Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), table ronde réunissant des représentants des organisations représentatives des personnels enseignants de l’enseignement privé : Mmes Valérie Ginet, secrétaire générale adjointe de la Fédération des syndicats des personnels de la formation et de l’enseignement privé-CFDT (FEP-CFDT), et Nadia Claës-Beck, secrétaire nationale ; Mmes Pascale Picol, membre du bureau national de la CGT-enseignement privé, élue au Comité consultatif ministériel des maîtres de l’enseignement privé sous contrat (CCMMEP), et Marie Troadec, responsable du premier degré ; Mmes Véronique Cotrelle, présidente du Syndicat national de l’enseignement chrétien-CFTC (Snec-CFTC) et Delphine Bouchoux, élue au CCMMEP ; M. Jean-Louis Stalder, président de la Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique (Spelc). 2
– Présences en réunion..............................13
Mercredi
30 avril 2025
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 65
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à seize heures vingt.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne sous la forme d’une table ronde, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), des représentants des organisations représentatives des personnels enseignants de l’enseignement privé : Mmes Valérie Ginet, secrétaire générale adjointe de la Fédération des syndicats des personnels de la formation et de l’enseignement privé-CFDT (FEP-CFDT), et Nadia Claës-Beck, secrétaire nationale ; Mmes Pascale Picol, membre du bureau national de la CGT-enseignement privé, élue au Comité consultatif ministériel des maîtres de l’enseignement privé sous contrat (CCMMEP) et Marie Troadec, responsable du premier degré ; Mmes Véronique Cotrelle, présidente du Syndicat national de l’enseignement chrétien-CFTC (Snec-CFTC) et Delphine Bouchoux, élue au CCMMEP ; M. Jean-Louis Stalder, président de la Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique (Spelc).
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous poursuivons nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires en recevant des représentants des organisations représentatives des personnels enseignants de l’enseignement privé.
Mesdames et messieurs, je vous remercie pour votre présence à cette table ronde qui nous permettra de mieux comprendre le rôle de vos organisations dans la prévention des différentes formes de violences et de discriminations. Vous évoquerez également la formation des personnels enseignants et non enseignants des établissements privés en matière de repérage et de réaction face aux violences. Vous nous direz si vous l’estimez suffisante et, dans le cas contraire, les préconisations qui sont les vôtres pour l’améliorer.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mmes Ginet, Claës-Beck, Picol, Troadec, Cotrelle et Bouchoux, M. Stalder prêtent successivement serment.)
Mme Valérie Ginet, secrétaire générale adjointe de la Fédération des syndicats des personnels de la formation et de l’enseignement privé-CFDT (FEP-CFDT). Les récents cas de violences révélés dans les établissements privés nous désolent profondément. En tant qu’organisation syndicale, nous exigeons que toute la lumière soit faite, que les victimes soient entendues et que les crimes soient dénoncés. De tels agissements ne sauraient être tolérés dans une école que nous souhaitons voir plus étroitement associée au service public d’éducation, conformément au contrat d’association. Le caractère propre ne doit plus servir de prétexte pour s’écarter de cette mission, et les établissements privés doivent retrouver leur place légitime au sein du service public d’éducation.
En matière de prévention des violences, nos organisations revendiquent la mise en place de programmes visant à développer les compétences psychosociales et psychoémotionnelles, notamment les programmes d’éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité (Evars). Nous demandons que ces dispositifs bénéficient de temps et de moyens dédiés, ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous exigeons également un traitement identique des violences dans le privé et le public, avec le déploiement du programme de lutte contre le harcèlement à l’école, dit programme Phare, et du plan « Brisons le silence, agissons ensemble » en remplacement du programme de prévention des publics fragiles (programme 3PF) et du plan Boussole dans tous les établissements. Nous revendiquons par ailleurs la mise en place d’instances de dialogue et de concertation, ainsi que le respect de la présence syndicale dans les structures. Enfin, notre rôle consiste à informer nos équipes, par exemple sur l’arrêté du 7 février 2025 relatif à la procédure interne de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte. J’ajoute que la FEP-CFDT est favorable à tous les contrôles d’établissements.
La formation des personnels enseignants et non enseignants des établissements privés est insuffisante. La formation initiale ne comporte pas de module spécifique sur les violences, et la formation continue, reposant sur le volontariat, n’est pas généralisée. Pour ces raisons, nous préconisons l’intégration de modules obligatoires sur la lutte contre le harcèlement, les discriminations et les violences dès la formation initiale. Nous considérons également que l’Evars est essentiel pour permettre aux enfants de comprendre les situations auxquelles ils pourraient être confrontés et de s’en protéger. L’émancipation et l’écoute des enfants, associées à la formation de l’ensemble des personnels des établissements, constituent des éléments clés pour prévenir les violences.
