Compte rendu

Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Examen de la note scientifique sur les réseaux électriques (Jean-Luc Fugit, député, Daniel Salmon, rapporteurs) 2

Examen du rapport sur les protéines et l’alimentation (Philippe Bolo, député, Arnaud Bazin, sénateur, rapporteurs) 14

 


Jeudi 5 juin 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 209

 

 

session ordinaire de 2024-2025

Présidence

de M. Stéphane Piednoir,
président

 


Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 5 juin 2025

Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office

La réunion est ouverte à 9 h 00.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office.  Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette nouvelle réunion de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Je vous informe que notre collègue député Aurélien Lopez-Liguori a quitté l’Office et a été remplacé par Emeric Salmon, à qui je souhaite la bienvenue.

Deux points sont à l’ordre du jour : l’examen d’une note scientifique sur les réseaux électriques qui sera présentée par Jean-Luc Fugit et Daniel Salmon et l’examen d’un rapport sur les protéines et l’alimentation présenté par Arnaud Bazin et Philippe Bolo.

Examen de la note scientifique sur les réseaux électriques (Jean-Luc Fugit, député, Daniel Salmon, rapporteurs)

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office, rapporteur. – Depuis leur apparition à la fin du XIX e siècle, les réseaux électriques ont été conçus selon un schéma assez simple. Des centrales électriques produisent de l’électricité, qui est ensuite acheminée par un réseau hiérarchique vers les consommateurs finaux. Ce modèle, qui a structuré le développement de notre réseau tout au long du XX e siècle, est aujourd’hui remis en question.

Contrairement aux anciennes centrales, les énergies renouvelables, en particulier l’éolien et le photovoltaïque, sont décentralisées et parfois éloignées des centres de consommation. Elles délivrent en outre une puissance variable, plus difficile à piloter. Cette reconfiguration des flux électriques soulève des enjeux de stabilité et d’équilibrage instantané entre l’offre et la demande.

Nous assistons également à une montée en puissance de nouveaux usages électriques. Malgré sa stagnation dans la période récente, la mobilité électrique représente déjà plus de 5 % du parc automobile français et plus de 160 000 points de recharge sont opérationnels. Les pompes à chaleur produisent plus de 5 térawattheures de chaleur renouvelable. Les centres de données – ou data centers – se multiplient, tout comme de nouvelles industries fonctionnant avec l’énergie électrique. S’agissant des applications industrielles existantes, l’électricité commence à remplacer le gaz pour la production de chaleur.

Ces nouveaux usages modifient en profondeur la structure temporelle et géographique de la demande, avec un impact sur les flux d’électricité sur le réseau.

Les effets du changement climatique complexifient encore la donne. Les tempêtes, les vagues de chaleur ou les inondations menacent l’intégrité physique des infrastructures. Lignes aériennes, transformateurs et postes électriques sont soumis à des contraintes plus sévères. Hier encore, dans ma circonscription, située au sud du Rhône, un transformateur de RTE a pris feu à la suite de violents orages.

Enfin, la numérisation croissante des réseaux (capteurs, systèmes de supervision, compteurs communicants, etc.) augmente leur exposition aux cyberattaques. Cette couche supplémentaire de vulnérabilité devra impérativement être maîtrisée.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Les réseaux électriques constituent un élément essentiel de la transition énergétique, même s’ils ont longtemps été un impensé pour le grand public. Pour notre part, cela fait un moment que nous essayons d’en comprendre les enjeux.

L’intégration d’énergies décentralisées et variables dans un réseau qui n’avait pas été conçu pour elles représente un triple défi technologique. Heureusement, de nombreuses solutions permettent de le relever.

S’agissant des infrastructures, les réseaux électriques ont été pensés de manière centralisée. L’électricité y circule de façon unidirectionnelle, des centres de production vers les consommateurs, en passant par les réseaux de transport et de distribution. Avec l’essor de l’électricité d’origine éolienne et solaire, générée localement et souvent à petite échelle, ce schéma est remis en cause. Il faut désormais gérer des flux bidirectionnels, avec des réseaux de distribution qui deviennent des collecteurs d’énergie. Cela nécessite une adaptation des réseaux de distribution, un redimensionnement des réseaux de transport et un renforcement des dispositifs de supervision et de cybersécurité. En effet, plus les points de raccordement sont nombreux, plus le système devient complexe et vulnérable.

La flexibilité est également une question cruciale, car l’éolien et le solaire sont des sources variables, qui ne produisent pas forcément quand la demande est la plus forte. Or, pour que le système électrique reste stable, l’équilibre entre production et consommation doit être garanti à chaque instant. Plusieurs leviers permettent toutefois de le préserver.

Du côté de l’offre, nous pouvons nous appuyer sur les centrales de pointe – la centrale de Cordemais va être arrêtée, mais nos auditions ont montré que certaines de ces infrastructures pourraient rester nécessaires –, sur les interconnexions avec les pays voisins, sur le stockage sous ses différentes formes : batteries, hydraulique, hydrogène, etc. – l’Office a adopté en 2019 une note scientifique de notre collègue sénatrice Angèle Préville sur ce sujet – ou sur un surdimensionnement des capacités renouvelables combiné à des stratégies d’écrêtement.

Du côté de la demande, nous pouvons déplacer les consommations en jouant sur la tarification des heures creuses, des heures pleines, voire des heures « super creuses », et nous appuyer sur des systèmes intelligents, capables de piloter les usages dans les bâtiments, les transports et l’industrie.

Préserver la stabilité du réseau est un élément essentiel. Traditionnellement, elle était assurée par les alternateurs synchrones des grandes centrales, qui fournissent une énergie mécanique amortissant les écarts de fréquence, maintiennent la tension et garantissent la capacité de court-circuit. Or, avec la montée des énergies renouvelables, ces équipements sont moins nombreux. Il faut donc trouver de nouvelles solutions techniques, comme le réglage rapide de fréquence, l’inertie synthétique ou les compensateurs synchrones. Ces derniers reprennent le principe des alternateurs synchrones des anciennes centrales et sont déjà testés dans plusieurs pays, comme l’Australie ou le Danemark. Il serait d’ailleurs utile d’évaluer l’opportunité de conserver les alternateurs synchrones des centrales qui sont mises à l’arrêt. D’autres solutions sont en cours de développement, mais elles nécessitent encore des efforts de recherche et d’industrialisation.

Je suppose que nous aurons l’occasion d’évoquer le récent black-out en Espagne. À ce jour, son origine reste inconnue. Il faudra attendre la fin des enquêtes, notamment celle du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (Entso-e), pour être fixé, mais certains observateurs ont déjà relevé que l’Espagne avait moins investi dans la mise à niveau de son réseau électrique que d’autres pays européens. Dans ce domaine, d’après les données de Bank of America, l’Espagne investirait, en proportion des moyens alloués à la production, deux fois moins que l’Allemagne ou la France, et trois fois moins que l’Italie.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office, rapporteur. – Avant d’évoquer les investissements prévus en France pour assurer l’adaptation des réseaux aux défis qu’ils devront relever, il est important de rappeler qu’en 2024, les énergies éolienne et photovoltaïque représentaient moins de 15 % de la production nationale d’électricité. Au total, les énergies renouvelables en représentaient 27,8 %, soit 150 térawattheures. En comparaison, l’Allemagne atteignait 45,3 % avec uniquement les énergies éolienne et photovoltaïque et l’Espagne 40,2 %.

Par conséquent, les défis d’adaptation du réseau liés à l’intégration de ces énergies n’ont pas la même acuité que chez nos voisins. Leur développement rapide va toutefois profondément changer la donne d’ici 2050. Il est donc impératif d’anticiper les investissements nécessaires pour moderniser nos infrastructures. Les deux grands gestionnaires de réseaux français – RTE pour le transport et Enedis pour la distribution – nous l’ont confirmé.

RTE a engagé un programme d’investissement de près de 100 milliards d’euros, précisément 94 milliards, à l’horizon 2040. Il est structuré autour des trois priorités suivantes : renouveler le réseau et l’adapter aux impacts du changement climatique, pour 24 milliards ; raccorder les nouveaux consommateurs et les nouvelles installations de production (éolien en mer, nouveau nucléaire, batteries, etc.), pour 53 milliards ; renforcer la structure globale du réseau afin de suivre l’évolution des flux électriques, pour 17 milliards.

Enedis prévoit d’investir 96 milliards d’euros à l’horizon 2040, avec des priorités similaires à celles de RTE. Il s’agit de raccorder les installations de production d’énergie renouvelable, dont 95 % sont reliées au réseau de distribution, de déployer les infrastructures de recharge pour véhicules électriques et d’adapter les infrastructures pour répondre aux nouveaux besoins des bâtiments.

Rien qu’en 2024, Enedis a raccordé 5,5 gigawatts d’éolien et de solaire, ainsi que 5,1 gigawatts de bornes de recharge. À l’horizon 2035, les capacités raccordées devraient plus que doubler, passant de 46 à 100 gigawatts, tandis que les volumes d’énergie distribués grimperont de 77 à 160 térawattheures.

Pour faire face à ces évolutions, il faudra adapter les infrastructures, notamment les postes sources. Un quart des investissements sera par ailleurs consacré au renforcement de la résilience du réseau face aux aléas climatiques : tempêtes, incendies, inondations, canicules, etc.

Les collectivités territoriales jouent un rôle de plus en plus central dans la planification écologique et énergétique, grâce à leur connaissance du terrain, des contraintes locales et des possibilités d’aménagement. Elles sont – et seront – des partenaires indispensables pour réussir la transformation énergétique.

