Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

 

 Audition de Mme Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, sur son rapport annuel d’activité. Informations relatives à la Commission               2

 


Mercredi
18 septembre 2024

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 3

2023 - 2024

Présidence
de M. Florent Boudié, président


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La séance est ouverte à 10 heures 35.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission auditionne Mme Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, sur son rapport annuel d’activité.

M. le président Florent Boudié. Nous sommes heureux de vous accueillir, madame la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), pour cette audition qui avait été initialement programmée en juin. Vous êtes accompagnée par votre adjointe à la direction des affaires juridiques, Maria de Castro Cavalli.

La commission des lois se préoccupe de nombreuses questions relevant de votre champ, en particulier de celles qui ont trait à la surpopulation carcérale. Nous souhaiterions notamment vous entendre sur le dispositif de régulation que vous avez proposé en la matière.

Mme Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Il ne se passe guère de semaine sans que nous soyons alertés par des médecins – psychiatres en particulier – qui exercent en milieu carcéral : « Aidez-nous, nous n’arrivons plus à soigner les détenus ! », nous disent-ils. Il est devenu presque impossible de pratiquer la psychiatrie en prison : il n’y a plus assez de surveillants pour accompagner les détenus aux rendez-vous médicaux, y compris à l’intérieur des établissements.

La surpopulation explose dans les maisons d’arrêt : elle est de 145 % en moyenne, mais peut aller jusqu’à 250 %. C’est le cas à la prison de Perpignan, où j’ai eu le sentiment de toucher le fond lors de ma visite : montagnes de fientes de goélands, chats errants recueillis par une surveillante dans un atelier désaffecté, détenus entassés à trois dans des cellules de 9 mètres carrés infestées de punaises de lit, à tel point que les surveillants, de retour chez eux, doivent se déshabiller sur le pas de la porte et mettre leurs vêtements au congélateur… Après notre visite, les déjections ont certes été nettoyées, des congélateurs ont été installés dans les couloirs pour les affaires des détenus, mais l’invasion de punaises ne pourra être éradiquée qu’après un désencombrement des cellules. Cela ne semble pas près d’arriver – mais peut-être y remédierez-vous.

Le sort des surveillants est tout aussi épouvantable que celui des détenus. Je vous demande de vous y intéresser. Leur détresse et leur mal-être entraînent de l’absentéisme, des arrêts de travail et un fort risque de décompensation psychique : il est désespérant de rentrer chez soi, tous les soirs, avec la conviction qu’on n’a pas bien fait son travail.

Confrontés à des situations similaires, des pays comme l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne ont pris les choses en main. La France doit faire de même. Je n’ai cessé d’y inviter le Gouvernement, en vain : « Cela ferait monter le Rassemblement national », m’a‑t-on répondu.

J’ai constitué au sein du CGLPL un groupe de travail comprenant des représentants de syndicats d’agents pénitentiaires, d’avocats, de médecins, de magistrats et de personnels administratifs et judiciaires, ainsi que d’associations qui œuvrent en prison ; tous, à l’exception d’une organisation de magistrats, s’accordent à dire qu’il faut réguler et diminuer la population carcérale.

Qu’attendons-nous d’une peine ? Qu’elle punisse l’auteur d’une infraction et qu’elle l’écarte de la société quelque temps, certes, mais aussi qu’elle contribue à sa réinsertion – c’est écrit dans la loi. Or, cet objectif est impossible à atteindre dans les maisons d’arrêt. L’accès aux soins, à l’enseignement et aux activités prévues par les textes n’y est pas garanti – rappelons qu’en France, seuls 28 % des détenus sont au travail, contre 70 % en Allemagne. L’une des pistes réside dans le placement extérieur destiné à l’apprentissage d’un métier.

Les suicides en détention suivent une hausse préoccupante : 123 en 2022 et 154 en 2023.

Les surveillants et les détenus vivent pareillement l’abandon et l’inertie de l’État. Les premiers nous confient qu’ils refuseraient d’entrer dans des cellules aussi dégradées s’ils étaient détenus ; ces derniers reconnaissent que la surpopulation « rend fous » les surveillants. Un climat de violence règne. Je vous livre le témoignage d’un détenu : « J’ai refusé de réintégrer ma cellule, devenue une fosse septique par le déversement des toilettes par terre d’un mélange fécal et urinaire d’environ un centimètre, sous le lit et sur toute la longueur de la cellule. Je l’ai signalé à divers surveillants, rien n’a été fait. Mon refus a entraîné un rapport d’incident et je suis au mitard. »

Comment en est-on arrivé là ? Tout commence à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Les enfants retirés à leurs parents sont placés dans des foyers ou des familles d’accueil peu et mal contrôlés. Ce sont les mêmes enfants, atteints de troubles cognitifs et psychiatriques, que l’on retrouve dans les centres éducatifs fermés (CEF), faute de structures aptes à les soigner et à les prendre en charge. Ils n’ont rien à faire dans ces établissements, même si le Gouvernement entend en construire de nouveaux. Les CEF sont détournés de leur vocation, et il en coûte 900 euros par jour et par enfant accueilli. Plus tard, on retrouve ces jeunes dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), puis en comparution immédiate, et enfin en prison. Si ces enfants avaient été pris en charge plus tôt, il n’y aurait peut-être pas 30 % à 36 % de personnes atteintes de maladie mentale en prison.

Les centres éducatifs fermés sont une énorme préoccupation. Les enfants qui y sont enfermés reçoivent quatre à cinq fois moins d’heures de cours que les autres – c’est indigne. Il n’existe malheureusement pas de statut de professeur spécifique à l’enseignement en CEF. Je vous invite à y réfléchir. Est-il pertinent, par exemple, que les cours en CEF cessent pendant les vacances scolaires ? Il existe pourtant des CEF formidables où, parallèlement aux disciplines classiques, les jeunes apprennent un métier, comme la menuiserie ou la cuisine. J’en ai vu préparer des buffets ou fabriquer des meubles pour la maison de retraite voisine ou la mairie – une façon d’apprendre à revivre.

Tout est donc à reprendre, et nous devons nous y atteler ensemble. Vous auriez grand intérêt à auditionner le groupe de travail que j’ai mentionné : il est indispensable d’écouter les professionnels.

J’en viens à la régulation de la population carcérale. Je vous invite tout d’abord à reprendre la proposition de loi que les députées Caroline Abadie et Elsa Faucillon ont consacrée à ce sujet sous la précédente législature. Avec sagesse et prudence, il y est proposé que les maisons d’arrêt dont la densité carcérale est supérieure à 100 % réduisent progressivement la part des personnes détenues en surnombre, à raison d’un tiers par année. Nous avons su le faire pendant la crise du covid-19, et d’autres pays européens y ont procédé. La France est la championne de la surpopulation carcérale derrière Chypre et la Roumanie ; elle ne peut pas en tirer de gloire !

Lorsque vous avez visité le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, madame Diaz, vous avez affirmé qu’il y avait trop d’étrangers. J’en conviens. Cela nous renvoie aux centres de rétention administrative (CRA), qui sont de plus en plus carcéraux et qui représentent eux aussi un coût faramineux : 690 euros par jour et par personne retenue. Par un mécanisme de « portes tournantes », les étrangers sont placés en rétention, en sortent parce que leur pays d’origine ne les reprend pas, et retournent en prison parce qu’ils commettent un délit – un refus d’embarquer, par exemple. Cette politique, assumée par le ministre de l’intérieur et des outre‑mer, coûte fort cher pour un résultat discutable, puisque moins de 10 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont exécutées.

Les conditions de vie et de travail dans les CRA sont préoccupantes. Les policiers y surveillent des personnes ayant causé un trouble à l’ordre public (TOP), ce qui n’est pas leur vocation : leur métier est le maintien de l’ordre. Policiers et personnes retenues se craignent mutuellement. Chaque nouvel arrivant est accompagné devant la grille de la zone de vie – dans laquelle les policiers ne pénètrent pas –, charge à lui d’en apprendre le fonctionnement par ses camarades. Des caïds font régner la peur et les rixes sont fréquentes. Les chambres ne fermant pas, leurs occupants tendent à l’entrée des lambeaux de tissu terminés par des morceaux de métal, afin que le cliquettement les alerte d’une intrusion nocturne. Il n’est pas rare que des personnes retenues me demandent de retourner en prison : en comparaison, c’est le paradis ! L’argent ne serait-il pas mieux employé à les aider à retourner dans leur pays ?

Mme Edwige Diaz (RN). Rien de nouveau sous le soleil, pour reprendre une formule bien connue. Comme les années précédentes, vous dressez les mêmes constats. Vos recommandations ne sont pas suffisamment suivies par les établissements et les ministères, les procédures sont trop lentes et souvent inefficaces, et l’on peine toujours à trouver l’utilité de votre autorité.

