Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques              2

  présences en réunion...........................30

 


Mercredi
18 septembre 2024

Séance de 9 heures 15

Compte rendu n° 006

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel, Président

 

 


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La commission procède à l’audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

M. le président Éric Coquerel. Nous entendons ce matin M. Pierre Moscovici sur le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques (RSPFP), publié en juillet par la Cour des comptes. C’est la première audition du Premier président de la Cour des comptes par la commission des finances sous cette législature.

Le rapport permet de faire le point à la fois sur l’exécution passée 2023, sur l’exécution en cours 2024 et sur la trajectoire à venir de nos finances publiques – sujets qui ont commencé à être abordés lors de l’audition des deux ministres démissionnaires Bruno Le Maire et Thomas Cazenave.

Ce rapport dresse un constat à la fois sévère pour le passé et inquiétant pour le présent et l’avenir. Il rappelle que la trajectoire sous-jacente au programme de stabilité présenté en avril 2024 par le Gouvernement est moins ambitieuse que celle qui avait été arrêtée lors de la dernière loi de programmation des finances publiques adoptée en décembre 2023.

Le rapport donne également l’alerte à propos de prévisions retenues par le Gouvernement pour la période 2024-2027, qui semblent optimistes tant pour la croissance à venir – la Cour jugeant que l’estimation de la croissance potentielle à 1,35 % par an « apparaît très favorable » – que pour l’écart de production durablement négatif jusqu’en 2027 – le rapport jugeant que « cette persistance d’un écart de production négatif sur une aussi longue période pose la question de la vraisemblance de la trajectoire de PIB potentiel estimée par le Gouvernement ».

Enfin, le rapport s’intéresse également à l’impact du réchauffement climatique et de la bifurcation écologique sur les finances publiques, et plaide pour une réelle intégration de la planification dans la programmation des finances publiques, ce qui me semble absolument nécessaire.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre invitation à intervenir pour la première fois devant la commission des finances de la XVIIe législature. Dès la constitution de la nouvelle commission des finances, vous m’avez invité, monsieur le président, à vous présenter le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques que nous avons publié en juillet.

La situation de nos finances publiques est véritablement inquiétante et le budget pour 2025 sera sans doute le plus délicat ou l’un des plus délicats de la Ve République. Dans ce contexte, notre mission d’assistance au Parlement, inscrite dans la Constitution, est essentielle. Elle nous met directement à contribution pour informer les parlementaires – et, à travers vous, les citoyens – et pour faire vivre le débat démocratique sur les finances publiques, qui semble monter en puissance.

La publication du RSPFP est chaque année un jalon pour l’analyse de nos finances publiques et ce rendez-vous est d’autant plus important que la situation est dégradée. Le RSPFP, qui est le rapport à la fois le plus synthétique et le plus large remis chaque année par la Cour au Parlement, traite de l’ensemble des administrations publiques et la période qu’il couvre intègre les perspectives des finances publiques jusqu’à 2027. Le rapport de cette année propose une analyse détaillée de la situation des finances publiques au vu des résultats de l’année 2023. Il expose les risques qui pèsent sur l’exercice 2024, dont certains se sont matérialisés depuis juillet. Il examine la crédibilité de la trajectoire pluriannuelle jusqu’à avril 2027, horizon aujourd’hui peu concevable auquel le précédent Gouvernement prévoyait de ramener le déficit en dessous des 3 % – j’essaierai de vous expliquer pourquoi ce n’est, à mon sens, ni possible ni souhaitable. Il examine, enfin, l’impact du réchauffement climatique et de la transition énergétique sur les finances publiques.

Deux mois plus tard, les dernières estimations rendues publiques depuis la publication du rapport appellent deux conclusions malheureuses : d’abord, une bonne partie des risques évoqués dans le rapport se sont matérialisés ; ensuite – ou par conséquent, devrais-je plutôt dire –, la plupart des constats dressés dans le rapport se sont confirmés, certains ont empiré. Je vous présenterai donc aujourd’hui le RSPFP à l’aune de la situation actuelle des finances publiques.

Je ne le répéterai jamais assez, quitte à donner parfois l’impression que la Cour des comptes crie dans le désert : quels que soient les choix et les options politiques des forces très diverses présentes au Parlement, la France doit impérativement réduire son déficit public et replacer la dette sur une trajectoire descendante. Je rappelle qu’à ce jour, le programme de stabilité communiqué à la Commission européenne le 17 avril 2024 est la forme la plus récente de la stratégie pluriannuelle de finances publiques de la France. La trajectoire de la LPFP – loi de programmation des finances publiques – adoptée en décembre 2023 était devenue caduque quelques mois seulement après son adoption.

Or la trajectoire du programme de stabilité est aujourd’hui devenue tout aussi obsolète. L’un des préalables du projet de loi de finances qui vient sera de présenter une nouvelle trajectoire afin de pouvoir travailler sérieusement et ancrer le débat public. Il est impératif de dire la vérité aux Français avec le projet de loi de finances (PLF), puis le plan budgétaire national de moyen terme que le Gouvernement doit transmettre à la Commission européenne quelques jours plus tard.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à saluer l’ensemble des artisans du RSPFP : Mme Carine Camby, présidente de la première chambre, M. Emmanuel Giannesini, conseiller-maître et contre-rapporteur, M. Emmanuel Jessua, conseiller référendaire en service extraordinaire et rapporteur général, et l’ensemble des rapporteurs.

Je résumerai d’un mot les principales conclusions de la Cour des comptes : elles sont inquiétantes.

Le premier chapitre du RSPFP examine les résultats de l’année 2023, qui fut une très mauvaise année en matière de finances publiques. Il me semble important de dire quelques mots de la dégradation de 2023, car elle pèse sur l’année 2024 et les suivantes. A priori, le contexte des finances publiques était plutôt favorable, mais nous n’avons pas su tirer parti de ce contexte positif et de la fin, annoncée à diverses reprises, du « quoi qu’il en coûte ». Le déficit public pour l’année 2023, loin de se résorber, s’est établi à 5,5 points de PIB, soit 154 milliards d’euros. Il était de 0,6 point au-dessus des prévisions gouvernementales, et dégradé de 0,7 point par rapport à 2022.

Cette aggravation du déficit tient à trois facteurs. Le premier est une faible croissance spontanée des prélèvements obligatoires, sur laquelle nous devons nous interroger – après avoir connu en 2021 et 2022, en post-covid, des années exceptionnelles, nous sommes revenus à un rendement moindre et nous devons nous demander, notamment au moment du PLF, s’il s’agit d’une tendance durable et comment elle peut s’expliquer. Le deuxième facteur consiste en des mesures discrétionnaires de baisses d’impôts et de cotisations non compensées, et le troisième en l’absence d’économies structurelles en 2023, alors que le ratio de dépense publique s’établissait à plus de 56 points de PIB.

Comme je l’ai dit et répété maintes fois l’année dernière, cette situation aurait dû conduire à des mesures d’ajustement claires, sur les dépenses comme sur les recettes, au lieu de quoi, la dette publique a atteint 3 100 milliards d’euros en 2023, soit près de 110 points de PIB, et elle excédait de plus de 700 milliards d’euros son niveau d’avant-crise. C’est 22 points de plus que la moyenne européenne et 47 points de plus que l’Allemagne, alors qu’au moment de l’entrée dans la zone euro, en 2001, nous étions strictement à égalité, à 58,9 milliards : nous avons donc accumulé en vingt-deux ans – ce qui n’est pas si long – ce delta de 47 points. Contrairement à ses partenaires de la zone euro, qui avaient pris face à la crise covid des mesures comparables à celles de la France – entre 10 et 13 points de PIB –, notre pays n’a fait aucun effort pour réduire sa dette une fois le choc passé. Cette très mauvaise année 2023 pèse sur la suite.

Disons-le clairement : on peut craindre que l’histoire se répète en 2024. Les objectifs fixés pour 2024 ne seront pas atteints – loin s’en faut – et le scénario de 2023 menace de se reproduire.

Comme je l’évoquais dans mon introduction, la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques est caduque et, pour l’heure, c’est le programme de stabilité (PSTAB) qui constitue la trajectoire pluriannuelle la plus à jour. Pour 2024, ce programme prévoit une croissance abaissée à 1,0 %, en ligne avec le point de conjoncture le plus récent de l’Insee, qui prévoit 1,1 % de croissance sur l’année. Toujours selon le programme de stabilité, le déficit serait réduit de 0,4 point en 2024, pour atteindre 5,1 points de PIB. Quant à la dette publique, elle serait en hausse de 1,7 point en 2024, pour atteindre 112,3 points de PIB. Elle excéderait donc de près de 50 milliards d’euros l’objectif de la LPFP. Il ne faut pas oublier cette dernière, qui s’applique toujours : lorsque le Haut conseil des finances publiques sera saisi, c’est par rapport à celle-ci qu’il sera chargé de mesurer les écarts, ce qui crée une difficulté méthodologique certaine. Vous êtes en droit – et vous avez peut-être même le devoir – d’exiger une nouvelle trajectoire, sous peine de patiner sur une glace très fine.

Les objectifs inscrits dans le programme de stabilité pour 2024 sont moins ambitieux, plus modestes, mais supposément plus réalistes que ceux de la loi de programmation adoptée en décembre 2023. Malgré cela, le RSPFP évoquait déjà en juin des risques importants pesant sur sa mise en œuvre, à la fois en dépenses et en recettes.

D’abord, il est très peu probable, voire très improbable, que l’objectif de maîtrise de la dépense publique pour 2024 soit atteint. La loi de finances initiale pour 2024 prévoyait une hausse des dépenses, hors mesures exceptionnelles de soutien et de relance, de 2,5 % en volume. Le programme de stabilité a abaissé cet objectif à 1,7 % mais, dès juillet, la Cour estimait dans le RSPFP que le respect de cet objectif serait très difficile car il reposait, en théorie, sur un très important effort d’économies en dépenses, avec 15 milliards d’euros d’économies additionnelles annoncées en février 2024, qui auraient nécessité une loi de finances rectificative.

À défaut, le Gouvernement a fait le choix – et je ne le blâme pas, car il n’y en avait peut-être pas d’autre – d’appliquer des mesures de régulation, qui concernent principalement le budget de l’État. Le décret du 21 février 2024 a annulé 10,2 milliards d’euros sur les crédits des ministères, puis 5 milliards d’euros d’ajustements supplémentaires en dépenses ont été annoncés en avril 2024 et intégrés dans le programme de stabilité, ainsi que la création d’une taxe sur les rentes. Après la publication du RSPFP, le Gouvernement a annoncé un nouveau gel de crédits de 10 milliards d’euros en juillet.

Toutefois, une grande partie de ces mesures étaient peu documentées en juin, avant la dissolution de l’Assemblée nationale, et elles ne le sont pas plus aujourd’hui. Leur réalisation avant la fin de l’année 2024 est donc, sinon impossible, du moins hautement improbable. Le risque de ne pas maîtriser les dépenses, qui était déjà élevé en juillet, l’est d’autant plus dans la situation que nous traversons et que je n’ai pas à caractériser ici. En outre, le contexte de l’année 2024 n’a pas été propice à la réduction des dépenses – je rappelle que de nombreux facteurs ont poussé à la hausse de la dépense, comme la crise agricole ou les événements survenus en Nouvelle-Calédonie, qui auront assurément un coût.

Dans le RSPFP, la Cour a énoncé d’autres doutes et signalé d’autres risques portant sur la dépense. Beaucoup se sont confirmés au cours de l’été et peuvent difficilement être rattrapés.

D’abord, les dépenses des collectivités locales apparaissent particulièrement dynamiques sur la première moitié de l’année. Le RSPFP mettait déjà en doute en juin le ralentissement des dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales, alors que la LPFP et le PSTAB prévoient une diminution en volume de 0,5 % en 2024. On observe donc d’un côté une diminution théorique, mais qui n’a jamais été documentée, et de l’autre une augmentation réelle, bien documentée. La Cour souligne qu’aucun mécanisme contraignant ne permet de maîtriser les dépenses de fonctionnement. Elle insiste aussi sur la très forte progression de ces dépenses, enregistrée au premier semestre et, même si nous ne disposons pas encore des estimations définitives de fin d’année, cette dynamique s’est confirmée depuis lors – j’ai vu les chiffres présentés à ce propos par le ministre chargé des comptes publics. Au vu du premier semestre, il est probable que les dépenses de fonctionnement des collectivités augmentent de plus de 10 milliards d’euros en 2024 – très loin, donc, de l’objectif de diminution de 0,5 %. La progression des dépenses d’investissement des collectivités excède également, pour l’instant, la prévision du programme de stabilité.