La réussite des vastes programmes d’investissement que je viens d’évoquer repose aussi sur l’avancement des travaux de recherche qui sont menés par RTE et Enedis, ainsi que par les organismes de recherche et les universités. Comme l’a montré l’audition publique que nous avons organisée le 20 mars 2025, adapter les réseaux électriques aux défis actuels implique d’explorer de nombreuses thématiques scientifiques et technologiques.

L’électrotechnique, discipline trop souvent considérée comme dépassée, est essentielle. Il faut notamment améliorer l’équilibre des réseaux, perfectionner les convertisseurs de courant continu vers le courant alternatif, déployer des réseaux multiterminaux interopérables en haute tension, optimiser les architectures en moyenne tension, développer des câbles dynamiques et explorer la supraconductivité. Pour y parvenir, il faut investir et mieux coordonner les recherches publique et industrielle. Les mathématiques et l’intelligence artificielle sont également cruciales pour gérer les incertitudes, optimiser le stockage, prévoir la production et la consommation et automatiser les opérations. Avec la numérisation, renforcer la cybersécurité devient en outre une priorité, notamment face aux défis post-quantiques.

Enfin, les infrastructures doivent être conçues pour résister aux événements extrêmes, tout en limitant leur impact environnemental et en préservant leur compétitivité dans un contexte de forte concurrence internationale, en particulier de la part de la Chine. Nous devons être capables de nous adapter aux évolutions géopolitiques et industrielles qui affectent les chaînes d’approvisionnement et la souveraineté technologique européenne. Pour relever tous ces défis, nous aurons besoin de renforcer les moyens de la recherche, notamment de la recherche universitaire.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – La réussite de l’adaptation de notre réseau électrique repose non seulement sur les moyens financiers et techniques, mais aussi sur les moyens humains. Nous en avons été convaincus lors des auditions.

En France, les réseaux électriques représentent près de 100 000 emplois, dont près de la moitié dans des métiers clés pour le secteur. Avec les investissements massifs qui ont été annoncés, la demande devrait croître de 61 % d’ici 2030. Les efforts de recrutement devront s’intensifier, avec un objectif d’environ 9 000 embauches par an jusqu’en 2030, soit un total de 43 000 sur les cinq prochaines années, uniquement pour ces métiers clés.

Enedis, RTE et les organisations professionnelles ont décidé d’anticiper, en lançant, dès 2023, un partenariat baptisé « Les écoles des réseaux pour la transition énergétique ».

Dans le cadre du programme France 2030, un diagnostic des besoins en formation a été publié fin 2024. Il met en évidence plusieurs pistes d’amélioration. S’agissant des formations initiales, il est nécessaire d’augmenter les capacités, en particulier dans les filières socles, comme le brevet de technicien supérieur (BTS) Électrotechnique. Il faut également accroître la spécialisation des cursus dédiés aux réseaux électriques et diversifier les viviers de recrutement, en nouant des partenariats avec les universités pour pallier la pénurie actuelle de formation d’ingénieurs.

Un important travail est indispensable pour valoriser les métiers de l’électricité, surtout dans l’enseignement supérieur. Certaines filières, comme l’électrotechnique, n’ont pas l’attractivité qu’elles mériteraient compte tenu de leur potentiel. Or nous avons besoin de profils brillants pour réaliser la transformation du réseau.

La transformation du système électrique ne saurait être réduite à une évolution technologique. Elle repose aussi sur des choix stratégiques en matière d’investissement, de planification à long terme, de scénarios conduisant à une consommation électrique plus ou moins importante et de coordination entre les acteurs. Le réseau est en effet une infrastructure à inertie forte, dont les adaptations s’inscrivent dans des horizons de temps pluriannuels, voire décennaux.

La gouvernance de cette transition repose sur notre capacité à articuler efficacement les échelles européenne, nationale, régionale et locale, tout en assurant une cohérence entre les ambitions climatiques et les réalités opérationnelles.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office, rapporteur. – Nos recommandations s’ajoutent aux propositions que nous venons d’évoquer.

Notre première recommandation porte sur l’accentuation des efforts d’électrification des usages. L’électrification est la condition de notre souveraineté énergétique et de la décarbonation de notre économie. À titre personnel, je préfère d’ailleurs parler de « défossilisation ». Je constate que ce terme permet de mieux faire comprendre à nos concitoyens ce que nous voulons faire. Les politiques qui sont menées doivent en tout cas être suffisamment lisibles pour permettre aux acteurs, notamment industriels, d’anticiper et de planifier. Nous pourrons revenir sur ce besoin de visibilité à propos de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Notre deuxième recommandation porte sur l’accélération du déploiement de dispositifs de flexibilité énergétique intelligents dans le secteur du bâtiment. Dans ce domaine, les industriels et chercheurs français ont déjà réalisé des avancées importantes, y compris en intégrant l’intelligence artificielle pour optimiser la consommation. Néanmoins, il nous semble nécessaire d’avancer plus rapidement, d’autant que les coûts associés à ces solutions restent très raisonnables. Nous mettons en outre l’accent sur le potentiel du froid, qui est souvent oublié, alors qu’il est l’un des gisements de flexibilité les plus faciles à mobiliser.

Notre troisième recommandation porte sur la création d’un cadre favorisant le déploiement des moyens de stockage dédiés aux réseaux. Le stockage est un outil d’optimisation des investissements, qui permet à la fois d’éviter certains renforcements coûteux et d’améliorer la résilience du système électrique, en donnant aux opérateurs des moyens supplémentaires pour faire face aux éventuelles défaillances.

Notre quatrième recommandation porte sur l’adaptation des appels d’offres, afin d’encourager une répartition territoriale plus équilibrée des moyens de production renouvelables et de contenir les besoins de mise à niveau du réseau. Associer l’éolien et le photovoltaïque dans une même zone géographique permet, en effet, de limiter les pointes de production.

Enfin, notre cinquième recommandation porte sur la valorisation des métiers de l’électricité, y compris dans l’enseignement supérieur. Certaines filières, comme l’électrotechnique, ne sont pas assez attractives pour attirer les profils les plus brillants.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – La répartition territoriale des moyens de production me semble essentielle, car le réseau français a été construit pour des injections très centralisées. Comment envisagez-vous cette indispensable concertation ? Quelle politique publique pourrait être mise en place, dans un contexte où une région comme les Hauts-de-France accueille un quart des 8 000 éoliennes terrestres de notre pays ?

Vous avez évoqué la possibilité de conserver quelques centrales de pointe. Est-il raisonnable de se débarrasser des centrales les plus polluantes, comme Cordemais, qui est une centrale à charbon ? Comment gérer la question du personnel ? Pendant la crise énergétique de 2022, il a fallu remobiliser des salariés qui avaient été congédiés car les centrales dans lesquels ils travaillaient n’étaient plus utilisées.

S’agissant du pilotage des usages et de la flexibilité, vous avez insisté sur le secteur du bâtiment. Des changements sont nécessaires dans les comportements. Il faudra programmer des appareils pour qu’ils fonctionnent pendant les heures « super creuses », ce qui n’est pas dans nos habitudes. Il faudra faire preuve de pédagogie. Une campagne de communication devra sans doute être envisagée.

Enfin, même si les conclusions de l’enquête relative à l’incident qui s’est produit en Espagne ne sont pas encore connues, nous pouvons imaginer qu’il est difficile de maintenir la fréquence de 50 hertz indispensable au fonctionnement du réseau lors d’un afflux de production. Comment assurer cette modulation en temps réel et garantir que la même mésaventure n’arrive pas sur notre territoire ?

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – La répartition territoriale est en effet essentielle. Le couplage entre le solaire et l’éolien fonctionne relativement bien et permet d’optimiser les réseaux et de réduire les coûts. Plutôt que de concentrer l’un ou l’autre dans une région, il est préférable de les associer pour éviter les problèmes de surproduction ou de sous-production.

Concernant les centrales de pointe, la force des systèmes centralisés repose principalement sur les alternateurs synchrones, qui permettent de maintenir une fréquence de 50 hertz. Il faudrait réfléchir à la manière de conserver ces équipements, éventuellement en les alimentant par des énergies renouvelables, malgré la fermeture des sites. Comme nous l’avons mentionné dans la note, des évolutions technologiques peuvent aussi offrir des solutions, mais elles doivent changer d’échelle.

Le pilotage et la flexibilité sont également des enjeux majeurs. Jusqu’à présent, les heures creuses étaient positionnées la nuit, car elles correspondaient aux périodes où la consommation était réduite, alors qu’avec le nucléaire notre production était très linéaire. Elles devront évoluer pour tenir compte de la cloche solaire.

Actuellement, le déclenchement des chauffe-eau la nuit appelle 3 gigawatts, ce qui est très important. À l’avenir, il pourrait être aligné sur le pic de production d’énergie solaire. Différents systèmes permettent en outre de stocker l’énergie sous forme de chaleur ou de froid, ce qui permettrait aux industriels, par exemple dans le secteur agroalimentaire, de profiter des heures « super creuses ».

