Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
14 mai 2025
15 heures
Compte rendu n o 30
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président,
puis de
M. Laurent Mazaury,
vice-président,
puis de
M. Thierry Sother,
vice-président
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 14 mai 2025
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la Commission, puis de M. Laurent Mazaury, vice-président, puis de
M. Thierry Sother, vice-président
La séance est ouverte à 15 h 05.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution européenne relative à la suspension temporaire du Pacte vert européen. Je donne la parole à Guillaume Bigot, auteur et rapporteur de ce texte.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Entré en vigueur en juin 2021, le Pacte vert européen prévoit plus de 50 textes législatifs. Certains concernent la fin des véhicules thermiques, d’autres la rénovation des bâtiments, d’autres encore l’ajustement carbone aux frontières, la mise en œuvre d’un second marché carbone pour les carburants, la suppression progressive des subventions aux énergies fossiles, ou encore la stratégie agricole « de la ferme à la fourchette ». C’est magmatique.
Ce Pacte vert européen a un but : faire de l’Union européenne la première zone climatiquement neutre d’ici 2050. Cet objectif est totalement louable. Le problème est que sa mise en œuvre souffre d’un défaut fondamental : elle ignore les réalités industrielles, économiques, scientifiques et sociales.
Ainsi, ce rapport plaide pour la suspension temporaire du Pacte vert, non pour renoncer à l’action climatique, mais pour réorienter cette politique avant qu’elle ne devienne fatale à notre économie et à notre cohésion sociale. Ce rapport ne vise pas à nier l’urgence climatique indiscutable, mais il pose une question simple : est-ce que la voie indiquée, ou plutôt imposée, par le Pacte vert est la bonne pour y faire face ? La réponse est clairement non.
Dans son état actuel, le Pacte vert ressemble à un pacte des quatre « I » : irréaliste dans ses objectifs, injuste dans la répartition des efforts, insoutenable pour notre économie et inefficace pour le climat mondial.
Tout d’abord, les objectifs du Pacte vert sont irréalistes. Le rehaussement de l’objectif de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030 de moins 40 % à moins 55 % a été décidé sans étude d’impact crédible. Cet objectif est contraignant depuis l’adoption de la loi européenne sur le climat de 2021. Il suppose une transformation de fond en comble de toute notre économie, le tout en cinq ans.
La mise en œuvre du Pacte vert exige également de passer d’un rythme moyen de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en particulier de CO₂, de 2 % par an à un rythme beaucoup plus soutenu de 5 % par an jusqu’en 2030. Je vous invite à mesurer l’ampleur d’une telle accélération. La seule et dernière fois où les émissions de gaz à effet de serre se sont contractées de 5 % par an, c’était pendant la pandémie de Covid-19. Il nous est donc demandé un effort équivalent à un confinement économique total pendant cinq années de suite. Qui peut sérieusement croire à la possibilité d’atteindre un tel objectif ?
Ensuite, le Pacte vert est injuste dans la répartition des efforts qu’il exige des États membres. Avec son électricité largement décarbonée grâce au nucléaire, la France émet moitié moins de CO₂ par habitant que son voisin d’outre-Rhin. Malgré cela, le Pacte vert impose des contraintes de réduction de CO₂ pratiquement identiques à celles de l’Allemagne. Un Français devra donc réduire ses émissions d’ici 2030 à 3,6 tonnes de CO₂ par an et par habitant, contre 6,4 tonnes de CO₂ pour un Allemand.
Par ailleurs, le Pacte vert est économiquement, socialement et financièrement insoutenable. Par exemple, dans le secteur automobile, la fin programmée des moteurs thermiques d’ici 2035 se heurte à la réalité du marché. En 2024, pour la première fois depuis 2020, les immatriculations de véhicules électriques ont reculé de 5,9 % en France. Comment atteindre l’objectif de 30 millions de véhicules à zéro émission d’ici 2030 - ce qu’il faudrait pour respecter les objectifs fixés par le Pacte vert - alors qu’aujourd’hui, il y a moins de 10 millions de véhicules électriques sur le continent ? Pendant ce temps, les constructeurs chinois se frottent les mains.
Dans le domaine agricole, l’étude de l’université de Wageningen, aux Pays-Bas, estime que la stratégie « de la ferme à la fourchette », incluse dans le Pacte vert, entraînera une diminution de 10 % à 20 % des volumes de production agricole dans l’Union. En conséquence, les prix des produits agricoles vont augmenter, et les importations pourraient doubler.
S’agissant de nos finances publiques, il y a également un sujet d’insoutenabilité. Le coût de cette précipitation est insoutenable. Le rapport Draghi évalue entre 750 et 800 milliards d’euros par an les besoins d’investissement supplémentaires pour réaliser la transition écologique, soit 4,4 % à 4,7 % du produit intérieur brut de l’Union européenne. C’est massif.
Pour la France seule, la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie estime à 200 milliards d’euros annuels, soit 6,8 % du PIB et deux fois le budget du ministère de l’Éducation nationale, le coût de la mise en conformité avec le Pacte vert. Nous dépensons actuellement 47,3 milliards d’euros pour cette politique. D’après l’Institut de l’économie pour le climat, avec plus de 100 000 euros sur 10 ans, ce coût est littéralement insoutenable pour les ménages français.
Enfin, le point le plus important : le Pacte vert est inefficace. Même si nous atteignons la neutralité carbone demain, l’impact sur le climat mondial serait nul. L’Union européenne ne représente en effet que 6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et 8 % si l’on inclut les émissions importées.
J’ai auditionné le directeur général Climat de la Commission européenne. Il a lui-même déclaré que la politique climatique de décarbonation de l’Union européenne n’est plus une politique pour sauver la planète mais une politique industrielle. Ces efforts titanesques et ruineux sont donc accomplis pour rien. Surtout, les fuites de carbone liées aux délocalisations industrielles aggravent les émissions de gaz à effet de serre. Le paradis vert que nous promet la Commission européenne n’est assurément pas une bonne nouvelle pour les émissions et pour la planète.
Le Centre commun de recherche de la Commission européenne a publié en janvier 2025 un rapport édifiant : sur les 87 objectifs juridiquement contraignants du Pacte vert, seuls 13 progressent au rythme nécessaire. C’est donc un échec programmé. Face à ces constats, nous proposons trois recommandations principales dans cette proposition de résolution européenne.
Nous proposons, premièrement, de ralentir le rythme de la transition en revenant à un objectif de -40 % d’émissions d’ici 2030. Cela est bien plus réaliste que les -55 % actuels. Cela permettrait de viser la neutralité carbone pour 2055 ou 2060, plutôt que 2050, car nous n’y arriverons pas.
Deuxièmement, nous proposons de renforcer le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Ce mécanisme, que la Commission a beaucoup vanté, entrera en vigueur en 2026. Avant cette date, il faut impérativement élargir le champ d’application de ce qui est prévu. Ce mécanisme n’est pas une mauvaise idée en soi, mais il faut l’étendre aux produits finis. Il faut absolument simplifier sa mise en œuvre pour protéger nos industries. Actuellement, le mécanisme cible uniquement les matières premières, il est trop complexe et trop vulnérable aux stratégies de contournement.
Troisièmement, il faut réallouer plus efficacement les financements, en priorisant les investissements selon leur rapport coût-efficacité environnementale, et en étalant dans le temps les plus onéreux.
Suspendre temporairement le Pacte vert n’est pas reculer, mais avancer autrement, vers une écologie de l’efficacité, et rompre avec une écologie ruineuse de l’illusion. Notre pays, qui a su construire un mix énergétique décarboné grâce à son parc nucléaire, souffre injustement de cette course effrénée vers une transition mal pensée, mal conçue, impossible à mettre en œuvre. Nos agriculteurs, nos industriels, nos finances publiques et nos concitoyens méritent mieux que ce saut dans l’inconnu, qui fragilise notre économie sans bénéfice pour le climat.
Je vous invite donc à voter cette résolution sans esprit partisan, non contre l’écologie, mais pour une écologie réaliste, souveraine et juste.
M. Maxime Michelet (UDR). Le Pacte vert européen avait été pensé par ses promoteurs comme un outil de progrès environnemental. Il s’est avéré n’être qu’un puissant outil de déclin économique et de désindustrialisation massive qui a précipité la fermeture de nos usines et la perte de nos savoir-faire industriels, au moment même où, conscientes que l’industrie est un facteur déterminant d’autonomie stratégique, de grandes puissances tels que la Chine et les États-Unis, se lancent dans d’ambitieuses politiques industriels.
