Compte rendu

Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Examen des conclusions de l’audition publique sur « L’agriculture face au réchauffement climatique et aux pertes de biodiversité : les apports de la science » (Pierre Henriet, député, et Daniel Salmon, sénateur, rapporteurs)               2

Examen des conclusions de l’audition publique sur le vol spatial habité (Pierre Henriet, député, et Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs)              12

Communication de Philippe Bolo sur son déplacement à Busan dans le cadre des négociations sur le traité international sur la pollution plastique              19


Jeudi 3 avril 2025

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 206

 

 

session ordinaire de 2024-2025

Présidence

de M. Stéphane Piednoir,
président

 


Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 3 avril 2025

Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Examen des conclusions de l’audition publique sur « L’agriculture face au réchauffement climatique et aux pertes de biodiversité : les apports de la science » (Pierre Henriet, député, et Daniel Salmon, sénateur, rapporteurs)

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), au cours de laquelle nous commencerons par examiner les conclusions de l’audition publique sur « L’agriculture face au réchauffement climatique et aux pertes de biodiversité : les apports de la science », tenue sous la double présidence du premier vice-président Pierre Henriet et de Daniel Salmon, le 20 février dernier.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – À un moment où il devient une opinion comme une autre, le fait scientifique permet de faire société. Si l’audition publique n’a pas couvert tout le champ du savoir scientifique sur le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité en lien avec l’agriculture, elle a été un point d’étape utile.

L’agriculture contribue aux émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 76,3 millions de tonnes équivalent CO2, chaque année, soit 20,4 % des émissions françaises. Elle a une incidence sur le déclin de la biodiversité, en raison de la conversion des milieux naturels et des pollutions induites par notre modèle agricole. Elle est également l’une des principales victimes des pertes de biodiversité et du dérèglement climatique, avec ses vagues de chaleur et ses périodes de sécheresse, ainsi que les variations imprévisibles de la pluviométrie, qui entraînent des chutes brutales et fréquentes de rendement. Étant donné par ailleurs que 91 des 107 principales sortes de cultures mondiales, dont celles des fruits, des graines et des noix, dépendent de la pollinisation animale, la disparition des pollinisateurs aurait un effet dramatique sur notre régime alimentaire.

Les scientifiques entendus ont évoqué les solutions proposées par la science pour maintenir la capacité de l’agriculture à nous nourrir tout en réduisant l’empreinte écologique.

À l’issue de cette audition publique, nous avons fait deux constats. Le premier est que la science offre des pistes prometteuses pour garantir la durabilité de l’agriculture, même si leur application se heurte à des obstacles et ne permet pas de répondre à tous les défis. En second lieu, compte tenu du verrouillage des systèmes de production agricole, il faudrait modifier en profondeur le système agroalimentaire pour apporter des solutions durables.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – Les pratiques agricoles dominantes menacent la durabilité de l’agriculture. Le modèle actuel conduit au dépassement de certaines limites planétaires et il nous faut penser à une agriculture durable. La vie sur Terre est conditionnée par l’interaction entre les processus biologiques, physiques et chimiques. Dès 2009, les chercheurs du Stockholm Resilience Centre (SRC) ont défini des seuils, correspondant à neuf limites planétaires au-delà desquelles les équilibres naturels peuvent être déstabilisés et les conditions de vie devenir défavorables à l’humanité. L’agriculture contribue au dépassement des limites relatives au réchauffement climatique et à l’érosion de la biodiversité. Les pesticides sont une menace pour de nombreux insectes. Selon une étude allemande, 75 % de la biomasse d’insectes a été perdue dans les zones protégées et près de 95 % dans les surfaces agricoles en Allemagne. En outre, l’agriculture est responsable de la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore.

Si l’agriculture contribue au dépassement des limites planétaires, elle en est aussi l’une des premières victimes. Sa durabilité est remise en cause, comme en témoignent au Brésil le développement de la résistance aux pesticides de certains insectes comme le papillon Spodoptera frugiperda, la perte de rendement du soja et une phytotoxicité accrue des pesticides utilisés pour les cultures. Un insecticide devient inopérant entre deux et quatre ans après sa première utilisation.

La recherche scientifique offre des solutions prometteuses pour une agriculture adaptée au changement climatique et respectueuse de la biodiversité, notamment grâce à des techniques de biocontrôle innovantes, la manipulation des paysages olfactifs et l’utilisation du microbiote des plantes.

Les organismes vivants évoluent dans des paysages olfactifs formés par une grande diversité de composants organiques libérés naturellement dans l’atmosphère. Une intervenante a décrit ses recherches sur les odeurs de plantes destinées à influencer le comportement des insectes. Il est possible de créer des parfums naturels qui éloignent les insectes indésirables et protègent les cultures sans nuire aux pollinisateurs, puisqu’ils ciblent les récepteurs olfactifs d’insectes particuliers. Cette approche préventive et non curative n’engendre pas de résistance. En outre, le coût et la durée de développement des molécules sont très inférieurs à ceux d’un pesticide.

Les plantes vivent en association avec de très nombreux micro-organismes formant leur microbiote. Situé autour de racines, à la surface des feuilles, des graines et des tiges, il fait barrage aux agents pathogènes de la plante et préserve sa santé, augmente sa tolérance aux stress abiotiques comme la sécheresse, la température, la salinité, et améliore sa nutrition. En outre, il la protège contre certains insectes ravageurs.

La génomique peut être mise au service de la résistance au changement climatique et aux maladies. La génétique permet d’adapter les bovins aux enjeux de demain, d’assurer une production durable et de réduire des émissions de méthane. Des mises bas plus précoces, à deux ans au lieu de trois, peuvent réduire de 10 % les émissions de méthane.

La propagation des maladies actuelles ou nouvelles en provenance des pays du Sud est préoccupante, dans la mesure où elles ont vocation à devenir endémiques dans un contexte de réchauffement climatique.

Un intervenant a évoqué l’emploi du numérique comme outil d’optimisation et de transformation en profondeur de l’agriculture au service de l’agroécologie. De nombreux travaux sont en cours, notamment au titre du Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) Agroécologie et numérique, lancé dans le cadre du plan France 2030 et copiloté par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA). Ce PEPR s’articule autour de trois axes : la caractérisation des ressources génétiques pour évaluer leur potentiel pour l’agroécologie, la conception de nouvelles générations d’équipements agricoles et le développement d’outils et de méthodes numériques pour le traitement des données et la modélisation en agriculture, dont l’application Pl@ntNet et le site Pl@ntNet.org sont un exemple.

La mise en œuvre de ces avancées se heurte à de nombreux obstacles scientifiques et techniques et leur efficacité restera limitée sans une modification profonde des systèmes de production. Il reste de nombreux verrous à lever. Afin de restaurer et renforcer le microbiote protecteur des plantes, des bio-solutions microbiennes ont été conçues. Mais celles formées à partir d’une seule souche étant d’une efficacité relative pour préserver les plantes des maladies, améliorer leur croissance et leur tolérance à la sécheresse, on constate une perte de confiance des agriculteurs à l’égard de ces produits. Il apparaît donc nécessaire de modifier leurs modalités d’application et de concevoir des bio-solutions multisouches plus résilientes aux variations environnementales.

Parallèlement, il conviendrait de promouvoir des programmes d’amélioration variétale afin de sélectionner des plantes capables de mieux s’associer aux micro-organismes bénéfiques, ce qui appelle des évolutions réglementaires. Il est également indispensable de développer des capteurs et des outils numériques pour surveiller les microbiotes des plantes et des sols.

