Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

 Examen de la proposition de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse (n° 824) (M. Erwan Balanant, rapporteur)              2

– Présences en réunion..............................19

 

 

 

 

 


Mardi
18 février 2025

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 26

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Céline Calvez, Viceprésidente

 


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La séance est ouverte à seize heure cinquante.

(Présidence de Mme Céline Calvez, vice-présidente)

La commission examine la proposition de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse (n° 824) (M. Erwan Balanant, rapporteur).

Mme Céline Calvez, présidente. Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse, dont le rapporteur est M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il y a près de cinq ans, le Parlement adoptait définitivement la proposition de loi du sénateur David Assouline tendant à créer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse. La France, fidèle à sa tradition de protection du droit d’auteur, devenait ainsi le premier État membre de l’Union européenne à transposer l’article 15 de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, dite directive droit d’auteur.

Le but du législateur était simple : mettre fin au pillage – le mot n’est pas excessif – des publications de presse par les plateformes numériques, qui en tirent des revenus exponentiels, principalement par le biais des recettes publicitaires. Que ce soit sur Google, sur X ou sur Facebook, la présence des contenus de presse est décisive pour l’attractivité des services des géants du numérique, dits Gafam. Avant la loi de 2019, il n’existait aucun mécanisme de partage de la valeur entre ces derniers et les éditeurs et agences de presse, alors même que le modèle économique du secteur de la presse était en voie d’effondrement – il l’est toujours. En créant un droit voisin des éditeurs et des agences de presse, le législateur a imposé aux plateformes de rémunérer les éditeurs au titre de la reproduction et de la communication au public de leurs publications.

La loi prévoit que cette rémunération est assise sur les recettes d’exploitation de toute nature, directe ou indirecte, des publications de presse et doit prendre en compte les investissements réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications à l’information politique et générale, ainsi que l’importance de l’utilisation des publications par les plateformes. Afin que les éditeurs puissent évaluer la rémunération qui leur est due, les plateformes doivent leur transmettre tous les éléments d’information relatifs aux utilisations de leurs publications par les usagers, et tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération. Enfin, la France a souhaité que les journalistes et les auteurs d’œuvres intégrées dans les publications de presse – essentiellement les photographes – aient droit à une part appropriée et équitable de la rémunération perçue par les éditeurs au titre du droit voisin.

Cinq ans après l’adoption de cette loi, force est de constater que la volonté du législateur n’est pas accomplie. Des accords ont été signés par Google, mais à quel prix ? Il aura fallu le courage de l’Autorité de la concurrence (ADLC), saisie par les éditeurs de presse, pour que Google accepte de négocier. En 2019, cette société avait menacé les éditeurs de déréférencer leurs contenus s’ils n’en autorisaient pas la reproduction gratuite, en totale contradiction avec l’esprit de la loi et de la directive européenne. Après quatre décisions de l’Autorité de la concurrence et 750 millions d’euros d’amende, Google a enfin consenti à appliquer la loi – et encore partiellement, puisque la dernière amende date de moins d’un an. Au reste, le montant des amendes ayant été directement réglées au Trésor public, conformément à la loi, la presse n’en a pas vu la couleur. Cette situation est pour le moins ubuesque : l’État s’est enrichi sur le dos d’un secteur en plein marasme économique depuis plus de vingt ans.

J’aurais souhaité proposer dès ce texte que le produit des amendes prononcées par l’ADLC soit affecté à la presse par le biais d’un compte spécial, mais la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) l’interdit ; seule une loi de finances d’initiative gouvernementale peut créer un compte spécial. Vous pourrez compter sur moi, et j’espère pouvoir compter sur vous, pour y revenir dans un prochain projet de loi de finances.

Meta a signé quelques accords mais les montants prévus sont faibles et vont diminuer, cette plateforme entendant se recentrer sur le divertissement – ce qui soulève un autre problème qu’il faudra traiter le moment venu, lors de la révision du règlement européen sur les services numériques. Les entreprises X et LinkedIn n’ont signé aucun accord, alors que les publications de presse sont massivement présentes sur leurs plateformes : elles estiment ne pas être soumises à la directive européenne, au motif que les contenus de presse seraient partagés par des utilisateurs individuels, et refusent tout simplement de négocier. En mai dernier, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné à X de transmettre aux éditeurs de presse les informations nécessaires à l’estimation de leur rémunération ; traitant la justice avec autant de mépris que les éditeurs, cette entreprise n’a pas appliqué la décision.

Cette situation est un double scandale, économique et démocratique. Un scandale économique, d’abord, parce qu’au-delà d’une réaction d’orgueil du législateur, qui ne devrait en aucune circonstance se laisser piétiner, il y va de la survie économique du secteur de la presse, qui a cruellement besoin de ces ressources. Son chiffre d’affaires a été divisé par deux en l’espace de vingt ans, notamment en raison de l’érosion de ses recettes publicitaires, de plus en plus captées par les Gafam ; ils en détiennent déjà plus de la moitié. L’an dernier, Google a dégagé un chiffre d’affaires de plus de 350 milliards de dollars et un bénéfice de 101 milliards.

Un scandale démocratique, ensuite, parce que la préservation du modèle économique de la presse est la condition de l’accès des citoyens à une information fiable et indépendante. Sommes-nous prêts à confier aux Gafam la libre circulation des idées et le pluralisme, à l’heure où un Français sur deux s’informe quotidiennement sur les réseaux sociaux ? Il est indispensable de renforcer la loi pour aider les éditeurs de presse à obtenir les informations prévues et contraindre les plateformes à négocier de bonne foi et à payer une rémunération équitable.

Les auditions et les recherches que j’ai menées m’ont conduit à proposer une nouvelle rédaction de la proposition de loi, inspirée de la transposition italienne de l’article 15 de la directive européenne.

En premier lieu, je vous propose de renoncer à la définition par décret des éléments d’information que devront obligatoirement transmettre les plateformes, car elle risquerait de figer une liste qui ne tiendrait pas compte du modèle économique et de l’évolution des services des plateformes. La solution la plus souple consiste à laisser les éditeurs réclamer les informations qui leur paraissent pertinentes, comme ils l’ont d’ailleurs fait en saisissant la justice concernant X. En cas d’information incomplète ou de refus de toute transmission, les éditeurs pourraient saisir une autorité de médiation, qui mettrait en demeure la plateforme de respecter ses obligations sous peine d’amende. La désignation d’une autorité d’arbitrage me paraît indispensable pour rééquilibrer le rapport de force entre les éditeurs et les plateformes. Certes, les éditeurs peuvent saisir la justice mais les procédures sont longues et coûteuses et la presse manque à la fois de temps et d’argent, contrairement aux plateformes qui ne demandent qu’à jouer la montre.

La proposition de loi charge l’Autorité de la concurrence de veiller à la bonne transmission des informations et à la conduite des négociations de bonne foi, mais pour différentes raisons, je vous propose de confier cette mission à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Tout d’abord, l’Autorité de la concurrence n’a pas vocation à réguler un secteur spécifique ; dans le cas de Google, elle n’a pu intervenir que sur le fondement de son mandat de répression des pratiques anticoncurrentielles. En revanche, l’Arcom dispose d’une expertise numérique incontestable et régule déjà l’activité des plateformes ; elle a été désignée l’an dernier coordinateur pour les services numériques. Ensuite, elle remplit déjà des missions en matière de respect du droit d’auteur en ligne – sachant qu’il ne s’agit évidemment pas pour l’Arcom de réguler la presse, mais de jouer un rôle de médiateur. Enfin, il s’agit d’une autorité puissante qui pourra constituer un allié de taille pour les éditeurs.

Cependant, l’Arcom ne dispose pas à ce jour des moyens de mener à bien cette mission. Au sein du cabinet d’avocats désigné comme mandataire par l’ADLC, pas moins de dix personnes suivent le dossier des droits voisins. Nous devrons donc veiller à ce que l’Arcom soit dotée des effectifs nécessaires à l’accomplissement de cette nouvelle mission, étant entendu que les éditeurs pourront toujours ester en justice s’ils l’estiment nécessaire.

Ce dispositif, qui s’inspire de la législation italienne, prévoit qu’en l’absence d’accord dans un délai de trois mois, les parties pourront saisir l’Arcom, qui examinera les propositions de chacun et pourra déterminer elle-même une proposition de rémunération. Un tel système me paraît pouvoir garantir l’effectivité des droits voisins.

Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) instruit actuellement une question préjudicielle posée par un tribunal italien et devra se prononcer sur la conformité de la législation italienne à l’article 15 de la directive d’ici à la fin de l’année. Il s’agit notamment de savoir si un État membre peut imposer aux plateformes une obligation de rémunération et de transmission des informations nécessaires à l’évaluation de la rémunération, et s’il peut confier à une autorité administrative la supervision des négociations. Le 10 février, une audience de plaidoiries a eu lieu à Luxembourg, au cours de laquelle les gouvernements français et italien ont défendu l’instauration de mesures nationales visant à rééquilibrer les négociations en faveur des éditeurs de presse.

J’espère que la Cour donnera raison à l’Italie plutôt qu’à Meta, qui est à l’origine du litige, sans quoi nous nous trouverions démunis. Les arguments de la France et de l’Italie m’ont paru de bon sens, mais n’étant pas encore juge, je ne peux que recommander au Parlement d'attendre que la Cour ait rendu sa décision.

Mme Céline Calvez, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Arnaud Sanvert (RN). Depuis de nombreuses années, les grandes multinationales du numérique s’approprient sans vergogne le travail de nos éditeurs et journalistes, engrangeant grâce à eux des milliards de dollars sans leur reverser une rémunération juste. Pendant que ces entreprises, notamment américaines, prospèrent, la presse française subit un effondrement économique inédit.

Afin de rééquilibrer ce rapport de force, nous avons créé en 2019 des droits voisins, mais six ans plus tard, le constat est accablant : Google et consorts ont tout fait pour contourner la loi, refusant de négocier, exploitant des failles juridiques et ne divulguant leurs revenus qu’au compte-gouttes. Il a fallu des amendes records – les sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence ont atteint 750 millions d’euros – pour les contraindre à s’asseoir à la table des négociations.

Les accords passés demeurent très insuffisants et les plateformes du numérique continuent de capter la majeure partie de la valeur créée par l’information journalistique. L’opacité règne toujours sur la manière dont elles monétisent ces contenus. Les Gafam, notamment, se présentent comme de simples passerelles numériques alors qu’elles agissent comme de véritables gourous de l’information. Ces géants du numérique captent l’essentiel de la valeur créée par la presse française, qui peine à tirer profit de ses propres contenus et dont le chiffre d’affaires a chuté de 45 % en vingt ans. De même, ils détournent massivement les recettes publicitaires au point qu’ils captent déjà 52 % de ce marché et pourraient en absorber 65 % en 2030.

Grâce à cette proposition de loi, les plateformes ne pourront plus s’arroger gratuitement le travail des éditeurs et des journalistes en toute opacité. Elles devront rendre des comptes sur les revenus qu’elles génèrent grâce aux contenus de presse, ce qui mettra fin au monopole qu’elles exercent dans le plus grand secret. Celles qui tenteraient encore de contourner la loi s’exposeraient à des sanctions non plus symboliques, mais immédiates et dissuasives, prenant la forme d’amendes pouvant atteindre 2 % de leur chiffre d’affaires mondial, soit des centaines de millions d’euros. Enfin, elles ne pourront plus négocier à leur avantage ou faire traîner indéfiniment les discussions. L’Autorité de la concurrence pourra imposer une rémunération plus juste garantissant aux éditeurs ce qui leur revient de droit.

Ce combat n’est pas seulement économique, il constitue un enjeu de souveraineté culturelle et démocratique. Le groupe Rassemblement national votera sans hésitation cette proposition de loi, qui envoie un message clair : les règles ne seront plus édictées depuis la Silicon Valley, mais depuis la France.

Mme Violette Spillebout (EPR). Parce que la démocratie ne peut se nourrir que de débats libres et éclairés, une presse plurielle et de qualité est essentielle. Il est crucial d’assurer l’application des droits voisins pour protéger le travail des journalistes et garantir une information indépendante et accessible à tous. Depuis 2019, la France est pionnière en ce domaine.

L’objectif de la directive européenne du 17 avril 2019 était clair : rééquilibrer le partage de la valeur entre les plateformes numériques et la presse. Pourtant, force est de constater que son bilan est très contrasté. Malgré une reconnaissance légale, les éditeurs de presse continuent de faire face à de nombreuses difficultés dans l’application effective de ces droits ; malgré leur obligation, certaines plateformes, comme X et LinkedIn, n’ont toujours pas conclu d’accord avec eux. L’Autorité de la concurrence a dû intervenir à plusieurs reprises, notamment en 2021, en sanctionnant lourdement Google pour des abus de position dominante. Aujourd’hui encore, certaines plateformes refusent toute négociation, privant de nombreux médias d’une juste rémunération de leur travail. C’est inacceptable.

Cependant, des négociations positives démontrent que les droits voisins peuvent fonctionner. Ainsi, l’accord récemment signé entre Google et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) couvre plus de 300 publications. Il permet de mieux rémunérer les auteurs de la presse et de poser les bases d’un dialogue plus équilibré.

La présente proposition de loi a pour objectif de clarifier et de renforcer le cadre des négociations entre éditeurs de presse et plateformes numériques. Elle introduit un délai de plusieurs mois, dont nous pourrons débattre, pour transmettre les informations nécessaires à la bonne tenue de ces négociations, ainsi que des sanctions et une procédure de médiation. Elle avait été élaborée au cours de la précédente législature par notre ancien collègue Laurent Esquenet-Goxes, que je salue. Avec Jérémie Patrier-Leitus, nous en avions fait l’un des sujets de travail du groupe média et information de la majorité présidentielle, qui a rassemblé pendant huit mois une trentaine de députés autour du sujet des droits voisins. Je me réjouis d’ailleurs que ces travaux aient été intégrés aux réflexions sur la future loi issue des États généraux de l’information (EGI), que nous attendons tous.

Nous serons vigilants quant aux moyens alloués à l’Arcom pour mener à bien les négociations et quant aux montants des sanctions, qui doivent être cohérents avec ce qui est déjà prévu en matière de violation des droits voisins. En tout état de cause, le groupe Ensemble pour la République soutiendra cette proposition de loi.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Dans son programme, La France insoumise défend une application stricte du droit d’auteur et des droits voisins, avec l’indexation, sous le contrôle de l’Arcom, de la réutilisation des contenus édités par les médias français, qui doit concerner toutes les plateformes et moteurs de recherche.

Cette proposition de loi va dans le bon sens, notamment parce qu’elle pose la question de la rémunération dans le secteur de la presse, alors que le métier de journaliste se précarise. Néanmoins, elle établit le principe de la rémunération des éditeurs pour l’utilisation de leur contenu, mais sans délimiter le cadre des négociations dont le succès repose sur des échanges individuels. Il faut également veiller à ce que les journalistes soient rémunérés à la hauteur de leur travail ; or rien ne garantit que la part des recettes qui leur sera reversée par les agences et les éditeurs de presse sera appropriée et équitable, alors qu’ils sont eux-mêmes à l’origine de la création de valeur.

Plus largement, il nous faut prendre au sérieux le sentiment de toute-puissance des plateformes et de leurs propriétaires, dont Elon Musk est l’illustration la plus spectaculaire, et nous interroger sur la dépendance des médias à l’égard d’une petite poignée de plateformes dominée par les Gafam. Certaines d’entre elles bafouent la loi et ne respectent pas le principe même des droits voisins. L’Autorité de la concurrence a sanctionné Google pour l’absence de négociation de bonne foi sur la base de critères transparents, objectifs et non discriminants. Le réseau social X a également été attaqué en justice en novembre dernier par plusieurs groupes de presse, auxquels appartiennent Le Figaro, Le Monde, Télérama, Le Parisien ou Les Échos, parce qu’il utilisait leurs contenus sans payer. En janvier dernier, LinkedIn était à son tour assignée en justice pour la même raison.

Tous ces géants de la tech ont des points communs : se mettre au service de Donald Trump ; cibler les réglementations existantes en Europe ; enchaîner les procédures bâillons contre les médias ; démanteler les quelques garde-fous protégeant l’intégrité de l’information sur internet ; défendre le prétendu droit à la liberté d’expression, surtout quand il s’agit de propager toujours plus de fake news et de racisme tout en restreignant la liberté de la presse.

L’affaire Notre-Dame-de-Bétharram l’illustre : la démocratie a besoin du travail de journalistes d’investigation indépendants face au régime des fake news et de la contrevérité. À l’heure des saluts nazis décomplexés d’Elon Musk, et de la suppression de la modération des contenus par Mark Zuckerberg au profit de l’énergie masculine et au détriment de la diversité, nous avons de quoi être inquiets quant à l’avenir de ces plateformes, des médias et de l’information.

Ne devrions-nous pas craindre, de la part de ces milliardaires, un déréférencement pur et simple des contenus ne contribuant pas à leur quête idéologique réactionnaire ? De ce point de vue, l’obligation faite aux plateformes de rémunérer les sociétés éditrices leur donne aussi le pouvoir de sélectionner les informations pour lesquelles elles sont prêtes à payer.

Vous l’aurez compris, ce texte nous semble aller dans le bon sens, bien qu’il n’aborde qu’une part infime des enjeux de la défense du droit à l’information dans notre bras de fer avec les Gafam.

M. Emmanuel Grégoire (SOC). Cette proposition de loi est importante et va dans le bon sens, notamment parce qu’elle tend à corriger l’inefficacité de la loi de juillet 2019, qui avait ouvert un chantier important sur les droits voisins. Ce sujet est crucial, non seulement en raison de la chute des revenus publicitaires de plusieurs médias, qui met en péril leur viabilité économique, mais plus fondamentalement en matière de juste rémunération de la création de valeur.

La captation par certaines plateformes numériques d’une partie de cette valeur au gré de leur pouvoir d’agrégation de contenus ne saurait se faire au détriment de la création elle-même ; au reste, si les contenus finissent par disparaître, elles n’auront plus guère d’intérêt.

L’application de la loi de juillet 2019 est perfectible. Le mécanisme des droits voisins de la presse est essentiel pour permettre aux éditeurs et aux agences de presse d’être rémunérés par les plateformes numériques lorsqu’elles utilisent leurs contenus, mais aussi pour compenser la perte des revenus publicitaires.

Plusieurs failles ont déjà été évoquées : le manque de transparence et la rétention d’information de la part des plateformes ; l’insuffisance des données, parfois inexploitables, qui alimente le déséquilibre des rapports de force lors de négociations postérieures ; l’absence de sanctions suffisamment dissuasives – puisque certaines plateformes se sentent autorisées à s’en exonérer ; des manœuvres dilatoires visant à contourner le dispositif en retardant éternellement les discussions ou en limitant l’affichage des contenus de presse. De plus, la question de l’application des droits voisins aux contenus utilisés par l’intelligence artificielle (IA) reste en suspens ; nous devrons évidemment y répondre ultérieurement.

La proposition de loi comporte différentes dispositions favorables au renforcement de la transparence sur les sanctions et sur la médiation obligatoire. Je reste néanmoins convaincu que l’Arcep – Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse – est mieux qualifiée que l’Arcom.

Enfin, je me réjouis que l’amendement de la sénatrice Sylvie Robert à l’article 7 de sa propre proposition de loi sur le sujet ait été repris ; il vise à renforcer l’indépendance des médias en s’appuyant sur la jurisprudence du Conseil d’État.

En tout état de cause, le groupe Socialistes et apparentés soutient cette proposition de loi et apportera des ajustements par voie d’amendement.

Mme Virginie Duby-Muller (DR). Merci, monsieur le rapporteur, de nous donner l’occasion d’aborder les droits voisins, enjeu majeur pour l’avenir de la presse à l’ère du numérique sur lequel nous devons progresser rapidement tant les mutations sont profondes.

Une presse libre et indépendante est un élément constitutif de nos démocraties. Avec l’essor de la presse en ligne, les acteurs du secteur doivent inventer un nouveau modèle économique, sans pour autant devenir otages des plateformes de diffusion de contenus.

En 2019, une première pierre a été posée à l’édifice avec l’adoption de la loi de MM. Assouline, Kanner et Daunis, qui a introduit le concept de droit voisin en droit français afin de défendre les intérêts des éditeurs et des auteurs qui leur ont cédé leurs droits. Nous en voyons désormais les limites, puisqu’elle ne permet à l’État d’intervenir qu’en cas d’abus de position dominante ; elle a été impuissante à rééquilibrer les négociations entre les plateformes et les éditeurs et agences de presse.

Comme l’ont montré les auditions, la première demande des éditeurs de presse est celle d’une plus grande transparence de la part des plateformes au sujet du marché de la publicité. Malheureusement, ce problème existe depuis l’application de cette législation. Il y a trois ans, j’avais présenté avec notre ancien collègue Laurent Garcia un rapport parlementaire dans lequel nous montrions que les éditeurs et les agences de presse n’avaient pas les moyens d’établir une coopération saine avec les plateformes numériques du fait de l’opacité de leur fonctionnement – opacité qui perdure.

Si notre pays est pionnier en matière de droits voisins, il reste beaucoup à faire pour garantir une juste répartition de la valeur entre les acteurs du secteur de la presse et les plateformes numériques. Cette proposition de loi ambitieuse illustre notre engagement résolu, que nous défendons aussi au niveau européen en enjoignant à nos partenaires de nous soutenir.

Bien que certaines dispositions techniques nécessitent sans doute des ajustements, le groupe Droite républicaine soutiendra ce texte, demandé par les éditeurs et les agences de presse, ainsi que par les journalistes qu’ils emploient. La question de la protection des droits des éditeurs de presse se posera également dans le contexte de l’émergence de l’intelligence artificielle générative.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Je tiens à saluer le travail transpartisan mené pendant la précédente législature par Laurent Esquenet-Goxes sur le sujet crucial des droits voisins, dont le groupe Les Démocrates s’est beaucoup inspiré pour présenter – je l’en remercie – cette proposition de loi.

Pour que la presse reste libre et pluraliste, il faut garantir son modèle économique, très fragilisé par l’évaporation des recettes publicitaires vers les plateformes. À ce problème, il faut apporter des solutions concrètes et rapides car sans modèle économique viable, les médias risquent de se raréfier, la pluralité de reculer et les citoyens et citoyennes de perdre leur accès à une information libre, indépendante et pluraliste.

Bien qu’indispensable, cette proposition loi ne résout toutefois pas les problèmes plus généraux auxquels font face la presse et les médias, en particulier la mainmise des Gafam – dont les patrons milliardaires se mettent à la politique en choisissant le plus mauvais côté de l’histoire, utilisant leurs plateformes pour soutenir les desseins de la présidence Trump, qui vire nettement au fascisme. Plus que jamais, nous devons intervenir pour éviter qu’ils captent l’intégralité des ressources indispensables à une presse libre ; à cet égard, ce texte va clairement dans le bon sens. Outre l’enjeu de la récupération de moyens financiers grâce à la transparence, il faut aussi inciter les éditeurs à jouer collectif pour que les plus gros d’entre eux ne tentent pas de se tailler la part du lion au détriment des plus petits, engagés en faveur du pluralisme et d’une presse libre et indépendante. Enfin, il faut lutter contre la précarisation accrue des journalistes, qui doivent eux aussi bénéficier des droits voisins.

Mme Sophie Mette (Dem). Le groupe Les Démocrates a choisi d’inscrire au programme de la journée qui lui est réservée la question des droits voisins dans la presse, un sujet qui nous est cher – notre ancien président de groupe Patrick Mignola et Laurent Garcia y avaient travaillé pendant la XVe législature, de même que Laurent Esquenet-Goxes plus récemment. Les droits voisins permettent aux éditeurs et aux agences de presse de se faire rémunérer lorsque leurs contenus sont réutilisés sur internet – c’est un droit élémentaire. Qui utilise ces contenus sans s’embarrasser de leur payer leur dû ? Ce sont les grandes entreprises américaines du numérique – les Gafam.

En 2019, l’Union européenne s’est élevée contre ces pratiques abusives en adoptant une directive, transposée en droit français la même année, qui visait à équilibrer les négociations entre les éditeurs et les agences de presse d’une part, et les plateformes numériques d’autre part, grâce à une nouvelle définition du partage de la valeur. Mais les années passent et ce droit n’est toujours pas pleinement effectif. Loin de nous résigner, nous devons nous rassembler par-delà les clivages politiques pour le défendre : il y va de la souveraineté de la France et de la place de l’Europe sur l’échiquier international.

Jusqu’ici, l’intention du législateur n’a pas été respectée. Les éditeurs et les agences de presse n’ont pas les moyens de coopérer sainement avec les plateformes numériques, dont le fonctionnement est opaque. Rares sont ceux qui ont été rémunérés en vertu des droits voisins.

Nous exigeons plus de transparence. L’enjeu est démocratique : il s’agit de permettre à la presse de faire correctement son travail ainsi que de garantir l’indépendance des médias, principe constitutionnel. Lors des auditions, les agences et les éditeurs de presse ont exprimé une attente unanime. La présente proposition de loi vise à réduire l’asymétrie d’information et à confier à l’Arcom un rôle déterminant, en donnant aux amendes un caractère dissuasif.

La France n’est pas seule à mener cette lutte : l’Italie a posé une question préjudicielle à la CJUE. Les éditeurs subissent des pertes financières lourdes : nous devons avancer au plus vite – la navette parlementaire y contribuera. Nous appelons chacun à se joindre à nous pour y parvenir.

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Nous sommes à un tournant de l’histoire : les Gafam deviennent le bras armé du gouvernement américain pour servir le projet politique de déréguler la presse, pilier de la démocratie. Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à garantir la fiabilité, l’indépendance et le pluralisme de l’information, nécessaires à la souveraineté mais mises à mal par les plateformes et la concentration des médias, qui fragilisent le modèle économique – et donc la viabilité – de la presse, socle de la démocratie.

Les droits voisins ne sont pas respectés car les plateformes ne jouent pas le jeu. Je salue le choix du groupe Les Démocrates d’inscrire ce texte déterminant à notre ordre du jour, en posant la première pierre de l’effectivité des droits voisins. Nous devons poursuivre votre travail ; je souhaite d’ailleurs que notre groupe dépose une proposition de loi dans le cadre des États généraux de l’information. À ceux que séduirait le projet politique du président américain, soutenu par les plateformes, je réponds qu’il défend la souveraineté américaine, non les intérêts de la France : nous devons protéger notre presse et nos médias et leur garantir un avenir.

M. Salvatore Castiglione (LIOT). Soutenir la presse face aux plateformes numériques exige de lui assurer la juste rémunération de l’exploitation de ses contenus. Si la législation relative aux droits voisins a constitué un progrès majeur, plusieurs lacunes limitent son efficacité. Elles avaient été anticipées à l’époque mais aucune solution satisfaisante n’avait alors été trouvée.

Il n’est pas normal que des éditeurs de presse doivent faire appel à la justice pour faire respecter leurs droits : la négociation doit être la règle. Nous soutiendrons donc la présente proposition de loi, qui tend à combler ces lacunes.

La négociation entre les éditeurs et les plateformes est déséquilibrée, ce qui pénalise surtout les petits journaux locaux et indépendants. De plus, les plateformes étrangères peuvent jouer sur les différences juridiques entre les pays et sur le manque de régulation globale pour éviter de rémunérer les éditeurs français. Le déséquilibre naît notamment du manque de transparence : les données qui permettraient d’évaluer plus justement les bénéfices liés à l’utilisation de contenus de la presse française ne sont pas transmises.

Le texte prévoit qu’un décret déterminera quels éléments d’information devront être fournis et instaure un délai maximal ; cela diminuera le déséquilibre. Reste à savoir quels éléments seront concernés et si la loi doit en fixer la liste. Le texte ne prévoit pas de mieux encadrer les explications, comme les liens hypertextes et les extraits courts, or cela éviterait les contournements.

L’absence de mécanismes structurés pour garantir une répartition équitable des revenus rend le système opaque, affaiblissant la capacité des éditeurs à se défendre collectivement. La loi prévoit que la rémunération doit être équitable mais, en l’absence de critères précis, il est difficile d’évaluer l’équité des accords signés entre les éditeurs et les plateformes.

En l’absence d’accord, le texte prévoit que l’Autorité de la concurrence déterminera les modalités de rémunération. Une telle disposition gagnerait à être mieux encadrée à l’aide de critères précis. Par ailleurs, la question se pose du choix de l’autorité. Ne faudrait-il pas plutôt élargir les missions de l’Arcom, comme cela a été proposé? Jusqu’ici, l’Autorité de la concurrence s’est fondée sur l’abus de position dominante pour condamner Google. Or le dossier des droits voisins ne se limite pas au respect du droit de la concurrence, ce qui nécessite l’intervention d’un acteur plus approprié.

Nous sommes convaincus qu’il faut réfléchir aux droits voisins dans le cadre d’une réforme globale visant à assurer l’avenir de nos médias.

Mme Soumya Bourouaha (GDR). Les Gafam vampirisent les contenus de la presse en ligne. Entre 2006 et 2019, le chiffre d’affaires de la presse a chuté de 11 à 6,2 milliards d’euros. La majeure partie de cette baisse s’explique par une perte de 57 % des revenus publicitaires, contre 22 % de ceux liés aux ventes. Pendant ce temps, les grandes plateformes récupèrent 75 % des revenus publicitaires en ligne. En 2022, un rapport d’information de l’Assemblée nationale soulignait que le nombre d’accords conclus en application des droits voisins était marginal ; l’intention du législateur n’a pas été respectée. Les faits récents confirment le constat : en 2024, une cinquantaine d’éditeurs de presse se sont regroupés afin d’attaquer Microsoft, qui refusait de fournir les informations nécessaires pour évaluer le montant des rémunérations ; devant le refus de LinkedIn d’ouvrir les négociations, Le Figaro a engagé sa propre procédure judiciaire au tribunal judiciaire de Paris. En renforçant les exigences de transparence et les pouvoirs de sanction de l’Arcom, le présent texte remédie aux défaillances du cadre normatif en vigueur.

Cependant, la notion de droits voisins soulève encore de nombreuses questions, notamment celle de ses effets sur le pluralisme de l’information. En effet, les petits éditeurs de presse n’ont pas les mêmes moyens financiers et ne pèsent pas le même poids que les éditeurs les plus reconnus pour négocier des conventions justes. Nous défendrons donc un amendement tendant à publier les accords que les services de communication au public en ligne auront conclus avec les éditeurs et agences de presse. Cela permettra de réformer les aides publiques à la presse afin que les petits éditeurs, souvent oubliés, soient davantage favorisés.

M. Erwan Balanant, rapporteur. À mon tour, je remercie Laurent Esquenet-Goxes ; Patrick Mignola, qui a repris le travail de David Assouline dans le cadre de la navette ; Laurent Garcia et Virginie Duby-Muller, dont l’excellent rapport nous a largement inspirés – ce qui montre combien l’évaluation des lois est essentielle.

La représentation nationale est unanime sur l’action à mener : c’est bon signe. Nous voulons faire respecter une décision souveraine des parlements européen et français. Nous avons créé les droits voisins, affirmant notre vision de la presse et notre conception de la répartition de la valeur qu’elle crée ; il faut les faire respecter. M. Patrier-Leitus l’a dit, le moment est particulier : le discours que le vice-président des États-Unis a prononcé à Munich vient heurter l’échafaudage que nous avons bâti.

Tous, nous voulons que les Gafam rendent des comptes. Il faut de la transparence pour s’assurer que le partage de la valeur est juste. Vous avez raison, Madame Spillebout, il faudra choisir entre des négociations collectives et individuelles ; leur réussite est la condition pour que la presse soit en mesure de faire vivre le pluralisme. Certaines négociations ont abouti, comme celle de l’Apig, mais, à l’instar de Mmes Taillé-Polian et Bourouaha, nous devons nous poser la question des petits.

Je défendrai, Madame Legrain, un amendement visant à ce que soit versée aux journalistes et aux auteurs une rémunération équitable.

La question de la promotion de la presse, qui nous renvoie à la loi Bichet, est centrale. Les plateformes pourraient être tentées de déréférencer certains textes. Elles ont déjà essayé de le faire : cela leur a valu des attaques, dont elles sont sortis perdantes. Un kiosque de rue a l’obligation de vendre tous les périodiques ; on pourrait y soumettre également les plateformes numériques, quoique cela dépasserait le cadre de la directive.

M. Grégoire soulève la question des attributions respectives de l’Arcep et de l’Arcom. On pourrait en effet douter de l’opportunité de placer la presse sous l’égide de l’Arcom, mais celle-ci est parfaitement outillée pour remplir cette mission. Depuis l’entrée en vigueur de la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique (Sren) et la transposition du règlement relatif à un marché unique des services numériques (DSA), elle est le référent numérique. Tous les chiffres et les éléments factuels dont nous disposons sont issus d’études qu’elle a menées. Elle a les compétences et la force de frappe nécessaires. Attention cependant : il s’agit d’en faire non le régulateur de la presse, mais un outil de négociation avec les plateformes. Google n’a plié que parce que l’Autorité de la concurrence l’a condamné à une amende. Ces autorités sont puissantes mais elles ne pourront pas toujours se fonder sur l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles.

Dans le domaine de l’IA, Madame Duby-Muller, nous ne nous ferons pas respecter si nous ne sommes pas respectés s’agissant des droits voisins. Je le répète, l’enjeu est démocratique.

Merci, Madame Mette, d’avoir souligné le travail accompli par les membres du groupe Modem.

Monsieur Patrier-Leitus, vous avez raison, le moment est grave : nous devons faire respecter le modèle démocratique européen. Le texte vise à y pourvoir.

Monsieur Castiglione, vous m’interrogez sur les liens hypertextes et les textes courts. Il ne faut pas aller plus loin que la directive, pour ne pas risquer d’ouvrir un contentieux qui serait favorable aux Gafam – nous sommes sur un chemin de crête. Ils jouent la montre en multipliant les mesures dilatoires, dans l’attente du moment où ils n’auront plus besoin de la presse.

Madame Bourouaha, je pense que les éditeurs et les agences de presse doivent faire bloc pour négocier et faire valoir leurs droits. Le dispositif que nous défendons va dans ce sens.

 

Article 1er : Effectivité des droits voisins des éditeurs et des agences de presse

Amendement AC22 de M. Erwan Balanant

Mme Céline Calvez, présidente. Je précise que cet amendement tend à réécrire l’article et que son adoption ferait tomber tous les autres.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je propose en effet un amendement de rédaction globale de l’article 1er, qui répond à la plupart de vos interrogations, mais je ne souhaite aucunement que le débat s’en trouve limité.

Premièrement, l’article ainsi rédigé prévoit que l’Arcom fixe les conditions d’application de l’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle. Elle pourra ainsi définir les critères de rémunération des éditeurs et des agences de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications. Nous nous sommes inspirés du modèle italien. Je le répète, l’Arcom n’aura pas vocation à réguler le secteur de la presse ; elle aura un rôle de soutien et de médiation pour les négociations, voire de sanction le cas échéant.

Deuxièmement, il tend à insérer dans le code de la propriété intellectuelle un nouvel article relatif aux éléments d’information que les plateformes doivent fournir pour calculer l’assiette des droits voisins. Ces éléments devront être exhaustifs, fiables et objectifs. Les auditions l’ont montré : le fondement des négociations pose un vrai problème. Quels titres sont éligibles ? Sous prétexte de contester la recevabilité de certains textes, les plateformes gagnent du temps.

Toutes ces questions sont très techniques. Le texte précise donc que « [s]ans préjudice de sa possibilité de recourir à l’expertise du [pôle d’expertise de la régulation numérique (Peren), l’Arcom] pourra s’adjoindre les services et compétences techniques extérieurs qui lui sont nécessaires. »

Troisièmement, en cas d’échec des négociations, l’amendement tend à confier à l’Arcom une mission d’arbitrage. Les éditeurs de presse pourront continuer de recourir à la justice ; de même, l’Autorité de la concurrence pourra toujours se saisir de pratiques anticoncurrentielles.

Pourquoi l’Arcom plutôt que l’Arcep ? Devenue coordinateur pour les services numériques en France, l’Arcom dispose d’outils appropriés. Nous devrons toutefois nous engager à augmenter ses moyens. Par exemple, dans le contentieux qui oppose l’Autorité de la concurrence à Google, un cabinet d’avocats joue le rôle de médiateur ; payé par Google
– ce qui n’est pas sans poser problème –, il travaille pour l’ADLC et pas moins de dix personnes en son sein sont affectées au dossier des droits voisins.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). En tant que chef de file de la régulation numérique, l’Arcom est certainement le bon opérateur. Cependant, on lui confie de plus en plus de missions, essentielles, alors que le budget qui vient d’être adopté la place déjà dans de graves difficultés. Nous devons être cohérents.

Mme Violette Spillebout (EPR). Pour que les négociations se passent bien, il faut que les plateformes transmettent les informations adéquates aux éditeurs de presse, lesquels doivent pouvoir faire une proposition, puisque la rémunération n’est pas normalisée. J’ai déposé deux amendements. Le premier tend à restreindre le délai de transmission des informations courantes, facilement disponibles, en le passant de six à trois mois. Le second, à l’inverse, vise à porter à neuf mois ce délai pour les informations difficiles à extraire ou qui supposent une normalisation préalable.

Des séances de travail devront peut-être être organisées entre les plateformes, qui seront obligées de mieux respecter les négociations, et les pouvoirs publics, c’est-à-dire les services de l’Arcom nouvellement missionnés, pour normaliser le dispositif et prévoir des délais adaptés à la réalité.

Ensuite, il faut mieux définir les informations concernées et s’assurer que le dispositif inclura bien les éditeurs et les agences de presse dont les publications relèvent expressément du code de la propriété intellectuelle.

Nous parlons d’informations commerciales : la confidentialité des négociations est essentielle, en particulier pour les éditeurs de presse.

Enfin, je rejoins les propos de ma collègue Sophie Taillé-Polian sur l’Arcom. Nous n’avons pas été suffisamment entendus lors du débat budgétaire sur les moyens de cette autorité, compte tenu notamment des nouvelles exigences de surveillance sur les réseaux sociaux. Les missions de l’Arcom ne cessent de croître mais les moyens mis à sa disposition ne suivent pas la même progression. Il est pertinent d’ajouter les négociations des droits voisins à son portefeuille, mais cette décision impose une discussion sur sa dotation.

Au-delà d’une simple audition du nouveau président de l’Arcom, il conviendrait de tenir une séance de travail, peut-être à huis clos, sur la façon dont l’Arcom remplit les missions qui lui sont assignées, les moyens supplémentaires dont elle aurait besoin et la méthode qu’elle suivra pour agir efficacement. Sans ce travail de réflexion, notre discussion actuelle se trouverait en décalage par rapport aux besoins des éditeurs de presse pour assurer le pluralisme et se faire respecter dans le partage de la valeur.

Mme Béatrice Piron (HOR). J’ai déposé un amendement proche de celui de Mme Spillebout visant à préciser les éléments communiqués. Vous semble-t-il opportun de le redéposer en séance publique compte tenu de la nouvelle rédaction de l’article qui sera retenue ?

La sanction pour absence de transmission d’informations est nettement plus sévère que celle punissant la violation des droits : ne faudrait-il pas harmoniser les deux pénalités ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il est en effet nécessaire d’accroître les moyens de l’Arcom, celle-ci devant être puissante et crainte des acteurs. En 2023, nous avons augmenté son plafond des autorisations d’emplois de 370 ETP à 379 ETP, effort sans doute insuffisant quand on sait que le seul dossier Google mobilise 10 personnes au sein du mandataire désigné par l’Autorité de la concurrence. Ce sujet est à mettre en relation avec le montant des amendes : 750 millions d’euros, c’est un sixième du budget annuel de la justice. Les amendes sont lourdes et leur produit doit être en partie alloué à la progression des moyens de l’Arcom.

La proposition de loi de Laurent Esquenet-Goxes fixait à un an le délai de transmission des informations et des données : j’avais proposé dans la rédaction initiale de réduire ce délai, déjà court, à six mois, mais l’audition de l’Autorité de la concurrence a montré qu’il était possible de lancer la procédure de sanction en cas d’absence de transmission au bout de trente jours. Cette option, retenue par l’Italie, me semble la bonne. En effet, les plateformes ne cherchent qu’à gagner du temps, donc les délais longs les servent. Ensuite, une autre période de trois mois commence à courir à partir de la demande de négociation. Enfin, en cas de désaccord, l’Arcom tranche entre les propositions ou fixe directement le montant de la rémunération dans un délai de deux mois. Encore une fois, nous nous sommes inspirés du modèle italien, sur lequel une question préjudicielle a été posée. Les conclusions de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne seront rendues le 12 juin et la Cour devrait rendre sa décision d’ici la fin de l’année. La navette parlementaire pourra prendre en compte sa réponse.

Enfin, nous ne fixons pas les éléments à transmettre, car un éditeur de presse n’a pas besoin des mêmes données selon qu’il s’adresse à Google, X ou Meta. C’est l’Arcom qui agira, à la demande des éditeurs.

Mme Soumya Bourouaha (GDR). J’ai déposé un amendement visant à rendre public le contenu des accords conclus entre les services de communication au public en ligne et les éditeurs de presse au titre de la rémunération des droits voisins : la réécriture de l’article prend-elle en compte cette préoccupation ? Les accords sont actuellement confidentiels et je milite pour davantage de transparence. Aussi mon amendement prévoit-il de déroger au secret des affaires, lequel protège certaines informations sensibles des entreprises : sans cette disposition, les plateformes pourraient refuser de publier le contenu des accords en invoquant ce secret. Comment l’Arcom peut-elle empêcher cette dissimulation ?

Je partage l’avis de Sophie Taillé-Polian sur l’Arcom, à qui on confie sans cesse de nouvelles missions sans lui octroyer les moyens nécessaires à leur conduite.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les accords de rémunération contiennent des données parfois sensibles sur un plan commercial et, à ce titre, délicates à publier. Que les Gafam, qui défendent ardemment le secret des affaires, mettent la même détermination à respecter le droit des auteurs.

J’ai changé d’avis après avoir écouté l’Autorité de la concurrence : elle s’est prononcée contre la publication du contenu des accords, car elle estime que le recours à un tiers indépendant et la connaissance de l’ensemble des accords sans communication des données aux marchés forment un dispositif plus conforme aux règles de la concurrence et davantage à même d’assurer la cohérence des montants proposés ainsi que l’absence de discrimination de la rémunération. La Société des droits voisins de la presse ne pense pas non plus que la publication du contenu des accords respecte le secret des affaires. Une certaine transparence peut être faite sur les éléments demandés, mais la négociation serait plus difficile et aurait moins de chance de succès si elle était rendue publique.

M. Emmanuel Grégoire (SOC). J’ai déposé un amendement AC17 qui visait à confier la mission de médiation à l’Arcep plutôt qu’à l’Arcom. Comme je semble être le seul à défendre cette option, j’en abandonne l’idée.

En revanche, l’amendement AC18 précise le régime de sanctions en cas de refus des services de communication au public en ligne de se conformer aux obligations de transmission des éléments prévus dans le décret. Comment l’amendement de réécriture prend-il en compte cet élément ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le taux retenu est, comme en Italie, de 1 %, soit une amende de 3,5 milliards pour un chiffre d’affaires de 350 milliards. Afin de respecter le cadre conventionnel et le droit de l’Union européenne, il ne faut pas augmenter ce taux qui entraîne déjà des pénalités très élevées.

La commission adopte l’amendement et l'article 1er est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Après l’article 1er

Amendement AC7 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Il vise à garantir un partage équitable de la rémunération perçue au titre des droits voisins de la presse entre éditeurs et journalistes. Il instaure un plancher de la rémunération de ces derniers, fixé à 25 % de la somme totale perçue par l’entreprise de presse.

La reconnaissance des droits voisins à la presse offre des perspectives nouvelles pour renforcer le modèle économique des médias, lesquels subissent la captation progressive de leurs revenus publicitaires par les plateformes numériques. L’affaissement des marges des médias est responsable d’une précarisation du métier de journaliste, qui s’observe partout et entraîne une dégradation de la qualité de l’information et de l’indépendance éditoriale.

Cette proposition de loi rééquilibre utilement le rapport de force entre les éditeurs de presse et les plateformes, mais elle ne doit pas faire l’impasse sur le partage de la valeur entre les salariés et les employeurs au sein des entreprises de presse. L’objectif est d’éviter que ne se reproduisent dans la négociation sociale les mêmes déséquilibres que le texte cherche à corriger dans les rapports entre les éditeurs et les grandes plateformes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. J’ai déposé un amendement AC20 qui va dans le même sens que le vôtre. Vous fixez un plancher de la rémunération des journalistes à 25 % : cette idée m’a traversé l’esprit, mais pourquoi retenir un taux de 25 % plutôt que de 33 % comme en Allemagne ou de 2 % à 5 % comme en Italie ? En outre, la rémunération initiale varie selon les éditeurs et les agences de presse. Votre dispositif est trop automatique et il ne laisse pas de marge de manœuvre aux éditeurs de presse, lesquels pourraient décider de mieux rémunérer les journalistes ou de retenir un taux inférieur à 25 % si le journal traversait une passe difficile. En revanche, je propose d’imposer aux éditeurs et aux agences la transparence sur la redistribution aux journalistes de l’argent perçu grâce aux accords signés avec les plateformes.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Nous soutenons l’amendement de notre collègue Taillé-Polian, car nous ne pouvons pas nous contenter de la transparence, qui ne suffit pas à assurer le bon fonctionnement des négociations avec les plateformes et la juste rémunération des journalistes. Le seuil de 25 % garantit une rémunération indépendante de la santé de l’éditeur et n’empêche pas celui-ci de payer davantage les salariés s’il le souhaite.

Plus généralement, la question de l’indépendance de la production de l’information en France est liée à celle du temps et de la rémunération allouée aux journalistes. Le sujet du partage de la valeur est central.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Le taux de 25 % correspond aux dernières décisions de la Commission paritaire chargée de statuer sur la rémunération des journalistes et autres auteurs au titre du droit d’auteur et du droit voisin des agences de presse et des éditeurs de presse (CDADV), amenée à trancher les désaccords.

Je souhaite que les négociations entre les éditeurs et les plateformes soient collectives : je répéterai ce vœu en séance publique, car il est anormal que certains perçoivent davantage que d’autres. Il faut fixer une règle claire et juste. La transparence recouvre également cette exigence.

Enfin, comme Sarah Legrain, il ne me semble pas acceptable que les journalistes paient les conséquences d’une mauvaise négociation de leurs éditeurs avec les plateformes ou d’une trop grande pression de celles-ci sur ceux-là. Les journalistes produisent de la valeur et doivent donc être justement rétribués pour pouvoir exercer leur métier dans de bonnes conditions, notamment d’indépendance, d’autant qu’ils ont subi une grande précarisation ces dernières années.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il ne faut pas confondre le droit voisin avec le droit d’auteur. Le premier bénéficie aux éditeurs et aux agences de presse, même si un partage de la valeur doit ensuite s’opérer.

Il faut laisser la CDADV faire son travail. Cet organisme paritaire a arrêté un taux de 25 % de rémunération après un conflit dans un journal et a fixé un taux de 18 % dans un autre. Il serait donc opportun de privilégier mon amendement, dont l’adoption constituerait déjà une belle avancée.

M. Emmanuel Grégoire (SOC). Votre amendement va dans le bon sens, mais le partage de la valeur est actuellement très déséquilibré au détriment des journalistes, qui sont les moins armés dans le rapport de force. Voilà pourquoi je soutiens l’amendement de Mme Taillé-Polian. Il faut protéger les journalistes, car, s’il n’y a pas d’agrégateurs de contenus sans éditeurs, il n’y a pas de publications sans journalistes.

La commission adopte l’amendement.

 

La réunion est suspendue de dix-huit heures dix à dix-huit heures vingt.

 

Amendement AC20 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’adoption de l’amendement AC7 ne fait pas tomber celui-ci, car les deux dispositifs ne sont pas incompatibles.

Je regrette tout de même que l’amendement AC7 ait été adopté, car il affaiblit la CDADV, or cette commission paritaire, chargée de régler les contentieux, joue un rôle important dans le dialogue social du secteur.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC11 de M. Arnaud Sanvert

M. Arnaud Sanvert (RN). Il vise à demander au gouvernement de remettre au Parlement un rapport évaluant les effets potentiels des nouvelles obligations en matière de transmission d’informations et de sanctions en cas de non-respect des engagements de négociation.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre demande est satisfaite : le dispositif que nous avons instauré comprend les éléments d’information nécessaires à l’appréciation du respect de la loi. Je vous demande de retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

Article 2 : Renforcement du caractère dissuasif de sanctions prévues par le code de la propriété intellectuelle

Amendement de suppression AC19 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’article 2 n’ayant pas de portée normative, je vous propose de le supprimer.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Après l’article 2

Amendement AC12 de M. Arnaud Sanvert

M. Arnaud Sanvert (RN). L’article 2 précisait que les sanctions applicables aux infractions relatives aux droits voisins n’étaient pas exclusives de celles prévues par le droit de la concurrence. Nous souhaitons que le gouvernement remette au Parlement un rapport évaluant l’application effective des sanctions et leur impact sur les négociations des droits voisins.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

Article 3 : Gage financier

La commission adopte l’article 3 non modifié.

Titre

Amendement AC21 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement vise à apporter une précision rédactionnelle et à privilégier l’expression « droits voisins des éditeurs et des agences de presse » aux mots « droits voisins de la presse ».

La commission adopte l’amendement.

 

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

La séance s’achève à dix-huit heures vingt-cinq.


Présences en réunion

 

Présents.  M. Erwan Balanant, M. Arnaud Bonnet, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, M. Salvatore Castiglione, Mme Virginie Duby-Muller, M. Emmanuel Grégoire, M. Frantz Gumbs, M. Steevy Gustave, Mme Sarah Legrain, M. Eric Liégeon, M. Éric Martineau, Mme Marie Mesmeur, Mme Sophie Mette, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Béatrice Piron, Mme Lisette Pollet, M. Arnaud Sanvert, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, Mme Sophie Taillé-Polian

Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Frédéric Maillot, Mme Nicole Sanquer

Assistait également à la réunion. – M. Fabien Di Filippo