui avaient été chargés d’une mission sur la formation des prix et des revenus agricoles et sur une potentielle évolution du cadre législatif et réglementaire issu des lois « Egalim » du 30 octobre 2018, 18 octobre 2021 et 30 mars 2023.

Nous n’ignorons pas, monsieur le président, que votre organisation a élaboré un ensemble de propositions cet été. Nous sommes tout disposés à en débattre très vite avec vous, sachant que nous recevrons les autres syndicats agricoles au cours des prochaines semaines.

M. Arnaud Rousseau, président de la FNSEA. J’avais eu l’occasion de venir m’exprimer devant vous le 10 avril dernier, à un moment où nous étions en pleine préparation d’un projet de loi dont on sait ce qu’il en est advenu. Tout l’intérêt de cette nouvelle invitation, monsieur le président, est de refaire le point sur la situation.

Il reste un peu moins de quatre cent mille exploitants agricoles dans ce pays, dont cent mille ont une production brute standard inférieure à 25 000 euros. La pyramide des âges conduira mécaniquement à un renouvellement important des générations dans les cinq à sept ans à venir, avec le départ de près de 50 % de nos collègues.

Face à ce bouleversement attendu du paysage, la FNSEA relève trois objectifs prioritaires. Le premier concerne le revenu des agriculteurs et la compétitivité des exploitations, quels que soient leur localisation, leur modèle ou leur taille. Une ferme est une entreprise : si l’agriculteur ne parvient pas à afficher un compte de résultat positif à la fin de l’année… on peut raconter l’histoire que l’on veut et parler de la transition que l’on souhaite, la ferme ne survivra pas ! Deuxième objectif : l’attractivité du métier et le renouvellement des générations. Il faudra que l’on puisse parler positivement de ces métiers, qui possèdent de belles valeurs et qualités à faire valoir, une fois le premier objectif satisfait. Au cours des dix prochaines années, nous devrons le promouvoir auprès des jeunes, issus ou non du milieu agricole, afin que de nouveaux talents viennent nous rejoindre. Troisième objectif : continuer à informer la société sur la souveraineté alimentaire, sur l’intérêt de produire en France des aliments mais aussi des ressources périphériques telles que certaines énergies d’avenir. Pour les apprécier, encore faut-il avoir conscience de ces aménités rurales positives. Ce n’est pas sans lien avec le prix de nos produits, le pouvoir d’achat des Français, la précarité alimentaire que vous rencontrez dans vos circonscriptions.

L’agriculture ne doit pas être déconnectée du reste de la société, mais il est nécessaire d’atteindre ces objectifs. Les agriculteurs doivent pouvoir vivre de leur métier ; il faut se projeter de manière à attirer des talents et continuer à expliquer pourquoi notre modèle de production diversifié a une raison d’être. C’est le sens des actions engagées depuis le printemps, notamment avec ces panneaux routiers retournés pour illustrer le slogan « On marche sur la tête ».

Ces mouvements ont essaimé partout en France, attirant beaucoup de jeunes et de gens parfois éloignés de l’engagement syndical, dans le cadre d’une prise de conscience globale. Ils ont été massivement soutenus par l’opinion publique, sensible aux arguments sur la nécessité de conserver une agriculture performante, non seulement pour des raisons de souveraineté alimentaire mais aussi en raison d’enjeux liés au changement climatique, à la restauration de la biodiversité, à la maîtrise de moyens de production tels que l’eau, les produits phytosanitaires ou les semences, ainsi qu’à l’aménagement et à la revitalisation des territoires.

Forts de ce constat, nous avions défini plusieurs piliers importants. Le premier, sur le sens et l’engagement du métier, comportait notamment des mesures sur les retraites, adoptées sous l’ancienne législature mais toujours inappliquées. Il s’agit de mesures d’équité quand on sait que la pension d’un agriculteur est de l’ordre de mille euros pour une carrière complète – sans même parler des pensions indigentes des conjoints collaborateurs ou des pensions de réversion.

Nous avions aussi mis l’accent sur la compétitivité, dénonçant très tôt les manques du projet de loi en cours d’examen dans ce domaine, notamment en ce qui concerne les questions fiscales. Les choses n’ont guère évolué sur ce sujet, qui nous semble pourtant central. Nous avons approuvé l’idée de reconnaître l’agriculture comme présentant un intérêt général majeur ainsi que les dispositions sur l’installation et la transmission, mais beaucoup de sujets importants n’étaient pas abordés : les produits phytosanitaires, l’agrivoltaïsme, les lois Egalim. Quoi qu’il en soit, la dissolution de l’Assemblée nationale a donné un coup d’arrêt à ce projet de loi que vous avez adopté en première lecture.

Il existe une très grande frustration dans le monde agricole, qui constate que certains engagements pris au printemps n’ont pas été tenus. Soyons justes : certaines mesures décidées et appliquées vont dans le bon sens pour les exploitations agricoles, notamment celles concernant le gazole non routier (GNR). Depuis le mois de juillet, partout dans le territoire, l’achat d’un litre de GNR donne lieu à une remise immédiate sur la facture, ce qui évite d’inutiles démarches administratives, favorise la trésorerie des exploitations et facilite ainsi la vie des agriculteurs. D’autres mesures annoncées par le Premier ministre de l’époque n’ont pas été suivies d’effet, et pas seulement celles qui étaient contenues dans le projet de loi. Les dispositions réglementaires sur le contrôle unique dans les exploitations ne sont pas entrées en vigueur au cours de l’été, contrairement à ce qui avait été pourtant promis. N’importe quel agriculteur de ce pays peut subir de trente-cinq à quarante contrôles différents. Il ne s’agit pas de demander à échapper au contrôle normal de l’utilisation de l’argent public, mais seulement d’éviter qu’un agriculteur ne subisse trois, quatre ou cinq contrôles dans l’année, avec ce que cela provoque comme anxiété. Il y a suffisamment d’agriculteurs pour que tous les corps de contrôle puissent faire leur travail, sans en arriver à ces contrôles en série chez un même exploitant.

Lors de ma visite, ce matin, au premier grand salon de la rentrée, le Space de Rennes, qui réunit notamment les éleveurs du Grand Ouest, j’ai pu constater que la question de la simplification était jugée centrale. Que peut-on faire pour faciliter la vie des exploitants, sachant que les mesures de simplification ne coûtent pas un centime au budget de la Nation ? Ce dernier aspect n’est pas un détail par les temps qui courent, mais l’équilibre du budget est votre affaire, même si nous avons des idées spécifiques à vous soumettre sur ce point.

Il se trouve que, depuis les événements du printemps, nous avons vécu un été peu propice à l’agriculture. Des aléas climatiques, qui font partie de la vie des exploitations, ont frappé de nombreuses régions, ce qui va se traduire par une mauvaise récolte de blé, la plus faible depuis plus de quarante ans dans notre pays, et une baisse d’environ 20 % de la production viticole en cours. À cela s’ajoute une crise sanitaire qui sévit sur une grande partie du territoire : la fièvre catarrhale ovine (FCO) – de sérotype 3 dans le Nord et de sérotype 8 dans le Sud, où elle entraîne une forte mortalité ; la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui touche les bovins et s’est étendue depuis le sud de la France ; une résurgence de la grippe aviaire, notamment en Bretagne.

Venons-en au contexte politique. Dans la situation indécise actuelle, les agriculteurs s’interrogent sur l’éventualité d’un nouveau projet de loi pour l’agriculture et sur le contenu du futur projet de loi de finances (PLF) : y retrouvera-t-on les mesures promises au printemps concernant les bovins, l’épargne de précaution, l’installation et la transmission ? Les craintes liées aux incertitudes s’ajoutent aux déceptions, comme vous devez le constater dans vos circonscriptions.

À très court terme, le monde agricole a besoin de financement, d’un prêt garanti par l’État (PGE) auquel il n’a pas eu accès au moment de la crise de la covid-19. Les agriculteurs ont besoin de moyens pour financer leurs cycles d’exploitation, de trésorerie, d’accompagnement, d’indemnisation des pertes liées notamment à la FCO et à la MHE. Il faut aussi des vaccins. Or les éleveurs, qui veulent agir en voyant la pandémie se rapprocher ou les frapper, sont souvent confrontés à une véritable pénurie. En ce qui concerne la MHE, deux millions de doses ont certes été acquises par l’État au mois d’août, mais elles ne permettront de vacciner qu’un million de bovins, puisque chaque vaccination nécessite deux injections. Grâce aux investissements réalisés dans l’innovation et la recherche, nous avons affaire à un fabricant français, mais celui-ci n’est pas capable de livrer plus de doses pour le moment.

Ensuite, il faut que des mesures législatives viennent traduire une vision politique de l’agriculture. S’il contenait certaines avancées, le précédent projet de loi nous semblait incomplet. Après la dissolution, nous avons travaillé avec les Jeunes Agriculteurs (JA). Puisque nous pensons que les corps intermédiaires ont du sens et que notre rôle ne se limite pas au commentaire, puisque nous voulons agir sur notre avenir, nous avons décidé de proposer un texte de loi. Intitulé « Entreprendre en agriculture », ce texte reprend tous les sujets abordés depuis le début de l’année, ceux qui étaient dans le projet de loi et ceux que l’on aurait voulu y voir. Précisons que deux thèmes n’y figurent pas : le foncier ainsi que le statut de l’actif agricole, qui sera en débat au niveau européen dans quelques semaines. Nous avons fait ce choix assumé pour éviter qu’il n’y ait un trop grand nombre d’articles, mais nous souhaitons continuer à travailler sur ces sujets. Ce texte est à votre disposition. La question n’est pas de savoir s’il est « clefs en main » ou pas : il va de soi que ce sont évidemment les parlementaires qui font la loi ; cela étant, nous estimons que notre rôle est de contribuer à votre travail. Luc Smessaert, qui a suivi le projet, va vous décrire dans un instant les six points retenus.

Les journalistes m’interrogent souvent sur d’éventuelles actions de terrain à venir. Plutôt que de manifester en permanence, nous devons essayer de trouver des solutions. Nos propositions sont sur la table, à la disposition des parlementaires. Nous attendons évidemment avec impatience la nomination d’un gouvernement, parce que nous ne pouvons pas avancer avec un ministre qui expédie les affaires courantes depuis trois mois. Or le monde agricole a été sur la brèche tout l’été. Si rien ne bouge au cours du mois et demi qui vient, les mêmes causes produiront les mêmes effets : les agriculteurs trouveront légitime d’utiliser leur droit de manifester. Dans l’immédiat, nous voulons travailler et trouver des solutions. Ensuite, chacun prendra ses responsabilités ; nous prendrons les nôtres.

M. Luc Smessaert, vice-président et président de la commission sociale et fiscale de la FNSEA. Nous mettons donc sur la table ce texte, « Entreprendre en agriculture », en espérant que vous en ferez bon usage. Sachez que les engagements du Président de la République et du Premier ministre ont suscité une vraie attente dans les fermes.