Plusieurs intervenants ont souligné les difficultés réglementaires relatives à l’homologation de certaines innovations. La classification erronée dans la catégorie des produits phytosanitaires des parfums développés sous forme de granulés par Agriodor alourdit inutilement leur procédure d’homologation. La réglementation relative à l’homologation des bio-solutions est inadaptée et gêne considérablement le développement de solutions alternatives aux pesticides.

La diffusion des innovations techniques est freinée par une formation insuffisante des acteurs du monde agricole. Afin de former les futurs agriculteurs, le ministère de l’Agriculture a lancé deux plans successifs « Enseigner à produire autrement », entre 2014 et 2024. Malgré la rénovation des référentiels des diplômes mettant l’accent sur les savoirs agronomiques et économiques au service des systèmes agricoles résilients, l’évaluation du deuxième plan conclut à un bilan mitigé. Seul un enseignant sur six, soit trois mille, a été formé aux transitions et les pratiques des enseignants formateurs n’ont pas suffisamment évolué.

Si le coût réduit des outils numériques comparé à celui des équipements agricoles ne fait pas obstacle à leur diffusion, il n’en est pas de même pour les innovations alternatives aux pesticides. Celles-ci entrent en concurrence directe avec les pesticides pour la protection des cultures et, contrairement à des secteurs comme la santé ou la cosmétique, l’agriculture ne dispose pas de ressources suffisantes pour investir dans l’innovation, le consommateur n’étant pas prêt à en payer le prix.

Il faut aussi s’interroger sur la limitation de l’efficacité de certaines avancées scientifiques en l’absence de modifications profondes des systèmes de production.

Il serait illusoire de penser que le système numérique peut suffire à améliorer la durabilité du système agricole. C’est pourquoi le premier axe du PEPR Agroécologie et numérique porte sur la conception d’un socio-écosystème propice à une recherche et à une innovation responsables. Les innovations technologiques ne permettent pas à elles seules d’entraîner les agriculteurs vers une transition réussie ; elles doivent être couplées à des innovations d’ordre organisationnel, économique, institutionnel et politique, d’où l’importance du travail de l’OPECST sur ce sujet.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – La première table ronde avait pour thème les solutions proposées par les sciences « dures » comme la biologie ou le numérique et leurs obstacles. La seconde avait vocation à interroger les sciences sociales et à montrer les mécanismes de verrouillage qui empêchent l’essor des pratiques agricoles alternatives.

Le système agricole s’appuie sur le recours massif aux intrants, tels que les engrais chimiques et les produits phytosanitaires, ainsi que sur l’intensification des cultures et la spécialisation des territoires. Ces choix techniques procèdent du développement, au début du XXe siècle, des engrais de synthèse et des pesticides à partir des énergies fossiles. En quelques décennies, ces produits ont réussi à s’imposer et à dominer les autres technologies. Plus une technique est largement diffusée, plus elle devient performante et plus elle devient profitable grâce aux économies d’échelle réduisant les coûts marginaux de production, ce que les économistes appellent les « rendements croissants d’adoption ». Une technologie n’est pas toujours choisie parce qu’elle est la meilleure, mais elle devient meilleure parce qu’elle a été choisie initialement et s’est renforcée au fil du temps.

En outre, les interdépendances technologiques avec le système agroalimentaire imposent des normes de production en lien avec la technologie dominante, tandis que les conseillers de la profession incitent les agriculteurs à adopter la technologie dominante afin de bénéficier d’autres services développés de façon à être compatibles avec cette dernière. Ces mécanismes d’auto-renforcement forment un ensemble de normes et de réglementations qui verrouillent le marché autour des choix techniques initiaux. Le verrouillage du système de production conduit à un alignement des façons de penser et d’agir entre les producteurs, les industriels et les consommateurs. Ainsi, 75 % de nos achats sont réalisés en grande surface ; en France, les produits ultra-transformés représentent 31 % de l’apport calorique individuel, contre 58 % aux États-Unis et seulement 25 % en Espagne et 18 % en Italie.

Un régime sociotechnique finit par s’imposer, qui renvoie à un ensemble de règles d’actions collectives représentant une force systémique qui freine le changement. Pourtant des acteurs, conscients des défis auxquels se heurte le modèle agricole, cherchent à le rendre plus durable et mobilisent des connaissances scientifiques pour promouvoir de nouveaux choix techniques. Ces niches d’innovation sont le fait d’agriculteurs, agronomes, entreprises privées, auto-entrepreneurs, groupements coopératifs, groupements associatifs, associations de consommateurs, collectivités territoriales.

Les niches d’innovation qui parviennent à se développer s’hybrident avec les composantes du modèle en place en vue d’instaurer un nouveau choix technique autour de l’agroécologie, mais elles se heurtent à de grandes difficultés, causées par le verrouillage du régime sociotechnique. Leur mise en place nécessite une phase d’apprentissage inhérente au développement de toute nouvelle technique. Elle peut être ralentie lorsque les innovations ne sont pas adaptées aux infrastructures et aux réglementations, à l’instar des difficultés d’homologation rencontrées par les techniques de manipulation des paysages olfactifs et les bio-solutions. Les récits et croyances peuvent aussi représenter des obstacles.

Le rapport d’évaluation du plan « Enseigner à produire autrement », souligne les obstacles liés aux profils sociologiques des apprenants et à la distance entre les savoirs acquis en centre de formation et les pratiques de terrain. De retour dans leurs exploitations, les étudiants oublient des apprentissages qui ne correspondent pas au modèle dominant.

Les innovations peinent à enclencher une dynamique de rendement et à générer des profits. La concurrence de marché rend leur diffusion insuffisante pour réduire les coûts marginaux et les rendre profitables. L’agriculture biologique, qui ne représente que 6 % des dépenses alimentaires, est caractéristique des niches d’innovation qui n’occupent qu’une part mineure de nos systèmes de production.

La conception d’un nouveau régime sociotechnique implique une modification profonde du système agroalimentaire. L’innovation reste le fait d’acteurs particuliers. L’initiative d’un agriculteur désireux de développer des innovations techniques, mais contraint de s’adapter à des règles de l’aval figées, se solde souvent par un échec. Quand on ne maîtrise ni l’amont ni l’aval, il est difficile d’agir sur le seul maillon du producteur, aussi décisif soit-il. Il est indispensable de développer des innovations combinant l’ensemble des acteurs du système agroalimentaire et englobant non seulement les filières de production, de transformation, de distribution, mais aussi la sélection variétale, la recherche, le conseil technique, les politiques publiques et les instances de régulation ; autrement dit, il faut chercher à concevoir des « innovations couplées ».

L’approvisionnement des cantines des crèches de la Ville de Paris en légumes 100 % bio est un exemple d’innovation réussie. Le projet a nécessité dix ans de préparation mais, grâce à une étroite coopération entre les producteurs, la coopérative bio Île-de-France, un opérateur de restauration collective et la Ville de Paris, il a atteint l’objectif fixé par le cahier des charges.

L’évolution des modes de production vers une agriculture plus durable et plus respectueuse du bien-être animal exige une modification de nos régimes alimentaires. Nous devrions consommer plus de fruits et de légumineuses et réduire l’apport en protéines animales. Mais la seule offre alimentaire ne pouvant influencer nos habitudes, il faut chercher à inciter le consommateur à adopter des régimes alimentaires plus sains, en jouant sur des mécanismes économiques et en réduisant les pertes en gaspillage, qui dépassent 30 % des denrées comestibles.

