Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Audition de Mmes Véronique Marchesseau, secrétaire générale, et Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, sur la situation et les attentes du monde agricole 2
Mercredi 25 septembre 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 6
session de 2023-2024
Présidence de
M. Pascal Lecamp,
Vice-président
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La commission des affaires économiques a auditionné Mmes Véronique Marchesseau, secrétaire générale, et Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, sur la situation et les attentes du monde agricole.
M. le vice-président Pascal Lecamp. La commission des affaires économiques, qui a récemment auditionné la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs, poursuit aujourd’hui ses auditions consacrées à la situation et aux attentes du monde agricole. Nous avons le plaisir d’accueillir madame Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne, et madame Sylvie Colas, qui en est secrétaire nationale.
Notre commission est très attentive aux questions agricoles et à nos agriculteurs, qui sont au cœur de l’activité économique du pays et qui ont dû faire face à des difficultés importantes dans plusieurs filières ces derniers mois. Nous constatons dans nos circonscriptions que leurs attentes, déjà importantes au printemps dernier, sont aujourd’hui encore plus grandes. Pour certains, il y a urgence. Les mauvaises conditions météorologiques ont en effet entraîné un net recul des récoltes céréalières, notamment celle du blé : c’est la plus mauvaise depuis quarante ans, selon les premières statistiques. De plus, la collecte viticole pourrait baisser de 18 % sur un an. Enfin, dans les élevages, trois virus touchent actuellement les cheptels : les fièvres catarrhales ovines 3 (FCO 3) et 8 (FCO 8), la maladie hémorragique épizootique (MHE) et quelques cas de grippe aviaire en Bretagne. À ce sujet, je rappelle que notre commission a décidé, au début du mois, de créer deux missions respectivement relatives à l’abattage et à la viticulture.
Dans ce contexte, n’hésitez pas à nous faire connaître les évolutions législatives que vous jugez souhaitables, notamment dans le cadre du projet de loi d’orientation agricole (LOA) que nous avons adopté en commission, puis en séance en première lecture, et transmis au Sénat le 29 mai dernier.
Nous aimerions également connaître vos attentes concernant les moyens financiers engagés et à engager au profit du monde agricole dans le cadre du futur projet de loi de finances pour 2025, dont nous serons bientôt saisis pour avis. Nous savons que la Confédération paysanne est attentive à la préservation des exploitations familiales et de leurs revenus. Nous nous étions déjà rencontrés à ce sujet lorsque j’étais à la commission des finances, en charge du rapport sur l’agriculture.
Votre audition peut aussi être l’occasion d’évoquer l’équilibre des relations commerciales au sein de la filière alimentaire, à la suite de la mission conduite auprès du Gouvernement au printemps dernier par nos anciens collègues Alexis Izard et Anne-Laure Babault, en vue de l’élaboration d’une possible loi « Égalim IV ». Notre commission a également décidé de reconstituer une mission d’évaluation de la loi « Égalim II » : celle-ci a été confiée à nos collègues Julien Dive, Harold Huwart, Richard Ramos et Aurélie Trouvé, dont nous attendons les travaux avec beaucoup d’intérêt. Enfin, n’hésitez pas à nous faire connaître votre opinion concernant l’évolution du cadre législatif et réglementaire applicable à l’agrivoltaïsme, sujet auquel nous sommes plusieurs à être confrontés sur nos territoires et dont nous devons assurer un développement raisonnable.
Mme Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne. Je souhaite vous exposer les chantiers prioritaires et nos attentes vis-à-vis de votre nouvelle Assemblée nationale. Comme vous l’avez dit, Monsieur le Président, le monde agricole traverse une crise prolongée, qui s’est exacerbée l’hiver dernier par une colère et une détresse sans réponse adéquate. L’été a encore aggravé la situation globale du monde agricole, avec des conditions sanitaires et climatiques défavorables accentuant les difficultés dans de nombreuses exploitations.
Depuis des années, la question du revenu agricole est cruciale. À la suite des mouvements de protestation de janvier et février derniers, le syndicat majoritaire a demandé des mesures de simplification, une réduction des normes environnementales et des frais de succession. Cependant, ces mesures ne répondent pas, à nos yeux, aux attentes de la majorité des agriculteurs : ils attendent, avant tout, de réelles avancées pour améliorer leur revenu, notamment par l’instauration de prix minimum garantis et de prix d’entrée minimaux pour réduire la concurrence des produits importés. Il est également essentiel de mettre fin aux accords de libre-échange, qui transforment les denrées agricoles en monnaies d’échange et ne permettent pas aux agriculteurs de vivre de leur travail. Des mesures fortes de régulation du marché sont par ailleurs nécessaires. L’industrialisation de l’agriculture, en cours depuis des décennies, n’a pas prouvé que tous les agriculteurs pouvaient vivre de leur travail et la crise actuelle des revenus se manifeste par une diminution du nombre de fermes et d’agriculteurs. Il est donc indispensable de soutenir l’agriculture paysanne, notamment à travers les mesures fiscales du prochain projet de loi de finances.
Mme Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne. Nous avons en effet traversé un été catastrophique dans le monde agricole et la situation continue de se détériorer. Nous faisons face à une crise sanitaire prolongée qui menace gravement l’élevage français. Tous les élevages de ruminants sont concernés par des maladies telles que la FCO et la MHE. Les cartes épidémiques, bien que souvent en retard, montrent clairement que l’ensemble du territoire sera bientôt contaminé par plusieurs virus. Mais il faut bien se souvenir de ce que ces crises sanitaires sont avant tout liées au changement climatique.
En Ariège, nous avons observé la présence du colicoïde, ce moucheron vecteur de la FCO 8, à plus de deux mille mètres d’altitude et ce, très tard dans la saison – ce que nous n’avions jamais constaté jusque-là. Les éleveurs d’Isère, par exemple, ont subi jusqu’à 50 % de mortalité dans leurs troupeaux de brebis. Face à cette situation, certains éleveurs envisagent d’abandonner leur activité, ne pouvant plus travailler sous la menace constante de ces virus, malgré leurs efforts et leurs pratiques. Il est urgent d’envoyer un message fort pour faire pression sur le Gouvernement en vue d’obtenir rapidement une prise en charge des frais liés à ces maladies, y compris la disponibilité et le financement des vaccins, quel que soit le virus ou le territoire. Les zonages actuels sont incompréhensibles pour les éleveurs et il est impossible de gérer une crise sanitaire en segmentant les virus de la sorte. Une approche unifiée est nécessaire pour traiter toutes les maladies et tous les territoires.
Un éleveur ayant perdu 50 % de son troupeau se demande comment il pourra renouveler son cheptel, d’autant que de nombreux béliers touchés sont devenus stériles. Il faudra trouver de nouveaux reproducteurs mais, faute de jeunes brebis, qui sont les premières victimes des épidémies en cours, il ne pourra plus produire de lait ou d’agneaux à court terme. Il lui faudra peut-être trois ans pour retrouver son niveau de production antérieur. Il est donc crucial de ne pas abandonner les agriculteurs après les pressions que nous allons exercer dans les jours à venir. Cette crise sanitaire a des répercussions profondes et transversales, notamment sur la politique agricole commune : le « chargement hectare » des animaux sera compromis, affectant les aides versées au titre des années 2025-2027.
La grippe aviaire et la peste porcine africaine, qui est à nos portes dans les Vosges allemandes, constituent une inquiétude supplémentaire.
La Confédération paysanne défend l’élevage en plein air et appelle à une réflexion sur le modèle d’élevage de demain. Les crises sanitaires actuelles sont en partie dues à des modèles d’élevage intensif qui concentrent les risques viraux ; si je prends l’exemple de la grippe aviaire, la première solution pour lutter contre sa propagation a consisté à réduire les densités d’élevage. Il est nécessaire de repenser notre modèle d’élevage, de cesser de soutenir fiscalement les élevages industriels et de privilégier des filières plus durables. Actuellement, la moitié des poulets consommés en France sont importés et, avec les accords du Mercosur, 18 000 tonnes de blancs de poulet supplémentaires viendront d’Amérique du Sud. Nous sommes donc confrontés à une crise où les modèles économiques et sanitaires s’effondrent.
