Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

 Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition conjointe de Mme Fabienne Buccio, préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, préfète du Rhône, et de M. Georges-François Leclerc, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet des Bouches-du-Rhône               2

– Présences en réunion..............................15

 

 

 

 

 


Mercredi
9 avril 2025

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 54

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente

 


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La séance est ouverte à seize heures cinq.

(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)

La commission auditionne conjointement, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), Mme Fabienne Buccio, préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, préfète du Rhône, et M. Georges-François Leclerc, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet des Bouches-du-Rhône.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Dans le cadre de nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires, nous avons souhaité entendre conjointement deux préfets de région : Mme Fabienne Buccio, préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, préfète du Rhône, et M. Georges-François Leclerc, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet des Bouches-du-Rhône.

Nous avons voulu échanger avec vous à la fois pour mieux comprendre, d’une manière générale, quelles sont les prérogatives des préfets en matière de contrôle des établissements scolaires, et pour revenir plus particulièrement sur les deux derniers cas de rupture d’un contrat d’association entre l’État et un établissement privé.

Auparavant, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Fabienne Buccio et M. Georges-François Leclerc prêtent serment.)

Mes premières questions sont les suivantes. Quelles sont les principales compétences des préfets vis-à-vis des établissements scolaires ? Dans quelle mesure préfet et recteur, ou préfet et directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen), communiquent-ils au quotidien ?

Mme Fabienne Buccio, préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, préfète du Rhône. Les préfets disposent de plusieurs compétences vis-à-vis des établissements scolaires. Tout d’abord, ils exercent une compétence en matière de prévention de la délinquance, notamment en mobilisant le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Ce fonds peut être engagé à deux titres : d’une part, la prévention situationnelle, c’est-à-dire la protection bâtimentaire, les alarmes ; d’autre part, la prévention de l’entrée des jeunes dans la délinquance.

Une autre compétence concerne la sécurisation des établissements scolaires, grâce à des subventions qui permettent d’accompagner le financement des travaux nécessaires à la sécurisation périmétrique anti-intrusion. Une compétence a également trait à l’accueil des jeunes et des enseignants, puisqu’il s’agit d’établissements recevant du public (ERP). En tant que préfets, nous nous assurons que les règles de sécurité et d’hygiène sont respectées, notamment à travers des contrôles.

Nous intervenons également dans le cadre de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) sur la prévention des conduites addictives en milieu scolaire, la prévention du cyberharcèlement, la découverte des diversités religieuses, la lutte contre les préjugés, la lutte contre l’addiction à la pornographie des adolescents. Tels sont des exemples d’actions au titre desquelles nous finançons des initiatives conduites par des associations ou des intervenants au niveau des établissements.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. De quelle manière les préfets et recteurs ou les préfets et directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen), communiquent-ils au quotidien ?

Mme Fabienne Buccio. Nous travaillons très régulièrement avec le recteur et le Dasen. Deux fois par an, un état-major de sécurité consacré au milieu scolaire nous réunit. Y participent également le procureur et toutes les instances représentant la police et la gendarmerie, de manière à faire un point de la situation et à définir des orientations stratégiques et opérationnelles pour nos établissements.

Avec les parquets de Lyon et de Villefranche-sur-Saône, le Dasen et les forces de sécurité, nous avons conclu une convention qui vise à identifier les acteurs de la sécurité en milieu scolaire et à créer la cellule départementale de lutte contre les violences en milieu scolaire. Des référents en zone police et zone gendarmerie sont désignés pour assurer un lien direct avec le chef d’établissement et son équipe de direction. Le Dasen, au niveau d’une préfecture de département, et le recteur, au niveau de la préfecture de région, participent également au comité de direction départemental ou régional. Enfin, nous organisons des réunions bilatérales avec le recteur ou avec le Dasen.

M. Georges-François Leclerc, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet des Bouches-du-Rhône. En complément, je rappelle que les établissements scolaires représentent l’un des plus grands services publics de l’État. Aucun préfet, qu’il soit de département ou de région, ne peut être indifférent à ce grand service public, même s’il ne relève pas de son autorité directe. Son pilotage est assimilable à celui du service public hospitalier.

Il faut distinguer le contenant du contenu. Le préfet a une responsabilité indirecte sur les bâtiments scolaires qui relèvent : pour le primaire, de l’échelon communal ; pour le secondaire, de l’échelon départemental ; pour les lycées, de l’échelon régional. Il peut souvent nous arriver d’intervenir par le biais des différentes subventions d’investissement – fonds Vert pour la rénovation thermique des lycées, dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et dotation de soutien à l’investissement local (Dsil) pour les établissements scolaires, dotation de soutien à l’investissement des départements (Dsid) pour les établissements du secondaire –, sur proposition des collectivités compétentes, pour la rénovation pédagogique ou la rénovation du bâti. À titre d’exemple, j’évoquerai l’intervention de l’État sur environ 180 écoles primaires, dans la commune de Marseille.

Il est d’usage de distinguer le contenant – le bâtiment scolaire – du contenu pédagogique sur lequel les préfets n’ont évidemment pas à se prononcer. En revanche, s’agissant de la carte scolaire, il peut arriver à un préfet de département ou de région d’intervenir, essentiellement au niveau des communes, au sujet des écoles primaires. En effet, la résonance d’une fermeture de classe dans une commune rurale peut être assez forte et conduire le préfet à donner un avis ou quelques conseils à l’inspecteur d’académie qui lui présente la carte scolaire.