Pouvez-vous préciser votre question concernant la modulation ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Dans les réseaux, la priorité d’injection est désormais donnée aux énergies renouvelables. Comment gérer la modulation en temps réel, alors que nous ne sommes pas à l’abri d’un afflux de production ? La plupart des pics sont prévisibles, notamment avec le solaire, mais les incertitudes sont plus fortes avec le vent. Or, les réseaux européens ont besoin d’une fréquence stable de 50 hertz et ne tolèrent qu’une variation de 0,2 %.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – La priorité donnée aux énergies renouvelables n’est plus aussi flagrante qu’elle a pu l’être, comme le montrent les courbes de RTE. Pendant les heures de prix négatifs, il arrive que l’éolien, et parfois le solaire, s’effacent. Tant que les possibilités de production ne correspondront pas aux capacités de consommation, nous aurons besoin d’une modulation, grâce aux centrales nucléaires et aux énergies renouvelables – dans ce dernier cas, il s’agit plutôt d’un écrêtement.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Offfice, rapporteur. – L’État doit être stratège en matière d’organisation territoriale, mais il faut également s’appuyer sur les collectivités territoriales et prendre en compte les remontées de terrain. Il ne sera pas possible de déployer des systèmes permettant de récupérer l’électricité produite par les énergies renouvelables partout, tout le temps et pour tout le monde. Des choix devront être effectués, en tenant compte de la stabilité du système et de l’acceptabilité.

Que l’on parle de décarbonation ou de défossilisation, l’objectif de la transition que nous avons engagée est de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Elles représentent encore 60 % de notre consommation énergétique et sont majoritairement importées de pays soit hostiles, soit instables, soit les deux. Du point de vue de notre souveraineté, produire de l’électricité sur notre sol est essentiel. Pour ma part, je défends un modèle reposant à la fois sur le nucléaire et sur les renouvelables.

Nous devons réussir à écrire un récit national dans lequel nos concitoyens se sentent impliqués et concernés par la production énergétique, ce qui suppose d’intégrer la dimension d’acceptabilité. J’espère que nous pourrons la transformer en engagement et en fierté de voir notre pays capable de produire lui-même l’énergie dont il a besoin. Beaucoup de pédagogie sera certainement nécessaire pour y parvenir.

Il faudra également associer les salariés des anciennes centrales à charbon. Nous avons récemment adopté des dispositions législatives permettant leur conversion au gaz, comme à Saint-Avold. J’ai rappelé à la tribune de l’Assemblée nationale que l’objectif était d’augmenter progressivement la part de biogaz, qui est issu de la valorisation des matières organiques. Nous devons faire en sorte que les employés de ces sites soient fiers de participer à cette transition.

S’agissant des solutions techniques, des expériences intéressantes ont lieu en Allemagne ou en Australie. Certaines technologies commencent à bien fonctionner. Nous devons avoir confiance dans les évolutions en cours et dans leur capacité à résoudre les problèmes de fréquence, etc.

Dans notre pays, nous n’avons pas le réflexe de nous appuyer sur nos chercheurs et sur les travaux qu’ils mènent dans les laboratoires, au sein des instituts de recherche, des universités et dans le secteur privé. Pourtant, ils font souvent des choses remarquables, dont nous pouvons être fiers. Ils sont capables de trouver des solutions à de nombreux problèmes.

Le réseau connaît des évolutions importantes du fait de la diversification de la production, mais il doit aussi s’adapter au changement climatique et se protéger des risques de cyberattaques, y compris de la part de certains pays qui ne sont pas toujours nos amis.

Mme Dominique Voynet, députée. – Je vous remercie pour ce travail synthétique et rédigé de façon limpide, même si je ne suis pas sûre d’avoir bien compris le fonctionnement du grid-forming. Est-ce uniquement un système d’ondes ? Des équipements techniques interviennent-ils en support ?

La question de la modulation des centrales est évidemment importante, mais vous l’avez déjà évoquée.

Un important travail est conduit au niveau européen par les électriciens, mais qu’en est-il des États ? Quel regard portez-vous sur les réflexions de la Commission européenne en matière d’harmonisation et d’interconnexion des réseaux ?

S’agissant de la formation, vous avez insisté sur le manque d’attractivité du secteur. Je suis en train de travailler à une note scientifique sur le projet de futur collisionneur circulaire du Cern, avec ma collègue sénatrice Anne-Catherine Loisier, et je constate que la physique nucléaire bénéficie d’une aura extravagante, au niveau national et international. Il est regrettable que le génie électrique et l’électrotechnique n’intéressent pas les cadors de nos universités. Un travail pourrait-il être engagé avec le ministère de la recherche pour changer l’image de ces filières ?

Nous sortons de quelques jours de discussion sur la proposition de loi Gremillet et j’ai relevé que certains concepts, comme l’intermittence ou la non-pilotabilité, étaient utilisés comme des mantras répétés sans fin. Or, en lisant votre note, je comprends que moyennant un pilotage fin, à la fois local, national et européen, et le renforcement de moyens techniques comme les alternateurs synchrones, ces difficultés sont gérables. Est-ce bien le cas ?

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Le grid-forming est un système technologique permettant de stabiliser la fréquence. Comme le soulignait Jean-Luc Fugit, nous sommes dans une période où beaucoup d’avancées qui paraissaient parfois impensables se produisent.

Ceci rejoint votre remarque sur l’attractivité des filières du génie électrique. L’électricité a parfois l’image d’une vieille dame du XIXe ou du XXe siècle, qui serait un peu endormie. Or, la réalité est très différente. Le secteur est en constante évolution et propose de beaux métiers. Nous devons montrer ce potentiel aux chercheurs, aux ingénieurs ou aux techniciens. Il faut mettre en avant les équipes au quotidien, pas seulement quand elles réparent les installations après des tempêtes, comme dernièrement en Bretagne, et promouvoir les formations pour inciter les jeunes à découvrir le secteur.

Nous n’avons pas approfondi le sujet de l’interconnexion, mais il est central, comme l’a montré ce qui s’est passé en Espagne. Les liens entre nos deux pays n’étaient probablement pas suffisants pour l’éviter, mais l’électricité française a été nécessaire pour relancer le système et rétablir la fréquence.

Même si nous devons progresser, beaucoup d’efforts sont mis en œuvre pour renforcer l’interconnexion, notamment entre la Bretagne et l’Irlande. Cette évolution est cohérente avec le développement des énergies renouvelables. À certains moments, elles peuvent produire moins dans un endroit et plus ailleurs.

Concernant l’équilibre du système, notre note est optimiste. Certains estiment qu’avec 60 ou 80 % de capacités de production non pilotables, la situation peut devenir complexe, mais nous sommes encore loin de cette proportion. Des évolutions technologiques prometteuses sont par ailleurs en cours. Elles devraient nous permettre de mieux intégrer les énergies renouvelables.

J’évoquais tout à l’heure la nécessité d’adapter la consommation à la production. À l’horizon 2035, nous pourrions avoir besoin de 10 gigawatts de pointe pour charger les batteries des véhicules électriques. Il faudrait profiter de la cloche solaire, mais également, de manière automatisée, des moments où il y a davantage de soleil ou de vent.

Nous avons besoin d’un État stratège. Malheureusement, il fait souvent défaut, avec des stop and go incessants. Nous le constatons notamment en matière d’électrification, avec une trajectoire qui est ralentie, particulièrement en ce qui concerne les mobilités. Or, la visibilité est essentielle, en particulier pour les industriels. Il n’est pas acceptable de mettre au chômage 10 000 personnes, comme cela se passe actuellement dans l’éolien offshore.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office, rapporteur. – Les métiers de l’électricité et de l’électrotechnique attirent moins. Ils sont un peu dans la même situation que la mécanique. Dans les instituts universitaires de technologie (IUT), il est plus facile de remplir les filières de techniques de commercialisation que les filières de génie mécanique et de productique. Pourtant, quand vous prenez le temps d’expliquer les métiers et de bousculer les idées reçues, y compris dans la tête des parents, vous suscitez de l’intérêt. Nous l’avons constaté aussi dans le cadre des travaux de l’OPECST sur la sûreté nucléaire. Ils nous ont donné l’occasion d’échanger avec des jeunes, dans des universités ou des écoles. En montrant la réalité de ces secteurs essentiels pour la transition énergétique, il est possible d’attirer des candidats. L’IA peut aussi être une source de renouveau, car elle jouera un rôle de plus en plus important.

Dans nos recommandations, nous insistons sur la nécessité de suivre les futurs chantiers autour de la flexibilité des réseaux. Ce sujet devra être traité au niveau européen, non seulement parce que nos pays sont interconnectés, mais aussi parce que nos réflexions doivent s’inspirer de ce que certains de nos voisins ont mis en place.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l’Office. – Vous n’avez pas évoqué le projet de RTE de construire une ligne à très haute tension entre Le Porge et Santander. Le Gouf de Capbreton est trop profond et doit être contourné par voie terrestre, ce qui suscite une forte opposition locale et a fait prendre beaucoup de retard. Il me semble pourtant logique d’envoyer de l’électricité aux Espagnols le soir quand nous sommes couchés, puisque leurs horaires sont décalés.

Votre note est très intéressante, mais son titre ne reflète pas du tout l’enjeu d’adaptation des réseaux. Pour que nos collègues aient envie de la lire et que ces travaux ne restent pas internes à l’OPECST, comme c’est souvent le cas, il faudrait peut-être le modifier.

M. Arnaud Bazin, sénateur. – J’ai pris connaissance avec intérêt des investissements prévus dans le réseau de transport, qui seraient donc de 94 milliards d’euros. Le montant qui circulait, et que j’avais découvert comme commissaire surveillant de la Caisse des dépôts et consignations, était de l’ordre de 100 milliards. Il était équivalent aux investissements prévus dans le nucléaire.

Puisque les investissements dans le réseau seront tributaires de la configuration des moyens de production et de la place accordée aux énergies renouvelables, en particulier l’éolien, éventuellement l’éolien en mer, et au nucléaire, quelles hypothèses ont été retenues dans ce domaine ? À ce jour, le Parlement n’a pas été saisi d’une loi de programmation pluriannuelle de l’énergie et il semblerait que les décisions soient prises par voie réglementaire. Ce montant de 94 milliards pourrait-il être revu en fonction des évolutions qui pourraient intervenir dans cette répartition ?

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Nous avons repris les estimations de RTE, qui peuvent certainement fluctuer, mais qui doivent tout de même être assez fiables. Nous avons en outre quelques certitudes. Notre réseau a vieilli, puisqu’il a, en grande partie, été construit il y a une cinquantaine d’années. Les investissements de renouvellement des infrastructures représentent plusieurs milliards d’euros et sont indispensables. L’électrification des usages nécessitera également l’installation de bornes. Là encore, plusieurs milliards seront nécessaires. Évidemment, si les EPR 2 sont au nombre de six, quatorze ou vingt, les budgets varieront. Pour le moment, les six projets qui ont été annoncés concernent des sites existants, qui devront malgré tout être renforcés, car les centrales actuelles continueront à fonctionner en parallèle.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office, rapporteur. – Nous voulons réduire progressivement notre forte dépendance aux énergies fossiles, qui représentent 60 % de notre consommation énergétique. Le projet de PPE préparé depuis quatre ans – je peux en témoigner, puisque je préside le Conseil supérieur de l’énergie – fixe un objectif de 30 %. Si nous y parvenons, nous importerons moins de pétrole. La facture des importations d’hydrocarbures s’élève à 180 millions d’euros par jour, soit 70 milliards par an. Nous pouvons imaginer que les économies ainsi réalisées seront réinvesties dans le développement du nucléaire et des énergies renouvelables.

Par ailleurs, quand RTE estime ses investissements à 94 milliards d’euros, il prévoit déjà de consacrer 24 milliards à l’adaptation des infrastructures existantes au changement climatique. Le renouvellement et la remise à niveau représenteront également plusieurs milliards.

Il est préférable d’attendre les conclusions de l’enquête sur ce qui s’est passé en Espagne. Néanmoins, comme l’a souligné Daniel Salmon, l’un des points qui ont été relevés est le sous-investissement de l’Espagne dans la mise à niveau de son réseau par rapport à d’autres pays européens, comme la France ou l’Allemagne. Cette situation est-elle à l’origine du problème rencontré le 28 avril ? Y a-t-elle contribué ? Nous le saurons bientôt, mais en attendant nous pouvons nous féliciter que les responsables de RTE et d’Enedis prévoient des investissements importants pour adapter notre réseau et le mettre à niveau.

M. Philippe Bolo, député. – Je vous remercie d’avoir abordé le sujet des réseaux, qui est généralement oublié dans les débats sur l’énergie.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces réseaux ont permis de commencer à électrifier nos villes et nos campagnes. Ils sont la propriété des collectivités territoriales, réunies dans les autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE). Ces syndicats d’énergie sont réunis au sein de la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies (FNCCR). Enedis, que vous citez dans votre note, n’est qu’un délégataire de gestion des réseaux, qui bénéficie de conventions pluriannuelles, régulièrement révisées pour tenir compte des enjeux qui ont été évoqués.

Les collectivités locales conservent en grande partie la maîtrise de la stratégie, notamment lors des débats budgétaires, grâce au compte d’affectation spéciale du financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale (CAS FACE). Il représente 360 millions d’euros. C’est une manne non négligeable, que Bercy cherche à s’approprier depuis au moins 2017, mais qui permet aux collectivités d’assurer la maîtrise d’ouvrage du réseau de distribution dans les zones rurales.

Le CAS FACE est un moyen de rétablir l’équilibre avec les territoires urbains et d’accéder aux technologies que vous avez mentionnées. Les retombées économiques pour les entreprises locales sont en outre importantes, puisqu’elles s’élèvent à trois euros pour un euro investi.

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Nous préciserons qu’Enedis n’est qu’un gestionnaire.

M. Philippe Bolo, député. – Par rapport à la remarque de Florence Lassarade concernant le titre de la note, nous pourrions en effet le modifier pour qu’il reflète mieux son contenu.

M. Joël Bruneau, député. –  Il me semblait que le stockage de l’électricité restait compliqué. Or vous l’évoquez parmi les solutions possibles. Quelles sont les pistes qui vous paraissent les plus crédibles et les plus opérationnelles à court terme ?

M. Daniel Salmon, sénateur, rapporteur. – Il faut distinguer le stockage à la journée, le stockage à la semaine et le stockage saisonnier, qui recouvrent des enjeux très différents.

Pour le stockage à la journée, des avancées scientifiques ont permis, en dix ans, de diviser par dix le coût du stockage du kilowattheure dans des batteries. Elles pourraient être installées au pied des éoliennes ou dans des parcs solaires. Il en existe déjà quelques-unes, mais elles pourraient être déployées massivement. Un décalage de quatre heures permettrait d’avoir une cloche solaire beaucoup moins prononcée.

Le stockage par hydrogène reste une piste à un horizon relativement lointain, parce qu’il se heurte à des difficultés technologiques. Pour le moment, les électrolyseurs doivent fonctionner en permanence. S’ils pouvaient tourner seulement quelques heures par jour, leur coût serait déjà moindre.

L’Académie des technologies a évoqué d’autres solutions, qui mériteraient d’être approfondies. Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) permettraient d’offrir une réserve de puissance de 2 gigawatts. Par ailleurs, le niveau d’eau dans les barrages pourrait être augmenté de deux à trois mètres sans mettre en péril les structures. Cela ne serait pas coûteux et représenterait des volumes importants.

Différentes pistes existent. Néanmoins, le sujet qui évolue le plus rapidement dans le domaine du stockage reste celui des batteries.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office, rapporteur. – Nous revenons toujours à la question de la flexibilité.

Le stockage à partir des véhicules électriques peut paraître anecdotique, mais il ne le sera plus s’il devient un stockage de masse. Pour le moment, nous sommes dans un système unidirectionnel, mais nous irons de plus en plus vers des systèmes bidirectionnels, qui pourront communiquer grâce à l’IA. Dans ma circonscription, RTE mène un projet avec le monde agricole pour utiliser des terrains, dans le contexte de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), et développer des systèmes de stockage d’appoint avec des batteries.

S’agissant de l’hydrogène, je serai un peu plus optimiste que Daniel Salmon. Même s’il reste des difficultés à résoudre avec les électrolyseurs, cette piste est intéressante, car nous savons stocker durablement la molécule d’hydrogène une fois qu’elle est produite.

Les STEP peuvent également offrir de la flexibilité.

Nous allons entrer dans une autre logique que celle des vingt ou trente dernières années. À terme, les systèmes intelligents et flexibles seront la norme. Pour gérer au mieux la distribution, nous combinerons plusieurs solutions. Nous ne serons plus dans un modèle classique, unidirectionnel et descendant, avec une production qui part de la centrale nucléaire pour alimenter le réseau.

M. Joël Bruneau, député. – D’une certaine manière, cela rejoint l’idée de Jeremy Rifkin et des smart grids, dans lesquels tout le monde est, selon les moments, un producteur et un consommateur.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office, rapporteur. – En poussant le modèle à l’extrême, nous serions en effet dans cette configuration. En tout cas, nous devons aller vers des systèmes intelligents, non plus unidirectionnels mais matriciels et partagés.

Ces évolutions technologiques sont intéressantes, mais elles représentent aussi un facteur de vulnérabilité supplémentaire, notamment vis-à-vis des cyberattaques. Plus un système est flexible, plus il y a de points d’entrée et plus il faut être vigilant. C’est la raison pour laquelle nous avons recommandé que l’OPECST suive avec attention le sujet. Il recouvre de multiples enjeux, y compris de souveraineté.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Pour le titre de la note, je vous propose : « Adaptation des réseaux électriques : enjeux technologiques et scientifiques ». Cela vous convient-il ?

L’Office adopte la note scientifique « Adaptation des réseaux électriques : enjeux technologiques et scientifiques » à l’unanimité.

Examen du rapport sur les protéines et l’alimentation (Philippe Bolo, député, Arnaud Bazin, sénateur, rapporteurs)

M. Arnaud Bazin, sénateur, rapporteur. – En octobre 2023, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a saisi l’Office d’une demande d’étude sur les protéines dans l’alimentation. Le sujet est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il s’agit en effet de s’intéresser aux protéines consommées en alimentation humaine, mais aussi d’analyser toute la chaîne alimentaire et de s’intéresser à ce que mangent les animaux de ferme, qui certes nous apportent des protéines, mais ont aussi besoin, pour cela, d’en consommer eux-mêmes.

Le sujet est au croisement d’enjeux sanitaires, environnementaux et technologiques, puisque les protéines alternatives suscitent un intérêt croissant. Nous avons été amenés à nous intéresser aux technologies qui permettent de les produire – fermentation de précision, culture cellulaire, etc. – et aux cultures marginales qui pourraient se développer dans le futur – fermes d’insectes et cultures d’algues.

La réflexion sur les protéines est une porte d’entrée vers une réflexion plus large consacrée à l’alimentation de demain. En effet, nous ne mangeons pas des protéines, mais des aliments qui en contiennent, au même titre que d’autres composants comme les lipides, les glucides, les minéraux, les vitamines ou les oligoéléments.

Le choix des sources de protéines que nous allons manger n’est pas neutre, ni pour notre santé ni pour l’environnement. Nous devons nous interroger sur les conséquences de la répartition entre protéines animales et protéines végétales, qui est aujourd’hui, en France, de deux tiers et un tiers respectivement. Nous devons aussi nous interroger sur la répartition au sein des protéines animales – viandes rouges, viandes blanches, lait, œufs, poissons. L’objectif est d’aller vers une diversification des sources de protéines et une alimentation plus pertinente du point de vue nutritionnel et environnemental.