Mme Véronique Cotrelle, présidente du Syndicat national de l’enseignement chrétien-CFTC (Snec-CFTC). Le Snec-CFTC condamne fermement tous les faits de violences en milieu scolaire, et rappelle que la protection des jeunes doit être une priorité absolue pour tous les établissements, indépendamment de leur statut ou de leur réseau. Notre organisation syndicale, qui représente l’ensemble des maîtres et des salariés de droit privé, se fait aujourd’hui le porte-parole de nos collègues, profondément choqués par l’ampleur des accusations et le déferlement médiatique autour de ces affaires. Sans nier la gravité de ces faits, nous ne nous reconnaissons pas dans le portrait qui est dressé de l’enseignement privé. Gardons-nous des amalgames entre le passé et le présent, et en disant cela, je pense particulièrement à nos collègues de l’ensemble scolaire Le Beau Rameau, anciennement Institution Notre-Dame de Bétharram, qui subissent depuis quatorze mois une pression médiatique considérable alors que la plupart d’entre eux n’exerçaient pas dans l’établissement à l’époque des faits incriminés.
Le Snec-CFTC prône la transparence, le renforcement des contrôles et l’amélioration des procédures de dénonciation pour tendre vers le risque zéro, tout en étant conscient que celui-ci n’existe malheureusement pas. Si nous exerçons pleinement notre rôle en matière de prévention des violences, il importe de rappeler qu’un syndicat a pour première vocation de se préoccuper des travailleurs. La responsabilité première de la prévention incombe au chef d’établissement, garant de la sécurité et du bien-être des élèves et des personnels, ainsi qu’à l’État, puisque nous sommes des agents de droit public.
À l’insuffisance de la formation du personnel enseignant et non enseignant face aux différents types de violences, s’ajoutent une multiplication des informations et un empilement des données émanant du ministère peu lisibles pour nos collègues. C’est pourquoi le Snec-CFTC propose de remettre à chaque enseignant, dès l’obtention du concours ou de la signature du contrat, un vade-mecum comprenant des fiches techniques détaillant toutes les procédures à suivre. Nous préconisons également la mise en place de formations continues, éventuellement à distance, ainsi que des formations spécifiques pour les personnels de droit privé.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Lorsque vous évoquez des fiches techniques ou un vade-mecum, faites-vous référence à des documents expliquant les procédures à suivre, par exemple pour déposer plainte ou faire remonter des informations ?
Mme Véronique Cotrelle. En effet, nous pensons notamment à ce type d’informations. Je citerais également des informations relatives à la procédure de lanceur d’alerte, qui reste très méconnue de la plupart de nos collègues.
Mme Delphine Bouchoux, élue au Comité consultatif ministériel des maîtres de l’enseignement privé (CCMMEP). De nombreux outils sont mis à disposition par l’éducation nationale, mais peu d’entre eux parviennent jusqu’à nos établissements privés. Il n’existe pas d’affichage institutionnel concernant les protocoles à suivre ou les alertes à lancer lorsque l’on est témoin de faits de violence. Nous déplorons vivement ce manque d’information, tout aussi lourd de conséquences que les défaillances de la formation. Dans ce contexte, le rôle d’un syndicat est de relayer l’information institutionnelle auprès des personnels.
M. Jean-Louis Stalder, président de la Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique (Spelc). Je m’associe pleinement aux propos tenus par Mme Cotrelle sur les attaques et la pression médiatique considérable ciblant nos collègues du Beau Rameau, et sur la nécessité d’éviter tout amalgame. Le Spelc condamne fermement toute forme de violence, qu’elle soit dirigée contre les élèves, les enseignants ou le personnel de droit privé. La violence n’a pas sa place dans nos établissements.
Notre organisation s’engage à se tenir au plus près du terrain, notamment grâce à nos délégués syndicaux et nos élus au comité social et économique (CSE). Notre rôle est d’identifier les problèmes, de participer à leur signalement et d’agir si nécessaire, que ce soit au niveau du CSE ou en faisant appel au service juridique de notre fédération pour obtenir les conseils appropriés sur les procédures à suivre.
En ce qui concerne la formation, force est de constater qu’elle est nettement insuffisante, tant pour le personnel salarié que pour les enseignants. La formation pour lutter contre la violence et apprendre à réagir face à de telles situations devrait être intégrée dans la réforme de la formation initiale des maîtres. Cela nous semble constituer une nécessité absolue. Nous estimons également que les chefs d’établissement devraient bénéficier d’une formation spécifique sur ces questions, afin qu’ils soient non seulement sensibilisés, mais aussi formés aux méthodes de management participatif. L’information et la prévention doivent être les maîtres mots afin de répondre efficacement à cette problématique complexe.
Mme Pascale Picol, membre du bureau national de la CGT-enseignement privé, élue au CCMMEP. Les violences révélées ces derniers mois doivent être reconnues et cesser définitivement, et il nous appartient de tout mettre en œuvre pour que de tels actes ne puissent plus jamais se produire.
Dans la perspective de cette audition, notre organisation a diffusé un questionnaire qui a recueilli environ 600 réponses. Nous tenons ces résultats à votre disposition, car ils apportent un éclairage significatif sur la situation du personnel de l’enseignement privé sous contrat.
Au nom de ses valeurs, la CGT porte le souhait de la mise en place d’un service public d’éducation laïque de qualité, accessible à tous, indépendamment du parcours, de l’identité ou du milieu social. Notre approche de la laïcité vise à garantir à chaque enfant une scolarité sans pression ni violence.
Notre caractère interprofessionnel nous permet d’être en contact avec nos camarades de la protection de l’enfance, de la justice pour mineurs, des services publics hospitaliers, notamment de la pédopsychiatrie. Ces collectifs de travail, tous liés à la question des violences, pâtissent aujourd’hui fortement de la dégradation de leurs conditions de travail. Nous mettons également en place des formations spécifiques sur les violences sexistes et sexuelles (VSS). Notre organisation syndicale dispose d’une cellule de veille interne concernant les discriminations, notamment celles liées au genre et à l’orientation sexuelle, et le racisme sous toutes ses formes, autant d’éléments potentiellement générateurs de violences au sein des établissements.
Dans le cadre de notre travail intersyndical, nous participons au collectif de lutte contre les LGBTIphobies en milieu scolaire et universitaire, qui rassemble des syndicats de l’enseignement public et privé, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) et des organisations de jeunesse. Nous considérons que ce travail conjoint public-privé est déterminant pour aborder l’ensemble des problématiques de l’éducation nationale.
Mme Marie Troadec, responsable du premier degré à la CGT-enseignement privé. Nous avons également mis en place des cellules de veille sur les groupes d’extrême droite dans le secteur de l’éducation, tels que « Parents vigilants », « Mamans Louves », « Parents en colère » ou « SOS éducation », via nos collectifs syndicaux et intersyndicaux, notamment l’association Visa.
Au niveau local et dans le cadre de l’accompagnement des collègues, nous mettons en œuvre des procédures syndicales distinctes de celles observées dans l’enseignement privé catholique. Cette approche nous permet d’apporter des réponses collectives face aux violences, particulièrement celles dirigées contre les personnels. Nous accordons une importance primordiale à l’écoute de nos collègues, nous recueillons leur parole, préconisons des démarches écrites, et les conseillons sur leur protection et la nécessité de constituer des dossiers solides. Notre action s’appuie systématiquement sur les textes réglementaires afin d’être plus efficaces face aux violences.
Mme Pascale Picol. Les lacunes de la formation et de l’information expliquent en partie la persistance de l’omerta sur la question des violences. L’ensemble du personnel déplore l’absence de campagnes claires sur l’état actuel des études concernant les violences envers les enfants. Malgré les rapports de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) et de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), malgré les travaux portant sur les violences éducatives ordinaires, les violences intrafamiliales, l’inceste, la pédocriminalité et les violences patriarcales en général, l’information reste très limitée au sein de l’enseignement privé sous contrat, et plus largement dans l’éducation nationale. Or il est impératif que chaque membre du personnel de l’éducation nationale maîtrise ces données fondamentales dès le début de sa carrière.
Si la gestion du harcèlement entre élèves commence à être mieux appréhendée, la question des violences d’adultes sur les enfants reste un chantier à baliser et à développer. Nous regrettons que les enseignants, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), ainsi que les salariés de droit privé, souvent oubliés dans ces questions de formation, ne bénéficient pas d’une formation adéquate. Ces formations doivent être dispensées dans de bonnes conditions, tant en formation initiale qu’en formation continue. Il importe qu’elles soient transversales au cursus des enseignants, qu’elles abordent tous les aspects de la problématique, et qu’elles soient alimentées tout au long de la carrière à la faveur de remises à niveau et de mises à jour régulières. Enfin, il est crucial que ces formations soient élaborées en collaboration avec les personnels eux-mêmes, car ce sont eux qui connaissent le mieux les réalités du terrain dans les établissements.
Mme Marie Troadec. Nous demandons la mise en place de formations massives et régulières, communes avec le secteur public, dispensées par des intervenants agréés par l’éducation nationale et non par l’enseignement catholique. Tout doit être, selon nous, harmonisé et mutualisé. Nous interpellons régulièrement nos instances, notamment les CCMMEP et les rectorats, sur la nécessité d’une vigilance accrue de notre administration concernant les fiches repères du Secrétariat général de l’enseignement catholique (Sgec), par exemple sur les modules d’anthropologie chrétienne dispensés au sein des Instituts supérieurs de formation de l’enseignement catholique (Isfec). Nous sommes également très préoccupés par les fiches qu’il pourrait produire sur la mise en œuvre de l’Evars.
Par conséquent, nous exhortons notre administration à ne pas rester passive et à ne plus se contenter d’un étonnement perpétuel face aux situations que nous observons sur le terrain. Nous demandons que le ministère nous garantisse, maintenant et pour l’avenir, que l’enseignement catholique cessera de s’affranchir des règles, comme il le fait sur de nombreux sujets, tels que les circulaires et décrets concernant les élèves transgenres, la charte sur la laïcité, la vaccination contre le papillomavirus ou encore, et à l’encontre de ses déclarations d’intention, sur l’Evars.
En résumé, nous réclamons urgemment la mise en place d’une formation commune au public et au privé, accessible aux personnels de droit public, aux AESH et aux personnels de droit privé.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je remercie chacun pour ce premier tour de table, riche en propositions et revendications. Comme vous avez pu le constater, nous menons un travail approfondi pour prendre en compte l’ensemble des points d’alerte.
Je souhaite aborder en préambule l’exposition médiatique des personnels enseignants salariés au collège Le Beau Rameau. Nous sommes très sensibles à leur situation et je tiens à souligner qu’en aucun cas nous ne pratiquons l’amalgame entre les personnes mises en cause pour des violences psychologiques, physiques et sexuelles, et l’écrasante majorité des personnels de l’enseignement privé qui accomplissent leur mission éducative avec bienveillance et un grand engagement. Votre rappel à ce sujet est important et nous y sommes attentifs.
Nos travaux d’enquête ne se limitent pas à l’examen de faits passés, mais tâchent de mettre en lumière des témoignages portant sur des faits récents. Nous procédons quotidiennement à de nombreux signalements au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Il nous importe d’examiner la réalité d’aujourd’hui avec lucidité, même si le contexte diffère de celui des années 1960 à 2000.
Enfin, mon corapporteur M. Vannier et moi-même sommes particulièrement vigilants quant à la libération de la parole et à la protection des lanceurs d’alerte. Lors de nos trois visites sur le terrain dans des établissements où se sont déroulées des violences systémiques, nous avons constaté que ce sont des femmes qui ont joué le rôle de lanceuses d’alerte. Ces femmes ont vu leur carrière ralentie, voire brisée, pour avoir osé parler. Nous avons échangé avec elles, qui incarnent le courage de nombreuses autres personnes qui n’ont pas pu être entendues, soutenues, ou qui ont dû renoncer face aux pressions. Cette problématique est au cœur de notre mission d’enquête.
C’est sur ce point précis que je souhaite vous interroger. Selon vous, un signalement doit-il nécessairement suivre la voie hiérarchique interne à l’éducation nationale ? Quelles modalités devraient être mises en place ? Existe-t-il actuellement des obstacles entre la personne souhaitant signaler des faits de violence commis par des adultes sur des enfants et l’éducation nationale ou la justice ? Comment vos organisations accompagnent-elles ce processus afin de garantir l’efficacité du signalement et de son suivi ?
Mme Valérie Ginet. La procédure officielle exige que les signalements empruntent la voie hiérarchique, ce qui implique systématiquement de passer par le chef d’établissement. Bien que cette démarche soit logique, elle peut dissuader certaines personnes de signaler des faits, car cela les expose et peut les mettre en danger. En effet, signaler un problème n’est pas toujours bien perçu ni compris. Certains établissements fonctionnent selon un modèle très patriarcal où remettre en cause la réputation de l’établissement ou de certaines personnes est mal vu, ce qui explique que les signalements ne sont pas systématiques. En outre, le coût personnel d’un signalement est souvent élevé, particulièrement dans l’enseignement privé où l’on trouve davantage de personnels précaires, de maîtres délégués, et un important turnover parmi les personnels de droit privé. Ces facteurs constituent un frein réel aux signalements.
Nous estimons que le déploiement de l’outil Faits établissement faciliterait les signalements en installant un canal direct entre l’établissement et le rectorat, évitant ainsi le passage par les chefs d’établissement d’enseignement catholique qui, bien souvent, s’en réfèrent en premier lieu à leur diocèse. Or nous savons que les réactions des diocèses varient : certains agissent de manière appropriée, comme à Saint-Nazaire récemment où un directeur mis en cause a été immédiatement suspendu à titre conservatoire, tandis que d’autres invoquent la présomption d’innocence pour ne rien faire, au risque de laisser des enfants dans une situation de danger.
Outre cette automatisation du protocole de signalement, nous préconisons d’améliorer sensiblement le suivi de ces signalements, qui est actuellement défaillant, en établissant un processus de traitement clairement défini.
Mme Delphine Bouchoux. Le protocole d’émission et de traitement des signalements se trouve au cœur du sujet. Si la loi impose aux personnels informés d’un fait de violence d’en référer aux autorités compétentes, qu’il s’agisse du rectorat ou de la justice, nous constatons en réalité que ces situations font d’abord l’objet d’une gestion en interne, souvent motivée par la volonté d’éviter un scandale public et par une forme de déni. Les situations de violence existent dans nos établissements comme ailleurs, à l’école publique, dans les associations sportives ou au sein d’une cellule familiale, il est vain de le nier. En passant sous silence certains faits, nos institutions commettent une grave erreur, exacerbent le problème et, finalement, nuisent à l’image qu’elles s’efforcent de préserver.
La voie hiérarchique, qui commence chez nous par le chef d’établissement, est privilégiée en vertu du principe de subsidiarité auquel tiennent les chefs d’établissement et, plus généralement, l’enseignement privé. Ce principe, qui peut parfois arranger les services du rectorat, postule que le chef d’établissement doit tout gérer. Cependant, il est lui-même confronté à la crainte de ternir l’image de son établissement. C’est la raison pour laquelle les personnels d’établissements privés souhaitant faire toute la lumière sur certains problèmes sont parfois freinés par la crainte de pressions au cas où l’affaire dont ils ont été témoins ou qui leur a été rapportée viendrait à s’ébruiter au-delà des murs de l’établissement.
En conclusion, nous estimons que le filtre hiérarchique constitue un obstacle majeur, tant pour les contrôles que pour le traitement des violences. Le traitement en interne, fût-il motivé par l’intention d’agir plus rapidement ou d’être plus proche du terrain, peut en réalité conduire à minimiser la situation, retarder la transmission de l’information, voire étouffer certaines affaires. C’est pourquoi nous recommandons que soient levés les filtres entre les personnels enseignants ou non-enseignants et les autorités compétentes pour recueillir les signalements.
M. Jean-Louis Stalder. Le traitement des signalements constitue effectivement une problématique qui mérite toute notre attention. Il est essentiel de souligner qu’il n’est nullement obligatoire de faire un signalement exclusivement au chef d’établissement. Bien que la voie hiérarchique puisse paraître un réflexe naturel, d’autres moyens d’effectuer des signalements existent, mais un effort est nécessaire afin de les faire mieux connaître. Je pense aux numéros d’urgence, tels que le 119 pour l’enfance en danger ou le 118 pour les problématiques de harcèlement. En outre, les personnels peuvent s’adresser directement à l’administration, au rectorat ou à la direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN). L’article 40 du code de procédure pénale impose également l’obligation de signaler tout délit directement au procureur de la République.
Le traitement des signalements constitue un autre problème majeur. Il est impératif que l’administration, en l’occurrence le rectorat, prenne en considération les alertes qu’elle reçoit, les traite et leur donne une suite en ouvrant une enquête administrative pour vérifier les faits. Or cette procédure n’est pas toujours suivie. Nous avons alerté le ministère sur ce point, en soulignant que l’obligation de résultat en matière de sécurité et de conditions de travail pour l’ensemble du personnel et les élèves, incombe à la fois aux chefs d’établissement et au rectorat.
Un décret régit la sécurité et les conditions de travail dans les établissements publics, avec des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) académiques et départementaux chargés de recueillir et traiter les alertes. Cependant, ce décret ne s’applique pas à l’enseignement privé sous contrat, ce qui explique le traitement insuffisant, voire inexistant, des droits d’alerte par l’administration et le rectorat. Nous avons demandé au ministère de clarifier ce point, soit en mettant en place un décret de transposition, soit en faisant évoluer le texte existant. Le ministère a d’ailleurs sollicité le Spelc pour réaliser une analyse juridique et identifier les pistes d’amélioration.
Mme Pascale Picol. Notre sondage a révélé plusieurs éléments clés concernant la réaction des professeurs, personnels ou salariés face à des situations problématiques. Il apparaît ainsi que l’isolement constitue un frein aux signalements. Bien que l’administration insiste sur l’utilisation de l’article 40, permettant de contourner le chef d’établissement, cet article requiert l’implication d’une personne spécifique. En outre, la peur des retombées est omniprésente, les collègues redoutant souvent les conséquences de l’émission d’un signalement, ce qui engendre un sentiment de désarroi.
Plutôt que solliciter la voie hiérarchique, nous préconisons un traitement en équipe au sein des établissements. Cette approche collective permettrait d’éviter les remontées isolées. Une fois les faits établis, la remontée devrait se faire directement vers l’administration, c’est-à-dire les DSDEN et les rectorats.
Nous avons entendu ici même M. Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, évoquer la possibilité de faire remonter directement, via Faits établissement, des signalements aux directions diocésaines de l’enseignement catholique (DDEC). Une telle solution ne nous paraît absolument pas appropriée, puisque nous savons bien que les interventions des DDEC, comme celles des tutelles congréganistes, n’ont souvent pour effet que d’étouffer les affaires.
Le statut de ces instances est problématique. Elles disposent d’un pouvoir évident, mais leur responsabilité légale reste floue, si bien qu’il est difficile de s’opposer à elles sur le plan réglementaire ou de leur reprocher un manquement à leurs responsabilités. En d’autres termes, leur statut juridique ne permet pas de se retourner contre elles en cas de problème, et la responsabilité retombe sur le chef d’établissement ou le personnel, mais pas sur l’enseignement catholique en tant qu’entité.
Nous demandons la mise en place d’un protocole clair, identique pour le privé et le public, et le plus sécurisant possible. À cet égard, la protection des lanceurs d’alerte est essentielle. Il importe en effet que les personnels puissent bénéficier d’un soutien syndical, juridique, psychologique et administratif. Ces mesures devraient permettre de surmonter les obstacles que sont l’isolement, la peur et le désarroi face aux démarches à entreprendre.
Les sous-effectifs de l’administration, notamment au niveau des rectorats où le turnover est important et la connaissance de nos métiers parfois limitée, sont susceptibles d’inciter l’administration à déléguer certaines responsabilités à l’enseignement catholique, ce qui n’est ni souhaitable ni prudent, puisque les chefs d’établissement et les membres des DDEC ne sont pas nécessairement formés pour gérer ces situations et peuvent subir des pressions.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je vous remercie pour vos éclairages précis et vos préconisations, qui nous aideront à nous projeter vers les conclusions de notre travail d’enquête.
Je constate un grand décalage entre vos propos et ceux tenus par les chefs d’établissement lors de la précédente audition. Lorsque nous leur avons demandé s’ils rencontraient des résistances de la part de leur tutelle diocésaine ou congréganiste au moment de signaler des faits de violence, ils ont affirmé n’avoir jamais rencontré la moindre difficulté. Or vous nous avez décrit des situations où certains diocèses, au nom du principe de présomption d’innocence, justifient la rétention d’informations, et chez lesquels des enjeux réputationnels déclenchent des réflexes pouvant entretenir une forme d’omerta et mettre des élèves en danger.
J’aimerais que vous approfondissiez ce type de situation. Avez-vous des exemples concrets ? Certains de vos syndicats vous ont-ils rapporté des cas où des faits de violence, qu’ils auraient pu transmettre par la voie hiérarchique, n’ont pas pu être communiqués à d’autres niveaux en raison d’une intervention de la tutelle diocésaine ou congréganiste ?
Sur le plan de la formation, des rappels sur l’obligation de signalement prévue par l’article 40 sont-ils intégrés à la formation initiale et continue ? En tant qu’organisation syndicale, insistez-vous sur la nécessité d’appliquer cet article, même en l’absence de signalement hiérarchique ?
Par ailleurs, j’aimerais évoquer la situation particulière des maîtres délégués, qui représentent environ 20 % des effectifs de l’enseignement privé. Leur statut précaire et leur dépendance accrue envers le chef d’établissement, qui les choisit directement, les placent dans une position vulnérable. Cette vulnérabilité est encore plus marquée pour les maîtres contractuels, dont le renouvellement du contrat n’est pas garanti. Avez-vous des recommandations spécifiques pour mieux protéger les maîtres délégués, dans l’hypothèse où ils devraient effectuer des signalements et faire office de lanceurs d’alerte ?
Mme Valérie Ginet. Le décalage que vous avez observé, monsieur le rapporteur, entre les déclarations des chefs d’établissement et les nôtres, s’explique sans doute par notre proximité avec le terrain.
Au-delà des violences physiques et sexuelles, qui sont évidemment inacceptables, nous sommes confrontés à un continuum de violences incluant les violences psychologiques et institutionnelles. Si les cas de violences physiques ou sexuelles envers les enfants ne sont pas quotidiens, nous sommes en revanche très fréquemment alertés sur des climats d’établissement délétères nuisant au bien-être des élèves et des enseignants.
Ces signaux faibles doivent être détectés lors des contrôles d’établissement. Dans les structures où règnent un bon climat social, une communication ouverte et un travail d’équipe efficace, les problèmes sont généralement signalés et traités de manière appropriée. En revanche, les dysfonctionnements majeurs au niveau du dialogue social, la crainte du chef d’établissement, la stigmatisation de certains enseignants, ou encore l’autorisation d’interventions d’associations aux idéologies contestables, constituent des indicateurs de violence institutionnelle qu’il convient impérativement de prendre en compte.
Certes, tous les établissements ne sont pas concernés par ces problématiques. Cependant, même dans des environnements apparemment sereins, la violence peut surgir de manière inattendue. C’est pourquoi il est essentiel que les établissements privés soient également contrôlés et soutenus en matière de santé scolaire et mentale, parce que les établissements privés ne sont pas épargnés par les problèmes de notre société. Enfin, je crois que toute amélioration de la situation dans les établissements privés passera nécessairement par un effort de transparence.
Mme Nadia Claës-Beck, secrétaire nationale de la FEP-CFDT. Permettez-moi d’insister sur une particularité importante de l’enseignement privé sous contrat : tout s’y déroule « sous couvert du chef d’établissement », selon la formule consacrée. Cela constitue un premier filtre difficile à contourner pour les enseignants. Lorsque les collègues sollicitent les organisations syndicales, nous pouvons les orienter directement vers l’administration, mais ce n’est pas toujours possible. Par ailleurs, la possibilité du recours à l’article 40 reste largement méconnue, et informer l’ensemble des personnels sur l’existence et les implications de cet article me semble constituer une priorité.
Mme Véronique Cotrelle. Certains établissements privés disposent d’une instance de dialogue spécifique, le CSE. Or les élus de cette instance ne sont pas auditionnés lors des contrôles, alors qu’ils sont susceptibles d’apporter des informations précieuses. Il me semble qu’il s’agit là d’une piste à explorer.
J’insiste à nouveau sur la nécessité d’un vade-mecum regroupant toutes les informations relatives à l’article 40, aux droits des lanceurs d’alerte, ou encore aux procédures de signalement. Il est impératif que les enseignants soient correctement informés pour lutter efficacement contre toutes formes de violence.
M. Jean-Louis Stalder. Je tiens à préciser que la formule « sous couvert du chef d’établissement » recouvre simplement l’obligation d’informer celui-ci des événements survenant au sein de son établissement, mais ne signifie pas que son accord soit requis préalablement à toute décision. En outre, des actions peuvent être entreprises sans information préalable au chef d’établissement, si l’urgence le commande. De manière plus générale, les DDEC et l’Organisme de gestion de l’enseignement catholique (Ogec) doivent en finir avec ce réflexe consistant à protéger le chef d’établissement avant toute autre considération.
Le caractère précaire et instable de la situation des maîtres délégués les place dans une grande fragilité. Il me semble que le législateur et le ministère devraient réfléchir à un dispositif de titularisation après un certain nombre d’années d’exercice ou d’inspections.
Mme Marie Troadec. Le sondage que nous avons mené auprès de nos collègues révèle des informations préoccupantes concernant les violences dans l’enseignement catholique et le rapport au chef d’établissement. Dans l’espace d’expression libre, nos collègues évoquent fréquemment les violences qu’ils subissent eux-mêmes. Lorsque nous leur demandons de qui ils auraient besoin d’être protégés s’ils dénonçaient des violences sur les élèves, 36 % désignent leur chef d’établissement. Un tel chiffre soulève de sérieuses interrogations sur la capacité de l’enseignement catholique à gérer les violences envers les élèves, s’il échoue déjà à protéger son personnel.
À cet égard, il importe de faire observer que notre employeur, le rectorat, se décharge largement de sa responsabilité sur le personnel, et justifie cette position en invoquant le statut de droit privé des chefs d’établissement, qui sont salariés de l’Ogec, tout en restant d’ailleurs sous autorité académique. Permettez-moi de citer un cas illustrant l’ampleur du problème : dans notre académie, face à une situation de violence envers le personnel, c’est le rectorat lui-même qui nous a conseillé de contacter la presse. Cela démontre l’état actuel de la gestion des dénonciations de violences.
Mme Pascale Picol. J’ajoute que notre enquête révèle que seulement 8 % des personnels connaissent l’article 40, la notion de signalement au procureur étant légèrement mieux comprise. Cette ignorance est la conséquence concrète des carences de la formation initiale, où l’article 40 n’est pas abordé.
Par ailleurs, je reviens sur la présomption d’innocence, qui est fréquemment et excessivement invoquée dans les affaires de violence. Nous devons lui opposer systématiquement un principe de présomption de sincérité. Bien qu’il puisse arriver qu’un élève accuse à tort un enseignant ou un membre du personnel, ces accusations cachent généralement une autre problématique, comme des violences intrafamiliales. L’idée de l’accusation gratuite et infondée relève d’un imaginaire patriarcal dépassé, surtout au vu des conséquences que subissent les victimes après une dénonciation.
Je souscris entièrement aux propos de M. Stalder concernant la protection des maîtres délégués. La meilleure protection consiste à mettre fin à la précarité, tant pour les maîtres délégués que pour les salariés de droit privé, qui subissent de nombreuses pressions.
Enfin, si je suis d’accord avec mes collègues sur la nécessité d’établir des procédures, il me semble impératif que celles-ci soient uniformisées et non pas spécifiques à chaque établissement. Nous devons mettre en place un système généralisé à l’ensemble des territoires et des établissements, qu’ils soient privés ou publics.
Mme Delphine Bouchoux. J’aimerais rebondir sur le constat de monsieur le rapporteur quant au décalage entre les positions des chefs d’établissement et les nôtres. J’estime que nous devons dépasser les discours de posture. Il est évident que nos perspectives diffèrent, et nous reconnaissons tous qu’il serait inapproprié de dire qu’il y a des faits de violence dans tous les établissements.
Cependant, notre expérience de terrain et notre implication dans diverses instances de l’enseignement catholique, du rectorat ou du ministère, nous confèrent une légitimité certaine. Il serait extrêmement imprudent de notre part d’affirmer que des faits de violence sont étouffés, minimisés et que l’information est retardée, si cela n’était pas avéré.
Permettez-moi de revenir également sur le principe de subsidiarité, que j’ai évoqué précédemment. Je ne remets pas en cause son existence, mais plutôt son application. Il serait bénéfique de le moduler afin que les chefs d’établissement cessent de se considérer comme des chefs d’entreprise. Cette perception erronée conduit certains maîtres délégués, voire des maîtres titulaires, à croire qu’ils sont les employés de l’établissement et qu’ils doivent tout au chef d’établissement, qui est en réalité un salarié de droit privé. Si cette pression forte était atténuée, les maîtres s’exprimeraient probablement avec davantage de liberté.
Mme Véronique Cotrelle. Lors d’une audience avec la ministre de l’éducation nationale, Mme Borne, notre organisation a proposé que les maîtres délégués soient titularisés par acquis d’expérience.
M. Jean-Louis Stalder. La situation des maîtres délégués est excessivement différente d’un rectorat à l’autre, ce qui renvoie à la question fondamentale de leur statut. Si un véritable statut national, géré par le ministère et non plus par les rectorats, leur était accordé, des règles claires et uniformes, applicables de manière cohérente dans l’ensemble du territoire national, pourraient être établies.
La séance est levée à dix-sept heures vingt.
Présents. – Mme Soumya Bourouaha, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Nadège Abomangoli, M. Arnaud Bonnet, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, M. Sacha Houlié, Mme Tiffany Joncour, M. Bartolomé Lenoir, M. Frédéric Maillot, Mme Nicole Sanquer, Mme Caroline Yadan