A contrario, armée de ses bonnes intentions et de son inénarrables machines à réglementer, l’Union européenne a fait le choix de la décroissance et du déclin, le choix de l’enlisement dans une inflation normative étouffante. Etouffante au point qu’elle doit désormais porter elle-même un omnibus législatif pour se libérer des normes qu’elle s’est elle-même infligées. Etouffante au point que Friedrich Merz, le nouveau chancelier allemand, a déclaré qu’il ne suffirait pas de reporter l’application, de la directive CS3D - une des innombrables mesures du Pacte – mais qu’il faudrait procéder à sa suppression pure et simple.
A la frénésie réglementaire du Pacte vert, s’ajoute également un fardeau budgéter exorbitant. Celui d’un plan européen de 1000 milliards d’euros sur 10 ans, auquel on peut ajouter la facilité pour la reprise et la résilience, principale pilier du plan de relance « Next Generation EU », qui mobilise 723 milliards d’euros, et pour laquelle les Etats sont contraints de consacrer 37 % de fonds à la poursuite d’objectifs climatiques qui recoupent ceux du Pacte.
A l’origine de ces milliards, ni miracle, ni manne providentielle, mais les contributions nationales, c’est-à-dire l’impôt et, derrière lui, les contribuables, notamment les contribuables français – car notre pays, contributeur net, ne bénéficie d’aucun mécanisme de correction forfaitaire.
A la contribution au budget européen de notre Nation, s’ajoutent les dépenses induites par les objectifs auxquels la France a consenti à travers le Pacte vert, et qui, selon le rapport remis par Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry, exige de notre pays qu’il engage environ 200 milliards d’euros annuel, soit six fois les dépenses environnementales consenties en 2023. Cette trajectoire est insoutenable, irréaliste et irresponsable.
L’Union des droites pour la République soutiendra donc cette proposition de résolution européenne qui invite le gouvernement – comme d’autres gouvernements européens ont déjà pu le faire – à demander une suspension temporaire du Pacte vert. Ce Pacte n’a en effet d’autre impact, dans le contexte international particulièrement concurrentiel, que de désarmer l’économie européenne en plombant notre croissance à nos frais. Il s’agit d’une hérésie dont seule l’Europe a le secret et qui la condamne sans sauver le climat.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Ces paroles sont frappées au point du bon sens. Je pense, sans esprit partisan, que l’on peut partager l’inquiétude concernant la situation des finances publiques.
Je n’ai jamais soutenu, en tant que citoyen, le mécanisme de la Banque centrale européenne qui interdit de refinancer la dette publique via les banques centrales. Je pense que c’est une hérésie, c’est d’ailleurs une exception sur la planète. Ce mécanisme explique que l’on doive se refinancer en permanence sur les marchés à des prix exorbitants.
L’Union européenne, qui a mis en place un système dans lequel il faut veiller à ce que l’endettement ne déraille sauf à devoir se refinancer sur les marchés, impose maintenant à travers le Pacte vert un dérapage complet des finances publiques.
C’est une contradiction majeure. Je pense, sans esprit partisan, que l’on peut s’accorder sur ce point.
M. Nicolas Dragon (RN). Le Pacte vert européen adopté en 2021 est devenu la consécration infernale d’une lutte contre notre souveraineté agricole et industrielle.
A l’heure où les États-Unis et la Chine défendent ardemment leurs intérêts économiques, l’Union européenne s’impose un carcan de normes au nom d’une idéologie écologiste relevant de l’auto-flagellation. Ces normes déconnectées de réalité conduisent à une désindustrialisation accélérée, entraînant des délocalisations et aboutissant à l’appauvrissement des populations européennes.
Nous assistons à une véritable saignée de notre avenir industriel et agricole, car pendant que nos usines ferment, que nos agriculteurs ploient sous le poids des normes, l’Union européenne, continue d’ouvrir largement son espace à des produits prêts à inonder notre marché commun provenant d’Etats non-membres aux couts de production très faibles, qui ne respectent pas nos propres contraintes.
Ensuite, il faut également dénoncer le scandale démocratique que constitue le financement, par la Commission, avec l’argent des contribuables, d’ONG militantes, chargées de faire pression sur les députés européens pour adopter le Pacte vert.
Quant aux objectifs irréalistes de réduction de CO2 d’ici 2030, ils semblent inatteignables. Ce Pacte vert représente une guerre sociale déguisée, car ce sont bien les citoyens humbles et modestes, dont l’avenir ne semble plus compter pour nos élites éloignées des réalités, qui subissent de plein fouet la flambée des prix de l’énergie, la pression règlementaire, et qui vont payer la note de ces extravagances idéologiques.
Le groupe Rassemblement national demande que la France suive l’exemple de la Pologne afin d’exiger la suspension du Pacte vert, sa renégociation et la protection de ses frontières. L’Union européenne doit cesser d’être le laboratoire d’idées de l’idéologie verte pour redevenir un continent de nations puissantes, productives et libres.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Il y a un aspect que vous soulignez dans votre intervention qui est très juste : celui du creusement des inégalités. Le Pacte vert est un bloc magmatique, énorme, avec beaucoup de ramifications – j’ai parlé des cinquante textes législatifs à l’échelle européenne mais il faut aussi compter avec leur transposition dans les Etats membres.
Les prix des véhicules électriques sont une illustration parfaite de ce creusement des inégalités. Si vous n’avez pas de problème de ressources et de moyens, vous pouvez facilement acheter un véhicule électrique et bénéficier des avantages que cela présente. Seulement, tout le monde ne peut pas et c’est la même chose pour l’élévation de la facture énergétique en Europe pour toutes les énergies et en particulier pour l’électricité : elle est multifactorielle.
S’il serait vraiment simpliste d’incriminer uniquement le Pacte vert, ce dernier joue un rôle clé.
Le haut-commissaire à l’énergie atomique a affirmé, dans son avis sur la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie, que la croissance des énergies renouvelables – qui d’ailleurs creuse le déficit commercial puisque c’est principalement du matériel chinois qui est importé, comme pour les panneaux solaires par exemple – permet certes de produire de l’électricité bas-carbone mais est redondante et inefficace dans le cas de la France. En effet, nous avons déjà une électricité bas-carbone grâce au nucléaire. En réalité, la politique de développement des énergies renouvelables ne conduit qu’à un sous-emploi du parc nucléaire.
On arrive ainsi à des prix négatifs de l’électricité. Financer le développement des énergies renouvelables signifie une aggravation de la facture des ménages français, ce qui conduit à un creusement des inégalités. Il n’est, à mon sens, pas possible d’être de gauche et aveugle à ces effets.
Les zones à faibles émissions (ZFE), par exemple, écartées dans le projet de loi simplification, sont tout à fait caractéristiques de l’idéologie consistant à faire payer les ménages les moins favorisés, les « manants » du CO2.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, je vous invite à vous opposer à cette proposition de résolution européenne (PPRE) profondément démagogique et dangereuse. Démagogique, car elle laisse croire que l’inaction climatique serait une réponse aux difficultés économiques. Dangereuse car elle ignore les conséquences économiques de l’inaction.
Dans un contexte géopolitique instable, l’urgence environnementale qui devrait régir nos choix et nous rassembler au-delà des clivages partisans est trop souvent reléguée au second plan. Nous aurions tort de penser qu’après des décennies de recherche et l’obtention d’un consensus de la communauté scientifique sur l’urgence climatique et la nécessité de transformer en profondeur nos modèles de société, ces acquis seraient irréversibles. Cette PPRE en est un parfait exemple.
En demandant une suspension temporaire du Pacte vert européen, le Rassemblement national remet en cause ce cadre collectif au moment même où nous devrions, au contraire, le renforcer.
Le Pacte vert européen, signé en 2019, représente un tournant historique dans la lutte contre le changement climatique, ainsi que dans la construction d’un modèle économique durable, résilient et porteur de prospérité à long terme. Il s’agit d’un outil indispensable pour répondre aux défis de notre époque que représente l’adaptation au changement climatique.
Cette PPRE s’inscrit dans une lignée de discours populistes, protectionnistes et climato-septiques que l’on retrouve d’ailleurs dans beaucoup d’autres pays, comme aux Etats-Unis par exemple.