Des travaux de l’INRAE réalisés à la demande du Parlement européen pour la programmation de la prochaine politique agricole commune (PAC) ont articulé en scénarios plusieurs objectifs, comme la protection de l’environnement, l’autosuffisance alimentaire, des revenus convenables pour les agriculteurs, des prix alimentaires bas, ou encore l’adoption de régimes sains par la population. Ces objectifs n’étant pas tous conciliables, les décideurs politiques devront faire des choix. À court terme, il est impossible de maintenir ou d’augmenter la capacité de production du secteur agricole de l’Union européenne en donnant la priorité à la protection de l’environnement. Si l’Union européenne décide de privilégier la production, elle devra de nouveau choisir entre une agriculture intensive tournée vers les exportations, privilégiant la compétitivité, et une agriculture de soutien à tous les types d’exploitation visant à maintenir leur capacité de production en assurant une aide au revenu agricole.

Trois scénarios sont envisageables pour développer une agriculture soucieuse de la protection de l’environnement : privilégier l’utilisation efficace des ressources au moyen de l’optimisation des systèmes de production actuels ; encourager la préservation des terres grâce à la séparation entre les fonctions productives et les fonctions environnementales ; prévoir la simultanéité des fonctions productives et écologiques grâce à l’agroécologie.

Au-delà des arbitrages, les modes de production n’évolueront que si l’ensemble des acteurs du système agroalimentaire sont formés et accompagnés. Les agriculteurs doivent être sensibilisés aux enjeux des agricultures plus durables et plus résilientes et s’approprier les technologies et innovations issues de la recherche scientifique. Les autres acteurs doivent être sensibilisés aux concepts et aux processus de verrouillage des régimes sociotechniques et à l’importance des innovations combinées pour faire évoluer le régime sociotechnique dominant.

À l’issue de cette audition publique, Pierre Henriet et moi-même proposons à l’Office dix recommandations.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – Un premier axe vise à encourager le développement d’innovations technologiques au profit d’une agriculture durable et résiliente. Il est assorti de trois recommandations :

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Un deuxième axe porte sur la défense d’une politique volontariste au profit d’un système alimentaire durable et sain. Il s’agit de :

Des intervenants ont affirmé qu’une forte protection de l’environnement était incompatible avec le maintien du niveau actuel de production. Toutefois, un taux de gaspillage alimentaire de 30 % offre une marge de manœuvre pour un mode de production plus durable sans remettre en cause la satisfaction de nos besoins alimentaires.

Enfin, pour aller dans le sens d’une politique volontariste en faveur d’une agriculture plus durable, nous proposons de :

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – Le troisième axe vise à soutenir les initiatives de terrain pour déverrouiller les systèmes de production. Il s’agit :

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Pour le dernier axe qui est d’accélérer la formation aux transitions, nous présentons deux recommandations :

L’ensemble doit avancer de concert, afin d’éviter d’aboutir à des impasses liées aux verrouillages.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – Pour être totalement transparent à l’égard de l’Office, je signale que nous n’étions pas d’accord sur toutes les conclusions. Si la première partie contient des éléments relatifs aux sciences naturelles et formelles et si l’OPESCT est dans son rôle en évoquant le PEPR Agroécologie et numérique, la seconde table ronde a manqué d’économistes à même de proposer une réflexion plus large sur l’écosystème de production agricole et la modification profonde du système agroalimentaire à opérer.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Nous ne pouvions d’évidence embrasser la totalité du sujet avec deux tables rondes. Beaucoup d’intervenants de l’INRAE ont apporté des éléments scientifiquement étayés, mais il était possible d’en inviter d’autres. D’autres auditions ou un autre rapport offriraient peut-être une vision plus large, mais il était bon d’avoir cet apport de connaissances scientifiques, comme les interactions du microbiote et du paysage olfactif, des considérations que l’on ignorait il y a encore quelques décennies. Dans la perspective d’un réchauffement climatique de plus de quatre degrés en France, nous avons besoin de la science pour comprendre les évolutions potentielles et savoir réagir. On ne doit fermer aucune porte. C’est pourquoi les solutions biotechnologiques me semblent importantes, alors qu’un système empêche d’avancer au rythme nécessaire.

M. Arnaud Bazin, sénateur. – Avancer l’âge de mise à la reproduction des vaches est peut-être de nature à améliorer le bilan carbone de l’élevage laitier, mais qu’en est-il du bien-être animal ? Des solutions méritent parfois d’être considérées sous plusieurs angles.

La modification en profondeur du système agroalimentaire requiert des modifications de l’alimentation de la population. J’élabore actuellement avec Philippe Bolo un rapport sur les protéines végétales ; nous avons abouti à la conclusion qu’il était possible de concevoir des régimes alimentaires excellents pour la santé de la population et pour l’environnement. Encore faut-il que les gens les consomment. Leur mise en œuvre fera l’objet de la partie sociologique de notre rapport.

M. Philippe Bolo, député. – Vous fixez trois objectifs principaux à l’agriculture : nourrir une population plus importante avec une assiette de meilleure qualité ; préserver à la fois les sols, l’eau, la biodiversité et le climat ; être plus rémunératrice. Vous avez dit que ces objectifs étaient parfois difficilement conciliables. Afin de répondre aux enjeux de santé et d’environnement et d’être attractif pour les futures générations, ne pourrait-on intégrer dans le prix des aliments la rémunération du producteur et les moyens d’investir dans de nouvelles technologies ? Toute entreprise intègre dans sa rémunération une part d’investissement afin de suivre l’évolution de ses clients et du contexte.

Quand j’étais étudiant à l’École nationale supérieure d’agronomie de Rennes, il y a trente-sept ans, on nous parlait déjà de l’agriculture et des sols, de l’eau et de la biodiversité. Est-ce que vraiment, rien n’a changé ? Allons-nous perdre de nouveau trente-sept ans ?

Nous avons coutume de convoquer régulièrement les sciences dites dures, physique, biologie, chimie, mathématiques, et moins souvent les sciences humaines et sociales – sociologie, histoire, géographie, anthropologie –, pourtant intégrées par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’INRAE et d’autres organisations scientifiques. À la différence de la biologie, de la chimie et des mathématiques, sans doute bousculent-elles parfois nos consciences et nos certitudes, mais elles sont indispensables pour rendre les décisions sociologiquement acceptables et partagées.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – La prime à la technologie dominante est le contraire de l’innovation. La technologie dominante, c’était la charrue et les bœufs, pratique ancestrale qui donnait satisfaction avant qu’une nouvelle technologie se révèle plus efficace et plus pratique. Il ne s’agit pas de faire confiance à ce qui existe depuis toujours, non seulement parce que ce n’est pas le cas, mais encore parce que le principe de l’innovation est de prendre le pas sur ce qui a fait ses preuves mais qui est dépassé.

La mission première de l’agriculture est de nourrir la population. On a modifié les normes de production des œufs. La réponse aux attentes des consommateurs sur un mode de production incluant plus d’espace dans les volières et plus d’élevage en plein air a eu pour conséquence une réduction de la production de 30 à 40 %.

Je tiens à souligner les efforts considérables consentis depuis des décennies par la profession agricole en matière de traitement des cultures. Tous les agriculteurs ne sont pas passés par une formation d’excellence à Rennes, et des contraintes s’imposent à eux en termes de concentration des produits. Les agriculteurs reconnaissent qu’il y a eu des excès et des abus. Les normes de traitement de leurs cultures sont bien plus respectueuses de l’environnement que celles de particuliers qui utilisaient du glyphosate vendu en grande surface.

On dit qu’il faut changer les règles, mais certaines, comme la rotation des cultures et la jachère, s’imposent pour le respect de la qualité des sols. La France est plutôt redevenue vertueuse dans ce secteur, comme dans d’autres.

Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l’Office. – Le marché alimentaire est mondial et toutes les dispositions auxquelles nous pouvons souscrire peuvent se heurter aux règles de la concurrence mondiale. Dans la loi EGALIM, nous avons voulu augmenter les prix, revoir les conditions d’élevage, améliorer le bien-être animal, et cela s’est traduit par des hausses de prix et des augmentations d’importations. Comment avez-vous appréhendé ces réalités dans vos recommandations ?