Au sein de la Confédération paysanne, nous posons donc une question centrale : comment accompagner l’agriculture dans la transition écologique, démarche indispensable face à l’évolution climatique ? Nous constatons que même nos fermes rencontrent des difficultés de résilience économique. Il est impératif de mettre en place une politique forte de transition agro‑écologique pour protéger les ressources en eau et en sols, essentielles pour nourrir la population, alors que nous avons atteint les limites de production avec les moyens technologiques actuels ; d’ailleurs, j’appelle votre attention sur le fait que les rendements diminuent depuis plusieurs années. Les céréaliers le découvrent cette année, mais ce n’est sans doute qu’un début, sachant que les inondations menacent également les semis. Dans le Gers, nous n’avons pu semer ni en hiver ni au printemps, ce qui a réduit de moitié les rendements de certaines productions de protéines. Le soja, semé tardivement, est en outre attaqué par la pyrale, les punaises des bois et d’autres insectes, ce qui compromet grandement sa récolte cette année.
Il est urgent de réorienter complètement notre approche. Un sondage a révélé que 85 % des agriculteurs sont prêts à faire des efforts pour l’environnement et l’écologie. Pourquoi ne les accompagne-t-on pas mieux ? Les aides environnementales, telles que les mesures agro‑environnementales et climatiques (Maec) et les aides à la conversion en agriculture biologique (CAB), sont versées en dernier et ne l’ont toujours pas été pour 2023. Comment ceux qui s’engagent le plus dans la transition écologique peuvent-ils être les plus pénalisés ? Il est crucial de résoudre ces problèmes et d’accroître l’accompagnement des agriculteurs, notamment dans les régions qui manquent de budgets pour les Maec. Voilà des choses très simples que vous devez régler !
Pour sauver les zones intermédiaires, il faut territorialiser l’agriculture. Les agriculteurs du nord de la Loire, sur de grandes plaines, ont des potentiels de production, mais ceux des zones intermédiaires affrontent en même temps des défis liés aux prix, au climat et à la ressource en eau. Mes collègues des Pyrénées-Orientales voient leurs vignes se dessécher, avec des récoltes réduites à 20 % de ce qu’elles étaient l’année dernière. Il faut leur redonner de l’espérance en investissant massivement dans la transition agro-écologique.
Par ailleurs, le système assurantiel de la PAC ne fonctionne pas : moins de 20 % des agriculteurs y ont souscrit et ceux qui y ont souscrit n’ont pas trouvé de ressources. Nous avons besoin d’un système assurantiel le plus solidaire possible, car les éleveurs sont également touchés par les aléas climatiques. Nous, agriculteurs, sommes le premier maillon de la chaîne. Formée il y a quarante ans sur un modèle productiviste, je constate que la modernisation par la robotique, le numérique et la génétique ne fonctionne plus : les sols et les plantes ont leurs limites. Il est grand temps de repenser le modèle agricole. Nous vous proposons donc un projet d’agriculture paysanne, capable notamment d’installer le plus de jeunes possible.
Mme Véronique Marchesseau. À l’origine, le projet de loi d’orientation agricole était prometteur, puisqu’il visait notamment le renouvellement des générations en agriculture et la transition agro-écologique. Cependant, après de nombreuses péripéties, la version actuelle s’éloigne fortement de ces objectifs initiaux. Elle comporte des mesures favorisant l’agro‑industrie plutôt que l’agriculture paysanne, laquelle répond pourtant à ces enjeux contemporains que sont une alimentation de qualité, la vie dans les territoires et la préservation des ressources environnementales et climatiques. Nous demandons de revenir aux visées initiales, car la trajectoire que prend ce texte induit une concurrence néfaste entre la souveraineté alimentaire et la production d’énergie en milieu rural.
La souveraineté alimentaire, telle que définie par la Via Campesina et reconnue par l’ONU, est le droit des populations et des États à définir leurs politiques agricoles et alimentaires sans dumping vis-à-vis des pays tiers. Cette définition doit guider nos actions pour préserver notre souveraineté alimentaire. Nous considérons que les souverainetés agricole et énergétique, mentionnées dans le projet de loi, sont délétères pour la souveraineté alimentaire.
La méthanisation et l’agrivoltaïsme captent de grandes surfaces agricoles, ce qui a pour effet à la fois de réduire notre capacité productive alimentaire et d’augmenter la concurrence sur le foncier, ce qui empêche notamment les jeunes agriculteurs d’avoir accès à la terre. Nous sommes sceptiques quant au développement effréné de l’agrivoltaïsme et de la méthanisation, le photovoltaïsme pouvant tout à fait s’installer ailleurs que sur des terres agricoles.
Il est essentiel de donner un cadre ambitieux à l’installation, accompagné d’une fiscalité adaptée. Les montants fiscaux dédiés à l’agriculture, environ sept milliards d’euros par an, représentent un levier important, comparable aux neuf milliards d’euros annuels de la PAC. Nous demandons une orientation de ces fonds vers des enjeux d’intérêt général.
Il est nécessaire d’accompagner la transition agro-écologique. Par exemple, nous proposons une réduction progressive du soutien au GNR avec un plafond par ferme, car les mesures actuelles favorisent surtout la mécanisation et l’agrandissement des exploitations – ce qui est la caractéristique, d’ailleurs, de la majorité des mesures fiscales actuelles, dont nous demandons la révision. Pour accroître l’attractivité des fermes, le crédit d’impôt-remplacement doit être amélioré afin de rendre notre métier plus attractif. Un travail important est également nécessaire sur le sujet des retraites, non seulement pour les futurs retraités mais aussi pour ceux qui sont déjà à la retraite – notamment dans la Drôme, où la situation est catastrophique. Travailler sur les retraites est un levier puissant pour favoriser la transmission des exploitations.
Nous vivons une crise politique et démocratique : les corps intermédiaires sont malmenés, le Parlement a été piétiné ces dernières années et les citoyens ne sont pas écoutés. Nous demandons de soutenir le pluralisme syndical pour que toutes les tendances puissent s’exprimer et influer sur les décisions. Soyez vigilants sur le prochain décret concernant le financement des organisations syndicales agricoles après les élections professionnelles, annoncé par le Gouvernement précédent mais non encore publié. Ce décret est crucial pour un bon fonctionnement démocratique : il est important que chacun puisse s’exprimer, être écouté et contribuer ainsi à la construction d’une vie commune.
M. le vice-président Pascal Lecamp. Vous constaterez que cette commission accorde une attention particulière à la pluralité syndicale, puisque nous auditionnons tous les syndicats du secteur agricole en l’espace d’une semaine…
M. Antoine Golliot (RN). Nos agriculteurs souffrent : de belles promesses en beaux discours, de nouvelles lois en nouvelles réglementations, les années passent et la situation ne cesse de se dégrader. Oui, nos agriculteurs souffrent et nos gouvernants regardent ailleurs. Que s’est-il concrètement passé depuis le mouvement légitime de colère des agriculteurs, il y a quelques mois ? Rien. Le sujet sur lequel je souhaite appeler votre attention fait rarement la une de nos médias et il est pourtant d’une importance capitale pour le monde agricole : je veux ici évoquer la problématique de la tarification agricole de l’eau – ou plutôt de l’absence d’une telle tarification dans de nombreux territoires de France.
Je souhaite évoquer l’exemple du département des Alpes-Maritimes, qui est exposé régulièrement à la sécheresse. L’irrigation des cultures se fait au moyen d’eau potable à défaut de réseaux d’eau spécifiques pour le secteur agricole. La conséquence directe pour les cultivateurs est un coût des factures d’eau bien souvent insoutenable, pouvant s’élever à plusieurs milliers d’euros, même pour de petites exploitations. Si l’on ajoute à cela la variation du tarif selon la zone géographique du département, c’est la pérennité de nombreux domaines agricoles qui est en jeu. À titre d’exemple, les agriculteurs dépendants du syndicat mixte des Trois-Vallées, situé sur cette circonscription des Alpes-Maritimes, payent leur eau à un tarif sept fois plus élevé que celui des communes avoisinantes. Il y a urgence à réformer un système qui risque de conduire à des dépôts de bilan en masse dans les prochains mois, si rien n’est fait.
Par ailleurs, reconnaître un « droit à l’eau », comme le souhaite la Confédération paysanne, est une chose. Affirmer que celui-ci doit primer sur le « droit d’accès à l’eau pour l’irrigation des cultures » en est une autre qui, si elle est inscrite dans la loi, n’aurait pas d’autre conséquence que d’aggraver davantage une situation déjà dramatique sur le terrain.