Pourtant, même en l’absence de résultats satisfaisants, l’entité que vous pilotez coûte toujours davantage aux contribuables français. Vous êtes à la tête d’une équipe de soixante et onze personnes ; votre budget, en croissance, a atteint 6 millions d’euros en 2023, dont 80 % sont alloués à la rémunération des effectifs et 20 % aux missions concrètes que vous devez remplir. Plus alarmant encore à l’heure où l’État est touché par une dette abyssale, vos frais de mission ont augmenté de 10 % par rapport à 2022, pour frôler 390 000 euros. Vous expliquez cette flambée par la hausse des frais de transport ; cela donne raison, une fois de plus, au Rassemblement national qui défend la baisse de la TVA pour les énergies.

Pour couronner le tout, votre budget augmente presque chaque année : 5 millions en 2018 et 2019, 5,3 millions en 2020 et 2021, 5,4 millions en 2022 et 6 millions en 2023, l’équivalent du coût de construction de trente-cinq cellules qui auraient contribué à désengorger la population carcérale. Face à l’utilisation contestable de cet argent au détriment d’une vraie politique carcérale, je m’interroge. Êtes-vous satisfaite de cette situation qui vous offre une place confortable – votre salaire avoisine les 10 000 euros mensuels –, ce qui explique que vous ne vouliez pas changer les choses ? Votre officine n’est-elle pas plutôt affreusement inutile ? Il est temps d’en tirer les conclusions. À quand une meilleure utilisation de l’argent des Français ?

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Je tiens, pour ma part, à saluer les travaux menés par votre institution, madame la Contrôleure ; ils sont indispensables au bon fonctionnement de notre démocratie et nous distinguent d’autres régimes. Vos constats peuvent déranger, mais ils nous invitent à améliorer nos politiques et la situation des personnes détenues.

La surpopulation carcérale explose. Comme vous, je salue le travail mené sur ce sujet par Caroline Abadie et Elsa Faucillon. Quelles mesures préconisez-vous d’en retenir ?

Depuis plusieurs années, des efforts considérables ont été menés pour renforcer le statut de travailleur détenu ainsi que l’accès à l’activité et à la formation professionnelle en détention. Quel bilan dressez-vous de cette politique ?

Vous avez saisi le ministre de l’intérieur et des outre-mer en juin dernier au sujet d’instructions données par certaines préfectures à des établissements de santé mentale durant les Jeux olympiques. Quelle réponse avez-vous obtenue de la part du ministère ?

Enfin, j’ai été alerté par des acteurs engagés dans la lutte contre les addictions en détention. La France dispose depuis 2021 de nouveaux traitements dits retard, dont l’utilité est démontrée par des études internationales : la réincarcération des patients qui les suivent diminue de moitié. Qu’est-il fait pour renforcer l’accès à ces traitements ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Merci pour cette présentation de votre rapport, dont je ne vous cache pas qu’elle donne l’impression d’une redite des années précédentes, avec cependant une aggravation de la situation.

Avec 3 473 matelas au sol dans les prisons françaises au 1er août 2024, ce ne sont pas les trente-cinq cellules supplémentaires proposées par Mme Diaz qui permettront de sortir de telles difficultés. Il est vrai que le Rassemblement national suggère aussi de rétablir les peines planchers, qui n’ont jamais fonctionné et n’auront pour seul effet que d’allonger la durée d’incarcération, laquelle est déjà notre principal problème puisqu’elle conduit à la surpopulation actuelle. Il propose donc, de fait, d’aggraver la souffrance au travail du personnel pénitentiaire et celle des personnes détenues, souffrance qui favorise la récidive plutôt que la réinsertion. Le Rassemblement national est ainsi le meilleur moteur de la récidive en France, le plus grand ami des délinquants – sans parler de ceux qui conduisent sans permis… Quant à sa proposition de créer de nouvelles places de prison, celles-ci se remplissent généralement plus vite qu’elles ne sortent de terre.

Au fond, le Rassemblement national est un sympathisant des condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) – non pas que les droits humains soient son « truc » ; ses membres sont plutôt des capitulards face à la situation.

Il existe pourtant une solution, avancée depuis maintenant plusieurs années : le mécanisme de régulation carcérale. Je constate que nos collègues macronistes en parlent désormais de façon positive. Avez-vous, madame la Contrôleure, des annonces à faire quant aux nouvelles positions des macronistes qui, étant devenus minoritaires, pourraient avoir retrouvé une once de courage ?

Mme Colette Capdevielle (SOC). Je vous félicite pour votre travail. À la lecture de votre rapport, je me suis demandé s’il portait bien sur la France du XXIe siècle, tant l’État de droit semble s’arrêter à la porte des lieux privatifs de liberté, qui paraissent imperméables aux évolutions du monde. Les CRA, par exemple, se transforment en prisons sans même que le contrôle d’un juge judiciaire soit garanti, ce qui pose un problème de constitutionnalité, qui devrait tous nous interpeller.

Les peines planchers refont surface dans les programmes des candidats de droite. Quelles en seraient les conséquences directes au regard de la surpopulation carcérale ?

En mars 2021, au cours des débats sur le projet de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, évoquait la question du contrat de travail pour les détenus. Jugez-vous légitime que le code du travail puisse enfin entrer dans les lieux privatifs de liberté ?

Pour les femmes, qui ne représentent que 4 % des détenus, l’accès à des conditions d’hygiène correctes est toujours compliqué. Or, le droit à la douche quotidienne n’est pas un luxe, mais une absolue nécessité. Les soins gynécologiques et la prévention vous semblent-ils totalement inexistants dans les lieux privatifs de liberté accueillant des femmes ?

Avez-vous remarqué dernièrement que le recours à la garde à vue – qui se déroule le plus souvent dans des locaux immondes – plutôt qu’à l’audition libre tend à devenir la règle ?

Enfin, élue dans une circonscription du Pays basque, je tiens, avec mes collègues Peio Dufau et Inaki Echaniz, à vous alerter sur la situation de deux prisonniers basques, dont une femme, qui sont toujours soumis au statut de détenus particulièrement signalés (DPS), malgré le processus de paix enclenché depuis de nombreuses années. Je vous saisirai officiellement de ce cas totalement incompréhensible.

Mme Émilie Bonnivard (DR). La sanglante évasion de Mohamed Amra en mai 2024 a mis en lumière les failles du système. J’ai une pensée pour les familles des deux agents pénitentiaires tués dans ces circonstances, Fabrice Moello et Arnaud Garcia. Ce drame a révélé la situation de nos prisons : Mohamed Amra avait transformé sa cellule en un véritable bureau de télétravail, depuis lequel il pouvait commanditer des enlèvements ou se faire livrer de la drogue. Il a bénéficié, durant des mois, des visites régulières de complices qui utilisaient l’identité de sa sœur pour accéder au parloir. Malheureusement, ce cas n’est pas isolé.

Depuis la loi pénitentiaire de 2009, les fouilles systématiques lors des visites au parloir sont interdites. Leur rétablissement constituerait-il une avancée opportune ? Dans le cadre de la mission flash que j’ai conduite sur les transfèrements et extractions, les syndicats de surveillants pénitentiaires m’ont unanimement fait valoir qu’il était absolument nécessaire de rétablir des fouilles systématiques pour réduire l’insécurité et les trafics en prison. Ils doivent pouvoir faire respecter les règles en détention pour assurer la sécurité de tous.

Pour lutter contre la surpopulation carcérale, vous préconisez la régulation. Le groupe Les Républicains s’est quant à lui toujours battu pour augmenter le nombre de places de prison, en vue d’améliorer les conditions de détention et les conditions de travail des personnels. Le Gouvernement s’est engagé à construire 3 000 places supplémentaires d’ici à 2027. Quel regard portez-vous sur la probabilité que cette annonce se concrétise ?

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Votre rapport rappelle, une fois de plus, le caractère particulièrement dramatique de la surpopulation carcérale en France et ses conséquences très concrètes pour les détenus comme pour les professionnels du milieu. Rappelons que, le 6 juillet 2023, la France était, pour la deuxième fois en trois ans, condamnée par la CEDH en raison des conditions de détention inacceptables qui caractérisent ses prisons.

Certains veulent s’engager dans une fuite en avant sécuritaire aussi inutile que dangereuse, en durcissant la politique pénale – on en voit les résultats – et en construisant de nouvelles prisons, alors même que vous soulignez dans votre rapport qu’il ne s’agit pas d’une solution pérenne. Je préférerais que nous réexaminions ensemble les mécanismes conduisant à l’incarcération de prévenus, notamment la nature et la fréquence des condamnations – puisque des peines de prison sont parfois prononcées à un rythme industriel.