Mme Dominique Voynet, députée. – Les clivages politiques, les différences de vues quant à l’évolution des systèmes agricoles ne peuvent être aplanis par une simple présentation des apports de la science en ce domaine. Les interventions et votre présentation montrent bien ces différences d’appréciation, puisque votre tandem a réparti les rôles : à Pierre Henriet, les sciences dures, à Daniel Salmon les sciences humaines et sociales.

L’apport des sciences pour éclairer les débats parlementaires est intéressant. Nous sommes tous confrontés à un recul des régulations territoriales et agricoles, mais la proposition de loi de M. Duplomb visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, qui doit être examinée prochainement par l’Assemblée, pourrait rendre vos conclusions dérisoires.

Je vous remercie pour ce rapport, mais je m’interroge sur l’influence des publications de l’OPECST sur le travail de nos collègues. Cénacle d’élus désireux de fonder leurs décisions politiques sur des données scientifiques, assurons-nous efficacement la diffusion de nos conclusions ? Comment ne pas opposer les sciences dures et les sciences dites molles, ce qu’elles ne sont pas ?

Dans un autre domaine, je conduis avec Anne-Catherine Loisier une étude sur le futur collisionneur circulaire de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) ; nous peinons pareillement à faire tomber les barrières entre les différents champs scientifiques. Les physiciens du CERN trouvent leur projet formidable, mais on n’utilisera pas plusieurs fois les mêmes millions d’euros. Pierre Henriet veut nous convaincre d’investir dans les vols spatiaux habités, d’autres feront valoir le caractère fondamental du climat, d’autres encore que la science polaire manque d’argent. Il faut trouver des moyens d’arbitrage et éviter ces débats en silo.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Nous faisons le maximum pour diffuser nos travaux. Nos sites internet sont à jour. Les auditions participent à la connaissance de l’OPECST, qui me semble un peu plus connu au Sénat depuis quelques années. La présidence de Cédric Villani lui a donné un rayonnement. Chaque rapport ou note scientifique adopté par l’Office fait l’objet d’une transmission aux ministères concernés. Lorsque nous sommes saisis par une commission, nous lui faisons un retour. Tous les travaux de l’OPECST sont à la disposition de l’ensemble des parlementaires.

Puisque nous parlons de sciences humaines et sociales, pourquoi ne pas parler de sciences exactes et expérimentales plutôt que de sciences « dures ». Si les sciences molles n’existent pas, pourquoi les sciences dures existeraient-elles ? Il n’est d’ailleurs qu’une science exacte, les mathématiques.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. - Le monde agricole est en ébullition. S’agissant des recommandations incompatibles, la question du prix interpelle. Il y a un siècle, 80 % du budget d’un ménage étaient consacrés à l’alimentation, contre 30 % en 1970 et 11 à 13 % aujourd’hui. Le panier alimentaire est devenu une variable d’ajustement face aux dépenses contraintes comme le logement.

Le procédé Haber-Bosch a transformé l’agriculture. Il en est dérivé un modèle en vigueur depuis plusieurs décennies mais aujourd’hui confronté à des défis. Le rôle de l’OPECST est de définir comment avancer dans ce domaine et être force de proposition, en associant sciences exactes ou expérimentales et sciences sociales. Certaines dynamiques font fi de la science. Il faut aussi réinterroger la vérité des prix. Quelles sont les externalités cachées ? Quel est le coût pour l’assurance maladie des dégâts sanitaires causés par le modèle dominant ? Quel est le coût de la potabilisation de l’eau pour les collectivités territoriales ? Quels sont les autres coûts environnementaux que l’on peine à chiffrer ?

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – J’ai d’autant moins voulu distinguer les sciences exactes et expérimentales et les sciences humaines et sociales qu’avant d’être parlementaire, j’ai fait des études en sciences exactes et expérimentales et en sciences humaines et sociales, en particulier en épistémologie. Il est indispensable d’étayer nos réflexions sur les sciences humaines et sociales. Ma remarque portait sur la vision de la production alimentaire dans une économie de marché concurrentielle. Faire appel à des économistes portant un regard global sur l’économie de marché et les conséquences de l’écosystème de la production agricole sur les prix alimentaires aurait sans doute davantage rationalisé notre approche.

Malgré des visions politiques différentes, les dix recommandations visent à soutenir à la fois le développement des innovations technologiques et la prise en compte de la dimension écologique des modèles de production. À mon sens, encourager le développement des innovations, modifier les prix relatifs des différents modèles de production, encourager une innovation combinée des acteurs amont et aval n’est pas le sujet de la proposition de loi Duplomb.

Faire de ces recommandations une voie unique d’interprétation politique n’est pas le rôle de l’Office, mais celui des commissions saisies au fond pour les débats dans chaque assemblée. C’est pourquoi nous nous sommes attachés à montrer non nos divergences politiques mais nos convergences étayées de considérations scientifiques et techniques. Libre à chacun de comprendre ce qu’il souhaite comprendre, de retenir ce qu’il souhaite retenir, mais ne faisons pas de ces recommandations une tribune à des fins politiques, ce qui ferait dévoyer le rôle de l’Office.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Le rôle des sciences sociales n’est pas seulement de mettre au jour des blocages, des verrous, des résistances au changement dans des organisations très structurées, c’est aussi d’évaluer les effets de décisions. Des arbitrages sectoriels, globaux, systémiques peuvent avoir des effets rebonds indésirables et non anticipés. Éclairer en amont une prise de décision en poussant l’analyse au-delà de l’existant est l’un des rôles des sciences sociales. C’est pourquoi l’INRAE compte beaucoup de sociologues, historiens, et anthropologues qui produisent une abondante littérature sur ces sujets.

L’Office adopte à l’unanimité les conclusions de l’audition publique sur « L’agriculture face au réchauffement climatique et aux pertes de biodiversité : les apports de la science » et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l’audition et de ces conclusions.

 

Examen des conclusions de l’audition publique sur le vol spatial habité (Pierre Henriet, député, et Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs)

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office, rapporteur. – C’est peu dire que le contexte du vol spatial habité connaît des bouleversements qui pourraient devenir majeurs. Une nouvelle course à l’espace entre grandes puissances est engagée. Les États-Unis prévoient un retour sur la surface de la Lune et élaborent des plans pour exploiter une station orbitale, tandis que la Chine développe un programme spatial ambitieux. De nouveaux acteurs comme l’Inde et les Émirats arabes unis s’intéressent aux vols habités.

L’entrée en fonction de la nouvelle administration américaine pourrait rebattre les cartes. Qu’en est-il de l’Europe, alors qu’un décideur américain envisage la fin de la station spatiale internationale (ISS) deux à trois ans avant son terme prévu ?

L’Europe, grande puissance spatiale historique, ne dispose pas d’un accès souverain à l’espace pour ses astronautes. Elle manque encore d’une stratégie claire sur le vol habité.

C’est pourquoi l’Office a souhaité organiser une audition publique afin d’éclairer les enjeux et les débats associés à cette question, dans la perspective du prochain conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui aura lieu au mois de novembre. Il s’est régulièrement penché sur le domaine spatial, en publiant des notes scientifiques sur les lanceurs réutilisables, les applications des satellites ou les débris spatiaux.

En novembre 2022, à l’issue d’une audition publique préalable au conseil ministériel de l’ESA, l’Office avait recommandé de prendre une décision de principe claire sur le futur du vol et de l’exploration habités, afin d’envoyer un message politique fort et de soutenir la filière industrielle.