Revenir sur le Pacte vert ne répond en rien aux défis actuels. Pire, cela nous ferait perdre l’avance – certes faible, mais stratégique – que nous avons acquise en étant les premiers au monde à placer la transition écologique au cœur de notre projet économique et politique européen. Construire une économie résiliente et compétitive nécessite une vision de long terme, des objectifs clairs et une stabilité dans nos engagements publics. Nous n’avons aucun intérêt à anéantir six années de planification écologique d’investissements et de mobilisation dans l’ensemble des secteurs économiques.
Cette proposition de résolution européenne ne protège ni l’industrie ni les citoyens européens. Elle nous fait reculer écologiquement, socialement, économiquement. Elle est un faux remède à de vrais défis et c’est la raison pour laquelle le groupe Ensemble pour la République votera contre. J’appelle les autres groupes à en faire de même, pour l’Europe, pour la France et pour notre avenir commun.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Je vous renvoie aux projections, réalisées par des instituts scientifiques reconnus, qui figurent dans le rapport. Elles démontrent clairement à quel point il est démagogique de faire croire à l’opinion publique que nous pourrions réduire les émissions en mettant à l’encan notre industrie et en alourdissant le fardeau réglementaire et budgétaire. Malgré la mise en place de nombreuses mesures, l’année 2024 a atteint de nouveaux records en termes d’émissions de CO2 à l’échelle mondiale. Plus il y aura de contraintes en Europe, plus les industries seront délocalisées, plus nous importerons de biens qui seront produits dans des conditions bien plus polluantes dans d’autres régions du monde.
Il est démagogique d’employer des mots clés tels qu’ « Europe », « écologie » ou « vert » pour rendre ces mesures acceptables, en espérant que les gens n’y verront que du feu. Nos concitoyens sont capables de réfléchir par eux-mêmes. Il faut espérer que les bac +15 viennent au secours des Français modestes qui sont écrasés par ces mesures, alors que les bac +5 se révèlent incapables de comprendre les mécanismes scientifiques, industriels et technologiques.
Personne ne conteste l’existence d’un phénomène de fuite de carbone – pas même la Commission européenne et ses instituts de recherche. Si vous grevez la production industrielle ou agricole de nouvelles contraintes, vous ne supprimerez pas les émissions de CO2 mais ne ferez que les déplacer. Pire, vous les aggraverez, car la production est plus intensive en CO2 dans les autres zones géographiques.
Enfin, n’est-il pas démagogique de vouloir, comme la Commission, baisser les émissions de CO2 de 5 % par an pendant les cinq prochaines années ? Cela nous ramènerait au niveau d’émissions observé pendant la pandémie, lors du confinement intégral de la population.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Cette proposition de résolution européenne rejoint la position du gouvernement de François Bayrou et celle des groupes libéraux de droite et d’extrême droite du Parlement européen. Tous entreprennent en effet de supprimer le Pacte vert européen.
Alors que le Pacte vert doit permettre à l’Union européenne de respecter ses engagements internationaux en parvenant à la neutralité carbone à l’horizon 2050, votre résolution veut l’en exonérer et prétend même que ce sont ces engagements qui seraient à l’origine de la crise agricole et industrielle en Europe. Cela fait trente ans que l’économie est livrée à la main invisible du marché, que les délocalisations se multiplient, que des milliards de subventions sont versés aux entreprises – dont l’essentiel directement dans la poche des actionnaires –, et que vous refusez toute forme de protectionnisme, y compris fiscal, social ou écologique. Et vous prétendez que la désindustrialisation serait due au Pacte vert, qui n’a été lancé qu’en 2021 et dont l’ensemble des mesures ne sont pas encore entrées en vigueur ?
S’agissant de l’agriculture, vous êtes encore plus incohérent. L’emploi des pesticides a des conséquences criminelles sur la santé. Tous les médecins alertent sur l’explosion des cancers du pancréas chez les personnes entre 40 et 50 ans. Les cancers colorectaux sont également en augmentation, sous l’effet d’une exposition accrue aux nitrites et aux nitrates.
Au lieu de défendre la santé des Français en luttant contre ces pratiques, vous proposez de supprimer les normes qui protègent l’environnement. Vous voulez remettre en cause la directive CSRD, qui oblige les entreprises à publier des informations en matière de durabilité, ou encore la directive sur le devoir de vigilance, que notre commission avait soutenue à l’unanimité par l’adoption d’un avis politique le 28 juin 2023.
Monsieur le rapporteur, vous vous trompez si vous croyez que c’est la déréglementation qui nous rendra compétitifs et sauvera notre industrie. Je pense au contraire que nos normes environnementales et sociales représentent un avantage compétitif face à la Chine et aux États-Unis. Non seulement elles protègent les travailleurs, les consommateurs, et les écosystèmes, mais elles permettent d’anticiper les risques et d’orienter les investissements vers les secteurs de la transition écologique.
Il sera certes nécessaire de planifier et d’organiser la production pour répondre aux besoins, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. Il faudrait un vaste plan de formation et de reconversion des travailleurs. Il faudrait, enfin, responsabiliser les donneurs d’ordre sur toute la chaîne de valeur.
Il est temps de répondre à l’urgence environnementale et à la désindustrialisation en privilégiant les industries propres. C’est pourquoi nous voterons contre votre proposition de résolution européenne. J’ai par ailleurs moi-même déposé une proposition de résolution qui lui est diamétralement opposée.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Je ne vois pas bien pourquoi vous citez le Premier ministre, si ce n’est pour vos réseaux sociaux. Au risque de vous surprendre, je vous rejoins sur les conséquences de la mondialisation et de la libéralisation des mouvements de capitaux. Mais le Pacte vert est précisément un moyen de ne pas remettre en cause la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes : nous prétendons agir sans nous attaquer aux véritables causes du problème.
Or, les actions que le Pacte vert tend à mettre en place sont à la fois coûteuses et inefficaces. Il faut en effet confronter l’idéologie à la réalité, et en particulier à ce fait massif : l’énergie en Europe est deux à trois fois plus chère qu’aux États-Unis ou en Chine. Dès lors, il ne pourra en résulter que ce que les économistes appellent une destruction de revenus ou un détournement de trafic : nous produisons moins ici et plus ailleurs, et les revenus de nos acteurs économiques diminueront.
Vous dénoncez avec raison les produits dangereux pour la santé, mais il n’est absolument pas question de pesticides dans mon rapport – je vous invite donc à le lire.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Face à l’urgence climatique, le Parlement européen a approuvé, le 15 janvier 2020, à une large majorité de 482 eurodéputés, une résolution qui soutient le Pacte vert pour l’Europe. Celui-ci représente la plus ambitieuse politique de réduction des gaz à effet de serre au monde, visant à faire de l’Union européenne un modèle en la matière. Il définit une feuille de route transversale, qui englobe l’énergie, les transports, l’agriculture, le bâtiment et l’industrie. Le Pacte vert se décline sur les territoires en une série de projets labellisés par l’Union européenne, ce qui en fait un puissant levier d’action au niveau local.
Cela répond aux attentes de l’opinion publique. En France, il apparaît que le changement climatique est l’une des questions qui préoccupent le plus nos concitoyens – soit 48 % d’entre eux –, juste derrière le coût de la vie. J’en profite pour vous signaler une récente étude scientifique publiée dans la revue Nature Climate Change, qui montre que les 10 % des individus les plus fortunés sont responsables des deux tiers du réchauffement climatique depuis 1990.
La présente proposition de résolution vise à suspendre immédiatement le Pacte vert pour l’Europe dans l’objectif de préserver la compétitivité économique et la souveraineté de l’Union européenne.
La Commission a, de fait, l’intention de détricoter certaines réglementations environnementales au nom d’une conception restrictive de la compétitivité. Pourtant, plus de 400 entreprises françaises, dont certaines parmi les plus grandes et les plus compétitives, ont appelé la Commission à ne pas revenir sur la directive CSRD, la directive sur le devoir de vigilance ou la taxonomie environnementale. Elles font notamment valoir la nécessité de garantir la stabilité de l’environnement juridique pour permettre leur bon fonctionnement.
Concernant la souveraineté, le Pacte vert pour l’Europe nous permettra de renforcer notre autonomie énergétique et de moins dépendre de pays concurrents pour nos importations d’énergies fossiles.
Cette proposition de résolution s’inscrit dans une perspective réactionnaire, en ce qu’elle tend à imposer un retour en arrière. Nous avons, au contraire, besoin d’avancer vers la transition écologique. C’est pourquoi les députés du groupe Socialistes s’opposeront de façon claire à ce texte.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Il n’est pas question de remettre en cause l’urgence climatique ou la parole scientifique. La décarbonation est une bonne chose en tant que telle, et notre continent a fait des avancées notables sur certains points. Le problème réside en l’absence d’analyse technique et scientifique qui soit réaliste et sérieuse, pour se donner les moyens d’atteindre les objectifs. Fixer un objectif sans avoir les moyens de l’atteindre est contre-productif. Au mieux les émissions seront stables, mais le risque est significatif qu’elles augmentent. Je ne vous laisserai pas entraîner la discussion vers un débat idéologique sur l’existence ou non du réchauffement climatique, ça n’aurait aucun sens puisque le réchauffement climatique s’impose à tous. Il n’est pas question d’être pour ou contre la décarbonation, évidemment nous sommes pour. Le sujet est de comment y arriver.
François Mitterrand en 1983 avait constaté le déploiement des fusées SS-20 en Allemagne de l’Est. Il s’était rendu en Allemagne de l’Ouest et avait dit : « les pacifistes sont à l’Ouest, les missiles sont à l’Est ». C’est exactement la même situation s’agissant des émissions de CO2 et de l’urgence climatique. La décarbonation se déroule en Europe précisément du fait de la désindustrialisation de notre continent.
M. Benoît Biteau (EcoS). Vous enchaînez les termes plus anxiogènes les uns que les autres - « urgence », « inquiétude », « inconnues », « déclin » - en prédicateur d’apocalypse, comme si c’était ce que représentait ce Pacte vert pour l’Europe. Le paradoxe réside dans le fait que vous parlez d’une approche globale, alors que c’est exactement cela qui est nécessaire : une approche globale et systémique. Le Rassemblement national parle beaucoup de souveraineté alimentaire et d’agriculture, en s’inquiétant du revenu des agriculteurs. Mais c’est précisément en renonçant au Pacte vert pour l’Europe, qu’on met en péril la souveraineté alimentaire et le revenu des agriculteurs !
La menace, c’est le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. L’agriculture qui est capable de relever ce défi, ce n’est pas celle qui émet des gaz à effets de serre, mais celle capable de les séquestrer. L’exemple de la fertilisation azotée est aux antipodes de ce que vous proposez. Aujourd’hui, pour faire 1 kilo d’azote de synthèse, il faut 1,5 litre de pétrole, ce qui signifie que pour la culture d’un hectare de blé, de colza ou de maïs, on a créé une dépendance de 300 à 400 litres de pétrole.
Tant qu’on se reposera sur cette agriculture qui accélère le dérèglement climatique et amplifie l’effondrement de la biodiversité, on s’éloignera de la souveraineté alimentaire. Renoncer au Pacte vert pour l’Europe, même temporairement, c’est continuer de clouer au pilori les plus démunis et vulnérables, notamment les agriculteurs, qui en seront les premières victimes. Nous ne pouvons pas différer plus longtemps le moment où nous allons vraiment agir. Il y a urgence à accélérer le Pacte vert pour l’Europe, plutôt que de le ralentir. Cela nous permettra de sortir les agriculteurs de la crise et d’atteindre la souveraineté alimentaire.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Sur le procès en « apocalyptisme », je ne peux pas vous suivre. Je ne vais pas vous inclure dans ces actions spectaculaires qui visent à se coller les mains à des œuvres d’art. Mais en réalité, l’écologie au sens large est marquée par cette idée qu’il y a une urgence absolue, que la planète est en train de brûler et que la catastrophe est pour demain.
Je vous rejoins sur le fait qu’utiliser des énergies fossiles pour produire des engrais, ce n’est bon ni pour le climat, ni pour la santé, ni pour le revenu des agriculteurs. Je crains cependant qu’en défendant ce Pacte vert pour l’Europe, vous ne frappiez avec beaucoup d’énergie à côté de la cible, puisque le fond du sujet c’est la mondialisation.
Si vous preniez des mesures pour empêcher la production d’azote avec des énergies fossiles, nous pourrions vous suivre. Mais il faudrait commencer par mettre en place une protection aux frontières, ce que les règles de l’Union européenne nous interdisent de faire. La question n’est pas celle de la finalité, mais de la méthode pour y parvenir.
Je reviens sur cette audition édifiante du directeur général Climat de la Commission européenne, qui m’a assuré qu’ils avaient revu les objectifs et le rythme de décarbonation à la hausse parce que les technologies en matière de décarbonation, notamment solaires, sont plus abondantes. Or, 70 % des matériaux qui sont utilisés pour la décarbonation sont importés, et 80 % de cette importation vient de Chine, étant produite à base de charbon ultra-polluant.
M. Éric Martineau (Dem). En 2018, le GIEC nous lançait une alerte claire : si nous ne limitons pas le réchauffement à 1,5 degré, nous nous exposons à une multiplication dramatique des catastrophes naturelles et des événements climatiques extrêmes. Face à cette urgence, l’Union européenne a fait le choix de la responsabilité et de l’ambition, en adoptant en 2019 le Pacte vert pour l’Europe. Ce pacte est notre boussole pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Il repose sur une vision globale : la réduction des émissions de gaz carboniques, la transition vers les énergies renouvelables, la préservation de la biodiversité, le soutien aux territoires en mutation industrielle, et l’amélioration de notre qualité de vie. Il s’agit non seulement de protéger notre planète, mais aussi de garantir notre avenir économique, dans un monde qui change.
Aujourd’hui, le Rassemblement national propose de suspendre ce pacte, de réévaluer nos objectifs climatiques, d’arrêter le financement des ONG écologistes, ou encore de revoir les mécanismes de régulation comme l’ajustement carbone aux frontières. Soyons clairs : derrière cette approche soi-disant pragmatique, c’est un abandon pur et simple de notre ambition climatique qui est proposé. Ce serait une erreur historique. Revenir en arrière, c’est non seulement nier la réalité scientifique, mais aussi affaiblir notre souveraineté énergétique et industrielle, tout en laissant à d’autres le soin d’inventer le monde de demain.
« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Ces propos tenus par le Président Chirac ont déjà 23 ans. Ce n’est pas parce qu’il y a le feu dans la maison, que nous ne devons rien faire. La transition écologique n’est pas l’ennemi de l’économie, mais en est la condition pour tendre vers une économie durable et pourvoyeuse d’emplois locaux.
Le groupe Les Démocrates votera donc contre cette résolution.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Ce texte ne nie pas l’urgence climatique et ne renonce pas aux objectifs de décarbonation. Il s’agit d’une suspension temporaire, pas d’un renoncement. La proposition est de revenir à un sentier qui avait été envisagé par la Commission européenne elle-même, c’est-à-dire -40 % d’émissions d’ici 2030.
Vous faites appel à la science, mais il n’y a pas un mot qui va contre la parole scientifique dans cette proposition de résolution. L’Académie des sciences a en revanche beaucoup de choses à dire sur la programmation annuelle de l’énergie, qui n’est ni faite, ni à faire, avec des aléas de 10 à 15 % dans les projections exposées.
La montée en puissance des énergies renouvelables d’ici 2030 est complètement insensée. Elle est décidée par pur dogmatisme. Nous arrivons toujours à la même conclusion : le paradis vert est pavé de bonnes intentions, mais il aboutit à un enfer.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). J’ai écouté attentivement et lu votre proposition de résolution européenne. Comme beaucoup de collègues l’ont dit, c’est un tissu de mensonges. Beaucoup de propos excessifs sont utilisés pour inquiéter inutilement les Français et je souhaite insister sur deux points.
Le premier concerne l’électrique. En vous écoutant, je pense que de nombreux pays sont en train d’applaudir : l’Algérie, le Nigéria, l’Arabie saoudite, le Kazakhstan, la Norvège, les États-Unis. Nous sommes dépendants à 99 % des importations d’hydrocarbures et de gaz. Avec votre résolution, nous resterons structurellement dépendants pour la totalité de notre énergie de ces pays.