Lorsque j’étais en poste dans le Nord, je m’entretenais de cette carte scolaire avec l’inspecteur d’académie – dorénavant le Dasen. Par exemple, il m’était arrivé de lui demander d’apporter un traitement particulier sur la vallée de la Sambre ou dans le bassin minier, afin de ne pas fermer trop de classes dans certaines communes confrontées à des difficultés socio-urbaines élevées. J’en ai fait de même lorsque je suis arrivé à Marseille. Dans le cadre d’un avis simple que j’ai émis sur la carte scolaire, j’ai ainsi demandé au recteur d’académie de réserver la plus grande attention aux troisième, treizième, quatorzième, quinzième et seizième arrondissements, qui connaissent également des difficultés socio-urbaines.

Nos compétences en matière de sécurité peuvent se traduire de manière très concrète. J’étais par exemple préfet des Alpes-Maritimes pendant la fusillade du lycée Tocqueville de Grasse. À ce titre, j’ai dû prendre la direction des opérations de police et de gendarmerie de ce qui apparaît a posteriori comme une sorte de Columbine à la française, puisque nous avions déploré sept blessés, dont le proviseur. Heureusement, ces faits sont plutôt rares.

La communication entre préfets et recteurs n’intervient pas nécessairement au quotidien, mais il existe d’autres instances comme le comité de l’administration régionale (CAR), au sein duquel le recteur de région académique siège, ou encore le collège départemental où l’inspecteur d’académie siège. Dans le Nord, les Bouches-du-Rhône, les Alpes-Maritimes, en Seine-Saint-Denis, en Haute-Savoie et dans l’Aube, j’ai toujours connu une véritable collaboration entre l’inspecteur d’académie, le recteur et le préfet, qui pouvait être quotidienne en cas de nécessité.

M. Paul Vannier, rapporteur. J’aimerais entrer avec vous dans l’étude de deux situations qui paraissent très éclairantes pour notre commission d’enquête, laquelle travaille sur les modalités du contrôle par l’État des établissements scolaires en matière de prévention des violences. Autant nous avons jusqu’ici constaté les carences ou la défaillance des contrôles, autant s’agissant du lycée anciennement sous contrat Averroès de Lille et du groupe scolaire anciennement sous contrat Al Kindi de Décines, nous voyons se concentrer le contrôle par différents services de l’État. Ainsi, le lycée Averroès a été, ces dernières années, contrôlé quatorze fois et le groupe scolaire Al Kindi, l’a été neuf fois, dont cinq en une seule année. Comment expliquer ce criblage exceptionnel du contrôle sur chacun de ces établissements ?

M. Georges-François Leclerc. Je me permets de nuancer vos propos : la notion de « criblage exceptionnel » ne me paraît pas correspondre à la manière dont les services de l’État ont contrôlé le lycée et le collège Averroès. S’agissant de ce groupe scolaire, le fait générateur concerne les demandes réitérées du collège – à peu près tous les six mois – pour bénéficier d’un contrat d’association. En effet, dès lors qu’un collège effectue une telle demande, il est prévu qu’il soit inspecté par les services de l’État. Ce contrôle obéit à un protocole strict et la loi impose aux services chargés de l’inspection de prévenir l’établissement au moins quarante-huit heures à l’avance.

Deux catégories de contrôles additionnels ont été réalisés sur ce lycée. D’une part, des contrôles pédagogiques, sur saisine du collège aux fins d’une décision d’association, que j’ai systématiquement refusée compte tenu des rapports qui m’étaient communiqués. D’autre part, j’ai également diligenté deux contrôles : un contrôle par la direction régionale des finances publiques – de manière assez classique, le lycée étant bénéficiaire de fonds publics –, et un contrôle par la chambre régionale des comptes.

Mme Fabienne Buccio. Tous les établissements scolaires, qu’ils soient privés ou publics, sont régulièrement soumis à des contrôles au titre de leur qualité d’ERP.

Vous avez évoqué neuf contrôles concernant l’établissement Al Kindi. Ont été distingués le contrôle qui a porté sur les classes sous contrat et celui qui a concerné les classes hors contrat, alors qu’il s’agissait du même contrôle. Par ailleurs, nous essayons de regrouper les services lorsque de tels contrôles sont effectués. En l’espèce, y ont participé les pompiers, la direction départementale de la protection des populations (DDPP), la direction régionale des finances publiques (DRFIP) et l’éducation nationale. L’intervention de chacun de ces services a été comptabilisée pour un contrôle – ce qui peut expliquer le chiffre que vous évoquez – alors que ces contrôles étaient en réalité groupés.

M. Paul Vannier, rapporteur. Je rappelle que dans l’académie de Lille, qui compte 531 établissements privés sous contrat, seulement deux contrôles ont été conduits entre 2017 et 2023. Dans l’académie de Lyon, qui comprend 180 établissements privés sous contrat, un seul contrat a été engagé sur la même période. Dès lors, le caractère exceptionnel des contrôles sur Averroès et Al Kindi est avéré.