Les procédures accélérées sont la principale source de placement en détention. On comptait ainsi 58 893 comparutions immédiates en 2022. Les détenus comparaissent souvent après avoir passé vingt-quatre à quarante-huit heures en garde à vue, dans les conditions déplorables que vous décrivez dans votre rapport. Ils sont épuisés, alors même qu’on attend d’eux des réponses précises et cohérentes. Les avocats n’ont que très peu de temps pour prendre connaissance des dossiers et organiser une défense digne de ce nom, ce qui ne permet pas de respecter réellement les droits de la défense et les exigences d’un procès équitable. Les magistrats sont eux-mêmes soumis à un rythme effréné et parfois contraints de statuer tard la nuit, ce qui affecte nécessairement leur discernement, donc la qualité des décisions rendues.

En 2013, déjà, une étude empirique menée par Virginie Gautron et Jean-Noël Retière, deux maîtres de conférences en droit et en sociologie, montrait que la comparution immédiate multiplie par 8,4 la probabilité d’une condamnation à une peine de prison ferme par rapport à une audience classique. Chacun connaît les nombreux problèmes posés par cette procédure – de loin la plus utilisée en France en matière pénale –, tant pour les détenus que pour les professionnels de la justice. Cela n’a pourtant pas empêché le précédent Premier ministre de préconiser son durcissement, y compris pour les mineurs.

Au regard des atteintes aux droits et aux libertés fondamentales que vous avez observées, considérez-vous qu’il y a matière à légiférer pour réformer ces procédures et en restreindre l’usage afin de ne pas les banaliser et de mieux garantir les droits des personnes, tout en contribuant au désengorgement des lieux de détention ?

Mme Blandine Brocard (Dem). Votre rapport nous interpelle chaque année sur l’état de nos lieux de privation de liberté et sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires, qui s’engagent parfois au péril de leur vie. Je tiens d’ailleurs à leur renouveler notre soutien plein et entier.

Hélas, tel un très mauvais marronnier, la surpopulation carcérale et ses conséquences sont à nouveau au cœur de votre travail. Vous évoquez un taux moyen d’occupation de 146 %, ce chiffre atteignant même 250 % dans certaines prisons. La France est très régulièrement condamnée pour traitements indignes en raison des conditions de détention qui y ont cours. Il y a donc une impérieuse nécessité à trouver les voies et moyens pour résoudre vraiment cette situation, qui est une honte pour notre pays. Cela s’impose d’autant plus que la surpopulation carcérale constitue une contrainte majeure pour la politique d’exécution des peines d’incarcération, dont le coût global a été évalué à environ 4 milliards d’euros par la Cour des comptes. Elle concourt aussi à la récidive, alors qu’un des rôles de la prison consiste à réinsérer les détenus.

Sans remettre en cause totalement la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice adoptée récemment, vous semblez déplorer une approche uniquement carcérale et une attitude timorée en matière de régulation carcérale. Même si vous pouvez en contester l’opportunité, la création de nouvelles places de prison est pourtant une réponse parmi d’autres à la surpopulation carcérale.

Comment expliquez-vous que l’expérimentation de dispositifs dits de régulation carcérale, que vous appelez de vos vœux et qui permettraient de réguler les flux d’incarcération à l’échelle locale, ne se soit pas traduite par une baisse des taux d’occupation, comme le relevait la Cour des comptes en octobre 2023 ? S’il s’agit d’une question de moyens, à quel montant estimez-vous l’effort à fournir, dans la perspective des discussions budgétaires qui ne sauraient tarder ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Merci pour la présentation de votre rapport d’activité, qui dresse un constat connu de chacun d’entre nous quant à l’état des lieux de privation de liberté en France. C’est d’ailleurs sur la base de ce constat que la loi de programmation et d’orientation du ministère de la justice adoptée lors de la précédente législature, si elle ne réglera pas tout, prévoit 130 millions d’euros d’investissements pour rénover et moderniser le parc pénitentiaire, mais aussi des créations de postes dans l’administration pénitentiaire, ou encore une amplification des efforts consacrés aux aménagements de peine et aux mesures alternatives à l’incarcération.

Le texte prévoit, en outre, la création de 15 000 places de prison supplémentaires. Quelle pourrait être votre implication dans la conception et la construction de ces nouvelles structures ? Compte tenu de votre expérience, votre regard pourrait permettre d’éviter certains des écueils observés lors de vos visites.

Vous recommandez par ailleurs, pour revenir à des taux d’occupation acceptables, d’institutionnaliser un mécanisme de régulation carcérale. Si une telle mesure a été instaurée pendant l’épidémie de covid-19 à titre tout à fait exceptionnel, son application durable me semble poser question. Les juges qui prononcent des peines d’emprisonnement ferme ou des placements en détention provisoire sont parfaitement conscients des conditions de détention qui prévalent dans le ressort de leur juridiction. S’ils les prononcent, c’est donc qu’ils les estiment indispensables au regard des critères fixés par la loi. Dès lors, comment un mécanisme de régulation carcérale s’articulerait-il avec leur office ? Comment appréhendez-vous l’idée de détenus sortant de prison en dehors des demandes de liberté anticipée, qui répondent à des critères juridiques précis ?

Mme Elsa Faucillon (GDR). Ce rapport d’activité sur l’année 2023 devrait faire plus que nous préoccuper, au vu de la gravité de ce qui y est énoncé et de la répétition des constats qui y sont dressés. Sa lecture devrait nous inciter à agir rapidement, tant il semble ahurissant et révoltant, dans une démocratie, qu’un tel état de fait perdure. La surpopulation carcérale, le nombre de matelas au sol, les conditions de détention, les conditions de travail des agents, nous plongent dans une situation alarmante, non seulement en matière de droits humains, mais aussi au vu des missions assignées à la détention, puisqu’un environnement si dégradé accroît les risques de récidive et nuit au travail de réinsertion. Le sort des professionnels étant lié à celui des détenus, tous ceux qui abandonnent ces derniers à leur destin abandonnent également les professionnels qui interviennent en prison, au premier rang desquels les surveillants pénitentiaires. Vous indiquez d’ailleurs être alertée chaque jour par des captifs, mais aussi par des médecins, avocats, surveillants ou infirmiers. Vous décrivez aussi « une chaîne qui déraille », depuis l’ASE jusqu’à l’enfermement.

Je ne questionne évidemment pas votre utilité, que je crois d’autant plus grande que vous agissez en toute indépendance. Ce qui interroge, c’est plutôt l’utilité des politiques carcérales, pénitentiaires et judiciaires, depuis la comparution immédiate jusqu’à la sortie de prison. Caroline Abadie et moi-même avions proposé un système de régulation carcérale ; d’autres députés l’ont fait sous d’autres formes. Nous comptons bien poursuivre ce travail et nous espérons réunir une majorité pour le mener à bien. Que la construction de nouvelles places de prison permette de régler la question, je n’y crois pas : elle ne ferait qu’aggraver le problème. Qu’en pensez-vous ?

Mme Sophie Vaginay (UDR). Il ne faut pas oublier que notre système démocratique repose sur le respect de la peine pénale. C’est là un élément essentiel, qui permet la reconnaissance formelle du tort subi, garantit une certaine sécurité et contribue au processus de réparation, sur le plan matériel comme psychologique. Le système judiciaire, en rendant une décision juste et en la faisant respecter, joue un rôle central dans le rétablissement du sentiment de justice et de confiance pour la victime.

Le non-respect des peines pénales nuit gravement au bien vivre-ensemble en affaiblissant la confiance dans la justice, en augmentant l’insécurité, en favorisant les divisions sociales et en encourageant des comportements de vengeance ou de justice privée. Il est donc crucial que les peines soient appliquées de manière équitable et efficace pour préserver la cohésion sociale et garantir un climat de sécurité et de justice. Une régulation massive conduirait au non-respect des peines, qui aurait des conséquences importantes et pourrait revêtir des effets néfastes pour la société dans son ensemble.

Quelle serait la place des victimes d’infractions pénales dans le cadre d’une loi instaurant une régulation massive de la population carcérale ?

Mme Dominique Simonnot. À Mme Diaz, qui m’interroge depuis quatre ans sur l’utilité de ma fonction, je répète, comme les années précédentes, que ce qui lui apparaît comme un bilan dérisoire n’est pas perçu comme tel par les personnes enfermées ni par les personnels qui les soignent ou les gardent. Puisqu’elle s’étonne de l’importance du budget qui nous est alloué, je précise que mon équipe ne compte pas soixante et onze personnes, mais soixante, qui sont, après tout, vos yeux et vos oreilles dans les lieux d’enfermement. Hormis qu’il est un peu blessant de s’entendre accuser d’être inutile tous les ans, je vous assure que, si je jugeais ma propre action comme telle, je me serais sabordée depuis longtemps.

Mme Maria de Castro Cavalli, adjointe à la directrice des affaires juridiques. L’instauration d’un mécanisme indépendant de contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté répond à un engagement international : c’est en application d’un protocole facultatif se rapportant à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifié par la France, que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a été institué. Son existence ne témoigne donc pas uniquement d’un choix politique qu’on pourrait condamner : il s’agit d’une obligation s’imposant à l’État.