Nous avons finalement retenu six points, en commençant par la souveraineté alimentaire. La semaine dernière encore, le nouveau Premier ministre insistait sur la nécessité de produire sur notre territoire, liée à la reconnaissance de l’agriculture comme présentant un intérêt général majeur. Il s’agit d’inverser les courbes de nombre de filières agricoles car, au moment où nous importons 50 % de nos denrées alimentaires, l’urgence est de mise.

Le deuxième point porte sur l’accompagnement des transitions, l’année 2024 ayant été particulièrement marquée par le changement climatique. Les agriculteurs travaillent à ciel ouvert, subissent tantôt la sécheresse, tantôt un excès d’eau. Ils ont besoin d’être accompagnés dans l’adaptation au défi climatique, et ils peuvent aussi apporter des solutions, notamment en matière de captage du carbone.

Le troisième point, essentiel, vise à garantir le revenu des agriculteurs et à renforcer notre compétitivité. Vous avez évoqué, monsieur le président, les travaux de vos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard sur les lois Egalim, dont l’application doit être pleine et entière. Pour renforcer notre compétitivité, il faut travailler sur la prise en compte de la matière première agricole et des coûts de production, ce qui manquait dans le projet de loi examiné avant la dissolution. Certains éléments devraient apparaître dans le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) : l’épargne de précaution déjà utilisée par quelque 30 000 agriculteurs ; l’augmentation du dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés non bâties agricoles ; les mesures en faveur du cheptel bovin pour enrayer sa décroissance.

Les quatrième et cinquième points concernent tous deux l’attractivité du métier et le renouvellement des générations. On doit tout faire pour favoriser les installations dans les cinq à dix ans à venir, période au cours de laquelle près de la moitié des agriculteurs seront en âge de faire valoir leurs droits à la retraite. Nous proposons de reprendre les mesures auxquelles nous adhérions totalement et de prévoir des incitations fiscales pour les 150 000 à 160 000 agriculteurs sur le départ, afin de favoriser les transmissions. Il faut aussi renforcer la formation initiale et continue des agriculteurs, prévoir notamment des modules de gestion, afin de leur donner les moyens de s’assurer une rentabilité et donc des revenus.

Dernier point : cette fameuse simplification que tous appellent de leurs vœux et qui a suscité quelque 2 500 propositions, en janvier et février, remontées de tous les départements par le biais des préfets. Ces propositions sont sur la table, il faut qu’elles servent. Il faut supprimer, alléger ou adapter des dispositions qui donnent parfois lieu à des injonctions contradictoires. Comme les agriculteurs ont encore du bon sens, ils font ce qu’ils peuvent sans faire n’importe quoi, ce qui ne les empêche pas d’être parfois complètement perdus.

Emparez-vous de nos propositions. Il est urgent de défendre une vision de l’agriculture, en allant au-delà des réponses conjoncturelles. Les Français nous soutiennent, comme ils l’ont démontré durant nos manifestations, conscients de la nécessité de produire notre alimentation chez nous.

M. le président Antoine Armand. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Hélène Laporte (RN). Personne ici n’en disconviendra, l’agriculture française traverse une crise profonde et généralisée. Nos filières animales sont exsangues : le cheptel bovin a perdu plus de 2 millions de têtes depuis 2016 ; plus de la moitié des poulets consommés en France sont importés ; le déficit du secteur des fruits et légumes a doublé en une décennie pour atteindre le montant record de cinq milliards d’euros. La crise affecte aussi notre viticulture, en particulier dans mon département du Lot-et-Garonne. Le plan d’arrachage, seule réponse gouvernementale à la perte de marchés de nos vignerons, va concerner cent mille hectares de vignes. Même le secteur céréalier est à la peine cette année, la production de blé tendre accusant une baisse de 25 %.

Au-delà des aléas climatiques et de la mutation des habitudes alimentaires, tous ces exemples illustrent un mal profond : l’agriculture est accablée de normes administratives et environnementales, chaque année plus restrictives, tandis que nos filières doivent faire face à la concurrence de productions étrangères contre lesquelles il est illusoire d’imaginer une compétition équitable.

Malgré ce contexte désastreux, les négociations avec le marché commun du Sud (Mercosur) ont repris en ce mois de septembre. Malgré l’opposition unanime du monde agricole, un accord commercial pourrait être conclu avant la fin de l’année, qui placerait les exploitations familiales françaises en concurrence brutale avec le mastodonte agricole brésilien. Rappelons que le Brésil est le premier exportateur mondial de viande bovine et de poulet, le premier consommateur mondial de produits phytosanitaires, et qu’il ne s’encombre d’aucune des normes que doivent respecter nos producteurs. Il est clair que le monde agricole doit faire entendre sa voix et maintenir une pression maximale sur le Gouvernement français et les institutions européennes pour empêcher la conclusion de cet accord. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de résolution en ce sens. Chaque nouvel accord de libre-échange est un coup de massue porté à notre agriculture, faisant disparaître des filières entières. Quels vont être vos axes de mobilisation à ce sujet ?

Comme vous l’avez indiqué, le projet de loi dont nous avons discuté aux mois d’avril et mai derniers ne répondait que très imparfaitement aux demandes du monde agricole. Il y a eu certes quelques aménagements, mais pas de réponses sur les accords de libre-échange, sur les surtranspositions, sur la fragilité croissante du revenu des agriculteurs ou sur la faiblesse des exigences d’information du consommateur. Pourtant, tous ces paramètres déterminent le revenu des agriculteurs.

On déplore aussi l’alourdissement supplémentaire de la pratique agricole, imposé par le recours obligatoire à une nouvelle structure d’accompagnement et de conseils pour tout candidat à l’installation et par l’instauration de diagnostics modulaires. Nous avions voté contre ces dispositions. Nous espérons aussi le dépôt d’un nouveau projet de loi, mais je m’étonne de vous entendre dire que le foncier n’est pas un sujet prioritaire, ce qui ne correspond pas aux réactions des agriculteurs que je rencontre. On ne peut pas toujours mettre ce sujet de côté en se disant que l’on verra plus tard.

M. Arnaud Rousseau. S’agissant du Mercosur, la position de la FNSEA est connue : nous y sommes hostiles, considérant que l’équité n’est pas respectée – il n’y a ni clause miroir, ni réciprocité, et nous ne pouvons pas supporter l’importation de 99 000 tonnes de viande bovine supplémentaires. Je souhaite que la France continue à s’y opposer. J’ai cru comprendre que le nouveau Premier ministre entendait utiliser le veto de la France ; le fera-t-il ? Je ne sais pas. Quant à M. Stéphane Séjourné, dont la nomination à la Commission européenne doit encore être approuvée par le Parlement européen, il passe pour être plutôt favorable à l’accord. Nous devrons en discuter avec lui dès que nous pourrons le rencontrer, car il s’agit avant tout d’un débat européen.

Au niveau des échanges internationaux, vous n’avez pas abordé un autre problème qui m’inquiète beaucoup : face à l’instauration de droits de douane spécifiques sur les voitures électriques chinoises exportées dans l’Union européenne, la Chine envisage de porter la taxe sur ses importations de cognac à 39 %, ce qui représenterait une augmentation d’un milliard d’euros. Outre le cognac, les produits laitiers et le porc pourraient également faire l’objet de diverses mesures de rétorsion. Si l’Europe assume sa volonté de lutter contre une concurrence jugée déloyale, elle devra dédommager les secteurs affectés par sa décision.

S’agissant du foncier, nous n’écartons pas le sujet, mais nous ne l’avons pas inscrit dans notre texte pour ne pas avoir un projet de texte qui compterait des articles dans tous les sens.

M. Jean-Luc Fugit (EPR). Je voudrais tout d’abord rappeler l’attachement de mon groupe à notre agriculture et à nos agriculteurs, dont le travail est indispensable pour nous nourrir, entretenir nos paysages et atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.

En début d’année, les agriculteurs ont exprimé leur colère face à la baisse de leurs revenus, l’augmentation des charges, l’empilement des normes liées à une réglementation trop complexe. Ils ont demandé au Gouvernement de prendre des mesures concrètes et rapides. M. Gabriel Attal a alors annoncé une série de mesures : soutien à la trésorerie des exploitations les plus en difficulté ; abandon de la hausse du prix du GNR ; versement des aides de la politique agricole commune (PAC) au 15 mars ; meilleure concertation sur le plan Écophyto 2030 ; travaux devant aboutir à une amélioration des retraites agricoles.

Ces mesures d’urgence sont nécessaires mais insuffisantes. Face aux nombreux défis que doit relever la « ferme France » en matière économique, de résilience face au changement climatique, de transition écologique et de renouvellement de générations, nous devons privilégier une réponse structurelle. Dans ce contexte, la priorité de notre groupe est double : assurer la protection de nos agriculteurs et préserver notre souveraineté alimentaire. Une première étape a été franchie avec le projet de loi adopté en première lecture par notre assemblée en mai dernier. Nous souhaitons que le Sénat reprenne ses travaux au plus vite. Nous voulons aussi poursuivre le travail de simplification et tout faire pour assurer la compétitivité des exploitations qui sont confrontées à des aléas économiques, sanitaires et climatiques.

Nous avons pris connaissance de votre texte « Entreprendre en agriculture », dont vous venez de rappeler les principaux objectifs. Notre groupe est prêt à travailler sur ces propositions, notamment celles concernant la création d’un livret d’épargne pour la souveraineté agricole, l’abrogation de la séparation entre la vente et le conseil pour les produits phytosanitaires, l’augmentation des sanctions en cas de non-respect des lois Egalim, ou encore l’allégement de la fiscalité sur les baux agricoles.

Pour terminer, je voudrais avoir une pensée pour nos éleveurs confrontés à une grave crise sanitaire qui menace les cheptels ovin et bovin dans de nombreuses régions. Ces épizooties provoquent des situations dramatiques dans les élevages qui en sont victimes, comme j’ai pu le constater dans mon département du Rhône au cours des derniers jours. Pour faire face à cette crise sanitaire, le Gouvernement propose une campagne de vaccination volontaire, avec prise en charge par l’État de certains vaccins. La stratégie vaccinale mise en place et les programmes d’indemnisation des éleveurs d’ovins et de bovins touchés par ces maladies vous paraissent-ils à la hauteur de la crise ? Avez-vous évalué les besoins immédiats et à venir, compte tenu des évolutions prévisibles en 2025 ?

M. Arnaud Rousseau. Merci de faire référence à nos propositions. Les prêts de trésorerie et l’accompagnement par BPIFrance étaient des mesures très attendues ; pour autant, aucun prêt n’a encore été accordé à ce jour. L’attente demeure.