Vous avez décrit comme « classiques » les contrôles effectués par les DRFIP. De tels contrôles sont effectivement prévus par le code de l’éducation mais ils restent exceptionnels car, au rythme actuel, chaque établissement y est soumis une fois tous les 1 500 ans. Or Averroès et Al Kindi ont eu à connaître un contrôle de ce type. À la suite de ces contrôles, vous avez tous deux pris la décision – elle aussi absolument exceptionnelle lorsqu’on la replace dans une perspective historique depuis le vote de la loi Debré de 1959 – de réunir la commission de concertation prévue à l’article L. 442-11 du code de l’éducation, puis de prononcer, sur le fondement de l’article L. 442-62 du même code, la rupture du contrat d’association du lycée Averroès et du groupe scolaire Al Kindi. Était-ce, dans ces deux cas, à votre initiative ?

Mme Fabienne Buccio. À partir du moment où nous avions reçu un signalement sur l’établissement Al Kindi, j’assume complètement que les services soient allés réaliser un contrôle de façon groupée. J’ajoute que le premier signalement ayant donné lieu à un premier contrôle remonte à 2021, avant ma prise de fonction.

M. Paul Vannier, rapporteur. La commission de concertation, puis la rupture du contrat, sont-elles intervenues à votre initiative ?

Mme Fabienne Buccio. Nous avons constaté que le fonds de dotation perçu par l’établissement ne servait pas pour son fonctionnement. En conséquence, une enquête a été menée par la DRFIP et un contrôle a été conduit par l’éducation nationale. À partir de toutes ces remontées, en pleine connaissance de cause et en lien avec le Dasen et le recteur, j’ai réuni la commission. Nous ne prenons pas ce type de décisions sur un coup de tête.

M. Georges-François Leclerc. Les contrôles additionnels sur le lycée Averroès ont été réalisés sur mon initiative. J’ai demandé à la chambre régionale des comptes de diligenter le contrôle et en ai tiré les conséquences. J’ai également saisi la direction régionale des finances publiques aux fins de contrôle.

Il s’agit d’un acte mûrement réfléchi. En effet, j’ai été nommé préfet de la région Hauts-de-France et du département du Nord en 2019 et c’est en octobre ou novembre 2023 que j’ai pris la décision de résilier le contrat d’association du lycée Averroès pour une série de raisons que je peux développer. Dès le mois de juin 2023, je disposais de tous les éléments me permettant de provoquer la convocation de la commission consultative. J’ai préféré attendre le mois d’octobre pour que la rentrée 2023 se déroule dans des conditions normales. En effet, je pensais que l’éventuel retrait qui aurait été effectué au mois de juillet ou au mois d’août aurait pu susciter un désordre.

Deux raisons m’ont conduit à prendre cette mesure. Sur le volet administratif, j’ai estimé, à la lecture du rapport de la chambre régionale des comptes, que la gestion comptable et financière paraissait déloyale et potentiellement frauduleuse. Sur le contenu pédagogique, j’ai constaté que les éléments recueillis sur certains intervenants depuis mai 2021 par les inspections diligentées par la rectrice et l’inspecteur d’académie étaient suffisamment tangibles pour considérer que les élèves étaient en danger. J’ai considéré que des éléments documentaires du centre documentaire commun au collège et au lycée, que certains enseignants et que la ligne directrice de l’enseignement qui était dispensé relevaient clairement du salafo-frérisme et pouvaient constituer un danger pour des élèves ou des adolescents en plein apprentissage.

M. Paul Vannier, rapporteur. Je note que vous avez commencé cette audition en nous indiquant que les préfets n’avaient rien à dire sur le contenu pédagogique. Cependant, c’est précisément sur des griefs de nature pédagogique que vous vous êtes fondé pour justifier la résiliation du contrat d’association du lycée Averroès.

La décision de résilier le contrat a-t-elle relevé de votre initiative ou a-t-elle été prise après échange avec le cabinet du ministre de l’éducation nationale ou avec d’autres cabinets ministériels ?

M. Georges-François Leclerc. Vous nous avez d’abord interrogés sur les pouvoirs généraux dont disposent les préfets. Il m’a donc paru naturel de bien distinguer ce qui relève du contenu et du contenant. Par exemple, un préfet de région ou de département n’a pas à se prononcer sur un contenu pédagogique. Le programme est déterminé au sein des administrations centrales, par des commissions de très haut niveau qui associent des sommités universitaires. Cela ne relève absolument pas du préfet.

En revanche, le préfet qui, s’agissant des établissements sous contrat, est en charge de renouveler, d’agréer et d’engager les processus contractuels, doit de toute évidence prendre en considération les inspections qui sont diligentées par l’éducation nationale.

C’est évidemment en pleine concertation avec la rectrice académique de la région Hauts-de-France que j’ai engagé la procédure. Il va de soi que tant le ministre de l’éducation nationale que le ministre de l’intérieur ont été informés de mon initiative.

Mme Fabienne Buccio. Après avis de la commission de consultation, qui a été favorable à une très large majorité, j’ai été conduite, au terme d’une réflexion de plusieurs semaines, à prendre cette décision – qui n’était pas une décision facile. Je précise que j’avais échangé pendant plus de cinq heures avec les responsables du groupe scolaire Al Kindi, qui avaient fourni 300 à 400 pages de documents supplémentaires, que j’ai souhaité consulter avant de prendre ma décision, après avoir discuté avec le recteur et mon préfet délégué à la défense et à la sécurité. J’ai appelé le recteur à aviser son ministère que je m’apprêtais à prendre la décision de retrait du contrat. De mon côté, j’en ai fait de même avec le cabinet du ministre de l’intérieur. Lorsqu’il s’agit de décisions d’une telle importance, nous informons notre hiérarchie. Il s’agissait d’un processus très classique même si cette décision – je le mesure pleinement – était très importante.

