Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
18 juin 2025
16 h 45
Compte rendu n o 36
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
de M. Bruno Fuchs,
président de la commission des affaires étrangères
et de
M. Jean-Michel Jacques,
président de la commission de la défense nationale et des forces armées
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 17 juin 2025
Co-présidence de M. Bruno Fuchs, président de la commission des affaires étrangères,
M. Jean-Michel Jacques, président de la commission
de la défense nationale et des forces armées,
et de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes
La séance est ouverte à 16 heures 47.
M. le président Bruno Fuchs. Mes chers collègues, nous avons l’honneur de recevoir cet après-midi, dans un format conjoint aux commissions des affaires étrangères, de la défense nationale et des forces armées et des affaires européennes, M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada d’Ukraine.
Monsieur le président, nous vous remercions de l’honneur que vous nous faites de venir au sein de notre Assemblée.
Je souhaite avant tout exprimer notre profonde admiration pour votre engagement et votre détermination. Nos pensées accompagnent tous les civils, toutes les familles, tous les enfants qui subissent nuit après nuit les bombardements de l’armée russe, avec un nombre croissant de victimes civiles. Ce drame se poursuit pour votre pays et l’ensemble de ses habitants.
Un espoir avait été suscité par l’élection du président Trump, qui souhaitait voir advenir rapidement la paix. Cinq mois plus tard, nous avons l’impression qu’il a rallié le camp adverse et – pour reprendre les mots de mon collègue Frédéric Petit – qu’il a accordé un « permis de tuer » à Poutine, notamment contre les civils.
Depuis trois ans, l’Ukraine résiste courageusement à l’agresseur russe. Le prix payé est considérable mais la résistance de votre nation force le respect de tous. Il est important de constater que vous ne faiblissez pas.
Nous ne voulons pas faiblir non plus. Nous demeurons convaincus que nous allons poursuivre notre soutien à l’Ukraine car il en va de l’avenir de l’Europe tout entière. L’alignement des positions du président français, du chancelier allemand et des premiers ministres britannique et polonais sur ce point constitue un élément clé de la solidité de la position de l’Europe.
Au niveau parlementaire, nous sommes très déterminés à poursuivre notre coopération et le dialogue avec nos homologues de la Verkhovna Rada. Dans cet esprit, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale organisera début juillet un échange de vues avec son homologue ukrainienne par visioconférence. Soyez assuré que le dialogue perdurera et qu’avec mes collègues des deux autres commissions, nous exprimerons et matérialiserons ce soutien, cet accompagnement et cette solidarité chaque fois que nous le pourrons.
M. le président Jean-Michel Jacques. Monsieur le président, je tiens à mon tour à vous exprimer notre plaisir de vous accueillir parmi nous.
Ce 18 juin marque la commémoration de l’appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940, à la résistance du peuple français face au régime nazi, ce qui résonne avec votre propre résistance face à l’agression russe. Vous représentez un peuple qui, pour reprendre les mots du président de la République Emmanuel Macron, incarne aujourd’hui le « visage de l’honneur, de la liberté et de la bravoure ».
Vos compatriotes ne demandent pas que nous fassions la guerre à leur place mais sollicitent simplement notre aide pour résister à l’envahisseur. Cette aide militaire leur permet de poursuivre leur combat et cette résistance héroïque que vous menez actuellement.
Ce soutien sert également notre intérêt collectif. Pour défendre l’ordre mondial, fondé sur le droit international, nous avons besoin de nous mobiliser, tant à vos frontières que partout dans le monde.
Nous devons également nous mobiliser pour défendre des valeurs communes, fondements de nos démocraties, car cette guerre n’est pas seulement une guerre de territoires mais constitue aussi une guerre de valeurs. D’un côté se dressent l’oppression, le mensonge, l’arbitraire, la censure et la peur ; de l’autre se trouvent l’État de droit, les droits humains, la paix et les libertés sous toutes leurs formes, notamment celle de pouvoir s’exprimer.
L’Histoire nous enseigne que fermer les yeux face à une agression ne conduit jamais à une paix durable mais encourage au contraire l’agresseur à aller jusqu’au bout.
L’armée française a su tirer des leçons de cette lutte que vous menez en intégrant dans ses réflexions le retour de la guerre à haute intensité, avec la prise en compte de conflits pouvant s’inscrire dans la durée. C’est toute la réflexion que mène notre pays sur nos stocks stratégiques, notamment sur les munitions, et la nécessité de réactiver notre base industrielle de défense pour produire davantage et plus rapidement. Nous pouvons mutuellement nous réjouir du travail commun engagé sur ce sujet de l’industrie de défense. Nos réflexions portent en outre sur nos moyens capacitaires, notamment le rôle central de l’artillerie et des armes de saturation, comme les drones. Enfin, nous prenons en compte le caractère hybride des attaques, notamment sur les champs cyber et de la lutte informationnelle, sans oublier l’importance de la défense civile, de la résilience morale et de la mobilisation de l’ensemble de la population. L’Ukraine démontre à quel point il est important qu’un peuple résiste dans son entièreté.
Cette audition nous offre l’occasion de rendre hommage à la détermination et au courage exemplaire du peuple ukrainien tout en réaffirmant notre soutien plein et entier.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Monsieur le président, nous sommes très heureux de vous accueillir à l’Assemblée nationale. Votre visite est le symbole de l’amitié et de la solidarité qui lient nos deux peuples dans l’épreuve que l’Ukraine a affrontée depuis plus de trois ans face à l’agression barbare et totale menée par la Fédération de Russie.
Je tiens à vous assurer que le peuple français se tient et se tiendra, aussi longtemps que nécessaire, aux côtés du peuple ukrainien dans son combat pour la liberté, la démocratie et la souveraineté, menacées depuis de trop nombreuses années par la Russie de Vladimir Poutine. L’adoption, à une très large majorité, d’une résolution apportant son soutien à la résistance ukrainienne et ancrant le chemin européen de l’Ukraine illustre ce soutien dans la durée que vous témoigne l’Assemblée nationale française.
Alors que, ces derniers jours, le monde a les yeux rivés sur ce qu’il se passe entre Israël et l’Iran et alors que le G7 se tenait au Canada il y a encore quelques heures, votre pays a une nouvelle fois été la cible des bombes russes. Une fois de plus, une fois de trop, des civils innocents ont été les victimes de l’aviation russe et des soudards de Poutine, qui n’ont aucun respect pour la vie humaine, ciblent délibérément les civils ukrainiens et visent très rarement les infrastructures militaires, contrairement à ce que la propagande russe cherche à nous faire croire. Nous vous disons notre solidarité envers les victimes, leurs familles, celles et ceux qui leur sont proches et, évidemment, le peuple ukrainien.
Le courage dont votre peuple fait preuve depuis maintenant tout ce temps force notre admiration. Dans nos circonscriptions, les Français nous parlent très souvent de ce qu’il se passe en Ukraine, que personne n’oublie en dépit de la durée de ce conflit et de l’actualité internationale que nous vivons.
Ce drame que j’évoquais à l’instant illustre le cynisme de Vladimir Poutine, qui démontre à nouveau que la Russie ne veut pas la paix. La Russie profite du contexte international pour intensifier ses frappes et s’en prendre une fois de plus à des civils innocents, ce que nous devons condamner de manière extrêmement claire.
Dans ce contexte, j’ai la conviction que nous devons continuer d’agir avec la plus grande détermination pour renforcer les sanctions contre la Fédération de Russie et en préparer de nouvelles, d’une ampleur inédite, si cela est nécessaire, afin de frapper la machine de guerre russe, en lien étroit avec nos partenaires américains, japonais, canadiens et britanniques. L’objectif est de priver la Russie de toute capacité à poursuivre la guerre, lui faire assumer le coût de ses actes et l’amener le plus rapidement possible vers le cessez-le-feu que l’Ukraine a été prête à accepter, alors que c’est elle-même qui est attaquée.
Au-delà des sanctions, nous, Français et Européens, devons intensifier notre soutien militaire, économique et humanitaire à l’Ukraine pour lui permettre de résister aussi longtemps que possible et de défendre sa souveraineté, puisque la Russie n’exprime aucune volonté de paix ou de cesser le combat.
Notre Assemblée, à l’image de la France et de l’Europe, réaffirme, à travers les échanges que nous avons maintenant, son engagement à vos côtés. L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne doit rester notre perspective commune car le sang versé par le peuple ukrainien marque pour toujours ce chemin européen de votre pays. Sachez que nous serons à vos côtés pour vous accompagner dans cette perspective d’adhésion, très importante pour vous. Nous ne faiblirons pas dans notre soutien et nous œuvrerons ensemble pour la justice, la paix et la liberté.
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Je tiens tout d’abord à vous exprimer ma profonde gratitude pour cette occasion de m’adresser à vous dans le cadre de cette audition réunissant trois commissions clés de votre Assemblée.
Fin janvier 2023, j’ai déjà eu l’honneur de m’exprimer devant vous. Nous sommes désormais amenés à nous rencontrer bien plus fréquemment qu’une fois tous les deux ans, comme auparavant.
Je garde un souvenir de l’accueil des délégations de l’Assemblée nationale et de nos déplacements à Tchernihiv, à Soumy, sur la ligne de front et à Odessa. Ces visites témoignent parfaitement de votre connaissance directe de la situation sur le terrain. Je n’ai donc pas à vous expliquer la réalité que nous vivons. Ces rencontres constituent également la plus belle manifestation de l’amitié entre nos Parlements et de l’efficacité de notre diplomatie interparlementaire.
C’est un grand honneur pour moi de m’adresser à vous en cette journée historique de l’appel du 18 juin, où le général de Gaulle a marqué un tournant décisif dans la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, lors de mon intervention au Sénat, nous avons établi de nombreux parallèles entre la situation française d’il y a quatre-vingt-cinq ans et la situation ukrainienne actuelle. Tout comme la France à cette époque, l’Ukraine sait aujourd’hui qu’elle n’est pas seule ; l’Ukraine sait qu’à ses côtés se tiennent ses amis. Pour cela, je tiens sincèrement à vous remercier pour le formidable soutien que nous recevons de la France et du peuple français.
Je souhaite également vous remercier de l’unité que vous avez su créer autour du soutien à l’Ukraine. Vous avez dépassé les clivages politiques concernant l’aide militaire et humanitaire, ce qui revêt une importance capitale pour notre pays.
Je vous remercie vivement pour ce dialogue interparlementaire entre deux institutions, extrêmement actives. Grâce à ces échanges, nous avons développé un niveau de confiance inégalé et des relations humaines extrêmement chaleureuses. Nous partageons tous une même compréhension du droit international, des droits humains et du rôle fondamental du parlementarisme sur ces questions.
Vous avez été à la hauteur des décisions qu’il fallait prendre pour que l’Ukraine ait une chance de se défendre, de tenir et, un jour, de parvenir à une paix juste et durable. À cet égard, je remercie encore une fois la France pour son aide au renforcement de nos capacités de défense, sans lesquelles nous aurions très peu de chances de tenir.
Les Ukrainiens se sont désormais familiarisés avec la langue française grâce aux termes militaires. Nous connaissons tous des mots comme « Crotale », « Mirage » et d’autres dénominations d’armements français qui ont enrichi le vocabulaire ukrainien.
Je vous remercie pour toutes vos initiatives car la France a souvent joué un rôle de leader, engageant des décisions que d’autres ont ensuite suivies. Je voudrais vous demander de maintenir ce leadership car la voix de la France est très puissante, tant au sein du G7, de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), de celle de la francophonie que des différentes Assemblées interparlementaires. Je salue les députés qui représentent la France dans ces instances pour leur professionnalisme et leur haut niveau d’engagement.
Les forces armées ukrainiennes démontrent au monde entier que notre pays répond à tous les standards, à tous les principes et surtout aux valeurs que nous partageons. L’Ukraine paie le prix le plus fort pour cet engagement et ces valeurs.
Je vous adresse un appel pour renforcer encore votre soutien concernant les sanctions. Ces mesures doivent atteindre une intensité telle que le coût de cette guerre devienne insupportable pour la Russie.
Je vous demande également d’œuvrer collectivement en faveur de cette décision juste et nécessaire d’utiliser tous les avoirs russes gelés. La Russie doit payer ce prix pour son acte d’agression contre l’Ukraine et ses actions dans les autres parties du monde. Si ces actes restaient impunis, cette agression en encouragerait d’autres alors que la meilleure façon d’arrêter les agresseurs consiste précisément à les sanctionner.
Je souhaite également évoquer devant vous la question des enfants déportés, au nombre de 20 000 selon nos registres. Le cynisme des Russes est tel que, lors des dernières négociations à Istanbul, ils ont proposé d’échanger ces enfants contre des prisonniers détenus par l’Ukraine. Comment peut-on oser essayer de monnayer des enfants dans des négociations ?
Enfin, je vous appelle à soutenir l’Ukraine dans sa préparation pour la reconstruction. La France, que je remercie chaleureusement, s’est déjà engagée à participer à la reconstruction de certaines régions ukrainiennes. Je souhaiterais qu’après cette guerre, l’histoire de notre pays devienne une histoire de succès, grâce à l’Ukraine et à ses partenaires.
Vive la France ! Gloire à l’Ukraine !
M. le président Bruno Fuchs. Les représentants des groupes parlementaires vont à présent s’exprimer et vous interroger.
Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue et d’adresser nos pensées les plus solidaires au peuple ukrainien, victime de l’intensification récente des attaques russes sur les populations civiles.
Je tiens également à réaffirmer notre mobilisation en faveur de l’Ukraine. La sécurité collective de l’Ukraine est inséparable de la résistance des Ukrainiens. Vous avez le soutien politique de la France pour parvenir à un cessez-le-feu inconditionnel et convaincre les États-Unis de durcir le ton face à Vladimir Poutine. De plus, tout doit être fait pour vous apporter des garanties de sécurité suffisantes afin de dissuader la Russie de toute nouvelle attaque.
La France et le Royaume-Uni se sont portés volontaires pour l’envoi de forces de réassurance en Ukraine et j’aimerais connaître votre appréciation sur cette initiative.
La première garantie de sécurité demeure l’adhésion à l’OTAN. À cet égard, je peux vous assurer qu’à l’occasion de la dernière session de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN à Dayton, les délégations européennes se sont très majoritairement prononcées en faveur de celle-ci, parallèlement à l’accession de votre pays à l’Union européenne.
L’Union européenne et ses États membres ont mobilisé plus de 82 milliards de dollars d’aides budgétaire, humanitaire et financière, ainsi que 54 milliards de dollars d’assistance militaire. L’Union européenne se prépare à durcir les sanctions contre la Russie. Les intérêts sur les avoirs russes gelés ont permis de compenser le déclin de l’aide américaine en ce début d’année. Ces avoirs gelés pourraient être utilisés pour financer la reconstruction de l’Ukraine.
Quant à la France, elle a formé près de 10 000 soldats ukrainiens et a annoncé en mai 2025 un nouveau programme bilatéral de 2 milliards de dollars.
Monsieur le président, quels sont les besoins prioritaires et immédiats des forces armées ukrainiennes pour défendre votre territoire ? Après l’occasion manquée d’une rencontre entre les présidents Zelensky et Trump au dernier sommet du G7 au Canada et à quelques jours du sommet de l’OTAN à La Haye, qu’attendez-vous des négociations initiées par les États-Unis entre l’Ukraine et la Russie ?
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Je remercie vivement le groupe d’amitié de votre Assemblée pour cette formidable coopération que vous entretenez aujourd’hui avec l’Ukraine. Nous nous efforçons toujours de mettre en œuvre vos initiatives. Nous ressentons votre soutien à tous les niveaux, que ce soit au sein du groupe d’amitié, dans les échanges entre les Parlements ou dans les formats internationaux. Vous êtes les meilleurs avocats de l’Ukraine et nous vous en sommes profondément reconnaissants.
Une attaque massive a causé avant-hier, pour la seule ville de Kyiv, 28 morts, parmi lesquels 27 citoyens ukrainiens et un citoyen étranger, ainsi que plus de 150 blessés. Cette attaque illustre le dessein de Poutine : s’attaquer aux civils et aux infrastructures pour effacer l’Ukraine et les Ukrainiens de cette terre. Cependant, les forces armées ukrainiennes ne le laisseront pas faire et nous apprécions tout particulièrement l’aide que nous recevons de la part de nos partenaires.
Nous avons l’impression que Poutine, en ancien agent du KGB très expérimenté, a su instrumentaliser et mener en bateau nos partenaires américains. Nous sommes convaincus que, très prochainement, les États-Unis ouvriront les yeux face à ce mensonge et reviendront vers tous les formats auxquels ils participaient auparavant, permettant ainsi à l’Ukraine d’obtenir un succès dans cette guerre. Nous sommes persuadés que la majorité du peuple américain se tient aux côtés de l’Ukraine et que l’administration américaine fera tout ce qui est en son pouvoir pour que le texte des sanctions soit voté au Sénat et mis en œuvre.
Le seul langage que Poutine comprend est le langage de la force. Il n’est pas tout-puissant et présente des faiblesses ; il se montre même très peureux face à la force. Nous connaissons sa tactique. Son passé dans les services pèse lourdement dans ses actions mais nous le connaissons.
Il faut continuer vos efforts. Nous comptons sur le renforcement de notre défense antiaérienne ainsi que sur la fourniture d’armes et de munitions pour la ligne de front, car nous avons besoin de ces équipements. Nous avons également développé une expérience unique en matière de drones et sommes prêts à partager cette expertise avec vous.
Mme Anna Pic (SOC). Le 24 février dernier a marqué la troisième commémoration de la guerre d’invasion à grande échelle menée par la Russie contre l’Ukraine.
Durant ces trois années, les socialistes français n’ont cessé d’apporter leur soutien indéfectible à l’Ukraine et d’appeler, comme nous le faisons pour tous les conflits à travers le monde, au respect du droit international.
Nous avons notamment appelé au rétablissement de la souveraineté ukrainienne dans ses seules frontières internationalement reconnues de 1991. Nous avons appelé à une paix juste et durable, incluant l’Ukraine et l’Europe. Nous avons demandé un renforcement des sanctions prises à l’égard de la Russie, comme l’affectation des avoirs russes gelés sur les territoires européens à la reconstruction de l’Ukraine. Nous avons souligné l’absolue nécessité de permettre le retour des dizaines de milliers de civils ukrainiens déplacés de force, des prisonniers de guerre et des enfants déportés. Nous avons rappelé l’impératif de justice pour les crimes de guerre et massacres commis par les forces d’occupation russes. Nous avons soutenu la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Nous avons interpellé à de nombreuses reprises notre gouvernement pour l’inciter à accentuer l’aide militaire française, afin qu’elle soit à la hauteur des besoins de la résistance ukrainienne. Enfin, nous avons dénoncé le transit par nos ports du gaz naturel liquéfié russe, permettant au Kremlin de financer son effort de guerre.
Monsieur le président, je réitère solennellement ce soutien devant vous aujourd’hui et vous garantis qu’il ne faiblira pas. Il en va de la défense de nos valeurs et, pour ceux qui en douteraient encore, de notre sécurité commune et collective européenne. Ce soutien, nous vous le devons au regard de la résistance exemplaire dont les Ukrainiennes et les Ukrainiens font preuve depuis le premier jour.
Pour conclure, afin que nous nous tournions vers l’avenir, je souhaiterais connaître votre perception de l’état d’esprit des Ukrainiens concernant la capacité de leur pays à atteindre les critères d’entrée dans l’Union européenne dans un contexte de poursuite du conflit et leur vision de l’après-guerre.
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Je vous remercie pour ce soutien que nous sentons de votre part à tous.
Je peux vous assurer qu’il n’existe pas de population plus attachée à l’Union européenne que les Ukrainiens. Les sondages révèlent que 90 % des Ukrainiens soutiennent l’adhésion à l’Union européenne. Le Parlement ukrainien s’emploie à répondre à tous les critères exigés sur ce chemin d’adhésion. Nous adoptons une série de lois, tout en réalisant toutes les procédures pour accélérer la validation de ces textes. Le cabinet des ministres met tout en œuvre pour implémenter les standards et réaliser les solutions décidées par le Parlement ukrainien.
Soyez assurée que mon peuple, qui se heurte chaque jour et chaque nuit à des attaques aériennes incessantes, aspire à la paix plus que tout au monde. Mais cette paix doit être juste et définitive.
Après cette paix, les Ukrainiens souhaitent la reconstruction du pays. Ils désirent que la résistance ukrainienne entre dans l’histoire mondiale. L’Ukraine, traditionnellement reconnue comme un grand pays agricole et un acteur significatif dans les solutions informatiques, ambitionne d’offrir à l’Europe son intelligence, son travail et son expertise, qui peuvent contribuer à la construction européenne. Notre chemin vers l’adhésion à l’Union européenne peut apporter beaucoup à l’Ukraine comme à l’ensemble de la communauté européenne.
Mme Nadine Lechon (RN). Au nom du groupe Rassemblement national, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre Assemblée. Alors que votre pays est en guerre, vous recevoir est un honneur.
Les Français sont impressionnés de voir que le peuple ukrainien tient bon face à l’adversité et à la violence exercée par les forces russes. Cela est vrai pour votre armée comme pour vos institutions. Depuis 2022, vous n’avez jamais cessé de réunir le Parlement ukrainien. En dépit des bombardements et des assauts, l’Ukraine a préservé le fonctionnement de ses administrations et de ses institutions. Permettez-moi, monsieur le président, de saluer votre courage, ainsi que celui de tous vos collègues parlementaires. Vos adversaires tuent mais ils n’ont pas pris l’âme de l’Ukraine et ne la prendront jamais.
Depuis le début du conflit, la France, à l’instar de nombreux autres pays, vous apporte son soutien, notamment en matière de formation ainsi que de livraison d’armements et de matériels. Ce soutien doit vous permettre de vous défendre et d’ouvrir une voie vers la paix, qui ne constitue ni une insulte envers l’Ukraine ni une légitimation de l’agression russe après tant de vies ukrainiennes sacrifiées. Cette voie n’est pas simple à tracer. Nous espérons qu’une conférence de la paix pourra se réunir dès que cela sera possible. L’heure est encore aux combats, comme en attestent les bombardements russes sur votre capitale dans la nuit de lundi à mardi.
Ma question émane d’un pays qui a lui aussi connu l’horreur de la guerre et des paix mal négociées. Alors que nous gardons tous à l’esprit l’échec des accords de Minsk, comment éviter qu’un futur accord de paix entre l’Ukraine et la Russie ne devienne un nouveau traité de Versailles, portant en lui tous les germes d’une future guerre ?
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Soyez-en assurée, l’Ukraine désire la paix plus que tout au monde car nos militaires, nos civils et nos enfants meurent chaque jour. C’est pourquoi nous souhaitons la paix, mais pas une paix à n’importe quel prix ou une paix par capitulation. Nous aspirons à une paix durable et juste. Cette question revêt donc pour nous une importance capitale.
Nous comprenons parfaitement que le chemin vers la paix se construit aussi bien sur le champ de bataille que durant les négociations diplomatiques. Le président Zelensky a clairement affirmé qu’il est prêt à des négociations avec M. Poutine. Il s’est même rendu à Istanbul dans cette perspective mais M. Poutine n’est jamais venu, ce qui est le témoignage le plus éloquent du fait que ce dernier n’a pas besoin de ces négociations et souhaite continuer à renforcer son armée, à accroître sa force, à tuer les Ukrainiens et à menacer le monde démocratique.
Face à ce comportement violent de Poutine, il convient d’adopter une attitude juste. Nous devons l’obliger à venir à la table des négociations. L’Ukraine a posé comme condition préalable à toute négociation un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire. Notre pays est prêt pour ce cessez-le-feu et ces négociations mais, pour négocier, il faut deux parties. L’Ukraine ne peut négocier avec un interlocuteur qui ne se présente pas aux négociations.
Il est particulièrement étrange d’entendre certains déclarer être prêts à des négociations sans condition, tout en ajoutant de nombreux « mais », ce qui n’est en réalité qu’une tentative de gagner du temps et d’éviter les négociations et responsabilités. Nous devons unir nos forces avec l’ensemble de nos partenaires.
Je tiens donc à vous remercier pour tout le soutien que nous recevons de la France. Plus que jamais, l’heure est venue de contraindre la Russie à revenir à la table des négociations.
M. Jean-Louis Thiériot (DR). Au nom de notre groupe Droite Républicaine, je tiens à vous exprimer notre admiration et notre respect pour le combat mené par le peuple ukrainien. S’il existe un pays où le mot patrie conserve toute sa signification, c’est bien l’Ukraine, qui nous en offre la plus éclatante démonstration.
Je souhaite vous assurer de notre soutien car votre combat est celui de la liberté. Nous savons tous que derrière la dimension néo-impériale de la Russie se cachent le Tsar rouge, le KGB et ce qui a constitué l’oppression communiste en Europe pendant de très longues années.
Nous vous soutenons également parce que votre combat est aussi le nôtre. La sécurité de l’Europe ne se joue pas sur l’Elbe ou sur le Rhin, elle se joue désormais sur le Dniepr. À ce titre, je tiens à vous exprimer mes plus vifs remerciements, à partager avec votre population.
Quelles que soient les conditions de sortie de ce conflit, il n’y aura de garanties de sécurité qu’avec une Ukraine forte dotée d’une armée puissante et d’une industrie d’armement développée. C’est ce qui permettra, sur le long terme, d’exercer un effet dissuasif vis-à-vis de la Russie.
Lors de ma visite à Kyiv il y a quelques semaines, j’ai rencontré plusieurs de vos entreprises d’armement ainsi que des représentants de l’ambassade de France qui coopèrent avec vous. J’ai été particulièrement impressionné par vos réalisations dans le domaine de l’artillerie, avec le Bohdana, et bien évidemment par vos avancées en matière de drones. Des coopérations commencent à s’établir entre industriels français et ukrainiens. Je constate que d’autres pays européens, notamment l’Allemagne avec Rheinmetall, sont déjà présents sur votre territoire. Comment pouvons-nous intensifier et améliorer notre coopération, car il s’agit de votre sécurité et car c’est ensemble, en Européens, que nous pourrons peut-être conquérir des marchés ?
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Cette guerre a ouvert une nouvelle façon de faire la guerre. Elle a commencé à s’appuyer sur des solutions de haute technologie. Cent drones peuvent détruire un tiers du potentiel nucléaire russe. De même, les drones à fibre optique peuvent constituer la solution à de nombreux problèmes. Ce conflit s’est transformé en guerre de drones, tant de défense que d’attaque. Je suis même convaincu que nous réévaluerons ultérieurement l’importance cruciale de ces appareils dans ce conflit car nous avons inventé une arme idéale qui, contrairement aux armes à feu et aux balles, permet de frapper à distance. Nous devons anticiper l’usage post-conflit de ces technologies afin qu’elles ne soient pas utilisées à des fins contraires à la paix.
Je tiens à vous remercier pour cette collaboration entre les industriels ukrainiens et français, permettant le partage d’expérience et l’accès aux technologies françaises, qui sont les plus performantes au monde, comme en témoigne leur efficacité sur les champs de bataille. La France est sans aucun doute un leader dans cette collaboration avec notre industrie. La récente réunion à Kiyv a démontré l’intensité de notre coopération, la délégation française figurant parmi les plus importantes venues partager cette expérience en Ukraine. Dix-huit entreprises réalisent un travail commun, ce dont je vous remercie.
M. Frédéric Petit (Dem). Au nom du groupe Les Démocrates, je suis ravi de vous accueillir ici.
Si la résistance militaire est unanimement saluée, je voudrais évoquer votre résistance démocratique. La Verkhovna Rada poursuit son travail parlementaire, comme j’ai pu le constater. Nous travaillons lors de chacune de nos visites et nous admirons vos actions.
Je me suis récemment rendu à Mykolaïv avec notre collègue Vitaliy Bezgin pour l’Assemblée des Rada régionales. Je rappelle que votre réforme de 2016 est encore en cours. La démocratie locale, portée par des femmes maires et présidentes de région, se révèle impressionnante et insuffisamment évoquée.
J’ai également visité Tchernihiv, région qui a de nouveau subi des bombardements la nuit dernière.
Que pourrions-nous apporter pour assurer la protection du ciel ukrainien ?
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Vous avez parfaitement souligné le message principal que je souhaitais vous transmettre. Nous ne devons pas rester dans l’indifférence et mobiliser les autres pour qu’ils en fassent autant. L’Ukraine doit demeurer au premier plan de l’actualité internationale car notre pays exerce son droit légitime à se défendre ainsi qu’à protéger son modèle démocratique et ses valeurs. C’est par la force que nous devons défendre cette démocratie qu’est l’Ukraine contre la Fédération de Russie, qui nous attaque de jour comme de nuit.
Nous avons besoin de renforcer notre défense antiaérienne avec des systèmes Patriot, SAMP/T, IRIS-T et d’autres dispositifs. Ces équipements permettent aux Ukrainiens de survivre aux attaques nocturnes.
Nous avons également besoin de protéger nos infrastructures énergétiques, devenues des cibles privilégiées pour la Russie, qui souhaite provoquer un black-out et plonger l’Ukraine dans le noir.
La Russie menace d’attaquer nos centrales nucléaires civiles. Pour un pays qui a connu la catastrophe de Tchernobyl, l’une des plus graves catastrophes nucléaires de l’histoire, ces menaces suscitent une profonde inquiétude. Nous sollicitons donc le soutien de la France, puissance nucléaire mondiale, pour agir ensemble afin d’empêcher Poutine d’instrumentaliser la menace sur le nucléaire. Rappelons que la Russie a annexé militairement la centrale nucléaire de Zaporijjia et détruit le barrage hydroélectrique de Nova Kakhovka, causant non seulement un désastre écologique mais perturbant l’ensemble du réseau électrique unifié d’Ukraine. Nous comptons donc sur votre soutien.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Le groupe Horizon et Indépendants vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale. Notre groupe soutient l’Ukraine dans sa résistance face à l’agression russe, aux crimes de guerre, aux crimes contre l’humanité et à la déportation d’enfants.
Par cette résistance courageuse, vous défendez non seulement votre liberté mais également les valeurs que nous partageons tous : la démocratie, le droit international et la souveraineté des peuples.
Dans ce contexte, nous savons combien les alliances régionales et les équilibres géopolitiques influent sur la dynamique du conflit. Or, depuis plusieurs semaines, la situation au Moyen-Orient connaît une dangereuse escalade. Les tensions entre l’Iran et Israël s’intensifient avec des attaques directes et le risque réel d’un embrasement régional.
Ce qui nous préoccupe particulièrement est le rôle croissant de l’Iran dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Nous savons que l’Iran fournit des drones et du matériel militaire utilisés contre des civils et des infrastructures ukrainiennes, tandis que la Russie apporte son soutien à l’Iran. Ce partenariat stratégique entre Moscou et Téhéran n’est pas seulement un fait militaire mais devient un facteur déstabilisant global qui concerne aussi notre sécurité collective.
Le groupe Horizon et Indépendants souhaiterait donc connaître votre analyse sur l’évolution du conflit au Moyen-Orient, particulièrement concernant les liens entre l’Iran et la Russie. Selon vous, quel impact cette nouvelle donne pourrait-elle avoir sur le soutien des alliés européens et occidentaux à votre pays ?
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Votre question est particulièrement pertinente. Depuis le début de la guerre, la Russie a essayé d’entraîner un maximum d’acteurs de l’axe du mal. Dès les premiers mois, elle a mobilisé l’Iran et la Corée du Nord. L’Iran a fourni les drones qui attaquent l’Ukraine chaque nuit. Nous sommes désormais si accoutumés à ces attaques que nous distinguons au seul bruit un Shahed‑1 d’un Shahed-2 ou d’un Geran. Nous identifions également les drones qui opèrent avec des câbles filaires optiques. Nous avons malheureusement acquis toutes ces connaissances dans les terribles réalités de la guerre.
Moi qui étais professeur d’université, enseignant le droit, je n’aurais jamais imaginé développer un jour de telles compétences et ce terrible habitus. Il s’agit d’une preuve terrible de la collusion militaire entre la Russie et l’Iran, qui doit être brisée. L’axe du mal doit être détruit tandis que l’axe du bien doit être construit, afin d’agir.
Nous comprenons depuis longtemps qu’il ne s’agit pas d’une guerre de territoires, ni même d’une guerre pour des principes ou des valeurs : c’est une guerre qui déterminera la nature de l’humanité et du monde pour les générations futures. Le vainqueur de ce conflit dictera les règles au reste du monde. Si l’autocratie l’emporte, les pays démocratiques reconnaîtront les faiblesses de la démocratie et s’affaibliront de l’intérieur.
Je ne souhaite pas une telle évolution. Je souhaite la prévalence de nos principes et de notre unité. Ensemble, les pays démocratiques peuvent gagner. Nous ne nous battons pas pour le territoire ukrainien, pour la souveraineté de l’Ukraine ou son droit de choisir librement sa voie en tant que nation ; nous nous battons pour préserver notre liberté et notre démocratie. Nous devons maintenant réfléchir collectivement à la stratégie qui nous permettra de remporter cette guerre pour sauver les générations futures.
M. le président Bruno Fuchs. Je souligne, avant qu’il prenne la parole au titre de son groupe, que M. Laurent Mazaury est l’auteur d’une résolution européenne sur le soutien de la France à l’Ukraine, abordant notamment la question du gel des avoirs russes, sujet qui a suscité un débat approfondi mobilisant l’ensemble des partis politiques durant une grande partie de la nuit au cours de laquelle ce texte a été adopté.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Au nom de mon groupe, je tiens tout d’abord à vous exprimer, ainsi qu’à l’ensemble du peuple ukrainien, notre soutien le plus total.
Le 12 mars dernier, l’Assemblée nationale a effectivement adopté la proposition de résolution européenne que j’ai déposée, appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine et exhortant notamment l’Union européenne et ses États membres à procéder à la saisie des avoirs russes. La guerre menée contre votre pays et l’importance des avoirs russes gelés, notamment en Europe, ont nourri de nombreuses réflexions sur les possibilités d’utiliser non seulement les intérêts qu’ils génèrent mais également ces avoirs directement. Plusieurs pays ont d’ailleurs franchi ce pas en autorisant leur gouvernement à utiliser ces avoirs pour aider l’Ukraine ou plus généralement tout pays agressé en violation du droit international. C’est notamment le cas des États-Unis, du Canada et, plus récemment, de l’Estonie.
Les opposants à ce projet avancent principalement deux arguments : premièrement, le droit international interdirait cette saisie ; deuxièmement, les conséquences économiques seraient catastrophiques, en raison d’une perte de confiance des investisseurs. Sur le premier point, la législation américaine s’en extirpe parfaitement en s’appuyant sur le régime des contre-mesures, prévu par le droit coutumier ; quant au second point, il convient de souligner qu’une confiscation des avoirs encadrée par le régime des contre-mesures ne concernerait que l’État agresseur.
Au début de l’examen de ma proposition de résolution européenne, j’étais moi-même réticent à l’utilisation des avoirs, pensant les freins juridiques insurmontables. Après une étude rigoureuse du sujet, j’ai non seulement changé d’avis mais également décidé d’aller plus loin. En mars, nous avons demandé l’utilisation de ces avoirs par les États. Or, le temps de l’action est venu. C’est pourquoi je dépose actuellement une proposition de loi ayant pour objectif d’ouvrir la possibilité d’utiliser les actifs gelés en France. Cette proposition ne se limite pas aux seuls actifs russes mais propose que tous les pays agresseurs qui violent délibérément le droit international, notamment par l’emploi de la force, et dont des biens sont gelés en France, puissent être concernés dans le futur.
Notre message est clair : nous devons utiliser tous les moyens légaux possibles pour accompagner les pays agressés dans leurs négociations, pour leur fournir des leviers supplémentaires et pour contraindre les pays agresseurs à respecter le droit international, ainsi qu’à participer financièrement à la reconstruction du pays agressé.
Je tenais à vous informer de ce travail en cours qui, je l’espère, sera examiné prochainement par notre Assemblée et aboutira.
Avez-vous connaissance d’autres Parlements, en Europe ou ailleurs dans le monde, qui étudient actuellement cette perspective ?
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Je vous remercie chaleureusement pour cette initiative.
En tant que professeur de droit, permettez-moi une brève analogie historique, en commençant par le droit romain. Le droit, en tant que discipline, a été conçu pour être l’art du bien et de la justice. Il est donc impossible de justifier des morts, des assassinats et des guerres par le droit car ces actes se situent à l’opposé de l’essence du droit. Si le droit échoue à garantir le bien et la justice, nous devons impérativement identifier ce qui ne fonctionne pas. Il est donc essentiel que nous, parlementaires, trouvions les moyens de faire en sorte que le droit protège effectivement notre droit à la justice et au bien.
Les actifs souverains des États sont considérés comme intouchables dans le monde civilisé. Toutefois, ce principe ne saurait s’appliquer face à un assassin et un violeur, qui doit répondre des violations commises. J’affirme constamment que Poutine et le peuple russe doivent recevoir une facture qu’ils devront acquitter avec leurs actifs souverains. Cette démarche dissuadera les agresseurs potentiels de demain en les incitant à réfléchir aux conséquences de leurs actes. À l’inverse, si l’agresseur échappe aux sanctions prévues par le droit international et ne paie pas le prix de la guerre, cela risque d’encourager de nouvelles agressions. Poutine, qui bafoue le droit international et cherche à détruire l’ordre mondial, doit répondre de ses actes conformément aux normes du droit international. C’est ainsi que nous démontrerons la supériorité du droit international sur les velléités d’un dictateur contemporain.
Je vous incite à poursuivre cette initiative. Je sais que le Canada a également exploré cette voie. Les parlementaires belges examinent la question des avoirs gelés. Je reviens du Luxembourg, où j’ai discuté avec mes homologues de la nécessité pour nous, parlementaires, de repenser le sens de ces avoirs gelés, qui doivent servir le bien.
M. le président Jean-Michel Jacques. À présent, les collègues souhaitant intervenir à titre individuel et vous interroger vont s’exprimer.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Je tiens à vous remercier pour vos mots forts concernant la défense de notre démocratie et de nos États de droit. Nous faisons collectivement preuve d’une timidité dans la protection de ce que nous avons acquis au prix du sang après la seconde guerre mondiale. Vos paroles nous incitent à nous réveiller, alors que d’autres dans le monde nous montrent également la voie. Face à des forces contraires qui s’affirment avec vigueur, nous, démocrates, ne nous affirmons pas suffisamment.
Concernant votre processus d’adhésion à l’Union européenne en tant qu’État candidat, observez-vous aujourd’hui des ingérences russes ? Disposez-vous d’exemples concrets ?
Ne devrions-nous pas explorer des solutions intermédiaires vous offrant des garanties de sécurité ? Certains think tanks avaient proposé la possibilité d’accorder à l’Ukraine un statut d’État associé, bien que cela requière l’unanimité au Conseil, ce qui peut être complexe avec des États comme la Hongrie. Nous devons faire preuve de davantage de créativité pour vous apporter un soutien différent.
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. L’ingérence de la Russie est dangereuse car elle souhaite disposer d’un veto au sein d’organisations dont elle n’est pas membre et ne sera jamais membre. Pour atteindre cet objectif, elle recourt à diverses manipulations. Au sein de l’Union européenne, nous ne comprenons pas la position de la Hongrie, pays frontalier de l’Ukraine où réside une importante communauté hongroise. Je ne perçois aucune autre explication que les manipulations russes.
Ce sujet devient un problème majeur au sein de l’Union européenne, qui ne dispose pas des mécanismes nécessaires pour contrer les pays ennemis. Or, la Russie constitue aujourd’hui un ennemi de l’Union européenne et utilise certains États membres pour entraver l’intégration ukrainienne. Cette stratégie russe se répète dans d’autres organisations, comme l’OTAN. Cet enjeu vous concerne également directement.
L’Ukraine poursuit son chemin sans revendiquer un traitement de faveur ou invoquer des excuses. Nous réformons notre système économique et essayons de garantir notre sécurité ainsi que celle de l’Union européenne. Notre engagement est honnête et nous attendons une réciprocité de cette honnêteté. Or, le veto visant à entraver notre rapprochement avec l’Union européenne n’est pas très honnête. Nous voudrions travailler sur les trois volets mentionnés. Du fait de notre expérience au sein de l’Union soviétique, nous ne souhaitons pas un retour vers ce modèle. Il nous faut abandonner cette timidité et exiger l’honnêteté afin de ne pas empêcher l’Ukraine de rejoindre cette grande communauté européenne.
M. le président Bruno Fuchs. Monsieur le président, nous allons maintenant, avec mes collègues présidents de commission, vous poser d’ultimes questions qui vous permettront de conclure ces échanges.
Pourriez-vous nous exposer votre analyse des évolutions de la position américaine ? Quel scénario envisagez-vous en cas d’interruption de cette aide américaine ? De manière plus générale, quels leviers la communauté internationale peut-elle actionner pour amener rapidement les Russes à un cessez-le-feu ?
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. L’audition d’aujourd’hui démontre clairement que la Russie représente une menace dans la durée, pour l’Ukraine mais également pour l’Europe et la France. La Russie a mondialisé cette guerre en utilisant des drones iraniens, en déployant des soldats nord-coréens sur le sol européen et en impliquant la Chine dans certaines dimensions du conflit. Par ailleurs, la Russie viole nos frontières, menace et intimide nos forces armées dans les espaces aériens, terrestres et maritimes. Elle n’hésite pas à s’ingérer directement dans les processus électoraux de pays membres de l’Union européenne. Enfin, nous observons la remontée en puissance extrêmement rapide de l’armée russe, alors qu’elle était supposément en état de déliquescence.
Dans ce contexte, vous appeliez au début de cette audition au renforcement des sanctions. L’Union européenne et nos partenaires américains ont effectivement adopté ces dernières années de nombreuses sanctions, qui, si elles sont efficaces, n’ont pas réussi à enrayer définitivement l’effort de guerre mené par la fédération de Russie. Selon vous, quelles sanctions décisives, brutales, totales et massives permettraient de mettre un terme ou, en tout cas, de dissuader durablement la Fédération de Russie de poursuivre son effort de guerre en Ukraine ?
M. le président Jean-Michel Jacques. Je tiens à vous exprimer ma profonde gratitude, monsieur le président, pour vos propos qui nous permettent de mesurer pleinement votre engagement et de réaffirmer notre soutien.
Vos paroles rappellent la réalité de votre pays à ceux qui prétendaient que les Russes n’étaient « pas si féroces », position qu’ils doivent certainement regretter aujourd’hui. Je me réjouis de constater que leur discours commence à évoluer, ce qui est facilité par des interventions fortes comme la vôtre.
Votre témoignage répond également à ceux qui nous exhortent à ne pas nous réarmer sous prétexte que cela nous contraindrait à faire la guerre, ce qui constitue un raisonnement parfaitement absurde. Au contraire, nous devons nous armer pour décourager définitivement les Russes d’aller plus loin.
L’Assemblée nationale française est derrière vous, ainsi que l’ont démontré les expressions des différents groupes politiques.
M. Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne. Je vous remercie pour cette opportunité unique de participer à cette audition commune réunissant trois commissions permanentes de votre Assemblée. Je tiens à vous exprimer ma gratitude pour le climat de soutien qui règne aujourd’hui dans cette salle. Je vous remercie pour votre solidarité avec l’Ukraine et l’unité que vous manifestez face au monde entier. Je souhaiterais que cette unité résonne au-delà de l’Atlantique auprès de nos partenaires américains.
Je voudrais également que l’autre perception de la guerre en Ukraine change, afin que tous comprennent clairement qui est l’agresseur et qui est la victime dans ce conflit. Nous devons tous prendre conscience que cette guerre constitue un conflit mondial initié par la Russie, une guerre hybride menée contre le monde entier. La Russie ne commence pas par l’envoi de chars mais déploie d’abord des manipulations, de la propagande, des offres de pétrole et de gaz à bas prix, avant de faire intervenir ses forces militaires.
Mes amis, nous sommes déjà tous engagés dans cette guerre mondiale déclenchée injustement par la Fédération de Russie contre chacun d’entre nous. Je constate comment les pays européens subissent les effets de la propagande russe. En Roumanie, TikTok peut garantir un avantage aux élections. Les technologies modernes permettent la diffusion de cette propagande, transformant la désinformation en véritable arme. Face aux manipulations de la Fédération russe et de ses satellites, je vous appelle à rester forts, unis et solidaires. Cette cohésion représente l’unique recette pour notre victoire commune.
Gloire à l’Ukraine et vive la France !
La séance est levée à 18 heures 05.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. David Amiel, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Laurent Mazaury, Mme Anna Pic, Mme Sabine Thillaye
Excusées. - Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Nathalie Oziol, Mme Liliana Tanguy, Mme Estelle Youssouffa
Assistaient également à la réunion. - M. Bertrand Bouyx, M. Alexandre Dufosset, M. Jean-Michel Jacques, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Catherine Rimbert, M. Jean-Louis Thiériot