S’agissant du plan Écophyto 2030, nous souhaitions qu’il n’y ait pas d’interdiction sans solution de remplacement. Dans un souci d’équité, nous ne voulons pas que la production française soit pénalisée face à des compétiteurs qui peuvent utiliser des matières actives qui nous sont interdites. Nous voulons continuer à travailler avec les ministères compétents afin de trouver les voies et moyens permettant de conserver un certain nombre de matières actives, y compris pour des productions orphelines. Il ne s’agit pas d’être dépendants aux produits phytosanitaires, mais de faire en sorte que nous puissions continuer à cultiver en France plutôt que d’importer des produits traités avec ces matières actives dont nous ne disposons pas.

Sur le plan sanitaire, le besoin de vaccins est urgent. Des commandes ont été passées. Ce qui compte désormais est d’aller très vite pour rattraper le retard pris. Quant à l’indemnisation, dont on ne parle pas, elle doit compenser à la fois la perte et la perte d’exploitation : pas seulement l’animal mort, mais la brebis qui a avorté, par exemple. Nous estimons ce coût à environ 300 euros par brebis. La perte prévisible finale étant de 10 % du cheptel, il va donc falloir débourser de 100 à 150 millions d’euros, sans parler des bovins.

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NFP). Nous partageons beaucoup de vos inquiétudes. L’absence depuis trois mois d’un Gouvernement responsable laisse sans réponse les crises qui s’enchaînent : pas d’accès aux vaccins pour tous, pas de paiement des mesures agroenvironnementales ni des aides au bio. Cela fragilise encore davantage un monde agricole en proie à une crise systémique, mais qui vit aussi une année particulièrement difficile. Nous comprenons et partageons votre colère.

La nôtre est d’autant plus forte que, selon le peu d’éléments budgétaires pour 2025 dont nous disposons – le Premier ministre s’est mis « hors la loi », hier, en ne transmettant pas les documents attendus au président de la commission des finances –, le budget agricole, compte tenu de l’inflation, serait amputé de 8 %, soit 400 millions d’euros au bas mot. Nous ne savons pas sur quels volets portera cette baisse inadmissible, que nous combattrons lors de l’examen du projet de loi de finances, si elle est confirmée. Pendant la discussion du projet de loi d’orientation agricole, qui était globalement vide – nous en avons heureusement fait supprimer certaines dispositions, comme le groupement foncier agricole d’investissement –, le Gouvernement de l’époque n’avait cessé de répéter qu’il mettait 1 milliard d’euros de plus sur la table !

Il y a entre nous des points d’accord importants. D’abord, la nécessité de créer et de financer des contrats de transition agroécologique : les agriculteurs veulent faire cette transition, mais cela suppose de les protéger – d’où notre opposition aux accords de libre-échange avec le Mercosur, mais aussi avec le Canada, un texte actuellement en œuvre malgré l’absence d’aval de l’Assemblée nationale – et de les soutenir. Ensuite, la demande d’une obligation d’indication géographique sur les produits bruts comme transformés. Enfin, l’exigence de prix rémunérateurs garantis – on peut débattre des moyens d’y parvenir ; les prix planchers en sont un, que la gauche a défendu dans le cadre d’une niche parlementaire. Pour faire bénéficier les agriculteurs de prix justes, nous souhaitons que l’évaluation de la loi Egalim 2, qui a été confiée à plusieurs membres de notre commission dont je fais partie, puisse reprendre ses travaux au plus vite.

Nous sommes face à un tournant historique. Face à la dérégulation des marchés et à la crise écologique, deux possibilités : s’enferrer en continuant l’agrandissement et la sélection des exploitations, la course aux investissements et à l’endettement ; ou alors protéger et soutenir l’agroécologie et l’agriculture familiale, ce qui requiert une transformation globale et profonde des politiques agricoles.

M. Arnaud Rousseau. Merci d’avoir soulevé le sujet du non-paiement des aides. Il concerne plusieurs dossiers pour 2023 et nous craignons que le paiement des aides 2024 prévu le 16 octobre ne soit pas davantage au rendez-vous.

En ce qui concerne les prix rémunérateurs, vous savez que nous sommes plutôt attachés à la construction du prix « en marche avant », dans un contexte d’économie ouverte et parce que ce qui nous intéresse est la rémunération de la matière première agricole au coût réel.

Vous l’avez dit, les agriculteurs veulent bien évoluer, mais il faut leur en donner les moyens. Ce ne sont pas les comptes de résultat de cette année qui vont le permettre : il faut des aides.

M. Dominique Potier (SOC). C’est le problème de la compétitivité structurelle qui a mobilisé lors des manifestations. De ce point de vue, trois éléments nous semblent faire défaut dans la proposition que vous nous soumettez.

Premièrement, au-delà même des questions d’installation, la régulation du marché foncier face au risque de spéculation, qui entraînerait une perte de compétitivité.

Deuxièmement, l’amont, peu exploré et documenté. Concernant la mécanisation ou les intrants, on observe des mouvements de prix incontrôlés et injustifiés, une fiscalité souvent obscure, des mécanismes délétères pour le revenu des exploitants. Êtes-vous prêts à soutenir notre proposition d’étendre au secteur amont de l’agriculture le domaine de compétence de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ?

Enfin, on parle beaucoup de concurrence déloyale, mais il faut être précis sur le plan technique. Mon groupe a formulé une proposition signée par plus de soixante-dix députés de sept autres groupes et visant l’effectivité des clauses miroirs s’agissant notamment des molécules chimiques interdites chez nous et présentes dans les produits de nos compétiteurs étrangers. Qu’en pensez-vous ?

Je terminerai en évoquant l’élevage. Les crises sanitaires, qui provoquent des pertes de revenu et un terrible désespoir, s’ajoutent à la crise des vocations et à la fragilisation qu’induisent l’agrandissement et la végétalisation. Votre plan pour l’élevage apparaît peu dans votre proposition. Avez-vous des idées à nous soumettre à ce sujet ? Sinon, tout discours sur l’agroécologie ne sera que littérature.

Au-delà de notre combat à tous pour garantir un accès rapide aux vaccins, des adaptations structurelles de la pharmacopée française et de l’industrie du médicament pourraient-elles nous rendre plus réactifs, en France, en Europe et dans le monde, face à des attaques sanitaires qui risquent de devenir plus fréquentes à cause du dérèglement climatique ?

M. Luc Smessaert. Le plan « Elevage » figure bien dans la première partie de notre projet « Entreprendre en agriculture » ; il est inclus dans la notion de souveraineté alimentaire. Vous avez raison de parler d’un recul de l’élevage, qui s’explique par différentes causes. D’abord, le revenu ; pour l’améliorer, nous souhaitons que les organisations de producteurs (OP) discutent avec les opérateurs sur les marchés avant d’échanger avec la grande distribution, pour une meilleure prise en compte des coûts de production. Enfin, nous proposons des plans d’investissement filière par filière. Il existe des jeunes passionnés qui ont envie de faire ce métier ; nous devons leur donner les moyens d’y parvenir.

M. Arnaud Rousseau. J’ajoute que je suis favorable à ce que l’Observatoire de la formation des prix et des marges étende son travail au matériel.

Quant au foncier, nous ne l’avons pas abordé ici parce que nous ne pouvions pas traiter tous les sujets, mais je suis également très favorable à ce qu’il le soit. Nous avons certaines divergences à ce propos, mais nous en avons déjà parlé, monsieur le député.

M. Guillaume Lepers (DR). En début d’année, les agriculteurs ont quitté leurs exploitations pour exprimer une colère justifiée devant les mairies, les préfectures, les sous-préfectures et, pour certains, jusqu’aux portes de Paris. Notre groupe s’est engagé avec détermination pour défendre des propositions concrètes dans le cadre du projet de loi agricole et nous avons obtenu quelques avancées. Mais, à l’Assemblée nationale, les blocages institutionnels et les manœuvres politiciennes ont restreint notre capacité d’action. Tout le monde ne semble pas mesurer l’ampleur de la crise ni l’urgence d’y réagir. Nous le regrettons profondément.

Concernant la fiscalité agricole, nous avons clairement pris position pour un allégement des charges, une simplification des démarches administratives et un renforcement de l’aide aux nouveaux agriculteurs. Les discussions budgétaires à venir nous offriront l’occasion de remettre cette question au cœur du débat sans que quiconque puisse se cacher derrière un quelconque prétexte.

Nous avons également insisté sur l’impératif de réciprocité stricte des standards appliqués aux produits agricoles français et importés. Il est inacceptable que la production de nos agriculteurs, soumise à des normes exigeantes, soit mise en concurrence avec des produits venus de pays aux exigences bien moindres. Si cette distorsion n’est pas corrigée rapidement au niveau européen, elle mettra en péril l’avenir de notre agriculture.

À propos du droit à l’erreur, d’une importance cruciale pour les agriculteurs, le ministre de l’agriculture a restreint la portée de notre amendement initial. Comment cette décision a-t-elle été perçue par les agriculteurs ?

Il est urgent de passer des paroles aux actes. Le pacte législatif proposé par notre groupe contient des mesures fortes sur ces différents sujets. Nous demandons leur intégration dans une véritable loi de programmation agricole, soit un texte ambitieux qui change réellement le quotidien de nos exploitants agricoles. Je vous remercie d’avoir expliqué votre point de vue sur la nécessité de revoir le projet de loi et d’aller plus vite et plus loin.

Depuis des années, le monde agricole exprime un mal-être grandissant. Dans une période particulièrement difficile, marquée par de terribles aléas climatiques, des récoltes catastrophiques et des crises sanitaires inédites, nous entendons gronder la colère dans nos campagnes. Si les décisions ne sont pas à la hauteur des attentes ou assez rapides, nous pouvons craindre de nouvelles mobilisations. Quel est votre sentiment à ce sujet et quelle serait la position de la FNSEA dans cette éventualité ?

M. Luc Smessaert. Concernant la fiscalité, notre priorité sera que l’on retrouve dans le projet de loi de finances tous les engagements pris par le Président de la République et le Premier ministre au début de l’année, en particulier s’agissant de l’épargne de précaution qui ne serait réintégrée qu’à hauteur de 70 % des sommes épargnées une année de revenus plus faibles. C’est un signal important pour privilégier la gestion pluriannuelle plutôt que la défiscalisation qui consiste à investir dans un tracteur pour ne pas payer plus d’impôts ou de cotisations à la Mutualité sociale agricole (MSA).

Les autres éléments sont le dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) et la mesure « Elevage » destinée à éviter la décapitalisation liée à l’inflation et à l’augmentation de la valeur des animaux.

M. Benoît Biteau (EcoS). Notre rôle de parlementaires est d’essayer d’agir sur la réglementation et sur les politiques publiques.

Les aléas sanitaires et climatiques, conjoncturels, ont des effets immédiats pour les agriculteurs ; ils appellent donc des outils permettant une réaction très rapide. Va-t-on enfin mobiliser la réserve de crise disponible au niveau européen et faire jouer la solidarité de ceux qui ne sont pas concernés cette année et qui en bénéficieront peut-être l’année prochaine ? Il me paraîtrait important que la profession agricole, par la voix de la FNSEA, interpelle le commissaire européen quant à cette possibilité.

