Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Débat relatif à la communication de documents demandés par le président et le rapporteur général au Gouvernement 2
– Audition de Mme Inès-Claire Mercereau, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la LOLF relative aux certificats d’économie d’énergie 7
– présences en réunion...........................21
Mardi
17 septembre 2024
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 005
Présidence de
M. Éric Coquerel, Président
— 1 —
La commission débat de la communication de documents demandés par le président et le rapporteur général au Gouvernement.
M. le président Éric Coquerel. Avant d’en venir à l’audition prévue, le rapporteur général et moi-même souhaitons vous informer sur la démarche que nous avons effectuée aujourd’hui auprès des services du Premier ministre, d’autant qu’elle a déjà suscité des commentaires.
Selon la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), nous aurions dû recevoir à la mi-juillet un rapport, que l’on qualifie de tiré à part, qui présente notamment les plafonds de dépenses retenus pour chaque ministère dans le prochain budget. Deux mois plus tard, nous n’avons toujours pas reçu ce rapport. Au cours du mois d’août, des lettres-plafonds ont néanmoins été signées par le gouvernement démissionnaire. Traditionnellement, nous ne sommes pas destinataires de ces lettres-plafonds envoyées aux ministères, leur degré de précision ne nous étant pas indispensable puisque nous disposons du tiré à part pour commencer nos travaux.
Fin juillet, au nom de la commission, le rapporteur général et moi-même avions demandé à Bercy de nous transmettre des documents, à savoir les lettres-plafonds et l’éventuel tiré à part que le Gouvernement était alors censé finaliser, afin que nous puissions au moins être au courant des décisions de l’exécutif démissionnaire, à défaut de combler le retard pris dans les travaux budgétaires.
En août donc, des lettres-plafonds ont été envoyées aux ministères. Nous pouvions comprendre que le gouvernement démissionnaire ne veuille pas signer et envoyer un tiré à part officiel ; en revanche, nous ne pouvions pas comprendre que la commission des finances n’ait pas accès à ces lettres-plafonds signées par Gabriel Attal, envoyées aux ministres, et même arrivées entre les mains de certains journalistes.
Fin août, M. Thomas Cazenave, ministre délégué démissionnaire en charge des comptes publics, nous a indiqué que ces lettres n’émanaient pas de lui mais de Matignon. Le 4 septembre, nous avons donc adressé un courrier à Gabriel Attal pour lui réclamer ces informations. Conscient du problème, M. Thomas Cazenave nous a fait parvenir des documents, notamment la note du Trésor qui a fait beaucoup parler, et également un tableau de synthèse où figuraient les plafonds prévisionnels par mission envisagés pour 2025.
Gabriel Attal ne nous a pas répondu, et pour cause : il était en partance. La semaine dernière, nous nous sommes donc tournés vers le nouveau Premier ministre. Il nous a expliqué qu’il comprenait bien le problème et qu’il était tributaire d’une situation exceptionnelle. Mais ces lettres-plafonds, outre le fait qu’elles ont une valeur juridique, puisqu’elles sont signées par le Premier ministre, servent aussi de base à l’élaboration du budget, ainsi que Michel Barnier lui-même l’a écrit dans un courrier qu’il a adressé au rapporteur général et à moi-même le 16 septembre que je vous ai communiqué. Dans ce même courrier, que nous avons reçu hier à vingt-deux heures, il nous a promis de nous faire parvenir, d’ici à la fin de la semaine, un nouveau document élaboré à partir de ces lettres-plafonds. Cela ne nous a pas satisfaits. Non seulement nous avons déjà deux mois de retard, mais nous considérons que les parlementaires ont le droit de voir ces documents même s’ils doivent être modifiés ensuite par le nouveau Premier ministre. Leur consultation nous permettrait d’avancer dans nos travaux.
C’est dans ce contexte que le rapporteur général et moi-même avons décidé de nous rendre à Matignon ce matin – et, après avoir lu certains commentaires, je précise que j’aurais préféré recevoir les lettres-plafonds dans mon bureau, sans avoir à convoquer la presse. Nous avons été sidérés qu’on ne nous les remette pas. Le rapporteur général et le président de la commission des finances ont pourtant le droit d’avoir accès à ce type de documents.
On nous a opposé que ces lettres-plafonds sont un document préparatoire à la décision finale. L’argument me semble quelque peu étonnant : ce ne sont pas des notes émanant d’une direction, ce sont des documents envoyés aux ministères, revêtus de la signature d’un Premier ministre qui en a fait la promotion lors d’une conférence de presse. Ces documents sont donc finalisés, même s’ils vont probablement être modifiés. D’ailleurs, ce que le Premier ministre nous promet dans sa lettre, c’est bien un document préparatoire : si cela est possible en fin de semaine, pourquoi pas dès à présent ?
Cette façon de procéder, contestable et très dommageable, ne sert même pas le Premier ministre. Pourquoi ne pas nous donner ces lettres-plafonds, dont certains journalistes disposent, en expliquant qu’il entend les modifier ? Quelle que soit notre appartenance politique, nous devrions nous inquiéter. Au regard des règles constitutionnelles et organiques, la situation est vraiment bancale : deux mois de retard pour la transmission des documents prévus par la LOLF, huit jours de retard annoncés pour la présentation du projet de loi de finances, les péripéties que nous venons de vivre… Qu’en pensera le Conseil constitutionnel ? À la place du Gouvernement, je ne serais pas complètement rassuré à cet égard.
Quoi qu’il en soit, notre démarche était motivée par notre volonté de vous informer. Pour ma part, j’irai demain à Bercy où l’on ne peut théoriquement pas me refuser la communication de documents budgétaires. En réponse à des réactions que j’ai lues, je répète qu’il est inadmissible que, un 17 septembre, nous n’ayons rien qui ressemble à un tiré à part. En nous rendant à Matignon, Charles de Courson et moi-même avons défendu les intérêts de notre commission.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Cette affaire dure depuis le mois de juillet. Nous avions écrit à MM. Le Maire et Cazenave pour leur demander des documents rarement réclamés : toutes les notes qui leur avaient été adressées par la direction du budget et la direction du Trésor sur l’exécution du budget pour 2024 et le projet de loi de finances pour 2025. Elles nous ont été remises, alors que ce sont vraiment des documents préparatoires. Et l’on nous refuse les lettres-plafonds ! C’est étrange.
On nous a dit que le Premier ministre de l’époque, M. Attal, aurait hésité à les signer. Certes, la situation était ubuesque : est-ce à un Premier ministre démissionnaire, chargé d’expédier les affaires courantes, de signer des lettres-plafonds prévoyant une quinzaine de milliards d’euros d’économies ?
En toute transparence, je peux vous dire que j’ai été reçu hier après-midi pendant une heure par le nouveau Premier ministre, à sa demande. Je lui ai demandé de donner ces lettres-plafonds à la commission des finances, puisque ce sont celles de son prédécesseur et non les siennes. Sans compter qu’elles sont divulguées par bribes par les ministres, l’un d’entre eux ayant même déclaré qu’il considérait le document nul et non avenu – oui, un ministre de la République expédiant les affaires courantes – et que des journalistes en ont aussi des morceaux. Ce n’est pas possible d’accepter cela.
Toutes tendances réunies, nous devons réclamer la remise de ces documents à la commission des finances. Le directeur de cabinet du Premier ministre, qui a assisté à une partie de notre entretien, a expliqué que cela ne s’était jamais fait. Ce n’est pas exact : notre collègue Laurent Saint-Martin les avait obtenus lorsqu’il était rapporteur général.
Ce matin, nous avons été reçus à Matignon par le chef de cabinet du Premier ministre et la secrétaire générale du Gouvernement. J’ai posé des questions : ces documents peuvent-ils être communiqués si le gouvernement le souhaite ? Oui. Y a-t-il une obligation pour le gouvernement de les communiquer au président et au rapporteur général des commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat ? Sur ce point, il y a eu débat. De notre point de vue, cette communication est obligatoire et la thèse des actes préparatoires ne tient pas puisque les documents sont signés par un Premier ministre.
J’appelle tous les membres de la commission des finances à faire bloc. Ces documents seront utiles à nos rapporteurs spéciaux pour préparer chacun leur rapport, alors qu’au train où vont les choses, nous aurons très peu de temps pour examiner le budget, qui plus est en l’absence de majorité. Mes chers collègues, nous ne pouvons pas nous payer le luxe de ne pas avoir de budget. Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet de loi de finances pourront être automatiquement mises en vigueur par ordonnance, en vertu de l’article 47 de la Constitution – cette ordonnance ne faisant pas l’objet d’une ratification. Notre intérêt commun est donc de disposer de ces lettres-plafonds pour que les rapporteurs spéciaux puissent être éclairés sur la seconde partie du projet de loi de finances.
Nous nous tenons à votre disposition, le président et moi-même, pour répondre aux questions que vous pourriez avoir. Sachez que la commission des finances du Sénat a fait un rapport abordant le champ des documents devant être transmis en application des dispositions organiques – rapport que Mme la secrétaire générale du Gouvernement a d’ailleurs évoqué au cours de notre entretien.
Je ne comprends pas ce qu’il y a à cacher. Quel est l’intérêt du Premier ministre dans cette affaire ? En réalité, sa crainte est de vider son discours de politique générale d’une partie de sa substance. Je le comprends tout à fait, mais il peut caler le projet de loi de finances sur les lettres-plafonds dont il a hérité, puis annoncer des modifications dans son discours de politique générale. C’est d’ailleurs ce qu’il indique dans la dernière phrase de sa lettre : « Ce document sera à lire comme reflétant un état à date des discussions préparatoires au budget, ayant valeur de socle de travail pour mon Gouvernement : il pourra faire l’objet d’évolutions, en fonction des priorités d’actions, que ce soit en amont du dépôt du projet de loi de finances initiale pour 2025 ou en cours de débats. » C’est une idée que je lui avais suggérée.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Nous pouvons tous constater et regretter que nous n’abordions pas les travaux budgétaires dans des conditions idéales, tout en reconnaissant que les circonstances sont exceptionnelles, du fait de la date de nomination du Premier ministre et d’une nomination encore à venir du ministre du budget. Objectivement, nous ne pouvons pas prétendre que nous ne pouvons pas travailler sans ces lettres-plafonds : nous ne les avions pas auparavant, et nous n’étions empêchés de rien. C’est mieux de les avoir, mais chacun peut travailler et rédiger des amendements.
Une version du tiré à part nous est promise pour la fin de la semaine. Il ne faut pas tout conflictualiser, cela ne permettrait pas d’aborder sereinement les débats. Veillons à ne pas manifester une impatience suspecte. Attendons dans quelques jours la nomination du ministre du budget, qui nous donnera une version adaptée des plafonds par mission et par programme. La valeur des documents existants est assez relative. J’appelle au calme, et à débattre au sein de notre commission plutôt que dans la rue ou les médias.
M. le président Éric Coquerel. Le problème est que les retards peuvent être suspects au bout d’un moment.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Au nom des commissaires du groupe Rassemblement national, je voulais exprimer notre soutien à la démarche du président et du rapporteur général. Il ne s’agit pas de conflictualiser, mais de faire respecter le droit à l’information des parlementaires et, à travers nous, celui des Françaises et des Français. À l’instar du rapporteur général, je ne comprends pas l’argument qui a été utilisé car j’estime que ces lettres-plafonds sont de même nature que d’autres documents que nous avons déjà eus, tels que la note du Trésor, qui est un instrument d’aide à la décision.
Ces événements tendent à confirmer une inquiétude ressentie l’an dernier face à la fragilité des informations qui nous étaient données : les gouvernements, voire Bercy en tant qu’institution, considèrent le Parlement, en particulier l’Assemblée nationale, comme une contrainte à contourner, à informer au dernier moment, uniquement pour se conformer à des textes. Mais si nous devons être informés, ce n’est pas parce que des textes de loi ou la Constitution le prévoient, mais parce que la démocratie l’impose ! Rappelons que le Parlement a pour fonction principale le vote des impôts et des dépenses publiques. Or ce principe de consentement semble désormais poser problème à certaines institutions ou autorités de ce pays. C’est ce qui est inquiétant dans le refus qui vous a été opposé.
Mme Perrine Goulet (Dem). Pour ma part, je suis étonnée de ce qui se passe. Les lettres-plafonds, les dernières années, nous ne les avons pas eues, et les tirés à part ne nous intéressent que très peu. Nous nous intéressons avant tout aux mesures fiscales et aux bleus budgétaires. Ce qui me gêne, ce n’est pas tant votre démarche que son instrumentalisation médiatique. J’ai eu l’impression de passer la journée avec Martine : Martine quitte l’Assemblée nationale, Martine arrive à Matignon, Martine ressort de Matignon ! Vous instrumentalisez une demande de documents que vous n’avez pas reçus et qui, en général, ne nous servent pas pour préparer le budget. Nous pouvons travailler sans : en ma qualité de rapporteure spéciale, je fais d’ailleurs des auditions depuis plus d’une semaine. Arrêtons cette ultramédiatisation et mettons-nous vraiment au travail.
M. le président Éric Coquerel. Pour vous répondre, je vais vous lire un extrait de la lettre de M. le Premier ministre. « Nous sommes dans une configuration inédite, en cette période qui constitue usuellement la dernière ligne droite de finalisation des textes financiers de l’année à venir. » Car voilà où nous devrions être : dans la dernière ligne droite. Contrairement à ce que vous dites, les discussions auraient déjà dû être engagées au sein de la commission. Vous dites que vous ne vous serviez pas des tirés à part : peut-être vous étaient-ils moins utiles parce que vous étiez du côté du Gouvernement, mais certains commissaires s’en servent, croyez-moi !
Nous devons nous inquiéter de nous retrouver dans une situation inédite sous la Ve République. Le projet de loi de finances va nous être transmis avec huit jours de retard. Des lettres-plafonds existent, signées par un Premier ministre démissionnaire qui avait convoqué la presse pour les commenter – je tiens à le souligner, alors que vous parlez de médiatisation – mais les parlementaires n’en disposent pas. Cela ne vous pose-t-il aucun problème que l’exécutif commence à travailler sur le budget avec les ministères, que la presse soit informée, et que les seuls qui n’aient pas accès aux documents soient les parlementaires ? Nous n’avons vraiment pas la même conception du Parlement, et cela n’a rien à voir avec une logique partisane.
Quant à la médiatisation, il n’y en aurait pas eu si nous avions reçu les documents demandés. Si nous sommes obligés d’aller sur place les chercher, ce qui est notre droit, les médias s’y intéressent forcément. Alors pourquoi avons-nous été obligés d’y aller, et pourquoi ne les nous a-t-on pas donnés ? Voilà ce qui devrait vous inquiéter. Nous avons été privés d’un droit constitutionnel, accordé en votre nom au président de la commission des finances et au rapporteur général. Pour ma part, cela m’inquiète.
Mme Véronique Louwagie (DR). Comme vous, je trouve que l’absence de respect des délais est gênante. Le tiré à part aurait dû être communiqué le 15 juillet, selon l’article 48 de la Lolf. À l’époque, le ministre Thomas Cazenave avait indiqué qu’il souhaitait d’autant moins publier ce tiré à part que l’Assemblée était en période d’élections internes : le publier aurait pu apparaître comme une provocation, selon ses propres termes – j’en convenais tout à fait. Ce tiré à part, habituellement fourni le 15 juillet, renseigne les plafonds des crédits budgétaires par mission, traduisant les grandes orientations et inflexions politiques du projet de loi de finances.
Les lettres-plafonds sont ensuite adressées aux ministères pour leur permettre de préparer la masse des annexes établies par mission budgétaire, les jaunes, les documents de politique transversale et d’indicateurs – c’est un travail colossal. M. Thomas Cazenave avait indiqué qu’il ne souhaitait pas envoyer ces lettres-plafonds, mais le temps a été si long entre la démission du gouvernement et la nomination d’un Premier ministre qu’elles ont finalement été envoyées aux ministères, pour que les services puissent travailler.
Tout cela est regrettable car, même si les députés savent s’adapter, il va nous manquer du temps de concertation avec les acteurs concernés par d’éventuels changements. Mais nous n’y pouvons rien. Tout en regrettant l’absence d’information, je pense que nous devons nous adapter aux contraintes liées à cette situation inédite.
À la lecture de la lettre du Premier ministre, que je vous remercie de nous avoir communiquée cet après-midi, monsieur le président, je crois comprendre que nous aurons l’équivalent d’un tiré à part en fin de semaine. Dès lors, nous pourrons avancer – nous ne sommes plus à quelques jours près. Dans le contexte, faisons preuve de patience et d’un peu de discernement.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Je suis stupéfaite que les orateurs précédents se soient exprimés selon une logique partisane et non en leur qualité de représentants du peuple. C’est pourtant cette fonction de représentation qui nous confère le droit constitutionnel de voter la loi et de contrôler et d’évaluer les politiques publiques.
On nous dit que nous pouvons commencer à travailler. Pour ma part, en ma qualité de rapporteure spéciale sur les crédits des infrastructures et services de transports, j’ai déjà effectué plus de vingt heures d’auditions sans disposer, cela va sans dire, de la lettre-plafond ni même d’une réponse du ministère des transports sur les mises en réserve de crédits pour 2024 – je ne sais ni pourquoi ni sur quels postes ces réserves de précaution ont été augmentées. Je n’ai pas connaissance non plus des documents relatifs aux contrats de plan État-région qui ont été signés, pas plus que je n’ai reçu d’informations sur la labellisation des services express régionaux métropolitains – j’ignore selon quels critères vingt-quatre d’entre eux ont été labellisés –, alors que ces sujets entrent pleinement dans le cadre de mon rapport et nonobstant les prérogatives qui me sont dévolues.
La situation à laquelle nous sommes confrontés est très regrettable. J’ai adressé des courriers au ministère des transports dès juillet et les ai renouvelés début septembre, sans obtenir de réponse aux questions légitimes que je me pose pour bien faire mon travail de rapporteure spéciale ni même recevoir le moindre accusé de réception ou la moindre indication. Voilà dans quelles conditions nous devons exercer nos fonctions.
M. Éric Woerth (EPR). On a l’impression que vous ne tenez pas compte du caractère inédit de la situation. Certes, nous avons besoin de documents pour travailler en amont, mais le Premier ministre a été nommé il y a à peine une dizaine de jours. Il faut lui laisser le temps de constituer un gouvernement de coalition, ce qui n’est pas si simple. Il n’est pas choquant, au demeurant, qu’un Premier ministre fraîchement nommé ne communique pas immédiatement les éléments préparés par son prédécesseur. En outre, le premier mardi d’octobre tombe, cette année, le premier jour du mois : nous n’aurons donc pas tant de retard par rapport à d’autres années, où le projet de loi de finances pouvait être déposé sur le bureau de notre assemblée le 5 ou le 6 octobre. Traditionnellement, la commission des finances est destinataire du tiré à part, et non des lettres-plafonds, ce qui lui permet ensuite de commencer à travailler courant septembre ; or nous sommes encore au mois de septembre. Bref la situation ne constitue pas à mes yeux un sujet de préoccupation, même s’il est clair que nous serons conduits à travailler de manière un peu précipitée.
M. le président Éric Coquerel. Ces circonstances ne sont pas tombées du ciel. Nous, parlementaires, sommes les derniers à être responsables de la situation, qui est le fruit de la dissolution, des élections qui se sont tenues début juillet et de l’absence de gouvernement depuis lors. Nous ne devrions pas être tributaires de cela. Lorsque des documents existent, j’estime qu’il est normal que nous les recevions. Charles de Courson et moi-même ne comptons plus les réunions que nous avons eues à Bercy pour demander ces documents – et vous remarquerez que nous n’avons pas cherché à les médiatiser. Pas plus tard qu’hier, le rapporteur général rencontrait le Premier ministre. Si tous les commissaires aux finances demandaient les documents, peut-être entendrait-on davantage la voix de notre commission, ce qui nous éviterait de devoir nous rendre sur place pour les exiger. Je regrette que vous considériez que ces informations ne nous sont pas nécessaires.
M. Mickaël Bouloux (SOC). Je suis surpris que nos collègues des partis présidentiels se permettent de dire que l’exécutif a tous les droits et de considérer le Parlement comme une variable d’ajustement. Il est de notre intérêt à tous d’aller dans le sens de la collaboration. Vous l’appelez de vos vœux, monsieur le président, mais elle est mal engagée puisqu’il nous est impossible d’obtenir communication d’informations budgétaires qui paraissent pourtant peu confidentielles. Cela crée un climat de tension qui affecte chacun de nous et qui aura un retentissement sur nos travaux au cours des semaines à venir.
M. le président Éric Coquerel. Nous pourrons continuer à débattre du sujet au sein du bureau de la commission.
La commission procède à l’audition de Mme Inès-Claire Mercereau, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la LOLF relative aux certificats d’économie d’énergie.
Nous sommes à présent conduits à examiner une enquête que la Cour des comptes a effectuée à la demande de notre commission sur la proposition du groupe Rassemblement national, qui porte sur les certificats d’économie d’énergie (CEE). Cette demande avait été formulée sous la précédente législature. L’enquête a été transmise en juillet.
Mme Inès-Claire Mercereau, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes. Je suis heureuse de vous présenter ce rapport, qui nous a été demandé en application du 2° de l’article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Je commencerai par vous rappeler dans ses grandes lignes le fonctionnement du dispositif des certificats d’économie d’énergie, qui a été institué par la loi du 13 juillet 2005. C’est un dispositif privé, qui appelle toutefois l’intervention de l’État pour la fixation d’obligations imposées aux fournisseurs d’énergie – pétroliers et sociétés mettant les carburants à la disposition des ménages et des entreprises. L’État détermine l’essentiel du volume des certificats d’économie d’énergie. Ceux-ci sont destinés à atteindre le dernier kilomètre, autrement dit les acteurs qui réalisent des économies d’énergie, par exemple au moyen du remplacement d’une chaudière, de la rénovation d’un logement ou de l’institution de dispositifs économes en énergie. Pour ce faire, tout un système s’est construit, avec des intermédiaires qui interviennent entre les fournisseurs d’énergie et les artisans qui effectuent ces travaux chez les ménages ou les industriels. Dans cette chaîne d’acteurs, les distributeurs sont parfois liés aux fournisseurs, parfois indépendants. Au final, les fournisseurs d’énergie et les vendeurs de carburant automobile, que l’on appelle les « obligés », subventionnent les ménages et les entreprises qui réalisent des économies d’énergie – précisons qu’il s’agit de subventions privées.
La Cour a dressé quatre constats.
Premièrement, le dispositif s’est complexifié, sous l’effet, notamment, de l’apparition de nouveaux objectifs.
Deuxièmement, il est de plus en plus coûteux, ce qui s’explique par le fait que l’on commence toujours par les économies les plus faciles à réaliser. Il est par ailleurs marqué par des transferts financiers massifs entre différents secteurs économiques.
Troisièmement, les économies d’énergie attachées aux certificats sont théoriques et, partant, assez incertaines.
Quatrièmement, une réforme d’ampleur est nécessaire. Nous avons examiné à cette fin tous les scénarios alternatifs, qui permettraient de se prémunir contre les inconvénients que je viens d’évoquer.
La complexité, en premier lieu, résulte de l’ajout au dispositif originel de trois types d’opérations : les certificats d’économie d’énergie précarité, qui permettent de financer des ménages n’ayant pas les moyens de réaliser de telles économies ; des programmes destinés à développer des actions en faveur de l’innovation, de l’accompagnement et de la formation ; et des bonifications bénéficiant à certaines actions, comme les opérations à 1 euro, dont on a beaucoup entendu parler, ou à présent les coups de pouce au changement de chaudière et à l’isolation des combles. L’objectif est d’orienter les financements vers ces opérations, même si leur rendement n’est pas nécessairement très élevé.
Les obligations sont exprimées en térawattheures (TWh) « cumac », qui désignent les économies d’énergie que sont censées financer ces certificats : cumulées sur la durée d’exploitation des équipements, et actualisées à un taux de 4 %. Cette notion théorique résulte du devis établi par l’artisan. Les obligations fixées par l’État ont été renforcées pour atteindre les objectifs d’efficacité énergétique impartis à la France comme aux autres pays de l’Union, qui sont, eux, exprimés en TWh. Les derniers chiffres transmis à la Commission européenne font apparaître une économie de 416 TWh sur la période 2014-2020, soit 114 % de l’objectif assigné à notre pays. Cela représente une économie sur la consommation finale d’énergie annuelle de 106 TWh en 2020. Il s’agit donc d’un dispositif massif.
L’intégralité de ces économies provient des CEE, ce qui nous distingue de nos voisins. La France représente 55 % des économies d’énergie déclarées au titre des certificats blancs européens, qui sont un mécanisme similaire. Le mécanisme français permet donc de satisfaire à nos obligations communautaires, ce dont on peut se réjouir.
Toutefois, on peut relever plusieurs problèmes. Le dispositif s’est éloigné de sa conception originelle, qui reposait sur un mécanisme de marché. Le Parlement est assez peu associé aux enjeux soulevés. La multiplication des programmes, dont la plupart auraient dû relever de crédits budgétaires, a conduit à une grande instabilité réglementaire – on a comptabilisé près de 300 textes réglementaires entre 2018 et 2023. Cette situation est assez incompatible avec un mécanisme de marché destiné à favoriser l’émergence d’une filière de services d’efficacité énergétique. La direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), par le biais d’un pôle national chargé de gérer les économies d’énergie, y consacre des moyens très faibles. Surtout, les évaluations ne sont absolument pas à la hauteur des ambitions et des objectifs. Pour bien calibrer un tel dispositif, il faut savoir où résident les gisements d’économie d’énergie, les évaluer et s’assurer que les économies escomptées sont bel et bien réalisées.
Ces constats nous ont conduits à formuler quatre recommandations.
Afin d’améliorer la gouvernance du dispositif, nous préconisons de soumettre au Parlement le niveau précis d’obligations d’économies d’énergie pour chaque période quinquennale dans la loi définissant la stratégie française pour l’énergie et le climat, ainsi que d’arrêter les paramètres structurants du dispositif dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Afin de revenir à la conception originelle, nous recommandons de supprimer le financement par les CEE des programmes définis à l’article L. 221-7 du code de l’énergie.
Enfin, pour renforcer le pilotage, nous préconisons de développer les études de gisement préalables et les évaluations en y consacrant une part du coût total du dispositif.
S’agissant des coûts croissants du dispositif et des transferts financiers significatifs qu’il entraîne, nous avons examiné le coût d’approvisionnement en CEE pour les obligés, sur la base des données déclaratives fournies par un échantillon d’entreprises. Le dispositif a représenté en 2022 et en 2023 un coût moyen annuel de 6 milliards d’euros, qui ont été prélevés sur les factures d’énergie et de carburant automobile des ménages et des entreprises du secteur tertiaire.
Les obligés peuvent s’approvisionner en CEE de différentes manières : en versant des primes directes aux ménages ou aux entreprises, en passant des contrats avec des sous-traitants spécialisés, qui leur apportent la matière, ou en achetant des CEE de gré à gré auprès de détenteurs comme les collectivités locales ou les bailleurs sociaux.
Le coût d’approvisionnement en CEE des obligés ne cesse de croître, de manière assez logique puisque les opérations les plus faciles et les moins chères à financer ont en principe déjà été réalisées. Économiser 1 mégawattheure cumac dans le dispositif des CEE coûte aujourd’hui environ 7,50 euros à un obligé, contre un peu moins de 4 euros au démarrage du dispositif. Ce coût ne pourrait que s’accroître si le niveau des obligations continuait à s’élever. Or les obligés le répercutent sur la facture du consommateur. Sans s’en apercevoir, les consommateurs assument cette charge dans leur facture d’énergie ou leur plein de carburant. Selon nos estimations, le coût serait supporté à 65 % par les ménages et 35 % par les entreprises. Le dispositif des CEE a ainsi représenté en 2023 un coût de 164 euros en moyenne pour les ménages, soit un peu plus de 4 % de leur facture énergétique annuelle moyenne, ce qui est considérable. La forte hausse que l’on constate entre 2022 et 2023 s’explique par une nette augmentation des obligations et du coût d’approvisionnement.
J’en viens aux transferts financiers. Nous estimons que le coût du dispositif est constitué à 70 % par les aides financières versées aux ménages ou aux entreprises pour réaliser des opérations d’économies d’énergie. Les 30 % restants proviennent de trois ensembles : la TVA que l’État collecte sur les travaux et les achats d’équipements ; les frais de gestion du dispositif, pour 20 % du total, tous les acteurs de la chaîne devant être rémunérés pour aller chercher le consommateur final ; et le coût des certificats délivrés en 2022 et en 2023, qui finançaient des programmes et qui sont reversés à d’autres acteurs. Les aides financières sont allouées pour les deux tiers à la rénovation énergétique des logements, pour 16 % à l’industrie et pour 10 % à la rénovation des bâtiments tertiaires.
D’importants transferts financiers s’opèrent ainsi entre secteurs d’activité, principalement entre ceux dont les consommations énergétiques sont taxées et ceux dont les opérations d’économies d’énergie sont soutenues. La rénovation énergétique des logements et l’industrie sont les principales bénéficiaires de ce mécanisme, les transports étant le principal secteur contributeur net.
S’agissant des transferts entre ménages, nous n’avons pas pu effectuer d’analyse précise et ne pouvons donc pas nous prononcer sur le caractère redistributif du dispositif.
En définitive, ce mécanisme bénéficie avant tout à l’activité économique de rénovation énergétique des bâtiments, réalisée principalement par des artisans, partout sur le territoire national. Ce sont surtout les consommations de carburant et les factures d’énergie des ménages qui financent les aides, lesquelles sont versées essentiellement au profit de la rénovation énergétique des bâtiments et des efforts d’efficacité énergétique de l’industrie. Les secteurs de l’agriculture, des réseaux et des transports font l’objet de très peu d’opérations d’économie d’énergie.
Vous jugerez peut-être la recommandation que nous émettons sur ce sujet banal : inclure, dans les dossiers de demande de certificat, les informations essentielles à l’évaluation du dispositif – montant des travaux ou des équipements financés, montant des autres aides obtenues, nombre de ménages concernés, etc. Mais nous ne disposons que de peu de données et ces informations seraient vraiment utiles.
J’en viens au troisième de nos constats : le fait que le dispositif des certificats d’économie d’énergie donne des résultats incertains et, en tout état de cause, très inférieurs à ce que l’on pourrait attendre du volume de CEE délivrés, traduits en térawattheures cumac.
Pour calculer les économies d’énergie effectivement réalisées grâce au dispositif, il convient de soustraire de l’ensemble des certificats délivrés plusieurs choses : le financement, pour 5 %, de différents programmes qui ne visent pas nécessairement des opérations d’économie d’énergie ; les bonifications allouées, pour 35 % ; les surestimations liées aux forfaits de calcul des fiches d'opérations standardisées, pour 17 % ; ou encore, entre autres, les CEE annulés. Au final, seulement 33 % de l’ensemble correspondraient à des économies d'énergie.
Et encore cela reste-t-il très loin de la réalité car nous nous fondons sur des estimations calculées ab initio par l’artisan ou le professionnel pour toute la durée de vie du nouvel équipement. Or il n’est pas acquis que le ménage qui, par exemple, remplacera sa chaudière réalisera autant d’économies d’énergie qu’anticipé. Des études menées en Grande-Bretagne ont en effet montré l’existence d’un effet rebond : en l’absence d’accompagnement, les bénéficiaires des travaux d’efficacité énergétique changent de comportement et deviennent moins économes.
Plus grave encore, dans le contexte de décentralisation et de complexité qui caractérise le dispositif, on relève des fraudes et des non-conformités majeures qui le discréditent. En 2022, un contrôle sur site sur trois avait révélé une non-conformité des CEE délivrés. Des situations graves et totalement anormales subsistent. Ainsi, certains dossiers importants, déposés dans le cadre de l’opération coup de pouce pour la rénovation globale d’une maison individuelle, sont suspendus. La Cour a mis en évidence une très forte probabilité de tentative de fraude massive. En effet, les contrôles ne sont pas ou peu automatisés et les sanctions prononcées entre 2011 et 2023 ont été peu nombreuses, tardives et d’un montant financier peu dissuasif au regard des montants dépensés.
Afin de remédier aux défaillances observées, la Cour a formulé deux recommandations : asseoir le dispositif sur les économies d'énergie réelles et en publier annuellement les résultats, d’une part, et élaborer un plan d’action renforcé de lutte contre la fraude, d’autre part.
À défaut de la réforme d’ampleur qui serait nécessaire, nous avons examiné des solutions alternatives au dispositif. Nous souhaitons vous alerter sur le fait que la consultation publique menée au cours de l'été 2023 pour préparer la sixième période des CEE a évoqué un doublement des obligations à la charge des obligés. Cette hausse, qui vise à répondre aux objectifs du paquet climat européen « Fit for 55 », s’accompagnera d’une très forte augmentation du coût pour les consommateurs, qui pourrait passer des 164 euros en moyenne actuels à 500 euros par ménage.
Les scénarios examinés s’appuient sur des exemples étrangers. Il s’agit par exemple de transformer le dispositif des CEE en fonds budgétaires, en le rapprochant des autres outils de politique publique existants – MaPrimeRénov’, le fonds Chaleur, le fonds Décarbonation de l’industrie –, ou de le cibler davantage sur la rénovation énergétique des ménages précaires ou sur les opérations réalisées par des professionnels. Je ne m’étendrai pas davantage sur ces scénarios dont nous n’avons tracé que les grandes lignes, sauf pour souligner qu’ils offrent tous des avantages et des inconvénients. Aucun ne garantit la réalisation d’économies d’énergie réelles, à la hauteur des ambitions affichées en matière de réduction des consommations d’énergie finale.
M. le président Éric Coquerel. Mme Mathilde Paris n’étant plus députée, le bureau de la commission a décidé de confier le suivi de cette enquête à M. David Amiel, rapporteur spécial chargé de l’énergie.
M. David Amiel (EPR). Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport exhaustif qui éclaire utilement nos travaux. Plutôt que de revenir sur les recommandations de bon sens relatives à la lutte contre la fraude, à la plus grande transparence dans le cadre du suivi des dispositifs ou encore à la simplification, je poserai des questions relatives aux orientations du dispositif.
La première question porte sur les dispositifs de bonification. Les recommandations de la Cour des comptes contredisent celles formulées par le Conseil d'analyse économique (CAE) dans une note du mois de juin, qui préconise de cibler le dispositif sur les bonifications. La différence est philosophique : faut-il, comme la Cour des comptes le préconise, distinguer les économies d’énergie de la décarbonation, ou alors mener une réflexion conjointe sur les deux, en travaillant par exemple sur le changement des modes de chauffage et l'isolation ? C’est ce qu’a fait le CAE, ainsi que le Gouvernement, en proposant la réforme de MaPrimeRénov’.
Si l’objectif est de réaliser des économies d'énergie, on peut estimer qu'il faut aller au bout du mécanisme de marché. En revanche, si l’objectif est une rénovation globale alliant décarbonation et économies d’énergie, il convient d’approfondir la planification écologique – dont je suis un partisan – et d’assumer une logique de bonifications. À votre sens donc, la distinction entre ces deux objectifs est-elle pertinente, considérant qu’électrifier beaucoup de passoires énergétiques présenterait un risque pour la sécurité d'approvisionnement ?
Ma seconde question est relative au contrôle des CEE par le Parlement. Je partage votre analyse : le Parlement doit renforcer son contrôle et mieux encadrer les principaux paramètres, notamment grâce à une loi de programmation pluriannuelle de l'énergie que nous sommes nombreux à réclamer depuis plusieurs mois. Mais la piste de la budgétisation que vous avez évoquée constituerait un retour en arrière. En effet, les financements dédiés à la transition écologique pourraient dès lors faire l’objet d’ajustements tous les ans, alors que nous avions été nombreux à plaider pour une programmation sur plusieurs années. La budgétisation pourrait-elle se faire en évitant ces ajustements annuels ? Quel en serait l’impact sur la trajectoire des finances publiques ?
Enfin, j’ai une question sur la correction du fonctionnement du marché. Vous proposez de créer un organisme public indépendant, à l’image de la Commission de régulation de l’énergie ou de l’Autorité des marchés financiers, qui piloterait notamment le fonctionnement du marché secondaire. Ne craignez-vous pas que cela complexifie davantage encore le dispositif, favorise les fraudes et induise des lourdeurs administratives ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Nous n’avons pas la même lecture de la note du CAE, qui recommandait la suppression du dispositif des CEE et la refonte des bonifications avec les autres outils de politique publique, notamment MaPrimeRénov'. Pour le reste, nous n’avons pas traité de la question de la réhabilitation et de la rénovation des logements. J’observe simplement que lorsqu’il existe deux outils de politique publique s’appliquant à un seul objet, il est très difficile d’évaluer l’efficacité de chacun d’entre eux. Simplifier le dispositif est une mesure de bon sens.
S’agissant de l’impact budgétaire, le dispositif actuel des CEE représente un coût de 6 milliards d’euros, dont la moitié au titre des CEE précarité énergétique et des bonifications notamment. La budgétisation s’élèverait donc à 3 à 4 milliards, toutes choses égales par ailleurs. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur ce montant, vous connaissez mieux que moi la situation difficile des finances publiques.
Enfin, s’agissant de l’autorité de surveillance du marché secondaire des CEE, il faut dire qu’il s’agit d’un marché un peu « Canada Dry ». Si, en règle générale, les marchés sont organisés, aucun élément ne nous permet de dire que celui-ci l’est : il n’existe pas de chambre de compensation, personne ne supporte le risque de la suppression des CEE, les cotations sont publiées une fois par jour… Pour que le marché soit sécurisé, il faudrait instaurer bien autre chose qu’une autorité administrative indépendante chargée de surveiller le fonctionnement des opérateurs et de les sanctionner. Le marché n’étant pas suffisamment mature, nous n’avons pas formulé une telle recommandation.
M. le président Éric Coquerel. Je partage les objectifs consistant à isoler complètement les logements, à apporter un soutien adapté aux ménages en fonction de leurs revenus et, plus globalement, à accélérer la rénovation des bâtiments publics. Toutefois, votre rapport montre les nombreuses limites du dispositif. D’une part, l'efficacité d'un mécanisme de marché et d'incitation individuelle paraît contredite par les multiples interventions unilatérales de l'État ; d'autre part, cet instrument s'avère coûteux pour l'ensemble de la population qui, in fine, paie la charge due par des entreprises.
Votre rapport souligne une potentielle contradiction entre, d'une part, le dispositif des certificats d'économie d'énergie, dont les effets sont inflationnistes, et d'autre part les mesures prises afin de limiter les effets de la hausse des prix de l'énergie. Le maintien d'un tel dispositif, même davantage ciblé, n'est-il pas risqué dans un contexte inflationniste ?
Dans une étude de 2018 citée dans le rapport, l’UFC-Que choisir insistait sur le déséquilibre entre les propriétaires de logements et les locataires, qualifiés de « grands oubliés du dispositif des CEE ». Comment expliquer cette situation et comment y remédier ?
Le premier scénario évoqué à la fin de votre rapport est l'abandon du dispositif et son remplacement. Quels sont les résultats du remplacement du dispositif de certification par des fonds budgétaires au Danemark ? Quel en serait le coût pour l'État ? Le deuxième scénario, celui du maintien du dispositif en le ciblant sur la rénovation énergétique des logements des ménages précaires, me semble judicieux. Il impliquerait de développer des outils complémentaires afin que les secteurs de l'industrie et du transport réalisent eux aussi des économies d'énergie. Pourriez-vous donner des exemples de dispositifs permettant de réaliser de telles économies d'énergie dans ces secteurs ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Vous avez raison, vouloir limiter le coût des énergies et rehausser les objectifs d’efficacité énergétique est contradictoire ; nous l’avons relevé dans le rapport. Dans un contexte où la facture d’énergie est un sujet sensible, on ne peut être indifférent à une augmentation qui pourrait être considérable. C’est pourquoi nous proposons que le Parlement s’exprime sur des sujets aussi importants.
Nous n’avons pas suffisamment de recul sur la suppression du dispositif au Danemark pour en dresser le bilan. D’autres instruments permettent de réaliser des économies d’énergie, tant budgétaires que de nature privée. Les fournisseurs d’énergie ont la chance de disposer d’un outil de communication et d’évaluation de la consommation énergétique de chaque titulaire d’un abonnement d’électricité ; ils peuvent dès lors inciter l’abonné à adopter de bons comportements – éteindre les lumières, débrancher les prises. Les actions de prévention doivent faire appel au « comique de répétition » afin que les réflexes soient acquis : une fois ancrés, ils ne disparaissent pas.
Le déséquilibre entre locataires et propriétaires est consubstantiel aux travaux de rénovation énergétique des bâtiments. Ils sont à la charge du propriétaire, il ne revient pas au locataire de les réaliser puisqu’ils visent à valoriser le bien. Il arrive que certains locataires réalisent des travaux d’isolation des fenêtres non pour faire des économies d'énergie, mais pour réduire le bruit. À cet égard, un dialogue entre le propriétaire et le locataire s’instaure. J'ose espérer que les Français ne souffrent pas tous du bruit.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma première série de questions porte sur la nature des CEE et la place du Parlement dans la gestion du dispositif.
Je considère les CEE comme un objet financier non identifié. Différents travaux indiquent qu’il ne s’agit pas d’une imposition de toute nature. Néanmoins, lorsqu’au terme du délai de quatre ans, une entreprise obligée n’atteint pas ses quotas, elle doit s’acquitter d’une amende considérée comme une imposition de toute nature : c’est un peu bizarre. Les CEE ne constituent-ils pas une imposition de toute nature dissimulée ?
Dans votre rapport, vous rappelez que, selon l’article L. 100-1 A du code de l’énergie, les plafonds triennaux doivent être fixés par le Parlement. Or cela n’a jamais été le cas : ils ont été fixés par décret, ce qui est anormal du point de vue du respect des prérogatives du Parlement. La loi doit être appliquée, qu’il s’agisse d’une taxe ou d’une quasi-taxe.
Ma deuxième série de questions est relative au manque de traçabilité des CEE et à l’opacité du coût réel. On ne trouve nulle trace des CEE dans le budget de l’État, à l’exception du retour fait lorsque le quantum fixé n’est pas atteint par l’entreprise obligée. Dans la comptabilité des entreprises obligées ou détentrices des CEE, une créance temporaire est inscrite – en général, les entreprises ne dépassent pas le quantum au cours des quatre années. Si les entreprises ne l’atteignent pas, elles ont un passif et sont débitrices à l’égard de l’État. Mais, alors que la dette est inscrite dans la comptabilité de l’entreprise, la créance n’apparaît pas dans les comptes de l’État. Est-ce normal ?
Vous avez dit que toutes ces contraintes étaient répercutées dans le prix payé par les consommateurs. Pourriez-vous préciser la méthodologie qui vous permet d’affirmer que cette répercussion est intégrale ?
Ma dernière série de questions porte sur l’efficacité du dispositif, ou plutôt sur son extrême inefficience, que vous avez démontrée. Quelle est la plus-value de ce mécanisme complexe ? Dans le cadre de l'instabilité normative propre aux CEE, passer à une taxe sur les entreprises obligées qui abonderait le budget de l’État, autrement dit à la budgétisation, ne permettrait-elle pas d'améliorer le dispositif ? Je fais confiance à la direction du budget pour que les recettes deviennent rapidement supérieures à la dépense !
Enfin, la directive européenne « efficacité énergétique » n’oblige pas les pays membres à recourir aux CEE ; elle leur ouvre simplement la faculté de le faire. Ainsi, le Danemark a mis fin au dispositif après la découverte d’un système de fraude généralisé. Nos collègues allemands n’ont pas voulu recourir aux CEE, même si, selon votre rapport, ils y songent. Nos collègues espagnols ont concentré le dispositif sur l’industrie et le bâtiment. En Italie, après que des fraudes importantes ont été mises au jour, le dispositif a été concentré sur l’industrie. Le Royaume-Uni, qui avait créé un système de CEE avant même l’adoption de la directive « efficacité énergétique », a, je crois, réduit son champ d’application, à cause des fraudes constatées. En Europe, la tendance n'est donc pas de développer les CEE, mais plutôt de les concentrer, voire de les supprimer.
Mme Inès-Claire Mercereau. Vous analysez très bien les maigres données de comparaison avec les pays étrangers que fournit notre rapport. Oui, nos voisins tendent bien à concentrer le dispositif sur certaines opérations et certains bénéficiaires, voire à le supprimer, notamment à cause des fraudes.
Vous tenez les CEE pour un objet financier non identifié. De fait, ils constituent une forme de taxe privée, fortement encouragée par l’État, qui fixe des obligations aux fournisseurs d’énergie et aux metteurs à la consommation de carburant – sachant que, selon les acteurs, la réflexion sur cet outil est d’une maturité très variable.
Je rejoins votre réflexion sur la comptabilisation des CEE. Je ne sais si les différents fournisseurs d’énergie traduisent de manière homogène leurs obligations dans leur bilan comptable ; s’ils comptabilisent une créance, je ne sais pas non plus qui en est le détenteur, qui doit l’inscrire dans son bilan comptable.
Vous m’interrogez enfin sur l’opportunité de concentrer le dispositif. Si le Parlement choisit de maintenir les CEE et d’en faire un outil essentiel de l’efficacité énergétique et de la réduction de la consommation des Français, nous proposons dans notre rapport de combiner concentration et budgétisation de ce dispositif.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Matthias Renault (RN). Les CEE coûtent 6 milliards d’euros, soit 164 euros par ménage en 2023. Ce coût pourrait atteindre 500 euros par ménage dans les années à venir. C’est le type même de dispositif qui devrait être remis en question dans un souci de maîtrise budgétaire et de redressement des finances publiques, mais cela demanderait du courage politique.
Les CEE sont une usine à gaz. Ils s’apparentent à une taxe sur la consommation d’énergie affectée à des dépenses d’énergie. Il semblerait plus transparent de suivre le modèle danois et de laisser le Parlement décider des crédits budgétaires alloués à l’économie d’énergie. La Cour des comptes appuie-t-elle ce modèle ?
En outre les CEE coexistent avec MaPrimeRénov’. Ce sont deux dispositifs qui peuvent se cumuler et qui visent le même objectif, mais qui s'inscrivent dans des circuits de financement très différents. Par souci de simplification administrative, ne faudrait-il pas les fusionner ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Le coût des CEE est effectivement important, mais attention, ils ne constituent pas une dépense budgétaire ; leur suppression ne permettrait donc pas d’économies. Les CEE constituent même plutôt une recette pour l’État, car les travaux qu’ils financent génèrent de la TVA.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Même si on n’en fait jamais assez en matière de transition écologique, certains des éléments que vous avancez sont tout de même positifs. Nous avons réalisé 114 % de nos objectifs en matière d’efficacité énergétique. En 2023, nos émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 5,8 %. Enfin, nous avons créé un secrétariat général à la planification écologique, dans le cadre de France nation verte, qui définit un plan à la fois détaillé et très large des économies à réaliser, par secteur et par acteur.
Vous recommandez une meilleure visibilité pluriannuelle des efforts à fournir. Les travaux du secrétariat général à la planification écologique ne satisfont-ils pas cette demande ?
Vous notez un accroissement des moyens alloués à la lutte contre la fraude. Pourquoi ne sont-ils pas assez efficaces ?
Vous estimez le coût moyen des CEE à 164 euros par ménage. De fait, les entreprises répercutent toujours les charges qui pèsent sur elles – impôt, taxe, ou autre – sur le prix final. Mais parvenez-vous à ce montant de 164 euros en divisant simplement le coût du dispositif par le nombre de ménages ou prenez-vous en compte d’autres paramètres plus fins, tels que d’éventuels efforts de productivité ou une diminution des résultats liée au dispositif ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Les contrôles n’étant pas automatiques, les fraudes ne sont pas systématiquement détectées ; quand elles le sont, c’est de manière très tardive ; et les sanctions sont extrêmement faibles. Les moyens qui ont été alloués restent donc insuffisants au vu de l’ampleur du dispositif et des fraudes constatées chez nos voisins – l’outil informatique en particulier est trop sommaire. Il faut en outre améliorer la synergie avec les autres agences de l’État dédiées à la rénovation énergétique des bâtiments, car plusieurs guichets peuvent être affectés aux mêmes opérations.
Comme vous, je me félicite que nous ayons atteint 114 % de nos objectifs en matière d’efficacité énergétique. Toutefois, n’oublions pas que ces économies sont en grande partie théoriques, fondées sur des térawattheures estimés a priori. J’espère que ces économies sont le plus possible réelles.
Pour calculer le coût moyen du dispositif par ménage, nous nous sommes appuyés sur les déclarations d'un échantillon de fournisseurs d’énergie, que nous estimons représentatif à partir de nos méthodes statistiques. J’ai assez peu d’inquiétude sur la fiabilité de ces chiffres. Si d’éventuels efforts de productivité ont été fournis par les entreprises avant que leurs responsables ne remplissent le questionnaire, leurs effets sont en tout cas déjà intégrés dans les chiffres.
M. Mickaël Bouloux (SOC). Notre pays ne peut pas faire l’économie de la bifurcation écologique, mais il accuse un retard important en la matière. Alors qu’il faudrait investir massivement dans la rénovation énergétique, la baisse de 1 % des crédits de la mission Écologie dans le projet de budget laissé par le gouvernement démissionnaire inquiète.
Les outils censés permettre la transition écologique doivent être utilisés de manière transparente, pour éviter qu’ils soient dévoyés à des fins de communication. Depuis 2005, l’État contraint les énergéticiens à financer des actions d’économie d’énergie ; ceux-ci en répercutent le coût sur le prix de vente des carburants, du gaz ou de l’électricité. Selon le journal Le Monde du 20 juin, près de 3 milliards d’euros ont été déboursés depuis 2012 pour financer 123 projets de CEE, publics ou privés, sélectionnés par le ministère de l’économie. Mais l’impact de ces projets n’est pas toujours mesurable, d’autant que les programmes financés concernent souvent des questions annexes telles que l’innovation, la sensibilisation ou la formation. L’énergéticien Engie a ainsi bénéficié d’une somme rondelette – 10,4 millions d’euros – pour « sensibiliser » et « conseiller » 278 000 ménages sur les écogestes durables lors de l’entretien de leur chaudière. Pour quel résultat ?
Les CEE constituent pour certains acteurs une manne financière plutôt qu’un levier en faveur de la bifurcation écologique. Le problème est le même que pour un mécanisme pourtant différent, le crédit impôt recherche, qui sert trop souvent à financer des activités éloignées de la recherche fondamentale. Comment éviter ces comportements opportunistes des entreprises ? Par ailleurs, un système qui repose sur un transfert financier des consommateurs vers les équipementiers et les artisans vous semble-t-il juste, à l’heure actuelle ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Nous n’avons pas mesuré directement les effets d’aubaine liés au dispositif, mais nous les avons intégrés dans nos calculs en nous fondant sur une étude sérieuse de 2019 menée par l’Agence de la transition écologique, qui évalue leur part à 20 % du coût du dispositif.
Je ne sais pas si Engie aurait mené ou non des actions de formation et de sensibilisation aux écogestes en l’absence d’un programme de CEE. Même si nous avons parfois l’impression que les efforts de prévention sont inutiles, ils sont généralement efficaces avec le temps. Ils sont même nécessaires car, même si on l’oublie souvent, la sobriété énergétique est une affaire de tous les jours.
M. Nicolas Ray (DR). Le titre de votre rapport est clair : « Les certificats d’économie d’énergie : un dispositif à réformer car complexe et coûteux pour des résultats incertains ». C’est la définition même d’une usine à gaz, à une époque où les Français et les entreprises réclament la simplification et l’efficacité des politiques publiques.
Ce dispositif créé en 2005 partait d’une bonne idée, mais l’État n’a cessé d’en complexifier les règles, qui ont fait l'objet de 300 textes réglementaires entre 2018 et 2023. Le Gouvernement a notamment décidé d’exclure en 2024 les chaudières à gaz à haute performance énergétique du dispositif, suscitant de nombreuses inquiétudes dans le secteur du bâtiment, qui réclame davantage de stabilité réglementaire concernant les CEE et MaPrimeRénov’.
Vous soulignez que les fournisseurs ont répercuté le prix du CEE sur les ménages, dans un contexte d’explosion de la facture énergétique. C’est assez scandaleux.
Comment s’assurer que le coût de ce dispositif soit réellement supporté par les fournisseurs d’énergie eux-mêmes ? Par ailleurs, plutôt qu’à une nouvelle transformation, ne faudrait-il pas réfléchir à la suppression pure et simple des CEE et à leur remplacement par un dispositif plus simple et bien connu, le crédit d’impôt, qui pourrait être financé par une contribution des énergéticiens et des fournisseurs d’énergie ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Plusieurs options sont possibles, notamment la taxation, évoquée par certains d’entre vous, ou la création d’un fonds budgétaire. Je ne me prononcerai pas, car c’est à la représentation nationale qu’il revient de décider de l'architecture de la politique d’efficacité énergétique et de réduction de notre consommation à l’horizon 2050.
Mme Eva Sas (EcoS). Ce rapport révèle l’ampleur de l’échec des CEE. Comment ne pas reprendre les suggestions de réforme que vous y formulez, au vu des fraudes et de l’écart entre les économies d’énergie attendues et celles réalisées ?
Vous émettez en particulier des réserves sur les coups de pouce accordés au covoiturage. Celui-ci, en permettant d’améliorer le taux d’occupation des voitures, répond à un impératif majeur pour la transition écologique – le secrétariat général à la planification écologique considère qu’il représentera 10 % des réductions d’émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.
Toutefois, la promotion du covoiturage donne lieu à des abus plus graves encore que ceux que vous décrivez. En juin, le Conseil d’État a cassé l’arrêté servant de base à l’attribution de CEE pour les covoiturages longue distance, au motif qu’il reposait sur une surévaluation colossale des économies permises par ces trajets : au moins d’un facteur sept, voire quatorze en prenant en compte la prime coup de pouce covoiturage longue distance. Il en allait de même pour le covoiturage courte distance. Depuis, l’État organise des consultations sur une nouvelle fiche qui divise par sept le forfait d’efficacité énergétique.
Le leader du marché, Blablacar, une licorne française, bénéficie des CEE depuis 2012, à travers une opération spécifique dont nous ne connaissons pas le détail mais dont on peut supposer qu’elle suit des tarifs similaires à la fiche censurée par le Conseil d’État. Ainsi, on peut craindre que plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’euros aient indûment été perçus par Blablacar au cours des douze dernières années. Par ailleurs, Blablacar ne publie pas ses comptes et certains de ses investisseurs sont situés au Luxembourg ou dans le Delaware.
Comment faire pour que les CEE constituent un soutien à l’innovation et à l’émergence de solutions de covoiturage au quotidien, plutôt qu’une rente pour un acteur monopolistique qui la transfère possiblement vers des paradis fiscaux ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Nous avons consacré un encadré dans le rapport au covoiturage, dont nous nous demandons quelles économies d’énergie il permet réellement. C’est un exercice difficile. La seule solution consiste à fonder les calculs sur les économies d’énergie réelles et non théoriques.
Mme Perrine Goulet (Dem). Votre travail fait écho aux difficultés qui remontent du terrain sur les difficultés de recouvrement, les fraudes et les malfaçons auxquelles donnent lieu les CEE. Il semble qu’en réalité, le seul « obligé » du système soit le consommateur ! C’est lui qui trinque, alors que le but était que les énergéticiens contribuent à travers ce dispositif à la rénovation énergétique. Les CEE constituent finalement une taxe déguisée qui pèse sur le consommateur et dont le produit sert à financer, plutôt que la rénovation énergétique, les intermédiaires qui « gèrent » le dispositif.
Avez-vous étudié l’évolution du coût des rénovations depuis la création des CEE ? À en croire nos concitoyens, ils explosent, depuis plusieurs années. Y aurait-il une relation de cause à effet ? Si l’aide apportée par le biais des CEE aboutit à une augmentation globale du montant des opérations, cela signifie que les CEE incitent les consommateurs à entreprendre moins de travaux. Au vu des sommes en jeu, il est important de pouvoir répondre à la question de l’efficacité de ce dispositif.
D’après les remontées du terrain, il semble d’ailleurs que MaPrimeRénov’ ne soit pas plus efficace que les CEE. Toutes ces aides coûteuses à la rénovation énergétique bénéficient moins au client final qu’aux intermédiaires. La Cour a-t-elle étudié le scénario d’une réforme globale, en changeant totalement de logiciel ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Non, nous n’avons pas étudié un tel scénario, car ce n’était pas l’objet de notre rapport. Par ailleurs, je suis compétente en matière d’énergie mais non de logement. Je suis sûre que la présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes a en revanche beaucoup d’idées sur MaPrimeRénov’.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Certains travaux donnant lieu à l’attribution de CEE ne sont pas réalisés, ou ont des résultats inférieurs à ceux déclarés. S’y ajoutent des pratiques commerciales trompeuses, par exemple des offres de changement de chaudière ou d’isolation à 1 euro. Comment renforcer les mécanismes de contrôle pour vérifier la qualité des travaux ? Depuis que des pratiques trompeuses ont été mises au jour, la lutte contre celles-ci est-elle plus efficace ?
Par ailleurs, le dispositif ne crée-t-il pas des iniquités ente les opérateurs ? Les plus gros acteurs peuvent avoir une influence disproportionnée sur les prix de CEE et sur les conditions du marché, au détriment des plus petits. Les prix fluctuent en outre en fonction de l’offre et de la demande et des modifications du dispositif. Les débuts de période des CEE donnent systématiquement lieu à des pics de coûts. Cette volatilité rend difficile la planification pour les entreprises et les particuliers.
Par ailleurs, les travaux donnant lieu à l’attribution de CEE se révèlent dans la majorité des cas dépourvus d’impact énergétique. En outre, le dispositif génère des effets d’aubaine, puisqu’il bénéficie à certains travaux qui auraient été réalisés de toute façon. Quels indicateurs utilisez-vous pour mesurer l’efficacité réelle des projets financés par les CEE et l’ampleur des effets d’aubaine ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Oui, parmi les obligés, les plus gros ont davantage de pouvoir. Cela étant, les plus petits acteurs bénéficient d’un système de franchise qui permet de rétablir l’équilibre lors de la détermination de leurs obligations.
Pour réduire l’incertitude sur les résultats du dispositif, il faut se fonder sur les économies réelles. Tout récemment, une évaluation a été programmée, dans la perspective de la fixation des objectifs de la sixième période. À chaque nouvelle évaluation, nous progressons. Je suis donc confiante.
M. Gérault Verny (UDR). À la lecture du rapport, on comprend que les CEE sont un machin aux gains incertains. Les économies qu’ils permettent sont fréquemment surestimées. Leur impact sur la consommation énergétique est limité, un effet rebond annulant les gains potentiels. C’est un échec.
Le dispositif est également très complexe, avec des lourdeurs administratives liées à la multiplication des opérations standardisées et spécifiques. En outre, les frais administratifs sont élevés pour les fournisseurs et les petits acteurs. Enfin, il est avéré qu’il donne lieu à des fraudes.
Face à une situation budgétaire complexe, deux solutions se présentent : soit supprimer les CEE et transférer 6 milliards au budget de l’État – ce qui n’est pas rien, alors que le déficit budgétaire annuel frôle les 150 milliards ; soit rendre cet agent aux consommateurs, qui ont bien besoin de pouvoir d’achat. Quelle est votre position ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Cette décision ne nous appartient pas. Notre objectif est simplement de vous présenter les options possibles.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. José Gonzalez (RN). Les règles du marché des CEE sont fréquemment modifiées et 40 % des certificats sont délivrés sans véritable gain de performance énergétique ni réduction de consommation. Que proposez-vous pour rétablir la transparence et l’équité en matière d’attribution des CEE ? Combien les certificats ont-ils coûté, en tout, depuis 2005 ?
Mme Inès-Claire Mercereau. Nous avons chiffré le coût du dispositif à 6 milliards pour les deux dernières années. C’était moins au cours des années précédentes, car les obligations étaient moins importantes. Je ne suis pas en mesure de vous donner le chiffre exact, mais nous pourrons le calculer.
Par définition, si le Parlement demande davantage de transparence au Gouvernement et s’il se déclare compétent pour fixer des obligations dans le cadre de la trajectoire énergétique, la transparence s’accroîtra. L’équité en découlera nécessairement.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). La Cour des comptes propose de convertir les CEE en fonds budgétaire. Est-ce bien réaliste, eu égard aux contraintes de nos finances publiques ?
Vous estimez par ailleurs que la gouvernance des CEE manque de transparence. De fait, il est par exemple très compliqué de trouver la composition du comité de pilotage des CEE sur internet. Qui y siège ?
M. François Démaret, conseiller référendaire. Le comité de pilotage des CEE compte quatre-vingts membres, qui sont les représentants des principaux acteurs : les usagers, les obligés, les délégataires et l’État, à travers la DGEC. C’est l’une des raisons de ses problèmes de fonctionnement, car on décide très mal à quatre-vingt.
Une autre difficulté est que toutes les entreprises concernées ne sont pas présentes en son sein – ce ne serait pas possible. Or le comité de pilotage fixe des mécanismes qui ont des impacts non négligeables sur le marché et sur la concurrence. Toutes les entreprises ne disposent donc pas des mêmes informations de marché. Ce mode de gouvernance s’accompagne donc d’un certain nombre de difficultés.
Mme Véronique Louwagie (DR). J’ai rapporté avec Annie Vidal une mission d’évaluation de l’adaptation des logements aux transitions démographique et environnementale. Nous avons constaté la complexité des dispositifs MaPrimeRénov’ et MaPrimeAdapt’ et leur manque d’articulation, ainsi qu’un manque de transparence budgétaire. Nous avons notamment demandé que l’Agence nationale de l’habitat publie la documentation budgétaire et unifie le régime juridique des aides à la rénovation énergétique, afin d’en simplifier l’architecture. Voilà qui ressemble à vos préconisations sur les CEE.
Vous avez évoqué une consultation publique. Qui y a procédé ? Comment s’est-elle passée ?
Mme Inès-Claire Mercereau. À chaque nouvelle période, la DGEC ouvre une consultation publique, afin, notamment, que les membres du comité de pilotage expriment leur position. Tout est transparent et permet de savoir quelles informations sont mises à disposition des différents intervenants sur le marché, en particulier les obligés et les intermédiaires.
La commission autorise, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, la publication de l’enquête demandée à la Cour des comptes.
*
* *
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 17 septembre 2024 à 17 heures
Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Eddy Casterman, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, Mme Constance Le Grip, Mme Christine Loir, Mme Véronique Louwagie, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Kévin Mauvieux, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Emeric Salmon, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Jean-Didier Berger, Mme Christine Pirès Beaune, M. Emmanuel Tjibaou