M. Paul Vannier, rapporteur. Je vous remercie, c’est très clair. Monsieur le préfet, vous avez rappelé que, sur le plan pédagogique, le préfet doit prendre en considération les inspections diligentées par l’éducation nationale. Pour quelles raisons, dans le rapport de saisine que vous avez présenté devant la commission consultative académique, n’évoquez-vous jamais le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) sur le lycée Averroès, conduit en 2020 et qui porte une appréciation extrêmement positive sur le fonctionnement pédagogique de l’établissement ?

M. Georges-François Leclerc. Le 3 janvier 2024, la commission de concertation a elle-même rendu un avis favorable à ma saisine, au terme de débats assez longs et houleux. Je tiens à votre disposition le procès-verbal, qui indique que le vote a abouti aux résultats suivants : aucune voix contre, neuf abstentions et seize voix pour. Dans mon rapport, j’ai cité un rapport de 2021 et un rapport de 2023. J’ai d’ailleurs décrit les tentatives d’obstruction de l’établissement lors de ces contrôles. Si ma mémoire est exacte, le lycée Averroès a produit le rapport de l’IGESR qui a été instruit en commission.

M. Paul Vannier, rapporteur. Pourquoi ne l’avez-vous pas retenu ? Vous êtes parfaitement informé du fait que l’IGESR représente le plus haut service de contrôle, le plus à même d’apprécier le fonctionnement pédagogique d’un établissement.

Je souhaite vous interroger ensuite sur l’analyse effectuée par les services du ministère de l’éducation nationale, en particulier la direction des affaires financières (DAF) et la direction des affaires juridiques (DAJ). Dans les deux cas du lycée Averroès et du groupe scolaire Al Kindi, celles-ci ont manifesté a minima des réserves, sinon des doutes quant à la perspective d’une rupture du contrat d’association.

Ainsi, une note de la DAF datée du d’octobre 2023 pointe « les fragilités juridiques que présenterait la procédure de désassociation du lycée Averroès », considérant « difficile de déterminer si les manquements relevés par le préfet sont suffisants ». Cette note de la DAF s’appuie sur une analyse de la DAJ selon laquelle « les difficultés financières de l’établissement sont insuffisantes pour fonder une résiliation du contrat ». Toujours selon la DAJ, le contenu du cours d’éthique musulmane que vous invoquez, monsieur le préfet, pour justifier la rupture du contrat d’association est « un motif de facto très fragile ». La DAJ conclut d’ailleurs ainsi : « En l’état des informations transmises, une résiliation du contrat est jugée fragile et risque de créer un précédent défavorable. » Cette note date d’octobre 2023 et vous prenez la décision de rompre le contrat d’association en décembre 2023.

Concernant le groupe scolaire Al Kindi, une note de la DAF du 4 décembre 2024 fait référence à l’analyse de la DAJ, qui « exprime des réserves sur la robustesse d’une résiliation immédiate ».

Selon la DAJ, « dans le premier degré, certains manquements sont caractérisés, mais jugés non suffisamment graves pour justifier une résiliation. Pour le second degré, bien que certains manquements soient potentiellement graves, leur matérialité n’est pas suffisamment détaillée dans le rapport ».

Aviez-vous connaissance de ces analyses des services du ministère de l’éducation nationale avant de prendre les décisions de rupture de deux contrats d’association ?

Mme Fabienne Buccio. J’avais pleinement connaissance de la note du 4 décembre 2024 de la DAF. De mémoire, cette note précisait qu’en l’absence d’éléments financiers la décision pourrait être fragile mais que, dans le cas contraire, en présence de tels éléments, la décision de retrait se justifiait pleinement. Le dossier est toujours en cours devant la justice administrative, mais nous avons trouvé de tels éléments, notamment un mélange de financements avec l’attribution de fonds publics à des classes qui n’étaient pas sous contrat. Ces éléments ont conforté ma réflexion et ma décision.

M. Georges-François Leclerc. J’ai également eu connaissance de la note et de l’appréciation de la DAJ, mais disposais d’éléments émanant de la direction des affaires juridiques et des libertés publiques du ministère de l’intérieur qui s’opposaient directement à cette analyse. Par ailleurs, sur la situation financière, je disposais du rapport de la chambre régionale des comptes, rapport contradictoire particulièrement sévère sur le financement reposant sur des faux prêts provenant en particulier d’entreprises privées et pouvant donc être requalifiés le cas échéant par l’autorité judiciaire comme constitutifs d’abus de biens sociaux.

S’agissant du contenu pédagogique, j’ai eu connaissance de la « fragilité » des éléments évoqués, qui étaient d’ailleurs en contradiction avec les inspections qui avaient été conduites notamment sur le centre documentaire. Enfin, le ministre de l’éducation nationale a été loyalement informé, à la fois par la rectrice et par moi-même, notamment lors des funérailles à Arras du professeur assassiné. À cette occasion, il m’a confirmé son souhait que l’opération soit conduite.