Bien souvent, les aléas conjoncturels vont de pair avec des difficultés structurelles. L’attractivité, qui explique le problème de renouvellement des générations, est indissociable du revenu, pour lequel les politiques publiques peuvent jouer un rôle. À ce propos, je ne vous ai pas entendu parler des paiements pour services environnementaux (PSE). Au niveau européen, le commissaire chargé de l’agriculture n’a pourtant cessé de dire que ce sont le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité qui menacent la productivité de la « ferme Europe » et le revenu de ses agriculteurs. Il faut donc soutenir le revenu de ceux qui s’attaquent frontalement à ces problèmes en rémunérant leur action.

La question agricole doit être replacée au sein d’un véritable débat de société. Les Français sont prêts à soutenir les agriculteurs, mais il y faudra des contreparties et de la réciprocité : l’agriculture doit être au rendez-vous des attentes sociétales et citoyennes. Dans ma région, des enfants sont victimes de cancers ; or le lien entre cancers pédiatriques et pesticides est avéré.

M. le président Antoine Armand. Malheureusement, il ne reste pas de temps aux auditionnés pour répondre.

M. Pascal Lecamp (Dem). Le projet de loi d’orientation agricole, dont j’étais l’un des rapporteurs, a été adopté par notre assemblée en première lecture avec quarante voix d’avance et sans recourir aux dispositions de l’article 49.3 de la Constitution. Nous y avions beaucoup travaillé avec vous et avec l’ensemble des acteurs agricoles. Certes, le texte ne traitait pas tous les enjeux, mais il était indéniablement utile dans les domaines qu’il abordait, comme l’installation ou la simplification – au sujet de laquelle un chapitre entier avait été ajouté à la suite des événements de l’hiver dernier. Reprendre le projet de zéro ne retarderait-il pas trop l’adoption de solutions concrètes, qui est urgente ? Ne vaudrait-il pas mieux que le projet de loi d’orientation agricole reprenne son parcours législatif pour pouvoir être publié avant la fin de l’année ?

En ce qui concerne l’encadrement et la sécurisation des projets agrivoltaïques, n’aurions-nous pas intérêt à élaborer un modèle contractuel obligatoire qui s’éloigne au besoin du fermage, plutôt que de proposer une adaptation de ce dernier qui ne sera que rarement utilisée ?

La trésorerie des éleveurs de moutons est à plat ; nous devons trouver une solution pour eux, sinon il y aura des accidents.

S’agissant du Mercosur, la proposition de résolution transpartisane contre la signature de l’accord que j’avais défendue en juin a été adoptée à la quasi-unanimité. Lors de nos journées parlementaires, le Premier ministre Michel Barnier nous a parlé de l’idée de trouver une minorité de blocage et, à défaut, d’utiliser le veto de la France.

Concernant la garantie par BPIFrance, son directeur général Nicolas Dufourcq m’assure qu’elle est active. Il faut maintenant que les banques en discutent.

M. Arnaud Rousseau. Tant mieux sur ce dernier point ! Mais je suis un homme pragmatique : les agriculteurs sur le terrain peuvent-ils en bénéficier ? Au moment où je vous parle, c’est non.

En ce qui concerne le calendrier, chacun son boulot ! Le nôtre était de vous dire ce qui manquait dans le texte et que nous voulions verser au débat. Que le Sénat reprenne le texte dépend des parlementaires ; je n’ai pas de levier en la matière. Mais s’il est repris in extenso pour aller vite, il y manquera un certain nombre de choses, notamment des mesures fiscales. Il nous paraissait important d’en discuter rapidement à l’approche de l’examen du PLF. Nous avons aussi besoin de réponses s’agissant des moyens de production, de l’agrivoltaïsme et d’Egalim. Nous avons bien compris que, de toute façon, il était trop tard pour aboutir avant les prochaines négociations commerciales, qui seront donc à nouveau difficiles.

Sur l’agrivoltaïsme, nous souhaitons, là aussi, discuter sans tarder. Nous avons fait un travail de fond et je me réjouis que les textes sortent. Les doctrines ne sont pas les mêmes d’un département à l’autre : ce sont les commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) qui ont la main. Ce que nous voulons, c’est une juste répartition de la valeur.

M. Henri Alfandari (HOR). Le projet de loi d’orientation agricole répondait à un certain nombre de questions, notamment sur le sens ou sur les niveaux de production, ce qui était novateur. Merci du travail que vous nous présentez mais, alors qu’il est urgent d’apporter des solutions au monde agricole, reprendre à zéro l’examen d’une loi en reporterait l’adoption à je ne sais quelle échéance, surtout dans la configuration actuelle de l’Assemblée nationale. Ne serait-il pas plus sage de reprendre la discussion du texte au Sénat, malgré les manques, et de l’adopter ? Il sera possible de le compléter ensuite par les éléments que vous proposez dans votre rapport.

La question majeure du foncier, notamment, concerne non seulement le revenu agricole, mais aussi les types d’exploitation ; elle est donc indissociable des débats sur Egalim, l’agriphotovoltaïsme ou les phytosanitaires. Tout cela a trait à l’équilibre de l’exploitation. Il s’agit de changer de vision quant à la manière dont on installe les agriculteurs.

M. Arnaud Rousseau. Je le répète, notre rôle était de faire en sorte que le sujet soit traité dans son entier. Il y a bien urgence. On parle de ce projet de loi depuis plus de deux ans ; il a été reporté de semestre en semestre. Je veux bien assumer ma part de responsabilité, mais chacun doit faire son boulot et celui-là ne relève pas de ma compétence. Plus de deux ans d’attente pour un bout de texte qui n’est pas complet : vous pouvez comprendre notre inquiétude !

Ce qui compte pour nous, c’est que des réponses soient apportées, que les choses avancent. Il me semble que les parlementaires ont un droit d’amendement qu’il leur revient d’utiliser. Depuis le début, on discute sur le point de savoir si, au regard de l’article 40 ou de l’article 45, tel ou tel point peut ou non être retenu. Je ne suis pas un spécialiste ; je vous laisse faire votre travail. Si le Sénat veut s’emparer du texte, nous accompagnerons la démarche, comme nous l’avons toujours fait, en soulignant que certains aspects n’y sont pas abordés. En tout cas, on ne pourra pas nous reprocher de ne pas avoir été une force de proposition dans le contexte très anxiogène que j’ai décrit.

M. Henri Alfandari (HOR). Nous sommes entièrement d’accord sur ces points. Quant au foncier, certains ont jugé que, malgré le gigantesque renouvellement de génération qui s’annonce, il n’y aurait pas de problème de mobilité de la propriété du foncier. Faut-il, oui ou non, s’attendre à des difficultés en la matière dans les dix prochaines années ?

M. Arnaud Rousseau. Oui, il y a un problème de statut du fermage. Nous en avons déjà parlé et nous sommes prêts à en discuter de nouveau. Les fermes françaises, comparées à leurs concurrentes européennes, sont familiales et de taille modeste. Ce qui compte pour nous, c’est de conserver une majorité d’exploitations à capitaux familiaux – nous nous sommes opposés aux groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI) – et qu’il soit possible de transmettre rapidement.

M. Yannick Monnet (GDR). La contamination et la mortalité dans les exploitations ovines ont atteint des niveaux inédits. Le désarroi et l’impuissance des éleveurs sont à la hauteur des pertes subies et à venir. Les perspectives sont alarmantes pour les exploitations et pour la filière.

Au-delà des engagements qui viennent d’être pris au niveau ministériel pour la reconnaissance du cas de force majeure dans le cadre des aides de la PAC, les députés communistes, par l’intermédiaire de leur président André Chassaigne, demandent au Premier ministre plusieurs mesures d’urgence que je vous demanderai d’apprécier.

Premièrement, la promesse d’un plan spécifique de soutien aux éleveurs, prévoyant non seulement l’abondement du fonds de mutualisation du risque sanitaire et environnemental à la hauteur des besoins d’indemnisation constatés dans les élevages, mais aussi la demande d’activation de la réserve de crise de la PAC. Deuxièmement, la sécurisation, la mise à disposition de tous les éleveurs et la prise en charge des quantités nécessaires de vaccins contre le sérotype 3. Troisièmement, une information claire et un accompagnement spécifique des éleveurs touchés pour l’ensemble de leurs démarches administratives dans les mois à venir.

Outre ces mesures d’urgence, nous demandons que soient entrepris un travail de fond permettant à notre pays de se doter de capacités propres de recherche et de production, y compris publiques, pour des produits pharmaceutiques et à usage vétérinaire, ainsi que l’élaboration d’un vrai système public de prévention et de gestion des risques sanitaires et climatiques, adossé à un régime public couvrant toutes les productions agricoles et toutes les exploitations. Qu’en pensez-vous ?

À la suite de l’annonce de la possibilité d’une signature de l’accord avec le Mercosur d’ici à la fin novembre, énième pied de nez à tous ceux qui défendent les principes d’un juste échange et du respect de la réciprocité des normes, j’aimerais savoir quelles actions la FNSEA compte mener au niveau européen pour rassembler les agriculteurs, en particulier les éleveurs, des autres pays de l’Union et leurs organisations syndicales autour de cet enjeu.

M. Arnaud Rousseau. Pour ce qui est de la crise sanitaire, je souscris pleinement à la première partie de vos propos. Il faut en effet indemniser les pertes directes et indirectes des exploitants, dont j’ai d’ailleurs réalisé un chiffrage, et reconnaître les cas de force majeure.

Pour ce qui est de la mutualisation – et ma réponse concerne aussi la question de monsieur Biteau relative à la réserve de crise –, nous avons demandé cet été au ministre démissionnaire de l’agriculture d’interroger directement Bruxelles, mais il n’y avait pas grand monde au bout du fil à cette période, car Bruxelles était également en plein mouvement, puisque la Commission allait se renouveler. Maintenant que le commissaire compétent est nommé et avant même qu’il soit confirmé dans ses fonctions, nous lui poserons la question le plus rapidement possible. Selon notre estimation et alors que nous ne sommes pas au pic de la crise, le chiffrage dépasse déjà cent millions d’euros.

Dans le domaine de la recherche, nous sommes très favorables à la création de banques de gènes qui nous permettent d’anticiper. La France possède de grands laboratoires, comme Ceva et d’autres, qui contribuent à la recherche et à l’innovation avec des fonds privés. Quant à savoir s’il doit s’agir d’un service public, je répondrai que ce qui nous intéresse, c’est l’efficacité.

Dans le travail de screening et dans les avancées réalisées, la direction générale de l’alimentation (DGAL) est un partenaire efficace. La question peut se poser de savoir si la réaction a été assez rapide, mais ce qui est certain, c’est que nous voulons avancer. Les banques de gènes sont donc importantes, notamment face à la FCO de sérotype 8, dont un variant se traduit désormais pour les troupeaux par une mortalité intenable. Le moral est au plus bas et les éleveurs ne savent plus comment répondre à ce problème.

Pour ce qui est du Mercosur, je pense y avoir déjà répondu. Nous sommes en phase avec plusieurs de nos collègues européens qui ont eux-mêmes des problèmes avec leurs propres gouvernements, comme nos collègues allemands, dont le gouvernement ne souhaite pas renoncer à des accords avec le Mercosur. En tout cas, nous travaillons au niveau du comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (Copa).

M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Les vignerons sont confrontés à une baisse durable et substantielle de la consommation de vin, tant en France qu’en Europe. La détresse de plusieurs d’entre eux tient tant aux aléas sanitaires qu’à la multiplication des normes et aux difficultés de transmission des exploitations et de valorisation du métier. La question du marché est toutefois centrale, la consommation ayant diminué en volume de 70 % en soixante ans dans notre pays. L’évolution des habitudes de consommation est flagrante et la jeune génération n’y fait pas exception. Compter sur une inversion de la courbe à périmètre constant serait donc utopique.

Alors que les surfaces cultivées ne varient pas dans de telles proportions, quelles sont vos préconisations pour assurer des perspectives sereines à notre filière viticole ? En particulier, quelle organisation devrait, selon vous, être mise en place pour favoriser l’ajustement, si besoin, des capacités de production, la montée en gamme des exploitations, la conquête de nouveaux marchés à l’étranger et l’adaptation aux nouvelles attentes du marché national ?

M. Arnaud Rousseau. Le secteur viticole est actuellement l’un des plus touchés par la crise, même si toutes les régions ne sont pas confrontées aux mêmes problèmes. Nous travaillons sur ces questions avec l’Union européenne et il est possible que des arbitrages relatifs aux conditions d’arrachage définitif ou temporaire soient rapidement rendus. C’est là un premier élément.

Madame Laporte, nous n’en sommes pas aujourd’hui au chiffre de cent mille hectares que vous avez évoqué car, comme c’est souvent le cas, si chacun comprend la nécessité de l’arrachage, chacun préférerait aussi que cela se fasse plutôt chez les autres. Un exercice de responsabilité est donc nécessaire. Nous défendons la possibilité d’un accompagnement, même s’il s’agit évidemment d’un choix individuel d’entreprise. Par ailleurs, les montants à l’hectare ne sont pas suffisants. Nous continuons à y travailler.

Pour ce qui est des conditions de marché, je tiens d’abord à rappeler qu’à l’exportation, la France est attaquée sur de très nombreux marchés et dans de nombreux domaines parfois très éloignés de la viticulture, comme dans le cas d’Airbus ou des problèmes liés à la Chine. Nous avons besoin de continuer à exporter.

Nous sommes toutefois assez méfiants quant à l’idée d’une montée en gamme, car nous voulons pouvoir irriguer l’ensemble des gammes, qu’il s’agisse de l’entrée de gamme, du cœur de gamme ou du haut de gamme. Pour avoir, en effet, abandonné l’entrée de gamme, nous nous sommes fait tailler des croupières, notamment par les vins espagnols, et nous avons besoin de reprendre l’ensemble des marchés.

Pour ce qui est, enfin, de la segmentation du marché, nous avons besoin de travailler à des produits plus attractifs. C’est tout le sens du travail réalisé dans le domaine de la désalcoolisation et pour proposer des vins à la typicité différente, qui a permis à certains secteurs dernièrement en crise de progresser et de trouver des solutions. Il faut cependant le faire dans une perspective de construction. Nous sommes confrontés à des problèmes graves et urgents de restructuration, certaines caves coopératives notamment se trouvant dans des situations économiques intenables. Nous devons permettre aux producteurs de se projeter et traiter la question du changement climatique en travaillant sur la typicité de certains cépages. C’est un travail de longue haleine, mais nous avons la volonté de donner des perspectives au vin français, qui est très attaqué, et nous devons continuer le travail.

De nombreuses questions relèvent du domaine comportemental, qui donne parfois lieu à des bras de fer avec le ministère de la santé, alors que le vin est un produit identitaire de notre pays et pour lequel nous devons continuer à avancer. Dans certains secteurs, des pans entiers de notre économie sont en effet en difficulté. C’est notamment le cas dans le département du Gers, où je me rendrai ce soir.

M. le président Antoine Armand. Nous en venons aux questions des autres orateurs.

M. Robert Le Bourgeois (RN). Le 4 septembre dernier, le dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture a rendu son rapport et ses préconisations pour la future PAC. Certaines demandes des agriculteurs français semblent avoir été entendues : moins de formalités administratives, garantie de vivre du fruit de leur travail, meilleure répartition de la PAC elle-même. Acceptons-en l’augure.

Le rapport recommande aussi de décorréler les montants des aides de la PAC de la surface des exploitations, ce qui profiterait aux petites exploitations. Si l’idée est bienvenue, les agriculteurs français pourraient s’en trouver lésés, y compris les petits exploitants, car le terme de « petite exploitation » ne désigne pas la même réalité en France ou, par exemple, en Pologne. Cette réforme ne risque-t-elle pas de faire baisser les aides de la PAC pour les plus grandes exploitations françaises sans pour autant les augmenter pour les plus petites, au seul profit des petites exploitations de pays où la moyenne des revenus et des surfaces est globalement moindre ?

Mme Françoise Buffet (EPR). Nous restons mobilisés à vos côtés pour répondre à la crise que connaît notre agriculture depuis des années. Comme cela a été rappelé, le Gouvernement, à la suite des mobilisations de la fin de l’année 2023, a pris de nombreux engagements pour simplifier et améliorer le quotidien de nos agriculteurs. Ces mesures, complétées par le projet de loi pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations, pour lequel vous avez appelé à voter, soulignent ces avancées, comme l’inscription dans la loi de la souveraineté agricole et alimentaire en tant que notion d’intérêt général majeur ou la mise en place d’un guichet unique. Cela ne semble cependant pas avoir calmé le mécontentement de la profession. Il est vrai que l’été a été difficile pour de nombreux producteurs de blé, viticulteurs ou éleveurs confrontés aux épidémies qui touchent déjà de nombreuses exploitations.

Parmi les trente-neuf mesures que contient votre projet de texte « Entreprendre en agriculture », lesquelles devraient être appliquées en priorité, selon vous, pour apaiser la colère de nos agriculteurs ?

M. Fabien Di Filippo (DR). Vous avez souligné que la décapitalisation était une tendance de long terme et on voit bien les enjeux de souveraineté alimentaire qui la sous-tendent. Quel sera l’impact de la fièvre catarrhale ovine sur l’accélération de cette décapitalisation ? Existe-t-il des leviers pour la limiter, voire pour la contrecarrer, et à quelle échéance cela aura-t-il des conséquences, notamment sur l’élevage ovin et sur l’élevage en général ? Existe-t-il aujourd’hui des modèles permettant de retrouver davantage de productivité et de ne pas devenir dépendants de pays d’Amérique du Sud ou d’Asie pour les années qui viennent ?

Mme Valérie Létard (LIOT). Je viens du Valenciennois, dans les Hauts-de-France, région qui a subi très fortement l’impact de la fièvre catarrhale, dont les premiers cas sont apparus dans la Sambre-Avesnois. A la date du 10 septembre dernier, 594 cheptels avaient été touchés, soit une augmentation de 29 %. La situation est très difficile à digérer pour une profession très inquiète quant à la délivrance d’un vaccin pour le variant 8, qui est, en Belgique, aux portes de notre région. Il est donc très urgent de trouver des solutions. Pensez-vous qu’une déduction fiscale portant sur la valeur du cheptel bovin, à hauteur de 150 euros par vache et plafonné à 15 000 euros, est une mesure efficace, et la soutenez-vous ?

M. Charles Alloncle (UDR). Je me trouvais hier dans l’Hérault avec des éleveurs durement touchés par la fièvre du Nil occidental (West Nile), qui avait frappé voilà plus de vingt ans sans qu’on ait, me semble-t-il, tiré les leçons de ce drame dont on ne parle pas beaucoup dans les médias ni à l’Assemblée nationale. Nous avons ainsi découvert que moins de 300 vaccins étaient disponibles sur l’ensemble du territoire national. Que pensez-vous de cette impuissance publique ?

M. Patrice Martin (RN). La situation des agriculteurs est telle que le renouvellement des générations n’est pas garanti. Les écoles et centres de formation en agriculture accueillent de nombreux jeunes passionnés, mais conscients des réalités. Si le revenu est un facteur clé pour l’installation, la transmission des biens d’exploitation, qu’il s’agisse du foncier bâti ou non bâti, constitue également un enjeu majeur.

Le projet de loi d’orientation agricole de la précédente législature n’apporte aucune solution concrète, se révèle inadapté et continue de complexifier les transmissions patrimoniales. Pour y remédier, le Rassemblement national propose de faciliter ces transmissions en allégeant la fiscalité par l’abrogation des droits de succession pour un agriculteur reprenant une exploitation pour une durée d’au moins dix ans. Ce dispositif permettrait de soulager les jeunes agriculteurs d’une lourde charge fiscale qui freine leur installation.

Que pensez-vous de cette mesure et quelles autres solutions préconisez-vous pour garantir une transmission pérenne des exploitations, essentielle à l’avenir du secteur ?

M. Stéphane Buchou (EPR). Je suis élu d’une circonscription du littoral vendéen où le tourisme est le premier secteur économique, mais où l’agriculture tient également une place importante, tout en faisant également face au zéro artificialisation nette (ZAN) et au changement climatique, caractérisé par le recul du trait de côte et la submersion marine. Je souhaiterais connaître votre vision de la place de l’agriculture, dans un tel contexte, pour les années à venir ?

M. Hervé de Lépinau (RN). Dans une petite vidéo que vous avez faite hier en marge d’un salon, vous vous félicitez de la nomination de M. Christopher Hansen au poste de commissaire européen à l’agriculture, car il vient du Luxembourg, un pays qui ne pèse pratiquement rien dans la politique agricole commune parce que trop petit pour produire. Vous venez cependant de nous dire aussi que ce pays était très favorable à l’accord avec le Mercosur. Avez-vous déjà interrogé monsieur Hansen sur le « Pacte Vert » et le projet délirant « De la ferme à la fourchette » ?

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NFP). Disposez-vous d’éléments sur le budget pour 2025 ? Bien qu’étant élue de la nation, je n’en ai eu que par des fuites dans la presse. Voilà où nous en sommes !

Avec l’inflation, il faudra compter avec une baisse de 8 % du budget agricole, soit une diminution de 650 millions d’euros en autorisations d’engagement, et 600 millions d’euros de baisse pour le programme Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt – je me demande d’ailleurs si cette baisse concerne les aides face aux aléas liés aux crises sanitaires ou les mesures agroenvironnementales… En sauriez-vous plus que nous, députés élus de la nation, qui sommes orphelins de toute information en la matière ?

Par ailleurs, que peut-on attendre des travaux d’évaluation de la loi Egalim 2 ? À défaut de prix planchers, nous sommes favorables à la « marche en avant » ; mais comment faire lorsqu’il y a aussi peu de contractualisations dans le domaine, par exemple, de la viande bovine, et lorsque la contractualisation entre distributeurs et producteurs est d’emblée aussi injuste, avec des OP aussi éparpillées et fragilisées ?

Mme Géraldine Grangier (RN). J’apprenais tout à l’heure, par un article, qu’une fois encore, dans le Haut-Doubs, une génisse avait été retrouvée morte, égorgée par le loup. Désormais, en région Bourgogne-Franche-Comté, nous déplorons pratiquement chaque semaine des attaques, ce qui est un problème important pour nos agriculteurs. Bien que le plan « Loup » préconise un meilleur accompagnement pour l’indemnisation des éleveurs, qu’en est-il réellement ? Qui prend en charge les cadavres éventrés ? Qui paie l’équarrisseur et combien de temps faut-il pour que les agriculteurs soient indemnisés ? Il semble en effet qu’il y ait un problème à ce niveau.

Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Éric, éleveur dans ma circonscription du Limousin, m’explique qu’avec la nouvelle PAC, il perd quasiment dix mille euros par an, parce qu’il n’y a plus de budget pour les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) liées à ses prairies humides d’élevage. « Que voulez-vous que je fasse d’autre que de l’élevage ? », me dit-il. Je n’avais tout d’abord pas fait le lien entre ce témoignage et l’article que j’ai lu hier et selon lequel le ministre de l’agriculture avait cédé aux demandes de monsieur Rousseau visant à ce que, dans la nouvelle PAC, 0,75 % seulement des surfaces agricoles soient considérées comme zones humides, et donc concernées par les nouvelles normes de la PAC définissant la bonne condition agricole et environnementale au titre de la « Protection des zones humides et tourbières » (BCAE2). Je pense alors à Jean-Luc, éleveur en Ille-et-Vilaine, qui me disait qu’il était dégoûté de ne rien pouvoir faire d’autre, avec la nouvelle PAC, que de retourner ses prairies, et considérait qu’on poussait les éleveurs à arrêter l’élevage extensif.

Mais, bien sûr, le Gouvernement et l’industrie agroalimentaire – dont vous êtes par ailleurs l’un des représentants – ne veulent pas céder pour assurer des prix rémunérateurs aux éleveurs. Ces normes et ces aides sont donc presque tout ce qui reste aujourd’hui pour essayer d’assurer un minimum de protection à nos paysages d’élevage extensif. Supprimer la protection de ces milieux et les aides associées à leur conservation revient à s’assurer que les zones d’élevage extensif seront peu à peu converties au profit de cultures intensives.

Pourquoi ces orientations ? Monsieur Rousseau, vous qui, visiblement, murmurez bien à l’oreille des ministres, entendez-vous aussi clairement les cris des éleveurs limousins que les alertes des céréaliculteurs de la Beauce ?

Mme Hélène Laporte (RN). J’ai bien noté votre positionnement à propos du Mercosur et j’espère vraiment que la mobilisation permettra très rapidement d’enterrer ce projet d’accord.

Ces accords de libre-échange placent les producteurs français dans une situation inique. Dans la filière de la tomate, très importante dans le Lot-et-Garonne, l’accord entre l’Union européenne et le Maroc, en vigueur depuis près de vingt-cinq ans, impose une pression sans cesse plus grande à nos producteurs. Le prix d’entrée de la tonne sur le marché européen n’a jamais été révisé depuis 2000, en dépit d’une inflation cumulée de 46 % pour la période, et le contingent de tomates totalement exonéré de droits de douane, à savoir 285 000 tonnes, n’a jamais été modifié, alors qu’on aurait dû tenir compte de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Enfin, entre juin et septembre, alors que nous devrions privilégier nos productions locales, les tomates marocaines bénéficient d’une réduction de droits de douane de 60 % qui permet un écart de prix considérable avec les produits français. Alors que la production française de tomates baisse d’année en année, une renégociation de cet accord, qui devrait être prioritaire, fait-elle partie de vos combats ?

M. Benoît Biteau (EcoS). Au moment où l’on parle de difficultés liées au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, les zones humides sont précisément des périmètres qui séquestrent efficacement des gaz à effet de serre, hébergent de la biodiversité patrimoniale et où l’élevage est déterminant. Sans élevage, en effet, ces zones ne sont que marécages à paludisme ou sont vouées au retournement au profit de grandes cultures. Essayer de raboter ces zones humides et les financements soutenant les éleveurs qui les entretiennent est suicidaire compte tenu de ces enjeux, pour lesquels nous avons rendez-vous avec l’Histoire, que sont le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Nous devrions faire le mouvement inverse et imaginer des paiements pour services environnementaux dans ces zones, au lieu de raboter du budget au détriment des pratiques d’élevage les plus vertueuses de France.

M. Jean-Luc Fugit (EPR). Dans votre projet de loi, vous appelez à mieux sécuriser les projets d’agrivoltaïsme qui, comme vous l’avez évoqué, se développent depuis la loi d’accélération des énergies renouvelables. Toutefois, ce développement connaît encore des freins, notamment au niveau de l’encadrement financier et du difficile montage juridique associant l’agriculteur et l’énergéticien. Que préconisez-vous pour susciter plus de confiance envers le développement de ces projets, ainsi qu’envers la méthanisation ?

L’agriculture biologique est confrontée à un contexte économique difficile, l’année 2023 ayant été marquée, pour la première fois, par un recul de 2 % des surfaces converties en bio. Le Gouvernement a pris des mesures conjoncturelles pour soutenir les exploitations en difficulté et a proposé en avril dernier un programme « Ambition bio 2027 ». Quel est votre avis sur ce programme ?

M. Arnaud Rousseau. Monsieur Le Bourgeois, pour ce qui concerne le dialogue stratégique, merci d’avoir expliqué que certains aspects peuvent être positifs et d’autres négatifs. Nous voulons rompre avec l’approche du Pacte Vert et une vision largement critiquée par le monde agricole. La question n’est pas tant le changement climatique, qui est un fait, que la nécessité de continuer à produire pour nourrir en Europe sans être exposés à des importations croissantes dans un espace où seuls 3 % des produits agroalimentaires font l’objet de contrôles et où les non-conformités sont trop nombreuses. Cela nous conduit à être très vigilants quant aux discussions qui vont s’ouvrir à propos de la PAC dans les prochaines semaines. Tout le monde dit que ce sera le pilier de la discussion, mais ce ne serait pas la première fois qu’une discussion d’ordre stratégique ne serait pas reprise. Le panel qui traitait de ces questions était, comme toujours, assez large et cette représentation aurait pu permettre une plus grande efficacité. Nous voulons néanmoins construire une vision de la PAC dans laquelle l’Europe réaffirme sa souveraineté.

Monsieur de Lépinau, si j’ai effectivement dit que la nomination de monsieur Hansen était une bonne nouvelle, c’est, à ce stade, par comparaison avec le précédent commissaire à l’agriculture, qui ne nous aura pas laissé un souvenir inoubliable. Le fait que son successeur soit un parlementaire aguerri qui porte une ambition pour l’agriculture est de bon augure. J’ai également indiqué que nous n’étions pas sur la même longueur d’onde à propos du Mercosur et que nous devrions certainement débattre avec lui de plusieurs autres questions. J’aurai, du reste, une discussion avec lui la semaine prochaine pour comprendre quel est son cadre d’engagement et comment il prévoit de s’appuyer sur l’ensemble des représentations syndicales européennes pour construire le projet. La nomination d’un commissaire à l’agriculture issu d’un pays où l’enjeu agricole n’est pas central permet effectivement à mon sens d’avoir une certaine neutralité. De fait, au niveau européen, l’important est de rassembler sans que nous renoncions pour autant à notre vision.

Nous avions demandé que le commissaire à l’agriculture puisse occuper une place importante au sein du collège des commissaires, mais ce n’est pas le cas. Nous devrons donc aussi nous assurer que certaines autres questions qui pourraient excéder sa compétence seront portées à notre connaissance.

M. Luc Smessaert. Madame Buffet, certaines des trente-neuf mesures se trouveront dans le projet de loi de finances, car elles correspondent à des engagements pris par le gouvernement de l’époque. Nous pourrons donc vous fournir dès la semaine prochaine des éléments détaillés.

S’il est un point essentiel, c’est bien de savoir comment permettre aux agriculteurs de dégager un revenu décent. Cela suppose notamment d’appliquer pleinement les lois Egalim et de disposer des moyens de production appropriés tout en évitant les distorsions. Outre les produits phytosanitaires, il s’agit aussi de l’accès à l’eau, en qualité et en quantité – il ne faut pas l’oublier, en cette année où nous avons observé jusqu’à 1 200 ou 1 300 mm de précipitations. Il convient également d’élargir le droit à l’erreur, car les agriculteurs sont perdus face à l’empilement des textes et il faut les accompagner. Il faut, enfin, simplifier et ramener du bon sens, car la complexité grève notre compétitivité.

Étant moi-même éleveur dans les Hauts-de-France, je connais bien la situation de la FCO. Ayant effectué ce matin ma deuxième journée de vaccination, je peux vous dire qu’il est important que les vaccins arrivent rapidement. C’est la meilleure réponse pour protéger le cheptel ovin ou bovin que nous avons mis des années à bâtir. La France a la chance de posséder les meilleurs éleveurs sur le plan de la génétique et il est important de préserver les souches. De fait, si nous pouvons être fiers d’exporter la génétique, il importe aussi que nous puissions la conserver.

Avec des pertes de 10 % à 30 %, il faudra du temps pour renouveler notre cheptel ovin et il faudra accompagner ce renouvellement en assurant aux agriculteurs une trésorerie qui leur permette de le réaliser le plus rapidement possible. Ce n’est pas le moment de baisser les bras et il faut faire tout ce que nous pouvons en termes de prévention.

En tant que trésorier du fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE), je peux vous dire que nous serons au rendez-vous. Ce fonds professionnel, qui bénéficie de l’aide de l’État – chaque fois qu’un agriculteur met un euro, l’État ou l’Europe en met deux –, a aujourd’hui dix ans et peut accompagner en partie les agriculteurs mais, face aux nouvelles maladies émergentes, comme la FCO3, l’État doit être au rendez-vous. La prévention, la désinsectisation et la vaccination coûteront toujours moins cher. Ce que nous avons pu faire l’année dernière pour la grippe aviaire avec des vaccins qui étaient encore à l’essai a été une réussite, car la filière rebondit aujourd’hui et se remet en perspective.

Comme l’a dit le président Rousseau, nous devons aussi être au rendez-vous des banques de gènes, car nous avons besoin d’anticiper. La fièvre porcine est à nos portes, de l’autre côté du Rhin, et il n’est pas question qu’elle passe la frontière. Nous devons mettre tous les moyens nécessaires pour l’éviter. Nous accompagnons donc toujours les agriculteurs qui font de la prévention. Il faut aujourd’hui les accompagner moralement et les soutenir, et être aussi au rendez-vous des indemnisations dans le domaine sanitaire.

M. Arnaud Rousseau. Monsieur Di Filippo, pour ce qui est de la décapitalisation, selon nos estimations – qui devront certes être affinées car, comme le dit madame Létard, chaque semaine voit le nombre de cas exploser – près de 10 % du cheptel ovin sera concerné directement ou indirectement. Ce sont donc autant d’agnelles qui seront touchées et autant de problèmes de renouvellement pour l’année prochaine, ce qui représente un impact majeur. Je rappelle que cette production fait déjà l’objet de plus de 50 % d’importation, notamment de Nouvelle-Zélande et d’Australie, ce qui est pour nous une vraie préoccupation. D’où la nécessité de trouver des moyens, notamment pour indemniser les pertes directes et indirectes.

Quant à l’équarrissage, il est financé par une taxe globalisée. Nous avons eu des difficultés dans ce domaine car, pour des raisons d’organisation industrielle, le ramassage n’avait pas lieu : inutile de vous dire qu’en plein été, lorsque des animaux ne sont pas partis à l’équarrissage au bout de quatre ou cinq jours, le problème n’est pas traitable ! L’administration a ainsi conseillé elle-même à certains agriculteurs de les enterrer sur leurs propres sites, ce qui n’est évidemment pas satisfaisant en termes sanitaires.

Nous nous tenons à la disposition de tous les députés concernés de près ou de loin par ce problème pour voir ce qu’il est possible de faire et comment y parvenir, mais nous avons besoin de le faire vite. Au mois d’août, le ramassage des brebis pour équarrissage a augmenté de 100 % et celui des bovins de 25 %. Ces chiffres moyens cachent des écarts très importants selon les départements.

La mesure fiscale de 150 euros ne concerne que les bovins et absolument pas les ovins, auxquels les éleveurs demandent évidemment qu’elle s’applique. Se pose aussi un problème d’équilibre, car cette mesure, si elle est inscrite dans le prochain projet de loi de finances, correspondra à près de 50 % du potentiel des aides de minimis de la France. D’où l’intérêt de travailler aussi à Bruxelles sur l’augmentation de l’enveloppe de ces aides – c’est une question qui nous tient à cœur.

Monsieur Alloncle, vous avez évoqué le virus de la fièvre de West Nile (FWN). Il y en a d’autres, notamment le virus de la fièvre charbonneuse dans le Cantal. La protection offerte par nos services sanitaires est-elle suffisante ? Certes, elle n’est pas satisfaisante pour les gens qui sont touchés. Nous persistons à penser qu’il faut renforcer les banques de gènes. Toutefois, l’honnêteté oblige à dire que le système français, en matière de veille et d’urgence sanitaires, est l’un des plus vertueux d’Europe.

Pouvons-nous mieux faire ? Probablement, puisque des cas surviennent. La question de l’équilibre bénéfice-risque ne s’en pose pas moins. Quant à la question, qui relève de la recherche, de savoir s’il est opportun de se doter en masse de vaccins, je ne suis pas suffisamment compétent pour y répondre en détail.

En revanche, il nous semble important de poursuivre la recherche et l’innovation, et de se doter de banques de gènes pour pouvoir réagir très rapidement en fonction des variants, d’autant que certaines maladies réapparaissent. Dans certains départements, c’est la tuberculose bovine qui nous préoccupe, dans la mesure où elle peut emporter des troupeaux entiers, et avec eux un patrimoine génétique. La question sanitaire, dans l’élevage, est devenue primordiale. Nous voyons de plus en plus de choses inédites, qui incitent à la plus grande prudence.

S’agissant de la question des conditions de transmission soulevée par monsieur Martin, nous sommes favorables à une forme – pardonnez cette appellation impropre – de « Dutreil agricole », ce qui permettrait de transmettre une partie du patrimoine d’exploitation dans des conditions fiscales identiques à celles appliquées dans les secteurs de l’industrie et du commerce. Trop souvent, les agriculteurs restent longtemps en activité, subissant parfois des niveaux de pénibilité hors normes, et n’osent pas franchir le pas en raison des conditions de transmission de leur exploitation. Les Jeunes agriculteurs, dont je crois savoir qu’ils seront auditionnés par votre commission, ont aussi des propositions à faire sur la condition de jeune agriculteur, qui prévoient des franchises de fiscalité et des franchises sociales dans les premières années d’activité.

Monsieur Buchou, député de Vendée, nous interroge sur la place réservée à l’espace agricole. Notre position est claire : nous sommes très regardants sur la consommation de l’espace agricole, dont nous avons toujours été de fervents défenseurs, pour la simple raison qu’on sait très bien qu’une fois un territoire sorti de l’agriculture, il n’y revient jamais. Nous nous sommes cependant efforcés d’adopter une position équilibrée sur l’objectif ZAN, considérant que l’on ne peut s’opposer à une forme de développement économique. Les nombreux agriculteurs engagés dans les collectivités locales voient bien l’intérêt de développer les services publics, le logement et les zones d’activité. Toutefois, nous avons souhaité cantonner cette possibilité, en zone rurale, à une surface maximale de 1 hectare, pour éviter le mitage et la consommation effrénée de l’espace, tant la terre agricole, bien souvent, est considérée comme une sorte de puits sans fond où l’on peut pomper indéfiniment.

Cela m’amène à la question de madame Meunier. En Vendée, les zones humides sont un sujet majeur. Les sites Ramsar, en particulier, nous préoccupent s’agissant de la capacité à produire. Je me tiens à la disposition de Jean-Luc, l’éleveur que vous avez évoqué, pour discuter avec lui des conditions de son évolution. Pour ma part, je fais la distinction entre les aides et les mesures agroenvironnementales (MAE), lesquelles, pour l’heure, font l’objet d’un financement et ne sont pas attaquées, sans préjudice de la prochaine doctrine. Vous pouvez lui dire, madame la députée, que, si des engagements ne sont pas tenus ou s’il n’est pas payé, la responsabilité en incombe à l’État. En tout état de cause, les fonds sont là et nous nous battons pour que les gens qui n’ont pas été payés le soient.

S’agissant des zones humides, je rappelle que la Conférence des aires protégées estime que 29 % du territoire national sont propices à leur présence, ce qui nous pose problème compte tenu des exigences de la production. Quant à mon influence auprès du ministre de l’agriculture, je vous prie de croire que mon analyse diverge de la vôtre, tant les sujets qui me tiennent à cœur n’ont pas suffisamment avancé à mes yeux.

Madame Trouvé, je suis au regret de vous informer que je ne dispose pas des lettres de cadrage budgétaire et nous sommes fort inquiets de la façon dont les différents sujets seront traités. Chacun devra probablement faire un effort et nous prendrons nos responsabilités. Toutefois, vous savez comme moi, et même mieux, que le budget du ministère de l’agriculture finance en partie l’enseignement agricole, qui est un budget important.

Je suis incapable de vous dire comment est réparti l’effort. Nous sommes preneurs de toute information. Nous attendrons patiemment d’être éclairés – dans quelques jours, je l’espère…

S’agissant de la loi Egalim 2 du 18 octobre 2021, nous sommes favorables à tout progrès en matière de contractualisation. Nous sommes conscients que, telle qu’elle est rédigée, la loi n’épuise pas la question de la différence des marchés national et global. Par exemple, en matière de produits laitiers, il est difficile de placer sur le même plan un producteur de produits de grande consommation et un exportateur de poudre de beurre sur le marché mondial, ce n’est pas à une économiste chevronnée que je l’apprendrai.

Nous n’en demeurons pas moins attachés à la contractualisation pour tout ou partie du prix. Le dispositif de construction du prix « en marche avant » comporte des droits et des devoirs. Dans la filière bovine, en dépit des difficultés, la grande distribution s’est déclarée prête à l’envisager. Nous sommes prêts à y travailler. Nous nous sommes mis au travail avec les représentants de l’industrie agroalimentaire et les représentants de la grande distribution.

La question posée est toujours la même : si nous ne sommes pas capables de créer la valeur et de la répartir, nous n’obtiendrons aucun résultat pour le monde agricole. Sans méconnaître l’importance du pouvoir d’achat des Français, nous sommes conscients de certaines limites. Je ne voudrais pas laisser croire que la production française est toujours plus chère que la production importée, d’autant qu’il faut tenir compte de la qualité et de la saisonnalité.

Cela m’amène à la question de madame Laporte sur les tomates. Nous avons clairement pour ambition de rediscuter de l’accord avec le Maroc, qui a plus de vingt-cinq ans et ne concerne que les grosses tomates et non les tomates cerises qui arrivent par millions sur notre territoire. Je rappelle aussi, en lien avec la saisonnalité, que la France ne peut pas fournir tout le temps, mais qu’elle peut le faire une grande partie de l’année – nous nous battons pour cela. Ensuite, une tomate est composée à 90 % d’eau : on importe donc de l’eau, ce qui n’est pas un sujet sans importance dans le contexte du changement climatique et du bilan carbone. Continuer à bénéficier d’échanges ne nous gêne pas, pour peu que les producteurs français puissent travailler dans un cadre loyal. Or ce n’est pas le cas, puisque l’accord n’est pas respecté. Je ne dis pas que nous ne voulons plus de tomates marocaines, mais qu’il faut rediscuter du standard, des conditions et du moment. J’ajoute que la grande distribution a une responsabilité, qui est de faire sorte que les produits, lorsqu’ils arrivent sur le marché, fassent l’objet d’un soutien marqué, et cela vaut globalement pour les fruits et légumes. La question s’est posée cet été pour la nectarine ou l’abricot.

M. Luc Smessaert. Nous n’avons pas toutes les informations concernant le budget, mais certains éléments ont filtré, notamment au sujet des retraites, c’est-à-dire du PLFSS. La réforme des retraites devait s’appliquer – c’était l’engagement du Premier ministre – au 1er janvier 2026 ; or il semblerait que sa mise en œuvre soit reportée à 2028, ce qui n’est pas acceptable. Les cotisations augmenteraient pour les agriculteurs, alors que Matignon s’était engagé à prendre sur le passage, pour les indépendants dont nous faisons partie, du taux brut à un taux net, que vous avez décidé dans le PLFSS 2024 et qui a ramené 140 millions d’euros. Il ne faut pas nous imposer des contributions complémentaires : on peut prendre dans cette enveloppe. Le non-respect des engagements, de la parole publique, fait partie de ce qui nous met en colère.

Merci d’avoir posé la question de la prédation du loup. Elle est en forte augmentation – plus de quatre-vingts départements sont désormais touchés. C’est devenu quasiment normal, en tout cas banalisé. Il a été question tout à l’heure du maintien de l’élevage. Or je peux vous dire que lorsque la prédation est à vos portes, c’est un drame moral et humain, et pas seulement une question économique. Au-delà du règlement des problèmes d’indemnisation, qui ne sont pas tolérables, la meilleure solution est de donner aux éleveurs la possibilité de se protéger. Nous avons vraiment besoin d’un accompagnement, en particulier, comme c’est souvent le cas, dans les zones difficiles, de montagne ou défavorisées.

Il faut aussi soutenir nos éleveurs en arrêtant les discours un peu extrémistes, anti‑viande ou qui prétendent que l’élevage n’est pas la solution. Pour maintenir les prairies, il faut maintenir le revenu et tout ce qui va avec – il faut notamment donner de la souplesse pour éviter une sanctuarisation. Je peux vous dire que c’est aussi cela qui permettra de maintenir demain des prairies partout en France.

M. Arnaud Rousseau. J’ajoute, s’agissant de la prédation, que la prévention coûte environ 40 millions d’euros par an et qu’il convient également de prendre en compte l’indemnisation en tant que telle. Nous étions d’accord, lors des discussions initiales, pour préserver une population de cinq cents animaux afin de maintenir l’espèce, mais la situation aujourd’hui n’est plus sous contrôle : quatre-vingt-deux départements sont concernés par la présence du loup. Nous voulons donc passer d’une logique de préservation à une logique de prélèvement, comme pour d’autres animaux qui posent des problèmes de prédation. Dans ce domaine, le budget total de l’État est de l’ordre de soixante-dix millions d’euros par an, dont une partie est prélevée sur la PAC. Il n’est pas complètement logique que les agriculteurs, qui sont les victimes de la prédation, soient eux-mêmes, du point de vue budgétaire, les financeurs de la prévention. Et je ne parle même pas de l’impossibilité de protéger efficacement les troupeaux, notamment bovins : tout cela n’est évidemment pas tenable.

Monsieur Fugit, vous avez raison en ce qui concerne l’agrivoltaïsme. Une loi a été promulguée, ainsi qu’un décret d’application, mais deux questions ne sont pas traitées, qui nécessitent de recourir de nouveau à la loi. La première est le fermage : il faut préciser qu’une activité agrivoltaïque est conciliable avec ce statut – ce n’est pas le cas aujourd’hui et il y a donc un vide pour les agriculteurs qui voudraient s’engager sur cette voie dans le cadre de leur activité professionnelle. Le deuxième sujet qui nous tient à cœur est le partage de la valeur. Nous ne sommes pas hostiles à un déploiement, à la main des départements au travers des commissions de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), mais nous souhaitons que la valeur créée puisse être répartie équitablement. C’est l’objet de discussions avec un certain nombre d’énergéticiens : certains jouent le jeu, d’autres moins. Il existe des écarts très importants entre eux et certaines promesses pourraient ne pas être tenables. Nous voulons que les réponses apportées ne fassent pas seulement la part belle à ceux qui déploient les énergies renouvelables, mais tiennent également compte de ceux qui offrent le gîte et le couvert, si je puis dire.

Il en est de même pour la méthanisation agricole. Nous sommes vigilants sur son déploiement. Certains points restent pendants, comme les capacités d’injection, leur annualisation et la cogénération, sujet qui n’est pas traité et qui met des projets face à de grandes difficultés économiques.

S’agissant d’Ambition Bio, nous avons toujours été très clairs : ce qui compte, c’est la corrélation au marché. Or la réalité de celui-ci rend les projections retenues dans le cadre de la planification écologique (21 % de surfaces en bio en 2030) hors de portée au moment où nous parlons, essentiellement pour des raisons de débouchés. J’en ai discuté ce matin avec le président de Sodiaal : quand vous collectez du lait bio, la difficulté de vendre dans ce segment de marché est majeure. Nous devons d’abord faire en sorte que les producteurs puissent conserver les projets dans lesquels ils se sont engagés, en s’assurant qu’il y ait le moins de « déconversions » possible, parce qu’il y a derrière des projets de vie, des gens qui y ont consacré de la sueur, de l’énergie et de l’argent. Il nous paraît important qu’un lissage ait lieu. Le niveau de déconversion pour un certain nombre de productions, notamment les grandes cultures, nous inquiète cette année. Il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de déconversions, tout en évitant des conversions dont l’accumulation aurait pour conséquence d’embouteiller des marchés dans lesquels on ne trouve pas de débouchés – il reste des secteurs où c’est possible, et il faut donc regarder la situation secteur par secteur. Ce qui est sûr, c’est qu’à chaque fois qu’on perd 1 % d’agriculture biologique, près de 280 millions d’euros d’argent public sont brûlés. Il faut donc faire attention. On peut toujours faire du « wishful thinking », comme disent les Britanniques, c'est-à-dire des vœux pieux, mais ce qui importe, c’est d’être capable de stabiliser les choses. Nous aurons aussi besoin de la grande distribution, de veiller à ce que les niveaux de marge soient raisonnables et éviter certains sacrifices.

Monsieur Biteau a posé une question sur les paiements pour services écosystémiques ou environnementaux. J’ai dit dans mon propos introductif qu’il y aurait, dans notre esprit, trois sources de financement : la production alimentaire, qui est le cœur de notre action ; la production d’énergie renouvelable, que recherchent de plus en plus d’agriculteurs – installations photovoltaïques sur les toits dans des élevages, méthanisation ou, plus généralement, utilisation de la biomasse, étant entendu que le bouclage dans le cadre des travaux menés avec le Secrétariat général à la planification écologique n’a pas abouti ; les paiements pour aménités positives, qui peuvent être une partie de la réponse. Il peut s’agir de la contribution à l’activité touristique du pays, qui est majeure, et de toutes les activités qui contribuent de près ou de loin à la mise en valeur de l’environnement et au développement. Nous avons nous-mêmes créé une structure pour développer ces services, et il en existe d’autres : c’est un axe qui nous paraît important.

La question de fond sera la répartition, dans l’enveloppe budgétaire européenne, entre les différents schémas. Il y aura une discussion, pour faire synthétique et un peu caricatural, « hectares versus hommes », sachant qu’il faudra forcément un peu des deux, et nous serons vigilants à ce qu’une partie des budgets ne parte pas nécessairement vers les pays de l’Est – si on prend les niveaux d’activité à l’heure actuelle, la Bulgarie, la Roumanie et la Pologne pourraient recevoir des montants importants. On m’a dit qu’on était prêt à regarder aussi comment on valorise le travail des actifs et la valeur ajoutée : il faudra examiner ces questions, en veillant à définir des engagements, au lieu de se placer, comme c’est le cas aujourd’hui, dans le cadre d’un projet stratégique qui relève plutôt des intentions. Il faudra donc que nous puissions voir clair sur la partie budgétaire. Je rappelle que l’agriculture est l’enveloppe la plus importante du budget européen – elle représente entre 27 % et 28 % du total – et que beaucoup de gens s’y intéressent, considérant que des moyens importants pourraient être dévolus à d’autres sujets. Il appartiendra aux députés européens de faire ce travail et nous serons très vigilants de notre côté à ce qui sera fait.

Ce qui compte pour nous – et je vous remercie, monsieur le président, d’emmener demain une partie de votre commission au salon Space – c’est d’aller le plus souvent possible sur le terrain. Je le dis à des députés qui sont toutes les semaines dans leur circonscription : ce qui importe pour nous à ce stade, c’est de faire en sorte que le décalage grandissant entre la parole publique et le ressenti, au plus près des exploitations, soit contré par le déploiement d’actions concrètes ; c’est de cela dont nous avons besoin. Vous êtes là pour faire la loi et vous avez été élus démocratiquement ; nous jouerons, quant à nous, notre rôle de corps intermédiaire, en espérant que la situation se clarifie. Il faut des actions concrètes : rester en l’air dans le moment que nous vivons est très anxiogène. Je me permets donc d’insister, monsieur le président, sur la nécessité que votre commission et l’ensemble des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat fassent un travail qui permette aux agriculteurs de mesurer que votre rôle se traduit par des résultats concrets dans les exploitations. C’est aussi le message que je m’autorise à vous transmettre, en vous remerciant.

M. le président Antoine Armand. C’est là un message très clair et que nous avons tous entendu. Une délégation du bureau de la commission se rendra effectivement demain au Space, à Rennes, pour prolonger les échanges et ce n’est là que le début du travail de la commission des Affaires économiques.

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Informations relatives à la commission

 

La commission des affaires économiques a également nommé les rapporteurs suivants :

– Mme Hélène Laporte (RN) et M. Thierry Benoît (HOR) co-rapporteurs pour la nouvelle mission d’information sur les problématiques économiques de l’abattage dans le contexte de réduction des cheptels ;

– M. Sylvain Carrière (LFI-NFP) et Mme Sandra Marsaud (EPR) pour la mission d’information sur les stratégies de marché de la filière vitivinicole ;

– MM. Jérôme Nury (DR) et Éric Bothorel (EPR) pour la mission d’information sur le New Deal mobile ;

– Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC) et M. Philippe Bolo (Dem) pour la mission d’information sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques. À la demande des groupes politiques, seraient également membres de cette mission MM. Xavier Albertini (HOR), Antoine Armand (EPR), André Chassaigne (GDR), Mme Julie Laernoes (Ecolos), MM. Nicolas Meizonnet (RN), Vincent Rolland (DR) et Matthias Tavel (LFI-NFP) ;

– MM. Stéphane Delautrette (SOC) et Julien Gabarron (RN) et Mme Sophie Panonacle (EPR), pour la mission sur l’application de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification du risque incendie ;

– MM. Julien Dive (DR), Harold Huwart (LIOT) et Richard Ramos (Dem) et Mme Aurélie Trouvé (LFI-NFP), pour la mission d’évaluation de la loi Egalim 2 ;

– Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC) et M. Jean-Pierre Vigier (DR) pour siéger au Conseil national pour le développement, l’aménagement et la protection de la montagne ;

– M. Hervé de Lépinau (RN) pour siéger à la Commission d’examen des pratiques commerciales ;

– Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP) et M. Éric Bothorel (EPR) pour siéger au sein de la Commission pour la modernisation de la diffusion audiovisuelle.

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 18 septembre 2024 à 14 h 30

Présents.  M. Henri Alfandari, M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Charles Alloncle, M. Maxime Amblard, M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Stéphane Buchou, Mme Françoise Buffet, M. Romain Daubié, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Antoine Golliot, Mme Géraldine Grangier, Mme Olivia Grégoire, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, Mme Valérie Létard, Mme Sandra Marsaud, M. Patrice Martin, Mme Manon Meunier, Mme Agnès Pannier-Runacher, M. Dominique Potier, Mme Valérie Rossi, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric Weber

Excusés.  M. Xavier Albertini, M. Laurent Alexandre, Mme Delphine Batho, M. Éric Bothorel, M. André Chassaigne, Mme Christine Engrand, M. Maxime Laisney, M. Max Mathiasin, Mme Louise Morel, M. Philippe Naillet, M. Vincent Rolland

Assistaient également à la réunion.  M. Fabien Di Filippo, M. Yannick Monnet, M. Jean-Luc Warsmann