Mme Dominique Simonnot. J’en viens aux questions de M. Gouffier Valente. J’espère que les mesures préconisées par Caroline Abadie et Elsa Faucillon seront reprises. Assez prudentes, elles visent à parvenir à un taux d’occupation des prisons de 100 % en 2027, ce qui paraîtrait tout simplement normal. Quand cet objectif sera atteint et que la prison pourra marcher sur ses deux jambes que sont la punition et la réinsertion – ce qui suppose, par exemple, de permettre l’accès à l’enseignement et aux soins –, on comprendra alors que ce qu’on doit attendre d’une peine de prison, c’est que les détenus en sortent meilleurs, ce que leur traitement actuel ne permet pas. Rester enfermé avec deux autres personnes – souvent des hommes assez jeunes – dans 9 mètres carrés pendant vingt-deux, voire vingt-trois heures par jour sans jamais rien apprendre est une perspective effrayante, qui fait de la prison un temps à la fois mort et violent.

L’instauration d’une forme de contrat de travail pour les détenus est une très bonne chose, même si ces derniers restent insuffisamment payés. En la matière, on est en quelque sorte pris entre le marteau et l’enclume, car les entreprises qui emploient des prisonniers menacent, s’il leur était demandé de verser des salaires trop élevés, de se déporter vers les centres d’aide par le travail, option moins onéreuse et où les mesures de sécurité sont bien moins contraignantes. Je lance d’ailleurs un appel à ces employeurs : quand j’ai appris, lorsque j’étais journaliste, que des sociétés de luxe avaient recours à des détenus pour emballer leurs produits, on m’a demandé de ne pas l’ébruiter. J’estime au contraire que ces entreprises devraient se vanter de participer ainsi à un effort national de réinsertion – à moins qu’elles ne soient gênées par la faiblesse des salaires versés dans ce cadre.

S’agissant de l’interdiction qui avait été faite aux patients accueillis dans des unités psychiatriques fermées de sortir pendant le passage de la flamme olympique, je n’ai reçu aucune réponse du ministère de l’intérieur – comme souvent, d’ailleurs.

Quant à l’addiction en détention, avez-vous seulement vu les photos des seringues artisanales – contrairement aux préservatifs, ces dispositifs ne sont pas distribués en prison – fabriquées par les détenus ? Je vous assure qu’elles font froid dans le dos. Je ne sais pas si des traitements retard sont administrés en prison. Je peux vous dire, en revanche, que si les maisons d’arrêt tiennent, c’est en grande partie grâce à la drogue. Cette dernière entre dans les établissements par trois biais principaux : les parloirs, la corruption et les drones. À titre d’anecdote, un surveillant, me faisant remarquer au cours d’une visite la présence de papier toilette voletant à la fenêtre d’une cellule, m’expliquait qu’il permettait au détenu d’indiquer le sens du vent au lanceur situé à l’extérieur. Cette ingéniosité montre à quel point l’esprit humain est capable de contourner les tentatives de contrôle. Or, tous ceux qui connaissent ces sujets vous le confirmeront : la prison tient parce que les prises de drogue restent parcimonieuses et prudentes, et qu’on en laisse passer suffisamment pour que les détenus restent calmes.

Monsieur Bernalicis, je n’ai pas d’information particulière concernant l’aggravation de la surpopulation carcérale et les annonces y afférentes. Le Président de la République m’a indiqué vouloir instaurer une certaine régulation carcérale. Je lui ai demandé de le prouver. Les choses en sont là.

Je vous confirme, madame Capdevielle, que la vie dans les CRA s’apparente de plus en plus à une incarcération. Le rétablissement des peines planchers, quant à lui, aurait des conséquences catastrophiques sur la surpopulation carcérale, même si je ne dispose pas de chiffres précis. Le moment serait vraiment mal choisi pour prendre une telle mesure. Pour ce qui est des contrats de travail, je vous renvoie à la réponse que je viens de faire à votre collègue.

Les femmes sont bien mal récompensées d’être si peu nombreuses en prison : alors qu’elles ne représentent que 3,5 % des personnes incarcérées, elles sont disséminées aux quatre coins de la France, parce qu’on n’a pas cru bon de leur créer des établissements ad hoc, ce qui les éloigne de leurs proches et complique les visites. Quant aux soins gynécologiques, si l’on ne peut pas dire qu’ils sont totalement absents en prison, ils sont difficiles d’accès au même titre que les soins médicaux, en raison de la surpopulation carcérale. Enfin, j’attends avec un grand intérêt votre saisine, madame Capdevielle, concernant les prisonniers basques.

Concernant la sécurité en prison, l’évasion de Mohamed Amra a eu lieu le jour où je devais rendre public mon rapport annuel. J’ai tout annulé pour me rendre à Caen afin de participer à l’hommage aux deux agents pénitentiaires ; c’était une cérémonie déchirante. Quant aux projections en détention, elles sont devenues un fléau mais, au risque de vous surprendre, il s’agit souvent de projections de nourriture, en particulier de viande. Enfin, nous ne sommes pas favorables aux fouilles après les parloirs. On aura beau faire ce que l’on veut, de toute façon, tout rentre. Quand j’entends des magistrats dire au cours d’une audience « en prison, au moins, vous serez sevré », j’ai envie de me lever pour protester : la drogue circule en prison comme à l’extérieur – elle est simplement plus chère et favorise le caïdat.

S’agissant du nombre de places de prison, sur les 15 000 créations qui avaient été promises en 2017 et les 3 000 ajoutées à la demande du groupe LR, seules 5 000 sont sorties de terre. Éric Dupond-Moretti a inauguré, le 20 avril 2021, la prison de Mulhouse-Lutterbach, qui avait été promise par Michèle Alliot-Marie en 2010 : c’est vous dire ! Personne ne veut de prison près de chez soi, raison pour laquelle les petites prisons des centres-villes ferment alors qu’elles sont gérées de façon plus humaine, plus familiale. Cela s’y passe beaucoup mieux, en dépit de la surpopulation, que dans les paquebots construits dans des no man’s lands. Je prends toujours le « bus prison » qui va de la gare ferroviaire à la prison : je peux vous dire qu’on l’attend très longtemps et que si vous le ratez, vous pouvez rebrousser chemin. Je ne crois pas que les 15 000 places promises seront construites. Très peu sortent de terre et celles qui voient le jour ont en réalité été promises par des gouvernements précédents : on ne fait que reprendre les programmes antérieurs.

La réforme de la comparution immédiate était la passion de ma vie de journaliste et elle l’est encore aujourd’hui. Ce sont de mauvaises procédures : on ne peut pas juger en enchaînant les dossiers jusqu’à quatre heures du matin. On y envoie un peu n’importe qui, on juge des gens dont on ne sait pas grand-chose, dans des conditions assez lamentables qui ne permettent ni à l’avocat de travailler, ni au prévenu de se défendre, ni au magistrat de rendre des jugements appropriés.

La régulation carcérale locale n’a pas porté ses fruits, car elle consiste à transférer des détenus d’une prison trop pleine vers une autre prison un peu moins pleine : ce principe de vases communicants s’avère inopérant. Le mécanisme doit être géré au niveau national pour que cela fonctionne. Quant à la régulation carcérale proposée par Elsa Faucillon et Caroline Abadie, elle ne se moque pas de la décision des magistrats puisque ce sont eux qui prendront la décision à la sortie. Elle vise à favoriser des aménagements de peines, afin d’éviter les sorties sèches auxquelles mènent les diverses formules existantes. Les services pénitentiaires doivent encadrer les sortants : cela a été fait pendant l’épidémie de covid-19, cela pourrait se refaire. Les syndicats de magistrats eux-mêmes sont d’accord avec ce que nous proposons, à condition que cela soit inscrit dans la loi.

Bien que le risque de récidive soit important, son coût n’a pas été calculé. La Cour des comptes a néanmoins estimé que la politique d’incarcération représentait 4 milliards d’euros, ce qui ne manque pas de soulever des interrogations. J’ai l’espoir, tout comme le groupe de travail dont je vous ai parlé, que les travaux de Mmes Faucillon et Abadie trouveront une traduction concrète.

Concernant la place de la victime, il est souhaitable que celle-ci soit mieux indemnisée, mais également que les détenus sortent de prison accompagnés. Tout homme a le droit de sortir meilleur de prison, disait Robert Badinter. S’il y a moins de récidives, il y aura moins de victimes.