Enfin, dans le rapport de saisine de la commission du 27 octobre 2023, j’indique très clairement que le centre documentaire présente des éléments de dysfonctionnement majeurs au regard des principes républicains. Je suis évidemment entièrement à votre disposition pour les développer. Outre des financements potentiellement illicites, il me semblait que la mise à disposition d’adolescents des écrits de Hassan Iquioussen, imam expulsé pour trois motifs – sexisme, homophobie et antisémitisme – posait un énorme problème. Il m’a également semblé que considérer que Tariq Ramadan était une figure majeure de l’islam contemporain et en faire un exemple pour des collégiens et des lycéens posait également problème. Enfin, je tiens à votre disposition le pedigree d’un certain nombre d’enseignants dont certains ont d’ailleurs été poursuivis par la justice.

La décision de rupture est une décision grave. Ayant classiquement procédé à la balance des intérêts publics, j’ai considéré qu’il n’était pas envisageable qu’un établissement offrant une documentation anti républicaine se voit attribuer des deniers publics. Une telle coexistence me semblait impossible. Je rappelle par ailleurs que l’effet utile d’une rupture de contrat d’association n’est pas la fermeture de l’établissement concerné ; elle empêche le versement de deniers publics, compte tenu de l’existence d’une ligne pédagogique qui me semblait contestable.

Mme Fabienne Buccio. Je tiens à compléter mon propos, ayant retrouvé la note dont il était fait mention. Celle-ci indique : « Toutefois, dans l’hypothèse où l’utilisation de moyens financiers procédant du contrat au profit des classes hors contrat pourrait être démontrée par le résultat des inspections […], elle pourrait constituer un manquement grave de l’établissement de nature à justifier l’engagement d’une procédure de résiliation du contrat ». Or c’était bien le cas.

Je me permets également de préciser que parmi les livres mis à disposition des élèves figuraient des ouvrages promouvant des valeurs contraires aux principes de la République : obéissance de la femme à son époux, devoirs sexuels de la femme envers son époux, suprématie des règles divines, promotion de la polygamie, de l’homophobie, de l’intolérance envers les non-musulmans, valorisation du djihad. Ces livres étaient en libre accès.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. J’entends parfaitement vos propos. Parallèlement, dans des établissements catholiques sous contrat, des manquements ont pu être constatés. Je pense notamment à un cas de propagande anti-avortement dans les carnets de correspondance des élèves, ce qui est totalement répréhensible au regard de la loi. Cependant, dans ce cas, un simple rappel à l’ordre a été adressé aux établissements concernés. Cette propagande a été retirée des livrets des élèves, et l’éducation nationale a continué à travailler avec ces établissements. Dans vos régions respectives, avez-vous rappelé à l’ordre les deux établissements au sujet des ouvrages évoqués, qui n’avaient rien à faire au sein de ceux-ci ?

Mme Fabienne Buccio. Si je recevais un tel signalement, qui peut m’être également transmis par le Dasen ou le recteur, je demanderais immédiatement au recteur de procéder à un contrôle de l’établissement, au cas où il ne l’aurait pas lui-même déjà engagé. Cela me semble constituer une évidence.

M. Georges-François Leclerc. Ma réponse est identique. Il va de soi que tout signalement d’un problème au regard des principes républicains ferait exactement l’objet du même traitement, dans n’importe quel établissement sous contrat, pourvu qu’il y ait la même réitération.

M. Paul Vannier, rapporteur. Monsieur le préfet, vous nous serions très reconnaissants de transmettre à notre commission d’enquête l’analyse juridique du ministère de l’intérieur, dont vous avez indiqué qu’elle contredisait celle du ministère de l’éducation nationale à propos de la perspective de la rupture du contrat d’association du lycée Averroès.

Sans vouloir rentrer dans le débat sur ce qui vous a conduit à prononcer la rupture du contrat d’association, il peut sembler étonnant de se fonder sur un rapport de la chambre régionale des comptes pour apprécier le volet pédagogique, alors que vous n’avez pas utilisé le rapport de l’IGESR. De même, s’agissant des aspects financiers, vous n’évoquez pas non plus l’audit de suivi de la direction régionale des finances publiques qui, en 2022, note des progrès dans la gestion financière et comptable de l’association de gestion du lycée Averroès.

À la suite de l’intervention de la présidente, je reviens sur ce qui paraît là encore constituer un traitement exceptionnel de ces deux établissements, c’est-à-dire le fait que vous ayez prononcé une résiliation immédiate du contrat d’association. Cela contrevient en tout cas aux préconisations du ministère de l’éducation nationale, notamment de la DAF, qui rappelle en 2024 que si des manquements sont constatés, il est fortement recommandé aux services académiques de transmettre à l’établissement une mise en demeure d’y remédier avant de proposer la résiliation du contrat d’association. Une telle mesure a ainsi été prise pour le collège Stanislas qui, à de multiples égards, a pourtant piétiné le contrat d’association qui le lie à l’État. Pourquoi avoir prononcé une résiliation immédiate du contrat d’association ?

M. Georges-François Leclerc. Je formulerai deux remarques. J’ai eu des échanges verbaux ou par mail avec la direction juridique du ministère de l’intérieur. Je demanderai à mon ancienne préfecture de bien vouloir me les produire. Ensuite, autant j’ai eu connaissance de l’appréciation de la DAJ du ministère de l’éducation nationale, autant cela n’a pas été le cas s’agissant de l’appréciation de la DAF.