Le deuxième point concerne l’agriculture, il s’agit du paragraphe 18 de votre proposition de résolution. Là aussi, vous affolez les gens inutilement. Notre souveraineté alimentaire n’est pas compromise, Monsieur le rapporteur. L’Union européenne est exportatrice à plus de 60 milliards d’euros sur sa balance agroalimentaire.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. « Un tissu de mensonges », dites-vous ? Je vais donc essayer de ne pas imiter l’esprit de finesse qui vous caractérise. Je crois sincèrement que vous ne mesurez pas à quel point l’électrification extrêmement rapide ne tient pas compte des coûts supportés par nos industries et nos entreprises dans un contexte d’économie ouverte. Le rythme actuel est insoutenable.
D’abord, parce que les technologies ne sont pas nécessairement disponibles. L’électrification à travers l’hydrogène pour l’industrie lourde n’est pas encore mature. Ensuite parce que les énergies renouvelables ne sont pas stockables et sont intermittentes. Enfin, parce que les énergies renouvelables nous font passer d’une dépendance à une autre. On passe de la dépendance aux énergies fossiles, que vous avez raison de ne pas trouver souhaitable, à une dépendance aux terres rares, et cette dernière, dans la situation géopolitique actuelle, est extrêmement préoccupante.
Présidence de M. Laurent Mazaury, vice-président
M. Benoit Biteau (EcoS). Une fois n’est pas coutume, je rejoins mon collègue Charles Sitzenstuhl. Je souhaite réagir, Monsieur le rapporteur, à votre solution de protection aux frontières. Elle n’aurait pour conséquence, si l’on reprend cet exemple, que perpétuer le recours aux engrais – alors que ces derniers sont un dérivé d’hydrocarbures émetteurs de gaz à effet de serre. Ce que propose le Pacte vert est de progresser vers une autonomie basée sur l’agroécologie, de manière à s’affranchir de cette dépendance aux engrais de synthèse, et donc de ces émissions, avec une agriculture qui, en plus, séquestrera des gaz à effet de serre dans les sols. Il faut s’attaquer aux causes, plutôt qu’aux conséquences comme vous le faîtes.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Tant que nous sommes en économie ouverte avec des entreprises qui vont produire sur d’autres continents en émettant énormément de gaz à effet de serre et, surtout, des prix absolument imbattables, vous ne pourrez pas déployer les solutions que vous préconisez. Même si nous sommes d’accord avec ces solutions, elles ne peuvent pas être déployées sans protection économique. En outre, avec une énergie deux à trois fois plus chère, nous ne gagnerons pas en compétitivité.
Amendements n° 1 de Mme Éléonore Caroit et n° 13 de M. Nicolas Bonnet de suppression de l’article unique de la proposition de résolution européenne
Mme Éléonore Caroit (EPR). Comme j'ai eu l'occasion de le dire dans mon propos liminaire, cette proposition repose sur une remise en cause idéologique des engagements climatiques de l'Union européenne sous couvert de préoccupations économiques de court terme. Elle ignore délibérément les bénéfices à long terme du Pacte vert, tant sur le plan environnemental qu'économique en matière de création d'emplois, de souveraineté énergétique, de compétitivité industrielle ou d'innovation technologique.
La suspension du Pacte vert reviendrait à affaiblir la position stratégique de l'Europe face aux grandes puissances industrielles engagées dans la transition écologique, que ce soit la Chine ou les États-Unis. Cela reviendrait à ralentir les investissements nécessaires à la modernisation de notre économie, c’est-à-dire la résilience de nos territoires face aux chocs climatiques qui sont déjà à l'œuvre.
Par ailleurs, l'appel à former une coalition d'États membres contre le Pacte vert constitue une attaque directe à la cohésion européenne, au mépris du processus démocratique qui a conduit à l'adoption de ces objectifs par le Conseil et le Parlement européen.
L'Union européenne a besoin d'unité, de constance pour relever le défi climatique et non pas de divisions opportunistes alimentées par des calculs politiques des partis d'extrême droite.
Enfin, la proposition entretient une rhétorique populiste en visant les ONG écologistes. Le financement de la société civile, quand il est régulé et transparent, ne peut être assimilé à une forme d'atteinte à l'intérêt général. Pour toutes ces raisons, plutôt que de suspendre le Pacte vert, il convient au contraire de l'adapter en continu aux réalités économiques, sociales et géopolitiques dans le cadre démocratique prévu par les institutions européennes.
Le texte qui nous est proposé cet après-midi ne propose aucune alternative crédible et vise surtout à ralentir la dynamique de transformation qui est pourtant essentielle dans l'Union européenne. Je vous invite donc à voter cet amendement de suppression.
M. Nicolas Bonnet (EcoS). Je vais essayer de vous donner raison sur certains points. Dans l'exposé des motifs, vous évoquez des manquements aux règles d’éthique par les ONG. Toutefois, vous ne faites mention d’aucun fait avéré, comme par exemple des détournements de fonds publics.
On ne peut pas vous donner tort lorsque vous estimez que des normes plus exigeantes peuvent créer des distorsions de concurrence. Toutefois, si on met en place de telles normes, c'est parce qu'il y a un enjeu fort au niveau de la santé des populations, des enjeux climatiques et nous, Européens, pouvons être fiers d'avoir décidé de nous emparer de ces problématiques afin de les traiter.
Ces distorsions de concurrence peuvent être résorbées avec des mesures miroirs ou des mesures de protection afin de faire en sorte que ceux qui veulent exporter des produits vers l’Europe en respectent les principes. Il ne s'agit donc pas de reculer en abandonnant le Pacte vert européen dont les objectifs peuvent être atteints, contrairement à ce que vous dites. En réalité, nous n’avons pas le choix : c'est une question de responsabilité envers les générations futures. Je conclurai en vous disant que ceux qui pensent que c'est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient. Je vous inviterai donc à gagner du temps et à adopter cet amendement de suppression.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Vous partez du principe qu'il s'agit de balayer d'un revers de la main tout effort de décarbonation. Ce n’est pas l’objet de cette résolution. La suspension du Pacte s’inscrit dans une logique de réalisme : revenir à l’objectif atteignable de -40 % et à une baisse des émissions de CO2 de 2 % an. Sans cela, le Pacte aura des effets de bord catastrophiques pour le climat. Ensuite, il s'agit de réallouer des financements de manière plus juste. Il me semble important de porter à la connaissance de nos concitoyens que le Pacte vert va demander à la France le même effort de décarbonation que l'Allemagne, dont la production de CO2 par habitant est deux fois plus élevée qu’en France, du fait de son renoncement à l’énergie nucléaire.
Concernant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières qui entrera prochainement en vigueur, selon tous les spécialistes, il ne fonctionnera pas.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). La France insoumise est favorable à ces deux amendements de suppression et à la suppression de l’article unique pour les raisons que j'ai évoquées précédemment. La France insoumise est attachée au Pacte vert, en dépit de ses imperfections, notamment sur le volet de l’investissement. Nous sommes favorables à une planification écologique, c’est-à-dire à une orientation claire des financements vers la transition écologique, notamment dans les secteurs les plus compétitifs au niveau mondial.
La France se distingue par sa capacité d’entraînement et de proposition. Dans le domaine des infrastructures par exemple, les entreprises savent garantir le respect des normes environnementales et sociales. Et ne croyez pas qu’en Ouganda, ils ne sont pas sensibles à cette question. La mobilisation contre le projet EACOP dure depuis des années.
De nombreux autres pays, comme l’Indonésie, connaissent des mobilisations d’ampleur rassemblant des riverains, des habitants, des consommateurs, des associations, des ONG, qui s’opposent à ce que l’on fasse n'importe quoi chez eux.
C’est un avantage compétitif pour les entreprises européennes, et surtout françaises. La Chine par exemple, sur laquelle je mène actuellement une mission d’information, fait d’énormes progrès en matière de transition écologique. La Chine, qui contrairement aux États-Unis, n’est pas sortie des accords de Paris, va bientôt nous dépasser dans ce domaine.
Vous avez le choix, soit de continuer dans le sens des accords de Paris, en participant à leur amélioration, soit de suivre la voie mortifère des États-Unis d'Amérique et d’en sortir. C’est notre capacité à honorer des accords internationaux qui est en jeu. Bien que le Pacte vert soit imparfait - sur ce point je suis d’accord avec vous - nous nous devons de respecter nos engagements.
Pour ma part, je suis très attachée au devoir de vigilance qui garantit, sur toute la chaîne de valeur, une vigilance sur les questions environnementales et sociales. À titre d’exemple, de nombreux pesticides, interdits en Europe, sont autorisés dans des pays comme le Brésil. Le devoir de vigilance nous protège contre l'importation de produits dont la fabrication ne respecterait pas nos normes environnementales et nos normes en matière de santé publique.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. La planification en matière économique n’a pas toujours donné des résultats très probants. Néanmoins je vous rejoins sur la nécessité de planifier la transition énergétique. Le problème tient au fait que cette planification ne s’est pas appuyée sur des données suffisamment robustes et des études suffisamment sérieuses.
Un tiers des investissements requis en France pour se conformer au Pacte vert sont des investissements publics. Je ne suis pas hostile au principe de l’investissement public même si la situation de l'endettement est extrêmement préoccupante. Mais mobiliser de l'argent public pour acheter des véhicules chinois, des panneaux photovoltaïques chinois, des éoliennes chinoises ou mobiliser de l'argent public pour construire des giga factory de batteries, alors que notre énergie est deux à trois fois plus chère qu'ailleurs, est une très mauvaise idée pour l'économie, pour le pouvoir d'achat de nos compatriotes et évidemment pour la planète.
M. Benoît Biteau (EcoS). Le Pacte vert nécessitera des programmes d'accompagnement et de soutien financier. Cet argent public existe et cela me permet de pointer l'angle mort de votre raisonnement. Aujourd’hui, l’argent public est mobilisé pour réparer les dégâts d’un type d’économie ou d’agriculture dont vous ne voulez pas vous départir. Si on avait l'audace et le courage de réallouer cet argent public en le sortant des logiques curatives pour l’engager dans des logiques d’anticipation et de prévention, il n’y aurait plus d’obstacle à l’efficacité du Pacte vert. On serait tous gagnants et on protégerait également les personnes les plus vulnérables.
M. Guillaume Bigot, rapporteur. Nous sommes favorables à ce qu’il y ait des limitations d'importation ou des protections qui seraient non tarifaires – potentiellement contraires au droit de l’OMC – pour faire fonctionner le système.
Les amendements n° 1 et n° 13 de suppression de l’article unique de la proposition de résolution sont adoptés.
L’article unique de la proposition de résolution étant supprimé, la proposition de résolution européenne est donc rejetée.
M. Laurent Mazaury, Président. La proposition de résolution européenne étant rejetée, la commission permanente compétente au fond sera saisie de la proposition de résolution dans sa version initiale, conformément à l'article 151-5 du règlement.
Présidence de M. Thierry Sother, vice-président
M. le vice-président Thierry Sother. Notre ordre du jour appelle à présent l’étude de la proposition de résolution européenne pour soutenir une politique ambitieuse et ouverte de la recherche scientifique de l’Union européenne.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. C’est un fait assez peu connu : l’Union européenne a une politique de recherche et d’innovation depuis près de quarante ans. Certes, le premier programme-cadre de recherche et développement (PCRD) était modeste dans ses ambitions. C’est dire combien la question de la recherche n’est pas neuve et combien sa place au sein de la construction communautaire a été interrogée de longue date.
La nécessité de favoriser une politique de recherche dont nous savons qu’elle est source de compétitivité, de progrès social et d’avancée technique m’amène à vous présenter aujourd’hui une proposition de résolution en ce sens. Le sujet nécessite d’être replacé dans l’histoire longue de la construction de la politique européenne. Il convient également d’évoquer la participation française à ce programme. Par la suite, j’évoquerai les défis auxquels est confrontée la politique de recherche européenne et la façon dont la France peut elle-même tirer le meilleur parti du programme européen.
Tout d’abord, il est indispensable de rappeler que l’implication communautaire en matière de recherche est presque aussi ancienne que la construction européenne. En effet, le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) prévoyait déjà la possibilité de financer la recherche. L’intégration communautaire progressant, les institutions européennes ont rapidement vu la nécessité de favoriser une politique dédiée à la recherche.
Le constat tient à l’analyse faite dans les années 1970 qui voyait déjà un décrochage européen vis-à-vis des États-Unis. La faiblesse européenne a rendu nécessaire un investissement financier à même de renforcer sa compétitivité et donc la naissance du premier PCRD en 1983. Modeste dans ses montants, ce premier programme comporte déjà certains des traits du programme actuel : instrument de programmation et financement dédiés. Les années 1980 sont aussi le temps de l’Acte unique et vont donner à l’Union une compétence juridique en matière de recherche.
Les programmes qui se succèdent voient les ambitions en matière de recherche grandir permettant au budget dédié d’augmenter, non sans quelques tensions d’ailleurs entre la Commission européenne et le Parlement européen. L’Union a affirmé en mars 2000 une stratégie visant à en faire « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » dite Stratégie de Lisbonne. Cette dernière consiste à consacrer au moins 3 % de son PIB en dépenses de recherche et de développement.
L’ambition était grande puisque vingt-cinq années plus tard nous n’en sommes encore qu’à 2.2 % du PIB. Et ce chiffre masque des disparités importantes entre les économies des pays nordiques qui dépassent les 3 % du PIB et celles des pays plus au sud ou dans l’ancien bloc soviétique qui dépassent rarement le 1.5 % du PIB.
C’est en partie du fait de ce déséquilibre qu’il a été décidé de relever considérablement les moyens financiers consacrés à l’innovation. Les deux derniers programmes, Horizon 2020 (2013-2020) et Horizon Europe (2021-2027) marquent un saut qualitatif et quantitatif majeur. Le premier programme voit ainsi ses financements bondir de 53 milliards à 80 milliards. Le deuxième, en cours d’exécution, présente une évolution plus modeste avec un budget de 100 milliards.
Au-delà des montants budgétés, ce qui caractérise les deux derniers programmes est une architecture renouvelée avec un fonctionnement par pilier. Ces derniers, relativement stables entre les deux programmations, représentent l’investissement européen sur toute la chaîne de la recherche : recherche fondamentale, recherche appliquée à des thématiques et financement de l’innovation de rupture.
Horizon 2020 et Horizon Europe ont créé des écosystèmes avec des structures dédiées (Institut européen d’innovation et de technologie, Conseil européen de l’innovation) et des passerelles entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Ces programmes font face à la difficulté de s’insérer au milieu de systèmes de recherche nationaux hétérogènes avec des financements spécifiques.
De plus, ils s’adressent autant au secteur public qu’au secteur privé. Or ce dernier est très en retrait en termes de participation à l’innovation en comparaison des USA, de la Chine ou du Japon. Malgré tout, ils sont un puissant accélérateur des politiques nationales et poussent à remettre en cause certaines logiques et à favoriser des rapprochements essentiels.
J’en viens à la participation française aux programmes-cadres. Notre pays présente des résultats intéressants mais contrastés. La France a participé au programme en faveur de la recherche depuis ses origines. Elle y a occupé la troisième place en termes de financements reçus avant de devenir le deuxième récipiendaire sous Horizon Europe. Il s’agit d’une amélioration en trompe-l’œil dû au retrait britannique de l’Union et qui a de nouveau rejoint le programme à compter de cette année 2025. Ceci doit être une alerte pour la France pour améliorer sa participation et exploiter son plein potentiel.
Diverses missions interministérielles ont réalisé un bilan exhaustif de la participation française soulignant les succès, la place prééminente occupée par des organismes de recherche comme le CNRS et l’INSERM mais aussi la position en retrait de l’université ainsi que des acteurs privés parfois réticents au partenariat européen.
Cette situation tient pour partie à un système de recherche composite où les organismes publics de recherche (ex : CNRS) emportent l’essentiel des investissements. Ce système rigide et où le transfert de connaissance public-privé est encore insuffisant ne manque pourtant pas d’atouts.
La France a su créer un dispositif d’aides riche, peut-être trop d’ailleurs. C’est parce que les financements français sont si abondants que les acteurs ne recherchent pas les opportunités européennes. Ils sont aussi en butte aux complexités administratives.
Ces dernières années, le système de recherche a connu certaines évolutions et notamment un investissement financier plus important. Il faudra néanmoins que cet engagement financier de l’État soit maintenu et ne fasse pas les frais des baisses annoncées dans les dépenses publiques.
Je souhaiterais évoquer plus précisément le futur de la politique européenne de recherche ainsi que les opportunités que la France pourrait en tirer à l’avenir. La réussite du programme-cadre est incontestable comme le prouve le nombre croissant de demandes de financement.
La question de son avenir financier est cependant posée. Les rapports de MM. Letta et Draghi ont présenté des observations dont nous pourrions nous inspirer. En effet, le financement du programme exploite encore insuffisamment l’épargne pourtant abondante en Europe. De plus, il ne tire pas suffisamment le bénéfice des capitaux qui pourraient pourtant financer des projets à risques. Le système bancaire est beaucoup plus frileux à financer l’innovation. Surtout, le besoin de financement est immense au vu du retard avec nos concurrents internationaux.
Le fonctionnement d’Horizon Europe est performant même si des améliorations peuvent y être apportées comme le rapport que je présente le souligne. Cependant, la plus grande interrogation en matière de financement concerne l’architecture du programme même. Dans le cadre des discussions budgétaires qui vont débuter en juillet prochain, la Commission européenne étudie la possibilité de créer un grand fonds pour la compétitivité rassemblant plusieurs grands ensembles budgétaires aujourd’hui distincts.
Cette proposition nécessite une réflexion approfondie car elle pose la question de l’avenir de l’innovation : allons-nous la sanctuariser dans un budget dédié ou bien la fondre parmi d’autres priorités au risque de l’éparpillement ? Les acteurs que j’ai auditionnés m’ont fait part de leur inquiétude sur le sujet. Notre politique de recherche atteint aujourd’hui un rythme de financement et d’ambitions qui doit être maintenu et ne doit pas être sacrifié pour des raisons budgétaires.
S’agissant de la France, notre pays a progressé en matière de participation au programme-cadre mais nous pouvons aller bien plus loin. Nous contribuons à hauteur de 18.5 % du budget mais ne retirons que 11.3 % des financements du programme. Il existe une marge de progression claire. Les différentes évaluations réalisées ces dernières années nous donnent un mode d’emploi pour remédier aux faiblesses constatées et créer un mouvement d’entraînement parmi les chercheurs, les organismes de recherche ou encore les PME. Le potentiel est immense et les collaborations avec d’autres pays pourraient entraîner des gains conséquents pour notre pays. Ne nous privons pas d’opportunités de financement surtout dans le contexte budgétaire qui est le nôtre. Le réflexe européen peut et doit devenir la norme.
Par ailleurs, nous vivons un moment particulier depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Nous étions habitués à ses foucades et ses décisions erratiques mais nous découvrons un politicien anti-science. La fermeture d’agence fédérales, le licenciement incohérent de fonctionnaires et le bannissement de mots dans les études sont quelques échantillons de cette politique réactionnaire qui ressemble à un mélange de « 1984 » d’Orwell et des « Servantes écarlates » de Margaret Atwood.
Au-delà du caractère insensé de ces décisions, elles menacent la politique de recherche mondiale étant donné la place qu’y occupe les États-Unis et les multiples et fructueuses collaborations que nos chercheurs ont établis depuis des décennies déjà.
Ce comportement contre le savoir et les idées n’est pas nouveau outre-Atlantique. L’historien Richard Hofstadter l’avait brillamment décrypté du temps du maccarthysme. Nous savons quel avenir politique il peut annoncer. Cette situation doit être le moment d’un réveil européen et français. Nous ne pouvons pas dépendre de la versatilité de notre allié américain et devons prendre notre destin en main et poser les bases d’une souveraineté de la recherche. L’attitude américaine doit nous permettre de renforcer notre programme de recherche et même de l’élargir.
Les annonces de la présidente von der Leyen et du président Macron le 5 mai dernier à la Sorbonne comportent des avancées intéressantes : hausse des financements, proposition législative pour préserver la liberté académique et conditions d’accueil facilités pour les chercheurs américains. Sur ce dernier point, j’ai déposé un amendement spécifique.
J’attire également votre attention sur l’apport des sciences sociales dans la recherche. Les annonces de la Sorbonne y font peu ou prou allusion. Nous en avons besoin pour comprendre les mutations de notre monde et y réagir en préservant l’équilibre de celui-ci. Sans ces sciences, comment ferions-nous face au changement climatique brillamment expertisé par le GIEC dont certains au sein de notre hémicycle jugent pourtant les bilans excessifs. Gardons cette curiosité scientifique au cœur de nos recherches et ne nous perdons pas dans un tout-technologique qui sacrifierait des domaines de recherche féconds comme les études sur le genre.
Cependant, les annonces devront se matérialiser aussi bien au niveau européen qu’au niveau français. La préservation des crédits sera la concrétisation de cette ambition. À cet égard, l’annulation récente de crédits pour la recherche en France ne peut que susciter une inquiétude. Nous disposons d’atouts importants et notre pays peut devenir un pôle d’attractivité pour tous les chercheurs. Mais cette ambition doit trouver un chemin et des moyens. Je sais que vous partagez mes préoccupations et vous invite à donner un soutien fort en votant la proposition de résolution européenne.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Malgré la structuration progressive de ses outils et des moyens financiers renforcés, la politique européenne en matière de recherche fait face à de multiples défis. Comme l'ont souligné les rapports de MM. Draghi et Letta, l’Europe décroche. Tandis que d'autres pays montent en puissance, l’écart se creuse considérablement avec les États-Unis en matière de recherche, et l’Europe est confrontée à un déficit d’innovation. Dans la perspective de la négociation du prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034, cette proposition de résolution européenne plaide pour une politique européenne de recherche, scientifique et ambitieuse. Dans son rapport, Enrico Letta plaide pour la création d’une cinquième liberté, celle de la recherche, de l’innovation et de l’éducation. Le contexte international que nous connaissons en démontre l’importance.
Le retour de Donald Trump au pouvoir a profondément heurté le monde de la recherche, comme le montre la réduction des effectifs de 10 % et la fermeture de nombreuses agences. Nous aurions tort de croire que cette politique anti-recherche serait contenue au États-Unis. Le jeu des collaborations internationales transmet la crise comme un virus, et particulièrement en France. Si nous n’ignorons pas que la recherche française présente un atout majeur pour notre pays, nous devons poursuivre notre mobilisation dans le cadre du programme Horizon Europe pour obtenir des financements ambitieux. Lors du sommet Choose France For Sciences, Emmanuel Macron a affirmé que “la recherche est une priorité, l’innovation une culture, la science un horizon sans limite”.
Le gouvernement français a pourtant fait le choix d’un budget de rigueur dans le cadre du dernier projet de loi de finance 2025, rappelant que le gouvernement a récemment procédé aussi aux gels de crédits à destination de l’enseignement supérieur à hauteur de 493 millions d’euros, dont 307 pour le programme de recherche technologie et pluridisciplinaire. Ce sont les fameuses subtilités du “en même temps” bien connu chez les macronistes. Nous saluons votre travail Madame la rapporteure, et le groupe Socialistes et apparentés votera pour cette proposition de résolution.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Merci pour votre soutien. Cette résolution souhaite exprimer l’importance du sujet du financement de la recherche. Les défis devant nous sont énormes. Il faut essayer de faire en sorte que le redéploiement des crédits du programme Horizon Europe soit bien pris en compte par notre gouvernement.
Mme Isabelle Rauch (HOR). La recherche et l’innovation sont plus que jamais des leviers essentiels de la croissance et de la compétitivité européenne, et à ce titre, il est important de maintenir et de renforcer les financements qui leur sont consacrés.
C’est un impératif stratégique, et nous partageons en ce sens les constats soulignés par le rapport Draghi : dans une vision de long terme, il convient de bâtir une réelle politique industrielle et d’innovation. Le programme Horizon Europe incarne pleinement cette ambition, en soutenant l’excellence scientifique et en favorisant l’innovation industrielle. Réduire les crédits qui lui sont alloués reviendrait à réduire notre capacité d’action commune et à reléguer l’Union européenne derrière d’autres puissances mondiales. Nous soutenons cette proposition de résolution européenne, qui vise à améliorer la gouvernance des programmes de recherche, à renforcer leur coordination entre États membres et à garantir une plus grande transparence dans la définition des priorités.
Nous souhaitons souligner toutefois un point de vigilance : la recherche européenne ne doit pas se limiter à l’étude des conséquences sociales des technologies émergentes, elle doit pouvoir conserver une approche ouverte et équilibrée. Cela suppose de distinguer ce qui relève de la recherche fondamentale, nécessaire à la production de connaissance, et ce qui relève de l’innovation productive tournée vers des applications concrètes, utiles à la résilience économique et industrielle de notre continent. Dans cet esprit, la recherche doit rester un moteur libre et structurant pour l’avenir de l’Europe.
Mme Céline Calvez (EPR). Votre proposition de résolution européenne présente une opportunité à saisir pour soutenir une recherche ambitieuse et ouverte au sein de l’Union européenne.
Nous nous trouvons à un moment critique. Vingt-cinq ans après la stratégie de Lisbonne, fixant un objectif de 3 % d’investissement du PIB dans la recherche et le développement, nous sommes loin de l’objectif attendu avec un investissement autour de 2 % du PIB, bien loin des États-Unis ou d’autres puissances émergentes. Un soutien public fragmenté, un investissement privé insuffisant, une gouvernance européenne trop complexe ou peu lisible expliquent en partie ce retard.
Le programme Horizons Europe demeure un fleuron de l’investissement avec une enveloppe avoisinant les 100 milliards d’euros. Toutefois, la menace de coupes sombres de plusieurs millions d’euros représente un signal désastreux. Le président de la République a lancé, le 5 mai dernier, depuis la Sorbonne, l’initiative « Choose Europe for Science », en appelant les chercheurs et les innovateurs à choisir l’Europe comme terre d’accueil et d’ambition scientifique. La France avait déjà entamé une dynamique d’attractivité similaire avec l’adoption dès 2021 de la loi de programmation sur la recherche 2021-2030 garantissant un meilleur investissement ainsi qu’une trajectoire de consolidation durable de la recherche publique. En effet, alors que l’intelligence artificielle, la biotechnologie, la médecine de demain sont au cœur des enjeux des puissances mondiales, l’Europe ne peut pas se permettre ni inaction ni sous financement.
Votre texte appelle à préserver les crédits de la recherche, notamment Horizon Europe, à améliorer la gouvernance des programmes européens et assurer une transparence et une concertation avec les États membres et les parlements nationaux. Pour avoir co-signé cette proposition de résolution européenne, je suis convaincue de son importance au moment où les États-Unis de Donald Trump s’engagent dans une croisade idéologique contre la science, qu’il s’agisse du climat, des droits reproductifs, des données médicales. L’Union européenne dispose, dès lors, d’une opportunité historique, de s’ériger en refuge pour la science libre, éthique, alors que les désinformations, les coupes budgétaires, et les attaques contre les institutions scientifiques menacent directement la recherche outre-Atlantique. Nous devons affirmer notre « leadership » moral et stratégique. Adopter cette proposition de résolution européenne c’est investir dans l’avenir, dans notre souveraineté technologique, notre attractivité académique. Aussi le groupe Ensemble pour la République votera-t-il en faveur de cette proposition de résolution.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je vous remercie, chère collègue, pour votre soutien. Notre parlement doit pouvoir se saisir de chaque occasion pour réaffirmer nos valeurs. Lorsque j’ai commencé à travailler sur ces questions, elles n’avaient pas l’actualité brûlante qui est la nôtre !
M. Roger Chudeau (RN). Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui dans votre commission. Cette proposition de résolution européenne présente une intention louable mais n’est pas exempte de défauts. Nous sommes d’accord avec les conclusions du rapport Draghi : l’effort en matière de recherche & innovation n’est pas à la hauteur des défis auxquels doit faire face l’Europe dans un contexte de concurrence exacerbée et de conflictualisation des relations internationales. Il s’agit d’une priorité stratégique de premier plan.
Nous sommes en accord avec la démarche de cette proposition de résolution européenne : alerter le gouvernement sur la nécessité de ne pas diminuer l’investissement dans les crédits de la recherche.
Toutefois le gouvernement ne devrait pas uniquement s’engager sur un maintien des crédits de recherche, mais en soutenir l’augmentation pour que l’Union rattrape le niveau de nos principaux concurrents. Quel avenir pour le programme Horizon Europe alors que ses crédits ne sont pas entièrement consommés ? Nous sommes favorables à la création d’un fonds de compétitivité regroupant plusieurs lignes budgétaires ainsi qu’à une meilleure gouvernance administrative incluant des scientifiques. Un fonds dédié à la compétitivité européenne par un renforcement des investissements en matière de recherche doit clairement identifier les domaines de nature stratégique : l’intelligence artificielle, le hardware numérique, la santé notamment. Ces domaines de recherche doivent pouvoir bénéficier de moyens concentrés dont l’administration et l’évaluation doivent être simplifiées et rendus plus fluides. Les sciences sociales, et je diverge d’avec vous sur ce point, n’ont pas leur place dans ces programmes : elles leur sont étrangères sur le fond et bénéficient déjà de riches dotations budgétaires dans d’autres programmes européens. En outre, les orientations stratégiques de l’Union en matière de recherche doivent être régulièrement communiquées au parlement afin de respecter le principe de transparence et de responsabilité démocratiques.
Amendement n° 1 de M. Roger Chudeau
M. Roger Chudeau (RN). Nous souhaitons ajouter à l’alinéa 11 une mention relative à l’augmentation des crédits. Le retard pris par l’Union en termes d’investissement, 2 % du PIB, par rapport à ses concurrents, doit être rattrapé.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. La proposition de résolution européenne satisfait votre amendement, mais il n’y a pas d’objection à ce que vous rajoutiez cette mention.
L’amendement n° 1 est rejeté.
Amendement n° 2 de M. Roger Chudeau.
M. Roger Chudeau (RN). Cet amendement vise à supprimer l’amendement n°14 qui prévoit que des crédits de recherche, de compétitivité et d’innovation doivent comporter également un volet portant sur les sciences sociales. Cela ne semble pas opportun. Ces dernières ne sont pas maltraitées par les crédits de l’Union européenne. Elles bénéficient de très nombreux crédits et de programmes importants dans lesquels puise largement le CNRS.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je m’oppose à cet amendement. Le programme Horizon prévoit déjà des financements pour les sciences sociales. Le deuxième pilier du programme dédié aux problématiques mondiales a représenté une opportunité pour la recherche collaborative et interdisciplinaire dans laquelle les sciences humaines et sociales jouent un rôle centrale.
Le cluster doté d’un budget de 2,3 milliards d’euros sur sept ans dédié à la recherche multidisciplinaire vise à répondre aux enjeux de la gouvernance démocratique : participation citoyenne, sauvegarde et protection du patrimoine culturel européen, transformation sociale, économique, technologique et culturelle.
Le rappel de la nécessité de penser en appui et complément des sciences dures ne constituent ni une nouveauté, ni une dispersion mais un utile complément pour les problématiques sociales, économiques, culturelles que créent les découvertes. Il est nécessaire d’intégrer cela dans nos travaux et dans notre pensée.
L’amendement n° 2 est rejeté.
Amendement n° 3 de M. Roger Chudeau et n° 5 de Mme Marietta Karamanli, rapporteure.
M. Roger Chudeau (RN). C’est un amendement rédactionnel pour faire mention d’une transmission au parlement.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. J’ai déposé un amendement identique qui propose la même précision.
Les amendements identiques n° 3 et n° 5 sont adoptés.
Amendement n° 4 de Mme Marietta Karamanli, rapporteure.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Cet amendement vise à prendre en compte les actualités d’outre-Atlantique. Nous souhaitons mettre l’accent sur la nécessité de concevoir un dispositif complet à destinations scientifiques, en particulier des chercheurs américains pour créer les conditions d’un accueil qui devienne durable et fécond. Ce point de vue a été confirmé par les différents acteurs auditionnés, notamment France Stratégie.
L’amendement n° 4 est adopté.
L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.
La proposition de résolution ainsi modifiée est par conséquent adoptée.
La séance est levée à 17 heures 43.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Guillaume Bigot, M. Benoît Biteau, M. Nicolas Bonnet, Mme Manon Bouquin, Mme Céline Calvez, Mme Colette Capdevielle, Mme Éléonore Caroit, Mme Sophia Chikirou, M. Roger Chudeau, M. Mickaël Cosson, M. Nicolas Dragon, Mme Olga Hiverner, M. Sébastien Huile, Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip, M. Matthieu Marchiez, M. Éric Martineau, M. Laurent Mazaury, M. Maxime Michelet, Mme Isabelle Rauch, M. Alexandre Sabatou, M. Charles Sitzenstuhl, M. Thierry Sother, Mme Sophie Taillé-Polian, Mme Liliana Tanguy