Je souhaiterais connaître votre avis sur cette question fondamentale de la tarification agricole de l’eau et sur les moyens qui, selon vous, pourraient être mis en place afin de faciliter l’irrigation des cultures.
Mme Véronique Marchesseau. La Confédération paysanne attache une importance particulière au sujet de l’eau. Il est impératif de définir des priorités d’usage de l’eau dans les territoires, incluant l’alimentation en eau potable, l’irrigation et la préservation des milieux. Une fois ces priorités établies, il convient de déterminer la part allouée à l’agriculture et, au sein de celle-ci, de redéfinir les priorités selon les cultures nécessitant une irrigation pour répondre aux besoins les plus urgents, notamment l’alimentation. Pour nous, les cultures prioritaires à irriguer sont les fruits et légumes, ainsi que le maintien des cultures pérennes, afin qu’elles puissent repartir après une sécheresse. Il est essentiel de définir ces usages prioritaires et de décider quelles cultures doivent être privilégiées dans le secteur agricole.
Ensuite, il faut discuter de la manière dont les agriculteurs peuvent supporter ces coûts. Cela pourrait passer par une augmentation des prix pour couvrir les frais d’irrigation, ou bien la collectivité pourrait décider de prendre en charge ces coûts. Ces discussions doivent se dérouler de manière démocratique.
Mme Sylvie Colas. J’ajoute que dans le prix de l’eau, il faut inclure le prix de sa dépollution. L’agriculture joue un rôle majeur dans le coût de l’eau potable facturée aux citoyens en raison de la pollution et de la nécessité de la dépolluer, la dépollution constituant une part considérable de la facture d’eau. Lorsqu’on évoque la transition agro-écologique, il est essentiel de se pencher sur l’usage des pesticides, qui se retrouvent dans l’eau ; il ne s’agit pas seulement de volume, mais aussi de qualité. Il est donc crucial de privilégier les productions utilisant le moins de pesticides afin de préserver les zones de captage de la pollution.
Mme Nicole Le Peih (EPR). J’ai bien entendu votre message concernant la crise sanitaire actuelle. En tant qu’agricultrice, je souhaite aborder la situation de la filière bio. Les signes annonciateurs d’une crise sont apparus dès 2021 et se sont confirmés en 2022-2023. En 2022, le marché bio a ralenti, enregistrant une diminution de 5 %, soit environ 600 millions d’euros, inflation comprise. Le nombre de points de vente bio a également reculé dans les mêmes proportions. Par ailleurs, les conversions à l’agriculture biologique ont ralenti. En 2022, 5 300 nouveaux agriculteurs ont opté pour le bio, contre plus de 7 000 en 2021. Cette crise s’explique principalement par un décalage entre l’offre et la demande, entraînant un manque de débouchés. Dans un contexte de forte inflation, les consommateurs ont partiellement délaissé le bio pour préserver leur pouvoir d’achat. Cependant, la restauration hors domicile, incluant la restauration collective et classique, ne représente que 8 % des débouchés de la filière bio, un pourcentage bien inférieur à celui de nos voisins européens. À titre de comparaison, l’Italie atteint 15 %, la Suède, 18 % et les Pays-Bas, 20 %. Quels leviers pouvons-nous mobiliser pour encourager la consommation de bio dans la restauration hors domicile, et plus particulièrement dans la restauration collective, où le bio ne représente que 7 % des achats, malgré les objectifs de 20 % fixés par les lois Égalim et « Climat et résilience » ?
Mme Sylvie Colas. La filière biologique traverse effectivement une crise depuis plusieurs années, principalement en raison de l’absence d’une politique de stabilité et d’engagement envers l’agriculture biologique. Le scandale de la coriandre (certains s’étant convertis au bio uniquement pour toucher des primes excessives) illustre bien cette instabilité. Les premières politiques de conversion au bio, sans plafonnement des aides, ont également déstabilisé des filières déjà fragiles. Depuis 1992, l’agriculture biologique est reconnue au niveau européen, mais elle a mis du temps à s’organiser, notamment en raison de cahiers des charges très stricts et de la difficulté à trouver des marchés. Nous savons que, même en période d’inflation, une alimentation de qualité doit être accessible à tous, notamment via la commande publique et la restauration collective. La loi Égalim visait à encadrer ces aspects, mais elle n’a jamais été correctement contrôlée. À la Confédération paysanne, nous réclamons des agents de contrôle dans les directions départementales des territoires (DDT) et les directions départementales de la protection des populations (DDPP) pour vérifier la bonne application des règles, y compris en matière de répression des fraudes et de répartition des marges. Les marges sur les produits biologiques ont toujours été plus élevées, mais cela ne s’est pas traduit par une meilleure rémunération des paysans. Il est crucial aussi que les cantines et les collectivités locales disposent des moyens nécessaires pour appliquer ces politiques. Nous devons également nous interroger sur la manière dont l’alimentation subit les fluctuations du marché et la spéculation. Nous défendons la sécurité sociale de l’alimentation, afin que chacun ait accès à une alimentation de qualité et en quantité suffisante. L’agriculture biologique ne doit pas être vue uniquement comme un modèle de production, mais aussi comme un moyen de prévenir les problèmes de santé publique et de garantir la qualité de l’eau.
Nous plaidons pour une politique d’accompagnement de l’agriculture biologique, incluant des aides au maintien pour les paysans bio. Le marché ne doit pas être le seul à rémunérer ces agriculteurs, tout comme ce n’est pas le cas pour l’agriculture conventionnelle.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). La politique d’Emmanuel Macron a engendré des catastrophes budgétaires et sociales, touchant également le secteur agricole. La nomination de madame Annie Genevard est en totale opposition avec les besoins du monde agricole. Nous anticipons la défense d’un modèle productiviste, alors que nous prônons au contraire une agriculture paysanne, orientée vers la souveraineté alimentaire et la transition écologique. Le groupe LFI-NFP partage largement les analyses et propositions de la Confédération paysanne, relayées par nos collègues lors de la discussion du projet de loi d’orientation agricole.
La crise actuelle est particulièrement sévère pour les éleveurs, exacerbée par la fièvre catarrhale ovine. Aux cas de FCO 3 dans le Nord s’ajoutent ceux de FCO 8 dans le Sud-Ouest, contre lesquels il est impératif de lutter. Le ministère de l’agriculture sortant n’a fait preuve d’aucune anticipation face à cette crise. Il est urgent d’instaurer une véritable politique de soutien aux éleveurs, accompagnée d’une prévention efficace. Cette situation aurait pu être évitée. Nous dénonçons également la politique inéquitable de vaccination entre le FCO 3 et le FCO 8 menée par le Gouvernement.
Par ailleurs, la crise de l’agriculture biologique s’aggrave. Le projet de loi d’orientation agricole aurait pu orienter cette filière, mais cela a été négligé, tant au niveau national qu’européen. Avant-hier, la Cour des comptes européenne a d’ailleurs critiqué l’Union européenne pour avoir injecté 12 milliards d’euros dans le secteur biologique depuis 2014, sans avoir pour autant obtenu de résultats probants. L’inflation a également fortement impacté le bio, dont la part dans les achats alimentaires des ménages a reculé de 5,6 % cette année.
En parallèle, le nombre d’exploitations certifiées à haute valeur environnementale (HVE) augmente. Or un rapport de la Cour des comptes indique que cette certification, apposée à des produits, nuit encore davantage au secteur biologique déjà en crise. En Isère, la Confédération paysanne m’a alertée sur la situation du label HVE, qui obéit à des seuils d’exigence très bas, s’avère très peu contrôlé et ne garantit aucunement l’absence de pesticides. Grandement soutenu par le Gouvernement, il ne favorise pas la transition écologique ni la reconnaissance de l’agro-écologie, et sert d’outil marketing plutôt que de levier de transition. Des associations ont saisi le Conseil d’État pour tromperie envers les consommateurs et la Commission européenne a reproché au Gouvernement français de ne pas différencier les niveaux de rémunération entre les cultures biologiques et celles certifiées HVE dans l’attribution des aides publiques. Comment surmonter les difficultés des producteurs biologiques face à ce greenwashing assumé ? Quelles sont vos attentes sur ce sujet ?