Le RSPFP évoquait aussi, dès juillet, des incertitudes sur la réalisation des économies prévues dans le champ de l’assurance maladie et, en effet, le 8 septembre dernier, le directeur général de la Cnam – Caisse nationale de l’assurance maladie – donnait l’alerte en évoquant un déficit de la branche maladie en 2024 vraisemblablement plus élevé que les 11,4 milliards d’euros prévus. L’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, pourrait même être dépassé de 1 milliard d’euros.

En parallèle, les recettes risquent aussi d’être moins élevées que prévu dans le programme de stabilité. Les données sur les recettes fiscales sont, à ce stade, en-deçà des prévisions du printemps, en particulier pour la TVA. En outre, le projet de taxe sur les rentes, supposé rapporter 3 milliards d’euros dès 2024, reste dans l’attente d’une traduction législative et, si l’on veut être réaliste, il sera difficile de la mettre en œuvre avant la fin de l’année.

Inéluctablement, l’objectif de déficit pour l’année 2024 sera très difficile à atteindre – ce qui est une manière diplomatique de dire qu’il ne sera pas atteint. Le flou qui entoure les économies et les hausses de prélèvements annoncées en 2024 n’a pas été dissipé et les derniers chiffres rendus publics sont encore plus inquiétants que ce que l’on imaginait. Dès le 17 juillet dernier, le Trésor a estimé que le déficit en 2024, certes à politique inchangée, atteindrait 5,6 % en 2024, contre 5,1 % prévus dans le programme de stabilité. Compte tenu des nouvelles, médiocres, enregistrées depuis lors en matière de recettes fiscales et de dépenses, ce chiffre est peut-être le moins mauvais que l’on puisse espérer.

Le Haut Conseil des finances publiques attend, comme vous, le projet de loi de finances. Comme il le fait toujours, il a commencé à auditionner divers instituts, lesquels pensent que, si tout va bien, le déficit pourrait être de 5,5 % en fin d’année, même avec des ajustements : ce déficit s’est donc dégradé.

Cette situation n’est pas celle que nous voulons pour notre pays. Elle n’est pas tenable, alors que nos principaux partenaires ont déployé des efforts importants pour réduire leur déficit en 2023 et 2024. Notre incapacité à nous désendetter nous fragilise – je rappelle que la charge de la dette devrait déjà augmenter de l’ordre de 8 milliards d’euros en 2025 et 2026, et de 12 milliards d’euros en 2027, pour atteindre 83 milliards d’euros à cet horizon, à condition que le reste de la trajectoire du programme de stabilité soit accompli. C’est maintenant presque un minimum. C’est aussi un manquement aux règles que nous nous sommes fixées collectivement avec nos partenaires européens.

Nous sommes sous la surveillance de l’Union européenne Je sais d’expérience, pour avoir été chargé de ce portefeuille, que cette surveillance n’est pas malveillante, mais aussi qu’elle est exigeante. On peut nous donner du temps et on peut nous attendre, mais on attend de nous des gestes concrets de réduction des déficits et de la dette.

Le 26 juillet dernier, le Conseil de l’Union européenne a approuvé la recommandation de la Commission d’ouvrir une procédure de déficit excessif à l’encontre de la France. Concrètement, cette procédure nous oblige à transmettre une trajectoire crédible de désendettement, fondée sur un budget cohérent, et sur laquelle la réponse de la Commission d’ici à novembre et les opinions du Conseil donneront le ton pour rassurer ou, à l’inverse, inquiéter les marchés financiers – je suis désolé de prononcer ici ce gros mot, mais la dette française est tout de même détenue pour plus de la moitié par des créanciers étrangers.

L’Union européenne et l’euro ne sont pas des contraintes, mais des engagements. Ils sont aussi une sorte de règlement de copropriété et nous devons à nos partenaires européens d’être à la hauteur de ces engagements. Nous devons prendre les devants et afficher clairement que nous entendons respecter une trajectoire d’ajustement, modeste mais réelle.

La dégradation de la situation des finances publiques en 2024 est inquiétante pour une autre raison : elle rend impossible la trajectoire pluriannuelle du programme de stabilité – à laquelle, il est vrai, peu de gens croyaient, le Haut Conseil des finances publiques ayant d’ailleurs, à sa manière, émis quelques doutes.

Je dis avec gravité qu’il est préoccupant pour la France que ses deux dernières trajectoires pluriannuelles, celle de la LPFP en décembre 2023 et celle du programme de stabilité en avril 2024, soient devenues caduques avant même d’avoir connu un début de mise en œuvre. Encore une fois, que cela nous plaise ou non, nous sommes dans la position du débiteur qui revient à chaque fois devant son créancier en promettant que, cette fois, c’est du solide, et que, c’est sûr, il tiendra ses engagements. La trajectoire du programme de stabilité est donc devenue tout aussi caduque que celle de la LPFP, et elle apparaît même déraisonnable, en plus d’être peu crédible et peu cohérente – pour reprendre les mots du Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

En réalité, la Cour et le HCFP ne croyaient pas beaucoup au retour sous 3 % du déficit en 2027. Nous l’avons écrit dans le RSPFP publié en juillet : ce sont nos travaux qui le disent et ce n’est pas une position politique ou idéologique de ma part. Cette question doit être abordée avec beaucoup de calme, car ce n’est pas être vertueux que de s’en tenir à 3 % dans des conditions impossibles et ce n’est pas être laxiste que de penser qu’il faut retarder cette perspective quand les conditions sont impossibles : ce n’est qu’être réaliste.

Du fait de la dégradation très marquée du déficit dès 2023 et de la révision à la baisse des perspectives de croissance, le programme de stabilité se donnait une cible de déficit en 2027 à 2,9 %. La Cour donnait toutefois l’alerte quant au manque de crédibilité et de réalisme de cette cible, pourtant bien en-deçà de celles des autres États membres, et le HCFP parlait de manque de cohérence – pardon pour ce florilège d’expressions ! –, parce que la trajectoire du programme de stabilité conjugue les mêmes faiblesses que celles que nous avions relevées dans la LPFP : un scénario de croissance 2025-2027 trop optimiste par rapport au consensus des économistes, un ajustement d’une ampleur sans précédent, reposant sur un effort d’économies jamais vu, et des hausses importantes de prélèvements, dépenses et prélèvements n’étant du reste pas documentés.

Depuis deux ans, chaque nouvelle trajectoire pluriannuelle apparaît plus fragile que la précédente. Celle du programme de stabilité ne faisait pas exception. Elle ne disposait d’aucune marge de sécurité, comme le soulignait la Cour dès juillet dans le RSPFP. Dans ce rapport, nous avons quantifié trois scénarios alternatifs, qui se traduisaient tous par un déficit public encore nettement supérieur à 3 % en 2027, avec une dette toujours en hausse. Il était donc clair dès le mois de juin et avant le résultat des élections que tout écart par rapport aux hypothèses du programme de stabilité, qu’il soit relatif à la croissance ou aux ajustements budgétaires et fiscaux prévus, ferait dérailler cette trajectoire trop fragile.

Les derniers chiffres publiés par le Trésor vont dans ce sens, même s’il faut les considérer avec précaution, car ils reposent sur une méthodologie en dépenses tendancielles et à politique inchangée. Si rien ne change, le déficit continuerait d’augmenter après 2024 si aucune mesure d’ajustement n’était prise. Il pourrait s’élever à 6,2 % en 2025, soit un dérapage de 60 milliards d’euros par rapport à la trajectoire, contre 4,1 % prévus dans le PSTAB. Le ratio de dette augmenterait lui aussi continûment et atteindrait 124 % du PIB en 2028. Pour atteindre le déficit prévu dans le PSTAB pour 2025, il faudrait faire des économies de plus de 60 milliards d’euros l’année prochaine, et donc les documenter dans le PLF pour 2025. Je ne suis pas pousse-au-crime et je ne le recommanderai pas, malgré mon attachement à des finances publiques saines. Pour respecter au minimum les nouvelles règles budgétaires européennes – ce qui est je le rappelle un devoir et un engagement –, nous devrions faire des économies de 30 milliards en 2025 et de 100 milliards à l’horizon 2028. Ce serait brutal : à vous d’évaluer si c’est politiquement faisable – pour ma part, je ne connais plus rien à la politique ! Ce ne serait, en tout cas, guère cohérent économiquement, car le fait de retirer 100 milliards d’euros de la consommation publique et privée est tout de même un facteur dépressif qui risquerait d’entraîner une chute des recettes, et donc de nouvelles économies, sans que l’on sache où cela s’arrêterait. N’oublions pas les mécanismes des multiplicateurs et déflateurs keynésiens essentiels.

Alors, que faire ? La situation est inquiétante et, si nous ne faisons rien, elle peut devenir dangereuse. Il y a urgence à agir. J’ai été ministre de l’économie et des finances, j’ai connu la politique et j’ai moi-même constaté, face à une situation de dette sérieuse, qu’un pays trop endetté n’a aucune marge de manœuvre. Si on dépense annuellement trop d’argent à rembourser sa dette – 83 milliards, 90 milliards, que sais-je encore ! –, comment investir dans l’avenir, qu’il s’agisse de la transition écologique, de l’éducation, de l’innovation ou de la recherche, et de tout ce qui est utile à la compétitivité d’un pays ? Nous risquons de devenir impuissants.

L’urgence est donc de construire un projet de loi de finances sérieux, crédible, qui dise la vérité aux Français.

On ne peut pas prendre à la légère les lois financières pour 2025. Nous avons perdu un peu de temps – j’en laisse l’évaluation à chacun. Il faut un point d’inflexion, qui consiste, comme je l’ai dit, à réduire sérieusement le déficit et à donner un coup d’arrêt à l’augmentation de la dette.

Il est crucial, à mes yeux, qu’un vrai projet de loi de finances, complet et détaillé, soit déposé. Je sais que ce n’est peut-être pas le point de vue de tous ici, comme je l’ai lu parfois, et que le temps manque pour cela, mais je crains que le dépôt d’un squelette ou d’une architecture à dépense constante, qui seraient ensuite amendés par le Parlement – dont c’est certes le rôle – ne réduirait pas suffisamment les déficits, et la qualité de la dépense publique n’en serait pas améliorée. C’est plutôt le sérieux des prévisions et de la trajectoire qui doit primer.

Quels que soient les arbitrages rendus, la date de dépôt et le contenu du projet de loi de finances pour 2025 – compte tenu toutefois des règles fixées par la loi organique, qui implique le dépôt de ce projet de loi devant le Parlement le 1er octobre, et par la Constitution, qui impose un délai de soixante-dix jours pour l’examen du texte avant Noël –, le Haut Conseil des finances publiques rendra un avis sur le réalisme des prévisions macroéconomiques de recettes et de dépenses, ainsi que sur la cohérence de ces projets de loi avec les orientations pluriannuelles définies dans la loi de programmation. Le Haut Conseil a lui aussi besoin d’un peu de temps, et il sera difficile de tout faire avant le 1er octobre.

Au-delà du budget pour 2025, il est à mes yeux impératif de rebâtir une stratégie pluriannuelle pour nos finances publiques, sans toutefois s’arc-bouter sur l’horizon 2027. Il faut absolument cesser de nous engager sur des chiffres que nous ne pourrons pas atteindre, au risque de manquer de crédibilité. La trajectoire du programme de stabilité présenté en avril dernier n’était ni crédible ni cohérente  le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et la Cour des comptes l’ont souligné –, et il serait déraisonnable de tenter de la respecter à tout prix. La cohérence et la crédibilité, c’est assumer que la France aura certainement besoin de plus de temps que la période 2024-2027 pour repasser sous le seuil des 3 % de déficit. Quant aux personnes qui me suspecteraient d’émettre ici une position personnelle, je les renverrai à celle du Gouverneur de la Banque de France, qui est identique à la mienne. Nous avons simplement les chiffres sous les yeux : il n’y a aucun parti pris. Réduire notre dette est une obligation : ce n’est ni de gauche ni de droite, mais l’intérêt général. Pour ce faire, j’y insiste, nous avons besoin d’une trajectoire véridique.

Pour respecter la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 et le programme de stabilité, l’un et l’autre prévoyant un retour sous les 3 % de déficit en 2027, je le répète, il faudrait réaliser plus de 100 milliards d’euros d’économies en trois ans, ce qui serait peu cohérent. Ainsi que l’a dit le HCFP, il est impossible de poursuivre des objectifs de croissance ambitieux tout en donnant un coup de frein sévère dans les dépenses publiques pour réduire le déficit. La Commission européenne préférera toujours un discours de vérité et des objectifs réalistes à des objectifs intenables.

Sur quels leviers jouer ?

Premièrement, et c’est un point sur lequel l’élaboration des précédentes trajectoires a péché, n’attendons pas de remède miracle par la croissance. S’il faut absolument la préserver et investir davantage, ne croyons pas que nous atteindrons un taux de 2 % ou de 3 %. Si la croissance de la France est plus résiliente que celle de ses partenaires, nous ne sommes pas un tigre asiatique. La croissance potentielle, pour les années à venir, se situe autour de 1 %. Cet élément est important et il ne faut pas l’affecter, mais il n’est pas réaliste de raconter qu’il suffit d’investir pour que la croissance suive et génère une progression des recettes. L’élasticité des recettes par rapport à la croissance paraît tout de même un peu amortie.

Ce que nous devons rechercher collectivement, c’est la réalisation d’économies en dépense, afin que chaque euro d’argent public utilisé soit une dépense de qualité – c’est la formule que j’utilise toujours. Je sais que le chemin est étroit pour qu’une telle entreprise ne soit pas vaine, ni contre-productive. En effet, pour que les économies ne portent pas préjudice à la croissance, elles doivent s’inscrire dans une maîtrise réfléchie et raisonnée des dépenses. C’est tout le contraire de la technique du rabot, qui n’a jamais fait ses preuves. Tout comme je suis persuadé depuis longtemps qu’une réduction brutale et uniforme des dépenses publiques n’est pas une solution. J’y insiste : le seul mot d’ordre doit être d’opérer intelligemment et efficacement, en réfléchissant à la qualité de la dépense. La Cour des comptes a d’ailleurs publié, en 2022 et 2023, des notes structurelles et thématiques afin de proposer des pistes d’économies dans des domaines aussi variés que l’apprentissage, les soins de ville, les transferts financiers aux collectivités, ou encore le logement. Nous continuerons bien entendu de le faire et je remettrai au Premier ministre, quand il sera installé, trois nouvelles revues de dépenses que je n’avais pu communiquer à son prédécesseur en juillet, compte tenu du calendrier électoral. Nous avons peu de temps, mais il faut être très ambitieux en ce domaine.

Enfin, après la croissance et les économies en dépense, le troisième levier à notre disposition est celui de la fiscalité. J’ai bien noté que cette question suscitait le débat et je m’exprimerai avec une grande prudence car, comme vous le savez, elle ne se situe pas au cœur des compétences de la Cour des comptes. À titre personnel, je ne crois pas que nous disposions de grandes marges de manœuvre pour augmenter les impôts. Notre taux de prélèvements obligatoires est déjà très élevé, le consentement à l’impôt est fragile, notre compétitivité est un atout à préserver et à renforcer. Je demeure en effet attentif à ce que j’avais jadis appelé le « ras-le-bol fiscal », qui saisit tous nos concitoyens, notamment les plus modestes. Cela étant, le sujet n’est pas tabou, ni du point de vue du financement de la transition écologique, ni de celui de la justice fiscale. Je le répète, nous ne pouvons pas non plus nous permettre de réaliser des baisses non financées de prélèvements obligatoires, lesquelles pèseraient nécessairement sur notre trajectoire pluriannuelle et sur notre déficit.

Déjà complexe, l’équation budgétaire l’est d’autant plus que le réchauffement climatique et la transition énergétique pèseront sur la croissance future et mobiliseront une part croissante de la dépense publique. Cette année, un chapitre spécifique du RSPFP est consacré aux effets du changement climatique et de la transition énergétique sur les finances publiques. Notre message est simple : nous faisons face à une double dette écologique et financière et il est urgent d’intégrer la planification écologique dans la programmation des finances publiques. Ce champ de dépenses est peut-être le plus grand défi auquel l’État aura à faire face dans les années qui viennent. L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a estimé en 2022 à 100 milliards d’euros les investissements déjà réalisés et à 60 milliards d’euros par an ceux nécessaires pour atteindre nos objectifs – ce que soutenait également le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Cela signifie que nous devrons consacrer deux points de PIB supplémentaires chaque année à la transition énergétique, ces besoins d’investissement restant à répartir, sur la base d’arbitrages explicites, entre les ménages, les entreprises et les administrations publiques.

Comme vous le savez, trois principaux instruments économiques peuvent être utilisés par les pouvoirs publics pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : les subventions, les normes et la tarification carbone. Cette dernière est source de recettes supplémentaires, alors que les subventions, elles, accroissent les dépenses publiques. La Cour des comptes préconise donc la montée en puissance de la tarification carbone, dont il sera indispensable – j’insiste sur le mot « indispensable » – d’affecter une partie du produit à l’accompagnement des ménages et des entreprises les plus exposés ; il convient de tirer les leçons de la crise des gilets jaunes. Quant aux subventions et aux réglementations, qui demeureront associées à ce dispositif, elles devront être régulièrement évaluées.

Les marges de financement des administrations publiques sont étroites. Je n’y reviens pas, mais j’appelle l’attention sur ce qui pourrait ressembler à un cercle vicieux si nous n’en tenons pas compte rapidement. Les marges budgétaires seront en effet encore affaiblies par la transition écologique en raison des répercussions du réchauffement climatique sur les finances publiques. Ce phénomène n’est pas identifié en tant que tel dans la programmation des finances publiques, ni par la LPFP pour la période 2023-2027, ni par le programme de stabilité. Il est indispensable d’y remédier de sorte que ces deux éléments soient traités ensemble, ce qui nécessitera de répartir l’effort entre acteurs publics et privés.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les grands messages contenus dans le RSPFP que je souhaitais porter à votre connaissance et qui constituent autant d’enjeux très importants. La situation et les perspectives de nos finances publiques sont souvent négligées et parfois même ignorées. Comme vous, je constate que ce n’est plus le cas. Nos concitoyens, qui étaient déjà conscients de la nécessité de nous désendetter, mais qui n’en faisaient pas une priorité, ne cessent de renforcer leur regard sur cette question. Reprendre le contrôle de nos finances publiques nécessitera du courage, de la fermeté et de procéder à des choix difficiles. Quels que soient les remous de notre vie politique et institutionnelle, la Cour des comptes continuera d’essayer d’éclairer le citoyen. Peut-être notre devise, « rétablir l’ordre par la lumière », est-elle un peu grandiose : toujours est-il que nos travaux demeureront à votre disposition pour contribuer au débat public sur cette question, qui est au fondement même de notre existence.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie pour cette introduction de qualité.

Avant d’ouvrir le débat, je tiens à profiter de la présence de nombreux membres de notre commission ce matin – ce qui démontre l’intérêt de cette réunion – pour rappeler que je ferai en sorte que celle-ci soit le lieu d’échanges argumentés et de qualité. Ces derniers pourront être radicaux sur le fond, mais je veillerai à ce qu’ils intéressent les personnes, de plus en plus nombreuses, qui nous regardent, et à ce qu’ils ne deviennent pas des affrontements stériles pour ceux qui les mènent, ceux qui les écoutent et pour notre commission dans son ensemble – ce rappel valant pour tous les groupes.

Tout d’abord, monsieur le Premier président, je suis heureux que vous ayez fait le parallèle – ce n’est pas la première fois – entre la dette écologique et la dette financière. Je l’ai souvent dit, si la première est mortelle, la seconde ne l’est pas. Autrement dit, j’estime que, d’un point de vue hiérarchique, c’est la première qui est essentielle.

Ensuite, s’agissant de la trajectoire budgétaire, nous ne pourrons pas vous reprocher de ne pas avoir annoncé la couleur, y compris en évoquant la question de la crédibilité. Nous avons été plusieurs ici à également le souligner : les chiffres du déficit jusqu’ici évoqués pour 2024 et 2025 sont, c’est le moins que l’on puisse dire, très éloignés de ceux qui figurent dans le programme de stabilité.

Cette audition, ainsi que celle, la semaine dernière, de deux ministres démissionnaires, lancent le débat – que j’espère de fond et de qualité – sur les questions budgétaires. Pour ma part, je considère que les mauvais chiffres anticipés constituent l’un des signes de l’échec d’une politique globale et assumée de l’offre et de la compétitivité, politique interrogée non seulement par la France, mais par d’autres pays européens, y compris l’Allemagne, et qui, de l’aveu même de Bruno Le Maire, tend à avantager les revenus du capital pour favoriser ensuite les investissements, notamment étrangers, et l’économie dans son ensemble, au détriment des recettes de l’État. Vous avez parlé du consentement à l’impôt, mais je rappelle que la plupart des baisses fiscales, qui représentent tout de même 60 à 70 milliards d’euros par an, n’ont pas profité à la moitié des Français, en l’occurrence ceux qui ne sont assujettis ni à l’impôt sur le revenu ni à l’impôt sur le capital. Ainsi convient-il non de se demander si nous avons eu tort de baisser les impôts, mais si nous ne les avons pas baissés de la mauvaise manière.

Au-delà du fait que cette politique n’a pas même permis d’atteindre les objectifs affichés en matière de réduction des déficits, l’un des signes de son échec est que la France et l’Europe n’ont pas suffisamment d’argent pour investir massivement en faveur de la transition écologique – vous l’avez dit, ainsi que, d’une certaine manière, Mario Draghi dans son rapport sur la compétitivité européenne. Je note d’ailleurs avec satisfaction que ce rapport préconise de recourir à un nouvel emprunt commun de la Banque centrale européenne (BCE), comme ce fut le cas lors de la crise du covid – méthode dont j’avais moi-même présenté les avantages et qui consiste à prêter directement aux banques centrales sans passer par les marchés.

Par ailleurs, monsieur le Premier président, vous avez soutenu qu’il n’existait pas de grandes marges de manœuvre sur le plan fiscal. Je suis en désaccord avec vous car, répétons-le, l’accroissement du déficit est, depuis 2017, et à plus forte raison depuis 2022, principalement dû à la baisse des recettes et non à la hausse des dépenses publiques.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). C’est faux ! Il y a eu 100 milliards de dépenses publiques en plus !

M. le président Éric Coquerel. Cher collègue, vous serez nombreux à vous exprimer ensuite et vous pourrez me contredire, mais les chiffres sont là, ne vous en déplaise. En 2023, les dépenses publiques ont diminué de 1,5 point du PIB et les recettes de 2 points. Si vous disposez d’autres éléments, je les écouterai volontiers ; ceux que j’avance sont reconnus y compris par des économistes libéraux.

Vous avez également comparé notre situation à celle de l’Allemagne, indiquant que nous avons décroché par rapport à ce pays. Pour ma part, s’agissant de nations dont les dépenses publiques sont moins importantes, j’estime qu’il faut aussi considérer d’autres critères. En ce qui concerne la croissance, on ne peut tout à la fois se satisfaire d’un taux de 1 % en 2023 par rapport à l’Allemagne qui était en récession, et ne pas comprendre que ce résultat a un lien avec notre matelas social, qui est supérieur et qui soutient la consommation populaire. De plus, il serait bon de comparer les niveaux de dépenses – et donc de dette – privées, car ce qui n’est pas financé par l’État l’est souvent à titre individuel. Autrement dit, lorsque la protection sociale est moins forte, les citoyens se tournent vers le privé. Par exemple, alors que la dette publique italienne est bien plus importante que la dette publique néerlandaise, si l’on ajoute les niveaux de dette privée, la comparaison devient à l’avantage de l’Italie. Pour comparer la bonne santé des économies, cet élément devrait être considéré.

J’en viens à mes questions, qui aborderont trois éléments.

Premièrement, ce n’est pas souvent évoqué, mais le programme de stabilité intègre implicitement une hausse de la fiscalité à hauteur de 15 milliards d’euros en 2025 et de 6,2 milliards en 2026, soit une progression totale supérieure à 21 milliards. Vous avez indiqué qu’il n’y avait pas selon vous de grandes marges de manœuvre en matière fiscale, mais comme les dernières mesures, qui incluent les dépenses fiscales, ont considérablement enrichi les plus importants détenteurs du capital, ne faudrait-il pas, au contraire, utiliser ce levier pour faire des économies, plutôt que de baisser les dépenses publiques ?

S’agissant justement des dépenses publiques, les chiffres présentés par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour 2025 sont intéressants. D’après cet organisme, si l’on suit la recommandation de Bercy selon laquelle il faudrait non pas15 milliards d’euros d’économies l’an prochain, mais 30 milliards pour, peut-être, parvenir à satisfaire les engagements de la France, cette diminution des dépenses publiques entraînera une baisse de 0,5 % de la croissance, compte tenu de l’effet dépressif d’une telle politique. La Cour des comptes a-t-elle également tenté d’estimer ce phénomène ?

J’aborderai enfin la question de la bifurcation écologique. Dans son rapport, la Cour des comptes fait référence à certains travaux, qui chiffrent le coût du dérèglement climatique pour les finances publiques à plusieurs milliards d’euros dès l’année 2030. Or à force de refuser une politique suffisamment ambitieuse en ce domaine – je ne rappellerai pas les 35 milliards d’euros d’investissement public en faveur de l’écologie, d’ici à 2027, que préconisent Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz dans leur rapport –, je crains que le retour de bâton ne soit rapide et violent pour tout le monde. En ce qui vous concerne, monsieur le Premier président, afin de limiter les dépenses publiques, vous suggérez de faire confiance au marché, en invitant à « rouvrir le débat sur une tarification et une fiscalité du carbone plus élevée ». Or les conséquences d’un tel choix, nous les connaissons. Hier, lors de la présentation devant cette même commission du rapport sur les certificats d’économie d’énergie, Mme Mercereau rappelait que le coût d’une telle politique pouvait se reporter sur les consommateurs. Recommandez-vous donc de redistribuer les recettes supplémentaires issues de tels dispositifs vers les ménages les moins favorisés et, le cas échéant, comment faire pour rendre cette redistribution la moins injuste possible ?

M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le Premier président, je partage pour l’essentiel le diagnostic de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques. Mais cette situation n’est pas « préoccupante », comme le dit la cour : elle est très grave et pose question au sein de tous les courants politiques.

Or pour redresser les finances publiques, ne croyez pas ce qu’on vous a répété pendant des années, à savoir qu’une envolée du taux de croissance allait survenir et que celle-ci allait régler le problème : depuis dix ans, nous sommes toujours autour de 1 % de croissance. De la même manière, ceux qui croient qu’il est possible de redresser les finances publiques en augmentant massivement les recettes se trompent – ce qui n’empêche pas d’envisager de prendre certaines mesures en faveur d’une meilleure justice fiscale. Et il faut également arrêter les réductions d’impôts, qui représentent environ 60 milliards d’euros depuis sept ans, soit entre 2 et 2,5 points de PIB. Si elles n’avaient pas eu lieu, nous serions dans une situation moins désastreuse.

Ainsi faudrait-il plutôt procéder à des réductions de dépenses qui soient justes. Voilà ce dont nous devrions débattre ici. Nous avons obtenu des différents ministres les fiches portant sur toutes les pistes de réduction de dépenses. Il y a de tout : certaines qu’il faut absolument écarter et d’autres qui mériteraient un véritable examen. Et si nous étions une démocratie mature, nous nous réunirions pour voir ce qu’il est possible de faire.

J’en viens à mes questions, qui portent sur quatre points.

En ce qui concerne d’abord les économies en dépense à réaliser en 2025, le rapport de la Cour des comptes évoque des économies « insuffisamment documentées » et un « flou » sur la trajectoire de réduction des dépenses. Pourriez-vous préciser ces formules ? De plus, la Cour soulève la question des conséquences sur la croissance d’un éventuel plan de réductions important des dépenses publiques, de l’ordre de 25 à 30 milliards d’euros par an. Une estimation de cet impact a-t-elle été faite et, si oui, certaines économies auraient-elles une incidence moins importante que d’autres ?

S’agissant ensuite de la volonté de revenir sous la barre des 3 % de déficit en 2027, puisque cet objectif demeure d’actualité, vous avez déclaré ne pas être opposé à un léger report du calendrier. Ce report serait-il bien d’un ou deux ans, comme beaucoup le pensent, ce qui reviendrait à décaler à 2029 l’atteinte de cet objectif ? À cet égard, les hypothèses macroéconomiques retenues vous semblent-elles trop optimistes ou considérez-vous que la perspective demeure un taux de croissance potentielle d’environ 1 % ?

Le troisième sujet que je souhaite aborder passionnera beaucoup de mes collègues, particulièrement ceux élus dans une collectivité territoriale. En effet, la semaine dernière, les ministres chargés des finances et du budget ont estimé à 0,5 ou 0,6 point de PIB l’ampleur de l’aggravation du déficit public en 2024, l’imputant au dérapage des dépenses des collectivités locales – dérapage qu’ils évaluent à 16 milliards d’euros. Sur cette somme, 11 milliards viendraient de leurs dépenses de fonctionnement, leur augmentation n’ayant été anticipée dans le programme de stabilité qu’à 1,8 % cette année alors qu’elle se situerait en réalité à 7 %. Et il y aurait un dérapage de 5 milliards d’euros des dépenses d’investissement, lesquelles ne devaient progresser que de 7,8 % alors qu’elles ont crû de 14,9 % selon les calculs établis fin juillet. Nous le constatons depuis des décennies, à la fin d’un cycle électoral – les élections municipales auront lieu en mars 2026 –, les investissements s’accélèrent toujours. La Cour des comptes juge-t-elle donc réalistes les prévisions gouvernementales relatives aux collectivités qui figuraient dans le programme de stabilité ? Certains estiment en effet qu’il était totalement irréaliste de prévoir 2 milliards d’euros d’économies de fonctionnement, sachant que nous n’avons jamais su où cette somme devait être trouvée. Selon la Cour, quelle part du dérapage du déficit peut-elle donc être réellement imputée aux collectivités ?

Enfin, question subsidiaire, pourriez-vous préciser les risques constitutionnels, que pointe votre rapport, liés à l’éventuelle introduction, dans le projet de loi de finances pour 2025, d’une taxe sur les rentes énergétiques dont l’effet serait rétroactif sur l’année 2024 ?

M. Pierre Moscovici. Tout d’abord, monsieur le président, je partage tout à fait votre réflexion selon laquelle la dette écologique est mortelle contrairement à la dette financière, à ceci près qu’il ne faut pas tomber dans le jeu de mots, car si nous sommes très endettés sur le plan financier, nous ne pourrons pas résorber la dette écologique. En fin de compte, il s’agit d’une maladie commune et le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques recommande de les traiter ensemble. On peut être, comme c’est mon cas, nettement plus favorable à l’idée de s’endetter pour la transition écologique que pour d’autres motifs, mais pour le gestionnaire des finances publiques, ou l’Agence France Trésor (AFT), la dette a une masse globale, avec les mêmes créanciers. J’y insiste, si on veut investir dans la transition écologique, il faut dégager des marges de manœuvre financières, faute de quoi on parle aimablement, mais on agit peu : c’est le message très clair de notre rapport.

Je ne reviendrai pas sur la comparaison avec l’Allemagne, qui est difficile, mais rappelons que nous n’avons pas les mêmes problèmes et que la baisse de la croissance allemande n’est pas imputable à des questions de finances publiques, mais plutôt à sa dépendance à l’égard du gaz russe. Le modèle de ce pays a été entièrement fondé sur les exportations et si certaines de ses industries rencontrent des problèmes de transition, notons tout de même que la base industrielle allemande est deux fois supérieure à celle de la France, ce qui lui donne des capacités de rebond. Notre économie est sans doute plus résistante et moins sensible aux chocs, mais elle est moins capable de rebond : c’est un enjeu collectif.

J’en viens à vos différentes questions, auxquelles je répondrai parfois de manière groupée, étant donné que certaines me semblent se recouper.

S’agissant d’abord des prélèvements obligatoires, à supposer que les augmenter soit politiquement acceptable et socialement accepté, rappelons que leur niveau est déjà très élevé. Je vous renvoie à cet égard à un très bon baromètre du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), qui montre la fragilité du consentement à l’impôt que j’évoquais plus tôt.

Pour un même taux de croissance, une hausse de 70 milliards d’euros des prélèvements obligatoires d’ici à 2027, en contrepartie d’une absence d’économies en dépense, c’est-à-dire en se contentant de suivre l’évolution tendancielle, aurait budgétairement le même effet que la trajectoire du programme de stabilité : c’est un raisonnement assez basique. À cet égard, comme l’indiquent les travaux de l’OFCE, qui est tout de même l’institut le plus keynésien de la place de Paris, il est vrai que des économies en dépense ne sont pas neutres sur la croissance. Cela étant, il convient d’avoir un raisonnement plus fin, plus granulaire, sur cette question, dans la mesure où les effets sur la croissance dépendent des mesures d’ajustement retenues par ailleurs. Plus particulièrement, des hausses d’impôts sur les entreprises peuvent avoir des effets dépressifs moindres, même à court terme, que des économies de dépenses, mais auront une incidence négative croissante et persistante, car une telle politique affaiblit assez durablement notre compétitivité et accroît le chômage structurel. Voilà pourquoi j’estime qu’une hausse massive des prélèvements, pour peu, je le répète, qu’elle soit politiquement acceptable et socialement acceptée, pèserait assez durablement sur notre croissance et serait contre-productive à moyen terme.

J’ajoute que certaines économies pourraient être indolores sur l’activité économique si les dépenses concernées sont peu efficaces. C’est pour cette raison que nous insistons sur la nécessité de privilégier des économies fondées sur une évaluation de la qualité des dépenses publiques. De nombreux travaux ont été menés en la matière, comme ceux réalisés par le député Labaronne, par l’Inspection générale des finances (IGF), par la Cour des comptes, sans parler des informations que vous avez collectées auprès des différents ministères. Réaliser des économies intelligentes est possible : les dépenses publiques représentant 56 % du PIB, aussi ne laissons pas croire que toutes sont efficaces. Dans le cas contraire, nous n’aurions plus qu’à fermer certaines boutiques, à commencer par la Cour des comptes. Si nous faisons l’effort d’honnêteté et de travail en profondeur que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur général, vous trouverez des dépenses peu ou moins efficaces, dont la réduction ne pèserait pas sur la croissance.

Par ailleurs, il ne vous a pas échappé que le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques en 2024 reprochait à la trajectoire du programme de stabilité de ne documenter ni les mesures d’économie, ni les hausses de prélèvements obligatoires sous-jacentes. C’est du reste un problème commun aux programmes que nous avons reçu ces deux dernières années : ils étaient très peu documentés, tant du point de vue des recettes que de celui des dépenses. Sans ces informations, le chiffrage précis de leur impact sur la croissance est hasardeux. C’est pourquoi je me refuse à faire des spéculations. Si je peux me permettre un conseil, c’est qu’il faudra fixer, préalablement à toute discussion sur les finances publiques, une nouvelle trajectoire qui soit robuste et documentée. Si elle ne l’est pas, vos travaux seront compliqués, ceux du Haut Conseil des finances publiques seront impossibles et tout raisonnement, à la hausse comme à la baisse, sera spéculatif.

Je suis évidemment attaché au respect de la limite de déficit à 3 % : j’ai été ministre des affaires européennes lors du lancement de l’euro et, en tant que commissaire européen puis comme ministre des finances, j’ai veillé à ce que la France respecte cette exigence. Néanmoins, en 2022, on nous disait que nous avions cinq ans pour revenir sous cette limite en 2027, en partant d’un déficit inférieur à 5 %. Si l’on prétendait aujourd’hui revenir à 3 % en trois ans, en partant d’un déficit de 5,5 %, l’effort nécessaire serait peu crédible, socialement difficile et économiquement dépressif. C’est un crève-cœur de le dire pour des hommes aussi modérés et occupant des fonctions publiques aussi officielles que le Gouverneur de la Banque de France et moi-même, mais le retour sous les 3 % de déficit en 2027 n’est ni possible ni souhaitable à ce stade. La trajectoire qui se fixerait un tel objectif ne serait pas crédible.

Il me semble, à titre personnel, qu’une trajectoire prévoyant un retour sous les 3 % en 2029, laquelle figure déjà dans les documents du Trésor, serait raisonnable. Quand le Gouvernement présentera à la Commission européenne son programme de moyen terme, dans lequel le budget ne repassera pas sous les 3 % en 2027 – on ne le croirait pas s’il disait l’inverse, sachant que rien n’a été documenté en ce sens –, il pourra demander un délai. Je parle d’expérience : quand j’étais ministre des finances et que nous devions faire passer le déficit de 5 % à 3 % en deux ans, ce qui était tout aussi irréaliste, nous avions obtenu un délai de deux ans. La Commission demandera alors par quelles mesures précises le Gouvernement compte atteindre son objectif, ce qui nécessitera l’établissement d’une trajectoire robuste et congruente aux dispositions prises. Gagner du temps, ce n’est pas se dispenser d’effort, c’est être exigeant et réaliste sur les mesures à prendre.

Les chiffres donnés par le rapporteur général sur les collectivités territoriales sont les mêmes que les nôtres : + 7 % de dépenses de fonctionnement par rapport à la même période en 2023, + 13,3 % d’achats, + 6 % de masse salariale. Si la tendance se prolongeait jusqu’à la fin de l’année, elle aboutirait à des dépenses supplémentaires de 9 milliards d’euros – voire 10, compte tenu des prévisions d’inflation – par rapport au programme de stabilité, lequel fixait comme objectif une diminution en volume de 0,5 %. La Cour des comptes avait annoncé d’emblée qu’en l’absence de mécanisme de régulation et sans aucune mesure obligatoire, compte tenu du cycle électoral, il n’était pas sérieux d’envisager une telle diminution. Il ne faut pas tout mettre sur le dos des collectivités territoriales et, faute de documentation, je ne suis pas en mesure de dire quelle est précisément leur part dans l’augmentation totale des dépenses publiques si elles n’en forment pas l’essentiel, elles en représentent une partie sérieuse – mais, le moment venu, elles ne pourront pas être tenues à l’écart de l’effort national de réduction du déficit. Il faut donc rétablir les mécanismes de régulation et dialoguer avec elles.

Enfin, il est vrai que la rétroactivité des taxes présenterait un risque d’inconstitutionnalité. C’est au Conseil constitutionnel d’en juger. Il n’aura échappé à personne qu’il examinera avec précision la clarté et la sincérité des débats du projet de loi de finances et du PLFSS.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs de groupes.

M. Matthias Renault (RN). J’ai l’impression d’être dans Un jour sans fin : pendant des années, Bruno Le Maire a vendu une image de sérieux dans des discours qui donnaient l’impression que tout était sous contrôle. En réalité, ce n’était pas le cas, à tel point que les orientations pluriannuelles sont caduques au bout de quelques mois. La Cour des comptes remet directement en cause la crédibilité des annonces faites pendant sept ans. La situation des finances publiques est catastrophique.

Un point saillant du rapport est que nous sommes désormais placés sous la coupe de la Commission européenne, ce qui est tout à fait nouveau. Un deuxième est que, n’étant pas à l’abri d’une attaque sur la dette, nous sommes également sous la coupe des marchés financiers. Le troisième est que le déficit public, déjà important, est devenu hors de contrôle : 5,1 % en 2023 – bien au-dessus de ce qui était prévu –, 5,6 % en 2024 et, si rien n’est fait, 6,2 % en 2025.

J’ai trois questions à poser. Premièrement, le Gouvernement a annoncé que les 16 milliards d’euros correspondaient à la contribution des collectivités territoriales au déficit public. C’est inexact : il s’agit d’un écart de dépenses, comme l’a montré le tableau du rapporteur général. Pouvez-vous confirmer ce point ? Deuxièmement, les lettres-plafonds pour le budget de 2025 présentent une enveloppe globale de 492 milliards d’euros : combien faudrait-il raboter à ce montant pour revenir dans les clous d’une trajectoire crédible ? Troisièmement, en cas de rejet du budget, il faut se préparer à des décrets mensuels d’ouverture de crédits, pour lesquels le contrôle parlementaire sera difficile. Quel serait le rôle de la Cour des comptes dans cette hypothèse ?

M. Pierre Moscovici. Permettez-moi de répondre d’abord au rapporteur général : nous ne disons plus « préoccupante », mais « inquiétante », pour parler de la situation des finances publiques.

Je confirme que les 16 milliards correspondent à des écarts de dépenses, comme l’indique le tableau présenté, lequel reprend les chiffres fournis par le ministère des comptes publics.

Je ne peux me prononcer sur des lettres-plafonds dont, pas plus que vous, je ne connais le contenu. Il est certain qu’elles devront présenter, d’une part, une trajectoire crédible et sérieuse et, d’autre part, des économies de dépenses et des mesures fiscales permettant d’assurer l’équilibre prévu dans cette trajectoire. Pour ma part, je préférerais recevoir un budget détaillé plutôt qu’un simple squelette, sans quoi il sera difficile d’assurer la qualité du débat public.

Enfin, je ne peux envisager facilement un échec de la discussion budgétaire. C’est à vous de la faire parvenir à bon port. Néanmoins, si je peux me permettre cette réponse de Normand, je dirai que, pour une arrivée satisfaisante, il faut que le projet de loi de finances soit de la meilleure qualité au départ.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). La situation appelle les parlementaires au sérieux dans l’élaboration du budget et à la lucidité sur l’évolution de la dépense publique, laquelle reste préoccupante, n’en déplaise à M. le président, puisque nous dépensons 1,7 point de PIB supplémentaire par rapport au niveau d’avant-crise. Je précise que tous les impôts dont le taux a été abaissé sous la précédente législature ont désormais un rendement supérieur : ce constat est valable pour l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), pour le prélèvement forfaitaire unique (PFU) et pour l’impôt sur les sociétés (IS). Les baisses d’impôt ont été présentées comme destinées au public le plus aisé, mais je n’ai pas vu passer d’amendement proposant de rétablir la taxe d’habitation ces deux dernières années.

Les prévisions de recettes, notamment celles de la TVA, posent des difficultés que l’on ne connaissait pas auparavant. Le Gouvernement impute cette difficulté à une modification de la structure de la croissance, plus orientée vers l’export et moins vers la consommation. Faites-vous la même analyse ? Le rapport de la Cour des comptes évoque une modification de la structure des recettes des administrations publiques du fait d’un mitage de la TVA. Que pensez-vous de la proposition de notre collègue Éric Woerth consistant, en réponse à ce mitage, à allouer un impôt à une compétence territoriale ?

Enfin, formez-vous le vœu que le Parlement reprenne ses travaux en vue de l’adoption d’une loi constitutionnelle ou organique qui encadrerait la gouvernance des finances publiques, comme celle qui avait été adoptée en 2011 ?

M. Pierre Moscovici. L’explication des difficultés de prédiction donnée par le ministère des finances paraît robuste : l’absence de baisse du taux d’épargne des ménages se traduit par une atonie de la consommation qui fait davantage reposer la croissance sur l’export. Si cela est vrai, vous devrez en tenir compte lors de l’examen du projet de loi de finances. On ne peut pas surestimer les prévisions de recettes, comme ce fut le cas ces deux dernières années, sans s’exposer à une mauvaise surprise en fin d’année.

Je partage votre constat concernant le mitage de la TVA. J’ai lu l’excellent rapport d’Éric Woerth, auquel a contribué un de nos jeunes magistrats. Ce rapport est toujours d’actualité sur plusieurs questions. Je souhaite qu’il ne reste pas lettre morte.

Je renouvelle devant vous mon souhait du renforcement de la gouvernance des finances publiques. Chaque année, le Haut Conseil des finances publiques donne son avis sur le programme de stabilité. Il est prévu qu’il s’exprime sur le programme à moyen terme qui sera transmis à la Commission européenne, mais son avis n’a pas un caractère obligatoire. Il serait dommage que le Conseil ne donne pas d’avis ; ce serait manquer un rendez-vous avec les citoyens et vous priver d’une expertise. J’ai écrit au Premier ministre en ce sens et la direction générale du Trésor s’y dit favorable. J’ajoute que le HCFP réclame depuis des années la possibilité de réaliser des analyses de dette, afin de pouvoir débattre de la dette publique, y compris à l’Assemblée nationale.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Les conclusions de la Cour des comptes ne nous surprennent pas. Nous nous alarmons depuis longtemps des baisses d’impôt massives pour les plus riches et des réductions de cotisations sociales imposées par Emmanuel Macron ces sept dernières années. Malheureusement, ces alertes n’ont pas été entendues et nous voilà dans le rouge : le déficit s’est gravement creusé et la France est sous le coup d’une procédure de l’Union européenne pour déficit excessif. C’est un bilan catastrophique.

J’espère que les membres de la commission ont noté votre chiffrage du coût des baisses d’impôts et de cotisations : 62 milliards d’euros depuis 2018 ! Sans ces coupes, nous serions quasiment sous les fameux 3 %. Cela donne à réfléchir à quelques semaines du début de l’examen du budget, si le Premier ministre daigne en présenter un dans les temps.

Nous partageons également votre constat concernant la crédibilité des prévisions économiques du précédent gouvernement. Ce n’est pas la première fois que ces prévisions ne sont pas sincères, ce qui pose un vrai problème démocratique. De même, j’espère que nos collègues prennent au sérieux votre alerte concernant les coupes de 10 milliards d’euros dans les dépenses pour tenir l’objectif des 3 % en 2027, ce qui nous mènerait tout droit vers une spirale de récession. J’aimerais que vous précisiez – non à titre personnel, mais en tant que Premier président de la Cour des comptes – quels impôts vous recommandez d’augmenter ou de créer pour remédier à la crise des recettes.

Enfin, je souhaite vous interpeller sur les finances des collectivités territoriales. Je ne comprends pas l’acharnement à leur imposer des coupes budgétaires. Leur dette est stable depuis trente ans et leurs dépenses pèsent moins lourd dans le PIB que partout ailleurs en Europe ; par ailleurs, certaines augmentations de dépenses découlent directement de décisions nationales qui s’imposent à elles. Quels arguments motivent votre demande d’un mécanisme de régulation des dépenses ? De quelles dépenses parlez-vous précisément ? De celles qui permettent de faire fonctionner les services publics de qualité dont nos concitoyens ont tant besoin ?

M. Pierre Moscovici. Je vous remercie pour l’appréciation positive que vous portez sur les travaux de la Cour des comptes, qui visent à informer la représentation nationale et l’ensemble des citoyens.

Ni à titre personnel, ni en ma qualité de premier président de la Cour des comptes, je ne préconise des augmentations d’impôt ; j’ai seulement expliqué que la marge de manœuvre n’était pas infinie. Le débat sur le sujet ne peut pas être tabou. J’ai évoqué deux points – la justice fiscale et le financement de la transition écologique – qui méritent réflexion et je suis persuadé que vous n’aurez pas besoin de moi pour faire preuve d’imagination.

Il serait effectivement injustifié de tout mettre sur le dos des collectivités territoriales. Toutefois, l’augmentation de leurs dépenses contribue à celle de la dépense publique, et il faudra bien qu’elles prennent leur part dans l’effort collectif. Il me semble important que le prochain budget fixe une trajectoire ; si cette trajectoire fixe un objectif pour les collectivités territoriales, il faudra la documenter et se donner les moyens de la respecter. J’ai dit que trois revues de dépenses publiques étaient prêtes : l’une d’entre elles porte sur le financement des collectivités territoriales et sera intégrée au rapport sur la situation des finances publiques locales que je rendrai public dans quelques jours.

Mme Estelle Mercier (SOC). La lecture du rapport de la Cour des comptes, quelques jours après l’audition de Bruno Le Maire, est surprenante. Dans la première partie, vous démontrez que l’année 2023 a été l’une des plus mauvaises pour les finances publiques, du fait d’une faible croissance, d’une baisse discrétionnaire des recettes et de l’absence d’économies structurelles. On y lit aussi qu’aucune prévision de croissance, de déficit ou de dette n’est réalisée, que la trajectoire du Gouvernement prévoyait déjà 50 milliards d’austérité, mais que tout écart par rapport aux prévisions « suffirait à faire dérailler la trajectoire et à manquer les cibles de déficit et de dette pour 2027 ». Il y a quelques jours, ici même, Bruno Le Maire nous assurait pourtant que les comptes étaient bien tenus et que nous étions parfaitement sur les rails pour 2024.

On nous promettait 4 % de croissance en 2022, nous en avons eu 2,5 ; on nous promettait 2,3 % en 2023, nous en avons eu 0,9 ; on nous annonçait 1,6 % pour 2024, nous nous dirigeons finalement vers 1,1 %. La croissance devait être générée par les baisses d’impôts et les cadeaux fiscaux aux plus riches, mais force est de constater que cette croissance magique reste introuvable. La situation nous appelle à la gravité et à la responsabilité. Pensez-vous que la politique de l’offre menée depuis sept ans et la théorie du ruissellement aient échoué ?

Par ailleurs, vous écrivez que la trajectoire du programme de stabilité pour 2025 intègre des hausses d’impôt d’une ampleur de 15 milliards d’euros sans que ces mesures soient documentées. J’en déduis que le sujet n’était pas tabou pour l’ancien gouvernement. La seule politique d’austérité, centrée sur la réduction massive des dépenses, même intelligente, permet-elle une trajectoire crédible pour les finances publiques ?

M. Pierre Moscovici. Mon rôle n’est pas de porter des jugements politiques. Je ferai seulement quelques remarques, dont vous déduirez ce que vous voulez.

Je n’ai jamais été favorable à l’austérité : l’austérité, c’est ce qui appauvrit et affaiblit l’État. En revanche, il est dans l’intérêt général d’améliorer la qualité de la dépense publique par des économies intelligentes, que permettent les revues de dépenses. À un tel niveau de dépense publique, l’insatisfaction des usagers vis-à-vis des services publics est bien le signe que quelque chose ne va pas.

Il est incontestable que la compétitivité et l’attractivité de l’économie française se sont améliorées du fait de la politique de l’offre. Cela justifie-t-il toutes les baisses d’impôts ? C’est à vous de vous prononcer, mais le sujet ne doit être oublié par personne. Pour avoir été ministre des finances, je sais que ce n’était pas un tabou.

Nous avons effectivement repéré dans le programme de stabilité des hausses d’impôt importantes et non documentées. Le projet de loi de finances qui sera déposé dans quelques jours contiendra-t-il des hausses d’impôt ? Si oui, lesquelles ? Comme vous, le HCFP et la Cour des comptes continueront de se poser des questions en cas de chiffres non documentés.

Mme Véronique Louwagie (DR). Un chapitre entier du rapport est consacré à « 2023, une très mauvaise année pour les finances publiques ». On y constate une dégradation des comptes depuis 2022 et un dérapage par rapport aux prévisions. Est-ce pour vous la plus mauvaise année, hormis les années de crise sanitaire ?

Vous indiquez également que la France doit « préserver le contrôle de ses finances publiques » : le pays aurait-il perdu le contrôle des comptes publics ? On lit, à la page 21, qu’« aucun effort significatif d’économies en dépense n’a été fait en 2023 ». Je rappelle que les dépenses publiques représentaient 55,3 % du PIB en 2019 et qu’elles en représentent 57 % en 2023. En matière de dépenses publiques, on a vu beaucoup de promesses faites la main sur le cœur, beaucoup de communication, mais rien n’a été documenté. Il faut, selon vous, arrêter de fixer des chiffres que l’on ne pourra pas atteindre. Y aurait-il pour vous une part d’insincérité dans les budgets préparés ?

J’aimerais également aborder la question de la crédibilité du pays au niveau européen. C’est une véritable inquiétude, pour ne pas dire un cataclysme. Vous indiquez, page 23, que « la France a globalement moins bien récupéré que ses partenaires européens ». Sommes-nous moins protégés aujourd’hui qu’il y a quelques années, compte tenu de notre singularité au niveau européen ?

Enfin, les politiques conduites en supprimant des impôts – comme la taxe d’habitation et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – sans les financer par des économies substantielles ont-elles été une erreur ?

M. Pierre Moscovici. Avec 0,6 point d’écart par rapport aux prévisions, 2023 est assurément une très mauvaise année. Je n’ai pas la mémoire d’un tel dérapage, lequel risque de se reproduire, puisque nous prévoyons 0,4 ou 0,5 point d’écart pour 2024, ce qui nous éloigne davantage des 3 %. Or, si le déficit continue d’augmenter et que l’on conserve le même objectif, la pente est forte.

Je me suis exprimé plusieurs fois, ici ou ailleurs, sur la question de l’insincérité du budget, qu’il ne faut pas évoquer à tout bout de champ. Le HCFP ne l’a fait qu’une fois, rétroactivement, sur une loi de finances pour 2017, et je ne pense d’ailleurs pas qu’il ait eu raison. L’insincérité suppose une intention de tromper de la part du Gouvernement. En revanche, j’ai parlé de la clarté et de la sincérité du débat, deux points qui découlent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. S’il arrivait qu’un budget nous paraisse insincère, nous le dirions ; c’est une question que nous nous posons à chaque fois. Dans l’avis que nous avons rendu sur le programme de stabilité, nous avons prononcé pour la première fois le mot « incohérence ». Il ne faut pas aller plus loin.

Ce n’est pas la première fois que la France est placée en procédure pour déficit excessif. La différence tient au fait que, cette fois-ci, seul un petit nombre de pays est sous le coup d’une telle procédure. La France, pays fondateur et moteur de l’Union européenne, n’a pas sa place dans le peloton de queue. Pour en sortir, il faut dire à la Commission ce que nous allons faire.

J’ai indiqué à plusieurs reprises qu’il fallait mettre un terme aux baisses d’impôts non financées, qui contribuent à creuser le déficit.

M. Tristan Lahais (EcoS). Le rapport indique une situation préoccupante, sinon grave, pour reprendre les termes du rapporteur général. Ce dérapage n’est toutefois pas surprenant, de nombreux spécialistes et des parlementaires, principalement de gauche, ayant anticipé l’échec programmé des politiques dites « du ruissellement ». Comme cela s’est souvent vérifié dans l’histoire économique contemporaine, les pertes de recettes consécutives à la diminution de la pression fiscale nominale n’ont pas été compensées par la croissance attendue de l’assiette fiscale. In fine, les cadeaux et autres avantages fiscaux – la taxe d’habitation était, en réalité, un impôt très progressif – ont eu pour principal effet d’enrichir les plus aisés, tout en dégradant le patrimoine collectif.

Notons que le respect de la trajectoire du programme de stabilité révisée en avril exige également une croissance des recettes de l’État. Cette hausse de recettes devait, entre autres, être amorcée par un nouveau projet de taxe sur les rentes, notamment énergétiques, taxation dramatiquement ratée en 2023. On peut raisonnablement douter de la volonté de recourir à l’impôt eu égard aux déclarations psalmodiant l’absence stricte d’augmentation de la pression fiscale. Si l’on y ajoute le risque d’une croissance faible, on peut légitimement douter de la crédibilité des scénarios, déjà très fragiles, de retour à l’équilibre, ou plus exactement de retour à moins de déséquilibre.

Nous regrettons que le rapport de la Cour des comptes entretienne l’idée selon laquelle les collectivités territoriales sont responsables du dérapage précité. N’étant pas autorisées à financer leur politique de fonctionnement par l’emprunt, elles ont une dette aisément pilotable et un contrôle réglementaire exigeant est le garant de leur solvabilité. Ajoutons que leurs investissements, seul générateur de dettes, sont indispensables aux transitions dont l’urgence est connue de toutes et tous.

Le groupe Écologiste et social salue les réflexions de la cour sur le changement climatique. Nous nous inquiétons cependant des contradictions d’une religion comptable et financière toujours prégnante qui demeure, sinon aux antipodes, du moins en décalage avec les défis de notre génération, au premier plan desquels le défi écologique. La décarbonation de l’économie et la réindustrialisation du continent ne peuvent être exclusivement laissées à la main invisible du marché. Le récent rapport Draghi et, avant lui, le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz, affirment le besoin d’une nouvelle stratégie économique dans laquelle la puissance publique doit prendre sa part.

De même, nous vous avons entendu dire qu’il ne fallait pas, au risque de la cohésion sociale et de notre santé économique, tenir quoi qu’il en coûte les cibles budgétaires. Ne pensez-vous pas obsolètes les règles comptables et financières qui régissent les finances publiques ?

M. Pierre Moscovici. Assurément, les règles européennes peuvent être améliorées, mais elles viennent d’être réformées. Certains critères ne seront respectés qu’en tendance – au rythme actuel, je crains de ne pas vivre suffisamment longtemps pour voir la dette de la France descendre sous les 60 %. La règle des 3 % pour le déficit public annuel est assez robuste. Faire baisser la dette est un impératif catégorique pour nous tous. Je ne sais pas comment vous allez mener des politiques écologiques ou de quelque nature que ce soit avec une telle dette. Ce n’est pas un sujet de droite ou de gauche : un gouvernement qui a plus de 80 milliards d’euros de dette à rembourser par an est extrêmement contraint, pour ne pas dire impuissant. Un État surendetté est un État paralysé. Personne ne doit l’ignorer.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le groupe Les Démocrates estime, comme vous, qu’il est indispensable d’engager résolument l’effort de réduction du déficit public. Nous garderons ainsi des marges de manœuvre pour financer les dépenses d’avenir et nous préparer à d’autres crises. Il y va de notre souveraineté. Un niveau d’endettement trop élevé risque d’affaiblir fortement notre leadership européen. La question fondamentale est celle-ci : comment rétablir les finances publiques et selon quel calendrier ?

Le premier levier, c’est la réduction de la dépense publique. Nous devons nous projeter de manière réaliste. Il faut rendre nos efforts acceptables économiquement et socialement. Nous avons entendu votre recommandation sur la trajectoire qu’il conviendra de présenter à la Commission européenne. Cet effort relatif aux dépenses devra être partagé entre la sécurité sociale, l’État et les collectivités locales. À ce propos, comment expliquez-vous la dynamique des dépenses des collectivités locales ? Comment aborder ce sujet de manière réaliste et efficace ?

Le second levier est la croissance. Alors que notre niveau de croissance est plus résilient que celui de nos voisins, les recettes fiscales ne sont pas au rendez-vous. Quelles sont les perspectives pour faire évoluer la demande intérieure ? La baisse progressive des taux directeurs n’est-elle pas de nature à susciter un rebond dans les années à venir ?

Dans votre rapport, vous évoquez un troisième levier implicite : l’outil fiscal. Cela signifie que le rétablissement des finances publiques passera aussi par une hausse des prélèvements obligatoires.

Enfin, le redressement effectif des finances publiques ne saurait se faire, selon vous, sans des prévisions fiables, qui nous ont manqué en 2023 et en 2024. Avez-vous des exemples de bonne pratique à l’échelle européenne ?

M. Pierre Moscovici. Je n’ai pas les réponses à toutes vos questions, mais le débat budgétaire à venir ne manquera pas d’en apporter. Je répète l’impérieuse nécessité d’une trajectoire crédible et documentée. Personne ne peut travailler sur la base d’impressions qui ne sont pas suffisamment justifiées.

Le montant des achats des collectivités locales a augmenté de 13 % en 2024 et les dépenses de masse salariale de 6 %, ce qui représente une hausse de 7 % des dépenses de fonctionnement, soit environ 10 milliards d’euros de plus que l’objectif du programme de stabilité. Parallèlement, les dépenses d’investissement ont été très dynamiques : elles ont crû de 12,5 % en valeur par rapport aux sept premiers mois de l’année 2023. Cette progression est nettement supérieure aux prévisions du programme de stabilité, à hauteur de 7,5 %. Si la tendance se confirmait, cela correspondrait à 3 milliards de plus d’investissements pour les collectivités. Il ne s’agit pas de leur faire porter toute la responsabilité du déficit, mais de rappeler que tout le monde est concerné par l’effort de maîtrise de la dépense. Il faut trouver des mécanismes de régulation et définir une trajectoire cohérente.

Mme Félicie Gérard (HOR). Vous venez de le rappeler, notre situation budgétaire est très dégradée. Les recettes sont moins importantes qu’attendu et les dépenses ne diminuent pas suffisamment. Sans nouvelles mesures, le déficit prévu pour 2024 atteindra 5,6 %, aggravant la dette qui se situe à un montant de 3 100 milliards d’euros. Face à cette situation, Bercy nous indique qu’il est nécessaire de trouver 30 milliards d’euros d’économies pour le PLF 2025 et 110 milliards à l’horizon 2027 pour respecter la trajectoire budgétaire de rétablissement des comptes, sous les 3 % de déficit.

De nombreuses pistes de réduction des dépenses sont envisageables, tant les aides et chèques exceptionnels sont nombreux et semblent avoir perdu tout caractère d’exception. Néanmoins, la semaine dernière, vous avez préconisé une autre solution, que vous évoquiez déjà au printemps, en proposant une hausse des impôts des Français. Vous plaidez, par exemple, pour une révision, sinon une suppression partielle, du crédit d’impôt pour les emplois à domicile.

La conséquence directe d’une telle mesure serait pourtant, à mon sens, triplement néfaste. D’une part, cela augmenterait significativement les impôts des Français qui ont besoin d’une aide à domicile – souvent des Français qui travaillent. D’autre part, cela conduirait nécessairement à des suppressions d’emploi massives dans ce domaine d’activité ; or nous savons que beaucoup de salariés de ce secteur vivent grâce au crédit d’impôt. Enfin, cela relancerait le travail non déclaré, réduisant de fait les recettes de l’État et supprimant toute protection sociale pour les salariés concernés. Ne devrions-nous pas plutôt nous attaquer au problème de fond, en auditant davantage les différentes structures publiques, en supprimant les dépenses dont l’utilité pose question – je pense aux multiples agences d’État parfois dotées de missions obscures – et en diminuant les dépenses trop élevées, grâce au plafonnement, par exemple, de certaines aides ?

M. Pierre Moscovici. C’est vous qui allez examiner dans quelques jours les impôts qu’il faut augmenter ou non, les dépenses qu’il faut maîtriser ou non. La Cour des comptes ne fait qu’apporter des contributions. L’un de ses rapports disait que le plafonnement des réductions d’impôt pour l’aide à domicile – je suis moi-même très concerné et pourrais me permettre de payer un peu plus – permettrait d’économiser 1 milliard d’euros. Cependant, ce n’est pas la principale piste d’économies, je vous le concède.

M. Michel Castellani (LIOT). Monsieur le Premier président, sans surprise, la tonalité de votre exposé était particulièrement alarmante. Nous ne pouvons que répéter ce que nous disons depuis toujours, sans grande originalité, d’ailleurs : il faut jouer à la fois sur les recettes et sur les dépenses et économiser prudemment, pour éviter tout effet dépressif. S’agissant des rentrées fiscales, nous avons entendu hier le gouverneur de la Banque de France… Nulle logique répressive, mais nous prenons tout de même acte qu’il existe une économie financière spéculative, des paradis fiscaux et que, pour les seules entreprises du CAC40, les rachats d’actions se sont élevés à plus de 30 milliards l’an dernier, sans parler des 60 milliards de dividendes distribués. La situation impose que chacun participe à hauteur de ses moyens. Tout cela est difficile. Certains domaines ne peuvent être sacrifiés, soit parce que l’on pense qu’ils sont socialement incontournables, soit parce qu’ils sont porteurs d’avenir et de croissance. Nous attendons un débat budgétaire démocratique qui sera, je l’espère, l’occasion de bâtir un budget minimisant la casse, même si nous avons conscience d’être face à la quadrature du cercle.

La Cour des comptes a-t-elle identifié des domaines dans lesquels il serait possible de limiter les dépenses sans trop d’effets macroéconomiques négatifs ?

M. Pierre Moscovici. Votre débat sera, en effet, très important ! Le budget à venir sera l’un des plus difficiles à construire de l’histoire de la Ve République. Les rapports de la Cour des comptes sont une contribution au débat public. Je ne prétends jamais qu’ils sont la vérité révélée. Ils sont faits par des gens sérieux ; ils sont objectifs et chiffrés ; mais c’est à vous et au citoyen de les apprécier. On peut notamment y trouver une analyse sur l’apprentissage en faveur duquel on a dépensé beaucoup d’argent, à juste titre, quand le chômage était très élevé, un peu moins quand il a baissé. Il faudrait réorienter les aides vers les publics faiblement qualifiés. Des économies sont également possibles sur des crédits d’impôt et d’autres dépenses fiscales. Nous allons publier une revue de dépenses sur les collectivités locales. Je remettrai au Premier ministre un rapport sur la sécurité sociale et un autre sur la sortie de crise. L’Inspection générale des finances et d’autres inspections ont également produit toute une série de revues de dépenses. Vous aurez un matériau abondant pour vous forger votre jugement. C’est vous, mesdames, messieurs les parlementaires, qui votez le budget, lequel sera d’autant mieux voté qu’il sera bon à la base.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Si le rapport est une contribution démocratique au débat, c’est une contribution bien sévère ! Il dresse un constat accablant pour le gouvernement sortant, autoproclamé champion du sérieux budgétaire. On ne parle que des coupes dans les dépenses publiques. Or le rapport Draghi remet en cause la logique austéritaire de l’Union européenne depuis au moins quinze ans, puisqu’il préconise d’investir 800 milliards d’euros par an pour essayer de corriger le décrochage par rapport à la Chine et aux États-Unis. Dans un contexte de croissance atone, à trop couper dans les dépenses, on risque une récession immédiate.

Vous avez évoqué la dette écologique et la tarification carbone. Quelque chose n’est pas clair. Assurément, l’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne ne suffira pas. Mais vous préconisez une tarification carbone sur le chauffage et les carburants pour les particuliers, à l’image de ce qui se fait en Suisse ou en Suède. Sauf qu’il y a le risque que ce soit profondément injuste, comme au moment des gilets jaunes !

On parle toujours de l’optimisation de la dépense publique. Mais qu’est-ce qui coûte réellement un pognon de dingue ? Les aides aux entreprises ! Des économistes très sérieux les évaluent à 180 milliards d’euros. N’y aurait-il pas des économies utiles à faire de ce côté-là ? Même l’Inspection générale des finances explique que le crédit d’impôt recherche produit plus d’effets d’aubaine que de résultats.

M. Pierre Moscovici. Un rapport de la Cour des comptes n’est jamais fait pour accabler ; il n’est jamais complaisant non plus. Il essaie d’être objectif. Notre dernier rapport ne contient, à ce titre, rien de surprenant.

Pour ce qui est de la tarification carbone, le rapport la suggère comme mécanisme d’intervention, sans exclure les subventions et la régulation. Nous mentionnons aussi explicitement qu’elle n’aurait pas de sens sans des mesures d’accompagnement social extrêmement bien calibrées ni sans un débat qui aille dans ce sens. Nous ne sommes pas pour des mesures brutales ou non préparées, qui pourraient exposer à un retour de bâton social.

Les aides aux entreprises ne sont pas un sujet tabou. La Cour des comptes a fait l’an dernier une note structurelle qui montrait qu’il y avait plusieurs centaines d’aides aux entreprises, dont un certain nombre ont un caractère historique – elles ont été votées il y a très longtemps sans jamais faire l’objet d’une évaluation. Nous recommandions de les plafonner dans le temps et de les évaluer. Elles font évidemment partie des sujets que vous devrez étudier lors de l’examen des dépenses.

M. Gérault Verny (UDR). Trois mille deux cents milliards d’euros : c’est la dette publique de la France en septembre 2024, soit 113 % de notre PIB. Depuis 2012 et l’arrivée de la gauche au pouvoir, entre François Hollande et son ministre de l’économie, Emmanuel Macron, la dette publique est passée de 1 600 milliards à 3 200 milliards. Bilan de douze ans de socialisme : 1 600 milliards de dette supplémentaire. Nous creusons la tombe de notre économie, année après année, déficit après déficit. Ce n’est plus dans un trou mais dans un gouffre que nous précipitons les générations futures.

Dès 2025, en fonction des taux d’emprunt, le remboursement de la dette pourrait être le premier budget de l’État. Aujourd’hui, ses seuls intérêts nous coûtent 60 milliards d’euros par an, soit autant d’argent en moins pour l’éducation, la sécurité et la santé de nos familles. À chaque point de hausse des taux d’intérêt, ce sont 40 milliards d’euros de plus qui s’envolent. Le Portugal, qui a mené des réformes difficiles, selon une politique courageuse, emprunte à de meilleurs taux que nous. Il est temps d’arrêter l’hémorragie et d’imposer une règle stricte : un budget à l’équilibre chaque année. D’autres l’ont fait, comme l’Allemagne avec son frein à l’endettement.

Vous recommandez de reprendre le contrôle des finances publiques, en imaginant toutefois un retour du déficit sous les 3 % en 2029, pour ne pas brusquer l’économie. Gouverner, c’est prévoir. Quel sera notre matelas pour amortir le choc de la prochaine crise, qu’elle soit sanitaire, militaire ou économique ?

Le remboursement des intérêts de la dette représente 35 % du déficit – 50 milliards d’euros. Chaque euro de dette supplémentaire augmente ce coût. Ne pensez-vous pas que ce boulet est plus dangereux pour notre économie qu’une réduction des déficits ?

Enfin, pourquoi ne pas recommander, comme la situation l’exige, de refuser tout budget qui ne serait pas équilibré ?

M. Pierre Moscovici. Il n’y a pas de règle d’or de cette nature. Cela risquerait d’être un peu brutal, puisque, je le rappelle, cette année, le déficit devrait être à 5,5 %. Il s’agit bien, en effet, d’avoir un matelas pour se prémunir contre les futures crises. Plus vite nous l’aurons, mieux ce sera.

Réduire la dette et réduire le déficit sont, pour moi, les deux faces d’une même pièce.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des députés.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Aux dettes écologique et financière permettez-moi d’ajouter celle du vieillissement, si nous voulons que notre société prenne en charge dignement nos aînés. Le mur de la transition démographique est devant nous et nous regardons ailleurs. La politique du grand âge relève non seulement de l’État mais aussi des départements. En 2022, la situation des collectivités était globalement satisfaisante pour toutes les catégories. En 2023, elle s’est fortement dégradée, notamment pour les départements. Comment peuvent-ils financer les allocations individuelles de solidarité (AIS) et, en même temps, répondre aux injonctions de baisse de leurs dépenses ?

M. Pierre Moscovici. Vous avez tout à fait raison ! Je vous renvoie à un rapport publié il y a deux ans sur les Ehpad, qui montrait une insuffisance de financement de l’ordre de 2 milliards d’euros par an sur ce sujet. Je me déplace. J’étais à Marseille la semaine dernière ; dans le Pas-de-Calais, j’ai discuté avec le président du conseil général. La Cour des comptes n’a pas traité cette question explicitement dans ce rapport, mais elle le fera dans un prochain.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Le 9 septembre dernier, Le Monde a publié la tribune très inquiétante d’une maîtresse de conférences en sciences de gestion à Toulouse, selon laquelle le mauvais état des finances des collectivités territoriales est sous-estimé, du fait notamment de l’absence de certification de leurs comptes. Que recommande la Cour à ce sujet ? Partagez-vous cette inquiétude ?

M. Pierre Moscovici. Nous certifions les comptes de l’État et ceux de la sécurité sociale. Plusieurs expériences sont en cours dans les collectivités locales. Nous ne pouvons pas certifier leurs comptes, car cela représenterait une masse trop importante de travail par rapport à nos emplois, sauf si M. Labaronne décide de nous en donner des dizaines, ce que nous ne demandons pas. En revanche, nous avons un rôle de conseil et de pilotage. L’une des expériences s’est terminée en 2024. L’État, en collaboration avec les collectivités, définira les suites à lui donner. Nous sommes toujours disponibles pour participer à cette réflexion.

M. Eddy Casterman (RN). Dans votre rapport, vous consacrez pour la première fois un chapitre entier à l’impact du dérèglement climatique et des politiques de transition énergétique sur nos finances publiques. Je ne peux qu’approuver ce choix, qui a pour intérêt d’analyser le coût de l’inaction publique ou de choix politiques. Pourquoi, en revanche, se cantonner aux seules politiques de transition énergétique ? Vous parliez tout à l’heure de dire la vérité aux Français. Pourquoi ne pas ajouter un chapitre consacré au coût réel de l’immigration pour nos dépenses publiques et nos comptes sociaux ? Pourquoi ne pas suivre la recommandation du conseiller d’État, Christophe Éoche-Duval, qui demande à la Cour des comptes d’évaluer le coût annuel de l’explosion de l’insécurité pour nos finances publiques, qu’il estime à 170 milliards d’euros ? Ces thèmes méritent aussi toute votre attention.

Par ailleurs, vous appréciez le coût de la transition énergétique au regard du Pacte vert, dont les objectifs irréalistes ont suscité une forte opposition des peuples, comme en témoignent les résultats des dernières élections européennes. Plutôt que de publier une alerte généraliste, ne pensez-vous pas qu’il serait plus opportun d’évaluer le coût des mauvaises dépenses, celles qui ne permettent ni d’assurer durablement notre autonomie énergétique ni de réduire substantiellement nos émissions de gaz à effet de serre ?

M. Pierre Moscovici. La Cour des comptes est une instance indépendante, inscrite dans la Constitution, qui définit elle-même sa programmation. Je reste néanmoins ouvert à toutes les suggestions, d’où qu’elles viennent. Nous publions des rapports de toutes sortes. Nous avons ainsi fait un rapport sur l’immigration, qui avait fait un peu de bruit il y a quelque temps. Nous avons toute une série de rapports sur les sujets régaliens, sur la sécurité, les préfectures. Je vous renvoie donc à nos travaux. Cette année, nous avons mis une focale sur un sujet qui nous paraît vital pour notre avenir, celui de la transition écologique. Nous ne nous dérobons devant aucun sujet.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Votre rapport n’est, en réalité, pas éloigné du constat fait par La France insoumise, dans sa sévère critique du gouvernement sortant et de la politique budgétaire menée depuis sept ans sous la houlette de M. Macron, qui consiste à supprimer sans cesse des recettes au profit des plus fortunés pour finir par sous-financer nos services publics, avec les conséquences dramatiques que l’on connaît, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture ou de la justice.

Par ailleurs, il va nous falloir investir massivement et rapidement pour faire face aux multiples chocs du réchauffement de notre planète. Dans votre rapport, vous précisez que l’effort budgétaire à venir doit être « crédible, efficace et partagé ». Selon l’Observatoire européen de la fiscalité, en France, le taux effectif d’imposition des milliardaires est plus faible que celui des 10 % les plus pauvres. Jugez-vous que les efforts sont aujourd’hui partagés ? Est-il possible qu’ils le soient demain, sans refonte de notre système fiscal pour le rendre plus juste, c’est-à-dire en augmentant les impôts des plus riches ?

M. Pierre Moscovici. À l’indépendance de la Cour des comptes, je veux ajouter l’impartialité. Bien que je n’aie pas sondé les reins et les cœurs de mes collègues, je ne suis pas sûr qu’ils soient tous membres de La France insoumise. Nous travaillons de manière strictement objective. Pour ce qui est des impôts, j’ai déjà répondu. Je vous renvoie aussi aux travaux très intéressants du Conseil des prélèvements obligatoires sur l’équité et le consentement à l’impôt. Vous y trouverez la réponse de notre institution à votre question, sachant que ce n’est pas notre principal sujet d’intérêt, dans la mesure où nous sommes surtout compétents sur les dépenses.

M. Nicolas Ray (DR). La baisse des dépenses publiques est la seule solution crédible pour redresser rapidement nos finances. L’heure est aux pistes d’économies concrètes. Parmi elles, notre groupe pointe, depuis de nombreuses années, la situation des 408 opérateurs de l’État, dont le coût a explosé de 30 milliards d’euros en sept ans et dont les effectifs ont augmenté de 28 000 en cinq ans. Il est indispensable de réduire fortement leur nombre, leur coût de fonctionnement et le volume de leur personnel. Il s’agit d’administrations éloignées des Français, alors qu’il faut, au contraire, renforcer nos services publics sur nos territoires. Avez-vous pu identifier les opérateurs et les agences de l’État qui pourraient être dégraissés voire supprimés ?

M. Pierre Moscovici. Encore une fois, je vous renvoie à nos rapports, qui donnent un certain nombre de pistes en la matière. Je ne vais pas pointer ici du doigt tel opérateur ou telle agence. Nous n’avons pas fait de recension.

Mme Christine Arrighi (EcoS). La vente par les investisseurs japonais des titres de dette française à hauteur de 9,2 milliards de dollars, en juillet, s’inscrit dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis de la gestion des finances publiques. Étant donné que plus de la moitié de la dette française est détenue par des investisseurs étrangers, quelles mesures préventives proposez-vous pour éviter une contagion qui pourrait affecter d’autres investisseurs internationaux et exacerber la hausse de nos coûts d’emprunt ? Dans quelle mesure la France pourrait-elle être vulnérable à des décisions géopolitiques, si les relations internationales venaient à se détériorer davantage – une vente massive de sa dette par l’Arabie saoudite, par exemple ? La Cour travaille-t-elle sur des stratégies pour protéger la dette française des turbulences géopolitiques ?

M. Pierre Moscovici. C’est l’éléphant dans la pièce, comme on dit ! Notre dette étant détenue à plus de 50 % par des agents étrangers, sa qualité est fondamentale. Je suis heureux de voir que vous partagez le diagnostic selon lequel il est impératif, pour la collectivité nationale, de réduire son poids et de veiller à son financement. Pour le reste, je renouvelle ma proposition de conférer au Haut Conseil des finances publiques, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance, la capacité de mener des analyses de soutenabilité de la dette. Nous contrôlons aussi régulièrement l’Agence France Trésor et d’autres organismes financiers de cette nature.

M. Éric Woerth (EPR). La situation, que vous avez parfaitement et objectivement décrite, nécessite un projet de loi de finances qui commence à rétablir une trajectoire crédible de redressement des finances publiques et d’investissements.

Quel calendrier définir pour équilibrer le solde primaire sans éroder la croissance, les intérêts de la dette commençant à prendre une part très importante dans la dépense ?

Dans la mesure où ce n’est pas mathématique, auriez-vous une définition de la soutenabilité d’une dette, pour garantir la confiance des investisseurs ?

Enfin, le rôle du Parlement et, en son sein, de notre commission est fondamental dans l’évaluation de l’efficacité de la dépense publique. Nous devons également favoriser ce que j’appellerais la décentralisation responsabilisante, de sorte que les collectivités locales puissent prendre plus de décisions.

M. Pierre Moscovici. Le calendrier de rééquilibrage du solde primaire et la trajectoire des finances publiques sont naturellement liés. Une note du Conseil d’analyse économique montre qu’il nous faut avant tout réduire le déficit primaire : c’est parce qu’elle enregistre un excédent primaire que l’Italie se trouve, en dépit d’une dette plus élevée, dans une situation plus favorable que la nôtre.

Les auteurs de la note préconisent ainsi une réduction dégressive d’environ 120 milliards d’euros du déficit primaire sur une dizaine d’années – un facteur de confiance qui permettrait aussi d’améliorer la soutenabilité de la dette. Une réflexion collective doit être menée à ce sujet, à laquelle je souhaite que la Cour des comptes prenne toute sa part.

Je rejoins enfin votre avis s’agissant du rôle du Parlement. Je rappelle à cet égard que la Cour se tient à votre disposition pour la réalisation des rapports que vous souhaiteriez lui commander.

Mme Sophie Pantel (SOC). Le rapport de la Cour souligne que la faible élasticité des recettes fiscales à la croissance est d’abord liée au rendement de l’impôt sur les sociétés, bien moindre qu’attendu. Dans quelle mesure cette situation peut-elle être imputée aux politiques fiscales menées ces dernières années en faveur des très grandes entreprises ?

M. Pierre Moscovici. J’ai déjà indiqué que je ne pouvais apporter de réponse complète à cette question. Je rappellerai simplement ce que la Cour indique depuis des années : nous n’avons plus les moyens – encore moins aujourd’hui – de baisses d’impôts qui ne soient pas compensées.

M. Anthony Boulogne (RN). La lecture du rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques confirme ce que le Rassemblement national souligne depuis longtemps : la croissance continue du stock de la dette entraîne le renchérissement de la charge des intérêts, ce qui participe de l’affaiblissement des marges de manœuvre budgétaires. Les dernières projections sont alarmantes : cette charge devrait croître d’environ 50 % entre 2024 et 2027, passant de 55 à 83 milliards d’euros, et pourrait devenir le premier poste de dépense budgétaire de l’État.

Quelles sont les pistes de la Cour pour réduire structurellement la charge des intérêts de la dette française ?

M. Pierre Moscovici. Nous les avons évoquées tout au long de l’audition. D’abord, la trajectoire des finances publiques doit marquer un point d’inflexion ; dans le prochain budget, il faudra documenter de façon crédible la réduction du déficit public et s’engager à ce qu’il passe sous la barre de 3 % du PIB en 2029.

Il est par ailleurs fondamental de retrouver un excédent primaire à moyen terme pour que la dette soit soutenable.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Votre constat est alarmant. En étant taquin, on pourrait souligner que la France est passée du Mozart de la finance à une procédure de déficit excessif ! Le rapport de la Cour pointe poliment des recettes peu dynamiques. Or l’Espagne, qui a fait le choix inverse de taxer les plus riches, ne se trouve pas soumise à la même procédure que la France. Les cadeaux fiscaux faits aux plus riches depuis 2017 ne nous ont-ils pas coûté trop cher ? Ne sont-ils pas la cause du déficit actuel ?

M. Pierre Moscovici. J’ajouterai un élément à la réponse que j’ai déjà apportée à cette question : peut-être y a-t-il eu des hausses d’impôts en Espagne mais, comme le Portugal – lui aussi souvent présenté comme un modèle –, ce pays a aussi amplement réduit ses dépenses pour assainir ses finances publiques.

M. Corentin Le Fur (DR). Alors qu’il y aura bientôt un nouveau locataire à Bercy, quel bilan tirez-vous des sept années qu’y a passées Bruno Le Maire ? Le futur Gouvernement devra éviter les erreurs du passé : croire que la croissance dispensera la France de faire des efforts, par exemple, ou rendre parfois des comptes insincères. Cet inventaire me semble d’autant plus important que, loin de se remettre en question, M. Le Maire a adopté une attitude inélégante vis-à-vis des collectivités locales, souvent pointées du doigt à sa place.

M. Pierre Moscovici. Un tel bilan serait totalement déplacé. Bruno Le Maire a été mon lointain successeur à Bercy ; comme les autres membres de la Cour, j’ai travaillé avec lui dans de très bonnes conditions. J’ai à son égard beaucoup de respect, et lui souhaite pleine réussite dans ses nouvelles activités.

La Cour a néanmoins dressé des constats objectifs. Au cours des deux dernières années, la fin du « quoi qu’il en coûte » a sans doute été annoncée un peu trop facilement, et les exercices successifs de trajectoires et de lois de finances n’ont pas été aussi documentés, précis et prévisibles que nous le souhaitions. Mais cessons de tout personnaliser.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je voudrais dire, à l’attention de certains de nos collègues, qu’il est un peu facile de se réjouir des conclusions de la Cour des comptes sur la gravité de la situation financière tout en contestant ses recommandations en matière de réduction intelligente des dépenses.

Le niveau de l’inflation est significativement inférieur aux prévisions, s’établissant cette année à 1,9 % au lieu de 2,6 %. Au-delà de son impact négatif sur les recettes publiques, pourrait-il avoir un effet positif à l’avenir, ne serait-ce qu’en raison de l’indexation des dépenses sur l’inflation ?

M. Pierre Moscovici. Une inflation inférieure à 2 % est une bonne nouvelle. Elle aura notamment pour effet positif une baisse des taux de la part de la Banque centrale européenne. Il est vrai qu’à court terme, elle affecte la TVA de façon négative, mais personne ne doit se réjouir d’un trop haut niveau de taux d’intérêt. N’oublions pas qu’une politique monétaire accommodante a été l’une des conditions de nos succès avant 2022.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur le premier président doit nous quitter. J’invite les trois derniers orateurs à me remettre leurs questions par écrit, afin que je les lui transmette. J’espère, quoi qu’il en soit, qu’il reviendra le plus rapidement possible !

 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 18 septembre 2024 à 9 heures 15

Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Benjamin Dirx, Mme Stella Dupont, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, Mme Christine Loir, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Hugo Prevost, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Alexandre Sabatou, M. Nicolas Sansu, Mme Danielle Simonnet, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Vincent Trébuchet, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou

Assistait également à la réunion. - M. Pierre Cordier