Faut-il s’engager dans une politique ambitieuse de vol spatial habité, au regard des sommes considérables nécessaires pour prétendre devenir un acteur majeur ? Les échanges tenus lors de cette audition publique ont questionné l’intérêt de s’engager dans cette aventure. À l’issue de l’audition, nous avons pu brosser un tableau clair des enjeux, des bénéfices et des limites du vol spatial habité.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – Trois conclusions ressortent de cette audition.

La première est que la présence humaine dans l’espace permet de notables retombées scientifiques et technologiques. Il est possible de faire de la science de qualité en orbite. On entend parler du retour de l’homme sur la Lune, voire de voyages habités vers Mars, mais depuis vingt-cinq ans, des stations placées en orbite terrestre basse jouent le rôle d’installations scientifiques. Comme l’ont indiqué plusieurs intervenants, une station spatiale peut être un bon laboratoire de recherche. Une station orbitale se différencie d’un laboratoire terrestre par la micropesanteur. En situation permanente de chute libre, on n’y ressent plus les effets de la gravité, ce qui permet d’observer des phénomènes physiques qui, sur Terre, seraient masqués par la pesanteur. De même, la comparaison entre un phénomène étudié sur Terre et sur orbite peut révéler des différences dont il est utile d’étudier les mécanismes. Bien que beaucoup d’expériences puissent être automatisées, la faculté de l’être humain à s’adapter à l’imprévu est un autre atout. Enfin, puisque le vol habité implique le retour des astronautes, il est possible de faire revenir avec eux des objets témoins des expériences conduites dans l’espace et d’en poursuivre l’étude sur Terre.

La médecine bénéficie pleinement des apports du vol spatial habité. En plus d’être des expérimentateurs, les astronautes sont des cobayes. Grâce aux technologies du XXIe siècle, on peut disposer d’informations de santé très détaillées pour étudier les effets de l’apesanteur et des autres contraintes du vol spatial sur le corps humain. L’obligation de maintenir les astronautes en bonne condition pendant le vol et de leur assurer une récupération correcte au terme d’un long séjour en micropesanteur fait progresser les connaissances en physiologie. De même, les conditions difficiles liées à l’isolement font progresser les connaissances en psychologie. Les astronautes n’ayant d’autre choix que se suffire des moyens du bord, cela stimule l’innovation médicale avec des retombées possibles sur Terre, par exemple, pour la prise en charge des patients dans les déserts médicaux.

Plus généralement, la présence humaine dans l’espace est un catalyseur d’innovations technologiques. Le vol spatial habité lance des défis auxquels il faut répondre. Dans l’ISS, la quasi-totalité de l’eau est recyclée, ainsi que les plastiques pour fabriquer des pièces de rechange. La vie dans une station, et plus encore dans une base lunaire conduit à innover pour le recyclage des déchets, la production d’énergie, la construction d’habitats, etc.

Toutes ces compétences éminemment utiles sur Terre peuvent être améliorées par et pour l’industrie spatiale. C’est pourquoi même des entreprises industrielles qui ne sont pas partie prenante du secteur spatial, en particulier celles de défense, peuvent être intéressées. Le vol spatial habité n’est pas à la source de toutes ces technologies, puisqu’il réutilise beaucoup d’outils développés pour des usages terrestres, mais il contribue à leur amélioration dans la mesure où l’innovation est poussée par les défis des contraintes spatiales.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office, rapporteur. – Je rappelle que le retour sur Terre d’un équipage américain envoyé vers l’ISS a eu huit mois de retard et qu’il faut être prêt pour un long voyage.

La deuxième conclusion de l’audition publique, qui fait clairement consensus parmi les intervenants, c’est que le moteur premier du vol habité est la volonté politique, comme en témoignent à la fois l’histoire et l’actualité géopolitique de l’exploration spatiale.

Le vol spatial habité est né au cours de la guerre froide, traduisant les rivalités entre les deux grandes puissances d’alors, États-Unis et Union soviétique. Après la course à la Lune, remportée par les Américains, la compétition s’est déplacée vers l’orbite terrestre, sous forme de programmes d’origine militaire, avec les stations Saliout et Mir pour les Soviétiques et la navette spatiale pour les Américains. La fin de la guerre froide a provoqué un changement profond de paradigme. Le développement de la station spatiale internationale a reposé sur une coopération inédite entre Américains, Russes et Européens. Toutefois cette période d’apaisement touche à sa fin et l’on observe le retour d’une certaine conflictualité, cette fois entre les États-Unis et la Chine, engagés dans une nouvelle course folle à la Lune, voire à Mars. La Chine a beaucoup avancé. Elle exploite déjà sa propre station et vise beaucoup plus haut. D’autres puissances émergentes, comme l’Inde, se lancent dans des projets similaires.

Dans le même temps, la station spatiale internationale vit ses dernières années de fonctionnement, théoriquement jusqu’en 2030, avec une possible anticipation de deux ou trois ans. Elle devrait être remplacée par des stations commerciales privées, et certaines coopérations internationales sont menacées. Or, jusqu’à présent, la stratégie spatiale européenne reposait sur ces coopérations internationales. Elles lui ont permis de développer une partie des compétences nécessaires et d’envoyer des astronautes européens dans l’espace, mais elles l’ont aussi mise en situation de dépendance forte vis-à-vis des États-Unis. À elle seule, l’Europe ne peut ni envoyer les astronautes dans l’espace ni concevoir une station orbitale. Si elle veut monter en puissance dans ces deux domaines, il lui faudra consacrer des financements importants et consentir un effort substantiel pendant de nombreuses années.

L’Europe doit donc décider du niveau d’autonomie qu’elle souhaite se fixer pour les prochaines années. La question pourrait figurer à l’ordre du jour du prochain conseil ministériel de l’ESA, organisé à Brême. L’Europe est au pied du mur, forcée de redéfinir une stratégie face aux bouleversements géopolitiques. Elle a cependant des atouts, d’autant qu’elle est reconnue à l’étranger comme un partenaire très fiable. Face au positionnement conquérant des États-Unis et de la Chine, détenir une position de leadership dans le cadre de coopérations internationales futures permettrait à l’Europe de défendre ses propres principes, comme celui d’une exploration spatiale maîtrisée. Le vol spatial habité pourrait être un projet porteur de sens pour l’aventure européenne, qui bénéficie d’un soutien populaire important.

Le vol spatial apparaît à la fois comme un terrain d’expérimentation pour le développement de la science et de la technologie, comme moyen d’affirmation de la puissance et des valeurs, et comme source d’inspiration pour les esprits, les formations et les étudiants. Les astronautes européens jouent un rôle essentiel d’ambassadeur de la science, de la planète et de l’Europe. Ils peuvent servir d’exemple à des générations d’enfants en leur montrant la valeur du travail, de la persévérance, de l’esprit d’équipe. En éveillant leur curiosité scientifique et en soulignant l’importance de la science dans le monde actuel, le vol spatial habité a un pouvoir fort d’attraction de talents. Pour recruter les ingénieurs de demain, il faut donner envie d’exercer ces missions et ces métiers. Cela passe par des programmes ambitieux et visibles.

La présence des femmes dans le corps des astronautes de l’ESA, comme la Française Sophie Adenot, est un atout important pour ce secteur qui peine à se féminiser.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – La troisième conclusion de l’audition publique porte sur l’avenir du vol spatial habité, secteur nécessitant des investissements industriels importants à l’aube de choix majeurs.

L’Europe est impliquée dans plusieurs projets de vol habité, toujours en coopération internationale, principalement avec les États-Unis. Pour améliorer sa position et ses capacités, elle devra agir sur le financement du secteur, le choix des compétences et la stratégie à adopter.