M. Yoann Gillet (RN). Votre rapport d’activité 2023 consacre une part importante aux établissements de santé mentale et au suivi de vos recommandations formulées dans le rapport thématique Soins sans consentement et droits fondamentaux de 2020. Vous y évoquez, à juste titre, l’état alarmant de la psychiatrie : manque de soignants, afflux massif de patients, locaux délabrés, conditions indignes de prise en charge – les dysfonctionnements sont nombreux. Vous recommandez de ne plus hospitaliser les enfants en secteur adulte et de développer des structures médico-sociales adaptées aux patients souffrant de pathologies chroniques.

Toutefois, un problème majeur n’est pas abordé dans votre rapport : la prise en charge des personnes radicalisées dans les établissements de santé avec d’autres patients, souvent vulnérables et donc influençables. Les risques – endoctrinement, agressions, incitation à la haine – sont réels. Je l’ai constaté moi-même il y a quelques jours : exerçant mon droit de visite dans un établissement psychiatrique, je suis tombé nez à nez avec un imam radicalisé ayant fait la une des médias. Sans vouloir polémiquer, ne serait-il pas plus utile de dénoncer cette situation, qui met en danger des personnes vulnérables et notre société, plutôt que la supposée stigmatisation des personnes radicalisées, comme vous l’avez fait dernièrement en soulevant la question du croisement de données avec le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste ?

Ma question est donc simple : soutenez-vous la création d’une unité spécialisée pour isoler les individus radicalisés et protéger les patients les plus vulnérables d’un risque évident d’endoctrinement ?

M. Vincent Caure (EPR). Dans les mois précédant la tenue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, de nombreuses voix du monde judiciaire se sont élevées pour alerter sur le risque que ceux-ci représentaient pour les prisons. En effet, le déploiement massif des forces de sécurité, combiné à l’afflux de millions de touristes, faisait craindre une suractivité judiciaire. Lors d’événements d’une ampleur comparable, on observe habituellement une augmentation de la délinquance d’opportunité – infractions à la billetterie et aux hébergements, petite délinquance sur la voie publique, contrefaçons. Dans le contexte d’engorgement carcéral que connaît notre pays, le monde judiciaire appréhendait une explosion des incarcérations au cours de l’été, potentiellement insoutenable pour un système déjà fortement sous tension.

Quelques jours après la fin des Jeux paralympiques, êtes-vous en mesure de dresser un bilan de la manière dont les Jeux se sont passés du point de vue de notre système carcéral ? Les craintes manifestées en amont étaient-elles fondées ? Pouvons-nous tirer des leçons des Jeux en matière de gestion des lieux de privation de liberté ?

Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Au mois d’août, un adolescent de 16 ans a été retrouvé pendu dans sa cellule de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Porcheville. Je pense à tout ce qui peut conduire un jeune à passer à l’acte alors qu’il est avant tout en danger et que la République est censée le protéger des autres comme de lui-même. En lisant votre rapport, j’ai été alertée par la tendance à la hausse du nombre de jeunes souffrant de troubles psychiatriques ou cognitifs, envoyés dans des centres éducatifs fermés alors qu’ils n’ont rien à y faire, sans personnel formé pour les accompagner.

Puis j’apprends la décision du gouvernement démissionnaire de raboter les dépenses de personnel allouées à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), dont les agents seront en grève demain – je me permets, au nom de mon groupe, de leur apporter notre soutien sans faille. On prive cette institution essentielle des moyens de donner aux mineurs en conflit avec la loi un cadre stable par l’assurance de la primauté de l’éducatif sur le répressif. Je crains que les conquis de l’ordonnance de 1945 ne soient encore plus attaqués par le prochain gouvernement Barnier, sous les encouragements du Rassemblement national.

L’enseignement donné aux mineurs dans les lieux de privation de liberté est seul à même d’offrir un avenir à des êtres en construction. Je remarque par exemple, dans votre récent rapport de visite du CEF du Vigeant, qu’aucun enseignant n’y intervient depuis l’été 2023, ni aucun éducateur technique depuis trois ans. Avez-vous constaté une dégradation de l’enseignement, notamment dans les établissements pénitentiaires pour mineurs et dans les CEF, au cours de l’année écoulée ? Le cas échéant, proposez-vous des pistes d’évolution législative précises pour y remédier ?

Enfin, je veux vous dire tout mon soutien face aux attaques récurrentes que vous devez endurer chaque année quand vous venez nous présenter votre exposé. Merci beaucoup, madame Simonnot.

M. Roger Vicot (SOC). Je veux souligner à mon tour la qualité et surtout la nécessité de votre travail.

On sait maintenant absolument tout sur la prévention de la récidive, notamment depuis la conférence de consensus organisée par Christiane Taubira en 2013. On dispose d’une bibliographie mondiale quasi exhaustive sur le sujet ainsi que de l’évaluation des dizaines d’expérimentations et d’initiatives prises dans ce domaine, essentiellement à l’étranger. On dispose d’éléments statistiques mais aussi d’études très complètes et documentées sur les ressorts de la récidive et de la désistance, c’est-à-dire de la sortie de la délinquance. On a donc à peu près tout sous la main pour pouvoir mettre en œuvre ce qui permettrait d’éviter la récidive et de désengorger les prisons, plutôt que de créer indéfiniment de nouvelles places.

Vous qui avez eu l’occasion de vous entretenir avec des responsables pénitentiaires et avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), comment considérez-vous la manière dont la France aborde la question du sens de la peine ? La peine est-elle une vengeance, une punition, ou doit-elle avoir une dimension de rédemption, tant pour le condamné que pour la société ?

M. Fabien Di Filippo (DR). La privation de liberté doit résulter de l’application d’une sanction, mais aussi constituer le premier pas vers la réinsertion. Or vos propos sur le travail des détenus et sur la gestion des addictions en prison m’inquiètent fortement. Accompagner la consommation de stupéfiants en mettant à disposition des seringues, cela revient à la perpétuer : lorsqu’ils sortiront de prison, ils rencontreront exactement les mêmes difficultés que lorsqu’ils y sont entrés. Vous me répondrez sans doute qu’un sevrage ne se fait pas de cette manière-là mais, quoi qu’il en soit, le « zéro drogue dans les prisons » doit être un préalable à toute réinsertion. Vous voyez bien les processus dans lesquels les toxicomanes sont enfermés : c’est une dérive dont on ne se relève jamais. La prison doit être l’occasion d’en sortir.

De même, le travail, premier pas vers la réinsertion, ne devrait-il pas être obligatoire pour donner aux détenus l’opportunité de reconstruire un équilibre de vie ? Cela donnerait lieu au versement d’un salaire et à la prise en charge d’une partie des frais carcéraux.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Vous abordez dans votre rapport les gardes à vue effectuées lors des manifestations contre la réforme des retraites. Votre rapport fait état de nombreuses interpellations violentes et de comportements inappropriés : tutoiement systématique, injures, menaces. Presque toutes les personnes interpellées ont indiqué avoir subi des violences ou en avoir été témoins : coups de matraque, balayettes, plaquages au sol ou contre un mur.

Les contrôleurs ont constaté diverses irrégularités affectant les procédures consultées : fiches d’interpellation mal renseignées, absence de précision sur les circonstances de l’interpellation, cases cochées au hasard, distribution de fiches préremplies aux agents interpellateurs. Dans la majorité des procédures consultées ne figurait par ailleurs aucun procès‑verbal détaillé exposant le contexte de l’interpellation, les éléments susceptibles de caractériser une infraction. Les personnes interpellées dans le cadre des manifestations ont généralement été privées de liberté pour la nuit, la durée des gardes à vue avoisinant les vingt‑quatre heures dans des procédures à 80 % classées sans suite, alors même que la grande majorité des personnes rencontrées étaient placées en garde à vue pour la première fois.

Tous les contrôles menés vous ont permis de conclure que les instructions données par la préfecture de police et le parquet de Paris ont été de recourir massivement, à titre préventif, à la privation de liberté à des fins de maintien de l’ordre public, si bien que vous mentionnez des constats d’atteinte grave aux droits fondamentaux des personnes enfermées, en violation des textes applicables. Comment de telles atteintes à l’État de droit, qui, je le rappelle, repose sur le principe démocratique d’une soumission à la loi de l’action de l’État et de ses administrations, peuvent être ainsi documentées sans entraîner aucune conséquence légale ou politique ? Quelles dispositions seraient de nature à faire cesser et à interdire la mise au point de stratégies et d’instructions fondées sur des pratiques illégales ?

M. Éric Martineau (Dem). Un rapport réalisé par deux chercheuses en sociologie du droit et de la justice dresse un bilan globalement positif mais nuancé de la justice restaurative en France. Selon l’équipe de recherche, ce dispositif présente un potentiel prometteur mais son efficacité reste limitée en raison du manque de ressources matérielles et humaines qui lui sont consacrées. Alors que la justice restaurative connaît un engouement en France depuis une dizaine d’années, quel est votre avis sur ce mécanisme ? Avez-vous observé une baisse de la récidive lorsqu’il est pratiqué ?