Vous dites qu’il est étonnant de se fonder sur un rapport de la chambre régionale des comptes, mais il s’agit de magistrats indépendants qui ont conduit une enquête assez longue et contradictoire, comportant un relevé d’observations intermédiaires.

M. Paul Vannier, rapporteur. Il semble surprenant de se fonder sur ce rapport pour apprécier le volet pédagogique.

M. Georges-François Leclerc. Le rapport de la chambre régionale des comptes relevait non seulement des dysfonctionnements financiers, mais aussi un risque juridique et des financements potentiellement frauduleux. La chambre avait également consacré une partie de son rapport au cours d’éthique musulmane. Les constatations qu’elle a réalisées, encore une fois sur ma demande, étaient assez claires s’agissant de ce cours – si tant est que l’on puisse le qualifier de cours. En effet, les élèves de seconde étudiaient l’ouvrage Quarante hadiths de l’islam, qui contient la description de rapports d’inféodation des femmes, condamne sous peine de mort l’apostasie et considère que les lois divines sont prééminentes.

Ces éléments me semblaient donc consistants, plus consistants en tout cas que ceux du rapport de l’Inspection générale, qui partait par ailleurs d’un fait exact, c’est-à-dire que les résultats au baccalauréat des élèves du lycée Averroès étaient particulièrement élevés, et témoignaient d’un très bon niveau. J’ai d’ailleurs pris en considération ce point dans la décision que j’ai prise.

M. Paul Vannier, rapporteur. Madame la préfète, pourquoi avez-vous procédé à une résiliation immédiate ?

Mme Fabienne Buccio. Vous faites part d’une recommandation qui peut effectivement s’entendre. Néanmoins, l’ampleur des manquements que j’ai constatés au sein de l’établissement – auquel étaient confiés nos enfants, les enfants de la République – constituait à mes yeux une rupture de confiance importante et grave. Or quand la relation de confiance est rompue, il faut savoir en tirer les conséquences. Les manquements graves – je ne vous en ai cités que quelques-uns – m’ont conduite en conscience à retirer le contrat avec l’État.

M. Georges-François Leclerc. En ce qui me concerne, l’ampleur, la gravité et la réitération des faits entre 2021 et 2023, ainsi que la mise à disposition d’adolescents des écrits de Hassan Iquioussen en tant qu’éléments pédagogiques m’ont conduit à prendre cette décision,

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous parlez de réitération. Il y aurait donc eu plusieurs mises en demeure et manquements ?

M. Georges-François Leclerc. Je considère comme réitération le fait qu’une série de contrôles aient relevé une série de dysfonctionnements. Ces contrôles de la chambre régionale des comptes, réalisés sur plusieurs mois, ont nécessairement donné lieu à un contradictoire. La persistance dans le temps d’une absence de changement, nonobstant une série de contrôles et nonobstant le contradictoire des contrôles, était manifeste. L’ampleur, la gravité et la réitération des faits m’ont conduit à prendre cette décision,

M. Paul Vannier, rapporteur. Le lycée Averroès et le groupe scolaire Al Kindi sont membres du réseau des établissements musulmans – un petit réseau puisque seule une dizaine d’établissements s’y rattachent. Avez-vous, dans vos fonctions, conduit des contrôles, pris des décisions semblables à celles que nous venons de décrire – contrôles très fréquents, rupture immédiate du contrat d’association – pour des établissements relevant d’autres réseaux d’enseignement sous contrat ?

Si tel n’est pas le cas, cela pourrait donner le sentiment d’un traitement tout à fait exceptionnel et peut-être discriminatoire, qui conduirait à penser que l’État et ses représentants portent un regard confessionnel sur les établissements privés sous contrat, en traitant de manière particulière et brutale les établissements se rattachant au réseau musulman, sans que des actions correctives, qui peuvent être ailleurs proposées, soient envisagées pour ce qui les concerne.

Mme Fabienne Buccio. Dans ma carrière, c’était la première fois que je réunissais la commission de concertation et c’était également la première fois que je me trouvais face à des faits aussi graves. Des contrôles sont effectués dans d’autres établissements privés de toutes confessions, notamment de confession catholique, qui sont plus nombreux que les établissements de confession musulmane. Je réfute par ailleurs le terme de brutalité. Les discussions ont toujours eu lieu, les représentants du groupe scolaire ont été reçus par le recteur et par moi-même. Nous nous sommes réunis pendant des heures en commission. Je les ai récemment revus à l’occasion de la rupture du jeûne. Nous sommes dans un État de droit. Des décisions sont prises afin d’assurer le respect du droit et le respect des enfants qui sont confiés à ces établissements.

M. Georges-François Leclerc. Je réfute également toute brutalité en la matière. J’ai essayé de vous convaincre qu’il s’agissait au contraire d’une décision mûrement réfléchie, que j’avais pris soin de ne pas prendre en juin 2023 pour ne pas perturber la rentrée. Selon moi, le contradictoire a été respecté quasiment à chaque étape.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous voyons à quel point de telles décisions peuvent être difficiles à prendre, en particulier sur le sujet des établissements scolaires, qui relèvent également de la responsabilité des recteurs. Vous avez bien voulu, à travers les réponses à ces questions, nous rappeler l’ensemble des moyens d’action à votre disposition : prévention des violences dans les établissements scolaires, sécurisation des bâtiments, notamment face au risque terroriste, sécurisation des ERP et respect d’une convention de financement public qui impose un certain nombre de devoirs.

Je crois aussi qu’il était important de rappeler notre attachement – et le vôtre – à l’application des valeurs de la République, toute dérive en la matière devant être très durement dénoncée et sanctionnée, de même qu’en cas de non-respect du principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Il convient également de mentionner le respect des obligations comptables. Ainsi, il est important que chaque établissement privé sous contrat respecte de telles obligations, qui sont détaillées dans les rapports.

À la suite de nos demandes de transmission de documents auprès du ministère de l’éducation nationale, nous disposons pour le lycée Averroès du rapport de saisine de la commission consultative académique et du procès-verbal détaillé de la commission de concertation pour l’enseignement privé. En revanche, s’agissant du groupe scolaire Al Kindi, nous ne disposons pas du procès-verbal de la réunion de la commission de concertation pour l’enseignement privé. Madame la préfète, pourriez-vous nous le transmettre rapidement ?

En effet, ces documents nous permettent de mesurer les moyens d’action d’un préfet concernant les cas qui intéressent spécifiquement cette commission d’enquête, à savoir les violences psychologiques, physiques et sexuelles envers les enfants. Les modalités du contrôle de l’État sur lesquelles nous vous avons interrogés devraient également s’opérer pour des cas systémiques de violences sexuelles et d’agressions envers des enfants, mais tel n’est pas le cas.

Dans le procès-verbal de la commission de concertation concernant le lycée Averroès de Lille figure la liste des participants. À ce titre, nous notons l’invitation à cette réunion du président du conseil régional, dont les textes ne prévoient pas qu’il est membre de droit de cette commission. Celui-ci a d’ailleurs pris la parole à de nombreuses reprises, pour faire part de la position du conseil régional des Hauts-de-France. Madame la préfète, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a-t-il également été invité lors de la réunion de votre commission de concertation concernant Al Kindi ? Y a-t-il pris la parole ?

Mme Fabienne Buccio. Nous disposons du procès-verbal de la commission de concertation et nous pouvons vous le communiquer. Le président du conseil régional est membre de la commission. Lors de la réunion sont venues des personnes extérieures : une représentante du département au titre des collèges, une directrice générale adjointe de la mairie de Décines en charge du suivi des collèges, et la vice-présidente en charge des lycées au conseil régional. Ces personnes sont intervenues lors de la commission de conciliation et ont répondu aux questions qui leur ont été posées.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je souhaite apporter une précision. Sont membres de droit trois représentants du conseil régional et trois représentants du conseil départemental. Lors de la commission de concertation sur le lycée Averroès, quatre membres du conseil régional étaient présents et seul le président s’est exprimé. Nous sommes donc intéressés de savoir comment les collectivités territoriales ont été associées sur le cas d’Al Kindi, qu’il s’agisse des membres de droit ou des membres invités.

En effet, cette commission d’enquête a notamment pour objectif de formuler des recommandations sur les modalités d’application de ces contrôles et, éventuellement, des réunions qui peuvent entraîner la désassociation de certains établissements privés, afin que l’ensemble des règles soit les mêmes pour tous.

Par ailleurs, nous avons constaté que vos modalités d’action étaient très larges pour fonder vos décisions, qu’il s’agisse des rapports de la chambre régionale des comptes, de livres et de coupures de presse, des éléments liés à des enquêtes du parquet en cours, des investigations bancaires, des demandes répétées auprès de la DRFIP ou de contrôles par les pompiers.

Sur une période de un à deux ans, tous les pouvoirs ont ainsi été utilisés de façon extrêmement insistante, notamment, en essayant de regrouper les contrôles. En conséquence, au regard de la gravité, de l’ampleur et de la réitération des faits signalés par les victimes du collège privé de Bétharram – désormais Le Beau Rameau –, je m’étonne qu’il n’ait été diligenté qu’une inspection académique, au début de ce mois.

Madame la préfète, vous avez indiqué que, dans un but d’efficacité, il est souvent décidé d’effectuer des contrôles groupés rassemblant différents services. Mais dans le cas de Bétharram, une affaire particulièrement médiatique qui concerne des centaines de victimes, il n’existe pas d’inspection nationale de type IGESR sur un établissement privé catholique. En l’espèce, le contrôle se limite à un contrôle territorial de l’inspection académique de quatre jours, pour le moment.

Dans le cas de violences sexuelles systémiques dans un territoire, par exemple celui dont vous avez la responsabilité, vous semble-t-il pertinent d’étendre les pouvoirs du recteur au préfet concernant l’ensemble des contrôles pour lesquels vous êtes compétents ?

M. Georges-François Leclerc. Je ne peux évidemment pas porter la moindre appréciation sur ce cas d’espèce. Si, dans ma région, nous avions connaissance de dysfonctionnements aussi graves et documentés, notamment par une enquête judiciaire, il va de soi que, posément, dans le respect des lois et règlements, un contrôle serait effectué par les services de l’État. Je crois que sur le cas d’espèce, vous avez bien indiqué qu’un contrôle avait été effectué. Je pense qu’il a été réalisé dans les formes et, sur le fond, de manière minutieuse par les services de l’État dans le département concerné.