Mme Sylvie Colas. Nous demandons un accompagnement de quinze mille euros par actif agricole pour chaque agriculteur biologique qui s’engage sur le long terme afin de structurer les filières. Il est impératif de rétablir l’aide au maintien à l’agriculture biologique, supprimée il y a quelques années mais encore en vigueur dans certaines régions. Cette aide doit devenir une politique nationale et non régionale, pour soutenir l’ensemble des agriculteurs biologiques.
Quant au label HVE, il s’agit d’une duperie ! Ce label a absorbé beaucoup de fonds sans apporter de bénéfices concrets, ce qui constitue un véritable scandale. Nous espérons vivement qu’il sera supprimé.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). La Confédération paysanne est un acteur représentatif majeur du monde agricole, notamment dans les territoires de montagne que je représente. Vous défendez une vision et des propositions fondées sur la paysannerie, l’agro-écologie et la rationalité environnementale, en faveur d’une agriculture plus durable et rémunératrice, avec lesquelles nous sommes généralement en accord.
Les préoccupations agricoles sont aujourd’hui extrêmement nombreuses et souvent urgentes. Vous avez mentionné la situation de l’Isère, que je vous remercie d’avoir évoquée, car nous y vivons en effet une situation particulièrement difficile, voire sans précédent. Hier, j’informais les autres syndicats que la quatorzième édition de la « Descente des alpages », prévue mi-octobre à Grenoble et événement crucial pour le lien entre le public et les éleveurs, a été annulée en raison de la FCO. Le taux de mortalité dans mon département avoisine 35 % en moyenne, atteignant même 50 % dans certaines exploitations. Or, dans ces territoires de montagne, l’agriculture est souvent menée par des éleveurs qui ont également un emploi saisonnier dans les stations de ski, lesquelles connaissent également d’importantes difficultés, notamment en raison du réchauffement climatique. Cette situation constitue une double peine pour certains, car sans leur travail hivernal, leur exploitation ne peut survivre toute l’année. Il est donc nécessaire de repenser ce modèle.
Concernant les mesures d’urgence, estimez-vous que les réponses de l’État sont actuellement adaptées, notamment dans le cadre du projet de loi d’orientation agricole en cours d’examen ? Si vous étiez parlementaire, quels points prioritaires souhaiteriez-vous ajouter à ce projet, notamment sur la transmission et le foncier agricole, qui ne sont pas inclus, alors que la régulation et l’installation doivent être prioritaires ? Sur la question de la trésorerie, certains éleveurs sont dans une situation si critique qu’ils atteignent un point de non-retour. Pensez-vous que les prêts garantis par l’État (PGE) ciblés constituent une solution adéquate en ces moments d’urgence ?
Mme Véronique Marchesseau. Le projet de loi d’orientation agricole ne parvient pas à atteindre ses objectifs initiaux. Pour installer massivement des agriculteurs et des agricultrices, il est impératif de travailler sur le revenu et le foncier. Lors de la législature précédente, nous avions proposé des amendements pour que ces deux thématiques prioritaires soient intégrées au projet de loi. En effet, parler d’accompagnement est vain si les agriculteurs ne peuvent pas vivre de leur ferme ou accéder à du foncier pour s’installer. La base de l’installation en agriculture repose sur la possession d’un outil de travail, c’est-à-dire le foncier, et la capacité à vivre de son travail. Il est essentiel que la future loi prenne en compte ces deux aspects prioritaires pour garantir la présence d’agriculteurs et d’agricultrices.
L’élevage, en particulier, nécessite un soutien massif. Ce secteur est menacé de toutes parts, notamment par des prix catastrophiques depuis des années, qui ne couvrent pas les coûts de production. Récemment, nous avons évoqué les menaces sanitaires telles que la FCO, la MHE pour les ruminants et la grippe aviaire. Vous avez mentionné la nécessité de soutenir les agriculteurs pluri-actifs. Nous demandons leur reconnaissance pleine et entière, notamment celle des cotisants solidaires, qui sont des acteurs majeurs de notre système agricole. Il est également crucial qu’ils soient soutenus par le revenu de solidarité active (RSA), car ils sont souvent confrontés à des difficultés énormes, et ce soutien est actuellement menacé dans certaines régions.
M. Jean-Pierre Vigier (DR). Nos éleveurs font face à une situation préoccupante due aux conséquences de la FCO et de la MHE. Cette crise affecte gravement les éleveurs de mon département et de nombreux autres, avec des impacts dramatiques non seulement sur leur moral, mais aussi sur les pertes massives de cheptel, entraînant des répercussions économiques majeures. Il est impératif de prendre des mesures urgentes et fortes.
Sur le terrain, les retours des éleveurs sont alarmants, notamment en raison d’un accès tardif aux vaccins. Hier, devant cette commission, le président des Jeunes agriculteurs, monsieur Pierrick Horel, a souligné qu’un rapport de détection de la maladie insistait sur la nécessité de développer une stratégie de diagnostic anticipée, avec une meilleure identification des maladies potentielles et une réponse plus rapide à leur expansion sur le territoire. Il a également évoqué l’importance de disposer d’une production de vaccins en France pour éviter de dépendre des priorités nationales d’autres pays. Partagez-vous cette analyse ? Quelles sont vos recommandations pour mettre en place une stratégie vaccinale plus efficace lors de ces crises, afin de mieux soutenir nos éleveurs ?
Par ailleurs, il est urgent d’apporter des aides exceptionnelles pour compenser les pertes économiques liées à la baisse de production et aux pertes de cheptel. Quelles sont, selon vous, les aides les plus adaptées pour permettre à nos éleveurs de surmonter cette crise ? Comment soutenir au mieux les frais engendrés par cette situation sanitaire sans précédent ?
Mme Sylvie Colas. Un problème de recherche publique se pose effectivement concernant l’anticipation des maladies vectorielles, mais aussi des maladies sanitaires en élevage de manière générale. Il est évident que nous manquons de capacités de recherche et de production adéquates. Il est impératif de redévelopper la recherche publique en agriculture et de se donner les moyens nécessaires. La prévention aussi a souffert d’un manque de moyens, ce qui impacte le monde de l’élevage, déjà en difficulté du fait du nombre décroissant d’éleveurs. Par conséquent, tout l’accompagnement de l’élevage, de la direction générale de l’alimentation (DGAL) aux directions départementales de la protection des populations (DDPP) en passant par les groupements de défense sanitaire (GDS) sur nos territoires, ainsi que nos vétérinaires, est affecté. Nous faisons face à des déserts vétérinaires, laissant les agriculteurs isolés et sans information. De nombreux éleveurs nous ont signalé que même le GDS ne les avait pas informés que le variant FCO 8 de la FCO était beaucoup plus nuisible pour leurs élevages et avait des conséquences plus graves.
Il est donc crucial de repenser toute la politique sanitaire nationale et de se doter de moyens réels pour sauver l’élevage, tant sur le terrain qu’au niveau national et de la recherche. On nous a parlé de 1,2 million d’euros pour la recherche sur le colicoïde, mais il faut envisager l’avenir et mener un travail de fond en dotant l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et nos offices de biodiversité des moyens nécessaires, car ils sont sur le terrain et analysent les situations.
Concernant l’accompagnement immédiat, nous participons via le Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE). Plusieurs décisions ont été prises, que ce soit en commission (section ruminants) ou au conseil d’administration du Fonds, pour activer rapidement le renouvellement de cet accompagnement. Cependant, cela reste insuffisant. L’État doit abonder et fournir les moyens nécessaires. Ces fonds, bien que provenant de la profession, ne couvrent qu’une partie des besoins. Il est temps de se poser la question de l’aval, mais lors de crises, c’est l’éleveur qui pâtit. Cette situation risque de déstructurer des abattoirs et des filières. Il est donc nécessaire de solliciter également les filières pour contribuer financièrement.
M. Benoît Biteau (EcoS). Vous pouvez compter sur le groupe Écologiste et social pour veiller au bon financement des syndicats agricoles. Nous tenons fermement à la pluralité syndicale et refusons évidemment que le financement mette en péril cette diversité dans nos représentations agricoles. Nous serons donc très vigilants sur ce point.
Vous avez abordé deux thèmes d’actualité. Concernant la crise sanitaire, il est impératif d’anticiper et de prévenir. Nous devons fournir des vaccins capables d’endiguer les épidémies avant qu’elles ne se propagent. Il est crucial de travailler sur ce sujet. Par ailleurs, nous devons soutenir économiquement les structures affectées par ces crises. Dans la PAC, nous disposons d’une réserve de crise qui n’a jamais été mobilisée, conformément à la position du Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne (Copa) et de la Confédération générale des coopératives agricoles (Cogeca), qui préfèrent la restituer aux agriculteurs. Cependant, en la restituant, nous manquons des démarches de solidarité. Face à des crises de cette ampleur, quelle est votre position sur la mobilisation de cette réserve pour soutenir économiquement les agriculteurs ?
Bien que vous n’ayez pas mentionné l’accompagnement de l’élevage en zones humides, il s’agit d’un enjeu majeur. L’élevage en zone humide produit des produits de qualité, réduit les densités d’élevage, entretient des zones de stockage de carbone, gère l’eau et préserve des réservoirs de biodiversité patrimoniale remarquable. Si ces zones disparaissent, l’accompagnement économique via les mesures agro-environnementales disparaît également. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Enfin, l’agriculture biologique s’attaque frontalement à l’effondrement de la biodiversité et au dérèglement climatique. Malheureusement, les politiques publiques actuelles ne la soutiennent pas suffisamment. Nous devons revoir notre soutien à l’agriculture biologique, en dépassant la logique de l’économie de marché et la loi de l’offre et de la demande. Il faut reconnaître que cette agriculture lutte contre les dérèglements climatiques et la perte de biodiversité. Quelle est votre position sur les paiements pour services écosystémiques, ces paiements pour services rendus à l’intérêt commun et dont l’agriculture pourrait bénéficier ?
Mme Véronique Marchesseau. La réserve de crise peut effectivement servir de levier pour répondre à la crise actuelle. Notre priorité absolue est de maintenir les exploitations agricoles et leurs exploitants, en mobilisant tous les moyens nécessaires. C’est la seule manière pour notre agriculture et notre alimentation de répondre aux enjeux actuels.
Concernant l’élevage en zones humides, il est essentiel que l’élevage soit en relation avec le sol qui le supporte. Quel que soit le type, un lien au sol est indispensable pour répondre aux enjeux environnementaux. Généralement, lorsque ce lien existe, la qualité qui en découle répond également aux exigences alimentaires. L’élevage doit donc être en harmonie avec son territoire et s’adapter à ses potentialités.
Pour nous, l’agriculture n’est pas opposée à l’environnement. Il est tout à fait possible de pratiquer une agriculture qui préserve notre environnement, les potentialités de nos territoires et les ressources disponibles. Il est nécessaire de faire évoluer notre élevage dans cette direction.
M. Richard Ramos (Dem). La Confédération paysanne, que j’estime grandement bien que nous ne soyons pas toujours d’accord, nous pousse à repenser le monde agricole dans une perspective globale, essentielle pour notre société. Nous avons abordé des sujets tels que le sol, le foncier, l’installation et la transmission. Il est également crucial de discuter de la transformation des produits, de leur distribution et du consommateur.
Votre présence dans les instances représentatives agricoles est importante. Nous débattons souvent de la représentation du peuple français, certains affirmant que onze millions de citoyens ne sont pas représentés, tandis que d’autres revendiquent la victoire. Ici, nous voterons unanimement pour que vous soyez inclus dans ces instances, car nous avons besoin de cette pluralité.
Après-guerre, nous travaillions « de la fourche à la fourchette », produisant parfois de manière désordonnée et les paysans cherchant à répondre à la demande de produire à bas coût. Aujourd’hui, il faut inverser cette logique et aller « de la fourchette à la fourche ». J’aimerais vous entendre sur le rôle du consommateur – figure que vous n’avez pas évoquée dans vos propos précédents. La sécurité sociale de l’alimentation (SSA) me tient particulièrement à cœur. Comment faire en sorte que le consommateur devienne un acteur clé, capable de soutenir des transitions écologique et biologique, malgré des moyens financiers parfois limités ?
Mme Véronique Marchesseau. Nous inscrivons notre projet d’agriculture paysanne dans un projet global de société visant à accroître le bien-être et la justice pour tous. Je préfère parler de « citoyens » plutôt que de « consommateurs ». Nous devons être considérés non seulement par notre pouvoir d’achat, mais aussi par nos aspirations pour la société. Cette démarche relève de la justice sociale : comment permettre à chacun d’accéder à une alimentation de qualité, répondant aux besoins de santé, de nutrition et d’éducation des enfants, tout en préservant l’environnement pour assurer la pérennité de l’humanité ?
Il est essentiel de prendre en compte les intérêts de tous afin de garantir un accès équitable à l’alimentation. Nous travaillons sur la sécurité sociale de l’alimentation pour que chacun puisse se nourrir sans discrimination. Actuellement, ceux qui n’ont pas accès à une alimentation correcte doivent recourir à l’aide alimentaire, ce qui est à la fois stigmatisant et discriminant. Nous considérons que l’alimentation est une base essentielle de la vie. Notre société doit veiller à ce que tous ses membres puissent satisfaire leurs besoins élémentaires de manière adéquate. Notre mission consiste à collaborer avec les citoyens pour faire avancer ce projet de société, qui vise à répondre aux besoins vitaux de chacun en garantissant un accès équitable à l’alimentation.
M. Thierry Benoit (HOR). La Confédération paysanne représente l’agriculture paysanne, les circuits courts, les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne et les marchés locaux. C’est une vision politique à laquelle, comme plusieurs de mes collègues, je reste sensible.
Vous avez mentionné dans vos propos introductifs la nécessité de réduire la densité dans certains élevages. La filière « Volaille » est emblématique de notre situation actuelle en matière de souveraineté alimentaire : aujourd’hui, un poulet sur deux est importé. La Pologne est le premier pays d’importation avec 253 000 tonnes équivalent carcasse (TEC), suivie par la Belgique, l’Ukraine, le Brésil et la Thaïlande. De plus, certains pays membres de l’Union européenne importent des poulets d’autres régions du monde, qui sont ensuite labellisés « Union européenne ».
Comment concilier votre vision de l’agriculture paysanne et des circuits courts avec la réalité des filières longues de la production agricole, qui nécessitent des outils de transformation pour garantir des poulets de qualité en France ? Même l’élevage hors sol français est probablement de meilleure qualité que l’agriculture importée. Je souhaiterais connaître votre avis sur cette question ainsi que sur votre vision de la politique agricole commune. Nous allons bientôt devoir évaluer à mi-parcours cette politique pour réorienter le nouveau projet agricole commun dans les années à venir. Quelle est donc votre perspective concernant les aides européennes à l’agriculture française ?
Mme Sylvie Colas. L’agriculture paysanne ne se limite pas aux circuits courts. De nombreux agriculteurs, y compris moi-même, vendent des céréales à des coopératives, qui elles-mêmes approvisionnent des outils de transformation céréalière. Il est essentiel de préciser que nous ne sommes pas uniquement des petits producteurs destinés aux marchés locaux. Notre vocation est de nourrir la population et d’assurer la souveraineté alimentaire ; nous y participons pleinement.
En examinant le lien entre production et santé, on constate une incohérence. Lors de la même session de la chambre d’agriculture du Gers, après les crises agricoles dans la filière volaille, avec parfois un milliard d’euros d’indemnisation par an, l’interprofession nous a conseillé de produire du poulet de consommation courante. Elle préconise ainsi d’abandonner l’élevage en plein air et de construire de grands bâtiments industriels pour être compétitifs face, par exemple, à l’Ukraine. Mais, alors même que ce n’est pas le modèle vers lequel il faut tendre, nous savons en plus que, de toute façon, nous ne pourrons pas rivaliser.
Parallèlement, les services vétérinaires recommandent de réduire la densité d’élevage dans les bâtiments et de relocaliser la production pour éviter les risques majeurs. Par exemple, un foyer en Bretagne peut bloquer un centre d’expédition d’œufs, affectant 1,2 million d’œufs par jour et 350 poulets en plein air. Ces risques montrent les coûts associés à l’agriculture industrielle.