Mme Naïma Moutchou (HOR). Vous avez soulevé dans votre rapport le sujet du contrôle des moyens de communication, notamment le téléphone portable, en prison. La hausse de la circulation illégale de téléphones dans les établissements pénitentiaires est préoccupante, avec des saisies qui portent désormais sur des centaines, voire des milliers de téléphones, et une couverture de seulement 20 % des prisons par des brouilleurs, lesquels sont parfois obsolètes. Les moyens de lutte sont donc insuffisants.

Ce problème n’a rien d’anecdotique. J’ai souvenir d’une association de lutte contre les violences faites aux femmes qui m’avait contactée, il y a quelques années, à propos d’une femme victime de violences de son ancien compagnon qui, bien que condamné, continuait à la harceler et à la menacer depuis la prison. Quelle proposition pouvez-vous faire sur ce sujet ?

Par ailleurs, je n’arrive pas à obtenir de réponse concernant la limite d’âge pour les visiteurs de prison, fixée à 75 ans par une circulaire du 2 août 2007. Cette limite d’âge est source d’inquiétude pour les associations de visiteurs, notamment l’Association nationale des visiteurs des personnes sous main de justice : cette dernière bénéficiait d’une convention passée avec M. Laurent Ridel, alors directeur de l’administration pénitentiaire, qui prévoyait de remplacer la limite d’âge par un entretien annuel avec le directeur de l’établissement – une solution plutôt satisfaisante. Or, la convention n’est plus en vigueur, ce qui est regrettable car on risque de perdre 20 % à 40 % de visiteurs de prison. Quel cadre réglementaire pourrait-on imaginer pour l’avenir ?

Mme Dominique Simonnot. Vous dites, monsieur Gillet, avoir croisé un imam radicalisé en hôpital psychiatrique. J’imagine qu’il y était parce que son état le nécessitait. Pour ma part, j’en ai déjà croisé en détention mais jamais en hôpital psychiatrique, et on ne m’a pas rapporté de tels faits. J’y ferai très attention.

S’agissant de l’impact des Jeux olympiques, tout le monde avait prédit une catastrophe, et pas seulement pour la surpopulation carcérale. Or, cela ne s’est pas produit – les prisons comptaient 78 500 détenus au 1er août 2024. Il y a toujours une petite baisse en été. Celle-ci est-elle moindre à cause des JO ? Sans doute, mais il n’y a pas eu l’explosion prévue. L’augmentation est continue, jour après jour.

Concernant le drame de Porcheville, on trouve de plus en plus d’enfants dans les centres éducatifs fermés qui n’ont rien à y faire car ils sont atteints de troubles psychiques et cognitifs. Ainsi, j’ai vu un gamin de 17 ans qui suçait son pouce, avec une « tototte » et un doudou. Il vivait dans une voiture avec ses parents et personne ne s’en était inquiété jusqu’à ce qu’il commette le délit qui l’avait amené là. Il faut absolument multiplier les centres où l’on soigne ces enfants. La situation est comparable à celle de l’hôpital psychiatrique, où on les mélange avec les adultes à 15 ans et 3 mois parce qu’il n’y a pas de place ni de pédopsychiatre.

La baisse des effectifs de la PJJ devrait s’arrêter. Les contrats qui avaient été suspendus pendant plusieurs mois en raison de restrictions budgétaires devraient reprendre fin octobre. Nous ne savons pas toutefois si l’on pourra réembaucher les mêmes éducateurs qui, peut-être, ont déjà retrouvé un travail.

Concernant le sens de la peine, si l’objectif est de se venger de quelqu’un en l’envoyant en prison, alors c’est très bien car la prison est une forme de châtiment corporel : on y est bouffé par les vermines et envahi par les cafards, qui sont vecteurs de maladies. J’ai ainsi rencontré des détenus qui avaient attrapé la leptospirose, transmise par l’urine de rat. Si c’est cela que l’on veut, très bien, mais il ne faut pas s’attendre à ce que la récidive baisse. À mon sens, ce que l’on attend d’une peine, c’est que les gens sortent de prison meilleurs qu’ils ne l’étaient en entrant et avec un véritable but dans la vie.

Monsieur Di Filippo, au fond, je pense comme vous : accompagner les toxicomanes en prison en leur fournissant des seringues, c’est se résigner à les maintenir dans cet état. Cependant, il faut regarder les choses en face : les prisons tiennent parce qu’on y fume de la drogue, qui calme les détenus. Visitez les prisons : on se croirait parfois dans certains quartiers du 19e arrondissement ! Je comprends ce que vous dites, mais c’est vivre sur un nuage que de penser autrement.

Les manifestations contre la réforme des retraites ont donné lieu à des gardes à vue préventives illégales ; même le préfet de police l’a reconnu. Les procédures n’étaient ni faites ni à faire, et quand on demandait aux agents pourquoi ils avaient interpellé telle ou telle personne, ils étaient incapables de répondre. Les instructions en ce sens dataient des gilets jaunes.

Monsieur Martineau, je m’intéresse énormément à la justice restaurative, j’écoute ce que l’on dit à ce sujet, j’assiste à des colloques, mais cela ne correspond pas tout à fait à mon périmètre de compétence. La justice restaurative est certainement efficace ; la France devrait sans doute aller plus loin dans la mise en œuvre de cette politique, à laquelle nous n’accordons pas tous les moyens nécessaires. Cependant, ce serait prétentieux de ma part que d’affirmer que cette solution fonctionne ou qu’elle ne fonctionne pas. Les expériences en la matière sont très encourageantes mais, à vrai dire, je ne sais pas à quel point la justice restaurative pourrait être efficiente si l’on y consacrait plus de moyens.

Madame Moutchou, l’opérateur Telio a installé gratuitement des téléphones dans les cellules, mais vous savez sans doute combien le coût des communications en prison est effarant. C’est particulièrement le cas dans les outre-mer, puisque les appels de la Guadeloupe vers la Guadeloupe, par exemple, passent par Paris et sont facturés en conséquence. Je ne vous cache pas que tous les détenus ont des portables et qu’ils négocient avec les directeurs des heures sans brouilleurs – c’est une directrice qui me l’a raconté. Du reste, il n’est pas commode de téléphoner avec deux codétenus serrés contre vous ! Alors oui, il y a des milliers de portables en prison, et ils ne sont pas livrés uniquement dans les parloirs. Peut-être connaissez-vous cette anecdote célèbre : après une saisie massive de portables en prison, deux juges d’instruction ont appelé en hurlant la direction de l’établissement pour que les téléphones confisqués soient restitués aux détenus, car ils étaient placés sur écoute.

Je suis très préoccupée par la limite d’âge imposée aux visiteurs de prison. Cette décision, qui ne s’applique qu’en Île-de-France, est fondée sur une vieille circulaire dont on ne sait pas trop pourquoi elle a été remise au goût du jour. Je pense cependant que le problème est en passe d’être réglé. Si les visiteurs âgés de plus de 75 ans sont toujours en forme, je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas continuer de rencontrer des prisonniers qui ont énormément besoin d’eux.

Mme Pascale Bordes (RN). Je suis loin de souscrire à votre proposition de mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale. Pour vous, si un magistrat estime en son âme et conscience, sur la base de l’ensemble des éléments d’un dossier, tant factuels que tenant à la personnalité du prévenu, qu’une peine de prison est la sanction la plus appropriée, il devrait obligatoirement renoncer à prononcer une telle sanction dès lors que le plafond de 100 % de taux d’occupation serait atteint. Cela revient à faire des magistrats des logisticiens, des gestionnaires de stock de places de prison. Cela revient à interdire à un magistrat de prononcer, en son âme et conscience, la décision qu’il juge la plus adaptée au regard de la situation et des intérêts tant du délinquant que de la victime et de la société. C’est porter atteinte au pouvoir décisionnaire du magistrat.

Je perçois votre intérêt majeur pour les délinquants, mais que faites-vous de la fonction de magistrat, que vous réduisez au rang de programmateur informatique chargé de la gestion des places de prison ? Que faites-vous de l’indépendance des magistrats, qui constitue pourtant une garantie de notre État de droit et la condition sine qua non de la confiance de la société en la justice ? Que faites-vous des intérêts de la société ? Que faites-vous des dispositions de l’article 707, alinéa 2, du code de procédure pénale, aux termes duquel le régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise non seulement à préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée, mais également à éviter la récidive ? Que faites-vous, enfin, des intérêts des victimes, à l’heure où nous assistons à une explosion de la violence et où la protection de nos concitoyens passe, à mon sens, par une réponse pénale ferme et la construction effective d’un nombre important de places de prison, et non par la libération de délinquants et de criminels faute de places de prison suffisantes ?

M. Jean Terlier (EPR). Je ne partage pas du tout votre avis sur les centres éducatifs fermés, ou du moins sur la présentation que vous en avez faite en racontant l’expérience d’un jeune mineur en difficulté. Je pense, au contraire, que ce dispositif permet d’assurer la protection d’environ douze mineurs dans chaque CEF et leur encadrement très personnalisé par les douze à quatorze professionnels que compte généralement l’équipe éducative. Les magistrats avaient d’ailleurs demandé que l’on aille plus loin, et c’est ainsi que la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, alors défendue par Nicole Belloubet, a permis la création de vingt nouveaux centres. Vous conviendrez que les CEF sont, en quelque sorte, l’antichambre de la prison pour des mineurs parfois multirécidivistes et en grande difficulté. Ils représentent certes un coût pour la société, mais l’encadrement proposé me semble plus que pertinent.

Je vous rejoins s’agissant des difficultés que rencontrent les surveillants pénitentiaires dans l’exercice de leur métier, qu’il est compliqué de rendre attractif. Vous auriez cependant pu mentionner la revalorisation sans précédent de leur grille indiciaire par la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Cette mesure était très attendue, et l’audition de représentants de l’ensemble des syndicats de surveillants pénitentiaires a confirmé qu’elle allait plutôt dans le bon sens.

Je termine en évoquant les conséquences positives de la promulgation du code de la justice pénale des mineurs. Ainsi, la création du mécanisme de la césure a permis de diminuer de moitié le délai moyen de jugement, ramené de dix-huit à un peu moins de neuf mois. Les mineurs délinquants passent désormais devant le juge dans un délai de trois mois, ce qui a un impact sur leur détention provisoire.

M. Marc Pena (SOC). Je vous remercie pour votre rapport circonstancié et sérieux, ainsi que pour votre travail et votre engagement.

Je reviens sur la situation des centres de rétention administrative, que vous avez évoquée brièvement : chacun en conviendra, il s’agit en fait de centres de détention. L’absence totale de juge judiciaire pour contrôler ces CRA constitue une incongruité, voire un scandale. C’est pire que de contrevenir aux principes de l’État de droit et de la Constitution : c’est faire fi du droit tout court. Voilà où nous en sommes arrivés en menant une politique démagogique et complètement inefficace en la matière. En tant que juriste, je vois dans la question prioritaire de constitutionnalité une solution possible pour régler ce problème, mais cette voie est très peu opérante. J’invite donc tous mes collègues députés, à l’exception de ceux du groupe Rassemblement national, à légiférer dans ce domaine. Nous ne pouvons pas accepter que des centres de rétention administrative fonctionnent sans contrôle de la justice, pour parler de manière générale, et sans contrôle du juge judiciaire, dont je rappelle qu’il est le gardien de nos libertés.

M. Andy Kerbrat (LFI-NFP). Loin des délires sur la radicalisation en psychiatrie, j’essaierai de me concentrer sur un problème sérieux : la prison n’est pas un lieu de soins, et les lieux de soins ne sont pas des prisons.

Votre rapport débute par cinq témoignages qui mettent en lumière l’état alarmant de la privation de liberté dans notre pays. Parmi eux, celui d’un patient en psychiatrie soumis à la contention physique, pieds et poings liés sur son lit, sans moyen de faire ses besoins et sans visite pour s’assurer de son état pendant plus de douze heures. Cette pratique très violente, bien qu’encadrée, marque la réapparition de l’asile en France.

La contention physique accompagne ainsi le recours démultiplié à l’isolement et la généralisation des hospitalisations sans consentement. Les causes sont multiples et anciennes : destruction de l’hôpital, fermeture de dizaines de milliers de lits en psychiatrie, diminution coupable du nombre de structures ambulatoires, retour en force d’une mentalité qui stigmatise les déviances, diabolise la folie et ramène la coercition dans le domaine du soin. Cette politique disciplinaire se pratique de plus en plus hors du cadre légal. Vous pointez du doigt des pratiques sur des mineurs pourtant strictement interdites et un recours important à la coercition dans des établissements qui n’y sont pas habilités.

Un grand flou entoure la contention chimique. Cette dernière est pourtant régulée aux Pays-Bas, qui sont paradoxalement les seuls à prendre au sérieux les risques que présente l’administration forcée de traitements psychotropes dans le contexte médical. Vous semble-t-il souhaitable de commencer à évaluer voire à réguler l’usage des camisoles chimiques en France ?

Dans votre rapport, vous prenez aussi le soin de rappeler les orientations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui insistent sur la nécessité du consentement du patient et de la prise en compte de ses observations et volontés dans le choix du traitement. La proposition principale de ces deux institutions consiste à désinstitutionnaliser le secteur psychiatrique, à supprimer sa dimension coercitive et surmédicalisée pour favoriser une approche de la santé mentale fondée sur le respect des droits humains, ainsi qu’à repenser la relation entre le professionnel de santé et le patient afin de permettre un accompagnement personnalisé. Cette désinstitutionnalisation vous paraît-elle possible en France ? Quelles seraient ses vertus et ses limites ?

M. Jiovanny William (SOC). Faites-vous un lien entre les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées, d’une part, et les centres de détention situés dans leur giron, d’autre part ? Ne pensez-vous pas que des moyens supplémentaires devraient être consacrés à ces centres, qui accueillent des personnes incarcérées ou placées en détention provisoire dans une situation très difficile ?

Comme nous l’avons déjà vu les années précédentes, il n’existe pas de suivi psychiatrique dans les territoires ultramarins. Il n’y a pas d’unités pour malades difficiles (UMD), pas d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). La ministre de la santé, Mme Vautrin, l’a admis très clairement. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’une rupture d’égalité ? Dès lors, que faut-il faire ?

M. Romain Baubry (RN). Les visites et contrôles d’établissements pénitentiaires que vous réalisez vous conduisent à être témoin du fonctionnement des prisons et des habitudes des personnes détenues. Votre rapport se veut notamment critique quant à l’éloignement géographique des détenus par rapport à leurs proches ; pour pallier cette altération des relations avec l’extérieur, il ne propose rien de moins que d’autoriser l’utilisation de la messagerie électronique et du téléphone mobile. Oublions l’usage qu’en feraient les détenus pour harceler leurs victimes, par exemple leur ex-compagne, ce qui les a parfois amenés en prison ; pour continuer de gérer leur trafic de stupéfiants ; pour commanditer aussi des meurtres ou organiser des évasions, ce qui a conduit à l’assassinat de deux surveillants pénitentiaires il y a quelques mois. Ne pensez-vous pas que la sécurité devrait être la priorité et qu’il faudrait éviter de mettre davantage en danger les agents pénitentiaires, ainsi que la société tout entière ? Ne faudrait-il pas, au contraire, mettre davantage de moyens pour rendre nos prisons hermétiques et lutter contre l’introduction et l’usage des téléphones portables en détention ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Que la justice passe et que les peines d’incarcération prononcées puissent être appliquées, c’est la moindre des choses – vous l’avez dit tout à l’heure, c’est un prérequis. Or, aujourd’hui, la justice française sert davantage à réprimer la pauvreté engendrée par les politiques d’ensauvagement libéral et d’injustice sociale. Mais là n’est pas ma question.

La France n’en finit plus d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour conditions indignes de détention. Comme en témoigne votre rapport, la situation est extrêmement préoccupante – nous avons encore atteint un pic de surpopulation carcérale – et elle ne cesse de s’aggraver au fil du temps. Pourtant, alors que les associations, les professionnels, les personnes détenues, les agents pénitentiaires et les institutions nationales ne cessent de lancer des alertes, alors que les conditions de détention sont de plus en plus attentatoires à la liberté humaine, le ministre de la justice a décidé de restreindre le droit de visite des parlementaires et des bâtonniers dans les lieux de privation de liberté.

L’article 719 du code de procédure pénale permet, entre autres, aux parlementaires et bâtonniers de visiter les lieux de privation de liberté de manière inopinée afin d’exercer un contrôle et de constater les conditions dans lesquelles les personnes sont enfermées. Or, en plein été, le jour de la démission du Gouvernement, une note encadrant ce droit de visite a été modifiée : a notamment été retirée la mention selon laquelle les députés que nous sommes pouvaient s’entretenir avec des personnes détenues hors la présence du cadre pénitentiaire chargé de la visite, c’est-à-dire de manière confidentielle. Cela vient limiter l’effectivité de notre droit, puisque nous nous déplaçons précisément pour voir et entendre ce que les personnes enfermées ont à dire et à dénoncer, notamment en échangeant avec elles librement et sans filtre. Ce droit de visite, qui se trouve diminué, est pourtant nécessaire pour nous permettre de signaler les situations contraires aux droits humains.

Que pensez-vous de cette modification ? Comment ne pas craindre que la possibilité de nous entretenir de manière confidentielle avec les personnes détenues soit désormais à la discrétion du cadre pénitentiaire, qui n’est plus contraint par une circulaire ministérielle ?

Mme Marie-France Lorho (RN). Dans votre rapport annuel, vous soulignez que « la multiplication des drones permet l’introduction en détention d’objets en tout genre […] qui favorisent des trafics et les violences qui en résultent ». Ce phénomène croît en permanence : en octobre 2023, 600 survols ou tentatives de survol avaient été repérés depuis le début de l’année, contre vingt-huit en 2022. Récemment, au cours des Jeux paralympiques, un drone à destination d’une prison parisienne a été intercepté. Ces livraisons de téléphones, de drogue ou d’armes mettent en danger le personnel pénitentiaire. Elles permettent d’orchestrer de potentielles évasions, fragilisent la sécurité des établissements et mettent en péril la vie de certains détenus. Pourtant, dans votre dernier rapport d’activité, ce phénomène n’a, me semble-t-il, que très peu retenu votre attention. Quelles recommandations entendez-vous formuler face à la croissance fulgurante du recours aux drones dans les établissements pénitentiaires français ?

Mme Dominique Simonnot. Madame Bordes, je me doutais que vous étiez opposée à la régulation carcérale. Pourtant, les syndicats de magistrats ont participé au groupe de travail que nous avons réuni. La régulation carcérale, cela ne veut pas dire qu’une personne condamnée par un juge à un an d’emprisonnement n’exécutera pas sa peine : elle pourra être incarcérée, mais peut-être un autre détenu sortira-t-il de prison un peu avant le terme de sa peine… Cela s’est fait pendant la crise du covid-19 et cela se fait toujours dans de nombreux pays européens sans provoquer de drame ni de hausse de la récidive. Je vous assure que cette idée est très intéressante.

Visitez, comme je l’ai fait, les prisons allemandes. Vous y trouverez peut-être le modèle sur lequel nous pourrons nous entendre : un seul détenu par cellule, du travail pour tout le monde, moins de récidive à la sortie.

Nous n’avons parlé que de la prison, mais ce n’est pas la seule peine existante. Je vois vos gestes de dénégation : vous pensez qu’en dehors de la prison, il n’y a pas de peine. Or, certaines peines conviennent à certains délinquants mais ne conviennent pas à d’autres. Certes, la prison peut être utile, mais elle n’est pas la seule peine possible.

M. Marc Pena (SOC). Il y a un juge de l’application des peines !

Mme Dominique Simonnot. Exactement.

La régulation carcérale n’atteint en rien l’indépendance du juge, sans quoi aucun aménagement de peine ne serait possible. Du reste, les juges sont tenus d’appliquer la loi. Ce mécanisme ne consiste absolument pas à renoncer à incarcérer, mais à incarcérer mieux et plus utilement. Je vous reparlerai de ce sujet, si vous le souhaitez, avec beaucoup d’intérêt.

Monsieur Terlier, j’ai présenté les dysfonctionnements des centres éducatifs fermés mais j’ai également parlé de ce qui marchait bien. Je persiste à dire que certains CEF fonctionnent très mal, parce que le personnel n’y est pas assez formé. Il faut dire que le recrutement est très difficile : on a quand même vu des tenanciers de boîte de nuit être embauchés comme éducateurs en CEF ! Dès qu’un gosse disait quelque chose, « boum ! » Je ne pense pas que ce soit ce que nous souhaitons. Certes, les CEF peuvent être formidables, mais cela peut aussi être un peu n’importe quoi.

Il est vrai que les surveillants ont bénéficié d’une revalorisation sans précédent de leur statut, qu’il s’agit là d’un énorme progrès et qu’ils en sont très contents. Mais puisque vous êtes des législateurs et que j’ai confiance en vous, je vous demande de faire très attention aux profils des futurs surveillants adjoints contractuels. Voyez le niveau de recrutement actuel des surveillants et penchez-vous sur cette question. Nous pourrons reparler de ce sujet, qui m’intéresse beaucoup.

Je conviens que la césure du procès pénal introduite par le code de la justice pénale des mineurs est un outil formidable et véritablement utile. Il existait auparavant un autre mécanisme tout aussi formidable et utile : l’ajournement de peine. Le prévenu comparaissait devant le juge, puis il était invité à revenir au tribunal six ou huit mois plus tard pour montrer ce qu’il avait fait de sa vie : c’est à ce moment-là que sa peine était décidée. J’ai vu prononcer pas mal de ces ajournements de peine et j’ai pu en constater les résultats : ce dispositif fonctionnait très bien. Il a malheureusement été abandonné car la société française a été prise d’une sorte de passion pour l’enfermement, que j’ai moi-même du mal à saisir mais qui a rejailli sur les magistrats et sur nous tous.

Monsieur Pena, vous avez dénoncé l’absence totale de juge dans les CRA. Ce n’est quand même pas le cas ! Le juge des libertés et de la détention vient prolonger la rétention.

M. Marc Pena (SOC). Au tout début seulement !

Mme Dominique Simonnot. En revanche, aucun juge ne regarde la manière dont les gens sont retenus. Il est vrai que ces centres s’apparentent de plus en plus à des prisons, mais le juge y intervient quand même. J’invite les magistrats à aller voir un peu plus de quoi il s’agit. De même, les magistrats vont trop peu en prison, et c’est dommage.

Il faut effectivement se pencher sur cette question, d’autant que les durées de rétention sont de plus en plus longues et que de nombreuses personnes retenues ne retournent pas dans leur pays d’origine. Il y a là des enjeux diplomatiques qui dépassent largement ma pauvre personne et la commission des lois. Allez obtenir en ce moment de l’Algérie qu’elle reprenne ses ressortissants ! Aussi les Algériens ne repartent-ils pas…

Nous sommes bien d’accord, monsieur Kerbrat : la prison n’est pas un lieu de soins, et les lieux de soins ne sont pas des prisons. Au-delà du sujet de la contention physique, qui est la pire atteinte à la liberté que je connaisse, je suis très intéressée par ce que vous m’avez dit à propos de la contention chimique : vous m’avez appris qu’elle était contrôlée aux Pays-Bas. Nous allons nous pencher sur cette question.

Mme Maria de Castro Cavalli. Si j’ai bien compris, monsieur William, vous dénoncez la pression exercée sur les établissements situés dans le ressort des Jirs du fait de l’activité de ces juridictions spécialisées. Sauf erreur de ma part, ce problème ne ressort pas particulièrement des constats dressés par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans ces établissements. Cependant, de manière générale, notre institution ne peut qu’être favorable à toute mesure visant à augmenter les moyens alloués à l’autorité judiciaire, et donc à ces juridictions spécialisées, pour exercer leurs missions.

Mme Dominique Simonnot. Monsieur Baubry, je conviens que l’usage de téléphones portables peut mettre en danger la vie de certains individus, mais personne n’est parvenu pour le moment à juguler cette pratique. Les saisies de portables sont aussi parcimonieuses que celles de drogue. Je vous parle de mes constats sur le terrain, et non de ce à quoi je rêve. Dans un pays de rêve, il y aurait un détenu par cellule, sans portable ; il aurait le téléphone dans sa cellule, pourrait exercer un métier et sortirait de prison en ayant un travail. Finalement, nous avons peut-être le même rêve… Qui l’eût cru ?

Oui, monsieur Coulomme, on enferme les pauvres, et la France, championne d’Europe pour le taux de suicide en prison, pour le taux d’incarcération et pour la surpopulation carcérale, se fait condamner par la Cour européenne des droits de l’homme. J’apprends avec surprise que vous n’avez plus le droit de vous entretenir en privé avec les détenus. C’est dingue ! Nous allons nous pencher sur cette question.

Enfin, madame Lorho, l’usage de drones est une catastrophe, un énorme problème, mais ce n’est pas moi qui me placerai en haut d’un mirador pour les arrêter. Des tas de systèmes sont censés le faire. Avant les drones, les objets extérieurs étaient introduits dans les prisons de façon manuelle, par un lanceur. Si je voulais être ironique, je dirais que tout ce système permet d’inventer des métiers : après l’intervention du lanceur ou, désormais, du « droneur », les objets sont récupérés par des ramasseurs, puis gardés en cellule par des nourrices – les détenus qui refusent de le faire se prennent des coups.

Nous convenons tous que la prison n’est pas la société rêvée, surtout dans l’état où elle se trouve actuellement.

M. le président Florent Boudié. Je vous remercie, madame la Contrôleure générale.

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La séance est levée à 12 heures 35.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Patrick Hetzel, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, M. Andy Kerbrat, M. Roland Lescure, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Stéphane Mazars, Mme Laure Miller, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Marc Pena, M. Thomas Portes, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Julien Rancoule, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Sophie Vaginay, M. Frédéric Valletoux, M. Roger Vicot, M. Jiovanny William

 

Excusés. - M. Moerani Frébault, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, Mme Caroline Yadan

Assistait également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo