Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de MM. Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), et Benoît Rivière, président du Conseil pour l’enseignement catholique, et Mme Céline Reynaud Fourton, directrice des affaires institutionnelles et internationales de la CEF 2
– Présences en réunion..............................16
Mardi
29 avril 2025
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 60
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), MM. Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), et Benoît Rivière, président du Conseil pour l’enseignement catholique, et Mme Céline Reynaud-Fourton, directrice des affaires institutionnelles et internationales de la CEF.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Comme vous le savez, nous avons auditionné début avril M. Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique (Sgec), M. Sylvain Cariou-Charton, président de l’Union des réseaux congréganistes de l’enseignement catholique (Urcec), et M. Christophe Schietse, son secrétaire général.
Il nous a semblé indispensable de vous recevoir aussi dans la mesure où ce sont les évêques qui exercent la tutelle des établissements privés diocésains installés dans leur ressort territorial.
Je précise que le cardinal Jean-Marc Aveline succédera à M. de Moulins-Beaufort à la tête de la Conférence des évêques de France (CEF) le 1er juillet prochain.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Éric de Moulins-Beaufort, M. Benoît Rivière et Mme Céline Reynaud-Fourton prêtent successivement serment.)
Pouvez-vous décrire l’organisation de l’enseignement catholique aux différents échelons et les liens hiérarchiques entre les différentes structures, des établissements et organismes de gestion de l’enseignement catholique (Ogec) à la Conférence des évêques de France ?
M. Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France. Au nom des évêques de France, je veux d’abord dire que nous partageons pleinement les objectifs de votre commission. Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), voulue par la Conférence des évêques et par la Conférence des religieux et religieuses de France et confiée à M. Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État, comme le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) et de nombreux témoignages, nous permettent de connaître mieux que jamais la réalité des violences sexuelles commises à l’encontre d’enfants et d’adolescents. Toute l’humanité sait aujourd’hui quel terrible empêchement de vivre ces violences provoquent tout au long de l’existence de celles et ceux qui en ont été les victimes.
Monseigneur Rivière et moi-même pensons d’abord à ces personnes.
Si l’Église catholique s’attache à soutenir et à encourager des établissements scolaires qui puissent être reconnus comme catholiques, c’est parce qu’elle est convaincue de pouvoir contribuer à la formation des enfants et des jeunes grâce aux ressources de la pensée chrétienne et de l’Évangile pour le développement de chacun selon son unicité et dans toutes les dimensions de son être. Une telle éducation doit être ouverte à tous, accessible à tous. En aucun cas il ne peut être question de cautionner ou de tolérer une conception de l’éducation qui reposerait sur la violence ; il est moins encore question de tolérer quelque violence sexuelle que ce soit.
Dans le cadre des lois de notre pays, l’enseignement catholique s’est construit, en particulier depuis 1959 et la loi Debré, sur un principe de liberté – liberté d’association et liberté d’enseignement. La protection des enfants impose aujourd’hui plus de vigilance, plus de contrôle, plus de formation, mais aussi plus de disponibilité et de capacité d’écoute et de soutien.
Dès avant le rapport de la Ciase, l’ensemble des diocèses de France et l’enseignement catholique s’étaient engagés avec détermination pour renforcer la protection des mineurs. Depuis ce rapport, remis en octobre 2021, nous avons intensifié cet effort. Nous avons conscience qu’il doit encore se développer. Pour autant que cela dépende de nous, vous pouvez compter sur notre engagement.
Vous m’interrogez sur l’organisation de l’enseignement catholique en France. Il est le résultat d’une longue histoire et d’initiatives très variées – de familles, de paroisses, de diocèses, de congrégations religieuses. Il y a eu ensuite une unification progressive. Les statuts de 1992 ont introduit la notion de tutelle, diocésaine ou congréganiste : les établissements ne sont donc pas isolés ; ils appartiennent à un réseau. Des structures de coordination et d’échange d’information ont été mises en place, ainsi que des visites et des évaluations. Cela permet aussi une représentation générale de l’enseignement catholique devant les autorités de notre pays, en particulier le ministère de l’éducation nationale. C’est ainsi que le secrétariat général de l’enseignement catholique s’est constitué et progressivement renforcé.
La Conférence des évêques n’est pas une autorité hiérarchique dans l’Église catholique, mais une structure de coordination et de travail commun des évêques. J’en suis le président, mais cela ne fait pas de moi le patron des évêques ou le chef de l’Église de France. Je ne nomme pas les évêques, je ne les révoque pas, je ne les évalue pas ; j’essaye d’organiser notre travail commun, illustré par les deux assemblées plénières que nous tenons chaque année, l’une à l’automne et l’autre au printemps. Nous assurons aussi un rôle de représentation vis-à-vis du Saint-Siège, des autorités de notre pays et de l’opinion publique.
De façon semblable, le secrétariat général de l’enseignement catholique n’est pas une instance hiérarchique, mais de coordination, de travail commun et d’émulation, ainsi que de représentation vis-à-vis du ministère de l’éducation nationale et des pouvoirs publics d’un côté, de l’Assemblée des évêques de l’autre.
C’est la Conférence des évêques qui élit le secrétaire général de l’enseignement catholique, à qui délégation est donnée afin qu’il remplisse son rôle. Nous essayons de le choisir pour ses compétences professionnelles. Il est accompagné d’un conseil national de l’éducation catholique, que préside monseigneur Benoît Rivière depuis trois ans et jusqu’au 30 juin de cette année. Ce conseil accompagne le secrétaire général ; il joue un rôle de réflexion et d’orientation pour l’enseignement catholique.
M. Benoît Rivière, président du Conseil pour l’enseignement catholique. Le Conseil pour l’enseignement catholique est constitué d’une équipe, réduite – trois évêques, dont moi-même, rejoints par le représentant des recteurs des universités catholiques de France –, ainsi que d’un secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France. Il joue un rôle d’écoute et d’accompagnement du secrétariat général de l’enseignement catholique. Nous travaillons également sur des textes d’orientation et nous participons à des rencontres et des formations nationales.
En tant que président de ce conseil, je préside également le Comité national de l’enseignement catholique (Cnec), instance assez originale puisqu’elle rassemble des représentants de tous les acteurs de l’enseignement catholique : enseignants, représentants des organisations professionnelles, parents d’élèves, maîtres, directeurs, associations sportives… Ses soixante membres élisent en leur sein une commission permanente, avec laquelle le secrétaire général travaille régulièrement.
M. Éric de Moulins-Beaufort. À l’échelle du diocèse, l’évêque diocésain nomme un directeur diocésain, parfois interdiocésain, de l’enseignement catholique : c’est lui aussi un professionnel, qui reçoit une délégation de l’évêque pour faire vivre l’enseignement catholique dans la circonscription. Il a également un rôle d’organisation du travail commun et de coordination.
Ce directeur diocésain contribue au choix des chefs d’établissement. Ceux-ci jouent un rôle important : ils ont une grande responsabilité dans la conduite de l’établissement, ainsi qu’une certaine liberté. Chaque évêque préside régulièrement un conseil de tutelle, qui permet d’être au courant de ce qui se passe dans les différents établissements et de réfléchir, avec le directeur diocésain et les membres du conseil de tutelle, à la politique globale de l’éducation : aux choix d’implantation ou de fermeture, par exemple, mais plus généralement à l’image que donne l’enseignement catholique et au service qu’il peut offrir aux familles.
Se tient aussi, deux à trois fois par an environ, une réunion du conseil des tutelles, qui réunit l’évêque, les tutelles diocésaines et les tutelles congréganistes.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Merci pour cette introduction.
La Ciase a publié en mars 2025 un intéressant rapport consacré au suivi des recommandations de ses groupes de travail. On y trouve notamment des considérations relatives aux établissements scolaires. La conclusion de ce rapport pointe un décalage entre l’élan initial et les actions concrètes mises en place ; elle souligne aussi l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir et appelle à ne pas se décourager face aux résistances et à l’ampleur du travail.
Quelle est votre réaction à cette conclusion ? Quelles sont ces résistances ? Qu’est-ce qui empêche encore d’avancer plus vite ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Nous, évêques, avons énormément travaillé ce sujet des violences sexuelles, dès avant 2016, c’est-à-dire avant le rapport de la Ciase. Il nous occupe constamment. Nous avons rencontré beaucoup de personnes victimes, nous avons appris à comprendre un peu ce qu’elles ont subi, vécu.
Il importe aujourd’hui que d’autres fassent cette expérience que nous avons faite, chez les catholiques comme chez l’ensemble de nos concitoyens d’ailleurs. Tout le monde doit réaliser ce qu’est une violence ou une agression sexuelle, quelles en sont les conséquences, et de ce fait quelle doit être la vigilance de chacun pour ne pas tolérer certains gestes, pour ne pas laisser certaines situations s’installer. Toute position d’autorité peut être pervertie, notamment sous la forme d’abus sexuels, en particulier lorsque des enfants et des adolescents sont concernés.
Le rapport de la Ciase a fait apparaître une proportion considérable de ces abus et de ces violences sexuelles à l’encontre de personnes mineures, qui dépasse ce dont on avait conscience : 14,5 % des femmes et 8 % des hommes disent avoir été agressés sexuellement quand ils étaient mineurs. Ce chiffre était connu de l’Inserm – l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – mais il n’avait pas encore percé dans la conscience publique. C’est un problème global dont toute la société doit prendre conscience. Ce processus est en cours. Il faut un changement de culture, et il vaut la peine de consentir les efforts nécessaires pour instaurer une culture de la vigilance et de la bientraitance. Mais il ne suffit pas que les évêques en soient persuadés ; cette conviction doit être présente à tous les échelons.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. L’un des groupes de travail était consacré à la vigilance et au contrôle sur les associations de fidèles menant la vie commune. Dans ses recommandations, il appelait à une meilleure concertation entre les évêques lorsqu’une association donne des signes de dysfonctionnement, à une amélioration des visites extraordinaires grâce à un guide de bonnes pratiques, à des rencontres régulières et à des formations relatives à l’emprise et à l’abus.
Je pense au village d’enfants de Riaumont, qui se trouve dans une situation particulière car il a beaucoup changé de statut au cours du temps : internat organisé par des prêtres où les enfants étaient placés par les institutions, école hors contrat, accueil de mineurs plus ou moins bien défini. Les nombreuses plaintes montrent de graves dysfonctionnements. La Conférence des évêques a-t-elle engagé des actions à ce sujet, même si j’entends bien qu’elle ne dispose pas d’une autorité hiérarchique sur toutes les congrégations ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. L’Église catholique est un grand lieu de liberté, où beaucoup peuvent faire un peu ce qu’ils veulent : on présuppose que leur intention est bonne, que leur action sera bonne et bénéfique. Les statuts canoniques, qui sont variés, sont fondés sur la confiance. Certains sont garantis par le Saint-Siège : les évêques n’ont pas toujours une autorité directe.
Il est en effet arrivé par le passé que l’on accorde à ces structures une trop grande confiance et que les instruments de visite et de contrôle ne soient pas utilisés comme ils auraient pu l’être.
L’affaire de Riaumont remonte loin dans le temps, et dure, j’en ai bien conscience. Elle s’est installée – en lien avec les autorités judiciaires de notre pays, d’ailleurs, puisque celles-ci ont confié des missions à l’institution gérant ce village d’enfants, ce qui contribue à la rendre difficilement contrôlable par l’évêque du lieu. C’est un des domaines dans lesquels nous devons renforcer nos dispositifs. Là encore, il faut un changement de culture. Tous les dispositifs de contrôle, de visite, d’évaluation n’empiètent pas sur la liberté : ils sont au contraire à son service, nous nous en rendons bien compte aujourd’hui. Quand il s’agit d’enfants, la liberté doit s’armer de précautions. Nous avons pris conscience de l’ampleur et des conséquences des violences sexuelles faites aux enfants, comme jamais dans l’histoire, je le redis : nous avons le devoir de prendre toutes les mesures de contrôle nécessaires de la liberté laissée à certains.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Il pourrait donc y avoir bientôt une visite de cet établissement, dans lequel nous avons rencontré trois prêtres ? Prévoyez-vous, lorsque des dysfonctionnements sont avérés, des visites inopinées ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Aujourd’hui, un évêque qui serait mis au courant d’un cas comme celui de Riaumont saisirait la justice aussitôt.
Il faut laisser l’enquête judiciaire se faire ; ensuite, la question du statut de l’association de fidèles se posera, de toute évidence. Dans le cas de Riaumont, des décisions canoniques, éventuellement définitives, devront être prises.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Quand un signalement est fait par un établissement scolaire, des mesures conservatoires et des sanctions disciplinaires sont prises en parallèle de la procédure judiciaire. Devez-vous attendre les décisions judiciaires pour agir ? Des visites ne peuvent-elles pas se dérouler en parallèle ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Je n’ai pas été assez précis.
Je ne connais pas bien le dossier de Riaumont, qui ne relève pas de mon autorité directe. Mais j’ai eu à connaître un cas dans un établissement scolaire du diocèse dont j’ai la charge. L’action en justice et l’action disciplinaire à l’égard du chef d’établissement ont été menées en parallèle. En l’occurrence, il s’agissait d’un laïc. Dans le cas de prêtres diocésains, hors du cadre scolaire, le signalement s’accompagne de mesures conservatoires, discutées avec le procureur. C’est désormais notre pratique.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Il existe, je crois, des conventions entre les évêques et les parquets.
M. Éric de Moulins-Beaufort. Oui, mais qu’elles existent ou pas, c’est maintenant notre pratique ordinaire. Ce sont les règles que nous avons adoptées – et qui sont d’ailleurs celles de notre République.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Un autre des groupes de travail a réfléchi à l’accompagnement des mis en cause. Lorsque quelqu’un a été mis en cause, ou a fait l’objet d’une plainte pour des faits prescrits, que faites-vous pour que cette personne n’intervienne plus auprès de mineurs, par exemple dans un autre établissement ? Y a-t-il un suivi pour éviter que les faits ne se reproduisent ? Les victimes que nous avons entendues nous ont souvent parlé des déplacements de prêtres mis en cause.
M. Éric de Moulins-Beaufort. Si autrefois il y a eu beaucoup de prêtres en établissements scolaires, ce n’est plus le cas : nous ne sommes plus dans la situation qui prévalait des années 1950 jusqu’aux années 1980. Très peu de prêtres ont des responsabilités d’enseignement ou de direction ; certains – les « prêtres référents » dans notre jargon – interviennent dans les écoles. Il doit y avoir trois ou quatre cas de prêtres directeurs en France aujourd’hui. Il en va peut-être un peu différemment pour les internats.
Quand un prêtre est condamné, ou qu’il a été mis en cause mais n’a pas pu être condamné parce que les faits étaient prescrits ou trop difficiles à caractériser par la justice, nous avons établi une procédure de suivi. Comme tout citoyen qui n’a pas été condamné, il a le droit de vivre, et il faut bien lui trouver une possibilité de s’employer.
Une commission, présidée par Alain Christnacht, est chargée de conseiller les évêques sur le type de ministère pouvant être confié à tel ou tel prêtre, étant donné ce que l’on peut savoir du dossier. Cela devrait empêcher qu’il se retrouve devant des mineurs.
Nous avons également pris l’engagement de transmettre aux différents lieux les dossiers complets et d’informer sur place. Nous avons publié l’an dernier un vade-mecum qui énonce des règles d’information des personnes qui auraient à se trouver face à ce prêtre.
Quand il s’agit d’enseignants, ils dépendent le plus souvent de l’éducation nationale. Ce sont les règles disciplinaires de celle-ci qui s’appliquent.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous l’avez dit, il y a des prêtres dans les internats, ou dans des structures périscolaires.
M. Éric de Moulins-Beaufort. Des prêtres, mais pas ces prêtres qui ont commis des actes pédocriminels ! En tout cas, nous faisons tout pour que ce ne soit pas possible, pour que l’information soit suffisamment bien partagée et que l’on n’ignore pas le passé d’un prêtre, d’un religieux ou d’une religieuse. Mais nous devons aussi respecter les règles du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui s’imposent à nous comme à tout citoyen français : la personne mise en cause n’est pas sans droits. Il faut arriver à combiner toutes ces contraintes, ce qui peut se révéler complexe.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Le groupe de travail sur l’analyse des causes de violences sexuelles dans l’Église a défini des directions de réflexion, notamment les questions du cléricalisme, de l’entre-soi du monde catholique, et enfin de la morale et de l’anthropologie, mais indique qu’elles n’ont pas été travaillées. Comment estimez-vous pouvoir faire avancer ces questions ? Si elles n’ont pas été approfondies, c’est peut-être le signe d’une vraie difficulté. Quel est le lien avec la prévention des violences sexuelles ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Je partage les conclusions du rapport, mais je suis un peu étonné qu’on lise dans le rapport que ces réflexions n’ont pas avancé.
Un travail a été mené sur la morale sexuelle. Il a donné lieu à un colloque qui s’est tenu à l’université catholique d’Angers. C’est un premier pas, d’autres seront nécessaires, certes.
C’est aussi une discussion qui peut se tenir à l’échelle de l’Église universelle.
J’ajoute que la compréhension de la sexualité, et de la part de violence qu’elle peut contenir, a beaucoup évolué. C’est un élément qu’il faut désormais prendre en considération dans la formation de tous les acteurs – par l’Église, mais aussi par l’État ou d’autres institutions. On ne peut plus être naïf sur ces sujets. Comme l’a dit dans l’une de nos sessions, au début du mois de mars, la présidente des Criav (centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles), on a longtemps pensé que le pervers sexuel était un monsieur en imperméable qui faisait de l’exhibitionnisme devant les petits enfants ; aujourd’hui, on sait que c’est le plus souvent une personne de confiance des enfants. C’est un proche plutôt qu’un inconnu à l’affreux visage qui les menace au coin d’un bois. C’est une idée qui doit être travaillée, et l’Église prendra sa part, mais avec l’ensemble de la société et des personnes compétentes – médecins, psychologues, sociologues… C’est un travail au long cours, qui avance, même si le rythme peut paraître trop lent.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le 20 février dernier, la Conférence des évêques de France a réagi aux révélations concernant l’établissement Notre-Dame de Bétharram. Vous indiquez dans un communiqué de presse être prêts à « agir en tous les domaines de la vie de l’Église pour que le silence soit levé sur tous les faits de violence ». Vous avez d’ailleurs réitéré ici cet engagement.
Quelles actions la Conférence des évêques de France a-t-elle récemment engagées pour combattre ces phénomènes de violence dans les établissements qui relèvent, d’une façon ou d’une autre, de l’enseignement catholique ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Je vous remercie d’avoir indiqué que nous menions ce combat avec sincérité. Il doit désormais s’étendre davantage au sein de l’enseignement catholique.
Nous avons agi avant la publication du rapport de la Ciase, et même avant 2018. Dès 2016, l’enseignement catholique a élaboré un programme de protection des publics fragiles (3PF), renforcé à la suite de la remise du rapport de la Ciase et encore affiné récemment. Ce programme est actuellement déployé dans les 100 diocèses de France, qui ont nommé 122 référents sur ce sujet – certains diocèses bénéficient de l’intervention de plusieurs référents. La Conférence des évêques de France encourage l’enseignement catholique à continuer dans cette voie.
De même, la formation des chefs d’établissement et des directeurs diocésains a été renforcée afin d’améliorer leur compréhension de ce qui a pu se passer – et de ce qui peut encore se passer – et de les éclairer quant aux procédures à suivre lorsqu’un fait leur est signalé. Il est très important qu’ils agissent pour prévenir de telles situations et portent une attention particulière aux fragilités manifestées par certains enfants : elles peuvent témoigner de mauvais traitements, d’agressions sexuelles ou de harcèlement subis à l’école, au sein de la famille, dans un club de sport ou ailleurs. Longtemps, les personnes percevant ce type de signes ne savaient pas très bien à qui s’adresser : nous travaillons aujourd’hui pour que les référents chargés de traiter ces situations soient clairement identifiés et sachent ce qu’ils ont à faire.
Ce travail est donc en cours : il s’inscrit dans la vie ordinaire de l’enseignement catholique. Monseigneur Rivière pourra vous dire que le sujet a été souvent évoqué au sein du Conseil pour l’enseignement catholique, et que le secrétaire général et les différentes instances de l’enseignement catholique ont été encouragés à le prendre au sérieux.
Les révélations concernant Bétharram posent la question du fonctionnement des internats. Ce problème, qui n’avait pas été suffisamment identifié, mérite effectivement un traitement particulier : il s’agit d’entendre, d’accompagner et d’aider les victimes, dans la mesure du possible, mais aussi d’empêcher que les situations décrites puissent se reproduire. Je pense que de telles situations n’existent plus aujourd’hui en France, mais il convient de rester vigilant pour s’en assurer. Pour ma part, j’ai été stupéfait de découvrir que des violences aient pu être commises à Bétharram jusqu’en 1992, 1994 ou 1995, et être signalées à la justice sans susciter aucune réaction. En tant que citoyen français, j’y vois un sujet de grande interrogation.
M. Paul Vannier, rapporteur. Les violences ont probablement perduré jusque dans les années 2000, et peut-être même jusque dans les années 2010, à en croire certains plaignants.
M. Éric de Moulins-Beaufort. Vous parlez ici des violences entre enfants.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pas nécessairement. C’est la justice qui répondra à cette question. Le sujet des violences, notamment sexuelles, commises sur des enfants ne nous renvoie pas seulement au passé : il concerne aussi notre présent et nous incite à agir pour les faire cesser.
Vous avez évoqué des formations renforcées visant à permettre aux directeurs diocésains et aux chefs d’établissement de mieux comprendre et signaler ces phénomènes. Ces formations ont-elles été proposées à partir de 2016 ? Si non, à quel moment l’ont-elles été ? Comment sont-elles organisées ? Ont-elles lieu tous les ans ? Quelle procédure de signalement y est-elle rappelée ?
M. Benoît Rivière. Les chefs d’établissement, qui sont pour nous les personnes centrales en matière de responsabilité – puisque chaque établissement est autonome –, reçoivent une formation initiale de 112 heures réparties sur deux ans. Cette formation comporte, en particulier depuis 2016 – donc avant la remise du rapport de la Ciase –, des modules spécifiques portant sur la protection des mineurs. Monseigneur de Moulins-Beaufort a mentionné le programme 3PF, lui-même décliné en un plan Boussole, qui donne aux chefs d’établissement les outils appropriés pour associer à ce travail leurs équipes pédagogiques. L’instauration d’un climat de bienveillance et de bientraitance est en effet l’affaire de tous.
Cette formation initiale, suivie par l’ensemble des chefs d’établissement de France, sans exception, est complétée par une formation continue, qui peut être assurée, au sein des diocèses, par le directeur diocésain de l’enseignement catholique. Ainsi, en Bourgogne, où j’exerce mes fonctions épiscopales, des journées entières sont spécifiquement consacrées, depuis des années – avant même la publication du rapport de la Ciase, mais plus encore depuis cette date –, à la protection des publics fragiles, à la prévention des violences éducatives et au signalement des violences sexuelles.
Il existe donc bel et bien une formation initiale et continue. Les deux dernières promotions ont même bénéficié des interventions d’un procureur ainsi que de la secrétaire générale de la Ciivise, Mme Alice Casagrande, que vous avez vous-mêmes auditionnée.
Vous m’avez interrogé sur les procédures mises en œuvre. Dans mon diocèse, lorsqu’un fait grave est suspecté, le chef d’établissement adresse immédiatement un signalement au procureur et en informe le directeur diocésain. Il y a donc une action conjointe du chef d’établissement et du directeur diocésain, lorsque l’établissement est sous tutelle diocésaine, ou du responsable de la tutelle congréganiste.
M. Paul Vannier, rapporteur. Parallèlement, le directeur diocésain de l’enseignement catholique ou le responsable de la tutelle congréganiste transmet-il immédiatement cette information à son interlocuteur au sein de l’administration de l’éducation nationale ?
M. Benoît Rivière. Oui. Le secrétaire général d’académie est tenu informé de ces choses-là.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’aimerais vous interroger sur les messages que vous adressez aux prêtres qui interviennent dans les établissements privés sous contrat.
Monsieur de Moulins-Beaufort, vous avez déclaré en 2021, au lendemain de la publication du rapport de la Ciase : « Le secret de la confession s’impose à nous et s’imposera à nous. En cela, il est plus fort que les lois de la République. » On voit bien en quoi cette affirmation est radicalement contradictoire avec la nécessité de signaler une violence, notamment sexuelle, dont témoignerait un enfant, un adolescent ou un adulte lors de ce moment très particulier qu’est la confession. Réitéreriez-vous ce propos aujourd’hui ? L’estimez-vous compatible avec la nécessaire culture du signalement, que vous tentez vous-même de promouvoir, et avec les dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale, dont l’usage est indispensable pour lutter contre les violences faites aux enfants ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Après avoir fait cette déclaration dans le cadre d’une interview sur France Info, j’en ai donné une explication écrite que j’ai soumise au ministre de l’intérieur de l’époque, M. Darmanin, avec lequel j’avais pu m’entretenir.
Ce propos doit être situé dans l’affirmation que nous avons faite de la nécessité de signaler tous ces faits dès que nous en avons connaissance. Il ne faut surtout pas croire que nous voudrions entretenir un climat qui nous permettrait de garder ces témoignages pour nous. Il est nécessaire de signaler de tels faits : c’est pourquoi nous devons conduire les personnes qui nous les rapportent – les plaignants, les victimes ou ceux qui détiennent une information, quelle qu’elle soit – à les signaler ou à se signaler aux autorités civiles. Le prêtre qui reçoit une confidence doit évaluer comment agir au mieux pour que cette information soit connue des autorités judiciaires et policières de notre pays.
La confession, qui consiste à recevoir le sacrement du pardon, est un moment très particulier, singulier, pour nous autres catholiques. Ce n’est d’ailleurs pas forcément le lieu privilégié pour apprendre ce genre de faits. Pour ma part, je n’ai pas rencontré de prêtres disant en avoir pris connaissance dans le cadre du sacrement du pardon – ce qui pose d’ailleurs d’autres questions. Nous voulons surtout nous préparer au cas où des enfants ou des adolescents, encouragés par la libération de la parole, saisiraient la confession comme une occasion pour en parler.
Encore une fois, le sacrement du pardon est un moment spécial, lors duquel le pénitent est assuré que sa parole est adressée à Dieu et qu’elle n’aura donc pas de conséquences humaines. Cela encourage celui qui vient se confesser à avoir une parole plus libre. Ce sacrement peut cependant servir de point d’appui pour conduire à une autre parole, laquelle pourra donner lieu à un signalement, éventuellement émis par le pénitent lui-même.
Pour le moment, les lois de la République reconnaissent aux prêtres et aux ministres du culte un certain droit au secret, dont bénéficient d’ailleurs aussi les avocats et les médecins. Ce droit doit être utilisé avec discernement.
Les confidences reçues en confession doivent être considérées dans le cadre d’un travail global que nous menons afin que les victimes soient écoutées de manière efficace. Je me suis rendu compte à plusieurs reprises qu’il était terrible, pour les victimes qui se sont exprimées, d’avoir l’impression que leur parole, même accueillie avec bienveillance, n’emporte aucune conséquence. Depuis six ans que je préside la Conférence des évêques de France et depuis la remise du rapport de la Ciase, je me bats donc pour que la parole des victimes soit efficace et suivie d’effet. La loi qui impose de signaler toute information relative à des violences commises sur des personnes vulnérables nous aide, parce qu’il est arrivé à plusieurs reprises que des victimes se confient à nous en demandant que leur parole n’ait pas d’effet. Or, malgré cette demande, ces personnes finissaient par s’étonner qu’aucune suite n’ait été donnée à leur témoignage. Tout le travail du confesseur doit consister à amener son interlocuteur à exprimer une parole qui puisse être utilisée dans le cadre d’un signalement.
M. Paul Vannier, rapporteur. Si un prêtre reçoit, dans le cadre d’une confession, le témoignage d’un viol commis sur un enfant, il ne doit donc pas, d’après vous, le signaler à la justice ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Il doit fait preuve de discernement et d’intelligence dans sa relation avec la personne qui lui livre ce témoignage. Cela dépend de la situation : est-ce l’enfant ou le coupable qui lui fait cette confidence ? Ce n’est pas tout à fait la même chose ! Quoi qu’il en soit, le prêtre doit travailler pour qu’il en sorte une parole utilisable.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous avez fait référence au statut des médecins. Or le secret médical ne s’impose pas lorsqu’un mineur, qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, témoigne de faits de violences physiques ou sexuelles auprès d’un médecin. Ce dernier a alors l’obligation de révéler ces faits à l’autorité judiciaire.
M. Éric de Moulins-Beaufort. Pour autant que je sache, le médecin peut révéler ces faits sans encourir de sanctions de la part de son ordre. Il doit faire preuve de discernement. Tel est l’état de notre droit, et je considère que c’est l’honneur de notre République que de permettre ces lieux de parole différenciés dans une société comme la nôtre. Pour dire les choses autrement, les médecins ont la possibilité de transgresser le secret médical sans être sanctionnés lorsqu’ils révèlent des violences sexuelles commises sur des personnes mineures ou vulnérables.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ils ont l’obligation de le faire.
Vos propos sont extrêmement clairs : pour vous, le prêtre qui recevrait en confession une information relative au viol d’un enfant n’est pas obligé de la transmettre à la justice.
M. Éric de Moulins-Beaufort. Il a l’obligation d’en faire quelque chose.
M. Paul Vannier, rapporteur. Mais que peut-il faire d’autre qu’un signalement à la justice ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Chaque cas est particulier : cela dépend de ce que le prêtre peut obtenir de la personne qui se confesse. Si c’est un enfant ou un jeune, le prêtre peut l’encourager à lui raconter les faits en dehors du cadre sacramentel, symbolique, de la confession : il sera alors libre de sa parole. Plusieurs dispositifs sont possibles, et nous travaillons justement en vue de renforcer notre capacité à recevoir la parole des enfants.
Je rappelle que la confession se fait dans un certain anonymat. Elle se tient d’ailleurs parfois dans un confessionnal, où le prêtre ne voit pas le pénitent, auquel il ne demande pas son nom. Il ne dispose donc pas toujours des éléments pour faire le signalement dont vous parlez. Vraiment, tout dépend de la situation.
Quoi qu’il en soit, le prêtre a le devoir de chercher comment faire aboutir la parole qu’il a reçue.
M. Paul Vannier, rapporteur. Mais vous ne demandez pas au prêtre de transmettre systématiquement au procureur un signalement sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, dès lors qu’il connaîtrait l’identité de la personne en cause et qu’il aurait suffisamment d’éléments pour le faire.
M. Éric de Moulins-Beaufort. Autant que je sache, les prêtres ne sont pas des fonctionnaires de l’État. L’article 40 du code de procédure pénale ne s’impose donc pas à eux.
Encore une fois, le prêtre ne demande pas au pénitent de décliner son identité : il ne sait donc pas forcément qui il reçoit en confession. Et si la personne n’a pas envie de donner son nom, elle ne le donnera pas.
M. Paul Vannier, rapporteur. C’est très clair.
Vous avez dit que la Conférence des évêques de France avait pour rôle d’accompagner le secrétariat général de l’enseignement catholique. Or, dans un courrier adressé en novembre 2024 au cabinet de la ministre de l’éducation nationale, M. Delorme, que nous avons auditionné il y a quelques semaines, qualifiait le guide du contrôle des établissements privés sous contrat, alors en cours d’élaboration, de « manuel de l’inquisiteur ». Cette appréciation est-elle partagée par la Conférence des évêques de France ?
M. Benoît Rivière. La parole est libre, et il me semble que M. Delorme s’en est expliqué devant votre commission. Il n’est évidemment pas opposé au contrôle de l’État – ce n’est jamais la position du Sgec.
Cette lettre a été envoyée alors que nous venions de connaître une très belle expérience de concertation entre l’État et l’enseignement catholique à propos d’un dispositif d’évaluation, pour lequel le Sgec avait travaillé de concert avec les services du ministère de l’éducation nationale afin de définir les nomenclatures et les cahiers des charges. Le dialogue s’était étendu aux réseaux d’enseignement privé non catholique, et l’État avait même demandé au Sgec de participer à la formation des évaluateurs.
Ce processus a été exemplaire et mériterait d’être poursuivi. Il permet en effet d’effectuer non pas un contrôle disciplinaire, mais d’amener les établissements à procéder à leur autoévaluation. L’établissement contrôlé élabore un dossier préparatoire, qu’il transmet à une équipe d’évaluateurs relevant à la fois de l’enseignement public et de l’enseignement privé sous contrat. Ces derniers visitent alors l’établissement, où ils peuvent interroger qui ils veulent ; une semaine plus tard, après avoir mené un travail précis, scientifique, basé sur des nomenclatures, ils viennent rendre compte de leur évaluation devant toute la communauté éducative. D’après ce que j’ai vu dans mon diocèse et entendu au Sgec, c’est un dispositif qui a bien fonctionné mais n’a pas encore été appliqué à tous les établissements.
C’est dans cet esprit que M. Delorme a posé quelques questions sur d’autres contrôles.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je pense que vous faites une erreur d’interprétation. Il est vrai que des évaluations d’établissements ont été engagées il y a quelques années et que les établissements privés sous contrat sont ainsi évalués au rythme prévu. Cependant, le guide que j’ai évoqué porte sur le contrôle administratif des établissements privés sous contrat. C’est ce projet de guide que le secrétaire général de l’enseignement catholique a qualifié de « manuel de l’inquisiteur ». Dans son courrier de trois ou quatre pages, il s’oppose radicalement à la perspective d’un renforcement du contrôle, puisqu’il demande la suppression de vingt-six points et de deux des huit fiches de contrôle prévues, notamment de celle relative à la vie scolaire et aux internats. Or, vous l’avez vous-mêmes indiqué, la question des internats est cruciale. Nous étions alors en novembre 2024, avant les dernières révélations sur l’établissement Notre-Dame de Bétharram, où des crimes sexuels ont été commis, en particulier, à l’encontre d’élèves internes.
Permettez-moi donc de préciser ma question : l’appréciation que le secrétaire général de l’enseignement catholique porte dans ce courrier est-elle partagée par la CEF ? Est-elle discutée par cette instance ? Au contraire, est-ce en toute autonomie, de sa propre initiative, sans que vous ayez été associés, consultés ou informés, que le secrétaire général de l’enseignement catholique s’est adressé en ces termes au ministre de l’éducation nationale ?
M. Benoît Rivière. Je n’ai pas confondu les deux types de contrôle ; j’ai voulu décrire l’esprit dans lequel le secrétaire général travaille avec l’État. Je n’approuve évidemment pas la formulation utilisée, mais la correspondance que le secrétaire général adresse au ministère ne requiert aucune validation, par qui que ce soit dans l’épiscopat, en application du principe de subsidiarité. J’entends bien que le dispositif d’évaluation est différent du contrôle que vous évoquez, mais je tenais à souligner qu’il avait été conçu dans un bon état d’esprit. C’est de cette manière que nous voulons travailler ensemble, secrétariat général de l’enseignement catholique et ministère.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour vous, il est donc très clair que les contrôles opérés par les services de l’État, notamment par les services d’inspection de l’éducation nationale, doivent également porter sur la vie scolaire, l’internat et l’ensemble des moments de la vie de l’élève.
M. Benoît Rivière. Oui, naturellement, car la vie scolaire concerne la sécurité des enfants et des locaux, la protection de l’enfance ainsi que le respect des valeurs de la République. Elle touche cependant aussi à des domaines qui relèvent de la liberté du chef d’établissement – ce qui ne signifie pas qu’il y a des choses à cacher !
En aucun cas le secrétaire général n’a voulu s’opposer au contrôle administratif de l’État. Son intention était de discuter de certaines formalités liées à ce contrôle.
M. Paul Vannier, rapporteur. Quand on appelle à la suppression de pans entiers d’un guide, c’est que l’on s’y oppose ! Mais chacun est libre d’avoir son appréciation. Vous nous confirmez donc que vous ne vous retrouvez pas dans les termes utilisés par le secrétaire général de l’enseignement catholique.
Le mandat de ce dernier va s’achever, et la Conférence des évêques de France a fait le choix d’élire une autre personne à cette fonction. Avez-vous transmis au nouveau secrétaire général une feuille de route qui aborde en particulier la question des violences physiques, psychologiques et sexuelles dans les établissements privés sous contrat relevant de l’enseignement catholique ? Le cas échéant, que contient cette feuille de route à ce sujet ?
M. Benoît Rivière. M. Philippe Delorme va effectivement bientôt quitter ses fonctions, puisque le statut prévoit un mandat de trois ans renouvelable une fois. Pour lui succéder, les évêques viennent d’élire M. Guillaume Prévost, qui prendra ses fonctions le 1er septembre. À l’évidence, les contacts commencent à être pris, puisque l’actuel et le futur secrétaire général se sont rencontrés pour organiser la passation des pouvoirs. La protection des publics fragiles, notamment des enfants, est naturellement l’un des sujets majeurs dont ils seront amenés à discuter.
M. Paul Vannier, rapporteur. Dans sa déclaration du 20 février 2025, que j’ai évoquée tout à l’heure, la Conférence des évêques de France a regretté « que les contrôles prévus et les différentes inspections qui ont eu lieu, tant de la part de l’éducation nationale que de celle des structures de l’enseignement catholique, sur une période de plus de cinquante ans, n’aient pas permis de mettre au jour la réalité inqualifiable que subissaient les enfants scolarisés au sein de [l’établissement Notre-Dame de Bétharram] ». Vous évoquez donc des contrôles qui auraient été conduits par des « structures de l’enseignement catholique ». Quels ont été ces contrôles, et à quelles conclusions ont-ils abouti ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. C’est moi qui ai rédigé cette phrase, et je dois dire que je l’ai fait avec une certaine naïveté, du fait de ma relative ignorance du fonctionnement passé de l’enseignement catholique. Je suis moi-même un pur produit de l’enseignement républicain, et je n’ai connu l’internat qu’en collège militaire – où je n’ai jamais subi de violences, de quelque ordre que ce soit. Il me semblait évident qu’il y avait, comme aujourd’hui, des contrôles ou ce que nous appelons des visites de tutelle ; or j’ai appris après coup que, jusqu’en 1992, cela ne se faisait pas, et qu’un établissement comme Bétharram avait donc pu vivre dans une sorte de solitude, peut-être entretenue compte tenu du caractère particulièrement pervers d’un certain nombre de ses responsables. Je suivrai avec attention les travaux de la commission historique mise en place par la congrégation pour comprendre ce qui s’est réellement passé et comment cet établissement a pu vivre dans une telle autarcie, dans un silence qui a permis à des gens extrêmement dangereux de sévir pendant longtemps et même de se succéder. Pour moi, il s’agit vraiment d’une très grande interrogation et d’un très grand scandale.
Je le répète, j’ai découvert que les contrôles et visites qui existent aujourd’hui et auxquels je suis habitué depuis que je m’intéresse à l’enseignement catholique, n’existaient pas jusque dans les années 1990. En tout cas, ils n’étaient pas organisés de manière aussi rigoureuse. Il est donc tout à fait possible qu’aucun contrôle n’ait été exercé à Bétharram, ce que je trouve très grave et ce qui met en cause, de mon point de vue, la congrégation responsable de cet établissement.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous avez évoqué la commission ad hoc que la congrégation vient de mettre en place à propos des crimes commis à Bétharram. J’ai en ma possession une note de monseigneur Vuillemin « à propos du dispositif d’accompagnement des personnes en cas d’abus sexuels sur majeurs ». C’est le dossier H dont vous avez discuté, je crois, lors de la dernière assemblée plénière des évêques de France. Cette note appelle notre attention sur les structures de justice restaurative que l’Église a mises en place, telles que l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) ou la commission Renaissance et réparation (CRR), dont nous avons d’ailleurs auditionné des représentants. Elle semble faire état de certaines interrogations, puisqu’elle indique que la notion de tiers de justice pose question et qu’elle pointe une tentation de « créer une justice parallèle ». Quelle est donc votre appréciation sur ces structures que l’Église a mises en place dans le cadre de l’affaire Bétharram et qui sont distinctes du cadre républicain, de la justice ordinaire dont relèvent normalement de tels crimes ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Nous considérons tous que la justice de la République doit passer là où elle le peut. Comme tout citoyen et comme toute structure existant dans l’État français, nous devons faire en sorte qu’elle puisse s’exercer.
Nous avons mis en place des dispositifs particuliers de justice restaurative pour les cas où la justice républicaine ne peut pas passer, notamment parce que les faits sont prescrits. L’Inirr et la CRR traitent par exemple des dossiers où les personnes mises en cause sont décédées et ne peuvent donc pas se défendre, ou des dossiers où la qualification des faits est insuffisante pour que se tienne un procès, en raison notamment du régime des preuves dont la justice a besoin. Toutefois, ces dispositifs de justice restaurative ne remplacent pas la justice de la République : ils ne font que la compléter, pour le bien des personnes victimes. C’est en tout cas l’esprit dans lequel nous entendons agir.
M. Xavier Breton (DR). Comme lors de l’audition du secrétaire général de l’enseignement catholique, nous avons vu la confrontation de deux cultures : une logique de fonctionnement fondée sur la subsidiarité et l’autonomie, décrite par les évêques, et une logique jacobine, centralisatrice, qui transparaît des questions posées par nos rapporteurs.
Il est vrai que la subsidiarité a du bon, mais lorsque des chapes viennent couvrir un établissement ou un diocèse, les informations ne peuvent pas remonter et être prises en compte au niveau national. Réfléchissez-vous donc à une évolution de l’organisation de l’enseignement catholique, qui permettrait de faciliter la remontée d’informations tout en conservant le principe de subsidiarité ?
M. Éric de Moulins-Beaufort. Cette question est très importante. De fait, l’organisation de l’enseignement catholique est fondée sur les libertés d’association et d’enseignement telles qu’elles sont prévues par la loi française, notamment par la loi Debré de 1959. Le défi consiste à maintenir l’autonomie et la liberté pédagogique tout en empêchant que des situations deviennent hors de contrôle.
Je l’ai dit à plusieurs reprises : tout Français et même tout être humain est aujourd’hui de plus en plus conscient qu’une relation d’autorité sur des enfants risque d’être pervertie, jusqu’à la sexualisation, et que les conséquences en sont extrêmement graves. Pendant très longtemps, même la justice n’a pas tenu compte de la situation des enfants : jusque dans les années 2000, certaines décisions rendues ont sanctionné le geste du coupable mais n’ont absolument pas pris en compte ses effets sur les victimes. Cela ne peut plus durer. Il est donc impératif que la confiance s’accompagne d’une évaluation, d’un contrôle, notamment sur la question des violences, à laquelle nous sommes heureusement beaucoup plus sensibles, mais dont nous sommes surtout plus informés que les générations précédentes.
Cela fait pour nous l’objet d’une réflexion constante. Parce qu’il faut du temps pour mener ce travail, je compte sur le futur secrétaire général de l’enseignement catholique pour améliorer la circulation des informations entre les directions diocésaines et les tutelles congréganistes. En général, les échanges se passent bien, mais nous pouvons certainement renforcer le travail commun sur ce sujet et homogénéiser les pratiques pour que les signalements et les alertes soient mieux traités et que nous soyons plus vigilants sur ce que les enfants vivent non seulement dans leur établissement, mais aussi en dehors de l’école, parce que ce qu’ils endurent à l’extérieur peut retentir sur leur comportement scolaire.
Pour rendre notre action encore plus efficace, nous aurions besoin de plus de moyens. Ainsi, nous disposons de psychologues, mais de très peu de médecins scolaires – le privé est encore plus défavorisé que le public en la matière.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Géraldine Bannier, M. Xavier Breton, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Graziella Melchior, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. Arnaud Bonnet, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Nicole Sanquer.