L’agriculture industrielle, telle qu’elle a été développée pour répondre à un marché international compétitif, ne fonctionne pas en France et ne fonctionnera pas. Nous avons heureusement des lois sociales pour bien rémunérer nos personnels et des lois environnementales pour éviter aussi bien la pollution que l’utilisation d’antibiotiques dans les viandes. Nous devons donc continuer à développer une agriculture de production localisée et équilibrée. Cela ne signifie pas que le petit producteur qui vend ses poulets au marché n’a pas sa place, mais il faut maintenir cette qualité. Nous ne serons compétitifs que de cette manière et la PAC doit être réorientée en ce sens.
M. Harold Huwart (LIOT). Vous avez mentionné la loi Égalim de manière presque incidente. J’aurais souhaité que vous développiez davantage votre appréciation des dispositifs actuels et vos recommandations pour les dispositifs futurs, en particulier concernant les mécanismes de construction des prix.
Mme Véronique Marchesseau. Nous avons participé aux « États généraux de l’alimentation », qui ont abouti aux lois Égalim. L’objectif de ces États généraux était de redonner du revenu aux exploitations agricoles. Cependant, quelques années après cette initiative et les lois qui en ont découlé, les problèmes de revenu persistent dans les fermes et, malheureusement, des exploitations continuent de disparaître, obligeant des agriculteurs à cesser leur activité. Jusqu’à présent, les lois Égalim n’ont pas réussi à interdire aux producteurs de vendre à perte. En France, l’agriculture est le seul secteur où la vente à perte est autorisée, ce qui est insoutenable. Il est impératif que les lois interdisent désormais cette pratique.
Depuis le début, nous demandons que les négociations se fondent sur la couverture de tous nos coûts de production. Les prix de vente de nos produits doivent couvrir nos coûts de production, notre revenu, notre protection sociale et le travail salarié inclus dans ces coûts. Les lois Égalim doivent impérativement partir de ce principe. Nous ne pouvons pas vendre en dessous d’un prix minimum garanti qui nous permette de vivre de notre travail. Il est inacceptable de sacrifier notre revenu pour que les acteurs en aval puissent réaliser des profits conséquents.
Aujourd’hui, les rapports de force au sein des filières empêchent de faire passer le message que la production agricole doit pouvoir vivre de son travail. Le cadre réglementaire doit nous interdire de vendre à perte et, par conséquent, interdire les achats à perte.
M. André Chassaigne (GDR). Je souhaite revenir sur la crise sanitaire liée à la FCO. Plusieurs intervenants ont souligné le problème de recherche concernant les produits pharmaceutiques vétérinaires. Cette indigence explique en partie la gravité de la crise actuelle. La question de la production de ces produits se pose aussi. On évoque un pôle public pour les médicaments destinés aux humains, mais il serait pertinent d’en créer un également pour la production des produits pharmaceutiques vétérinaires ; ce sujet mérite à mon sens une attention toute particulière.
Nombreux sont ceux, y compris d’anciens députés européens, qui parlent de réserves de crise et d’aides exceptionnelles. Cependant, ces mesures restent des mesures de court terme. Depuis des années, je propose de construire un véritable système public de prévention et de gestion des risques, adossé à un régime public couvrant toutes les productions agricoles et exploitations. Ce système inclurait une dimension de prévention et un accompagnement en période de crise. Que pensez-vous de cette proposition ? Certains États européens, comme l’Espagne, l’ont mise en place. En France, nous avons opté pour le privé, sans obtenir les résultats escomptés. J’aimerais connaître votre avis sur cette question.
Mme Sylvie Colas. Nous soutenons une gestion publique de l’approvisionnement et de la recherche ainsi qu’une anticipation des crises, qu’elles concernent ou non la production de médicaments. Il est évident que nous dépendons des laboratoires, qui privilégient pour leurs recherches les marchés les plus lucratifs. Par exemple, il est plus rentable de développer un vaccin pour l’élevage bovin que pour l’élevage caprin, en raison du faible nombre d’animaux et de la capacité limitée des éleveurs caprins à payer pour un vaccin. Un vaccin à 10 euros représente un investissement différent selon qu’il s’adresse à un éleveur caprin ou bovin.
Il est crucial de mutualiser les efforts de recherche et les investissements nécessaires pour obtenir des vaccins en temps voulu. Nous avons constaté une carence : l’État a passé des commandes, tout comme des entités privées et des coopératives, mais ces dernières ont parfois pu se procurer des vaccins que la commande publique ne pouvait satisfaire. Cela crée une inégalité d’accès entre les éleveurs. Nous prônons une égalité de traitement et un service public de prévention sanitaire ambitieux, bien au-delà d’un budget de 1,2 million d’euros, qui est à notre sens très insuffisant. Il est essentiel de définir clairement la mission de ce service et d’identifier les acteurs participant à sa construction.
Il existe des alternatives à la vaccination et à certains moyens techniques. La Confédération paysanne propose des solutions sans recourir à des produits ou molécules de synthèse. Il est nécessaire de développer cette recherche. Des organismes comme le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui se concentrent paradoxalement sur la veille sanitaire à l’étranger – notamment en Asie, pour la grippe aviaire – pourraient également contribuer à la recherche sur notre territoire. Ces structures d’État portent des projets de long terme dont nous pourrions bénéficier.
M. Patrice Martin (RN). Ces dernières années, les agriculteurs, notamment ceux des petites et moyennes exploitations, subissent une concurrence accrue, due à l’importation de produits dans le cadre de divers accords de libre-échange, tels que le Ceta ou l’accord avec la Nouvelle-Zélande. Ce qui inquiète profondément la profession aujourd’hui, c’est la perspective d’un accord avec le Mercosur : s’il devait être conclu sans le plein consentement de la France, il risquerait d’aggraver encore la pression sur notre agriculture.
Par ailleurs, nous nous apprêtons à entrer dans une phase de préparation de la PAC 2027, qui déterminera de manière décisive l’avenir de nos exploitations. Dans un projet porté par un « Manifeste stratégique » signé par 29 organisations syndicales, ONG et autres parties prenantes, il est question de réorienter la PAC vers des services environnementaux et de réduire de manière significative l’usage des herbicides. Or cette réduction pourrait avoir un impact dévastateur sur la qualité des céréales, notamment celle du blé panifiable, et donc sur la compétitivité de notre agriculture. Quelle est la position de la Confédération paysanne sur ce sujet ?
M. Jean-Luc Fugit (EPR). J’aimerais des précisions sur votre vision de l’agrivoltaïsme et de la méthanisation, que vous avez mentionnés assez brièvement. Ces techniques de production d’énergie peuvent également rendre des services à l’agriculture. Pourriez-vous clarifier votre position sur ce sujet ?
Ensuite, j’aimerais connaître votre avis sur l’agriculture de conservation des sols, technique particulièrement vertueuse pour limiter l’utilisation d’énergie fossile par nos tracteurs, car elle réduit considérablement le travail du sol.
Enfin, pensez-vous que le plan « Ambition bio 2027 » lancé en avril dernier atteint ses objectifs ? Quels sont, selon vous, les moyens nécessaires pour augmenter les surfaces agricoles utiles dédiées au bio ?
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). La propagation de maladies affectant les élevages, telles que la fièvre catarrhale ovine, provoque une crise agricole majeure et suscite l’inquiétude de nombreux éleveurs, y compris dans mon département de l’Aveyron. Cette situation s’ajoute aux dommages causés par l’importation de viande néo-zélandaise à bas prix et la dérégulation des marchés soutenue par la Commission européenne et le Gouvernement de M. Macron. Ce dogme du libre-échange favorise également la diffusion des foyers infectieux. Nous sommes nombreux à juger la réponse de l’État insuffisante. Parmi les propositions des députés LFI-NFP figurent notamment l’accès et la prise en charge à 100 % des vaccins et l’accélération de la recherche sur les maladies virales. Considérez-vous que la réponse de l’État est actuellement adaptée et proportionnée à l’urgence ? Et quelles nouvelles mesures vous semblent être prioritaires pour conjurer cette crise ?
Mme Mélanie Thomin (SOC). Quand nous vivons des calamités climatiques ou une crise sanitaire dans les élevages, les agriculteurs sont les premiers touchés, car ils subissent des pertes de revenus ou voient leurs exploitations fragilisées. Depuis l’adoption du projet de loi pour le plein emploi, ces agriculteurs, malgré leur travail acharné, sont automatiquement inscrits comme demandeurs d’emploi auprès de France Travail, ce qui revient à nier leur activité. Les quinze heures d’activité exigées par France Travail sont incompatibles avec leur travail agricole. Les exemples dans le Finistère sont nombreux, notamment après la tempête Ciarán : de nombreux agriculteurs, bien que toujours en activité, se voient contraints de s’inscrire à France Travail. Je souhaiterais connaître votre avis sur cette aberration administrative.
M. Julien Dive (DR). Madame la secrétaire générale, je souhaite réagir à vos précédents propos car vous avez, me semble-t-il, confondu deux notions distinctes : le seuil de revente à perte (SRP) et le prix minimum garanti. Ces concepts ne sont absolument pas équivalents. Je ne peux laisser considérer que le législateur permettrait délibérément la vente à perte en agriculture, ou même la vente en dessous du SRP. Certaines filières ont effectivement demandé cette possibilité, notamment en raison de la saisonnalité ou de la péremption des produits, mais ce n’est pas une demande généralisée. Le législateur a abordé cette question à travers différentes lois, en veillant à préserver la matière première agricole et son prix.
Cela m’amène à vous interroger sur les négociations commerciales et sur le « SRP + 10 », ce fameux seuil de revente à perte majoré de 10 %, qui avait été prorogé par les parlementaires et dont l’échéance est prévue pour le printemps 2025.
M. Boris Tavernier (EcoS). La SSA mentionnée par notre collègue Ramos est une proposition soutenue par des citoyens, des chercheurs et diverses organisations agricoles, telles que les centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) et la Confédération paysanne. Elle vise à étendre le régime de sécurité sociale à l’alimentation. À l’instar de la carte Vitale en matière de santé, la SSA pourrait se matérialiser par une carte distribuée à tous les citoyens et sur laquelle serait créditée chaque mois d’une somme, par exemple 150 euros, permettant d’effectuer des achats alimentaires dans des lieux de distribution agréés. Elle sécuriserait ainsi un budget alimentaire incompressible, ce qui est pertinent puisque l’alimentation sert souvent de variable d’ajustement budgétaire. La SSA répond à des attentes sociétales fortes en matière d’accès à l’alimentation. Mais qu’en est-il pour la profession agricole ? En quoi la SSA pourrait-elle répondre aux attentes des agriculteurs et agricultrices de notre pays ?
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Je souhaite aborder le dysfonctionnement relatif à l’attribution des terres agricoles. Certains porteurs de projets désireux de s’installer se trouvent en concurrence avec des agriculteurs souhaitant agrandir leurs exploitations, souvent mieux dotés financièrement. À titre d’exemple, un article paru ce matin dans Ouest France révèle que la Safer 49 du Maine-et-Loire a rejeté un projet d’installation en vaches allaitantes, production de céréales et légumes porté par quatre personnes et soutenu par 270 citoyens. Les terres ont été attribuées à des agriculteurs déjà installés, favorisant ainsi l’agrandissement plutôt que la création d’une nouvelle exploitation.
Pourtant, le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) établit une priorité d’attribution des terres en faveur de l’installation des jeunes agriculteurs. Je sais que, lors du salon international de l’agriculture de Rennes, vous avez interpellé le ministère de l’agriculture pour demander une politique foncière favorisant l’installation et la transmission. Avez-vous été invitée à rencontrer la nouvelle ministre de l’agriculture et quelles sont vos principales propositions pour remédier aux difficultés d’accès au foncier ?
M. Benoît Biteau (EcoS). En tant qu’éleveur de chèvres et ancien député européen, je souhaite revenir sur la PAC afin de rassurer mes collègues : l’agriculture paysanne, familiale et agro-écologique ne constitue pas une menace pour la souveraineté alimentaire ! En Europe, 12 % des surfaces agricoles sont exploitées selon ces pratiques et elles génèrent 32 % de la production agricole européenne. Il n’y a donc pas d’antagonisme entre une agriculture paysanne et une agriculture qui soutient la souveraineté alimentaire.
Dès lors, comment orienter la PAC vers un soutien accru aux agriculteurs actifs plutôt qu’aux surfaces cultivées, afin de promouvoir cette agriculture familiale, paysanne et agro-écologique ?
M. André Chassaigne (GDR). La fracture dans le monde paysan concernant la gestion de l’eau est extrêmement grave dans nos territoires. D’un côté, certains agriculteurs contraints de changer brutalement leur type de production se retrouvent en difficulté et doivent trouver des solutions urgentes, parfois sous la forme de bassines. De l’autre, des agriculteurs, des paysans et des mouvements environnementaux ainsi que des organisations politiques défendent une autre approche. Derrière cette division, l’absence de l’État est flagrante ; aucune responsabilité n’a été assumée. Je suis désespéré par cette fragmentation au sein du monde agricole et me demande comment nous pourrions avancer vers une voie plus consensuelle.
Mme Aurélie Trouvé (LFI-NFP). J’ai une question concernant les produits biologiques et, plus largement, sur les produits de qualité, car ces deux secteurs rencontrent des difficultés. Malgré une légère amélioration dans les magasins spécialisés, la demande reste faible, y compris dans les supermarchés. Les prix demeurent extrêmement bas, notamment pour le lait. Par exemple, le prix du lait bio est inférieur à celui du lait standard, ce qui est aberrant. Ce phénomène ne s’explique pas par un désintérêt des Français pour le bio, mais par une baisse significative du pouvoir d’achat, particulièrement marquée dans les classes moyennes.
Je n’énumérerai pas tous les bienfaits du bio, mais je tiens à rappeler que les aides au maintien en bio ont été supprimées il y a six ans, que les aides de la PAC sont déconnectées des services environnementaux rendus, qu’il n’y a pas de respect de la loi Égalim concernant la part de bio dans la restauration collective et que les aides d’urgence nécessaires n’ont pas été incluses dans le projet de loi de finances pour 2025. Quelles sont vos exigences pour garantir le maintien du bio, sachant que 10 % des agriculteurs bio ont disparu en deux ans, ce qui constitue une véritable catastrophe pour notre pays ?
Mme Valérie Rossi (SOC). Nous avons longuement discuté des épizooties qui ravagent nos élevages, entraînant des conséquences économiques et psychologiques dramatiques pour nos agriculteurs. Un nouveau sérotype de la fièvre catarrhale ovine, le FCO-BT-V3, en provenance de l’Europe du Nord, se développe actuellement dans notre pays. Nous disposons de données des Pays-Bas, qui ont un an de recul, permettant de mieux affronter cette épidémie chez nous.
Au-delà des dysfonctionnements avérés en matière de vaccination, avons-nous alloué suffisamment de moyens publics, notamment à l’Inrae, pour analyser les crises précédentes et mieux prévenir les prochaines ?
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Je souhaite aborder la question du libre-échange et singulièrement la possible conclusion d’un accord avec le Mercosur, prévue pour cet automne et souhaitée par le Président de la République. Nous avons déjà évoqué le fait que la moitié des volailles consommées en France est importée. Le projet d’accord avec le Mercosur semble avant tout favoriser l’exportation de véhicules produits en Allemagne en échange de produits alimentaires et agricoles provenant du Mercosur. Nous estimons que cet accord est néfaste, car il augmentera les émissions de gaz à effet de serre et encouragera un modèle agricole productiviste, en contradiction avec vos positions sur le climat, la prévention des épidémies et la rémunération des agriculteurs. Quelle est votre position sur ce sujet et quelle attitude attendez-vous du gouvernement français au niveau européen ? Pour notre part, nous demandons une opposition ferme et sans compromis à la conclusion de cet accord, sans se fier aux clauses miroirs.
M. Dominique Potier (SOC) Je partage entièrement l’éloge de la prophylaxie développé par le président Chassaigne. Cependant, un facteur limitant demeure la présence vétérinaire sur nos territoires. Actuellement, elle dépend du libre arbitre et du marché, ce qui entraîne des carences. Nous observons des rachats de cliniques par des fonds d’investissement et une déshérence de la médecine rurale. Cela constitue un véritable enjeu pour une politique de prophylaxie future. Par le passé, nous avons surmonté d’autres épizooties grâce à une structure qui n’existe plus aujourd’hui. Ce sujet mérite l’attention de notre commission.
Ma question pratique à la Confédération paysanne concerne le calendrier approprié pour une « loi foncière ». Cette loi est essentielle pour l’agro-écologie et le renouvellement des générations, objectifs que nous partageons. Doit-elle être intégrée dans le projet de loi d’orientation en cours de discussion ou constituer une loi spécifique ? Quelle stratégie syndicale adoptez-vous à ce sujet ?