Mme Fabienne Buccio. Je ne connais pas non plus en détail le dossier auquel vous faites référence. Cependant, les pouvoirs confiés par la loi aux préfets en matière de contrôle sur les établissements scolaires me semblent largement suffisants pour agir. Si, demain, je reçois le moindre signalement, la moindre alerte sur des faits similaires à ceux que vous avez mentionnés, il est évident que nous procéderons de la même façon. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Le cœur de notre métier consiste à faire respecter les lois de la République. Les enfants de la République sont tous égaux, quelle que soit l’école qu’ils fréquentent.

M. Georges-François Leclerc. Ma réponse est identique à celle de ma collègue, exprimée avec autant de ferveur. Lorsque j’étais préfet de Seine-Saint-Denis, j’avais conduit un contrôle sur une école hors contrat, qui ne relevait pas du réseau musulman.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans la région des Hauts-de-France, nous nous sommes également penchés sur le cas du Village d’enfants de Riaumont, sur lequel le préfet du Pas-de-Calais a, en 2017, diligenté un certain nombre d’inspections et de contrôles réalisés par différents organismes, et qui l’ont conduit à saisir le cabinet du ministre de l’éducation nationale par courrier.

Les cas de violences systémiques exercées à l’encontre d’enfants se poursuivent aujourd’hui, comme en témoignent les dénonciations que notre commission d’enquête reçoit de façon régulière. Comme vous l’avez tous deux souligné, les préfets sont en mesure de saisir la chambre régionale des comptes ou la DRFIP, de réunir les pompiers, l’éducation nationale, la direction du travail, les services de lutte contre la fraude. Ces pouvoirs peuvent être réitérés dans le temps, à travers des contrôles, afin de constituer des dossiers solides leur permettant de fonder leur décision.

Au cours de différentes auditions, nous avons pu constater qu’il existe un référent justice au sein de l’éducation nationale et un référent éducation nationale au sein de chaque parquet. Pourriez-vous nous préciser les liens que vous entretenez avec la justice dans le cadre de ce type de contrôle et dans le cadre de décisions qui pourraient être prises pour les violences physiques, sexuelles et psychologiques ?

Mme Fabienne Buccio. S’agissant du cas d’Al Kindi, la justice administrative a été saisie. Au-delà, il nous est possible d’alerter l’autorité judiciaire à travers l’article 40 du code de procédure pénale. Je n’y ai pas recouru dans le dossier Al Kindi – pour lequel aucune intervention de la justice judiciaire n’est mentionnée.

M. Georges-François Leclerc. J’ai eu connaissance de dérives graves concernant l’association du centre islamique de Villeneuve-d’Ascq. Des prédicateurs de ce centre, par ailleurs enseignants au sein de l’établissement Averroès, ont été poursuivis et – sauf erreur de ma part – condamnés pour escroquerie. J’en ai donc fait usage dans mon rapport. En outre, il va de soi que les rapports avec les parquets sont des rapports d’échange d’informations, prévus par la loi. J’ai fait usage à de multiples reprises de l’article 40 du code de procédure pénale au sujet de l’affaire Averroès, essentiellement sur des personnes.

Le contentieux administratif intervient en général à deux étapes. La première étape concerne, après la décision du préfet, le référé-suspension ou le référé-liberté, qui sont examinés rapidement par des formations de jugement se prononçant sur l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision du préfet ou sur un moyen d’urgence. Au moins à une reprise, le tribunal administratif de Lille, saisi en référé par Averroès, s’est prononcé favorablement.

De mémoire, le centre islamique de Villeneuve-d’Ascq était par ailleurs lié par des liens financiers contestables au lycée Averroès. Le président de ce centre était enseignant au lycée Averroès.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Mes questions étaient posées à dessein, puisque des sujets judiciaires sont soulevés dans ce type de contrôles multiples, mais que le référent justice de l’éducation nationale n’est pas associé à la commission de concertation. Or ce dernier peut avoir été destinataire de l’ensemble des signalements concernant l’établissement.

M. Paul Vannier, rapporteur. J’ai le sentiment que vous n’avez jamais reçu, ni l’un ni l’autre, aucun signalement provenant d’autres établissements ou à propos d’établissements privés ne relevant pas du réseau musulman. Ai-je bien compris ou est-ce une erreur de ma part ?

Mme Fabienne Buccio. Je le confirme, pour ma part. J’occupe mon poste depuis deux ans et n’ai pas reçu de signalement concernant des violences sur des enfants.

M. Georges-François Leclerc. Monsieur le rapporteur, vous connaissez sûrement mieux que moi la vie d’un établissement scolaire. S’agissant des faits qui se déroulent au sein d’un établissement, le critère évoqué par la rapporteure, celui d’un risque systémique, est le critère pertinent qui peut fonder l’intervention du préfet et le conduire à se saisir de dysfonctionnements. En dehors de l’établissement, à ses abords, peuvent exister des faits de violence, des conflits entre élèves qui se traduisent par des violences, auquel cas la justice est le cas échéant saisie et les services de police ou le préfet peuvent intervenir, sur le fondement du maintien de l’ordre lorsque ces faits se déroulent sur la voie publique.

 

La séance est levée à dix-sept heures vingt-cinq.


Présences en réunion

Présents.  M. Arnaud Bonnet, Mme Céline Calvez, M. José Gonzalez, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Florence Herouin-Léautey, Mme Florence Joubert, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Marie Mesmeur, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier

Excusés.  Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. José Beaurain, M. Xavier Breton, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Isabelle Rauch, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer