Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de M. Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon, membre du conseil d’administration de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) 2
– Présences en réunion..............................12
Mardi
29 avril 2025
Séance de 17 heures 30
Compte rendu n° 61
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à dix-huit heures.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), M. Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon, membre du conseil d’administration de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR).
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous reprenons nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires en recevant M. Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon, membre du conseil d’administration de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR). Je rappelle que nous avons auditionné au début du mois d’avril Mme Sophie Macquart-Moulin, directrice adjointe des affaires criminelles et des grâces.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Olivier Caracotch prête serment.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Disposez-vous de données sur le nombre de plaintes adressées au parquet relatives à des violences commises par des adultes sur des enfants en milieu scolaire ? En outre, disposez-vous de données sur le nombre de signalements reçus chaque année au titre de l’article 40 du code de procédure pénale concernant ce même type de violences ?
M. Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon, membre du conseil d’administration de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR). Je vous remercie d’avoir convié la Conférence nationale des procureurs de la République. En matière de prévention des violences dans les établissements scolaires, les procureurs de la République sont fort peu confrontés à une problématique de violence des enseignants ou du personnel de l’éducation nationale sur des élèves. Notre quotidien est plutôt constitué de violences entre élèves ou de violences sur le personnel enseignant, soit commis par des mineurs, soit commis par des parents. Les violences commises par les enseignants ou le personnel sur les mineurs sont plutôt un épiphénomène dans les parquets.
En outre, la CNPR n’a pas vocation à recueillir des données nationales et Mme Sophie Macquart-Moulin, directrice adjointe des affaires criminelles et des grâces, est peut-être la seule à pouvoir vous donner ces chiffres. Cependant, pour avoir précédemment occupé ses fonctions, je pense qu’elle a rencontré beaucoup de difficultés à vous communiquer de tels éléments pour des raisons statistiques. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de vous fournir des données globales nationales. Je serais même bien incapable de vous transmettre les données qui concernent le parquet que je dirige, à savoir le parquet de Dijon, sauf à effectuer un recensement des procédures, tout en s’assurant qu’elles arrivent toutes au même endroit, ce qui globalement est le cas dans mon parquet. En effet, des circuits y ont été définis, mais ce n’est pas le cas partout. Nous sommes donc relativement aveugles sur les questions de volumétrie, même si je crois pouvoir dire qu’elle reste fort heureusement extrêmement réduite.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans les témoignages de collectifs de victimes ou de victimes qui nous écrivent, nous avons relevé beaucoup de critiques sur la justice. Elles portent d’abord sur le suivi des plaintes qui ont été déposées auprès des parquets depuis de très nombreuses années. En effet, certains disent que la parole ne s’est pas libérée, mais dans beaucoup de cas de violences dans les établissements scolaires, des plaintes ont été émises sans être suivies d’effet, comme à Bétharram, à Riaumont ou au lycée Bayen de Châlons-en-Champagne, que nous avons visité avec mon corapporteur Paul Vannier.
Cette réalité – le classement sans suite ou l’absence de retour d’information aux lanceurs d’alerte – peut être liée aux difficultés que connaît la justice en termes de moyens, mais aussi – et nous avons pu en parler avec la procureure à Châlons-en-Champagne – à l’inadaptation de certaines dispositions législatives au traitement de ce type de situations. Nous avons compris qu’avant la loi du 14 avril 2016 il n’existait pas d’obligation d’information aux administrations. Par exemple, lorsqu’un parquet était saisi par des parents d’élèves d’un cas de violence sexuelle commis par un enseignant, les procureurs n’avaient aucune obligation de signaler l’ouverture de l’enquête auprès de l’administration employeuse pour protéger d’autres enfants.
La loi du 14 avril 2016 a donc prévu l’obligation pour la justice de prévenir l’administration employeuse lorsqu’un agent commet certains faits, notamment dans l’éducation nationale. Cette obligation concerne des délits importants, dont les violences sexuelles, et est applicable à une liste de personnels définis. Elle s’applique uniquement dans le cadre d’un placement sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’exercer au contact de mineurs ou de condamnations. Cependant, l’ouverture d’une enquête n’emporte pas l’obligation d’informer l’administration, ce qui peut poser un problème dans les cas systémiques dont nous avons eu connaissance. Pouvez-vous nous faire part de vos réactions à cet égard ? Est-il nécessaire de modifier la loi du 14 avril 2016 ?
M. Olivier Caracotch. L’absence de retour sur les classements sans suite constitue effectivement une réalité regrettable. L’institution judiciaire a certes progressé ces dernières années, mais des améliorations restent nécessaires dans ce domaine. La législation actuelle est assez claire à ce sujet et l’article 40 nous impose d’aviser les personnes ayant déposé plainte de la suite réservée à celle-ci. Cependant, diverses raisons, plus ou moins valables, ainsi qu’une culture profondément ancrée, font que cette obligation d’information n’est pas encore pleinement respectée.
J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’être entendu par votre collègue M. Jiovanny William, rapporteur d’une proposition de loi visant à renforcer l’obligation de notification des classements sans suite aux victimes.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. L’obligation d’opérer un retour d’information existe déjà, que ce soit dans le cadre d’un article 40 ou d’une plainte classique. En effet, les procureurs sont actuellement tenus d’informer du classement sans suite, en précisant le motif, ou de la poursuite de l’affaire. Dans ce contexte, quelle serait la nouveauté apportée par une proposition de loi ?
M. Olivier Caracotch. Je ne me souviens pas précisément des dispositions du texte, mais de mémoire, il prévoyait que la victime puisse choisir le mode de notification – électronique, par lettre recommandée, etc. Il abordait également la difficulté de compréhension des notifications générées par l’application Cassiopée pour nos concitoyens. L’objectif était d’adopter un langage plus compréhensible concernant les motifs de classement sans suite, qui sont souvent des motifs types générés automatiquement par le logiciel, et d’améliorer les capacités à contester les classements sans suite.
J’ai expliqué à votre collègue que l’obtention systématique d’avis constituerait déjà une avancée significative. Cependant, leur absence s’explique par deux raisons principales, dont la première concerne le manque de moyens. La seconde est liée au développement du traitement en temps réel – téléphonique et informatique – des procédures, notamment avec la procédure pénale numérique et les instructions permanentes. Pour gérer les flux, les parquets ont mis en place des systèmes de classement sans suite quasi automatiques pour certains cas, comme les atteintes aux biens de faible valeur dans le cas où certaines investigations ont été réalisées.
Ces instructions permanentes de classement sans suite ont pour objectif que les greffes ne manipulent plus les dossiers, réduisant ainsi les retards. Cependant, dans ces situations, ce sont les forces de sécurité intérieure qui sont chargées de notifier la décision de classement sans suite, prise soit par téléphone, soit par courriel par le magistrat du parquet, ou en application de directives permanentes. Les forces de sécurité intérieure considèrent souvent, à tort ou à raison, que notifier une décision de classement sans suite correspond à des tâches indues relevant de la justice, et ne les effectuent pas systématiquement.
Bien que des progrès aient été réalisés concernant les retours sur les classements sans suite, notamment pour les affaires de moindre gravité, des améliorations restent nécessaires. Les affaires dont votre commission s’est saisie ne sont toutefois pas concernées par ces problèmes de notification.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Notre commission d’enquête se concentre en effet sur les violences commises par des adultes ayant autorité dans les établissements scolaires. Nous nous intéressons particulièrement au rôle de lanceur d’alerte, notamment lorsqu’un enseignant effectue un signalement au titre de l’article 40 ou dépose une plainte concernant des faits systémiques au sein d’un établissement. Dans ce contexte, la question ne porte pas uniquement sur le retour d’information concernant un classement sans suite, mais aussi sur l’information fournie à la personne qui a eu le courage d’agir dans un système où règne une forme d’omerta.
Notre interrogation porte sur l’évolution récente des pratiques des parquets. Compte tenu de l’actualité qui a motivé la création de cette commission d’enquête, observez-vous un changement dans la prise en compte de ce type de plaintes ? Les parquets accordent-ils une attention particulière au retour d’information fait aux lanceurs d’alerte ou aux personnes qui effectuent des signalements dans le cadre de violences faites aux enfants en milieu scolaire ?
M. Olivier Caracotch. Nul n’est insensible à l’actualité dans les parquets, où des instructions ont porté sur la prise en compte de mineurs victimes. Cependant, je distinguerai les lanceurs d’alerte des signalements effectués au titre de l’article 40 par des dépositaires de l’autorité publique ou des personnes chargées de mission de service public. Pour ces derniers, l’obligation d’information est prévue par l’article 40 lui-même.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je fais spécifiquement référence à la situation d’un enseignant qui effectue un signalement au titre de l’article 40 et qui ne reçoit jamais de retour d’information. L’enseignant est bien dépositaire de l’autorité publique et je le qualifie de lanceur d’alerte, car il s’agit souvent d’un enseignant isolé, comme à Bétharram, à Riaumont ou à Bayen. Indépendamment du statut de l’établissement, nous constatons que des femmes ont le courage de déposer une plainte et d’alerter les parquets, mais ne reçoivent jamais d’information sur les suites données par ceux-ci. Certains cas sont anciens – et nous imaginons que la situation a pu évoluer avec le temps –, mais ma question porte sur la situation actuelle. Les révélations importantes et systémiques récentes ont-elles entraîné des réactions, des adaptations ou une vigilance particulière sur ces cas auprès des différents parquets ?
M. Olivier Caracotch. Je distingue le signalement au titre de l’article 40 des autres types de signalements, car celui-ci impose une obligation d’informer sur les suites données. En outre, je pense que les parquets n’ont pas d’obligation légale d’informer une personne qui n’est pas victime et qui ne révèle pas des faits dans le cadre de ses fonctions de chargé de mission de service public.
Je dois admettre que nous faisons parfois preuve d’une certaine réticence, par crainte du risque d’instrumentalisation. Lorsqu’une révélation ne suit pas la voie hiérarchique habituelle – direction de l’enseignement diocésain pour l’enseignement catholique, DSDEN (direction des services départementaux de l’éducation nationale) –, nous nous demandons toujours si la justice ne va pas être instrumentalisée, ce qui ne signifie toutefois pas que l’enquête n’est pas menée. Cependant, si l’enquête aboutit à un classement sans suite, il est probable que nous ne pensions pas à en informer la personne à l’origine du signalement, car elle n’est ni partie à la procédure, ni mise en cause, ni victime. De plus, il existe une appréhension que l’information fournie puisse être utilisée à des fins prud’homales ou devant le tribunal administratif. Cette appréhension ne signifie pas qu’il ne faut pas informer, mais elle explique une certaine réticence à le faire.
Concernant les limitations très strictes des informations fournies aux établissements sur les enquêtes en cours, évoquées dans la loi de 2016, nous sommes confrontés à deux intérêts contradictoires. D’une part, l’information des protagonistes, potentiellement pour prévenir la commission de nouvelles infractions, ce qui explique l’orientation de la loi de 2016 vers les infractions les plus graves ; d’autre part, nous devons prendre en compte la nécessité de préserver le secret de l’enquête.
Les forces de l’ordre et la justice partagent la préoccupation de préserver les investigations en les maintenant secrètes le plus longtemps possible. Cette approche vise deux objectifs : garantir l’efficacité des enquêtes ; prévenir leur instrumentalisation. Bien que vous citiez des cas marquants et établis, nous recevons également de nombreuses révélations qui s’avèrent erronées ou non confirmées par les investigations. Dans certains cas, nous parvenons à établir qu’il s’agit d’accusations calomnieuses poursuivant d’autres objectifs que la protection des enfants.
Le procureur de la République ne peut pas considérer le contenu d’un signalement comme une vérité judiciaire établie. Il est en outre soumis à des règles qui se sont durcies. Par exemple, il doit informer la hiérarchie de la personne mise en cause après l’engagement des poursuites ou le placement sous contrôle judiciaire. L’article 11-2 du code de procédure pénale dispose que, lorsque nous informons la hiérarchie de poursuites, d’investigations ou d’un contrôle judiciaire engagés à l’égard d’une personne, nous sommes également tenus d’en aviser cette dernière.
Si vous nous contraignez par la loi à informer la hiérarchie plus en amont, il faudrait être extrêmement vigilant au regard de cet article 11-2. En effet, si nous devions informer le mis en cause avant sa garde à vue, la mesure serait contre-productive en termes d’investigations.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous évoquez l’instrumentalisation potentielle par certains lanceurs d’alerte qui seraient des enseignants. Cependant, je souhaite attirer votre attention sur la majorité des enseignants, particulièrement les directeurs d’établissements scolaires, d’écoles primaires et maternelles. Leurs syndicats nous ont clairement exprimé qu’ils avaient toujours l’impression d’évoluer à contre-courant.
Effectuer un signalement au titre de l’article 40 requiert de l’énergie, notamment pour étayer les témoignages. Cependant, ils n’ont jamais de retour et sont lassés de produire un travail difficile et long, sans recevoir d’information ensuite.
Vous mentionnez l’existence de quelques cas d’instrumentalisation ; je n’en ai pas connaissance et ils n’ont pas non plus été portés à la connaissance notre commission. En revanche, une majorité d’enseignants, par la voix des syndicats, a indiqué être désespérée face à l’absence de retour relativement aux signalements effectués au titre de l’article 40.
M. Olivier Caracotch. Nos propos ne sont pas contradictoires. Je vous garantis que nous recevons parfois des révélations qui s’avèrent non confirmées, voire totalement calomnieuses. Cependant, nous sommes également destinataires de signalements au titre de l’article 40 tout à fait justifiés. Je reconnais que le retour d’information est extrêmement variable et dépend souvent de dispositifs locaux ou interpersonnels, généralement avec la hiérarchie départementale de l’éducation nationale, notamment le Dasen (directeur académique des services de l’éducation nationale), le responsable de l’enseignement diocésain ou la Draaf (direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) pour l’enseignement agricole. Les échanges sont plus fréquents avec ces organes qu’avec l’auteur direct du signalement au titre de l’article 40 lorsqu’il s’agit d’un directeur d’établissement.
En Côte-d’Or, la plupart des signalements passent par la DSDEN, conformément au circuit que nous avons défini. Lorsqu’une personne, comme un chef d’établissement, me signale directement les faits, il s’agit d’une méconnaissance de ce circuit ou d’une défiance envers la DSDEN. Le retour d’information se fait souvent auprès du Dasen, bien qu’il devrait également être communiqué au directeur d’école.
Je reçois fréquemment des demandes de suivi concernant des articles 40 envoyés, auxquelles je m’efforce de répondre. Ces relances interviennent souvent deux semaines, quatre semaines ou deux mois après l’envoi initial, ce qui est malheureusement incompatible avec les délais de traitement de nos procédures, sauf pour les cas nécessitant une intervention immédiate des forces de sécurité intérieure.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Lors de notre visite à Châlons-en-Champagne, la procureure nous a présenté une convention qu’elle a mise en place à son arrivée, il y a environ un an et demi. Celle-ci implique la DSDEN de la Marne et les parquets de Châlons-en-Champagne et de Reims. Elle porte sur la prise en charge coordonnée des violences et maltraitances révélées en milieu scolaire.
La procureure a jugé utile, au-delà de la circulaire du garde des sceaux du 5 septembre 2023 relative aux infractions en milieu scolaire, de préciser au niveau local les modalités de transmission des informations préoccupantes et des signalements entre l’éducation nationale et la justice. Cette convention en détaille les modalités de mise en œuvre et précise les contacts utiles au sein des deux parquets.
La procureure nous a indiqué qu’il s’agissait d’une initiative de sa part. En tant que représentant de l’ensemble des parquets de France, pouvez-vous nous dire si ces conventions existent partout ou sont en cours de rédaction ? Y a-t-il une volonté d’harmoniser et de mettre à niveau les collaborations entre l’éducation nationale et la justice dans chaque département ?
Cette convention prévoit en outre que l’école ou l’établissement scolaire rédige les signalements destinés aux parquets, s’assure qu’ils respectent la trame élaborée avec le parquet et les transmet directement par courriel à la permanence du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne, avec copie à l’académie de Reims. Par conséquent, le processus ne passe pas par la DSDEN. Le fonctionnement est-il adapté selon chaque département ?
M. Olivier Caracotch. Je vous enverrai la convention type. Je pense qu’elle date de mai 2022 et qu’elle prévoit également un circuit de signalement, mais je ne voudrais pas avancer d’informations inexactes.
Des conventions types circulent entre les départements et je sais qu’il en existe une en Côte-d’Or, mais je suis incapable de vous affirmer avec certitude que tous les départements en sont dotés. La nôtre couvre tous les types d’infractions et détaille les modes de circulation de l’information et les procédures de signalement.
Je sais que la DSDEN avait insisté pour être un point de passage obligatoire afin d’être informée de tous les événements, car elle rencontre des difficultés avec le logiciel de signalement des événements marquants et des infractions par les établissements.
Je ne peux garantir que tous les parquets ont signé des conventions, mais tous en ont connaissance et ont été encouragés à le faire. Il existe également une circulaire plus ancienne, datant du 16 septembre 2015, cosignée par le ministre de l’éducation nationale et le garde des sceaux de l’époque, qui demandait la désignation de référents.
Chaque parquet dispose d’un référent éducation nationale qui interagit directement avec le référent justice de l’éducation nationale. Dans ma convention, j’ai veillé à être personnellement informé des éléments importants, en plus du référent désigné. Il est vrai que des spécificités et des inégalités existent au niveau local. Par exemple, j’ai mis en place dans mon département un observatoire qui se concentre sur les infractions commises sur les enseignants. Cette initiative fait suite à une visioconférence réunissant tous les procureurs avec les ministres de l’éducation, de l’intérieur et de la justice, pour mettre l’accent sur ce type d’infractions. Depuis 2023, nous organisons des réunions semestrielles avec les directeurs de l’éducation nationale ainsi que de l’éducation diocésaine et la Draaf pour examiner spécifiquement les infractions subies par le personnel enseignant et d’encadrement. Ces rencontres offrent également l’opportunité d’aborder d’autres sujets connexes.
M. Paul Vannier, rapporteur. La représentante de la Chancellerie que nous avons récemment auditionnée nous a indiqué que lorsqu’une personne dépose une plainte pour des faits de violences sexuelles présumées, une enquête est systématiquement ouverte, même si ces faits sont prescrits. Cette enquête aurait pour objectif d’identifier un agresseur et, le cas échéant, de prévenir la réitération de tels crimes. Pouvez-vous nous confirmer que, y compris dans les cas où les faits seraient prescrits, toute plainte concernant des violences sexuelles sur enfant entraîne automatiquement l’ouverture d’une enquête ?
M. Olivier Caracotch. Je confirme l’existence d’instructions nationales à ce sujet et, à ma connaissance, elles sont appliquées de manière globale. Elles le sont dans mon département et je n’ai pas connaissance de personnes qui ne les appliqueraient pas. Cette démarche présente l’avantage significatif d’offrir un début de réponse aux victimes, même s’il est souvent source de déception. En effet, bien que le procureur ordonne une enquête et que la personne soit entendue, l’absence de poursuites ou de sanctions, due à l’impossibilité d’agir, peut certes être vécue comme une consolation pour certaines victimes, mais elle peut constituer une profonde déception pour d’autres. Cette approche s’inscrit également dans une tendance croissante des parquets à mettre en place des dispositifs de justice restaurative, même si cette pratique n’est pas généralisée. Ces dispositifs peuvent s’avérer particulièrement pertinents dans ces situations, car ils offrent une forme de réponse aux victimes, voire aux auteurs, là où le tribunal se trouve dans l’impossibilité d’intervenir.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ces dispositifs de justice restaurative ?
M. Olivier Caracotch. Avez-vous vu le film Je verrai toujours vos visages ? Il illustre très bien ce concept.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Faites-vous bien référence à des plaintes concernant des faits prescrits ?
M. Olivier Caracotch. Oui. Ce dispositif n’est pas dédié aux plaintes prescrites, mais il permet d’y apporter une réponse. La justice restaurative consiste à mettre en relation des auteurs d’infractions qui reconnaissent tout ou partie des faits avec des victimes d’infractions similaires, mais qui ne sont pas directement leurs victimes. Ces rencontres se déroulent sous forme de groupes de discussion où les victimes expriment les préjudices et les troubles causés par ces infractions. Les auteurs, en écoutant ces témoignages, prennent conscience des conséquences de leurs actes, qu’ils aient déjà été jugés ou non, notamment dans les cas de prescription. En Côte-d’Or, nous avons expérimenté une fois la justice restaurative pour des infractions sexuelles. J’ai tenté d’inclure des dossiers prescrits, mais les enquêtes menées sur ces faits se sont souvent heurtées à des auteurs contestant les faits. Évidemment, la justice restaurative exclut catégoriquement la confrontation entre des auteurs niant les faits et des victimes en quête de compassion et de reconnaissance de leur préjudice.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le premier ministre a annoncé que les moyens du parquet de Pau seraient renforcés pour faire face au nombre considérable de plaintes – plus de 200 à ce jour – concernant les crimes commis dans l’établissement Bétharram. Disposez-vous d’informations sur la mise à disposition effective de ces moyens pour soutenir le parquet de Pau, et sur leur ampleur ?
M. Olivier Caracotch. Le procureur de la République de Pau, également membre du conseil d’administration de la CNPR, est directement concerné par les faits évoqués. Par conséquent, il n’a pas été désigné par le conseil d’administration pour répondre à votre commission. Je ne suis cependant pas en mesure de confirmer si ces moyens supplémentaires sont déjà parvenus. J’en doute, car les mutations nécessitent un certain délai et l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Néanmoins, étant donné l’engagement public du premier ministre sur ce point, je ne vois pas comment cette promesse pourrait ne pas être tenue.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Il existe donc, en principe, des conventions de coopération entre les DSDEN et les parquets, dont l’application varie selon les territoires. Notre rapport pourrait d’ailleurs recommander d’harmoniser ces fonctionnements et de les sécuriser. En effet, si tout fonctionnait de manière satisfaisante, nous ne serions pas confrontés à autant de plaintes non abouties ou mal orientées et à un tel silence. Dans le cadre de ces conventions, organisez-vous systématiquement des réunions d’information destinées aux chefs d’établissements publics et privés, avec la participation des parquets ? Ces réunions concernent-elles à la fois l’enseignement public, l’enseignement privé sous contrat catholique et les établissements relevant d’autres cultes ?
M. Olivier Caracotch. La convention concernant mon parquet date du 9 mai 2022. Elle prévoit effectivement un signalement direct des infractions aux services d’enquête, avec une copie transmise au parquet pour enregistrement. La convention stipule également qu’un bilan annuel doit être réalisé, comme c’est généralement le cas pour ce type d’accord. Cependant, force est de constater que cette exigence est relative, car nous réunissons rarement les comités de pilotage. Néanmoins, la convention reste active et a été récemment évoquée lors d’un état-major de sécurité. Nous réunissons habituellement chaque année un état-major de sécurité consacré aux infractions en milieu scolaire. Cette convention a été signée par le procureur, le préfet, l’inspectrice d’académie, l’enseignement catholique, l’enseignement agricole, la gendarmerie et la police nationales. Je n’ai pas connaissance de l’existence d’autres enseignements cultuels dans notre ressort, mais s’il y en avait, ils auraient bien entendu été conviés à participer.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous avons eu l’impression, lors de nos auditions et visites sur le terrain, que certains départements organisaient systématiquement des réunions avec les chefs d’établissements publics et privés. Lors de ces réunions, les parquets interviennent sur les questions de signalements et leur suivi. Il semble cependant que les établissements privés sous contrat ou hors contrat, notamment cultuels autres que catholiques, soient moins impliqués dans ces démarches. Ces pratiques paraissent assez variables pour le moment, bien qu’il existe une volonté de les développer.
M. Olivier Caracotch. Nous tentons d’organiser une rencontre avec le Dasen depuis un certain temps. Elle était programmée, mais a dû être annulée en raison de l’hommage rendu à Samuel Paty l’automne dernier. Nous devons encore la reprogrammer. Je confirme avoir mis en place ce type de rencontres dans mes deux précédents postes. Bien que non institutionnalisée, cette pratique est généralement appréciée par les DSDEN, car elle permet un échange direct entre le procureur et les chefs d’établissement.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je pense que cette pratique n’est pas formellement mentionnée dans les conventions de coopération, mais elle pourrait l’être à l’avenir. Nous constatons un réel besoin de formation et de sensibilisation à la culture du signalement, avec un suivi et un pilotage sur le long terme.
Concernant les délais de traitement, les conventions ne prévoient pas de voie particulière ou exceptionnelle. Elles mentionnent un référent pour accompagner le dispositif de coopération, à savoir un magistrat de la section mineur-famille du parquet et un conseiller technique auprès du Dasen. Cependant, au vu de la gravité des faits révélés massivement depuis un an, notamment à Bétharram mais aussi dans d’autres régions, est-il envisagé un engagement pour un traitement plus rapide des cas potentiellement dommageables à d’autres enfants ? Je pense notamment à l’affaire de Riaumont dans le Pas-de-Calais, où la procédure dure depuis plusieurs années. Une accélération des procédures est-elle prévue pour la protection de l’enfant en milieu scolaire ?
M. Olivier Caracotch. Nous priorisons effectivement les procédures lorsqu’il existe encore un risque d’exposition des mineurs. Cependant, cette priorisation s’inscrit dans un contexte général de hiérarchisation des urgences. Nous accordons la priorité aux violences conjugales et aux violences intrafamiliales sur les mineurs en raison de leur exposition importante aux violences commises par des membres de la famille. Cette priorisation concerne également les dossiers que vous évoquez ; elle est liée à l’exigence de protection des mineurs, mais aussi au statut des personnes mises en cause lorsqu’elles font l’objet d’une mesure administrative de mise à l’écart. L’éducation nationale et l’enseignement supérieur exercent une pression légitime sur ces dossiers, notamment lorsqu’un signalement est effectué et qu’une personne est écartée par une mesure administrative pour une durée limitée à six mois. Malheureusement, il nous est impossible de clôturer toutes les enquêtes dans ce délai.
Par exemple, le commissariat de police de Dijon gère actuellement un stock de 10 000 procédures, dont 5 000 sont rentrées depuis plus d’un an. Notre rôle, comme pour la hiérarchie de la police, est de nous assurer qu’aucune affaire d’agression sexuelle, de violence conjugale ou de violence sur mineur ne stagne parmi ces dossiers en attente. Cependant, je sais qu’il y en a, et je n’en renvoie pas la responsabilité à la police. À mon arrivée au parquet de Dijon, les sujets relatifs aux mineurs accusaient un retard d’un an dans le traitement des procédures, à l’exception des signalements, qui faisaient d’objet d’un circuit d’urgence. Cette situation peut malheureusement conduire à la découverte tardive de procédures qui auraient dû être traitées immédiatement.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez précédemment parlé du risque d’instrumentalisation, mais nous constatons que, lorsqu’un lanceur d’alerte au sein de l’éducation nationale ose dénoncer des violences systémiques, il se heurte parfois à une omerta et subit des pressions. Le recours à la justice au travers de l’article 40 constitue un devoir pour un fonctionnaire. J’insiste sur le fait que, qu’il s’agisse d’un fonctionnaire ou d’un élu, le dépôt d’un article 40 est une obligation. Cette démarche implique un travail sérieux de collecte de témoignages et de preuves. Il est donc essentiel que le suivi et le retour d’information concernant ces articles 40 soient effectués en considération de ce devoir citoyen, d’élu ou de fonctionnaire, et non sous l’angle d’un potentiel risque d’instrumentalisation médiatique ou politique.
Certains lanceurs d’alerte nous ont fait part de leur sentiment d’être moins écoutés après avoir osé s’adresser aux médias, comme s’ils faisaient l’objet d’un jugement de valeur de la part du parquet. En tant qu’élue locale ayant déjà eu recours à l’article 40, j’ai parfois éprouvé ce même sentiment. Cependant, il y va du devoir d’un élu ou d’un enseignant fonctionnaire confronté à une situation de violence.
M. Olivier Caracotch. Je partage entièrement votre point de vue. Je suis le premier à encourager mes partenaires à recourir à l’article 40. Lors d’une récente réunion sur les violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur, j’ai vivement incité les participants à utiliser ce dispositif. Si je classe ensuite ces signalements, cela relève de ma responsabilité ; la leur est de révéler les faits.
Le terme « lanceur d’alerte » peut effectivement avoir une connotation péjorative, ce qui explique peut-être mon utilisation du mot « instrumentalisation ». Par exemple, j’ai récemment dû classer sans suite un article 40 qui concernait l’enseignement supérieur avec une étudiante qui s’était dite victime de viol. Le directeur, ayant connaissance d’un crime dans l’exercice de ses fonctions, avait opéré un signalement au titre de l’article 40. Or il s’agissait d’une dénonciation calomnieuse. Le directeur avait été instrumentalisé. La crainte est que la justice puisse l’être également.
Il est évident que, lorsqu’un élu ou une personne chargée d’une mission de service public dépose un article 40, il le fait en pleine conscience de ses responsabilités. Cette démarche mérite effectivement un retour de la part du procureur. Néanmoins, le risque d’instrumentalisation fait partie de notre réalité.
La séance est levée à dix-huit heures cinquante.
Présents. – Mme Géraldine Bannier, Mme Florence Joubert, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. Arnaud Bonnet, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Bartolomé Lenoir, M. Frédéric Maillot, Mme Nicole Sanquer