Le chemin proposé devra être socialement acceptable, car il existe une forte inertie en matière de comportements alimentaires. Changer les habitudes prend du temps. Néanmoins, les pouvoirs publics disposent de certains outils pour inciter les consommateurs, comme les producteurs, à le faire.

Notre rapport aborde tous ces sujets à travers quatre parties consacrées aux protéines et à la santé, aux protéines et à l’environnement, aux nouvelles technologies de fabrication de protéines alimentaires, ainsi qu’aux rapports de la société à l’alimentation, sous l’angle des protéines.

Avant d’aborder la question de l’impact sur la santé de la consommation de protéines, donnons quelques repères sur les productions et consommations alimentaires dans le monde et sur les inquiétudes quant à notre capacité à nourrir correctement toute la planète.

La réflexion sur les protéines s’inscrit en effet dans un contexte : la crainte de ne pas pouvoir approvisionner une population mondiale croissante, qui passera de 7,9 à 8,6 milliards d’habitants entre 2022 et 2032 pour probablement atteindre 9 milliards en 2050. De surcroît, en s’enrichissant, elle devrait renforcer son alimentation en viande et en lait. On anticipe ainsi une hausse de 0,7 kilogramme par habitant et par an de la consommation de viande. Or la production de protéines animales nécessite de mobiliser d’importantes ressources. Une vache laitière consomme de 4 à 6 tonnes d’aliments par an. Un porc charcutier en consomme de 350 à 400 kilogrammes durant ses six mois de vie.

Pour produire un kilogramme de protéines animales, il faut 5 kilogrammes de protéines végétales. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 70 à 75 % des terres agricoles dans le monde sont consacrées à l’alimentation des animaux. En France, on estime que les deux tiers de la surface agricole lui sont dédiés.

L’équation d’une population en hausse, nourrie de davantage de protéines animales nécessitant de mobiliser encore plus de terres ne paraît pas possible à résoudre, y compris en raison de son impact environnemental.

En France, nous consommons chaque jour de l’ordre de 1,4 gramme de protéines par kilogramme de poids corporel, ce qui est presque deux fois supérieur à ce qui est jugé nécessaire par les experts, soit 0,83 gramme par kilogramme de poids corporel. Les nourrissons, les enfants et adolescents, les femmes enceintes et les personnes âgées ont des besoins un peu plus élevés, mais qui restent largement en dessous de la consommation moyenne. Nous avons donc des marges de manœuvre.

Les deux tiers des protéines que nous consommons proviennent de sources animales. L’étude individuelle nationale des consommations alimentaires dite Inca 3, menée en 2017 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), indiquait qu’elles étaient issues de viandes rouges pour 20 à 21 % – bœuf, porc et agneau – de produits laitiers, notamment le fromage, pour 18 à 20 %, de viandes de volaille pour 11 à 12 %, d’œufs pour 4 à 5 % et de poissons et fruits de mer pour 6 %.

Le tiers restant est apporté par les végétaux, principalement les céréales, qui représentent 50 à 60 % des apports végétaux. Pourtant très riches en protéines, les légumineuses ne représentent que 10 % des protéines végétales que nous consommons.

La prépondérance des protéines animales dans notre alimentation s’explique par les qualités qu’on leur attribue. Dans notre rapport, nous avons cherché à approfondir cette notion. Les protéines sont constituées d’acides aminés, dont notre organisme a besoin pour les synthétiser. Elles jouent des rôles très variés mais essentiels dans notre corps. Certaines ont des fonctions enzymatiques, d’autres des fonctions structurales, d’autres encore un rôle hormonal ou moteur.

Nous fabriquons en permanence des protéines à partir de celles qui nous sont apportées par l’alimentation, en réarrangeant les acides aminés. Un individu de 70 kilogrammes est composé de 10 kilogrammes de protéines, surtout présentes dans les muscles. Chaque jour nous détruisons, puis synthétisons de 250 à 300 grammes de protéines.

Nous savons que nous disposons largement de la quantité de protéines dont nous avons besoin, mais toutes les protéines se valent-elles ? Prises isolément, ce n’est pas le cas. En effet, les protéines issues de différents aliments n’ont pas la même teneur en acides aminés. Il en existe vingt, mais neuf sont essentiels, car l’organisme humain est incapable de les synthétiser.

Les protéines animales contiennent généralement l’ensemble des acides aminés, en quantité adéquate. À l’inverse, les protéines végétales ont souvent un acide aminé essentiel limitant. Pour le blé, il s’agit de la lysine. Pour les légumineuses, qui sont plus riches en protéines que les céréales, c’est la méthionine. Par ailleurs, les protéines animales sont globalement plus digestes et donc mieux assimilées. Tous ces éléments conduisent à attribuer un score qualitatif moins bon aux protéines végétales. Je vous renvoie au rapport pour des explications concernant le calcul du PDCAAS (Protein Digestibility Corrected Amino Acid Score) et du DIAS (Digestible Indispensable Amino Acid Score).

Plus complètes sur le plan des acides aminés que les protéines végétales – c’est leur premier avantage –, les protéines animales, ou plus exactement les aliments d’origine animale riches en protéines, sont aussi plus riches en micronutriments (oligoéléments, minéraux, vitamines). Par exemple, la viande rouge contient du fer héminique qui est nécessaire à la synthèse des globules rouges. Les œufs apportent eux aussi des bienfaits nutritionnels qui leur sont propres.

Est-ce à dire que la protéine animale est préférable à la protéine végétale pour la santé du consommateur ? Ce serait là un raccourci contestable. Tout d’abord, la protéine n’est que l’un des composants d’un aliment. Elle n’est pas ingérée toute seule. Il faut donc prendre en compte les autres apports, en lipides, glucides et micronutriments. Certains sont bénéfiques, comme les acides gras polyinsaturés à longue chaîne (oméga-3 et oméga-6), qui sont apportés par les poissons et fruits de mer, les fruits à coque ou certaines huiles végétales. En revanche, d’autres peuvent poser un problème s’ils sont ingérés en trop grande quantité.

La question des quantités ingérées n’est pas neutre. Ainsi, la consommation excessive de viande est associée, de façon épidémiologique, à une augmentation des cancers colorectaux et des maladies cardiovasculaires, conduisant le programme national nutrition santé (PNNS) à recommander de ne pas consommer plus de 500 grammes de viande rouge par semaine.

Classer les protéines de la plus qualitative à la moins qualitative en fonction des acides aminés présents est aussi largement critiquable, parce que les déficits en acides aminés se compensent par une alimentation variée et la possibilité de mélanger les sources de protéines, y compris dans un régime végétarien. La lysine est abondante dans les légumineuses. En les consommant, au cours d’un même repas, avec des céréales, elles peuvent compenser les insuffisances d’apport dans le blé par exemple.

Se focaliser sur la qualité des protéines prises individuellement ne constitue pas une bonne approche. L’élément décisif est la matrice alimentaire, ce qui nécessite de s’intéresser aussi aux conditions de préparation, en particulier de cuisson, et aux différents composants de l’alimentation, comme les fibres.

Nous concluons notre analyse des effets sur la santé des protéines dans notre alimentation en estimant que toutes les sources de protéines peuvent être utiles, en veillant à équilibrer les apports des autres composants de l’alimentation. Un régime végétarien est tout à fait possible et peut apporter des protéines en qualité et en quantité suffisantes. Il faut seulement rester vigilant pour éviter d’éventuelles carences en micronutriments.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – S’agissant des enjeux environnementaux associés aux protéines, quelques chiffres permettent de se convaincre de l’impact du contenu de nos assiettes.

La production agricole qui nous apporte les fameuses protéines animales et végétales représente 22 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, 11 % au niveau européen et 20 % au niveau national. Malgré une réduction de 18 % depuis les années 1990, elle reste le deuxième poste d’émissions en France, après le transport.

Les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture française présentent une particularité par rapport à celles des autres secteurs. En effet, elles sont majoritairement d’origine biologique et composées non pas de CO2, mais à 49 % de CH4 et à 30 % de N2O. Le CH4 ou méthane est issu de la fermentation entérique des ruminants, tandis que le N2O, c’est-à-dire le protoxyde d’azote, correspond aux réactions métaboliques microbiennes de la matière organique présente dans les fumiers et dans les lisiers.

En 2016, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) avait réalisé une expertise scientifique collective portant sur les impacts climatiques de l’agriculture. Elle montrait que les productions animales représentaient deux tiers des émissions du secteur, avec des variabilités selon les espèces – les bovins ont un poids plus important que les granivores –, les systèmes d’alimentation et la génétique. En fonction des systèmes d’alimentation, la réduction des émissions peut atteindre 25 %. Le gain possible est de 15 % avec la génétique.

Pour produire un kilogramme de protéines animales, il faut 5 kilogrammes de protéines végétales, ce qui nécessite de disposer de toujours plus de surfaces agricoles. Dans certaines régions du monde, notamment en Amérique du Sud, ce besoin peut déboucher sur des phénomènes de déforestation. Il est, en revanche, important de préciser que 80 % des protéines végétales nécessaires à l’alimentation animale – 90 % pour les ruminants – ne sont pas celles que nous pourrions consommer.

Jusqu’à présent, j’ai abordé les effets négatifs de la production des protéines d’origine animale, mais il existe également des impacts positifs. Les ruminants, par exemple, vivent dans des prairies qui favorisent la biodiversité et le stockage du carbone.

L’élevage bovin contribue ainsi fortement au réchauffement climatique, et donc notre consommation de ses produits aussi, surtout lorsqu’elle est en quantité excessive. Toutefois, une telle conclusion n’est pas neutre. Elle a des conséquences sociales et économiques importantes pour les territoires concernés. Nous ne devons pas les prendre à la légère.

M. Arnaud Bazin, sénateur, rapporteur. – J’en viens à la question des protéines alternatives – sujet qui intéresse plus les médias que l’équilibre de nos assiettes – et au développement des technologies qui permettent de les produire.

Les protéines alternatives intéressent de plus en plus, à la fois pour l’alimentation animale et pour l’alimentation humaine. L’Académie des technologies a récemment publié un rapport à ce sujet, tout comme le service de recherche du Parlement européen.

Nous avons auditionné les acteurs du secteur, afin d’en savoir plus sur le degré de développement des nouveaux procédés et sur leurs perspectives. Notre rapport s’est concentré sur quatre domaines : la fermentation de précision, la culture cellulaire – ce terme est à privilégier par rapport à celui de viande de synthèse, car la viande est un produit musculaire qui a maturé, ce qui n’est pas le cas des cultures cellulaires –, les insectes et les algues.

Concernant la fermentation de précision, il faut noter que cette technologie n’est pas nouvelle. L’idée est, en revanche, de l’appliquer à la production de certaines protéines présentant un intérêt, comme la caséine, principale protéine du lait, qui sert à faire des fromages. Le principe consiste à inscrire les bonnes informations génétiques dans un micro-organisme qui vit dans un milieu de culture contrôlé et va synthétiser la protéine cible de manière très rapide. Il permet de ne produire que la protéine cible et de créer des ingrédients qui pourront constituer des solutions alternatives au lait et aux œufs par exemple.

Plusieurs startups se sont lancées sur ce marché et des progrès ont déjà été réalisés en matière de coût, de vitesse de production et de maîtrise des risques. Elles revendiquent un impact environnemental moindre que l’élevage d’animaux, même s’il conviendrait de réaliser une analyse plus complète du cycle de vie pour s’en assurer. Leur défi est toutefois de réussir le passage à l’échelle industrielle et la commercialisation, ce qui suppose de satisfaire les étapes réglementaires d’autorisation de mise sur le marché.

Concernant la culture cellulaire, les sénateurs Olivier Rietmann et Henri Cabanel ont publié un excellent rapport en 2023 qui en explique les principes et les limites. Des startups poursuivent leurs efforts de recherche et développement, par exemple pour imiter le foie gras de canard ou proposer des homologues au poulet. Toutefois, bien que la commercialisation de certains produits ait été autorisée à Singapour et aux États-Unis, la technologie n’est pas totalement mature.

Ses promoteurs mettent en avant les avantages pour l’environnement et le bien-être animal. La possibilité de s’affranchir du sérum de veau fœtal pour constituer le milieu de culture, qui posait de graves problèmes éthiques et économiques, accroît l’acceptabilité et la faisabilité de la culture cellulaire. Toutefois, à l’inverse de la fermentation de précision, il s’agit de fabriquer un aliment complet et non un amas de protéines identiques. Par conséquent, les procédés sont plus compliqués et plus coûteux.

Les aliments cellulaires ne peuvent pas encore concurrencer les produits naturels du point de vue de la texture et du goût. Ils ont en outre un coût de production très élevé, supérieur aux aliments conventionnels. Même si ces deux obstacles étaient levés, il resterait à convaincre le consommateur de s’orienter vers de tels produits, qui, selon les sondages, suscitent une certaine méfiance en Europe. Enfin, comme pour la fermentation de précision, des étapes réglementaires seraient à franchir avant la mise sur le marché.

Concernant les insectes, il faut noter qu’une partie de la population mondiale en consomme régulièrement. En Afrique ou en Asie, ils font partie des produits alimentaires ordinaires. Ils sont riches en protéines, au même titre que la viande, et bien dotés en micronutriments. Cependant, ils peuvent comporter des substances toxiques, qui doivent être éliminées avant la consommation, des substances antinutritionnelles, qui peuvent les rendre difficilement digestibles, ou des allergènes. Par ailleurs, leur production n’est pas exempte de risques microbiologiques.

Bien préparés, les insectes sont néanmoins tout à fait consommables. Leur production est plutôt vertueuse du point de vue environnemental. Ils ont besoin d’eau et de chaleur, se nourrissent de coproduits et résidus agricoles, voire de déchets, et se développent rapidement, avec un bon rendement de conversion des intrants alimentaires en protéines.

Leur utilisation en alimentation humaine se heurte encore à des obstacles de nature psychologique, même si quatre espèces ont été autorisées dans l’Union européenne. Pour le moment, le débouché principal des protéines d’insectes est donc l’alimentation animale, notamment les farines alimentaires pour les poissons d’élevage. Il existe également un marché de niche pour l’alimentation des carnivores domestiques.

Plusieurs startups ont développé la production d’insectes en France, comme InnovaFeed, Ÿnsect ou Agronutris, mais elles peinent à trouver un modèle économique. Ÿnsect est en redressement judiciaire et InnovaFeed rencontre des difficultés. Tant que les farines de poissons – qui soulèvent d’ailleurs une question environnementale – seront moins chères que les farines d’insectes, la situation restera compliquée. Il est toutefois important de ne pas abandonner cette filière, car les conditions économiques de rentabilité pourraient être atteintes dans le futur.

Concernant les algues, un potentiel de développement a été clairement identifié. Elles sont riches en protéines et surtout en nutriments associés. À l’exception des microalgues qui sont cultivées à terre dans des bassins, elles s’inscrivent dans un modèle de cueillette. Elles sont ramassées en mer ou sur les côtes. Leur bilan carbone est très favorable, même s’il est alourdi par une nécessaire transformation industrielle.

Les algues pourraient enrichir l’alimentation humaine, en fournissant une alternative aux aliments d’origine terrestre. Elles présentent aussi un intérêt pour l’alimentation animale. Si leur prix devient plus compétitif, elles pourraient par exemple remplacer les tourteaux de soja.

Le marché de protéines alternatives devrait se développer, mais surtout constituer un complément aux sources actuelles de protéines. Néanmoins, les technologies ne sont pas encore stabilisées et matures et les modèles économiques restent très incertains. Les promoteurs des protéines alternatives se heurtent à deux difficultés.

La première difficulté concerne la mobilisation de financements pour le passage à l’échelle. Dans son rapport, l’Académie des technologies pointait cette faiblesse. Au-delà des phases d’amorçage, qui peuvent être soutenues par des capitaux privés ou publics, les startups ont du mal à lever des fonds capables de prendre le relais. Le marché est plus étroit en Europe qu’aux États-Unis ou en Asie.

La deuxième difficulté est celle du franchissement des obstacles réglementaires. Les nouveaux aliments – dits Novel Food – sont soumis à la réglementation européenne. La Commission européenne doit autoriser leur introduction sur le marché, après examen technique des dossiers par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Théoriquement, cette procédure doit se faire en neuf mois, mais en pratique, les délais peuvent être bien plus longs et l’état d’esprit des Européens est considéré comme frileux. Les startups préfèrent donc commencer par obtenir des autorisations en Asie et aux États-Unis, où elles estiment avoir une oreille plus attentive des agences sanitaires.

En tout cas, notre rapport appelle à ne pas abandonner la voie des protéines alternatives, qui ne doivent pas effrayer. Elles seront certainement un complément utile aux sources traditionnelles de protéines et constituent un marché futur que nous aurions tort de négliger.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – La dernière partie de notre rapport est consacrée au changement des habitudes alimentaires. Dans ce domaine, les évolutions dépendront des arbitrages réalisés par les consommateurs.

Comme l’a souligné Arnaud Bazin, les protéines ne sont pas consommées seules. Par conséquent, leurs défauts ou leurs qualités doivent être appréciés en prenant en compte la composition totale de l’assiette.

Au cours des dernières années, des évolutions sont déjà intervenues. Tout d’abord, le budget consacré à l’alimentation par les ménages a diminué, puisqu’il ne représente plus que 14 % du total, contre 35 % dans les années 1960. La consommation des protéines animales s’est également modifiée. Le lait semble à un niveau constant, mais cette stabilité apparente traduit en fait une baisse du lait liquide, compensée par l’engouement pour les fromages. Les œufs augmentent considérablement. En revanche, la viande recule, passant de 90 kilogrammes par an et par habitant en 1990 à 83 kilogrammes aujourd’hui.

La végétalisation de l’assiette est un phénomène qui se développe. Selon un sondage Ifop réalisé pour FranceAgriMer, 2,5 % de la population était concernée par des régimes végétariens et végétaliens. L’appétence pour ces régimes est plus forte chez les moins de 30 ans, mais une part croissante de nos concitoyens souhaite passer d’un régime de protéines animales à un régime de protéines végétales. Ce changement est dicté par différents éléments, positifs ou négatifs.

Le prix est l’un des éléments positifs, car les protéines végétales sont moins chères que les protéines animales. Elles sont aussi perçues comme meilleures pour la santé et pour l’environnement. Toutefois, des freins persistent. Les consommateurs ne s’y retrouvent pas toujours. Les protéines végétales nécessitent des modes de préparation plus compliqués, qui obligent en tout cas à revoir les habitudes. Le poids de la culture et de l’histoire familiale est aussi très fort.

Pour lever les résistances et accélérer la transition dans nos assiettes, les légumineuses apparaissent comme une porte d’entrée intéressante. Les politiques publiques encouragent d’ailleurs leur découverte dans la restauration scolaire et collective.

Nous devons également faire changer les habitudes en matière d’alimentation des animaux. Ce propos peut sembler étrange, car a priori nous en avons la maîtrise. Il convient toutefois de rappeler que les animaux d’élevage consomment beaucoup d’aliments concentrés en protéines, afin d’améliorer les rendements. Or ils sont importés à 50 %, ce qui soulève la question de notre autonomie.

M. Arnaud Bazin, sénateur, rapporteur. – Le sujet est foisonnant, mais nous avons identifié dix points de conclusion.

La consommation par l’homme de protéines d’origine animale nécessite d’importantes quantités de protéines végétales.

La généralisation à toute la planète de régimes alimentaires riches en protéines animales tels que nous les connaissons par exemple en France serait difficilement soutenable.

Des marges de manœuvre existent pour s’adapter, car nous surconsommons globalement les protéines par rapport à nos besoins physiologiques.

Les technologies liées aux protéines alternatives pourront fournir un appoint dans des scénarios de transition alimentaire.

Les changements d’habitudes alimentaires sont difficiles à mettre en œuvre. Ils ne se décrètent pas et ne s’imposent pas par le vote d’une loi.

La prise de conscience de la nécessité de faire évoluer les comportements est réelle, comme le montre la légère croissance des régimes végétariens, le développement des pratiques flexitariennes et l’intérêt de la population pour le bien-être et le respect des animaux.

La tendance à la réduction de la consommation de viande rouge est amorcée en France depuis plusieurs décennies.

L’approvisionnement en protéines animales de proximité est devenu nécessaire, afin d’éviter de favoriser indirectement la déforestation, d’ajouter des émissions liées au transport ou de dépendre de conditions d’élevage peu vertueuses.

Dans ce contexte, une autonomie protéique plus forte pour l’alimentation des animaux de ferme est prioritaire. La dépendance aux importations est un facteur de fragilisation des filières d’élevage et agroalimentaires françaises et européennes.

Enfin, il faut diversifier de manière parallèle la production et la consommation de protéines. La progression des solutions alternatives aux protéines animales dépend beaucoup des efforts qui seront faits pour diversifier l’offre alimentaire.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. –  Au terme de ce panorama consacré à la place des protéines dans l’alimentation, plusieurs axes d’action paraissent prioritaires pour encourager en France et en Europe un approvisionnement en protéines à la fois performant et responsable. Nous proposons dix recommandations.

Nous devons affiner la connaissance de l’impact environnemental complet des aliments consommés. Des analyses de cycle de vie (ACV) sont déjà disponibles pour les protéines conventionnelles, mais il faudra également s’assurer que les promesses faites en matière de protéines alternatives, notamment concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, se concrétisent une fois qu’elles seront produites industriellement.

Nous devons nous fixer un objectif d’autonomie protéique de l’élevage à l’échelle européenne. Il convient de tirer les leçons de la faible efficacité des plans successifs en faveur des protéines, en associant le Parlement à l’évaluation de leurs atouts et de leurs faiblesses, prérequis à d’éventuelles réorientations permettant de gagner en effectivité et en efficacité.

Les pouvoirs publics doivent encourager plus fortement la production de légumineuses et leur sélection variétale. Les lentilles par exemple n’ont pas bénéficié des mêmes améliorations que d’autres semences, s’agissant du besoin en eau par exemple.

À rebours de l’idée d’interdire les innovations dans la production d’aliments, il convient de favoriser l’écosystème des protéines alternatives. Les technologies ne menacent ni nos paysages agricoles, ni notre culture culinaire et gastronomique. Elles constituent une autre branche de cette culture, porteuse d’avenir sur des marchés de niche ou des marchés extérieurs, sur lesquels la France doit se positionner, en vue d’un retour sur les investissements consentis pour l’émergence de nombreuses startups.

La fermentation de précision est une technologie qui approche de la maturité. Aussi, des efforts de pédagogie doivent être effectués dans la transparence, pour que les produits en étant issus deviennent des ingrédients ordinaires capables de s’hybrider avec des produits alimentaires classiques.

Les efforts de recherche et développement en matière de culture cellulaire doivent être poursuivis, en garantissant une information complète et non ambiguë du public, futur consommateur.

Aujourd’hui destinée principalement à l’alimentation animale, la production d’insectes ne doit pas être abandonnée, en dépit du modèle économique encore très fragile de cette filière. Le savoir-faire acquis doit être préservé.

Les choix alimentaires résultent d’une multitude de décisions individuelles dans lesquelles de nombreux paramètres interviennent : santé, prix, facilité d’utilisation, disponibilité, habitudes, etc. Le rôle des pouvoirs publics est de donner les bonnes informations et incitations aux consommateurs. De ce point de vue, les différents types de protéines sont encore mal connus et des préjugés tenaces persistent. Une communication plus percutante sur l’importance de la diversité des sources de protéines dans l’alimentation, sur la nécessité de varier les aliments et sur l’inutilité de la surconsommation de protéines devra être effectuée à l’occasion de la sortie du prochain PNNS.

Nous devons soutenir les offres alimentaires contenant des protéines d’origine variée. Je ne reviendrai pas sur ce point que nous avons déjà détaillé.

Enfin, la consommation de viande ne doit pas être diabolisée, car elle a ses vertus, notamment s’agissant des apports protéiques, et reste un pilier de la gastronomie. Elle aura donc toute sa place dans un nouveau système alimentaire, composé de 50 % de protéines animales et de 50 % de protéines végétales.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Que la part de l’alimentation dans le budget des ménages ait été divisée par deux en quelques décennies n’est pas forcément un bon signal. Cette évolution peut traduire une meilleure maîtrise des coûts, mais aussi une tendance à consommer des produits bon marché, de piètre qualité. Les ménages doivent également désormais faire face à d’autres postes de dépenses, qui n’existaient pas dans les années que vous avez mentionnées.

Même si elle ne relève pas de la loi, l’éducation à l’alimentation donne lieu à des plans nationaux, parce que les enjeux de santé publique sont importants. Des régimes trop riches ou déséquilibrés peuvent provoquer des cancers et d’autres maladies graves. Bien se nourrir est donc essentiel.

Je vous remercie néanmoins pour la dernière recommandation. En effet, il ne faut pas diaboliser la consommation de viande, qui est aussi une source de plaisir. Peu d’entre nous rêvent d’une alimentation certes parfaitement équilibrée mais qui consisterait à avaler quelques petites pilules. Il nous manquerait quelque chose d’essentiel dans nos vies. La nourriture donne en effet lieu à de bons moments en famille ou avec des amis.

Vous avez souligné que nous ne mangions pas les protéines seules et qu’elles étaient l’une des composantes des aliments, comme les glucides ou les lipides. Néanmoins, les régimes hyperprotéinés font l’objet d’une promotion très forte, en particulier auprès des personnes qui fréquentent les salles de fitness. Comment ces produits, qui ne sont pas naturels, sont-ils fabriqués ? Quels sont les risques encourus par ceux qui les consomment ? Ils sont facilement accessibles dans les magasins de sport, mais la communication sur les précautions d’utilisation semble très réduite.

Je n’ai jamais expérimenté les algues, mais j’ai eu l’occasion de goûter des insectes dans des pays d’Asie. Ce n’est pas très agréable à manger. En tout cas, nous n’avons pas cette habitude. Il faudra sans doute du temps pour qu’elle s’impose dans nos sociétés.

M. Arnaud Bazin, sénateur, rapporteur. – Je ne suis pas médecin, mais tout de même vétérinaire. Je peux donc essayer d’apporter quelques précisions sur les dangers des régimes hyperprotéinés.

Ces régimes ont des adeptes parmi les utilisateurs des salles de fitness mais ont également été suivis – même si ce n’est pas dans les mêmes proportions – par des personnes qui souhaitaient maigrir. Le risque principal est le déséquilibre de l’alimentation. Dans notre rapport, nous citons des travaux de l’Anses qui ne fixent pas de limite supérieure de sécurité pour l’apport protéique. Un tel plafond est difficile à définir, mais pourrait correspondre à la capacité maximale d’uréogenèse, c’est-à-dire la capacité des reins à transformer les protéines en azote, qui est ensuite excrété sous forme d’urée. De façon un peu empirique, on dit que l’azote finit par fatiguer les reins et peut être la cause de leur vieillissement prématuré, mais il faudrait quand même consommer beaucoup de protéines. Les taux contenus dans ces régimes ne semblent pas générer de problèmes directs.

Ce dont il faut davantage se méfier, ce sont les molécules non autorisées qui sont ajoutées dans les produits pour en maximiser les effets. Avec les régimes hyperprotéinés, l’objectif est de faire grossir les muscles. Si vous ajoutez des stéroïdes anabolisants, les résultats seront plus visibles. Des contrôles antidopage ont déjà révélé leur présence. Or les personnes qui consomment ces produits n’ont pas forcément conscience qu’ils peuvent en contenir.

S’agissant des insectes, la priorité est l’alimentation animale. Dans le milieu naturel, les poissons consomment d’autres poissons et des arthropodes, qui sont de la famille des insectes. La farine d’insectes paraît donc un produit adapté. Malheureusement, elle coûte 1,5 fois plus cher que la farine de poissons. Pourtant, le prélèvement des poissons qui servent à la fabriquer – les poissons-fourrages – est très consommateur d’énergies fossiles et a des impacts négatifs sur la biodiversité marine. Pour devenir plus compétitive, la production de farines d’insectes devrait changer d’échelle, mais les entreprises n’ont pas les ressources nécessaires pour réaliser cette industrialisation. Nous estimons cependant qu’il ne faut pas se désintéresser du sujet.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l’Office. – Votre rapport est impressionnant, car il ouvre de nombreuses pistes et nous amène à réfléchir, y compris sur notre propre manière de consommer.

Pensez-vous que la formation des médecins est suffisante en matière d’alimentation ? Peuvent-ils réellement accompagner nos concitoyens dans ce domaine ? Vous avez évoqué les régimes hyperprotéinés associés à l’activité physique. En tant que père d’un sportif professionnel en début de carrière, j’ai l’impression que certaines pratiques ne sont pas suffisamment encadrées. Les réponses qui sont apportées dans notre pays sont-elles vraiment à la hauteur des enjeux ?

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – Je m’étais posé une question similaire dans le cadre d’une mission précédente de l’Office, qui portait sur le microbiote intestinal. La recommandation de mieux former les médecins à ces nouvelles façons d’appréhender la santé humaine avait été envisagée et j’avais évoqué ce point avec un professeur de médecine. Globalement, il m’avait répondu que les connaissances à acquérir dans un temps limité – même si la formation dure dix ans – étaient déjà très importantes. Il avait reconnu que le sujet était intéressant, mais je n’avais pas senti une volonté de faire évoluer la situation. Malgré tout, les médecins sont des professionnels et une fois qu’ils sont en activité, ils peuvent s’intéresser à ces dimensions et se les approprier s’ils le souhaitent.

M. Arnaud Bazin, sénateur, rapporteur. – Sans pouvoir être très précis, je suis convaincu que l’alimentation est enseignée dans le parcours de formation des médecins. Elle l’est probablement au début du cursus. Les connaissances risquent, par conséquent, d’être un peu oubliées par la suite. Le conseil individuel ne me semble de toute façon pas être le plus efficace pour progresser. Nous devons rechercher une évolution massive des comportements, en nous appuyant notamment sur la restauration collective, scolaire ou universitaire.

Nous constatons que 15 à 20 % des étudiants demandent des repas végétariens dans les restaurants universitaires. Certes, ils ne représentent pas toute la population, mais cette proportion est tout de même importante.

Il est très difficile de faire changer des habitudes de consommation, parce qu’elles nous ont été inculquées par nos parents quand nous étions petits. La plupart d’entre nous trouvent les insectes répugnants, alors qu’ils sont considérés comme excellents en Afrique ou en Asie.

Pour modifier les comportements massivement, la restauration collective constitue un levier intéressant, mais nous devons également travailler sur la présentation des produits dans la grande distribution. S’ils sont mis en tête de gondole par exemple, ils sont valorisés et attirent davantage les consommateurs.

Dans la formation des vétérinaires, l’alimentation des animaux est une discipline à part entière, avec un examen en fin d’année. Une chaire d’enseignement existe dans chaque école. La question des protéines pour l’alimentation des animaux de rente est essentielle, car elle recouvre aussi un enjeu de diversification des sources de protéines et de diminution de notre dépendance aux importations. Le fait de nous approvisionner principalement à l’étranger est une fragilité et un facteur de déséquilibre de notre commerce extérieur.

M. Joël Bruneau, député. – Un plan européen en matière de protéines est évoqué depuis au moins trente ans. Pourquoi ne réussissons-nous pas à réduire notre dépendance vis-à-vis du soja brésilien ? A priori, notre sol et notre climat nous permettraient de développer cette production. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – Il faut prendre en compte la géopolitique, les accords de commerce internationaux, les coûts, etc. Il est moins cher de nourrir nos animaux avec des protéines importées d’Amérique du Sud que de les produire en France. La politique agricole commune permet d’apporter des corrections, mais les mesures prévues ne sont pas à la hauteur des enjeux. Nous recommandons donc que les parlementaires puissent se saisir du sujet, dresser un bilan et évaluer de manière approfondie la situation pour y apporter des solutions. Dans notre rapport, nous évoquons un mécanisme d’aides couplées qui permettrait d’infléchir la tendance.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. – FranceAgriMer a lancé un plan en faveur des protéines. Avez-vous pu en évaluer l’impact ?

Vous vous appuyez beaucoup sur des études internationales, qui peuvent être en décalage avec les réalités françaises. Je ne vous en fais pas le reproche, car d’autres données ne sont pas toujours disponibles. Avec Daniel Salmon, nous avions été confrontés au même problème dans le cadre de la préparation de l’audition publique sur les conséquences pour le monde agricole du réchauffement climatique et des pertes de biodiversité. Néanmoins, les émissions de gaz à effet de serre liées à la production de bœuf n’ont rien à voir dans un modèle très intensif américain ou dans le modèle très extensif du Marais poitevin par exemple.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – Au-delà de leur disponibilité, nous prenons également en compte le caractère récent ou non des données.

Les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture représentent 22 % au niveau mondial, 11 % au niveau européen et 20 % au niveau français. Ces différences sont liées à l’alimentation des ruminants, à la génétique, et à d’autres facteurs. L’expertise scientifique collective de l’Inrae date de 2016, il y a pratiquement dix ans, et d’autres données étaient plus récentes. Nous devons faire des compromis entre l’ancienneté des données, leur représentativité par rapport à nos réalités nationales, etc.

Concernant les plans en faveur des protéines, nous les avons évoqués dans notre rapport. Un plan avait été lancé par Stéphane Le Foll, puis un autre par Julien Denormandie. Il y a eu récemment aussi le projet Cap Protéines. Beaucoup de fonds publics sont mobilisés. Ils se chiffrent parfois en centaine de millions d’euros. Ces initiatives nationales s’ajoutent aux politiques européennes, mais elles se confrontent aux accords de libre-échange qu’il nous arrive d’examiner dans nos hémicycles respectifs.

L’échec des plans en faveur des protéines mis en place à l’échelle nationale peut aussi s’expliquer par la nature des objectifs qui leur sont fixés. Ils sont trop spécifiques – comme l’augmentation des surfaces semées en légumineuses – pour résoudre des problèmes systémiques. Il faut réaliser des évaluations et avoir une vision globale. Le sujet a une forte dimension stratégique. Si toutes les sommes qui sont consacrées aux importations l’étaient à investir chez nous, elles n’auraient pas le même rendement, au-delà du simple effet sur le déséquilibre de la balance du commerce extérieur.

M. Arnaud Bazin, sénateur, rapporteur. – L’évaluation des plans en faveur des protéines est l’une de nos recommandations. Elle est essentielle pour comprendre les raisons de leur incapacité à produire les résultats attendus.

Pour revenir sur une remarque du président Piednoir, les régimes végétariens ne constituent pas forcément une punition. Ils demandent des efforts de préparation auxquels nous ne sommes pas habitués, mais il est possible de les rendre appétents, y compris pour des adolescents de 11 à 15 ans. Dans le département que j’ai eu l’honneur de présider, il existe une école pour les chefs qui préparent les repas des collèges. Ils sont formés pour intégrer les protéines végétales dans l’alimentation et ils y parviennent. Il ne faut pas avoir une image triste et peu avenante de ces aliments, même si cela ne doit pas nous empêcher d’apprécier aussi la viande.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Les émissions de gaz à effet de serre d’une usine se constatent aisément, ce qui n’est pas le cas des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture. Voir une vache dans un champ ne suscite pas les mêmes réflexes qu’une cheminée noire de fumée. Pourtant, le méthane et le protoxyde d’azote restent dans notre environnement bien plus longtemps que le dioxyde de carbone. Leurs effets sont moins visibles, mais plus durables. Par conséquent, il est essentiel d’agir. La baisse tendancielle de la consommation de viande témoigne d’une prise de conscience. Elle concerne principalement les jeunes générations, mais elle se diffuse progressivement dans leur cellule familiale.

Je retiens toutefois qu’il faut être attentif aux carences qui pourraient être liées à des régimes entièrement végétariens. Nous ne devons pas passer d’un extrême à l’autre ou chercher à adopter les habitudes alimentaires d’autres régions du monde, comme les régimes à base d’insectes. En effet, le corps humain développe des immunités en fonction de ce qu’il consomme de manière régulière et pourrait avoir des difficultés à gérer une transition trop rapide.

M. Arnaud Bazin, sénateur, rapporteur. – Il n’y a pas de risques de carence chez les végétariens, qui consomment du fromage, du lait et des œufs. En revanche, pour les végétaliens, qui ne consomment aucun produit d’origine animale, avoir un régime équilibré en protéines nécessite un peu de connaissance et de vigilance. Une supplémentation en vitamine B12 est notamment nécessaire.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Je vous remercie pour ce travail et propose de passer au vote.

L’Office adopte à l’unanimité le rapport sur les protéines et l’alimentation et autorise sa publication.

La réunion s’achève à 11 h 10.

 

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

Réunion du jeudi 5 juin 2025 à 9 heures

Députés

Présents. - M. Philippe Bolo, M. Joël Bruneau, M. Jean-Luc Fugit, M. Pierre Henriet, M. Emeric Salmon, Mme Dominique Voynet

Excusés. - M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Gérard Leseul, M. Arnaud Saint-Martin

Sénateurs

Présents. - M. Arnaud Bazin, Mme Florence Lassarade, M. Stéphane Piednoir, M. David Ros, M. Daniel Salmon, M. Bruno Sido, M. Michaël Weber

Excusés. - Mme Martine Berthet, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Patrick Chaize, M. André Guiol, M. Ludovic Haye, Mme Sonia de la Provôté

1