Le financement du vol habité est tiré par la commande publique et les budgets institutionnels. Même les stations commerciales privées auront principalement des clients institutionnels. Cela n’empêche ni les partenariats public-privé ni l’investissement privé. Des start-up européennes obtiennent d’importants financements privés. Le budget de l’ESA pour l’exploration humaine et robotique est comparable à celui du programme de lanceurs et il est plus élevé que celui des programmes de télécommunication, ce qui n’était pas le cas, il y a quelques années. Cependant, l’ESA dépense quinze fois moins que la NASA pour son programme d’exploration, ce qui relativise quelque peu l’ambition européenne. La participation financière de la France est sensiblement moins élevée que celles de l’Allemagne et de l’Italie, ce qui peut s’expliquer par la priorité qu’elle a de longue date accordée aux lanceurs.

La collaboration de l’Europe aux programmes internationaux de vols spatiaux habités repose sur un système d’échanges en nature. Au lieu d’acheter directement des places pour ses astronautes dans des véhicules qu’elle ne sait pas encore concevoir, elle les obtient en échange d’une participation à la construction et à l’exploitation des stations. Ce système est jugé positivement par la plupart des intervenants de l’audition publique. Il permet de mener des projets industriels de haute technologie, de développer des compétences européennes reconnues internationalement et de financer des emplois très qualifiés au sein de l’industrie spatiale. En revanche, il est très dépendant des États-Unis et il n’est pas garanti qu’il soit épargné par les bouleversements de la politique spatiale américaine.

La question de la stratégie à suivre est donc posée. La plupart des intervenants s’accordent sur l’intérêt de disposer d’un cargo spatial performant, levier intéressant pour obtenir une place de choix dans un projet de station internationale, dans la mesure où la logistique et le fret représentent une part importante du coût d’une station. L’Europe a déjà des compétences dans ce domaine. Dans cette perspective, l’ESA développe un nouveau cargo pour l’orbite terrestre basse à destination de l’ISS, puis des futures stations commerciales. Un tel projet permet de soutenir l’industrie européenne tout en gardant une monnaie d’échange pour continuer à envoyer des astronautes dans l’espace.

Ce serait aussi la première brique technologique d’une éventuelle station européenne indépendante. Si l’Europe veut exercer un leadership dans le vol spatial habité, il lui est possible d’envisager le développement de sa propre station spatiale en orbite terrestre, seule ou en tant que leader d’une coopération internationale. Elle pourrait exploiter ses cargos et concevoir certains modules de la station, laissant à d’autres pays le soin de fournir les véhicules pour l’équipage. Les États membres de l’ESA ont demandé à l’Agence d’étudier la faisabilité d’un tel projet. L’Europe pourrait néanmoins décider de relancer le développement de son propre véhicule de transport d’équipage.

Il faut à cette occasion démentir une idée reçue : un lanceur n’a pas besoin de certification particulière additionnelle pour le vol habité. Si Ariane 6 démontrait sa fiabilité grâce à un nombre suffisant de lancements de satellites réussis, elle pourrait être adaptée facilement au transport d’équipage sans nécessiter une refonte totale. C’est ainsi qu’a procédé SpaceX avec le lanceur Falcon 9. Le reste de la sécurité serait assuré par la capsule, brique technologique importante dont l’Europe n’a pas la maîtrise.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office, rapporteur. – Les enseignements de cette audition publique nous ont conduits à proposer cinq recommandations.

La première recommandation porte sur la préparation du prochain conseil ministériel de l’ESA, en novembre. Nous proposons que l’Office demande aux autorités françaises de promouvoir la définition d’une stratégie claire en matière de vol spatial habité. Cette stratégie devrait reposer sur la valorisation des acquis scientifiques et techniques européens et l’acquisition progressive de nouvelles briques technologiques.

La deuxième recommandation rappelle la nécessité de concevoir globalement la souveraineté spatiale européenne. Nous estimons que la stratégie en matière de vol habité ne doit pas mettre en péril les autres domaines vitaux que sont les lanceurs, les télécommunications et la défense.

La troisième recommandation demande que la politique spatiale européenne soit inscrite résolument dans un cadre coopératif international, car l’Europe doit être à la pointe de cette importante diplomatie scientifique, qui pourrait donner un nouvel élan à l’Union européenne. Il faut éviter de placer l’Europe en position de dépendance vis-à-vis d’un seul partenaire, si avancé soit-il.

Dans le droit-fil de la précédente, la quatrième recommandation appelle à soutenir la filière industrielle et les start-up au moment où certains projets pourraient être menacés par les récentes orientations américaines.

La cinquième recommandation tend à promouvoir les valeurs et les compétences européennes dans le domaine spatial, notamment pour attirer les jeunes vers les métiers de ce secteur, avec un effort particulier en direction de femmes.

Telles sont les conclusions de cette audition publique du 13 mars dernier, que nous vous présentons une quinzaine de jours seulement après sa tenue.

M. Daniel Salmon, sénateur. – Le mot « conquête » n’est pas anodin, chaque État cherchant à valoriser ses avancées dans le domaine spatial pour marquer sa puissance. Après quoi, de façon presque anecdotique, des expérimentations scientifiques fournissent des apports non décisifs.

Je m’étonne que les astronautes soient considérés comme des cobayes et que l’on fasse des expérimentations sur des embryons, eu égard au fait que la division cellulaire ne s’opère pas de la même manière en apesanteur. Ceci montre que nous sommes de pauvres petits Terriens inféodés à leur planète et entièrement dépendants de la pesanteur. Enfin, si les vols en orbite terrestre sont intéressants, au regard des contraintes budgétaires, aller sur Mars ne me semble pas être une priorité.

M. Arnaud Saint-Martin, député. – Il est rare d’avoir une discussion contradictoire sur le vol habité. Souvent présenté comme une évidence – on peut dire que le vol habité est la « tête de gondole » du secteur spatial –, justifié de multiples façons, y compris par le rêve, il n’est pas, selon des ingénieurs du CNES, indispensable pour les sciences spatiales. Tout le monde admet, y compris les directeurs de programme et d’agence, que le vrai moteur est politique, mais ceci est rarement dit. Ceci justifie une délibération politique sur les fins et les moyens de cette activité.

J’ai trouvé le casting très orienté. Philippe Lugherini, ancien d’ArianeGroup, ayant près de 40 ans d’expérience industrielle, qui fait partie des rares personnes qui affichent publiquement leur opposition au vol habité, apportait un léger dissensus. Lionel Suchet, PDG du CNES par intérim, a travaillé sur les vols habités durant toute sa carrière. Il aurait été étrange que Claudie Haigneré, ambassadrice historique du spatial, soit hostile au vol habité. Il aurait été bon d’élargir le spectre. De nombreux sociologues, historiens et philosophes se sont penchés sur le sujet. Il existe une littérature considérable en sciences sociales et en histoire, à même de remettre en perspective la rationalité du vol habité – la NASA conduit même depuis ses débuts un programme d’histoire spatiale. Inviter des experts en ces domaines aurait permis de dépayser le regard.

Quant au prochain conseil ministériel, pour les membres de la direction de l’ESA, le vol habité est loin d’être la priorité ; il est même anecdotique. La priorité, c’est la défense. L’ESA veut se positionner pour l’Europe spatiale de la défense. Par ailleurs, l’idée d’une souveraineté spatiale européenne n’a aucun sens si elle est soutenue par l’ESA, et l’UE n’a pas de pied dans le vol habité. Il faudra donc se demander qui pilote l’avion spatial européen…

En matière de budget, le CNES pourra apportera sa capacité de lobbying en faveur de la cause, mais il passera au second plan parce que le vol habité n’intéresse personne en Europe. Après l’histoire contrariée du programme Hermes, nous n’avons pas eu de station en propre et nous ne sommes pas encore sortis de cette séquence. Les recommandations favorables au vol habité relèvent de l’incantation et sont très éloignées des thèmes de discussion du prochain conseil ministériel. Les enjeux principaux y seront l’espace de la défense, la relance de programmes d’observation de la Terre, les télécommunications, le programme IRIS2 dans lesquels l’ESA est entièrement partie prenante.

Je ne peux donc valider des conclusions qui me paraissent accessoires au regard des enjeux du projet spatial européen en discussion.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office, rapporteur. – La deuxième recommandation rappelle « la nécessité de concevoir la souveraineté spatiale européenne de façon globale », ce qui n’est pas contradictoire avec votre propos. La stratégie européenne en matière de vol habité ne doit pas mettre en péril les autres domaines que sont les lanceurs, les télécommunications, la défense, également vitaux. Nous voulons juste y voir un peu clair pour définir une conception globale de la souveraineté spatiale européenne. Le vol habité ne doit pas empiéter sur les autres domaines vitaux que sont les lanceurs, les télécommunications, la défense.

La troisième recommandation demande que la politique spatiale européenne soit résolument inscrite dans un cadre coopératif international. Nous sommes conscients que nous n’arriverons pas seuls à agir rapidement. Néanmoins, l’Europe ayant joué un rôle historique dans le domaine spatial, nous disons qu’elle doit être à la pointe de la diplomatie scientifique. Nous savons que les besoins commerciaux en matière de télécommunication connaissent une croissance exponentielle. Nous demandons uniquement de fixer un cadre européen. Nous considérons qu’on ne doit pas négliger ce qui a fait la force de l’Europe et ce qui est devenu un peu moins le cas, parce que des acteurs puissants agissent vite. Nous recommandons seulement de rester présents sur ce champ, nous ne disons pas que le vol spatial habité doit écraser tout le reste.

Peut-être n’avons-nous pas suffisamment distingué le vol spatial habité en orbite et l’exploration ou la conquête spatiale. Le premier pas sur la Lune procédait d’un rapport de force engagé entre les deux super-puissances de l’époque. Vouloir retourner sur la Lune, voire sur Mars ou ailleurs, relève d’une volonté hégémonique de certains pays et nous sommes beaucoup plus réservés sur le sujet.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – J’ai été frappé par le niveau relativement modeste du financement des programmes du vol habité européen : 1,60 euro par habitant, Grande-Bretagne et Canada inclus. Nous sommes dans une stratégie d’entre deux. L’ESA y participe en grande partie afin de permettre des expérimentations scientifiques en orbite, mais il n’y a pas de plan stratégique. Une des particularités de l’ESA, c’est qu’elle traite beaucoup en bilatéral avec chacun des partenaires et, même dans l’écosystème du CNES, elle est parfois affaiblie par des partenariats avec des pays ayant des ambitions industrielles.

La définition de cette stratégie est un sujet important que nous intégrons dans la première recommandation en indiquant que la stratégie globale n’est pas suffisamment claire. À titre personnel, je considère qu’on devrait consacrer bien plus de moyens à l’exploration, car elle est un vecteur d’attrait pour la formation et l’engagement dans les filières scientifiques. L’enjeu est culturel. On le voit dans l’industrie du cinéma, ultra-dominée par les États-Unis. Une volonté européenne en ce sens permettrait d’établir un écosystème bien plus tourné vers l’exploration que vers la conquête et très lié aux enjeux expérimentaux et de connaissances scientifiques. Mais il est difficile de faire une bonne analyse de cette structuration, quand on sait que l’ESA traite surtout en bilatéral.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office, rapporteur. – La troisième partie du rapport traite du financement du vol en orbite. Il est très peu question de la conquête. L’OPECST a déjà produit une note intéressante sur l’exploration de Mars. Catherine Procaccia, qui s’était fortement investie dans les problématiques relatives à l’espace, recommandait plutôt une exploration robotique. Un robot peut vivre plus facilement huit mois en autonomie qu’un humain. Pour effectuer des prélèvements et mieux connaître les structures, une exploration robotique est envisageable.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office, rapporteur. – On est déjà sur Mars. Des instruments réalisent des forages et récupèrent des matériaux présentant des formes de vie prébiotique. Mais la récupération des échantillons coûtera très cher, et si on les récupère, les humains ne servent à rien.

Didier Schmitt a présenté la feuille de route de l’ESA jusqu’à 2040. Je ne suis pas un grand fan de l’ESA, mais elle a fait un effort de prospective en alignant les communautés scientifiques européennes. Au-delà des considérations politiques que vous avez évoquées, le processus décisionnaire est complexe et parfois arbitraire, mais il y a déjà une vision et je m’étonne que l’on parte du principe qu’elle n’existe pas encore, même si elle est discutable.

Enfin, consentir un effort budgétaire significatif pour le vol habité se ferait nécessairement au détriment d’autres engagements de l’ESA. Ceci veut dire que l’on doit s’accorder pour augmenter les budgets au prorata du PIB ou en passant par des lignes annexes ou additionnelles. Je me méfie des bonnes intentions exprimées par des acteurs dont les objectifs sont industriels et commerciaux. Thales Alenia Space qui veut vendre une station est très intéressé, sachant que cela pourrait ne pas se faire sans décision forte. Il faut assumer un arbitrage politique et c’est à la représentation parlementaire d’inviter à en discuter.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Ma réserve porte sur la quatrième recommandation : « L’Office appelle à soutenir la filière industrielle et les start-up ». Les start-up représentent souvent une captation de financements publics pas toujours utilisés à bon escient.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office, rapporteur. – Il est difficile d’exclure les start-up du champ de l’innovation. Certes, il y a un investissement public, mais ce sont aussi de puissants leviers d’investissement privé. Beaucoup périclitent et n’arrivent pas à maturité mais l’encouragement des start-up fait partie de l’écosystème de la recherche. Le plan France 2030 en a subventionné un certain nombre. Toutes n’atteindront pas leurs objectifs mais si on était sûr d’attendre les objectifs, cela ne s’appellerait plus de la recherche.

L’Office adopte les conclusions de l’audition publique sur le vol spatial habité et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l’audition et de ces conclusions.

 

Communication de Philippe Bolo sur son déplacement à Busan dans le cadre des négociations sur le traité international sur la pollution plastique

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. J’ai souhaité que Philippe Bolo nous fasse une présentation de son déplacement à Busan, en Corée du Sud. Philippe Bolo est devenu un référent « plastique » non seulement dans mon département du Maine-et-Loire et en France, mais aussi au plan international, puisqu’il a été associé à la délégation française pour les négociations sur le projet de traité international visant à mettre fin à la pollution plastique.

M. Philippe Bolo, député. – Tout d’abord, en réponse à Mme Voynet, cette communication montre quel peut être le devenir les travaux de l’OPECST. Après la publication d’un rapport, on doit s’investir pour en assurer le suivi.

La Commission européenne souhaite rédiger un règlement visant à prévenir la perte des granulés plastiques industriels dans l’environnement. Si la France a adopté la « loi anti-gaspillage pour une économie circulaire » (loi AGEC), les autres pays européens ne sont pas dotés d’un tel dispositif et la Commission européenne souhaite transposer ses exigences à l’ensemble du continent. C’était l’occasion de valoriser les travaux de l’OPECST en déposant une proposition de résolution européenne (PPRE) en ce sens. Après Marta de Cidrac au Sénat, je l’ai fait à l’Assemblée nationale. La concrétisation des travaux de l’Office à travers le dépôt et le vote de cette PPRE procure à la diplomatie française des éléments pour défendre des positions ambitieuses et fortes au niveau européen.

Je connaissais le fonctionnement du comité intergouvernemental de négociation chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique (INC), y compris dans le milieu marin, puisque j’avais participé à sa deuxième réunion à Paris.

Même si je dois reconnaître une responsabilité dans la création d’une coalition de parlementaires internationaux, je n’étais pas à la tête de la délégation française, qui comptait trente personnes. J’y participais pour le compte du gouvernement. La ministre, Olga Givernet, ancienne membre de l’Office, a fièrement représenté l’OPECST en Corée. Je tiens à souligner le rôle essentiel des diplomates, leur contribution et l’énergie qu’ils consacrent à défendre une position française ambitieuse. Comme la délégation allemande, la délégation française comprenait des scientifiques spécialisés dans la pollution plastique. Les scientifiques français ont appuyé efficacement les diplomates en leur fournissant des éléments factuels après que la délégation d’Arabie saoudite a affirmé, s’appuyant soi-disant sur un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, que la dispersion des plastiques n’avait pas d’incidence sur la santé – ce qui a obligé l’OMS à publier un communiqué de presse indiquant que ce rapport était ancien et sorti de son contexte.

Le travail a d’abord consisté à prolonger les travaux de l’OPECST en diffusant les quatre rapports qu’il a publiés sur le sujet auprès de délégations étrangères et même de scientifiques. Un travail de fond a ensuite été réalisé en coulisses en vue de définir des positions communes et les faire remonter à nos négociateurs.

Nous avons participé à un événement parallèle dédié à la communauté francophone auquel participaient une centaine de délégués des pays francophones. Là encore, il fut question de l’Office lors de la projection du documentaire intitulé « Cher plastique, une histoire d’amour toxique », réalisé par Dorothée Adam et reposant pour partie sur le rapport que nous avions réalisé en 2020.

Des réunions informelles ont permis d’échanger avec les cinq parlementaires coréens présents, de rencontrer l’ambassadeur de France et de lui remettre les rapports de l’Office sur la pollution plastique. Nous avons pu élargir la coalition parlementaire dont j’ai parlé en rencontrant au parlement coréen une collègue désireuse de s’impliquer dans la lutte contre la pollution plastique et, dont, à ma grande surprise, la première question a porté sur la loi AGEC.

La visite d’une entreprise de recyclage filiale de Veolia m’a permis de découvrir l’ampleur de la mondialisation. J’y ai vu des plans de cuisine en faux marbre arrivant de divers lieux de la planète pour y être recyclés en phares en plastique pour des voitures coréennes.

Ce déplacement a été l’occasion de plaider pour un traité ambitieux et cohérent avec la position française, auprès de toutes les personnes que nous avons croisées dans les couloirs durant cinq jours. J’ai pu assister aux débats et échanger avec nos diplomates.

Contrairement aux affirmations de la presse, malgré des points de divergence, la session de négociations n’a pas été un échec.

Vous le savez, deux blocs, deux visions radicalement différentes de l’incidence de nos activités sur le monde s’affrontent, mais leurs effectifs sont inégaux. Le premier, la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples (HAC) et ses alliés, milite pour un traité ambitieux, reposant sur la réduction de la quantité de plastique produit. Il regroupe l’Europe, le Canada, le Japon, l’Australie, peut-être plus vraiment les États-Unis, mais encore beaucoup de pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie. Ceci représente 120 pays sur les 170 qui participent aux négociations, soit une majorité très claire, mais les choses ne se règlent pas par un simple vote, elles sont beaucoup plus compliquées.

Le second bloc regroupe les États qui se désignent par l’appellation « like minded » : ils sont réticents au traité de par leurs intérêts économiques : Arabie saoudite, Iran, Inde, Chine et Russie. Ils interviennent surtout pour embarrasser l’Europe et lui rappeler que le jour du vote, elle n’aura qu’une seule voix, donc pas autant que le nombre d’États membres. La position russe repose moins sur la défense de sa pétrochimie que sur un positionnement géostratégique assumé contre l’Europe. Avec les pays alliés, ce bloc réunit trente États. On voit donc que vingt à trente pays sont encore incertains. L’objet de la diplomatie parlementaire et de la coalition que j’ai constituée est de faire basculer ces pays du côté des 120 plutôt que des 30. La coalition réunit actuellement vingt-cinq collègues, mais grâce à l’aide du ministère de l’écologie et du ministère des affaires étrangères qui a mobilisé nos ambassades, d’autres parlementaires continuent d’y entrer et nous devrions bientôt être cinquante.

Au-delà des forces en présence, il y a trois points de clivage. Le premier, au fondement même du projet de traité, est la quantité de plastique présente dans le « système ». Plus elle est importante et plus il y a de fuites de microplastiques à tous les stades : des granulés destinés à fabriquer des objets jusqu’aux déchets en passant par l’utilisation. Ce constat étant posé par des mathématiciens et des chimistes, il faut réduire la quantité produite pour réduire la pollution. Ceci amène le débat sur le terrain de l’idée de décroissance. Je ne valide pas l’argument du risque de décroissance. En effet, une très grande quantité de plastiques sont inutiles pour les usages quotidiens, et il est tout à fait possible que ceci corresponde peu ou prou à l’objectif de réduction que j’ai indiqué. Par ailleurs, l’économie circulaire est une nouvelle forme d’économie qui revisite le système de valeurs et d’emplois pour maintenir une activité économique permettant de financer les politiques publiques. Je pense que la vision des pays de la HAC est bien meilleure que celle des pays très liés au pétrole, dont on sait par ailleurs qu’ils détraquent le climat avec le déstockage du CO2 fossile.

Le deuxième point de clivage porte sur le financement. Les pays du Sud estiment que c’est aux pays du Nord de payer, alors qu’à la différence du climat, les pays du Sud polluent souvent plus que les pays du Nord.

Le troisième point de clivage est le mode de décision. Certains pays réclament une adoption à l’unanimité, ce qui s’apparente à un droit de veto, alors que d’autres proposent un vote à la majorité qualifiée. Or même si les pays s’accordent sur un texte pour le traité, son adoption sera difficile tant que ce point n’aura pas été tranché.

La session de Busan aurait été un échec si les discussions s’étaient arrêtées, mais elles ont été simplement suspendues. Il y a eu des contributions très diverses, venant du Panama, du Mexique, de la présidence, etc. On est passé d’un texte de 70 pages et 2 000 amendements à un texte de 20 pages et 200 amendements, ce qui permet de relancer le débat. Celui-ci aura lieu à Genève, au début du mois d’août, avec une chance non négligeable d’aboutir à un traité. À défaut, d’autres solutions sont possibles, car les 120 pays favorables ne vont pas laisser ce sujet sans solution.

Ce n’est pas non plus un échec, dans la mesure où l’on est passé de 60 à 120 pays alliés depuis la réunion de Paris, tandis que l’autre groupe n’a pas progressé.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Merci pour la clarté et la profondeur de vos propos ainsi que pour votre participation au rayonnement de l’Office. C’est un excellent exemple de valorisation de ses travaux. Leur diffusion auprès d’ambassadeurs et de ministres peut avoir des répercussions nationales ou internationales. En se spécialisant sur un sujet, on peut apporter des éléments utiles à d’autres acteurs. Merci pour les petits cailloux que vous semez sur un chemin qui pourrait aboutir dès cette année, à Genève.

La réunion s’achève à douze heures.

 

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

Réunion du jeudi 3 avril 2025 à 10 heures

Députés

Présents. - M. Philippe Bolo, M. Pierre Henriet, M. Arnaud Saint-Martin, Mme Dominique Voynet

Excusé. - M. Joël Bruneau

Sénateurs

Présents. - M. Arnaud Bazin, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Stéphane Piednoir, M. Daniel Salmon

Excusés. - Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Patrick Chaize, M. André Guiol, Mme Sonia de la Provôté, M. David Ros

 

 

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