Mme Véronique Marchesseau. Plusieurs questions ont été posées concernant les accords de libre-échange. La position de la Confédération paysanne est claire : nous ne pouvons pas obtenir de souveraineté ici et ailleurs tant que l’agriculture sert de monnaie d’échange dans ces accords. Nous nous opposons aux accords de libre-échange qui menacent les agriculteurs, tant chez nous qu’ailleurs. Les clauses miroirs ne protègent pas efficacement notre agriculture. Elles peuvent nous prémunir contre la concurrence déloyale liée à l’utilisation de certains pesticides, mais elles n’ont aucun impact sur le coût du travail ni sur les différences de potentiel de production entre les régions, qui sont des facteurs de concurrence. Nous demandons donc à notre Gouvernement de protéger l’agriculture en refusant de signer des accords de libre-échange.
Mme Sylvie Colas. Il est impératif de revoir la PAC, qui favorise la concentration des fermes : plus vous possédez d’hectares, plus vous recevez de primes. Or ce système atteint ses limites et nous risquons de perdre plus de cent mille agriculteurs d’ici 2035, pour n’en compter que 250 000 à cette date. Cette érosion est alarmante, surtout parmi ma génération, celle des éleveurs et des maraîchers, souvent engagés dans des agricultures diversifiées. Les exploitations et les bâtiments d’élevage se videront, car on privilégie encore l’agrandissement au détriment de l’installation de nouveaux agriculteurs, qui portent pourtant des projets collectifs, mais ne bénéficient pas de la confiance nécessaire. Aujourd’hui, l’agriculture ne se pratique plus en famille, mais en collectif, ce qui est essentiel pour ne pas isoler les agriculteurs. Les nouvelles générations ont des aspirations différentes. Après quarante ans d’agriculture, je peux témoigner des sacrifices consentis. Il est crucial de repenser l’accompagnement social des jeunes agriculteurs, qui doivent bénéficier de temps de repos, d’arrêts maladie et d’accidents du travail rémunérés. Ces aspects sociaux sont des freins à l’installation, tout comme la revalorisation des retraites.
Le bio n’est pas un marché de niche, mais l’avenir, en accompagnant la transition écologique et la préservation des sols et des ressources. Certes, la production est moindre en quantité, mais elle évite les impacts négatifs sur l’environnement, notamment en termes de gestion de l’eau. Par exemple, dans le Gers, quarante projets de méthaniseurs sont en cours, mais avec seulement cinquante éleveurs laitiers restants ; ce ne sont pas les effluents d’élevage qui les alimenteront. On met ainsi en concurrence les vocations énergétique et agricole.
La question du foncier est également cruciale. Des responsables de l’interprofession volaille expliquent que les éleveurs ne souhaitent plus installer de bâtiments d’élevage, préférant le photovoltaïque au sol, plus rentable et moins contraignant que l’élevage de volailles. La rémunération dans la filière volaille est trop faible, ce qui freine son développement, quel que soit le modèle de production. Même dans la filière œufs, nous manquons d’autonomie et de production de qualité, car la rémunération n’est pas suffisante. De plus, la PAC ne soutient pas la production de volailles ni d’œufs. J’ai été agricultrice pendant trente ans sans presque aucune terre et je peux attester de ces difficultés. Je pratiquais le maraîchage et l’élevage de volailles sans percevoir de prime PAC. Le jour où mon père m’a cédé un fermage, j’ai soudainement reçu vingt-cinq mille euros. Ensuite, j’ai bénéficié d’une aide au maintien en agriculture biologique de quinze mille euros, qui m’a été retirée quelques années plus tard. Nous ne pouvons pas subir de telles fluctuations. L’agriculture nécessite un projet à long terme, axé sur la préservation des ressources, de l’eau et des sols vivants.
Pourquoi les rendements baissent-ils actuellement ? Parce que nos sols sont devenus improductifs. Considérer le sol comme un simple support ne résoudra pas ce problème. La situation est urgente. C’est pourquoi nous devons continuer à négocier et à faire évoluer la PAC, notamment pour maintenir un grand nombre de paysans. Penser que nous serons 250 000 agriculteurs en 2030 revient à ignorer les zones pastorales et de montagne, qui perdent également l’activité « Neige ». Une grande partie de la France risque de devenir une friche, car on ne peut pas installer des panneaux photovoltaïques sur les pentes des coteaux du Gers, mais plutôt sur des terrains plats. Nous devons avoir une réflexion globale sur ces sujets.
Il est essentiel de pouvoir discuter avant que les décisions soient irréversibles. Certains projets, comme certaines autoroutes, sont contre-nature et n’ont plus d’intérêt économique, ne survivant que grâce à l’argent public. Prenons l’exemple de la méthanisation : si les subventions publiques cessent, ces projets s’effondrent. Il faut veiller à ce que l’argent public ne soit pas dévoyé. Concernant la coriandre, cinquante millions d’euros ont en effet été détournés en Occitanie pour une culture non productive, alors que des éleveurs sont en difficulté dans le même temps. Ces pratiques doivent être repensées.
Nous avons besoin d’une approche nationale unifiée autour d’un véritable projet. Les paysans ont besoin d’un projet clair. On oppose souvent l’agriculture industrielle à l’agriculture paysanne, mais l’agriculture industrielle est à bout de souffle et n’installe plus. En revanche, notre agriculture paysanne, notamment dans le Gers, représente 30 % des nouvelles installations, qui se font exclusivement dans des projets agro-écologiques.
Mme Véronique Marchesseau. Les agriculteurs ne demandent pas le RSA par plaisir, mais parce qu’ils se trouvent, en raison de conditions qu’ils ne contrôlent pas, dans des difficultés financières nécessitant cette aide pour subvenir à leurs besoins élémentaires. Cela ne les empêche pas de devoir continuer à travailler sur leur ferme pour améliorer leur situation. Toutefois, l’obligation de travailler pour bénéficier du RSA est incompatible avec leur réalité. Nous dénonçons cette exigence, qui est totalement inappropriée.
En ce qui concerne l’eau, il est indéniable qu’il existe des tensions dans les territoires. Nous demandons depuis longtemps un moratoire sur la construction des bassines, afin de réfléchir collectivement à l’agriculture que nous souhaitons, aux priorités et à l’utilisation optimale de l’eau par les fermes. Ce moratoire permettrait une réflexion collective et apaisée sur ces questions cruciales.
Pour ce qui est du calendrier de la loi foncière, nous avions souhaité l’intégration de mesures foncières dans le projet de loi d’orientation agricole, car nous craignions que, si cette loi était adoptée, la prochaine loi touchant au secteur agricole serait repoussée indéfiniment. Nous ne pouvons plus nous permettre de tels délais. Un calendrier imposant rapidement une loi foncière est la meilleure garantie d’avoir une législation spécifiquement dédiée à ce sujet.
Je crois avoir répondu à l’ensemble de vos questions et vous remercie pour votre attention.
M. le vice-président Pascal Lecamp. Je souhaite préciser qu’en Nouvelle-Aquitaine, le GDS a réuni hier soir tous les députés et sénateurs pour discuter de la fièvre catarrhale et de la prise en charge de la vaccination. Le fonds d’utilisation est financé à 65 % par l’État. Nous vous remercions pour vos interventions, vos réponses précises et surtout vos propositions, qui nous incitent à réfléchir continuellement. Notre objectif, avec tous les syndicats agricoles, est de créer un environnement plus favorable et attractif pour l’agriculture et son avenir.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 25 septembre 2024 à 9 h 30
Présents. – M. Laurent Alexandre, M. Henri Alfandari, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Éric Bothorel, M. André Chassaigne, M. Julien Dive, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Antoine Golliot, M. Harold Huwart, Mme Annaïg Le Meur, Mme Nicole Le Peih, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, Mme Sandra Marsaud, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, M. Paul Midy, M. Jérôme Nury, M. Dominique Potier, M. Richard Ramos, Mme Valérie Rossi, M. Matthias Tavel, M. Boris Tavernier, Mme Mélanie Thomin, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier, M. Frédéric Weber
Excusés. – M. Antoine Armand, Mme Valérie Létard, M. Laurent Lhardit, M. Max Mathiasin, Mme Louise Morel, M. Philippe Naillet