Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
30 octobre 2024
15 heures 15
Compte rendu n o 3
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 30 octobre 2024
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 15 heures 15.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Mes chers collègues, nous accueillons M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe, pour sa première participation en qualité de ministre à notre commission dont il a été de par le passé un membre actif.
Avant d'aborder l'ordre du jour, j'exprime, au nom de notre commission, notre solidarité envers l'Espagne, qui déplore de nombreuses victimes à la suite des récents événements climatiques. Cette situation souligne à nouveau la nécessité d'une action collective face aux dérèglements climatiques en Europe.
L’ordre du jour de notre réunion porte sur les résultats du Conseil européen des 17 et 18 octobre, au cours duquel la situation en Ukraine, qui perdure depuis plus de deux ans, a été examinée. Le Conseil a réaffirmé l'importance d'intensifier le soutien militaire et d'accélérer la livraison de systèmes de défense aérienne, de missiles et de munitions. Ce soutien demeure essentiel pour la résistance du peuple ukrainien et la sécurité de l'Union européenne. Je souhaite que cela reste une priorité de notre commission.
Le Conseil s'est également prononcé sur la situation dramatique au Proche-Orient. Il a appelé à un cessez-le-feu rapide à Gaza et au Liban, et a insisté sur la nécessité de faciliter l'accès à l'aide humanitaire. Il a aussi rappelé l'urgence de libérer tous les otages retenus depuis plus d'un an dans la bande de Gaza.
Un autre point important concerne la proposition de la Commission européenne d'accélérer les retours des migrants en situation illégale depuis l'Union européenne. L'objectif est de réduire l'immigration illégale tout en préservant les voies légales d'immigration et d’asile. La mise en œuvre du pacte de l’Union européenne sur la migration et l'asile reste une priorité politique.
J'aimerais évoquer trois points supplémentaires avant de vous entendre, Monsieur le ministre. En premier lieu, la situation en Géorgie, où les récentes élections ont été marquées par des pressions et de possibles irrégularités. Nous souhaitons connaître la position de la France sur ces élections et réaffirmer qu'une adhésion à l'Union européenne exige le plein respect du pluralisme politique, des libertés fondamentales et de respect de l'État de droit.
En deuxième lieu, l'adoption par la Commission européenne de droits de douane supplémentaires, pouvant atteindre 35 %, sur les importations de voitures électriques chinoises, témoigne de la détermination de l’Union à lutter contre les pratiques déloyales de ses concurrents et à protéger l'industrie automobile européenne.
Enfin, comme cela a été commenté à l’occasion des questions au gouvernement, je m'inquiète de l'accélération des négociations entre la Commission et les pays du Mercosur. L'accord envisagé menace nos intérêts agricoles. Comme l'a clairement indiqué le Président de la République, aucun accord ne saurait être conclu sans le respect des accords de Paris et sans insertion de clauses miroirs.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Merci beaucoup monsieur le président. Mesdames et messieurs les députés, c’est un honneur pour moi de me retrouver aujourd’hui devant la commission des affaires européennes pour une première audition. Je souhaite réaffirmer ma pleine disponibilité pour collaborer avec les parlementaires sur notre priorité européenne. Je crois profondément au rôle essentiel de la diplomatie parlementaire pour faire entendre la voix de la France en Europe, échanger avec les membres du Parlement européen et des autres parlements nationaux, et représenter la France dans les forums, conférences et think tanks où se débattent les grands enjeux stratégiques et économiques du continent.
Je me tiens à la disposition de la commission, notamment à l’occasion des réunions du Conseil européen et lors des débats majeurs concernant les priorités françaises en Europe. En accord avec le Premier ministre, je propose de réfléchir à des formats permettant d'associer les parlementaires nationaux le plus en amont possible aux discussions sur les textes européens, au-delà de leur transposition. Cela pourrait se concrétiser par des débats ou des auditions devant votre commission.
Ma mission vise également à faire vivre nos priorités européennes dans nos territoires. Je me suis récemment rendu dans l'Isère pour visiter une usine de tracteurs innovants financée par des fonds régionaux, et dans l'Essonne sur la problématique des semi-conducteurs, cruciale pour notre autonomie stratégique. Je reste à votre écoute pour relayer vos préoccupations territoriales.
Concernant les sujets abordés lors du dernier Conseil européen, le soutien à l'Ukraine demeure une priorité absolue. Le Président Zelensky a présenté son plan de victoire, que la France soutient pleinement. Nous poursuivons notre appui militaire et économique à l'Ukraine face à l'agression russe, en coordination avec nos partenaires européens.
Dans le contexte des prochaines élections américaines, qui pourraient influencer la relation transatlantique et le soutien à l'Ukraine, notre position est claire : l'Europe doit se donner collectivement les moyens de maintenir son soutien à l'Ukraine, indépendamment des décisions prises outre-Atlantique. Il en va de la stabilité de notre flanc est, de la défense de nos valeurs et de la sécurité de nos intérêts stratégiques.
Nous sommes sur le point de finaliser un prêt de 50 milliards de dollars pour l'Ukraine, financé par les intérêts générés par les avoirs gelés de la banque centrale russe en Europe. Ce prêt sera réparti entre l'Europe (20 milliards), les États-Unis (20 milliards) et les autres membres du G7 (10 milliards). Notre objectif principal est de soutenir l'effort militaire ukrainien. Ces avoirs immobilisés génèrent actuellement entre 2 et 3 milliards d'euros d'intérêts par an.
Une première tranche de 1,4 milliard d'euros a été allouée au soutien militaire à l'Ukraine en août dernier. Certains blocages persistaient, tant du côté américain que hongrois, mais nous sommes en passe de les surmonter. Cet instrument poursuivra le soutien militaire à l'Ukraine, en complément des autres mesures de soutien, notamment le renouvellement de la facilité européenne pour la paix (FEP).
Au Proche-Orient, vous avez rappelé la position de la France, qui maintient sa position en faveur d'un cessez-le-feu immédiat garantissant la sécurité d'Israël et la libération inconditionnelle des otages. Je rappelle que deux otages français, Ohad Yahalomi et Ofer Kalderon, sont toujours détenus par les terroristes du Hamas à Gaza. Nous plaidons pour l'accès de l'aide humanitaire aux civils palestiniens et la relance du dialogue politique régional, notamment par la création d'un État palestinien souverain aux côtés d'Israël, dans la sécurité de ce dernier.
Je souligne l'effort diplomatique mené par la France aux côtés de ses partenaires européens, notamment lors de la conférence de soutien au Liban tenue à Paris le 24 octobre. Réunissant plus de 70 pays, dont nos partenaires de l'Union européenne, elle a permis de mobiliser près d'un milliard d'euros de dons, dépassant les objectifs des Nations unies. Sur ce montant, 800 millions seront consacrés à l'aide humanitaire pour la population civile libanaise et 200 millions au soutien des forces armées libanaises pour le contrôle du territoire.
Concernant les migrations, sujet largement débattu lors du Conseil européen, une exigence partagée par la majorité des citoyens et des États membres est de répondre collectivement à ce défi en maîtrisant notre immigration et en contrôlant notre frontière extérieure. La création de l'espace Schengen, permettant la libre circulation au sein de l'Union européenne, constitue une avancée historique. Cependant, l'ouverture des frontières intérieures implique une véritable maîtrise de nos frontières extérieures et un soutien aux États en première ligne, comme l'Italie et la Grèce.
La priorité de la France, partagée par de nombreux voisins européens, est la mise en œuvre rapide et accélérée du pacte sur la migration et l'asile dans le respect de son équilibre. Ce pacte prévoit notamment une première sélection des demandeurs d'asile aux frontières de l'Union européenne.
S'y ajoute l'ouverture du débat sur la directive retour afin de faciliter les expulsions de migrants illégaux. Les retours constituent une priorité du Premier ministre et du ministre de l'Intérieur, avec lesquels je collabore étroitement sur ces sujets.
Le troisième volet prioritaire concerne l'intégration de la question migratoire dans les dimensions externes de la politique européenne, notamment les visas, la conditionnalité de l'aide au développement et des partenariats plus robustes avec les pays de transit et de départ. Le partenariat récent entre l'Union européenne et la Tunisie a permis d'enregistrer des résultats positifs, avec une baisse des départs en Méditerranée centrale.
Un autre élément débattu lors du Conseil européen, touchant particulièrement nos partenaires d'Europe centrale et orientale, est l'instrumentalisation des migrations par le Bélarus. Nous avons collectivement exprimé notre solidarité et notre soutien à la Pologne et aux États affectés par cette pratique.
Cette question des migrations, prioritaire pour le gouvernement, nécessite des réponses européennes. Face à ces enjeux complexes, seules la coopération européenne et la mise en œuvre rapide des solutions adoptées permettront d'obtenir des résultats durables. Cela inclut le renforcement des moyens l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), avec l'objectif d'atteindre 10 000 gardes-frontières.
Je souhaite réaffirmer notre position concernant les points que vous avez évoqués, qui ne figurent pas dans les conclusions du Conseil mais constituent des enjeux européens majeurs.
À propos de la Géorgie, il faut également mentionner la Moldavie, où nous avons constaté des ingérences russes massives. Ces pays candidats à l'Union européenne, situés dans notre voisinage immédiat, aspirent à l'intégration européenne. Les rapports des observateurs électoraux ont clairement démontré que les élections en Géorgie n'étaient pas libres et qu’elles se sont déroulées dans un climat de menaces, d'intimidation et de recul démocratique, comme l'a souligné le Parlement européen.
La Géorgie a fait le choix, soutenu par une immense majorité de sa population, de devenir candidate à l'Union européenne. Ce statut implique des responsabilités, notamment le respect de l'État de droit, l'intégrité des élections et l'adhésion aux valeurs inscrites dans les critères de Copenhague. C'est pourquoi nous suivons la situation avec une extrême vigilance. Nous saluons le fait que le gouvernement ait autorisé les manifestations pacifiques et nous avons exigé une enquête impartiale sur les élections. Je déplore cependant les décisions annoncées aujourd'hui par le gouvernement géorgien d'engager des poursuites judiciaires contre ceux qui remettent en question les résultats du scrutin.
Face à ces tentatives de déstabilisation et d'ingérence à nos frontières, l'Union européenne doit se réengager résolument dans ces régions trop longtemps négligées et considérées comme des zones grises ou des théâtres d'influence extérieure. Pensons à la Biélorussie avec la Géorgie, à l'Ukraine avant le début de la guerre d'agression russe le 24 février 2022, ou encore aux Balkans occidentaux. La France soutient un réengagement massif de l'Union européenne dans cette région.
Concernant les droits de douane, nous appuyons l'initiative de la Commission européenne. Il y a quelques mois, une enquête a été lancée contre les pratiques commerciales déloyales de la Chine dans le secteur des véhicules électriques. À la suite des conclusions de cette enquête, la Commission a proposé d'instaurer des droits de douane allant jusqu'à 35 % sur l'importation de véhicules électriques chinois, mesure entrée en vigueur hier.
Cette démarche s'inscrit dans la continuité de l'agenda défini par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne en 2017, prônant une Europe souveraine qui assume sa puissance sans naïveté et défend ses intérêts. Ce sujet s’entend aussi bien sur le plan sécuritaire, avec des investissements massifs dans la défense et les coopérations pour renforcer notre base industrielle européenne de défense, que sur le plan commercial, en imposant à nos partenaires les mêmes normes d'équité et pratiques commerciales loyales, sans oublier le volet environnemental. Le fait que l'Europe sorte d'une forme de naïveté et se défende face aux pratiques déloyales de la Chine constitue une avancée positive. Je rappelle d'ailleurs que l'administration Biden a imposé des tarifs de 100 % sur les véhicules électriques chinois. Si nous ne voulons pas être les derniers à réagir et subir davantage de déséquilibres, nous devons être en mesure de nous défendre.
Quant à l'accord avec le Mercosur, je tiens à réitérer la position claire et ferme du gouvernement, du Président de la République et du Premier ministre : cet accord n'est pas acceptable en l'état car il ne respecte pas nos exigences en matière de durabilité, de respect des accords de Paris, de clauses miroirs, et d'équité commerciale, notamment pour nos agriculteurs. La France n'est pas opposée aux accords commerciaux par principe. L'accord de nouvelle génération avec la Nouvelle-Zélande, qui place les accords de Paris au cœur du dispositif, va dans la bonne direction. Cependant, lorsqu'un accord comme celui avec le Mercosur ne respecte pas ces exigences, nous devons nous y opposer.
Notre diplomatie est pleinement mobilisée sur ce sujet. À titre personnel, je me suis entretenu hier avec mes homologues danois, polonais, chypriotes et grecs pour réaffirmer notre opposition et rallier nos partenaires. Je sais que les autres membres du gouvernement, notamment la ministre de l'Agriculture et la ministre du Commerce extérieur, partagent cette position. Vous pouvez compter sur notre détermination et notre vigilance sur ce dossier.
Mme Constance Le Grip (EPR). Je tiens à exprimer ma satisfaction, monsieur le ministre, de votre audition par la commission des Affaires européennes. Je souligne que vous êtes, pour la première fois, ministre en charge des Affaires européennes, rattaché à la fois au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et auprès du Premier ministre, ce qui ne manquera pas d'être fructueux.
Le groupe Ensemble pour la République adhère aux grandes orientations formulées par le Conseil européen lors de sa dernière réunion. Nous soutenons résolument la réaffirmation de notre soutien déterminé à l'Ukraine, avec la nécessité d'intensifier le soutien militaire et d'accélérer la livraison de missiles et de munitions. Nous nous réjouissons également des avancées majeures concernant l'octroi futur d'un prêt important à l'Ukraine.
Nous approuvons pleinement le soutien et la préoccupation réaffirmés par le Conseil européen envers nos partenaires de l'Est, notamment la Moldavie et la Géorgie. Nous saluons les conclusions du Conseil européen sur la réponse commune aux défis migratoires, considérés comme un défi européen nécessitant une réponse européenne. Nous approuvons l'accélération de la mise en place du pacte sur la migration et l’asile, la volonté d'augmenter les retours des étrangers en situation irrégulière, l'annonce de nouvelles directives sur les retours, le renforcement de la coopération avec les pays d'origine et de transit, ainsi que le renforcement de la conditionnalité à travers les politiques de développement et de visas.
Nous avons également noté avec intérêt que le Conseil n'excluait pas les propositions innovantes en matière de réponse commune aux défis migratoires, émanant par exemple de la Commission européenne.
Concernant la Moldavie, nous réaffirmons notre forte préoccupation face aux opérations d'ingérence et de déstabilisation orchestrées par la Russie visant à influencer le choix souverain du peuple moldave. Nous saluons le fait que le Conseil européen rappelle que la Moldavie ne sera pas seule face à ces menaces et que son chemin vers l'Europe doit pouvoir se faire dans la sécurité et la stabilité. Le deuxième tour de l'élection présidentielle reste préoccupant. Nous observerons cela avec beaucoup de vigilance et réaffirmons notre soutien à la présidente Sandu.
Par ailleurs, je tiens à souligner que la visite prématurée du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán en Géorgie, dès le lendemain du scrutin pour reconnaître les élections et apporter son soutien au gouvernement géorgien, nous semble très inappropriée. Je souhaiterais vous demander quels sont les projets au plus haut sommet de l’État pour affirmer notre soutien à la Géorgie.
Enfin, monsieur le ministre, pensez-vous que les pays de l'Union européenne et l'Union européenne elle-même sont suffisamment préparés à affronter le résultat de l'élection présidentielle américaine, quel qu'il soit ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je souhaite évoquer le double rattachement de mon ministère, au Premier ministre et au ministre des Affaires étrangères. Cette configuration vise à assurer une présence ministérielle accrue auprès des institutions européennes, notamment en identifiant les commissaires et parlementaires européens de tous les groupes auprès desquels faire valoir la défense de nos intérêts.
Je partage vos positions concernant la Hongrie. À cet égard, le président du Conseil européen, Charles Michel, a clairement affirmé que Viktor Orbán ne représentait que la Hongrie et non l'Union européenne. De même, les autres États membres ont fermement condamné les fraudes lors de l'élection géorgienne.
Nous maintenons notre soutien à la présidente Maia Sandu, notamment dans sa lutte contre la corruption, pour les réformes et le renforcement de l'État de droit et de la démocratie en Moldavie. Je tiens également à saluer le courage de la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, compte tenu de nos liens spécifiques avec elle.
Sur les élections américaines, la conclusion qu’il faudra en tirer quel que soit le résultat, est que nous ne pouvons pas jouer la sécurité de l’Europe tous les quatre ans en nous basant sur les résultats du Michigan ou du Wisconsin. Bien au contraire, nous devons collectivement assurer notre propre sécurité. C’est pourquoi il nous appartiendra d’investir stratégiquement dans notre outil militaire et de soutenir notre base européenne de défense. De surcroît, il sera indispensable d’investir massivement dans notre compétitivité. Le rapport Draghi a souligné le décrochage industriel de l’Europe, tant du point de vue des investissements publics que privés. Notre retard se manifeste également dans le domaine des brevets sur l'intelligence artificielle. Au cours des trente dernières années, les États-Unis ont généré deux fois plus de PIB que l'Europe.
Pour maintenir notre influence sur la scène internationale et continuer à peser dans les débats d'idées, nous devons impérativement prendre notre destin en main.
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). J’aimerais plus particulièrement parler des stratégies qui seront mises en œuvre pour obtenir des cessez-le-feu dans les différents conflits dans le monde. Pour l’Ukraine, vous avez défendu récemment le fait d’aller à la table des négociations, ce qui est inévitable pour arrêter un conflit mais a précédemment entraîné beaucoup de critiques contre La France Insoumise. Qu'est-ce qui a motivé ce changement de stratégie au niveau gouvernemental ?
Je réitère mes inquiétudes exprimées plus tôt dans l’hémicycle lors des questions au gouvernement concernant l'embrasement généralisé au Proche-Orient, avec les offensives menées par Netanyahou à Gaza, en Cisjordanie et l'invasion du Liban. Depuis un an, nous interpellons le gouvernement pour défendre un cessez-le-feu, l'arrêt des livraisons d'armes et la reconnaissance de l'État de Palestine. Il est temps de passer à l'action concrète, au-delà des simples communiqués et déclarations. Je n'ai pas perçu d'engagement ferme en ce sens dans la réponse de la ministre tout à l'heure.
Par ailleurs, lorsque le Président de la République adopte une position plus ferme en qualifiant ces actes de « barbarie », il est immédiatement critiqué en tant que chef d'État français. J'ai notamment cité le communiqué du CRIF, dont la teneur est inacceptable. Quelle est la position du gouvernement face à ces attaques contre le Président de la République ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Sur ces deux sujets, la position de la France n’a jamais varié. Depuis le 24 février 2022, nous soutenons fermement les Ukrainiens dans la défense de leur souveraineté et de leur liberté, garantissant ainsi notre propre sécurité face à la Russie, dans le respect de la Charte des Nations unies et l'objectif d'intégrité territoriale de l'Ukraine.
Lorsque le Président Zelensky a présenté son plan de victoire aux partenaires européens, il a réitéré son ouverture aux négociations. Notre priorité actuelle consiste à placer les Ukrainiens dans le rapport de force le plus avantageux possible sur le terrain face à la Russie. Cette démarche s'avère essentielle, car les Ukrainiens la jugent nécessaire pour initier un processus de négociation. Il convient de rappeler qu'avant le déclenchement du conflit, la Russie avait rejeté ces négociations. La France, notamment par l'intermédiaire du Président de la République, s'était rendue à Kiev et à Moscou pour tenter de trouver une issue diplomatique aux tensions alors existantes entre les deux pays. C'est la Russie qui a opté pour l'affrontement, fermant ainsi la porte à la diplomatie.
Aujourd'hui, notre objectif est de créer un rapport de force favorable sur le terrain, en continuant à soutenir les Ukrainiens et en les accompagnant dans leur processus politique vers l'Union européenne. Nous œuvrons également à la définition de garanties de sécurité solides et durables, assurant la dissuasion et la stabilité dans la région.
Concernant le Proche-Orient, la position de la France est tout aussi claire. Le Président de la République et notre diplomatie se mobilisent pour obtenir un cessez-le-feu, qui garantira la libération inconditionnelle des otages - je souligne une nouvelle fois la présence de deux otages français détenus par le Hamas. Nous visons aussi une garantie de sécurité pour Israël, rappelant que cette guerre a débuté avec l'attaque terroriste barbare du Hamas le 7 octobre, suivie par l'intervention des proxys de l'Iran dès le lendemain.
L'accès à l'aide humanitaire pour les populations civiles du Liban et de Gaza revêt une importance capitale pour notre pays. À cet égard, la conférence internationale du 24 octobre sur le Liban illustre l'engagement diplomatique de la France.
Enfin, nous œuvrons à la relance du dialogue politique régional, avec pour objectif la création d'un État palestinien coexistant aux côtés de l'État d'Israël.
Telle est l'essence du message que la France porte aux côtés de ses partenaires.
M. Karim Benbrahim (SOC). Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur deux points abordés lors du dernier Conseil européen : le soutien à l'Ukraine et la compétitivité de l'industrie européenne.
Depuis plus de dix ans et l'annexion illégale de la Crimée, l'Ukraine affronte une agression menée par le régime de Vladimir Poutine. Dans ce conflit, la résistance ukrainienne défend sa souveraineté et sa liberté. Cependant, l'offensive de Poutine vise également les valeurs fondamentales des démocraties européennes. Le combat du peuple ukrainien doit donc être le nôtre. Le groupe Socialiste réitère son soutien au maintien des aides à l’Ukraine face à un Vladimir Poutine qui ne cède qu'au rapport de force.
Actuellement, 210 milliards d'euros d'actifs russes sont gelés dans l'Union européenne. Pour financer l'aide à l'Ukraine, l'Union européenne a autorisé la levée d'un prêt remboursable grâce aux intérêts de ces actifs. Néanmoins, l'Union européenne n'a pas opté pour leur saisie, qui constituerait pourtant un appui décisif pour la résistance ukrainienne. Ma question est donc la suivante : la France envisage-t-elle la saisie de ces fonds pour financer les aides apportées à l'Ukraine ?
En outre, les sanctions imposées par l'Union européenne ciblant les importations de produits russes ont un impact limité en raison du contournement organisé via certaines entreprises tierces. Face à cette situation, quelles modifications envisagez-vous pour renforcer l'efficacité des sanctions contre la Russie ?
Le sujet de la compétitivité des entreprises européennes a été insuffisamment traité lors du dernier Conseil européen. De nombreuses industries françaises, notamment dans les secteurs clés de la transition énergétique, sont en difficulté en raison d'une concurrence déloyale, principalement chinoise. Dans mon département de la Loire-Atlantique, je pourrais malheureusement citer plusieurs exemples. Par manque de temps, je n'évoquerai que le cas de General Electric, concurrencé par la Chine pour la production des futures éoliennes offshore, qui a décidé de délocaliser son usine aux États-Unis pour y concentrer sa production.
Monsieur le ministre, nous sommes confrontés à des enjeux multiples : la lutte contre le dérèglement climatique, la protection de notre souveraineté et le maintien de nos emplois. Il est urgent d'agir pour préserver nos emplois, nos compétences et notre outil industriel. Estimez-vous qu'une Europe plus protectionniste soit nécessaire ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le député, je partage fondamentalement votre analyse de la situation ukrainienne. La guerre menée par la Russie contre nos valeurs européennes, l'architecture de sécurité de notre continent et la préservation de la démocratie en général rendent urgent le soutien à l'Ukraine.
Concernant les avoirs gelés, nous avons effectivement immobilisé ceux de la Banque centrale russe en Europe au lendemain de l'agression. Il a fallu du temps pour parvenir à un consensus sur la confiscation des seuls revenus des intérêts générés par ces avoirs gelés. Ces fonds permettront de financer le prêt de 50 milliards de dollars avec les États-Unis et les autres membres du G7.
Des débats complexes subsistent sur l'équité et le risque systémique pour la zone euro que pourrait représenter une confiscation générale des avoirs gelés. Je précise néanmoins que les conclusions du Conseil européen et des différentes réunions des pays du G7 stipulent clairement que ces avoirs ne seraient dégelés que lorsque la Russie cesserait son agression et accepterait de verser des réparations à l'Ukraine pour les dommages économiques et humains causés par son agression. Un travail juridique se poursuit avec nos partenaires du G7 sur ce sujet.
Le contournement des sanctions constitue effectivement un enjeu majeur. C'est pourquoi nous avons, à plusieurs reprises, adapté et renforcé notre système de sanctions au niveau européen. De nouveaux débats auront lieu lors de la présidence polonaise de l'Union européenne à partir du 1er janvier prochain, précisément sur cette question. Nous collaborons avec le coordinateur des sanctions de l'Union européenne, M. O’Sullivan, pour combler toutes les failles, qu'il s'agisse du contournement des sanctions par des pays tiers (parfois même candidats à l'adhésion à l'Union européenne) ou de la création de filiales dans ces pays. Le renforcement de nos instruments européens pour prévenir le contournement des sanctions constitue une de mes priorités personnelles.
Enfin, concernant la compétitivité, nous devons protéger nos intérêts industriels face à la concurrence déloyale de la Chine et au protectionnisme américain découlant de l’Inflation Reduction Act (IRA), qui incite certaines industries européennes à se délocaliser aux États-Unis. Le message que nous portons est celui d'une Europe qui n'est pas naïve, capable d'investir dans sa souveraineté et de défendre ses intérêts industriels et son innovation.
M. Michel Herbillon (DR). Monsieur le ministre, permettez-moi tout d'abord de vous adresser tous nos vœux de réussite dans votre mission d'une importance capitale.
En matière de politique migratoire, l'Europe se trouve aujourd'hui dans une impasse. Comme vous l'avez souligné, un nombre croissant d'États membres réclament un durcissement de la politique communautaire afin de reprendre le contrôle des flux migratoires. Les récentes déclarations du Premier ministre polonais, annonçant la suspension du droit d'asile pour les migrants arrivant dans son pays via la frontière biélorusse, en sont un exemple frappant. Même l'Allemagne, longtemps considérée comme une terre d'accueil, a rétabli ses contrôles aux frontières et durci ses conditions d'entrée.
Lors du Conseil européen du 17 octobre, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne ont entériné le principe d'une accélération de la mise en œuvre du pacte européen sur la migration et l’asile, ainsi qu'un renforcement de la lutte contre l'immigration illégale. Cependant, au-delà des déclarations, nos concitoyens européens attendent des actions concrètes.
Dans cette optique, quel calendrier est envisagé pour accélérer ce processus ? La France soutient-elle l'élaboration d'une nouvelle politique commune de retour, un sujet que le pacte Asile et migration ne couvre pas ? Par ailleurs, la France va-t-elle porter l'idée que l'Europe s'exprime d'une seule voix face aux pays de départ qui refusent de reprendre leurs ressortissants entrés illégalement dans nos pays européens ?
Lorsque la France suspend ses visas, les ressortissants des pays concernés contournent l'obstacle en les obtenant par le biais d'autres États. C'est pourquoi il nous semble primordial que la délivrance de tous les visas européens soit conditionnée à une véritable coopération des pays tiers en matière migratoire.
Concernant le Mercosur, la Commission européenne semble accélérer les travaux en vue d'obtenir un accord commercial avec le bloc sud-américain. Des rumeurs circulent quant à une possible signature lors du prochain G20 au Brésil. Ce sujet a-t-il été abordé lors du dernier Conseil européen ? Quel est l'état actuel des discussions ? On entend dire que la France serait de plus en plus isolée sur ce dossier. Est-ce le cas ?
Pouvez-vous nous confirmer que la France maintient son veto contre cet accord qui, en l'état, fait peser de graves menaces sur notre agriculture, risquant d'importer des denrées ne respectant pas nos propres conditions de production sur le plan environnemental ? Pouvez-vous affirmer que, quoi qu'il arrive, ce projet d'accord commercial sera bien soumis au vote du Parlement français ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le député, je partage entièrement votre analyse concernant la question migratoire et la priorité accordée par le gouvernement à l'accélération de la mise en œuvre du pacte sur la migration et l’asile. Initialement prévu pour juin 2026, le calendrier a été avancé d'au moins six mois. Nous collaborons avec nos partenaires pour concrétiser cette accélération, tout en préservant l'équilibre initial du pacte, élément essentiel pour maintenir le soutien de tous les États membres.
Nous appuyons la révision de la directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (directive Retour), afin de faciliter le renvoi et l'expulsion des migrants en situation irrégulière sur le territoire européen. Nos priorités se reflètent d'ailleurs dans la récente communication de la présidente de la Commission européenne, notamment l'accélération du pacte, la révision de la directive Retour, l'intégration de la maîtrise de l'immigration dans la politique extérieure de l'Union européenne, la conditionnalité des visas et du développement, ainsi que le renforcement des partenariats avec les pays de transit et de départ. Nous nous félicitons que la Commission européenne en fasse également une priorité, reprenant ainsi le message porté par la France ces derniers mois.
Concernant le Mercosur, je réitère la position inflexible de la France : nous nous opposons à un accord qui, en l'état, ne respecte pas nos exigences. Comme vous l'avez souligné, il s'agit d'équité commerciale pour nos entreprises et nos agriculteurs. Si nous nous imposons des normes et des critères, il est légitime que nos partenaires commerciaux en fassent de même. Nos exigences portent également sur le plan environnemental et le respect des accords de Paris. Bien que ce sujet n'ait pas été officiellement à l'ordre du jour du Conseil, soyez assurés que nous l'abordons systématiquement et sans ambiguïté lors de nos échanges avec nos interlocuteurs, que ce soit au niveau du Président, du Premier ministre ou des membres du gouvernement.
Un des enjeux actuels réside dans notre opposition sur le fond, mais aussi face à la méthode employée par la Commission qui cherche à scinder l’accord entre sa dimension commerciale et sa dimension politique afin de contourner l’exigence d’un vote à l'unanimité. Cela ne correspondrait pas au mandat qui lui a été confié. Nous faisons valoir ces arguments tant auprès de la Commission que de nos partenaires européens.
M. Benoît Biteau (EcoS). Je souhaite revenir à deux fondements essentiels de l'Union européenne : la paix et la solidarité. Ces principes appellent une approche globale, privilégiant des solutions s'attaquant aux causes plutôt qu'aux conséquences.
Concernant l'Ukraine, il est impératif de soutenir le peuple ukrainien dans sa quête de paix sur le continent européen. Nous devons poursuivre nos efforts en ce sens. Cependant, j'attire votre attention sur le cynisme de certains spéculateurs qui profitent de l'instabilité géopolitique en Ukraine pour spéculer sur les denrées alimentaires. L'Europe a un rôle fondamental à jouer pour empêcher que cette spéculation perdure, avec des profits sans précédent sur fond de crise ukrainienne.
Un phénomène similaire se produit dans les négociations du Mercosur. Si cet accord progresse, c'est que certains y trouvent un intérêt, loin de l'intérêt général. Le Mercosur ne respecte aucun des standards imposés à nos agriculteurs européens, qu'il s'agisse des hormones de croissance, des pesticides, du bien-être animal, des conditions de travail ou des accords de Paris. Je vous exhorte à la plus grande vigilance quant à la conclusion d'un accord avec le Mercosur car les spéculateurs sont à l'œuvre, au détriment de l'intérêt commun.
Par ailleurs, nous avons évoqué en début de séance la situation à Valence et le dérèglement climatique. Là encore, il faut s'attaquer aux causes, ce qui me permet d'établir un lien avec l'immigration. Dans un autre contexte, j'ai voté contre le pacte sur la migration et l’asile, et j'en suis fier. Le rôle de l'Europe est de traiter les causes et d'élaborer des stratégies de codéveloppement avec les pays d'origine, pour que leurs ressortissants préfèrent y rester plutôt que de se déraciner. Notre mission consiste à mettre en œuvre tous les moyens pour que ces personnes choisissent de demeurer dans leur pays, plutôt que d’adopter des pactes contre le droit d’asile et l’immigration.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je tiens à souligner deux points en réponse à vos observations. D'une part, la France accorde une grande importance à la question de la sécurité alimentaire, ce qui se reflète dans de nombreuses initiatives, notamment dans le dialogue du Président de la République avec les pays du Sud global. L'agression russe contre l'Ukraine engendre des conséquences stratégiques et constitue une attaque contre nos valeurs démocratiques et européennes, mais elle impacte également directement la sécurité de l'approvisionnement alimentaire et les prix des denrées. Ces impacts se ressentent tant pour nous-mêmes que pour nombre de nos partenaires du Sud global. Nous veillons à ces intérêts dans nos discussions avec ceux-ci.
À cet égard, j’exprime notre solidarité avec nos partenaires espagnols et les assure que nous sommes disposés, avec nos voisins européens, à les soutenir face à la situation actuelle.
Concernant le Mercosur, j’ai rappelé la position de la France.
Vous avez évoqué les causes profondes de l'immigration, qui figurent effectivement parmi les priorités de l'agenda de développement de l'Union européenne. Nous pouvons citer les enjeux climatiques, économiques et les transitions démographiques. S'attaquer à la maîtrise de nos frontières et à la mise en œuvre du pacte Asile et migration n'exclut en rien l'élaboration d'une politique plus solide de co-développement sur le long terme avec les pays d'origine. Cet objectif doit indéniablement être considéré comme prioritaire.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Je souhaite revenir sur la situation en Ukraine, bien que ce sujet ait déjà été largement abordé. Le Conseil a réaffirmé son soutien à l'Ukraine, mais les réactions des dirigeants au plan de victoire présenté par le Président Zelensky se sont révélées mitigées. Des appels ont été lancés pour identifier les livraisons de systèmes d'armes aériennes, de missiles et de munitions, ainsi que pour développer rapidement une aide de 6 milliards d'euros. Néanmoins, des tensions au sein du Conseil sont perceptibles.
La Présidence hongroise ne semble pas améliorer la situation. Les déclarations de Viktor Orbán en octobre, qualifiant l'Ukraine de « problème grave pour l'Europe », soulèvent des interrogations quant aux développements futurs et à la préservation de l'unité européenne. Dans ce contexte, quel rôle la France peut-elle jouer ?
Le sujet de la compétitivité n'a été que brièvement évoqué. Nous attendons la déclaration de Budapest du 8 novembre. Des pistes pour de nouveaux instruments de financement, dont nous avons un réel besoin, ont-elles déjà été identifiées ? Quelles seront les priorités de la France dans ce domaine ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. La compétitivité constituera l'une des priorités majeures de la France. Le sommet informel à Budapest la semaine prochaine l’évoquera. La prochaine Commission et le futur cadre financier devront cibler nos priorités à cet égard, en partant du constat simple que j'ai évoqué : le risque de décrochage industriel de l'Europe face à ses partenaires et concurrents.
Pour y répondre, nous devons mieux mobiliser notre épargne publique et privée, en créant d'abord un environnement d'investissement plus favorable. Cela implique de mettre l'accent sur l'innovation plutôt que sur la régulation, d'unifier les marchés de capitaux et de réfléchir au mandat de la Banque européenne d'investissement. Actuellement trop conservateur, ce mandat pourrait s'élargir au financement du nucléaire ou de la défense, secteurs qui en sont aujourd'hui exclus.
Nous devons également envisager la mobilisation de l'investissement public et de la dette, comme lors de la crise Covid, vers les priorités, notamment les technologies d'avenir tels que l'intelligence artificielle et le quantique, ou encore le soutien à la transition environnementale.
Ces priorités se retrouvent dans le portefeuille de notre candidat à la Commission européenne, Stéphane Séjourné. Nous travaillerons avec lui pour assurer la souveraineté technologique et industrielle de notre continent. Je le répète, en nous comparant sur les trente dernières années en termes d'innovation, de création de brevets et de mobilisation des investissements, nous accusons un retard considérable par rapport à nos voisins et notamment les États-Unis. Cette situation doit sonner comme un signal d'alarme pour les Européens.
Concernant l'Ukraine, je réitère l'engagement de la France dans le soutien militaire, avec la formation de 2 300 soldats ukrainiens sur le sol français, la livraison des Mirage dès l’an prochain, notre appui aux différents instruments européens comme la FEP que j'ai mentionnés précédemment.
Vous évoquez à juste titre la Hongrie, mais je tiens à souligner, pour voir le verre à moitié plein, que nous avons su rester unis pour l'Ukraine, notamment en renouvelant régulièrement les sanctions. Nous devons persévérer dans cette voie, quel que soit le résultat des élections américaines.
M. Maxime Michelet (UDR). Au nom du Groupe de l'Union des Droits pour la République, je souhaite exprimer notre satisfaction de voir la question migratoire inscrite à l'ordre du jour d'un Conseil européen, étant donné son importance pour notre continent. L'agence Frontex a relevé 380 000 entrées régulières en 2023, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2022, un niveau record depuis la crise migratoire de 2016. Il convient de rappeler que la France figure parmi les pays de l'Union les plus concernés par cette problématique, avec environ 800 000 personnes en situation irrégulière sur notre territoire, selon les estimations du précédent ministre de l'Intérieur.
En mai 2024, une dizaine de pays a plaidé pour une externalisation de la gestion des flux migratoires. Bien que la France ne fasse pas partie de ces signataires, on y retrouve certains de nos alliés, monsieur le ministre, comme l'Estonie, ainsi que le gouvernement socialiste du Danemark, chers collègues du Nouveau Front populaire. Ces États préconisent aujourd'hui de s'inspirer de l'Italie qui, par le biais de son accord avec l'Albanie, a établi deux centres d'accueil dans ce pays pour externaliser sa politique de retour.
Face à l'immigration irrégulière, des solutions efficaces existent. Vous avez évoqué l'accord avec la Tunisie, auquel j'ajouterai l'accord avec l'Égypte et, naturellement, l'accord italo-albanais. Nous sommes conscients du poids considérable de l'Italie sur cette question, notamment grâce à l'entretien de relations bilatérales franches avec les pays d'origine et de transit, ainsi qu'à la conclusion d'accords bilatéraux qui lui permettent de s'imposer dans les négociations européennes. Bruno Retailleau avait préconisé la conclusion de ce type d'accords bien avant sa prise de fonction actuelle, tandis qu'Emmanuel Macron s'y était opposé.
Nous nous interrogeons aujourd'hui sur une possible discordance qui pourrait affaiblir notre influence en Europe, alors que, à notre grande surprise, Mme von der Leyen elle-même a reconnu la nécessité d'agir rapidement en proposant une révision de la directive Retour. Vous l'avez vous-même souligné. Si Mme von der Leyen est convaincue, tout semble envisageable. Néanmoins, nous demeurons sceptiques.
Mes questions sont les suivantes : le gouvernement peut-il nous garantir une unité de position concernant les questions migratoires en Europe, une cohésion indispensable à toute diplomatie forte ? Et alors que le Conseil européen, la présidente de la Commission et plus de dix États membres réfléchissent à l'externalisation du traitement de l'asile et du retour, quelle sera la position du gouvernement vis-à-vis du modèle proposé par l'Italie ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Nous partageons votre exigence de réponse aux questions migratoires, une priorité évoquée par le Premier ministre dès sa déclaration de politique générale. Vous mentionnez le succès du modèle italien, mais il convient de nuancer cette affirmation. Actuellement, aucun demandeur d'asile n'est présent en Albanie dans le cadre de l'accord avec l'Italie. De même, pour prendre un exemple en dehors de l’Union européenne, l'accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda n'a pas encore connu d'application concrète.
Les résultats obtenus en Méditerranée centrale ces derniers mois, avec la baisse des traversées en 2024, sont le fruit de la coopération européenne. Ils découlent des réponses que nous avons su apporter conjointement avec l'Italie, un pays de première entrée qui a trop longtemps été laissé seul pour maîtriser nos frontières extérieures. Mme Meloni a compris la nécessité de cette solidarité et de ce partenariat européen, une fois arrivée au pouvoir. Ce n’est qu’à travers cette coopération européenne et la mise en œuvre rapide du pacte sur la migration et l’asile que nous pourrons obtenir les résultats les plus efficaces.
Concernant l'externalisation, ou ce que l'on nomme "solutions innovantes", au-delà des considérations juridiques et constitutionnelles qu'elles soulèvent, on peut s'interroger sur leur efficacité logistique et financière. Sans pour autant affirmer que ces mesures sont taboues ou doivent être exclues du débat, il faut souligner qu'elles ne sont actuellement pas mises en œuvre par l'Italie, et n'expliquent donc pas les résultats enregistrés.
Je tiens à réaffirmer notre détermination, notamment en ce qui concerne les positions innovantes du Premier ministre et les propos très clairs du Président de la République sur la mise en œuvre du pacte Asile et migration, la révision de la directive Retour et l'application des politiques externes de l'Union européenne sur les questions migratoires. Ces questions se reflètent effectivement, comme vous l'avez souligné monsieur le député, dans les priorités évoquées par la présidence de la Commission européenne.
M. Alexandre Loubet (RN). Monsieur le ministre chargé de l'Europe, le résultat des élections européennes du 9 juin dernier, marqué par une victoire historique et large du Rassemblement national, a démontré le rejet de la politique européenne d'Emmanuel Macron. Ce résultat devrait contraindre votre gouvernement à faire respecter la voix des Français. Or, cinq mois après ce scrutin, en dressant un premier bilan de vos quelques semaines au ministère, force est de constater que les intérêts de la France en Europe ne sont toujours pas défendus sur de nombreux dossiers. Je souhaite en évoquer cinq en particulier.
Vous persistez à imposer la submersion migratoire en soutenant le pacte Asile et migration et en refusant, contrairement à l'Allemagne, de contrôler les frontières nationales.
Vous maintenez une écologie punitive et l'inflation normative en appuyant l'application des différents textes du Green Deal.
Vous poursuivez le démantèlement de notre industrie automobile en soutenant l'interdiction de la vente des voitures thermiques à l'horizon 2035.
Vous cautionnez l'explosion des factures d'électricité pour les ménages et les entreprises en défendant les règles absurdes du marché européen de l'énergie.
Enfin, alors même que nous cherchons à réaliser des économies, vous continuez d’imposer des hausses d’impôts aux Français en accroissant de près de 5 milliards d'euros la contribution française au budget de l'Union européenne, sachant que nous versons déjà davantage que ce que nous recevons.
À ce propos, monsieur le ministre, nous avons évoqué l'accord de traité de libre-échange avec le Mercosur. Si vous y êtes réellement opposé, ce dont je ne doute pas, pourquoi envoyez-vous un signal de faiblesse à l'Union européenne en augmentant la contribution française de 5 milliards d'euros, au lieu de menacer de la réduire, alors même que nos intérêts sont bafoués ?
À ces cinq exemples de renoncements, sur lesquels j'attends vos réponses, s'ajoute une volonté manifeste d'effacer la France sur la scène européenne. En témoigne la nomination prévue de M. Stéphane Séjourné comme commissaire européen, avec un titre certes honorifique, mais sans administration à gérer directement. C’est une humiliation inédite pour la France, étant donné que ses fonctions sont transverses.
De surcroît, monsieur le ministre, vos députés ont voté pour le rapport Verhofstadt qui prévoit la dissolution de la France dans un État européen en supprimant le droit de veto, en abandonnant des pans de souveraineté à l'Union européenne et en instaurant un président et un gouvernement de l'Union européenne.
Pour conclure, monsieur le ministre, ma question est simple : sur l'ensemble de ces points que j'ai évoqués, allez-vous tirer les leçons des élections européennes et défendre l’intérêt des Français ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Ces sujets européens, complexes par nature, méritent d'être traités avec plus de nuance et moins de caricature et d’outrance.
J'ai précédemment évoqué la situation de l'Italie face au défi migratoire. Dans leurs propositions, nombre de vos alliés préconisent des solutions nationales et la sortie des traités européens. Pourtant, une fois au pouvoir, ils comprennent, à l'instar de leurs homologues, la nécessité de la coopération européenne dans la défense de nos intérêts. C'est précisément ce que nous faisons, que ce soit sur le plan sécuritaire, énergétique ou commercial. Nous défendons les intérêts de la France au sein de l'Europe, en partenariat avec nos voisins, afin de promouvoir une Europe capable d'assumer sa puissance et sa souveraineté, et de protéger ses frontières face aux grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine.
À l'approche des élections américaines qui pourraient avoir un impact direct sur nos intérêts si l’on en croit les menaces protectionnistes de certains candidats soutenus par votre mouvement. Pourtant, ces menaces pourraient nuire à nos agriculteurs, nos entreprises et nos industries. De plus, les risques sécuritaires liés à l'absence de soutien à l'Ukraine soulignent la nécessité d'une action collective avec nos voisins européens, si nous entendons continuer à défendre nos intérêts.
Soyons sérieux. Il ne s'agit nullement, monsieur le député, d'une « dissolution de la France », mais bien de notre capacité à agir collectivement. Sur tous ces sujets, qu'il s'agisse de la mise en œuvre du pacte Asile et migration, de la défense de nos frontières extérieures, ou de l'opposition à l'accord du Mercosur, nous portons la voix de la France dans les enjeux commerciaux. La décision récente d'imposer des tarifs douaniers aux véhicules électriques importés de Chine, en réponse aux pratiques commerciales déloyales de ce pays, illustre parfaitement cette démarche de la France.
Les priorités de la France, portées depuis sept ans - souveraineté industrielle et technologique, défense, nucléaire comme énergie de décarbonation en Europe - se reflètent aujourd'hui dans les priorités de la Commission européenne et dans le portefeuille de Stéphane Séjourné, notre candidat à la Commission européenne.
Nous assistons ici à l'expression de deux visions idéologiques distinctes, qui se sont d’ailleurs exprimées dans le débat sur le prélèvement sur recettes.
Un dernier mot, Monsieur le député : l'exemple du Brexit britannique démontre qu'à force de demander des rabais, on finit par sortir de l'Union européenne. Notre place dans l'Union européenne et notre contribution ne se résument pas à un simple bilan comptable avec des entrées et des sorties. Elle englobe aussi les avantages pour nos agriculteurs de participer au marché agricole commun, pour nos entreprises d'accéder au marché unique, et pour nos étudiants et citoyens de pouvoir voyager librement. C'est cela aussi, la participation de la France à l'Union européenne, qui se reflète à travers notre contribution au budget.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre présence. J'aimerais vous poser quatre questions concises, bien que leurs réponses puissent s'avérer complexes.
Vous évoquiez la guerre hybride d'instrumentalisation migratoire menée par la Biélorussie à la frontière polonaise. Quelle est votre position sur les barrières physiques qui ont été évoquées à plusieurs reprises ?
Vous avez mentionné le déploiement prévu de 10 000 gardes-frontières Frontex d'ici 2027. Pouvez-vous nous informer de l'état d'avancement de ce projet et confirmer si le calendrier initial sera respecté ?
Troisièmement, dans le contexte des discussions récentes sur les véhicules thermiques, quelle est votre position sur la révision potentielle du règlement interdisant ces véhicules à l'horizon 2035 ?
Enfin, concernant le Mercosur, la France a clairement exprimé son opposition à la mise en œuvre de ce traité de libre-échange. Quels sont les leviers dont dispose notre pays pour empêcher l'application de cette partie commerciale, dont on sait qu’elle pourrait nous échapper prochainement ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je tiens à préciser que nous pourrons approfondir ces sujets complexes ultérieurement si vous le souhaitez. Concernant l'instrumentalisation des migrations, les membres du Conseil ont clairement exprimé leur soutien et leur solidarité envers la Pologne, notamment dans les moyens mis en œuvre pour lutter contre cette guerre hybride. Il ne s'agit pas ici de flux migratoires normaux, mais bien d'une instrumentalisation politique.
Quant à Frontex, je vous apporterai des précisions sur le calendrier. Nous soutenons activement le recrutement de personnel et le renforcement financier de l'agence.
S'agissant des véhicules thermiques, il convient de rappeler que la dernière mandature a permis des avancées significatives en matière environnementale. L'objectif n'est pas d'élaborer de nouvelles mesures, mais de mettre en œuvre celles existantes et d'accompagner les industries dans cette transition. Le gouvernement s'y attelle particulièrement.
Enfin, concernant le Mercosur, je réitère mes propos précédents : nous nous efforçons de mobiliser nos partenaires afin de constituer une minorité de blocage.
Mme Céline Calvez (EPR). Le rapport Draghi, discuté lors du dernier Conseil européen, met en exergue l'impératif d'investir massivement dans les nouvelles technologies, plus particulièrement dans l'intelligence artificielle (IA). L'objectif est de combler l'écart de développement entre l'Union européenne et ses concurrents américains et chinois, afin de "libérer notre potentiel d'innovation".
Ce document préconise un assouplissement des règles pour éviter toute entrave au développement de l'IA, dont les capacités sont susceptibles de transformer radicalement l'ensemble de nos secteurs d'activité. Néanmoins, il demeure essentiel de garantir une dimension éthique dans l'élaboration de ces technologies, qui ne sauraient s'affranchir des normes et des principes fondamentaux régissant nos sociétés.
C'est dans cette optique que s'inscrit l'IA Act, entré en vigueur en juillet dernier. Ce texte vise à établir le cadre juridique européen de l'intelligence artificielle en proscrivant certaines pratiques et en imposant des critères de transparence aux acteurs du numérique dans le développement de leurs systèmes d'IA, ainsi que dans l'identification des contenus générés par cette technologie.
Dans ce contexte, il convient de s'interroger sur les moyens que la France et l'Europe mettront en œuvre pour s'assurer que ces entreprises respectent les critères de transparence et de sécurité imposés par l'IA. Plus largement, quelles actions devraient être entreprises pour stimuler l'innovation dans l'IA tout en garantissant le respect des principes européens, notamment en matière de sécurité des données et de protection de la propriété intellectuelle ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je souhaite souligner la pertinence de votre référence à l'IA Act. Cette législation a effectivement permis d'établir une charte de normes éthiques et déontologiques encadrant le développement et l'utilisation de certaines capacités de l'intelligence artificielle, notamment concernant la création de contenus comme les deep fakes. Cette réglementation s'inscrit dans l'agenda de l'Union européenne et s'impose aux entreprises opérant sur le territoire européen, à l'instar du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA) qui régissent les plateformes technologiques.
Néanmoins, il convient de rappeler que pour exercer une influence significative dans ce domaine, nous ne pouvons laisser à nos partenaires et concurrents le monopole du développement de l'intelligence artificielle. En effet, c’est l'innovateur qui joue un rôle prépondérant dans l'établissement des normes, le régulateur n'intervenant qu'à la marge.
Actuellement, la répartition des investissements en intelligence artificielle est révélatrice : 61 % sont dirigés vers les États-Unis, 17 % vers la Chine, et seulement 6 % vers l'Union européenne. Il est donc impératif de combler ce retard en investissant massivement, tout en respectant les normes élaborées par la Commission européenne.
Cette démarche constituera une priorité majeure pour notre compétitivité dans ce secteur stratégique.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Je souhaite aborder un sujet qui n'a pas encore été évoqué. La Présidente de la Commission a récemment effectué une visite dans les six pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne. La perspective européenne et l'intégration de ces pays des Balkans constituent un enjeu sensible et d'actualité. Ces nations pourraient se tourner vers d'autres puissances, notamment la Chine, qui représente non seulement un concurrent économique mais également un rival systémique de l'Europe.
Ces États portent encore les stigmates de la guerre des années 1990. S'engager dans une logique de modification des frontières risquerait d'ouvrir une boîte de Pandore et d'enclencher un processus dangereux, non seulement pour les Balkans mais également pour l'ensemble du continent européen. Plusieurs partis nationaux s'opposent à toute remise en question, estimant qu’ils n’y ont pas intérêt. Parallèlement, les communautés locales ne se reconnaissent pas dans les affiliations nationales proposées.
Quelle est la position de la France concernant les objectifs et la méthode à adopter envers cette partie de l'Europe ?
Sur le Mercosur, nous souhaitons connaître précisément l’intention de la France, au-delà d'une simple opposition. La France envisage-t-elle de constituer une minorité de blocage sur cette question ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je vous remercie de mentionner les Balkans occidentaux, dont la situation nous rappelle l'existence d'autres zones grises d'influence extérieure au cœur de notre continent. Nous accompagnons ces pays dans leur processus d'adhésion à l'Union européenne, qui exige des réformes importantes en matière d'État de droit, de lutte contre la corruption, de réforme des marchés et de résolution des conflits bilatéraux. En particulier, le dialogue entre le Kosovo et la Serbie constituera une priorité.
La présidence française de l'Union européenne a permis des avancées significatives, notamment sur le blocage entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord, en refusant que des enjeux bilatéraux entravent le processus d'adhésion. Je m'implique personnellement sur ce sujet. J'étais d’ailleurs récemment en Allemagne pour le processus de Berlin, avec nos partenaires de la région.
L'année prochaine marquera le trentième anniversaire du génocide de Srebrenica contre les Bosniaques, mais aussi celui des accords de Dayton-Paris qui ont mis fin à la guerre en Bosnie. Ces événements nous rappellent l'urgence de nous impliquer dans cette région, tant pour la résolution des conflits que pour accompagner son cheminement vers l'Union européenne.
M. Pascal Lecamp (Dem). Au risque de paraître insistant sur le Mercosur, qui revêt aussi un caractère plus technique, nous saluons votre position claire et ferme, que nous partageons tous. Aujourd'hui, la question se pose : comment contraindre la Commission européenne à respecter la décision du Conseil de l'Union du 22 mai 2018 ? Cette décision stipulait que l'accord d'association Union européenne-Mercosur, alors en négociation, demeurerait un accord mixte. L'enjeu réside dans ce statut d'accord mixte, qui requiert un vote à l'unanimité et une ratification par le Parlement français. En d'autres termes, comment empêcher la Commission européenne de dissocier le volet commercial de l'accord d'association ?
En tant qu'européen convaincu, je m'inquiète du pouvoir que semble s'arroger Mme von der Leyen depuis sa réélection. Elle paraît vouloir contourner les règles les plus fondamentales du Traité sur l'Union européenne.
Deux points supplémentaires méritent notre attention. Quel est le contenu de l'instrument additionnel négocié ? Nous n'en savons rien, bien qu'il ait été annoncé lors de la reprise des négociations en janvier 2023. Par ailleurs, pourriez-vous nous éclairer sur le déroulement de vos négociations en aparté sur ce sujet ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je vous remercie pour votre remarque pertinente, Monsieur le député. En effet, deux enjeux majeurs se dégagent. D'une part, le contenu de l'accord, fréquemment évoqué, notamment concernant les normes environnementales et les questions commerciales. D'autre part, le processus lui-même soulève des interrogations.
Sans dévoiler la teneur précise de nos échanges avec les différents partenaires, je peux indiquer que certains partagent nos préoccupations sur le fond, redoutant les répercussions potentielles sur l'agriculture ou l'environnement. D'autres s'inquiètent, comme vous l'avez souligné, du découpage envisagé. Celui-ci permettrait à la Commission de revenir sur le mandat originel qui lui est donné, en séparant la dimension associative de la dimension commerciale, contournant ainsi le principe de mixité des accords.
Nous nous opposons fermement à cette démarche. C'est l'argument que nous devons faire valoir auprès de nos partenaires pour constituer une minorité de blocage, tant au Conseil qu'au Parlement européen, lequel devra se prononcer sur le fond de l'accord.
Mme Sylvie Josserand (RN). Monsieur le ministre, la Corée du Nord a récemment annoncé l'envoi d'environ 10 000 soldats supplémentaires en Russie, s'ajoutant aux 1 500 déjà déployés. Les services de renseignement ukrainiens affirment que 10 000 soldats nord-coréens seraient déjà déployés dans les territoires occupés du Donbass. En marge de la présentation de son plan pour la victoire à Bruxelles le 17 octobre dernier, M. Zelensky a déclaré que ce déploiement représentait "une étape supplémentaire dans la guerre et une première étape vers une guerre mondiale".
Ma question comporte deux volets. Quel est le montant de la contribution française à la FEP, créée en 2021 ? Pourriez-vous nous expliquer comment la France appréhende ces nouvelles données géopolitiques afin de faire face au conflit ukrainien à court terme, et de contribuer à nos visions géostratégiques à moyen et long terme pour assurer notre protection ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je confirme que le soutien de la France à la FEP, un instrument que nous avons activement promu, s'élève à environ 18 % à 20 % de l'enveloppe globale. Je n’en connais pas le montant exact avec précision mais il est facile à retrouver.
Nous considérons l'envoi de troupes nord-coréennes en Ukraine - qui semble se confirmer – comme un facteur d’escalade, au même titre que le soutien iranien à la Russie via la fourniture de missiles et de drones. Nous avons dénoncé ces envois de troupes et avons rappelé avec fermeté la nécessité de défendre notre sécurité à nos frontières.
Cette situation souligne une fois de plus la nécessité impérieuse de renforcer notre capacité à défendre notre sécurité aux frontières de l'Europe. C'est pourquoi nous poursuivons notre coopération étroite avec notre partenaire ukrainien.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Je souhaite insister sur les dangers qui guettent la région des Balkans occidentaux si nous ne parvenons pas à l'intégrer rapidement à l'Union européenne. Cette question a été abordée lors du récent Conseil européen, mais également dans d'autres instances, notamment cette semaine à la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l’union des parlements de l’Union européenne (COSAC) à Budapest et lors d'une réunion de la Banque centrale européenne (BCE) à Belgrade sur les Balkans occidentaux, à laquelle j'ai participé.
Face à la montée du populisme et du nationalisme dans ces régions, je m'interroge sur les moyens d'accélérer les processus d'adhésion. Monsieur le ministre, quelle stratégie envisagez-vous pour faciliter ces possibles adhésions ?
Par ailleurs, je me demande si nous, parlementaires nationaux, pourrions prendre une initiative en marge du processus de Berlin, celui-ci étant réservé à l'exécutif. Ne pourrions-nous pas y apporter une contribution constructive ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Vous avez raison, et je suis parfaitement conscient de votre engagement sur ce sujet. Cette région des Balkans revêt une importance stratégique pour nous et pour l'Europe. Nous devons par conséquent être en mesure d’accompagner ces pays dans le processus européen. Je préfère ne pas employer le terme "accéléré", car ce processus doit évidemment se dérouler dans le respect des critères de Copenhague, impliquant des réformes de l'État de droit, la lutte contre la corruption et des réformes économiques. Cependant, cette précision n'a pas pour but de fermer la porte, mais au contraire de les accompagner en soutenant les forces pro-européennes, nombreuses dans cette région, et la société civile. Il s'agit également d'investir sur le plan économique, car cette zone offre de réelles opportunités.
Le succès de la récente visite du Président de la République en Serbie en témoigne, tout comme la relation bilatérale riche que nous entretenons avec Belgrade. Notre investissement est primordial, non seulement dans le cadre du processus d'adhésion, mais aussi de manière absolue, notamment dans la résolution des conflits, comme je l'ai évoqué précédemment avec la députée Karamanli.
Pour conclure, je tiens à vous féliciter et à vous remercier, ainsi que les autres députés, pour votre implication dans la COSAC et dans les différents organes de dialogue parlementaire. Votre participation à ces forums permet de faire entendre la voix de la France, de défendre nos intérêts et notre vision. L'influence de notre pays se joue également dans ces instances, à travers la diplomatie parlementaire.
M. Benoît Biteau (EcoS). Vous avez abordé la relation avec la Chine et l'instauration de droits de douane pour protéger l'industrie automobile européenne face à la concurrence chinoise. Il est impératif d'évaluer les dommages collatéraux de telles mesures. Bien que je comprenne la volonté de préserver le marché intérieur européen face à l'afflux de produits chinois, ces dommages collatéraux affectent également, dans ma circonscription, l'un des fleurons de l'industrie agroalimentaire qui contribue significativement à la balance commerciale : le cognac.
Cette filière s'avère être la première victime collatérale de cette taxation douanière. Ma question est donc la suivante : quelles dispositions l'Union européenne compte-t-elle prendre pour préserver la filière du cognac et empêcher sa disparition ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je tiens à préciser que le protectionnisme n'est pas notre objectif. Au contraire, nous cherchons plutôt à établir des échanges commerciaux équitables avec nos partenaires, fondés sur des normes et des standards respectés par tous. Pour autant, face à des pratiques de concurrence déloyale, nous devons être en mesure de nous défendre et de protéger nos secteurs susceptibles d'être affectés par des mesures de rétorsion.
J'ai pris note que la Commission européenne avait évoqué l'identification de mesures compensatoires pour les secteurs touchés par ces rétorsions. Nous appuyons pleinement cette initiative. Notre but est précisément de modifier les pratiques de concurrence déloyale, qu'elles émanent de nos partenaires chinois ou américains, et d'éviter d'entrer dans ce type de cycle. Cependant, nous ne pouvons y parvenir qu'en restant unis et solidaires en tant qu'Européens, afin de défendre nos intérêts et d'assumer les rapports de force inhérents à ces négociations.
Il est temps de nous affranchir d'une certaine naïveté qui a longtemps caractérisé l'Union européenne sur ces sujets.
Mme Manon Bouquin (RN). Je reviens brièvement sur le Mercosur. Vous avez mentionné précédemment que la Commission européenne pourrait contourner l'opposition française en scindant l'accord, séparant le volet commercial du reste de l'accord d'association. Cette manœuvre permettrait de faire passer le vote à la majorité qualifiée plutôt qu'à l'unanimité.
Si cette hypothèse se concrétisait, si la Commission forçait le passage et agissait contre la volonté de la France, quelles seraient les conséquences concrètes ? Quelle serait la réaction de la France dans un tel scénario ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je ne souhaite pas anticiper des décisions qui n'ont pas encore été prises. Notre objectif actuel est d'exprimer de manière claire et ferme, à tous les niveaux, auprès de nos partenaires, de la Commission européenne et de nos homologues européens, notre opposition catégorique à cet accord.
Je réitère que celui-ci ne satisfait pas les exigences formulées à maintes reprises par le Président de la République, le Premier ministre et les différents membres du gouvernement. Je suis également conscient que cette position est partagée par les parlementaires lors de nos échanges.
L'accord ne répond pas à nos attentes, tant sur le plan de l'équité commerciale que sur celui de l'équité environnementale. C'est pourquoi nous maintenons fermement notre position et continuons à nous mobiliser.
M. Alexandre Loubet (RN). Monsieur le ministre, la facture d'électricité des Français a augmenté de 44 % en deux ans. Cette hausse considérable s'explique par l'indexation du prix français de l'électricité sur les prix européens du gaz, alors même que nous disposons d'une des électricités les moins onéreuses d'Europe à la production.
Le gouvernement actuel, dans la continuité du précédent, a négocié une réforme du marché européen de l'énergie permettant aux groupes électro-intensifs et aux énergéticiens de bénéficier de factures énergétiques correspondant au coût de production en France. C’est une excellente mesure, et je m’en réjouis. Toutefois, je m'interroge : au nom de quoi, les ménages français, les TPE, les PME et les ETI ne profiteraient-ils pas également d'un prix aligné sur le coût de production en France ? Pour quelle raison devraient-ils supporter financièrement les choix politiques énergétiques effectués en Allemagne ?
Cette situation pèse lourdement sur nos finances publiques, engendrant 50 milliards d'euros de dépenses en prix tarifaires et des sommes considérables en chèques énergétiques. Je considère que cela démontre malheureusement que vous ne défendez pas suffisamment les intérêts de la France en Europe.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je vous remercie d'avoir souligné les progrès réalisés par le gouvernement précédent concernant la réforme du marché européen de l'énergie. Ces avancées incluent notamment le découplage des prix de l'électricité et du gaz, ainsi que la reconnaissance du nucléaire comme une énergie essentielle à la décarbonation du continent, parallèlement aux investissements dans les énergies renouvelables et aux objectifs de réduction des émissions. Nous maintiendrons notre engagement sur ces questions.
Cependant, je souhaiterais vous interroger sur votre position alternative concernant le marché européen de l'énergie, que je peine à saisir clairement. Préconisez-vous d'en sortir, d'y rester ou de le réformer ? J'ai entendu des positions très contradictoires à ce sujet, alors que la France a souvent été exportatrice sur ce marché, ce qui s'est avéré bénéfique pour nos intérêts nationaux.
Une fois de plus, nous avons obtenu des résultats concrets pour la réforme du marché européen de l’énergie, mais votre proposition alternative demeure floue pour moi. Je suis convaincu qu'un retrait de ce marché ne servirait pas les intérêts des Français, qu'il s'agisse des contribuables ou des entreprises.
M. Pascal Lecamp (Dem). Un article de presse évoquait récemment que "la Commission travaille à un fonds d'indemnisation des agriculteurs" dans l'espoir d'apaiser les inquiétudes. Le gouvernement devrait affirmer que ce fonds ne satisfera pas l'ensemble des agriculteurs et ne répondra pas aux attentes. Les conclusions du Conseil européen du 22 mai 2018 stipulent que l’accord entre l’Union et le Mercosur demeure un accord d'association sans possibilité de dissocier le volet commercial.
Nous sommes plus de 200 signataires d'une tribune que nous présenterons mercredi prochain lors de la prochaine séance à l’Assemblée, à l'initiative du président Chassaigne. Nous sommes tous convaincus de l'unanimité du Parlement sur cette question.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je suis en phase avec l’ensemble de vos propos.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Je vous remercie, Monsieur le Ministre. Cette première audition constitue, je l'espère, le point de départ d'échanges fructueux entre votre ministère et notre commission.
La séance est levée à 16 heures 45.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Philippe Ballard, M. Karim Benbrahim, M. Benoît Biteau, Mme Manon Bouquin, Mme Céline Calvez, Mme Colette Capdevielle, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Michel Herbillon, Mme Sylvie Josserand, Mme Marietta Karamanli, M. Jean Laussucq, Mme Constance Le Grip, M. Pascal Lecamp, M. Alexandre Loubet, M. Matthieu Marchio, M. Patrice Martin, M. Laurent Mazaury, M. Maxime Michelet, Mme Nathalie Oziol, Mme Anna Pic, M. Pierre Pribetich, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye.
Excusés. - Mme Sophia Chikirou, Mme Yaël Ménaché, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Estelle Youssouffa.